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Résumé
REB 46 1988 France p. 181-190
M. van Esbroeck, Le culte de la Vierge de Jérusalem à Constantinople aux 6e - 7e siècles. — A l'analyse, les détails
d'aménagement liturgique pour la fête de la Vierge aux Blachernes et aux Chalkopratées, livrés par les chronographes byzantins,
s'avèrent relever moins d'un réflexe de collectionneur curieux que d'une juste estimation des enjeux politiques. Venues de
Jérusalem, les processions de Constantinople ont dominé la place à la faveur de l'anti-chalcédonisme en 512, et elles
aboutissent à une réforme qui coïncide avec l'absorption des symboles monophysites dans l'orthodoxie de l'empereur Maurice.
van Esbroeck Michel. Le culte de la Vierge de Jérusalem à Constantinopie aux 6e-7e siècles. In: Revue des études byzantines,
tome 46, 1988. pp. 181-190.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1988_num_46_1_2229
LE CULTE DE LA VIERGE
DE JÉRUSALEM À CONSTANTINOPLE
AUX 6e-7e SIÈCLES
Dans une phrase d'une rare densité, R. Janin a condensé deux fois les
données historiques accessibles dans les sources grecques relatives au cycle
liturgique mariai dans les églises des Blachernes et des Chalkopratées. A
propos de la seconde église, il écrit : « D'après Nicéphore Calliste,
Pulchérie institua une veillée sainte et une procession chaque mercredi.
Quant à la procession qui tous les vendredis partait des Blachernes pour se
terminer à Notre-Dame des Chalkopratées, c'est le patriarche Timothée Ier
(511-518) qui l'institua. L'empereur Maurice en régla le cérémonial»1.
Quant à la première église, R. Janin observe : « Le patriarche Timothée Ier
institua sous le nom de πανήγυρις la procession qui se faisait tous les
vendredis de Notre-Dame des Blachernes à l'Église des Chalkopratées »2.
Il était difficile de résumer davantage les données, plus complexes à
l'analyse, des notices diverses des chroniqueurs byzantins. On observe déjà,
dès l'abord, un parallélisme avec l'usage de l'Église de Jérusalem, qui
connaissait une procession de la Sainte-Sion à Gethsémani aux alentours
du 1 5 août en l'honneur de la Vierge, cérémonie qui fut réglée elle aussi par
l'empereur Maurice à un point tel qu'il construisit une nouvelle église à
Gethsémani, monument qui ne devait pas survivre à la destruction de
Jérusalem par les Perses3. La première question posée par cette intervention
4. M. van Esbroeck, Les textes littéraires sur l'Assomption avant le xe siècle, dans
F. Bovon et alii, Les Actes Apocryphes des Apôtres. Christianisme et monde païen, Genève
1981, p. 276.
5. G. Garitte, Le calendrier, op. cit., p. 305.
LE CULTE DE LA VIERGE DE JÉRUSALEM À CONSTANTINOPLE 183
L'exemple est invoqué par Janin pour montrer que même une émeute
n'empêchait pas l'empereur de participer à la procession9. Pourtant il ne
s'agit pas ici de la procession hebdomadaire, mais de la fête de la
Présentation, laquelle la dix-neuvième année de Maurice tombait un jeudi.
Il n'en reste pas moins intéressant de voir la relique des Blachernes, plutôt
que celle des Chalkopratées, associée à la Présentation au Temple.
Théophane le Chronographe place son témoignage sur les fêtes mariales
à la sixième année de Maurice, soit entre le 14 août 586 et le 13 août 587.
Voici ses propres termes : Τω δ' αύτφ 'έτει κατέδειξεν ό βασιλεύς Μαυρίκιος
γενέσθαι εις την μνήμην τής αγίας Θεοτόκου την λιτήν έν Βλαχέρναις και
εγκώμια λέγειν της δεσποίνης όνομάσας αυτήν Πανήγυριν10. « La même
année l'empereur Maurice indiqua que la procession en l'honneur de la
sainte Théotokos se fasse aux Blachernes et que soient prononcés les éloges
de la souveraine, en appelant la procession la Panégyrie ». Cette notice ne
brille pas de clarté. On garde toutefois l'impression que la procession se
transforme en une réunion locale unique aux Blachernes. On notera aussi
qu'en jouant sur la fête de la Dormition, Maurice soigne simultanément ses
propres anniversaires d'accès au pouvoir.
Quant à Georges Cedrenus, il mentionne la réforme de Maurice après
avoir évoqué les travaux publics de l'empereur, qui avait fait représenter en
peinture le récit de ses victoires. Cette année-là également, il fit un bain
public. Puis Cedrenus ajoute : Τυποΐ δε και λιτήν καλουμένην πρεσβείαν
κατά παρασκευήν έν Βλαχέρναις τελεΐσθαι και έν τοις Χαλκοπρατείοις
πληρώσθαι". Il définit également la procession appelée d'intercession de
chaque vendredi (la faisant) s'accomplir aux Blachernes et se parachever
aux Chalkopratées. Nous retrouvons cette fois la procession hebdomadaire
instituée le vendredi par Timothée Ier. Il ne s'agit pas, semble-t-il, comme
chez Théophane, de la fête de la Dormition réduite à une Panégyrie. Mais
le verbe utilisé reste très vague. Maurice trouvait-il devant lui l'usage déjà
établi d'une procession entre les deux églises ? Qu'a-t-il exactement
modifié ? Y a-t-il ou non un lien entre la modification de la Panégyrie de
la Dormition et celle de la procession hebdomadaire ? Sur toutes ces
questions le témoignage de Nicéphore Calliste Xanthopoulos demeure de
première importance, bien qu'il soit beaucoup plus difficile à jauger.
Nicéphore écrivit son Histoire Ecclésiastique vers 132012. Le dépouille
ment de ses sources a été fait par Günther Gentz. Mais précisément, dans
les deux cas où Nicéphore parle de Pulchérie et d'Eudocie, aux livres 14,2
liturgie. Les effets de cette politique eurent tôt fait d'intégrer dans la liturgie
de la Dormition une réunion de tous les apôtres à la Sainte-Sion, dont
l'origine a tout l'air de faire pièce à la liturgie monophysite de Bethléem.
Les deux lieux de réunions sont ensuite fondus en un seul récit : les apôtres
se réunissent d'abord à Bethléem, ensuite à la Sainte-Sion, selon le rythme
du mercredi, du vendredi et du dimanche pour la constatation du tombeau
vide27.
Cette lente évolution nous fait aboutir à l'époque de Justinien, qui crée
de nouvelles difficultés : il sera obligé de construire la Néa pour faire pièce
à la Sainte-Sion trop indépendante, tout comme Marcien avait placé les
Blachernes pour recueillir les reliques glorieuses qui risquaient d'être le
monopole des Chalkopratées, où Theodora a pu continuer d'abriter ses
amis monophysites à l'ombre de Sainte-Sophie.
Mais qu'en était-il à l'époque de Timothée Ier, dans la phase la plus
ouverte de l'anti-chalcédonisme à Constantinople même ? Entre-temps, si
l'on en croit l'insertion de l'invention du vêtement de la Vierge par Galbios
et Candidos sous l'empereur Léon, les Blachernes avaient également un
vêtement non funéraire de la Vierge : celui qui avait été donné par la Vierge
elle-même à la Sainte-Sion à deux de ses suivantes28. C'est que, sous Léon,
l'insertion de la Sainte-Sion à Jérusalem était déjà accomplie dans le cycle
de surenchères face aux innovations monophysites. Les Blachernes dès ce
moment font déjà figure de Sainte-Sion face aux Chalkopratées dont elle
tente de ravir tous les attributs. Timothée Ier, nous dit Théodore le Lecteur,
inventa la liturgie du vendredi et la procession aux Chalkopratées. Si nous
nous tournons vers l'époque de Maurice, d'après Cedrenus, nous voyons
l'empereur « typer » la procession, cette fois clairement dessinée, des
Blachernes aux Chalkopratées le vendredi. Le mot difficile « typer » qui
évoque toute la typologie patristique classique se comprend facilement
lorsqu'on se rappelle que Maurice a construit une nouvelle église à lui à
Jérusalem à Gethsémani29 : il contrôle donc entièrement le monophysisme
à Jérusalem et il renoue avec une ancienne typologie désormais entière
mentretournée dans le sein de l'orthodoxie impériale.
Retournons maintenant une nouvelle fois vers l'initiative de Timothée :
à son époque, la Sainte-Sion est déjà le lieu de rassemblement des apôtres,
27. Idem, L'Assomption de la Vierge dans un transitus pseudo-basilien, An. Boll. 92,
1974, p. 126-163. Nous n'avions pas remarqué à cette époque que cette pièce avait déjà
été imprimée d'après un manuscrit plus récent par M. Sabinin, Sakartvelos samotxe,
Petersbourg 1882, p. 1-24.
28. A. Wenger, L'Assomption, op. cit., p. 113-136.
29. G. Garitte, Le calendrier, op. cit., p. 250.
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