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Afinogenov Dmitri. Le manuscrit grec Coislin. 305 : la version primitive de la Chronique de Georges le Moine. In: Revue des
études byzantines, tome 62, 2004. pp. 239-246.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2004_num_62_1_2294
Résumé
REB 62 2004 p. 239-246
Dmitri Afinogenov, Le manuscrit grec Coislin. 305: la version primitive de la Chronique de Georges le
Moine. — The discussion about the priority of the two main versions of the Chronicle takes a new
perspective if the following facts are duly considered: 1) the Church Slavonic Letovnik is a translation
from a much better Greek manuscript of the same version that survives in the Greek manuscripts Ρ
(Coislinianus 305) and Q, so that many obvious errors of Ρ appear as the scribe's faults; 2) Ρ contains
more expanded quotations than vulgata from some very rare sources, including the Life of Nicetas of
Medikion in its complete form, which does not survive in Greek; 3) a number of passages in vulgata (at
least five), all absent from P, can be identified as borrowings from or allusions to, the original version of
the Letter of the Three Oriental Patriarchs to the Emperor Theophilos. These circumstances either
invalidate earlier arguments in favor of the priority of the vulgata, or directly confirm the priority of the
version of P. Thus, the original Chronicle of George the Monk, most likely written in 846/847, is
represented by that manuscript and by the Church Slavonic translation (Letovnik), while vulgata is a
revised version datable to the last quarter of the 9th century.
Abstract
La question de l'antériorité entre les deux versions principales de la Chronique de Georges le Moine
peut être examinée à nouveaux frais si l'on prend en considération les faits suivants : 1). la traduction
vieux-slavonne de ce texte (Letovnik) est faite à partir d'un manuscrit grec de cette version, dont le texte
est meilleur que celui des manuscrits grecs P (Coislinianus 305) et Q ; il en résulte que beaucoup
d'erreurs de P doivent être considérées comme des fautes de copie ; 2). P comprend des citations plus
développées que celles de la vulgata, provenant de sources particulièrement rares, comme la Vie de S.
Nicétas de Médikion dans sa forme complète (celle-ci n'ayant pas été conservée en grec) ; 3) des
passages (au moins cinq) de la vulgata qui font tous défaut à P pouvant être identifiés comme des
emprunts (ou des allusions) à la version originale de la Lettre des trois patriarches d'Orient à l'empereur
Théophile. Ces faits permettent de réfuter les arguments anciens avancés en faveur de l'antériorité de
la vulgata, ou, en tout cas, confirment directement l'antériorité da la version comprise dans P. Ainsi,
l'état primitif de la Chronique de Georges le Moine, de toute probabilité rédigé en 846/847, est
représenté par ce manuscrit et, aussi, par la traduction vieux-slavonne (Letovnik), alors que la vulgata
est le fruit d'une révision datant du dernier quart du 9e siècle.
LE MANUSCRIT GREC COISLIN. 305 :
LA VERSION PRIMITIVE DE LA CHRONIQUE
DE GEORGES LE MOINE
Dmitri AFINOGENOV
vraisemblance psychologique d'un tel « retour », nous signalerons plus bas les
objections matérielles auxquelles se heurte cette hypothèse. Dans la mesure où la
traduction de la version de Pen vieux-slavon n'a pas été prise en compte, les argu
ments positifs développés par M. -A. Monégier du Sorbier, qui plaident en faveur
de la priorité de la vulgata par rapport à la version de P, ne nous paraissent pas
non plus entièrement convaincants.
Examinons donc les arguments principaux de M.-A. Monégier du Sorbier :
1. Ρ peut «être rattaché à l'une des deux grandes familles qui ont été
définies. En effet, si Ρ est le témoin d'un premier état de la Chronique, il est
impossible qu'il présente des leçons propres à une famille du second état »3. Quel
argument permet, toujours selon M.-A. Monégier du Sorbier, de rattacher le
Coislinianus 305 à l'une des grandes familles de manuscrits définies par elle ?
a) Seuls les manuscrits de la famille a (K, B, A, P) contiennent le passage
666,14-667,16 : ουκ άπεικότως ούν - γνώμης γνωρίζεται4 ; b) P, comme les
autres manuscrits de la famille a, n'a pas de titre avant le livre 25 ; c) dans le
9e livre, la famille a a pour titre des chapitres les mots περί του δείνα et la
famille b - βασιλεία του δείνα, alors que P ne donne que des numéros aux
chapitres6.
Or, aucun de ces arguments n'empêche que P représente la version primitive
de la Chronique et que la famille a de la vulgata soit plus proche du texte original.
L'insertion du titre est une chose si ordinaire pour la tradition manuscrite des
chroniques byzantines qu'elle ne demande aucune explication particulière.
2. « P, contrairement aux apparences, est loin d'être plus fidèle que les autres
témoins aux textes cités par Georges le Moine »7. Deux textes cités par
Georges sont analysés : le Précis sur les Pauliciens attribué à Pierre l'Higoumène
et la Vita Arsenii anachoretae (BHG 167z). Nous avons déjà exprimé notre
point de vue sur le premier texte, qui existe, lui aussi, en deux versions, dont
les rapports de priorité sont mal établis et dont l'une est reproduite dans la
vulgata et l'autre dans P8. La Vita Arsenii contenue dans P, contrairement à
l'opinion de M.-A. Monégier du Sorbier, n'est pas un remaniement de BHG
161 z, mais un récit hagiographique différent sur saint Arsène, utilisé aussi par
Théodore Stoudite pour son éloge bien connu de ce saint (BHG 169). Voici un
passage de ce récit qui témoigne probablement de son origine romaine :
f. 249V : ου ή οίκία μέχρι και νυν περίεστιν [seil, à Rome - D.A.] · ούχ
αλλ'
ολόκληρος (πώς γαρ αν τοσούτοις ετεσι διέσωστο ;), ϊχνη τινά, και
τοσούτον μεγέθει διαφέροντα, ώς έν τριακοσίαις κέλλαις διηρημένα τοις
οίκήτορσιν.
3. Ibidem, ρ. 490-491.
4. Ibidem, p. 456-457.
5. Ibidem, p. 458-459.
6. Ibidem, p. 460-461.
7. Ibidem, p. 492.
8. D. Afinogenov, The Date of Georgius Monachus Reconsidered, BZ 92, 1999, p. 437-447.
LE MANUSCRIT GREC COISLIN. 305 241
9. Th. Nissen, Das Enkomion des Theodoras Studites auf dem heiligen Arsenios, Byzantinisch-
Neugriechische Jahrbücher 1, 1920, p. 2475-8.
10. P. Lemerle, L'histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, TM 5, 1973, p. 27, η. 1.
11. Ibidem, p. 108.
12. V.V. Vasil'evsku, Khronika Logofeta na slavianskom i grecheskom, W2, 1895, p. 78-144, p. 110.
13. M. Weingart, Byzantské kroniky ν literature cirkevneslovanské. Prehled a rozbor filologicky,
Bratislava 1922, t. 2. p. 311-336 ; apparatus criticus : p. 368-430.
14. Idem, Les chroniques byzantines dans la littérature slave ecclésiastique, Recueil Théodore
Uspenskij, Paris 1930, t. 1, p. 50-65 et p. 58-60.
242 DMITRI AFINOGENOV
-P. 2102515 : και γυμνούς και έρημους vulgata έρημους και κεκινδυνευμένους Ρ μ μαγη μ
μ oECYpEEAMhi = και γυμνούς και έρημους και κεκινδυνευμένους SI ; - p. 3305 : και καθί
στανται Ρ η rkAAWT = και καθίζονται SI και καθισάντων Josephus Flavius om. vulgata ; - p. 33211 :
άπαλλάττοντας vulgata, SI (ιΐξΛ\ΪΗΐιΐΗ)ΤΑ) άπαλλάττοντα perperam Ρ ; - p. 35015 : ουρανών vulgata,
SI ανθρώπων perperam Ρ ; - p. 3533 : έν vulgata, SI om. P; - p. 397910 : όνειδισμόν αίώνιον και
άτιμίαν αίώνιον vulgata rell. όνειδισμον και άτιμίαν αίώνιον SI. όνειδισμον αίώνιον BMP ;
- p. 64818 : ante εί οΰ τοιαύτα πράττων haec exhibet SI : η γλειιιμ ιλκο λ\ιιογλψμλ\μ Λ\Ν<»κΛΗΐϋΑΑ ^λλα
CA^Aijch. Η nmvtcîke çaa ça* nocTpAAaj(b = καί λέγεις, δτι πολλώ πλείονα κακά είργασάμην και
ουδέν κακόν ώδε πέπονθα vel simile quid ; cf. Chrysostomus in / Epistulam ad Thessalonicenses,
PG 62, 446,6 : οτι μυρία έργασάμενος κακά, ουδέν τούτων πέπονθα ; - p. 68419 : άγγελοι vulgata,
SI om. Ρ ; p. 6917 : την έπι τοις δεινοϊς κατήφειαν vulgata νκκί νδα γ&λ\η πΛΔν = την έπί τούτοις
κατήφειαν SI, Maximus Confessor, την έπι τούτοις δεινήν κατήφειαν Ρ ; - p. 71556 : και ή έν αύτω
επαγγελία έν ξύλοις, άλλ' ού προσκαίροις vulgata rell., SI om. ABP.
15. Georgii Monachi Chronicon, ed. C. de Boor. Editio stereotypa correctior, cur. P. Wirth,
Stuttgart 1978 (désormais Georgii Monachi Chronicon).
16. Je remercie Olga Zaëts qui a attiré mon attention sur ce passage.
17. Constantinus PoRPHYROGENiTUS, De administrando imperio, éd. G. Moravcsik, trad.
R. J. H. Jenkins, coll. Dumbarton Oaks Texts 1, Washington D.C. 1967, ch. 14,28 (p. 78). Ce chapitre
résume un exposé sur Γ« idolâtrie » des Saracènes, qui se trouve dans Coislin. 305, f. 310y-311\ et qui
est beaucoup plus étendu que celui de la vulgata.
18. Georgii Monachi Chronicon, p. 706713.
LE MANUSCRIT GREC COISLIN. 305 243
Pour M. -A. Monégier du Sorbier, le retour aux sources effectué par le copiste
de Ρ ou de son prototype s'explique par le fait que l'ensemble des citations repro
duites par Georges se trouvait probablement dans quelques florilèges, chaînes ou
autres compilations de ce type assez répandues à Byzance. Mais parmi les sources
utilisées par l'ancêtre commun de Ρ et de la traduction vieux-slavonne, on trouve
des textes dont la présence dans de tels florilèges paraît extrêmement improbable.
Le premier de ces textes est le IIIe Antirrheticus du patriarche Nicéphore, dont au
moins deux citations sont plus développées dans Ρ que dans la vulgata (p. 7631718
De Boor, προσοικοΰντων - μετήγαγεν et p. 7656 après δυσμενέστατος). Les
traités polémiques du patriarche Nicéphore n'étaient apparemment connus à Byzance,
jusqu'au 14e siècle, que d'un cercle étroit d'érudits réunis autour du patriarche
Méthode (f 847) 19. L'un d'eux, Pierre le Moine, qui composa la Vie de Iôannikios,
est aussi le seul écrivain (outre Georges le Moine) qui, à l'évidence, avait à sa
disposition le texte complet de la Vie de Nicétas de Médikion par Théostèriktos.
La Vie mentionnée n'a survécu en grec que sous une forme abrégée transmise dans
un seul manuscrit, alors que le texte intégral a été conservé dans une traduction en
vieux-slavon20. Or, l'auteur de l'ancêtre commun de Ρ et de Letovnik avait accès au
texte encore inaltéré de Théostèriktos, puisqu'il répète presque mot à mot l'histoire
du rêve prophétique de l'empereur Léon V (cette partie de la Chronique manque
dans P, mais elle est préservée par Letovnik21). Il est peu probable que Georges le
Moine et le responsable tardif d'un remaniement de sa Chronique aient eu tous
deux accès à cette œuvre très rare.
Deux sur les trois cas peuvent s'expliquer au prix de quelques efforts : le premier,
par une possible tradition manuscrite séparée de l'histoire des deux juifs, à laquelle
Georges le Moine et l'auteur de Y Epistula auraient tous deux puisé, indépendamment
l'un de l'autre ; le deuxième, par le hasard d'un réflexe intellectuel identique portant
à leur esprit le même verset de psaume (Ps. 81,7) alors qu'ils composaient leur
description de la mort de Léon V.
Mais, à propos du dernier passage, De Boor écrit : « In ceteris libris imaginis
Edessenae mentionem praecedit uberior ex Eusebii H. eccl. Vu 18 desumpta narratio
de statua illa Christi, quam mulier sanguinis fluxu laborans posuit, tum reliquae
imagines commemorantur, sed verbis et ex Stephani Vita et ex Epistola illa ad
Theophilum compositis. Ex loco sic coagmentato per se patet non potuisse codicis
Ρ librarium ex ceterorum librorum narratione sola Stephani Diaconi verba, omissis
Eusebii et Epistolae verbis, exsecare, sed codicis Ρ ex solo Stephano desumptam
narrationem postea ex Eusebio et Epistola esse interpolatam ».
Voyons à présent l'objet de la réflexion de De Boor :
23. The Letter of the Three Patriarchs to Emperor Theophilos and Related Texts, ed. J. A. Munitiz
et AL, Camberley 1997, p. 1678l).
24. Ibidem, p. 15124-1532.
25. M.-F. Auzépy, La Vie d'Etienne le Jeune, coll. Birmingham Byzantine and Ottoman Monographs 3,
Aldershot 1997, p. 99^-22.
LE MANUSCRIT GREC CO1SLIN. 305 245
II est donc ici très difficile de rejeter le point de vue de De Boor, surtout si l'on
garde en mémoire que Georges le Moine, parlant de l'image d'Édesse à deux autres
reprises, fait usage, chaque fois, de citations empruntées mot à mot aux œuvres du
patriarche Nicéphore26, qui appelle l'objet οθόνη au lieu de σουδάριον et ne sait
rien de la maladie d'Abgar.
En outre, il nous a été possible de repérer quelques nouveaux exemples qui
prouvent de façon quasi irréfutable que la vulgata est un remaniement de la version
primitive de la Chronique, remaniement pour lequel l'auteur a utilisé VEpistula ad
Theophilum. De Boor n'avait pas remarqué quelques interpolations qui proviennent
de YEpistula parce qu'il ne pouvait pas savoir que le responsable du remaniement
avait à sa disposition une version de ce texte, perdue dans l'original grec, mais
préservée en vieux-slavon, qui contient plusieurs passages absents de toutes les
versions greques27. Comparés au texte de la Chronique, certains de ces passages
permettent d'identifier dans la vulgata trois emprunts de plus de YEpistula ad
Theophilum. Voici ces parallèles (le texte de Georges le Moine est toujours celui
fourni par la vulgata et manquant dans P) :
-GM, ρ. 741 19-20 : και ταις ίδίαις χερσι ραπίσας των βασιλείων έξελαΰνει.
Addition assez inepte puisque le verbe έξήλασεν se trouve à la ligne précédente.
Ce fragment de notre version de YEpistula survit sous forme de citation dans
l'homélie sur l'icône de Marie la Romaine : φασι δε τίνες και ραπίσματι το τίμιον
εκείνου και αγιον πρόσωπον ένυβρίσαι τον άλάστορα τούτον τη μιαρα παλάμη
τής έαυτοΰ δεξιάς28.
- GM, p. 75018 (de Constantin V) : ό εκ Δαν αντίχριστος. Le texte slavon
évoquant le même empereur combine une citation biblique du Deut. 33:22 : Δαν...
έκπηδήσεται έκ του Βασάν, avec une allusion au dragon apocalyptique (f. 375V,
1.7-13).
26. Georgii Monachi Chronicon, p. 78424-7853 (= Nicephori Refutatio et Eversio, 7,53-56) et
p. 32116 _ 3221 (= Nicephori Antirrheticus III, PG 100, cap. 42, 461 AB).
27. Nous croyons que c'est juste la Lettre authentique des trois patriarches, datée d'avril 836 ; voir
D. Afinogenov, The new edition of "The Letter of the Three Patriarchs": problems and achievements,
Σύμμεικτα (sous presse).
28. Ε. von Dobschütz, Christusbilder, coll. Texte und Untersuchungen zur Geschichte der
alchristlichen Literatur, N. F. t. 3, 1899, Beilage VI B, p. 233-266, p. 24679 = MNorocAowNhiH cehtokt,,
f. 374V, 1. 21-22.
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Dmitri Afinogenov
Académie des Sciences de Russie