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REVUE BIBLIQUE

INTERNATIONALE
Typographie Firmin-Didot et C". —
l Paris.
NOUVELLE SERIE NEUVIEME ANNEE TOME I\

REVUE BIBLIQUE
INTERNATIONALE

PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE DETUDES BIBLIQUES

ETABLIE AU COL VENT DOMINICAIN S VINT-ETIENNE DE JÉr>USALE)I

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA ET C^^

RL'E BONAPARTE, 9U
1912
L4 PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DÉPICTÈTE
ET LE CHRISTIAMS.ME

A PROPOS DTX LIVRE RÉCENT.

le Nouveau Testament, c'est le titre d'un ouvrage de


Épictète et
iM. Adolphe Bonhœffer (1), le savant qui connaît le mieux Épictète.
du moins en Allemagne (2i, Autrefois on agitait plus volontiers la
question des rapports entre Sénèque et saint Paul. Elle peut être
regardée comme tranchée. Aucun critique ne soutient plus aujour-
d'hui que la doctrine de saint Paul ait eu la moindre influence sur les
idées de Sénèque. L'apôtre de Jésus-Christ et le ministre de Néron
auraient pu se rencontrer, c'est tout ce qu'on peut dire.
Mais de Sénèque à Épictète, le christianisme a fait du chemin, et
le stoïcisme aussi, quoique ses progrès aient été moins rapides. Se

sont-ils ignorés? Il est impossible de le supposer et d'ailleurs les


textes prouvent que non. Ont-ils poursuivi leur marche sans se
préoccuper l'un de l'autre? Tout le monde convient avec M. Boissier
qu'à partir de Marc-Aurèle le paganisme « essaye de se réformer sur
le modèle de la religion qui le menace et qu'il combat 3) ». Mais aupa-

ravant? Sur cette époque, objet de son étude, l'excellent romaniste


qu'était M. Boissier s'est exq)rimé avec une sage réserve : « Je ne
voudrais pourtant pas affirmer qu'avant cette époque des communi-
cations n'aient eu lieu d'une religion à l'autre par des voies secrètes
et détournées, ni que les doctrines chrétiennes n'aient exercé déjà

(1) Epiktetund das Xeue Testament. Giessen. 1911.


(2) Précédemment M. Bonh(pffer a fait paraître: Epiktet und lie Sloa, Stuttgart 1890
et Die Ethih des Stoikers Epiktet, Stuttgart 1894. Ea France, il faudrait citer surtout :

Les entretiens d'Épictète, traduction nouvelle et complète par V. Courdaveaux, Paris,


Perrin, nouvelle édition en 1908, et le très remarquable ouvrage de M. Th. Colardeau Étude :

sur Épictète, Foutemoing, Paris, 1903. Je n'ai pas sous les yeux Zahn, Der stoiber Epi-
:

ktet und sein Yerlulltnis zum Cliristentum, ni Kui-er, Epictetus en de christelijke mo-
raal.
(3) La religion romaine d'Auguste aux Antonins. I. p. ix.
6 KEVUE BIBLIQUE.

une certaine influence sur le paganisme... Ce ne fut, dans tous les cas.

qu'une influence indirecte et indistincte, qui ne pouvait guère modi-


fier la direction que le paganisme suivait de lui-même et dans laquelle

il s'était engagé depuis Auguste (1). »

Ces lignes si sages fixent des bornes à l'enquête, mais elles l'encou-
ragent aussi. Ne pourrait-on pas, en efTet, trouver la trace de ces
influences secrètes sur ces voies détournées? Épictète est un terrain
d'observation bien choisi. Il naquit probablement vers la fin du règne
de Claude. Obligé de quitter Rome sous Domitien (2), il fut sans
doute témoin plus d'une fois de l'héroïsme des chrétiens, ces Galiléens
qui s'étaient fait du courage une habitude trop instinctive, selon le
philosophe. Il mourut vraisemblablement sous le règne d'Hadrien.
C'est vers la fin de sa vie qu'Arrien fut son disciple, et dès lors il

prit soin de rédiger ses leçons. L'ouvrage ne parut que plus tard et à

l'insu de l'auteur (3). On s'accorde à le citer comme représentant


très exactement la doctrine du maître. Nous n'y répugnons pas.
demandant seulement qu'on emploie le même critère à propos des
évangiles. Quand nous aurons ajouté qu'Épictète était de Hiérapolis
en Phrygie, qu'il était boiteux, qu'il avait été esclave, et qu'il

demeura la dernière partie de sa vie à Nicopolis en Epire, nous


aurons rappelé à peu près tout ce que l'antiquité savait de sa vie.
C'était incontestablement une àme très noble, mais on peut eu
dire autant de Marc-Aurèle. Il avait le don d'entraîner les âmes, mais
lui-même avait été gagné par Musonius Rufus. Il a témoigné, plus
que les anciens stoïciens, d'une sympathie généreuse pour les hommes ;

mais Sénèqae avait déjà trouvé d'admirables accents même envers


les esclaves. Ce qui distingue surtout Épictète, c'est le sentiment
religieux, et l'on objecte que Marc-Aurèle n'en est pas moins pénétré,
si

disons que c'est le sentiment religieux envers Dieu, un Dieu très par-
fait et presque personnel. C'est par Épictète que le stoïcisme, oublieux

de son panthéisme inexorable, touche presque aux dispositions de


l'âme que le chrétien éprouve pour son Dieu. Avec Marc-Aurèle, Dieu
rentre davantage dans la nature et les dieux remontent à l'horizon.
C'est là sans doute un phénomène étrange, qui doit avoir une expli-
cation, et qui domine toute la question des rapports d'Épictète avec

(1) Loc. laud.


(2) Aulu-Gelle (XV, 11) dit simplement qu'il quitta Rome lorsque les philosophesen furent
chassés par un sénatus-consulte, sous Domitien.
(3) On citera toujours d'après Epicleti disserlationes ah Arriano digestae, ad fideni
codicis Bodleiani recensuit Henricus SchenM, Leipzig, Teubner, 1894. En France on dit les

Entreliens, plutôt que les Disserlaiions.


L\ PHILOSOPHIE REIJGIELSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTLVMSME. 7

le christianisme. Nous ne saurions d'ailleurs, dans ces pages, étudier


toute sa philosophie; nous ne parlerons guère que de son déisme.

Épictète est stoïcien, et un stoïcien dépourvu d'originalité. Il sera


donc aisé de retrouver dans les maîtres de la secte presque tous les
termes qu'il emploie. Mais il y a la manière, il y a le sentiment, il
y
a l'esprit, et un esprit nouveau.
Le stoïcisme qui sinspira si souvent de Socrate, qui emprunta tant
àAristote, avait résolument suivi une voie nouvelle en cherchant Dieu.
Le bien suprême, la beauté transcendante de Socrate et de Platon,
la cause première d'Aristote, l'Être opposé à la matière, s'était confondu
avec le monde. Le monisme le plus rig'oureux avait remplacé le dua-
lisme. Dieu était raison; mais il était aussi matière la plus ténue :

qu'il fût possible d'imaginer, mais toujours corporel.


Sénèque encore semblait se faire un jeu de concilier les contradic-
toires en d'élégantes formules; on dirait d'abord du maitre transcen-
dant du monde « Qui dirige et garde l'univers, âme et esprit du
:

monde. Seigneur et artisan de cet ouvrage, auquel on peut donner


tous les noms », et non pas seulement ceux qui s'accordent dans
l'impuissance à caractériser l'infini, mais ceux qui le diminuent et le
déclassent: « Voulez-vous le nommer destin? vous avez raison...
Voulez- vous dire qu'il est providence? c'est fort bien... Voulez-vous
le nommer nature? ce n'est point à tort... Voulez-vous le nommer

monde ? vous n'êtes point dans l'erreur il est en effet tout ce que :

vous voyez, il est dans ses propres parties, .se soutenant lui-même et
ce qui est à lui ! 1 ). »

Épictète ne pouvait s'écarter de cette doctrine sans cesser d'être


stoïcien. Il admet que « nos âmes sont attachées à Dieu et en contact

avec lui au point d'en être des parties et des fragments, de sorte que
Dieu doit sentir leur mouvement qui lui est propre et participe à sa
nature 2) » ;
il même
souvent sur cette idée mais je ne sache
revient ;

qu'un endroit où il ait marqué clairement l'identité de Dieu et du


monde matériel « Celui qui a fait le soleil lui-même et qui le fait
:

mouvoir comme une partie assez petite de lui-même comparative-


ment au tout » (3). C'était bien, en effet, ce qu'exigeaient les principes.

{l. Natur. Qnaest. II, 45, 1-3. Séaècfue est cité d'après l'édition de Teubner 'Hense et
Hermès}.
(2} Diss. I, 14, 7.

(3) Diss. L 14, 10.


8 REVUE BIBLIQUE.

Pourtant, on dirait qu'Epictète n'hésite pas à s'y dérober lorsqu'il


proclame que les autres œuvres de Dieu ne sont pas du même rang
que l'homme, ni comme lui des parties de Dieu (1); et surtout son
Ame religieuse cherche Dieu comme un être parfait envers lequel il
a des devoirs et qui lui inspire l'admiration la plus enthousiaste; on
dirait qu'il s'adresse à une personne.
Sans entrer dans une discussion sur ce qui constitue la personne,
ici

on peut dire du point de vue du sens commun qu'on la reconnaît


à l'exercice de la volonté ensuite d'une intention distincte. Les an-
ciens stoïciens ne refusaient à Dieu ni l'intelligence, ni la volonté,
mais ils se préoccupaient surtout de montrer en Dieu l'énergie du
monde, s'exerçant par nature par contact, du dedans et non du et

dehors. C'est ce qu'insinuait Zenon par sa conq^araison étrange du


dieu qui passe dans le monde comme le miel à travers les rayons (2).
On parlait bien de la loi divine mais elle se confondait avec la loi
,

naturelle, avec la raison ou le Logos, avec Dieu lui-même (3). C'était


l'enchaînement des causes, infaillible, entraînant tout l'homme n'avait
;

d'autre devoir que d'entrer volontairement dans ce courant, en vivant


selon la nature, puisque, de toute façon, il fallait la suivre. Cléanlhe,
dont rapprochent peut-être le plus de ceux d'Épictète,
les accents se

demandait à Zeus de le conduire où le destin lui avait marqué sa


place, « car simauvais pour ne pas me décider à suivre,
je suis assez
je n'en suivrai pas moins 4) ». Sénèque, et dans un traité sur la Provi-
f

dence! se complaisait dans ce déterminisme « Que doit faire un :

homme de bien? se livrer au destin. C'est une grande consolation


d'être entraîné avec l'univers; quelle que soit la puissance qui nous
a ordonné de vivre, de mourir de la sorte, elle enchaîne aussi les
dieux à la même nécessité 5) ». Épictète ne se contentait sûrement
pas de cette maigre consolation où se réfugia de nouveau Marc-Aurèle.
Il parle encore, et assez souvent, de vivre conformément à la nature,

mais il parle plus encore des commandements de Dieu (6), et de la

(1) à).V où TtpoYiYOytxEvx o-joà (xÉpr) Ôîwv [Diss. II, 8, 10).

(2) Armm. I, 155 : per maleriam decucurrisse quomodo


Stoici eiiim volunt deum sic
mel per favos (Tertlllien, Hermog. 44). (tlv.

(3) Arivim, I, 162 Zeno naturalem legem divinam esse censet eamque lim obtinere
:

recta imperantem prohibentemque contraria (Cic. De nat. deor. I, 36); cf. Diogknic
Laerce, vu, 38 ô v6[jlo; ô xoivôç, ôairep satlv ô ôp6à; Xôyo;, Sià TcâvTfov àp^ôpLevo;, 6 aÙTÔ; wv
:

TW Alt.
(4) Vers cités dans le Manuel d'Épictète, c. 53.
(5) De Prov. Y, 8.

(6) C'est ce qu'avait très bien vu M. Boissier, tout en outrant l'antithèse : « il n'est pas
question chez lui, comme chez ses prédécesseurs, de « vivre conformément à la nature » ;

c'est « à la loi de Dieu » qu'il faut se conformer » (op. land. II, p. 103).
LA PHILOSOPHIE UELIGIELSE D'ÉPICTETE ET LE CIIRISTIAMSME. 9

volonté de Dieu. Se conformer à la volonté de Dieu, pour lui, comme


pour nos mystiques, c'est tout le secret de la perfection.

Il faut citer plusieurs passages; un seul suffirait comme expression


d'une théorie; mais c'est un état d'àme qu'il faut marquer, Épictète
n'a rien inventé, mais il accentue. 11 parle souvent des prescrip-
tions 1) de Dieu, et, à la manière des Israélites, ces prescriptions
sont jointes aux commandements dans la même phrase (2;. La con-
naissance des commandements de Dieu a même pour vertu de déli-
vrer l'àme (3). Le juste ne peut songer à les transgresser
(4). La loi
de Dieu ne forme pas un corps de préceptes Torah juive; comme la
elle est citée comme l'expression d'une vérité naturelle « si tu veux :

du ]>ien, prends-le en toi 5 », ou bien « le meilleur l'emporte tou-


jours sur le pire '6) ». iMais il y a aussi des lois qui règlent la morale,
et loin d'insister sur leur caractère immanent, Épictète les regarde
comme envoyées de là-bas, c'est-à-dire de la patrie des âmes, d'au-
près de Dieu (7). C'est sous l'empire de ces lois et de ces préceptes
qu'on vient au monde (S). Ce sont ces principes qu'il faut méditer
tout le jour, c'est la loi qui doit être sans cesse devant nos yeux '9 .

C'est de l'observation de cette loi qu'il faudra rendre compte au


moment de la mort.
Ce compte rendu se trouve dans deux endroits des Entretiens.
On ne peut guère, avec M. Colardeau, le nommer une prière, tant
il respire la satisfaction du sage, plutôt que les aspirations d'une
.'îme humble. Il ne remercie Dieu que de l'avoir mis à même d'exer-

cer sa liberté. Mais il a toujours eu soin que sa volonté soit con-


forme aux ordres de Dieu, et il le dit avec une conviction sincère.
il voudrait mourir en s'occupant de la perfection de ses pensées,
afin de pouvoir dire à Dieu 10 i : « quelque chose
Ai-je transgressé
de tes commandements? me suis-je pour autre chose des
servi
facultés que tu m'as données? ai-je employé autrement mes sensa-

(1) 7rpo;Tâyu.a-a, Diss. U. 16, 46; II(, 2i, 98.


(2) Diss. III, 2-i, 114 : ovyl o' ô/o; -pô; tàv 6 = ov T£-:au.a'. y.ai ~.it; i/.eivo-j È'/To/à; xal là
irpoçTâvu.aTa.
(3) IV, 7, 17.

(4) IV, 3, 10.

(5) I, 29, 4.

(6) I, 29, 13 et 19.

(7) IV, 3, 12 : oOxot etc.'/ o'. èxsïÔîv àzETTa^fj-ivo'. votiioi, Ta-JTa ly. o'.aTixYîxaTa.

(8) I, 25, 4 : TÎva oôv ÈvTo).yiv i/.ojv ixsîôev è'/.riAuHoiz, Ttoïov ôiaTayua.
(9) II, 16, 27 : ÔL Oct tov àvOpwTtov 5Xr,v Triv f,u.épav îi.£).îTwvTa... [JLE(jivr;«î8a'. 2î toû vôao-j. xai
ToîJTOv îTpo Ô56a>,iAà)v £"/î'.v. Cf. Ps. 1, 2 : xai èv tw vôfj.w a^ToO u.îÀïTYjo'i'. ir.aÉpa; xal vjx-rô; et
Dt. 6, 8.

(10) III, 5, Sss.


10 REVUE BIBLIQUE.

lions ou mes idées? t'ai-je jamais fait de reproches? ai-je blâmé ton
gouvernement? j'ai été malade, quand tu l'as voulu. D'autres aussi,
mais j"ai accepté de bon gré la maladie. J'ai été pauvre par ton ordre,
et je l'ai été avec joie. Je n'ai pas été dans les charges, parce que tu
ne pas voulu; je n'ai jamais désiré de dignité. M'as-tu vu pour
l'as

cela plus triste? Ne me suis-je pas toujours présenté à toi radieux,


n'attendant qu'un ordre, qu'un signe de toi? maintenant tu veux que
je quitte la fête. Je m'en vais, je te rends grâces de mavoir permis
d'y assister avec toi, de voir tes œuvres, et de m'associer à ton gou-
vernement en suivant tes ordres. » Plus tard Marc-Aurèle se rési-
gnera mélancoliquement à être broyé, puisque c'est ainsi que fonc-
tionne la grande machine du monde. Épictète voit dans la vie une de
ces fêtes (panégyries ) où le sentiment national des Grecs s'exaltait au
souvenir des gloires anciennes, toujours présentes dans les chefs-
d'œuvre de l'art rassemblés à Athènes ou à Olympie. Il exulte moins
de la beauté du monde que de la lumière qu'a répandue sur chacun
de ses actes la volonté de Dieu, ordonnateur du spectacle. Associé
comme acteur et comme spectateur au chorège suprême, il est plus
heureux d'avoir joué le rôle qui lui était assigné que d'avoir joui du
drame. Marc-Aurèle acceptera la souffrance, puisqu'elle rentre dans
le plan de l'univers; Épictète est tout à la joie. La souffrance n'existe

même pas pour lui. On ne souffre que de ce qui contrarie la volonté.


Or rien ne contrarie une volonté indissolublement liée à celle de
Dieu. Dès le début des Entretiens, Arrien nous révèle son secret :

'< Si tu veux, tu es libre. veux tu ne blâmeras personne, tu ne


Si tu
feras de reproche à personne, tout sera en même temps selon ta vo-
lonté et celle de Dieu (1. » Et ce n'est pas là un sentiment de fataliste.
Le fataliste courbe ta tête. Épictète n'aime pas cette posture. Il veut
qu'on dresse la tête, car il s'agit moins d'obéir à des ordres, surtout
aux ordres d'un mécanisme aveugle et sourd, que de plaire à un
Dieu tout-puissant et très sage et très bon. Pourquoi redouter l'avenir?
« Veux-tu donc autre chose que ce qu'il y a de mieux? Or y a-t-il

quelque chose de mieux que ce qui plait à Dieu '2)? » Cette fois c'est
presque une prière, si on pouvait prier en levant si fièrement la tête :

« Dresse le col, tu es délivré de la servitude. Ose regarder vers Dieu

et lui dire « Use de moi désormais pour ce que tu voudras. Je m'unis


:

« à ta pensée, je suis à toi. Je ne refuse rien de ce que tu jugeras con-

« venable. Conduis-moi où il te plaira. Mets-moi le vêtement que tu

« voudras. Veux-tu que je sois dans les dignités? simple particulier?

(i; I, 17, 28.

(2) II, 12, 13.


lA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DEPICTÉTE ET LE CHRISTIA.MSME. 11

« que je demeure? que j'aille en exil? que je sois pauvre? que je sois
« riche? Je te justifierai de tout devant les hommes 1). » La perfection
consiste donc à voir toutes choses comme Dieu les voit, à les vouloir
comme Dieu les veut (2). C'est le secret du bonheur 3 , exprimé par
les même formules, sans cesse répétées: « J'ai soumis ma volonté à
Dieu. Veut-ilque j'aie la fièvre? moi aussi je le veux. Veut-il que j'en-
treprenne quelque chose? moi aussi je le veux. Veut-il que jaspire à
quelque chose? moi aussi je le veux. Veut-il que j'obtienne quelque
chose? moi aussi je le veux. Ne le veut-il pas? moi non plus. Je con-
sens donc à mourir. Je consens à être torturé (4). » Et c'est toujours
la soumission volontaire ou plutôt l'union des volontés (5), le désir
de plaire à Dieu 6 .

Aussi, celui qui suit la voie parfaite, comme le Cynique, est-il atta-

ché indissolublement au service de Dieu (7 . On ne s'étonnera donc


pas que Dieu soit le général auquel il faut faire serment, comme les

soldats à César : <( De ne jamais désobéir, ni faire de reproche, ni se


plaindre de ce qui nous est donné par lui, et de ne pas faire ou subir
de mauvais gré ce qu'on ne peut éviter 1
8). »
Sénèque, employé la comparaison du général et du
lui aussi, avait
soldat, et d'un style plus imagé que celui d'Epictète « Celui-là se :

tiendra debout, fortement, et supportera les événements contraires avec


patience et même de bon gré, sachant que toute difficulté issue des
circonstances est une loi de la nature; comme un bon soldat, il sup-
portera les blessures, comptera les cicatrices, et, mourant percé de
flèches, il aimera le général pour lequel il meurt, conservant dans
son âme l'ancienne devise: suivez Dieu 9)1 » L'admirable trait du
soldat, mourant pour un général qu'il aime, dépasse ce qu'a écrit
Epictète, mais il ne fait point oublier le début; la loi qui s'im-
pose n'est point la loi de Dieu, c'est celle de la nature. On dirait
aussi qu'Epictète a cynique Démétrius, cité par Sé-
calqué sur le
nèque, les termes de son adhésion totale à la volonté de Dieu.
Encore est-il que Démétrius semble se plaindre de n'avoir pas été
averti : « Je ne saurai vous reprocher qu'une chose, dieux inimor-

(1) II, 16, 41 s.

(2) II, 17, 22: II, 19, 26.


3; III, 21, 03: III, 24,95: III. 24. 110; III, 24, 114.
(4). IV, 1, 89.

(5) IV, 3, 9. 29.

(6) IV, 4, 48 : -o-j wv àpé-TS-.; tcô ôsù;; cf. IV, 7, 20.

(7) npô;T'^ oiaxov'ia to'j f)£o-j.

(8) I, 14, 16.

(9) Be vila beat a. XV, 5.


1-2 REVUE BIBLIQUE.

tels, c'est de ne pas m'avoir fait connaitre votre volonté auparavant;


je serais venu de moi-même au point où je suis venu sur votre ap-
pel (1). » Cet empressement paraît d'abord plus parfait; il décèle ce-
pendant le désir d'être traité par les dieux avec plus d'égards. C'est
bien ainsi que Sénèque l'a compris « On ne me fait pas violence; je :

n'ai rien à souffrir contre mon are, et je ne sers pas Dieu, je l'ap-
prouve plutôt, d'autant plus que je sais que le cours des choses est
fixé et suit éternellement des lois; les destins nous entraînent (-2). »

Ce n'est point un hasard si Sénèque ne parle pas des commande-


ments de Dieu. La vieille maxime stoïcienne « Suivez Dieu », avait :

gardé pour lui son sens primitif de suivre la nature ou la raison, et


n'indiquait pas du tout la sujétion de l'âme vis-à-vis d'un dieu per-
sonnel. Le sag-e était le compagnon des dieux et n'avait rien à leur
demander; sapiens deonnn sociiis, non supplex (3\ L'amitié est le
véritable rapport entre les sages et les dieux, bien plutôt que l'obéis-
sance (i). Marc-Âurèle sera certes plus déférent pour les puissances
divines, mais lui non plus ne parlera ni de commandements ni de
prescriptions de Dieu. Il faut suivre Dieu, c'est entendu, c'est la maxime
traditionnelle, mais le chef et le maître dont il faut suivre la volonté
est au fond la raison elle-même. " Il vit avec les dieux, celui dont
l'âme est toujours satisfaite de ce qui lui est échu, et qui fait ce que
veut le génie que Zeus a donné à chacun comme un guide, émanation
de lui-même. C'est l'intelligence de chacun et sa raison (5). » C'est
une conclusion très naturelle des principes, puisque la loi est la
même pour tous, dieux et hommes, qu'il n'y a qu'une substance, et
une seule vérité (6).
Entre la loi naturelle de Sénèque, réglée par le destin, et celle de
Marc-Aurèle, dictée par l'intelligence, la loi de Dieu, les commande-

ments de Dieu d'Épictète, paraissent l'expression d'une volonté per-


sonnelle. Dieu se détache du monde, ou plutôt il le domine, le gou-
verne, il dispose des vies humaines pour le bien de l'univers sans
doute, tnais avec des intentions particulières, et l'homme se soumet
librement à cette volonté, il se propose de plaire à cette personne.
Où la cherchera-t-il ? aura-t-il quelque chose à lui demander ?

(1) De Pror. 1, 5. 5.

(2) Lor. luud. Dans l'édition de Hernies, Sénèque reprend la parole à nil cogor. D'autres
attribuent à Démélrius ces mois jusqu'à Fatatrahunt.
(3) Ep. 31, 8.
(4) De Prov. I, 1,5 : inter bonos viros (te cleos omicitia est conciliante virtiite.

(5) Pensées, V, 27.


(6) Pensées, VIT, 9.
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME. 13

Le Dieu des chrétiens, créateur et absolument distinct du monde,


lui est cependant présent et comme intérieur par son action. Plus spé-
cialement, il est présent à l'âme, soit par nature, soit par grâce. La
présence de Dieu était une partie intégrante du système stoïcien, et Sé-
nèque a su décrire cette pénétration divine dans les pensées et dans
l'esprit. « Tu t'étonnes que l'homme s'élève jusqu'aux dieux? Dieu vient
vers les hommes; même, ce quiestplus intime, il vient dans les hommes.
Il d'âme bonne sans les dieux. Des semences divines ont été
n'est pas
jetées dans les corps humains; si un bon cultivateur s'en occupe, elles
ressemblent, en levant, à leur origine, et se dressent égales à ceux
dont elles sont sorties Ne dirait-on pas une parabole pour
(1). »

éclairer l'action mystérieuse de la grâce, semée dans l'âme comme


une seconde nature, venue de Dieu et qui grandit pour être digne de
s'unir à Dieu?
Et Sénèque semble avoir entrevu cette grâce que les théologiens
si

nomment habituelle, n'a-t-il pas compris la nécessité du secours divin


pour acquérir la vertu? « Un esprit sacré réside au dedans de nous
Nul homme n'est bon sans Dieu; quelqu'un peut-il s'élever au des-
sus de la Fortune sans être secouru par lui? C'est lui qui donne des
desseins élevés et sublimes (2). » On pourrait être tenté de regarder
ces desseins comme des grâces uniquement illuminatrices qui éclairent
l'intelligence sans toucher le cœur. Mais Sénèque dit encore de- : <(

mande aux dieux une âme bonne (3) », ce qui implique leur pouvoir de
nous rendre meilleur.
Cléanthe n'allait pas si loin; en priant Zeus de préserver l'âme de
l'ignorance et de lui donner lasagesse.ilréservaitsans doute à l'homme
seul le mérite de bien user de cette lumière (i). Un stoïcien ne pou-
vait s'exprimer autrement. Dieu ou la nature —
a donné la raison, —
c'est à l'homme de s'en servir pour devenir sage et heureux. S'il a le

courage de pratiquer la vertu, il devient l'égal des dieux; il a même


plus de mérite, puisqu'il a eu à lutter pour obtenir ce qu'ils tiennent
de leur heureuse nature. Sénèque n'a pas manqué d'exalter cette in-
dépendance du libre arbitre « Un homme qui a passé par de grandes
:

choses ne saurait sans doute être à charge aux dieux. Qu'est-il besoin
de faire des yœux ? rends-toi heureux toi-même (5) ». « Si tu as bien
résolu, comme tu l'écris, à devenir meilleur, n'est-ce pas une sottise de

(l]Ep. 73, 15.

(VEp. 41, 2.

(3) Ep. 10, 1 : 1-oga honam mentem.


(4) Arnim, I, p. 122 : àtôpwTtou; [n^v] p-jou àTcsipoaûvri; à7r6>-jYpîi;, fjv <7Û, Ttâtîp, (7Xîôa'70v
yu-/?,; aTto, ôb; Se xvipi^a-ai yvoiiir);, ^ ttÎc^jvo; rsh oîv-r,; [XîTa Tcàvta X'j6epvà;...
{S)^/). 31,5.
U REVUE BIBLIQUE.

souhaiter ce que tu peux obtenir à toi-même (i)? Et enfin « Vous » :

pouvez l'emporter sur Dieu il n'a pas à souffrir vous dominez la


; :

souffrance (-2) ». La constance dans la vertu, « voilà le souverain bien ;

si vous en êtes là, vous devenez le compagnon des dieux vous n'avez ;

plus à les prier (3 ». Aussi lorsque la nature, qu'on remarque ce —


terme, synonyme de Dieu pourSénèque, mais qui lui sert à contenir Dieu
dans les limites du monde, —
lorsque la nature nous redemandera ce
qu'elle nous a donné, nous pourrons lui dire " Reçois un esprit meil- :

leur que tu ne l'as donné je ne cherche pas de faux-fuyants, je ne


;

me dérobe pas ce que tu m'as donné sans que je le sentisse, je le rends


;

librement (i\ »

Le philosophe le prend ici de très haut avec la débonnaire nature ;

il rend au monde beaucoup plus qu'il n'en a reçu. Épictète a trouvé


d'autres accents pour exprimer sa gratitude envers Dieu.
On a remarqué que Sénèque se contredit. Ce n'est pas le philosophe
qui raisonne mal, c'est l'homme qui est entraîné à prier par le mouve-
ment général de l'humanité (5), déjà plus sensible de son temps qu'à
la fin de la République. On que les stoïciens ont officiel-
sait d'ailleurs

lement affecté le plus grand respect pour la religion traditionnelle.


Était-ce parce qu'ils sentaient eux-mêmes l'insuffisance d'un système
purement rationnel pour donner au peuple le goût de la vertu? ou
croyaient-ils de bonne foi l'action des dieux aussi conciliable avec leur
déterminisme que le libre arbitre humain lui-môme? De la part de Sé-
nèque, qui a traité si durement les dieux, on soupçonne quelque équi-
voque. Précisément lorsqu'il a parlé de la prière et des bienfaits des
dieux, ou de Dieu, il a eu soin d'expliquer une fois de plus que Dieu se
confond avec la nature. Il n'admettait donc pas cette intervention de
Dieu, elun caractère plus ou moins exceptionnel, où les chrétiens
voient les effets de la prière, et la présence de Dieu en nous n'était
évidemment pour lui que la raison elle-même, issue de Dieu sans
se détacher de lui.

connu lui aussi la présence de Dieu dans l'àme. Il est


Épictète a
tellement en nous que nous sommes dieu, et cette pensée est le ressort
le plus puissant pour relever notre conduite " Tu es une émanation :

de Dieu; tu en contiens une partie. Pourquoi donc méconnaître ta

(1) Ep. 41. 1.

(2) De Prov. I, G, t).

(3) Ep. 31, 8.

(4) De iranq. animi, 11,3.


(5) Hoc qui dicit, non exaudit precantium voces el undiquc siddatis in cselum ma-
nibus... {De Beacf. IV, 4, 2).
LA PHILOSOPHIE ULLKilELSE D'ÉPICTETL ET LE CHRISTIANISME. 15

noblesse? ne sais-tu donc pas d'où lu es venu? ne te souviendras-tu


pas, lorsque tu manges, qui ta es, toi qui manges, et à qui tu donnes
de la nourriture? lorsque tu tunis à ta femme, qui tu es? Lorsque
que tu disputes, ne sais-tu pas que tu nour-
tu causes, que tu t'exerces,
ris un dieu, que tu exerces un dieu? tu portes un dieu, malheureux,

et tu n'en sais rien penses-tu que je parle d'un dieu d'argent ou


!

d'or? c'est en toi que tu le portes et tu ne t'aperçois pas que tu le


souilles par des pensées impures et des actions infâmes 1 ? » Nous
qui lisons ces paroles en nous rappelant la première épître aux Co-
rinthiens, nous sommes tentés de les entendre d'une présence mys-
tique de Dieu dans l'âme, devenue le Temple du Saint-Esprit (2 et ,

vraiment ce scrupule de souiller Dieu par des pensées impures, —


exactement comme dans saint Paul, et nulle part ailleurs jusqu'à ce
moment. — laisse entrevoir la délicatesse d'une àme chrétienne. Mais,
cette pensée à part, l'identification du sage
un dieu coule de source à
dans la philosophie du Portique. Ce qui marque un progrès sur Sénè-
que, c'est la distinction de ce dieu qui habite l'àme, sans se confondre
avec elle. Épictète continue en effet : « En présence d'une statue de
Dieu, tu n'oserais rien faire de ce cpie tu fais; et quand Dieu lui-
même est présent au dedans et voit et entend tout, tu ne rougis pas
de concevoir de tels desseins et de les exécuter, inconscient de ta pro-
pre nature, objet de la colère divine 3 » Ailleurs il lui donne même
«
1

un compagnon, compagnon, ou ce démon et génie, n'est


et si ce
autre que la raisun humaine, comme dans Marc-Aurèle, toujours
est-il que Dieu se distingue par là de la raison Quand vous avez : •

fermé les portes et fait la nuit à l'intérieur, souvenez-vous de ne pas


dire que vous êtes seuls. Car vous ne l'êtes pasi Dieu est au dedans
et votre génie; et qu'ont-ils besoin de lumière pour voir ce que vous
faites i ? »

Le philosophe ne nous dit pas ce que Dieu fait dans l'àme, ni s'il
pour juger le pécheur. La notion du châtiment ou
écrit ce qu'il voit
de la récompense dans l'au-delà ne se rencontre pas sous sa plume.
C est d'ailleurs un motif très noble de ne point pécher que le respect
inspiré par la seule présence divine, et 1 appréhension de la ternir.
Dieu est un compagnon qu'il faut respecter. On marche avec lui dans
la vie. Un jeune homme quitte le maître qui lui a enseigné la morale.
Conscient de sa faiblesse : « Je voudrais t'avoir avec moi », lui dit-il.

(1) II, 8, 11 ss.

(2) U Cor. 6, lîi.

(3) I, 8, 14.

(4) 1, 14, 13 s.
16 REVUE BIBLIQUE.

« Mais, répond Épictèto. n"as-lupas Dieu? qael autre compagnou clier-


ches-tu? ne te domiera-t-il pas les mêmes leçons de vertu (li? » Une
statue de Phidias, si elle avait le sentiment, ne voudrait rien faire
qui déshonorât le grand artiste. De même toi, qui es la créature de
Jupiter. Et Dieu ne t'a pas seulement créé; il t"a confié à toi-même;
c'est un dépôt sacré, n'eu aurais-tu pas soin?
Après avoir ainsi vécu dans la pensée de Dieu, dans la compagnie
de Dieu, le sage devient semblable à son modèle il ne songe pas à :

être préservé de la mort ou de la maladie mais à être malade divi- ;

nement, mourir divinement (2).


à
Le lecteur aura constaté que la pensée d'Épictète ne suit pas une
marche rigoureuse. Au lieu de déduire d'un priocipe, il accumule les
raisons de regarder vers Dieu pour se conformer à ce modèle et deve-
nir semblable à lui.
Il n'a pas parlé dun autre secours que pourrait offrir sa présence ;

il ne lui a pas demandé de l'aider, il n'a pas prié.

Et en effet un stoïcien n'avait aucune occasion de recourir à la


prière. Il ne devait pas non plus en avoir besoin.
Tout se partageait pour lui en choses indifférentes et en une seule
chose nécessaire. Les choses indifférentes, qu'il ne devait ni désirer,
ni redouter, pourquoi les demander ou les fuir?
La seule chose nécessaire, c'était de bien user de sa raison et de
sa volonté. Mais il en avait le domaine. Dieu ne pouvait le contraindre ;

comment eùt-il pu l'aider?


Sur le premier point, Épictète ne fait aucune concession. Les stoï-
ciens, se séparant en cela des cyniques, avaient distingué, dans la
masse des choses indifférentes, des choses avantageuses qu'il était
presque permis de désirer. On n'a pas trouvé trace de cette distinction
dans les Entretiens d'Arrien.
Loin de transiger, Épictète fatigue plutôt par son insistance mono-
tone à prêcher le détachement le plus absolu. Il ne s'oppose pas à ce
qu'on consulte les entrailles des victimes, mais il faudrait le faire en
simple curieux. Sans songer à ce que cette situation a de contrEÛre à
la nature, notre brave philosophe raille .celui qui s'adresse à Dieu
quand les présages sont défavorables ; « Seigneur, ayez pitié, per-
mettez-moi de sortir de là ! — Esclave, veux-tu donc autre chose que
ce qu'il y a de mieux ? or y a-t-il quelque chose de mieux que ce qui
plait à Dieu? pourquoi donc, autant qu'il est en toi, corromps-tu ton

(1) II, 8, 16 s.

(2) II, 8, 28 : à/.).' i7ro'jvr,i7-/.ovTa ÔEid):. vouoCvra Oêîto;.


>

LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 17

juge, détournes-tu ton conseiller (1)? » Le sage disait bien : que


votre volonté soit faite .'il n'ajoutait pas : Donnez-nous aujourd'hui
notre pain de chaque jour.
Mais il fallait une perfection héroïque pour ne s'attacher qu'au
bon plaisir de Dieu. Ne pourrait-on lui demander cette perfection elle-
même? — C'était contre les principes.

On serait tenté de mettre Epictète à part, à cause de ce qu'on n'a


pas craint d'appeler son humilité. M. Colardeau a groupé les textes
qui font au philosophe la physionomie d'un homme modeste, cons-
cient des difficultés quoflre la pratique de la vertu, pénétré du senti-
ment de tout ce qui lui manque pour être un sage, peu soucieux de
paraître, plus préoccupé de faire le bien que de recueillir les applau-
dissements.
C'est par ce dernier point que les maîtres de philosophie entendaient
se distinguer des rhéteurs : ceux-ci parlaient pour plaire; le maître de
philosophie savait guérir lesmaux del'àme. Le malade songe-t-il à ap-
plaudir médecin qui l'ampute? demandait tragiquement Sénèque;2
le

Musonius disait plus finement « Si vous avez l'esprit assez libre pour
:

songer à m'applaudir, c'est que je n'ai rien dit de bon (3). » Epictète
avait retenu le mot de son maître, et il le mettait en pratique.
Cette modestie n'allait pas sans quelque prétention. Le professeur
de morale prenait sa tâche au sérieux. Cependant la doctrine même
qu'il enseignait l'empêchait de s'exagérer son rôle. Puisque Zeus lui-
même était impuissant à contraindre la volonté, le maître ne pouvait
songer à la diriger autrement que par un enseignement didactique.
Aussi, lorsqu'il demande à son disciple d'aborder la philosophie avec
la conscience de sa faiblesse et de son impuissance dans les choses in-
dispensables fi), il se propose seulement de chasser la présomption
qui s'imagine tout savoir (5 u
La présomption du savoir, plus ordinaire dans les choses mo-
un obstacle, la docilité l'auxiliaire le plus précieux.
rales, est
Epictète ne pouvait demander à son disciple l'humilité, pour la
bonne raison que les anciens n'ont connu ni le nom ni là chose le ;

mot que leur ont emprunté les chrétiens signifiait pour eux une
bassesse contraire à l'idéal humain : c[ue dire de l'idéal stoïcien ?

(1) II, 7, 12 ss.

(2) Ep. 52, 9 : Quid enini turphis philosophia captante clamores? numquid aegerlau-
dat medicum secantem? lacete, favete et praehete vos curationi.
(3) Eï vj(j-/ù\ti,-ït âsaivécai [xî, £vw&' oOoàvXfvcov ^dans Epict., I>iss. III, 23, 29j.

II, 11, 'l.


(4)

(5) 1, 17, 1.
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 2
18 REVUE BIBLIQUE.

Et pourtant il y a chez Épictète comme une tendance vers cette


vertu.
L'humilité courbe l'homme sans le dégrader, parce qu'elle le
courbe devant Dieu. Aussitôt que l'idée de Dieu se dégage et qu'il
prend son rang, Thomme est plus disposé à se mettre au sien. On
chercherait en vain chez Épictète ces termes superbes qui égalent
l'homme à Dieu. Il a bien quelque chose de semblable: « Pour ce qui est
de la raison, (le sage) n'est pas moins bon que les dieux, ni inférieur.
car la grandeur de la raison ne se mesure pas sur la longueur ou
la hauteur, mais d'après les principes qu'elle professe... ne veux-tu
donc pas placer le bien en ce qui te rend égal aux dieux (i ) ? » Ce-
pendant on a remarqué que l'égalité n'est qu'intellectuelle, et ce
n'est point par hasard qu'Épictète a dit les dieux, et non pas Dieu.
Quoiqu'il emploie parfois indifféremment le pluriel ou le singulier
pour désigner le divin qui nous domine, il n'eût pas sans doute
écrit que l'homme est l'égal de Dieu ou même de Zeus. Tout ce qu'il
prétend, c'est de s'unir à lui et de lui devenir semlîlable. 11 sent
même ce qu'il y a de téiïiéraire en apparence, « étant dans un
corps périssable, à devenir dieu d'homme qu'il était, et à vivre en
société avec Zeus (2) ».

Mais ce respect plus profond est-il déjà de l'humilité, dispose-t-il


l'àme à recourir à la prière? En toute rencontre, Épictète rend grâ-
ces aux dieux et à Dieu, mais c'est surtout, c'est presque unique-
ment pour lui avoir donné pouvoir sur lui-même, pour l'avoir créé
libre et indépendant par sa volonté de Dieu lui-même (3). Aussi a-
t-on conclu que la prière n'avait aucune place dans un système si ri-
goureusement déduit, de gouvernement de l'homme par lui-même
ou de suffisance en soi.

Pourtant les textes sont formels en sens contraire ; Épictète, comme


Sénèque, se en effet malaisé de concilier
serait-il contredit? Il est
ces textes avec le système, mais on peut du moins constater que
dans Épictète la prière est une exception pour les circonstances les
plus difficiles. On dirait qu'il a préludé à certains hérétiques dans :

le cours ordinaire de la vie, on peut se tirer d'affaire sans la grâce;


mais il y a des moments où il faut recourir à Dieu.

(1) I, 12, 26 S.

(2) II, 19, 27.

(3) M. Bonhaffei- se fâcherait si de pharisien. L'épilhète serait certes


l'on traitait Épictète
trop dure. Pourtant on lit : « Quelle chose de se dire à soi-même
pouvoir « Ce que les
:

« autres célèbrent dans les écoles, et ce qu'on regarde comme impossible, je l'accomplis au-
« jourd'hui : et eux, sur leurs sièges, commentent mes vertus et s'en informent, et me cé-

« lèbrent... » (111, 24, lU).


I.\ PHILOSOPHIE RELIGIEUSE iVEPICTETE ET LE CHRISTIANISME. 19

Ce n'est pas lorsque le tyran menace de la confiscation des biens,


de l'exil, de la mort. Épictète n'a pas peur de la lutte. Il ne veut pas
qu'on demande à Dieu d'en être dispensé : « Imbécile, n'as-tn pas
des mains? Dieu ne te les a-t-il pas faites? mets-toi donc à prier pour

quêtes narines ne coulent pas! Mouche-toi plutôt, et ne te plains


pas 1). » Le philosophe a redouté davantage pour la vertu les fai-
blesses de la chair. Il mesure avec la pénétration d'un psychologue
les degrés de la tentation, depuis la simple pensée qui entre dans
l'âme avec les regards, jusqu'au trouble provoqué par des attaques
impudentes. C'est alors que le sage doit avoir recours à ses armes
les plus sûres. Platon avait dit : « Recours aux sacrifices expiatoires,
aux rites qui détournent le mal 2 . » Épictète n'accepte pas cette
formule. Nous ne sommes pas encore aux beaux jours du néo-plato-
nisme, à cette surenchère d'abstinences, d'ascétisme et de dévotion
que la théosophie opposera au christianisme. Et peut-être Epictète
n"avait-il qu'une médiocre confiance dans l'enseignement moral que
distribuaient les temples, les rites et les sacerdoces. Des mortels au-
thentiquement vertueux offraient plus de garanties. Leur exemple
servirait de réconfort. Qu'on se rappelle comment se conduisit So-
crate quand Alcibiade tendit des embûches à sa verlu! Plus d'un
moraliste chrétien mettra en doute l'efficacité de la recette (3). On ne
lutte pas contre des représentations dangereuses en provoquant de
semblables imaginations. Épictète a fini par s'en douter, et propose de
chasser l'idée impure, par une idée honnête et noble. Mais enfin
la tempête gronde : u le combat est important, l'œuvre divine; il s'a-

git de la royauté, de la liberté, du bonheur, de la paix! Souviens-


toi de Dieu, invoque-le comme ton secours et ton soutien, de même
que les naNàgateurs invoquent les Dioscures pendant la tempête (V . »

En priant Dieu, on lui demande plus qu'un bon exemple; le phi-


losophe admettait donc son intervention dans l'esprit. Selon toute
apparence seulement à faire disparaître les mauvaises
elle consistait
pensées, sans s'exercer sur la volonté elle-même. Personne, d'après
le philosophe, ne songeait à remercier les dieux pour avoir eu de

(1) II, 16, 13.

(2) A propos de sacrilèges. L^gg., LX, 854'.


(3) On jugera mieux de la diguité morale d'Épictète ea comparant son éloge de Sociale
au dileiiiiiie d'un autre maître de vertu i! , le cynique Bion : e'. aT;v û'/vt 'AÀ<cig'.âôo'j x?^'*"'

y.al iTîîixîto, jiâTa'.o; t,v î". ok af, ôT/îv, o'jôèv ïr.o'u: KOftâoo^iv (Dioc. Laer. IV, 7 [49]).

(41 I, Lorsque Épictète dit que la vertu vient de Ihomuie et des dieux iIV, 4,
IS, 28 S.

47), il n'entend pas que les dieux collaborent à l'usage. mai> qu'ils ont donné la faculté dont
l'homioe fait un bon usage.
20 REVUE BIBLIQUE.

bons mouvements, pour avoir suivi la nature, et Epictète ne nous


dit pas qu'il ait fait autrement (1).

L'intervention de Dieu est encore nécessaire quand on entreprend


une carrière qui offre des difficultés spéciales. La Providence de Dieu
règle tout, elle assigne à chacun sa place. Thersite aurait eu mau-
vaise grâce à jouer le rôle d'Agamemnon. Que dire de celui qui pré-
tend enseigner aux autres hommes la seule chose qui leur importe,
la pratique de la vertu? D'autant que dans cet enseignement, c'est
Dieu même qui parle. Il manifeste l'avenir au moyen des oiseaux par
la divination, mais pour les choses les plus nobles, il emprunte la
voix de Ihomme, le plus noble des messagers (2).
Qui oserait parler en son nom sans y être invité par lui-même?
Ouvrir une école de philosophie à la légère, ce n'est pas une impiété
moindre que de transporter ailleurs les mystères d'Eleusis (3). Il
faut avoir en cela Dieu pour guide. Personne ne quitte le port sans
avoir sacrifié aux dieux, sans avoir imploré leur secours; on ne sème
pas sans invoquer Déméter, comment oserait-on, sans les dieux, tou-
cher à un pareil ouvrage? C'est bien le moins que Dieu le conseille,
comme il a fixé leur rôle à Socrate, à Diogène, à Zenon (4).

Cesgrands hommes Il en
ont eu des vocations extraordinaires.
est une qui semble à la portée de tous, la profession de philosophe
cynique. Pourtant il ne faut pas non plus l'embrasser sans consul-
ter Dieu. Ou plutôt le cynique étant un envoyé de Dieu, il lui faut
une mission. spéciale. Le novice l'a-t-il? « Délibère avec soin, con-
nais-toi toi-même, interroge le génie, n'entreprends rien sans
Dieu (5) ».

L'homme a donc besoin de Dieu, surtout dans les cas difficiles,

surtout pour arriver à la perfection, et pour suivre une vocation


spéciale. Nous avons mis de la bonne volonté à chercher les indices
d'un recours à Dieu chez un philosophe aussi intransigeant qu'Épic-
tèle sur la maîtrise indépendante du libre arbitre. Le résultat est
assez mesquin.
Marc-Aurèle,âme plus sensible, qui sentait mieux son impuis-
sance, empereur qui ne s'exerçait pas à défier le tyran, et qui ap-
préciait mieux les forces des véritables ennemis de l'Ame, Marc-Au-
rèle a fait la brèche beaucoup plus large dans le système du Por-

(1) I, 19, 25.

(2) III, 1, 37.


(3) III, 21, 12 S.

(4) III, 21, 18 S.

^5) III, 22, 53.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DEPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME. 21

tique. Il faut prier les dieux pour le bon usage du libre arbitre;

on leur demande de ne pas craindre, de ne pas désirer, de ne pas


sattrister. L'objection se présente delle-mème; c'est bien le stoï-
cien qui s'étonne « xMais les dieux ont mis cela en mon pouvoir. »
:

— « Qui t'a dit que les dieux n'ont pas d'influence sur ce qui dé-

pend de nous? Commence seulement à prier de la sorte, et tu ver-


ras (1). » Il est touchant que Marc-Aurèle en appelle ici à son ex-
périence religieuse ; il est attristant que cette confiance s'adresse
« aux dieux ».

(.4 suivre.)

JérusaleQi.
Fr. M. .!. Lagraxge.

(1) Pensées, IX, 40.


CYRUS LE GRAND

De son vrai nom


il s'appelait Kouras (1). Les Égyptiens l'appelèrent

Kourés Hébreux Kôrés (3), les Grecs Kjpoç, les Latins Cyrus.
(2), les
Ce nom était-il élamite ou persan? Gi^ammatici certant. Tout porte à
croire cependant qu'il était élamite. Les anciens Perses furent obligés
de le transformer en Kourous pour lui donner une terminaison qui
répondit à la langue nationale (4). Aucune racine indo-européenne
n'en a fourni l'étymologie et c'est ce qui explique l'embarras des clas-
siques lorsqu'il s'agit d'analyser le mot Kjpiç (5). On a, d'ailleurs,
trouvé un nom identique chez les Elamites (6) et les anciens n'igno-
raient pas que le premier nom du roi était 'A^pysâr^ç qui porte bien la

marque persane (7). En tout cas, c'est sous le nom de Cyrus qu'il fut
connu chez les anciens aussi bien que chez les modernes. On peut lui
accoler l'épithète de « grand », car son œuvre fut grande entre toutes.

(1) On le trouve écrit, dans les documents cunéiformes. Auras, Kurras, Kurasu,Kursu,
Kurrasu, Kurassu (HlisiiNc, Orient. Litter. Zeihing, 1908, 3t9;ScHEiL, Text. élam.
anzanites, III, p. 88). Dans les inscriptions trilingues des Achéniénides on a Ku-ra-as,
Kur-as dans la col. babylonienne, Kuras dans la col. élamite, Kurus dans la col. perse.
(2) Écrit Kwrcs .• cf. Burchardt, Die altkan. Fremduorle..., n° 9G7.
La forme *^'^^- provient de Kurs. dérivé de Kuras par suite de l'accentuation sur
(3)

la première syllabe [cf. '5^*~p de fjuds, etc...}.

4) Les Bab\loniens sont toujours d'accord avec les Elamites pour une lecture Kuras. On
ne trouve pas Kurus en dehors de la col. perse des inscriptions trilingues des .\chéraéni-
des. Les formes égyptienne et hébraïque ne nous renseignent pas sur la voyelle de la se-
conde syllabe. Naturellement Grecs et Latins donnent leurs terminaisons du nominatif.
(5) Ctésias dérive KOpo; d'un mot persan xojpo; ou xOpo; qui voudrait dire « soleil »
(Lagarde, Gesamm. Muller, à la suite de l'Hérodote de Didot, p. 69j. Même
Al)h.,i). 223;
étymologie dans Plutarque [Artaxerxes, 1), cité dans VEiymologicum magnum. Dans
Hésychius, sub verbo, le nom de KCpo; vient de v.\j/6z (gén. de x-jwv). ou de xûpo; « soleil»
en persan.Il cite d'autres opinions qui font signifier à xl^poç « fossé », ou « chose conve-
nable ou encore « seigneur ». Il mentionne aussi une étymologie qui rattache KOpoç à
»,

un nom de fleuve. C'est celle de Strabon, d'après lequel Cyrus, jadis Agradate, aurait pris
le nom du fleuve K-jpoç qui passait près de Pasargade (Strabon, XV, m, 6). Suidas rattache

à la racine x'jpo; .( pleine autorité ». Le mot persan correspondant à « soleil » est hwar
d'où l'avestique hv{tre{Lxc.\Ri>E,op. laud., p. 223).

(6) Écrit Kurras (Scheil, op. laud.. p. 88).


(7) Strabon, XV, ut, 6.
CYRUS LE GRAND. 2:\

Il fît atteindre son apogée à ce mouvement de civilisation aryenne


dont nous avons suivi ailleurs les différentes étapes (1 .

Quoiqu'il [)ortàt un nom élamite — et nous verrons plus loin pour


quels motifs Cyrus — était Perse de race. La tradition n"a jamais varié
sur ce point. Hérodote est dans la vérité quand il nous présente Gyriis
comme du Perse Cambyse I, 107 ss.). Darius I" qui
fils comme il —
le dit lui-même —
était « Perse, fils d'un Perse. Aryen de race

aryenne (2} », n'ignore pas que Cambyse, le fils de Cyrus, est de la


même race que lui 3;. Cyrus est bien « le Perse » qui succède au roi
Astyage dans le premier verset de « Bel et le dragon (i^ ». Tout le
récit d'Hérodote concernant l'avènement de Cyrus. est destiné à mon-
trer comment le pouvoir sur les Mèdes et les Scythes passe de la main
des Mèdes dans celle des Perses (I. 125 ss. . Mais on savait aussi c[ue ce
Perse était de sang mêlé, qu'il était « un mulet » pour parler le lan-
gage de l'oracle de Delphes 5 , « un mulet perse » suivant la pseudo-
prophétie de Nabuchodonosor citée par Abydène (6). U avait été en-
fanté par une Mède,d'Astyage et épouse de Cambyse (7. La
fille

légende avait entouré son berceau comme celui de tous les grands
hommes. On nous dispensera d'insister sur les anecdotes dont Héro-
dote et Xénophon se sont faits les échos complaisants. Cherchons
plutôt ce qui, dans les traditions concernant Cyrus. fait partie de l'his-
toire réelle, ce qui nous permettra de juger son œuvre et d'en cons-
tater toute l'importance.
On connaît peu de chose de l'histoire des Perses avant Cyrus. Ceux
qui les identifient avec les habitants du pays ou de la ville de Par-
sîia (8), signalés dans les inscriptions assyriennes, recherchent leur
plus ancien habitatausud ou au sud-est du lac d'Ourmiah 9 Si l'on .

songe aux migrations des Aryens de l'Arménie en Asie Mineure ou de


l'Arménie vers la Médie. vers les pays situés ausud de la Caspienne,
vers les confins de la Bactriane et de la Drangiane ,10 , on admettra

(1) Les Aryens avant Cyrus, dans Conférences de Saint-Étienne. 1910-1911, p. 59 ss.
(2; Inscr. de >'aq.s-i-Roiistem, a, 1. 13 ss. (Weissbach et Bang, Die Altp. KeilinschrifL,
p. 34 s.).

(3) Grande inscr. de Behistoim, I. 29 s. Jljid., p. 13).

(4) Théodotion (I, 1) xal 6 ^ac/.îù;


; 'Sn-z-jiyr,^ TZÇiOatzébr, Ttpô; to-j; t-.olzîool'. ïÙtoC xal T:ap-
ÉXaoiv KCpo; ô IlÉpoTf,; Tr,v paff-.Àsbv ï^toC. Dans Vulg.-, Daniel, 13. 60.
(5; Hérodote, 1,55, expliqué par 1. 91.
(6) EisÈbe, Prap.ev., IX, il (C. Muller, Fragm. hist. ijricc.,l\, 283^.
(7) HÉnoDOTE, I, 107 ss.
(8) Les textes dans Streck, ZeHschr. fur A-^syriolcgie, XV, p. 308 ss.
(9) Ibid.,ç. 311.
(10) Cf. notre conîérencQ Les Aryens avant Cyrus [Conférences de Saint-Étienne, 1910-
1911, p. 80 ss.».
24 REVUE BIBLIQUE.

sans peine qu'un groupe aryen, les Perses, a pu s'installer au milieu


des nombreuses peuplades qui entouraient le lac d'Ourmiah. Ils

étaient voisins de leurs frères, les Mèdes. Peu à peu ils s'avancent à
l'est de la Médie, laissent un de leurs contingents dans le pays qui
plus tard sera considéré comme le pays des Parthes 'D. se répandent
à travers le sud jusqu'aux frontières del'Élam.
plateau persan vers le

Nous avons vu déjà comment leur parenté avec les iMèdes est désor-
mais un fait indéniable et comment ces deux peuples avaient en
commun le costume et l'équipement 2 Le voisinage entre leurs pays .

avait accru encore cette similitude de mœurs. Lorsque les Mèdes s'é-
taient réunis en un groupe homogène et avaient réussi à joindre à
leurs forces les hordes des Scythes, les Perses avaient dû se soumettre
au joug des vainqueurs. Les Mèdes les traitaient avec un certain dé-
dain et, d'après Hérodote il, 107), si Astyage donne sa fille à un Perse,
c'est uniquement pour que le fils qui sortirait de cette union ne pût
prétendre à une autorité réservée aux Mèdes. Mais les Pevses, dont la
race était essentiellement virile et féconde pour qui c'était une .

gloire d'avoir beaucoup de fils 3 et qui apprenaient à leurs enfants


• à monter à cheval, à tirer de l'arc, à dire la vérité [ï) », les Perses
subissaient ce joug avec impatience et ils avaient soif de Kberté. Ce
sont ces sentiments que Cyrus exploitera lorsqu'il voudra faire son
coup d'état (5). Suivant la coutume des Aryens, les Perses étaient
divisés en un certain nombre de tribus dont les trois plus impor-
tantes étaient les Pasargades, les Maraphiens, les Maspiens [6).Parmi
ces tribus, toujours suivant le principe de l'aristocratie indogerma-
nique, la première, celle des Pasargades, avait pris la prépondé-
rance (T De même que nous avons vu chez les Mèdes telle ou telle
.

famille prendre la tète du peuple de mémo chez les Perses une .

famille, celle des Achéménides, qui appartenait précisément à la tribu


des Pasargades (8), avait fini par devenir la plus considérable.
Lorsque le roi Darius I" donne sa propre généalogie, il déclare que
si sa famille porte le nom d'Achéménide, c'est qu'elle se rattache à

1) Les Partbes sont écrits Par^u dans la colonne babylonienne de linscript. de Bebis-
loun, mais Parsuma i= Paisua] dans la col. neo-susienne.
(2) Les Aryens avant Cyrus Conférences de Saint-Etienne, 1910-1911. p. 76 ss. .

(3) Hérodote. 1, 136.

(4) Ibid.
(5) Ibid., 126.
(6) Ibid., 125 : nacasyioai. Mapiiioi. MisTitot.
(7) Ibid. : TouTwv Jlaaapyâoat v.tI àptoto-.. Le gouverneur de l'Egypte, Aryande (au temps

de Darius], cboisira le cbet de l'année de terre parmi les descendants des Maraphiens, et le

chef de l'armée navale parmi les descendants des Pasargades (Hérodote, IV. 167).
(8) Hérodote. L 125.
CYRLS LE GRAND. 2:;

uu ancêtre commun Hakiubnanis (1), De même, lorsque Prexaspe


veut détailler la lignée paternelle de Cyrus, il commence par l'an-

cêtre ' Xous ne connaissons rien de cet éponyme qui


ky3.i[j.vrr,q (2).

peut avoir été imaginé pour expliquer le nom de la famille. Darius I"
énumère de père en fils les descendants d'Âchémène. ce sont Cispis,
Ariydrdmna, A?'sdma, Vislàspa, finalement Bârayavam Darius) (3).
Par bonheur, nous possédons la liste d'Hérodote (VIT, 11) qui com-
prend, elle aussi, les aïeux de Darius et de Xerxès. Ce sont 'A-/ai- :

;j.svr,ç, Tsiffz-r^ç, Ka[j.6J7-o; , Kjp:ç, Ts-sTrr,;, 'Apapâ;j.v/;r ,


'Apc7â[j.-^ç, 'IV
TadTCYiç, Aapsfoç. On voit aisément la merveilleuse coïncidence entre
les deux listes à partir du second Teit-t,; d'Hérodote Tsiszy;; :
=
Cispis, Apiapâ;Av/;ç = Aritjfirdmna , 'Apjâ;;,?]; =^ Arsdma, 'Y-j-.y.i~r^t

= Vistdspa. La seule différence est que Darius rattache immédiate-


ment Cispis à Hakhdmanis, tandis que, dans Hérodote, trois noms,
Te-s-y;;, Ka[j,5j(7Y;r. Kjp:;. s'intercalent entre l'ancêtre 'Ayaiy.Évv;; et le
second Ts-cr-r,;. D'autre part, dans le cylindre d'argile trouvé à Ba-
bylone et portant une inscription babylonienne, Cyrus lui-même
déclare qu'il est Kuraé, fils de Kambuzria, petit-fils de Kiiras, des-

cendant de Éispis. Nous avons ici la lignée Si^pis (= Cispis TsIg- =


r.r,:) , Kiivas {— Kjpoç), Kamhuziia ('= Kx;j.6'jr/;ç), luiras (^= Kupoç),
qui précisément celle que nous trouvons intercalée, dans Héro-
est
dote, entre 'A-/ai;j.£vr,; et Tciszr,; (II), sauf le premier Kjpcç. Nous
pourrions donc supposer a priori que deux listes généalogiques, celle
de Cyrus et celle de Darius, ont été réunies en une seule par Hérodote.
Si maintenant nous comptons les rois qui ont précédé Darius d'après
Hérodote, nous trouvons huit rois. Or, dans la généalogie que donne
Darius, le roi déclare (4) « Huit de ma famille ont été rois avant
:

moi, je suis neuvième. En deux lignes nous sommes neuf rois. »


le

Nous tenons ici le mot de l'énigme. Il y a eu deux descendances de


l'ancêtre éponyme. Si Darius avait été de la même ligne que Cyrus,
il l'eût évidemment nommé parmi ses aïeux, car il n'ignore pas

qu'il appartient à la même famille que Cyrus et Cambyse (.5). D'a-


près la comparaison entre la liste d'Hérodote et celle de Darius, les
deux séries commencent à Téïspès. Darius nomme cinq rois, auxquels
il se rattache directement. Mais, selon son propre témoignage, il faut

(1) Insciipt. de Behistoun, I, H 2-3. L'adjectif Achérnéiiide est rendu par Hukliàma-
nisiya.
(2) HÉRODOTE, IIL "ô.

(3) Inscript, de Behistoun, L L 1 ss. Naturellement nous suivons l'orlhographe de la col.

perse.
(4) Ibid., g 4 dans WiassB\cn-BANr..

(5) Ibid., l 10.


26 REVUE BIBLIQUE.

trouver trois autres rois antérieurs à lui et appartenant à une ligne


collatérale. Dans la généalogie de Xerxès fournie par Hérodote Vil,
11), les trois rois complémentaires seraient Téïspès, Cambyse et
Cyrus. Mais Téïspès figurerait deux fois, alors qu'il s'agit évidemment
du même
personnage. D'autre part, nous savons par le cylindre de
Cyrus et par Hérodote lui-même I, 111 que Cambyse était fils de
Cyrus. Rattachons ce Cyrus à Téïspès, comme fait le cylindre de
Cyrus, et nous obtenons le tableau suivant :

Acliéménès.

Téïspès.

Cyrus. Aricirnmiiès.

Cambyse. Arsames.

Cyri.s. Hyslaspès.

Darius.

Ce (|ui fait huit rois sur deux lignes, avant Darius, et ce qui permet
de ne rien modifier à la liste du roi de Perse.
Nous avons dit déjà qu'on ne savait rien de l'ancêtre Achéménès.
Quant à Téïspès, il porte le même nom que Tempa, chef des Scythes
à l'époque d'Asaraddon, ce qui ne veut pas dire qu'il faille y voir
le même personnage (T), Suivant le témoignage formel de Darius, les
deux ancêtres, Achéménès et Téïspès, doivent avoir régné. Or, nous
savons par Hérodote (1, 134) que les Mèdes ne gouvernaient pas di-
rectement les pays qui leur étaient soumis. Leur autorité s'exerçait
de proche en proche par l'intermédiaire de souverains vassaux qui,
eux-mêmes, gouvernaient les pays voisins du leur. Ainsi le pouvoir
se répartissait du centre à la périphérie par un certain nombre de
petits potentats qui tenaient sous leur sceptre les populations trop
éloignées pour être soumises à l'action directe du gouvernement
central. La famille des Achéménides appartenait à cette féodalité.
Non seulement elle était la première famille parmi la première tribu,
mais elle avait acquis l'autorité sur l'Élam, du moins à partir de
Téïspès. Lorsque Cyrus le Grand parle de son aïeul, Téïspès {Sispis),
il l'appelle « le grand roi, le roi de la ville d'Ansan (2) ». Or, la ville

(1) Hommel identifie les deux personnages {GescJi. des ait. Morgenlandes, coll. Gosciien.
3* éd., p. 170).

;2) Cyl. de Cyrus, 21.


CYRUS LE GRAND. 27

crAnsan (écrite aussi Ansan, Anzaii est certainement une ville

d'Élam. qui, rivale de Suse, avait donné son nom à une grande partie
du territoire élamite 1 . A partir de Téïspès, le pouvoir se scinde.
Tandis que la lignée Ariaranmès-Arsamès-liystaspès conserve le gou-
vernement des Perses, la lignée Cyrus-Cambyse-Cyrus règne sur les
Élamites. C'est pourquoi Cyrus appelle son père Cambyse et son
grand-père Cyrus « rois de la ville d'Ansan ". Tandis que la série
qui doit aboutir à Darius conserve des noms essentiellement persans,
la série qui aboutit à Cyrus — nous lavons reconnu pour Cyrus lui-
même — portera des noms élamites -2 . Ainsi Darius et Cyrus sont de
la même famille et leurs ancêtres ont été rois. Rien ne nous étonne
donc, dans le récit d'Hérodote, si nous voyons Cambyse épouser la
propre fille du roi des Mèdes. Mandane 3 . Ce n'était pas déchoir,
comme le prétend Hérodote. L'orgueil des Mèdes ne pouvait oublier
la communauté de race qui aux Perses, ni méconnaître
les rattachait
la suprématie prise par les Achéménides dans la tribu des Pasar-
gades. éminente elle-même parmi les tribus perses.
De ce mariage naquit Cyrus. Nous n'avons pas à insister sur sa nais-
sance, son enfance, son éducation. Les anecdotes de Xénophon dans
son roman moral la Cyropédiej, les histoires merveilleuses d'Hé-
rodote sur la naissance, l'abandon, la jeunesse du héros, autant de
récits qui ont charmé nos années de collège et qui ne peuvent reven-
diquer leur place dans l'histoire réelle. Cyrus apparaît sur la scène
du monde, au moment où, ne se contentant plus de son royaume
d'Elam, songe à renverser l'empire des Mèdes et à donner aux
il

Perses le pouvoir suprême. Ceux-ci supportaient avec impatience la


domination des Mèdos. rendue plus pénible par le despotisme d'As-
tyage li Du long récit d'Hérodote I. 119 ss. concernant la révolte
.

des Perses, il résulte que Cyrus a triomphé d'Astyage grâce à la tra-


hison du général Ilarpage. Voici maintenant comment le fait est ra-
conté dans la chronique dite de Nabonide-Cyrus 5 « Il (Astyage :

rassembla [son armée] et marcha contre Cyrus Kiiras) roi d'Ansan,


pour... Mais Astyage I<tumegu;, son armée se révolta contre lui et ils
[le^ livrèrent prisonnier à Cyrus. » C'est donc bien par trahison que

la victoire appartint au roi d'Ansan. Mais, d'après ce texte, c'est

1 Les faits sont groupés dans Meïer, Gesch. des AUertums, V éd., L 2, p. 409 s.

(2) CL HusiNG, Orient. Lift. Zeitung, 1908, coL 319 s.

3 Hérodote, L 107.
;») Ibid., 123, 127.
(ô-j Recto, H, 1 ss.Texte dans Beitr. zur Assyriologie, 11, pL de la p. 248. CL Hagex,
ibid., p. 218-219: Schrader, Keilins. Bibliothek, 111,2, p. 128 ss.
.

28 REVUE BIBLIQUE.

Astyage qui est allé pour lutter contre son vassal, tandis que le récit
d'Hérodote supposerait plutôt une invasion de Cyrus. Le texte babylo-
nien continue » Cyrus [Kuras) entra dans Ecbatane [A-gam-ta-mi),
:

la ville royale. Il pilla l'argent, For, les trésors d'Ecbatane, les em-
porta au pays dAnsan. » Hérodote raconte comment le vainqueur
traita son prisonnier avec douceur et le garda près de lui jusqu'à sa
mort (I, 130). Il ne parle pas de Feutrée de Cyrus à Ecbatane, mais le
témoignage de Ctésias est formel sur ce point (1). Selon ce dernier
historien, Cyrus entre dans la capitale des Mèdes, Ecbatane. C'est dans
les murs de cette ville qu'il trouve Astyage "AcTTj-'Yrzv Isliiwegii) et i
=
le fait prisonnier. Il épouse la fille du vaincu, A;j,jt',ç. Ctésias s'accorde
avec Hérodote au sujet de la bonté avec laquelle Cyrus traite son
royal captif.
Un Nabonide fait allusion à cette victoire de Cyrus sur
texte de
Astyage. Dans grand cylindre de Sippar où le roi babylonien ra-
le

conte comment il a construit le temple du dieu-lune, Sin, dans la ville


de Harran, un passage est consacré aux destinées de ce temple avant
l'intervention de Nabonide (2). Le dieu s'était irrité et avait permis
aux Scythes Oumman-Manda) (3) de s'emparer de la ville et de ruiner
i

le temple. Ces Oamman-Manda qui poussent une pointe jusqu'à Har-

ran, ce sont les troupes scytho-médiques, qui par leur conquête de —


Ninive en 607 av. J.-C. s'étaient rendues —
maîtresses de la Mésopo-
tamie du Nord et avaient atteint le haut Euphrate (i). En compagnie
du dieu Mardouk, seigneur de Babylone, Sin apparaît en songe à Na-
bonide et lui enjoint de rebâtir le temple ruiné. Le roi objecte que la
ville est entre les mains des Oumman-Manda. Mardouk répond :

« L'Oumman-Manda dont tu parles, lui-même, son pays et les rois qui


marchent à son côté n'existent plus. » Nabonide poursuit (5) : « A
l'arrivée de la troisième année (6), ils (les dieux) suscitèrent contre lui
(FOumman-Manda) Cyrus [Kums], roi du pays d'Anzan, son petit vassal

Avec mit en pièces les troupes nombreuses des


ses faibles troupes il

Oumman-Manda. Il fit prisonnier Astyage [Utumegu), roi des Oum-


man-Manda, et l'emmena lié dans son pays. « Ce sont les dieux qui

(1) Dans les fragments de Ctésias (p. 45 ss.), à la fin de l'Hérodote de Dldot.
(2) Texte du cyl. dans VR, 64. Cf. Keilinschr. Bibliothek, III, 2, p. 96 ss.
(3) Cf. notre conférence sur Les Aryens avant Cyrus (Conférences de Saint-Élienne,
1910-1911, p. 88 ss.].

(4) Sur celte conquête de Ninive par les Mèdes et les Scythes, ibid., p. 94 ss.

(5) Grand cyl. de Sippar, I, 28 ss.


(6) Corriger la traduction de Schrader et elle de Rosi (d'après Peiser,
dans Mill. der
vorderas. Gesellschaft, 1897, p. 204\ Le mot salulln Jalustn) est bien le féminin de
salm « troisième ». « Au commencement du tiers de cette année » ne signilierait rien.
CYRLS I.E GIUNL». o'J

suscitent Cyrus contre les Mèdes et les Scythes. D'après Hérodote, ce


sont les dieux (jui ont frappé Astyage d'aveuglement
(I, 127 Cvrus est .

toujours donné comme


d'Anzan ou d'Ansan, Astyage comme roi
roi
des Oumman-Manda, c'est-à-dire des Scythes, Mais nous savons qu'il
faut interpréter cette désignation largo sensu et reconnaître dans
les troupes d'Astyage les Scythes et les Mèdes
(Ij. Tous les récits

s'accordent à montrer vaincu suivant son vainqueur dans son


le roi

pays. Le texte de Nabonide ajoute un précieux renseignement chro-


nologique. La révolte de Cyrus a lieu la troisième année après la vi-
sion du roi de Babylone, et nous savons que cette vision avait été
accordée à Nabonide au « début » de sa royauté (2). C'est donc vers l'an
553-552 qu'il faut placer la révolte de Cyrus et son triomphe sur
Astyage (3) On a voulu interpréter différemment le texte du cylindre
.

sous prétexte qu'il contredit la chronique Nabonide-Cyrus d'après


laquelle la révolte aurait eu lieu la sixième année de JNabonide. Mais
il faut remarquer que
chronique Nabonide-Cyrus n'a pas la date de
la
la révolte contre Astyage. Le cylindre est mutilé en cet endroit et la
hxation à la sixième année provient de ce que l'événement qui suit
est placé en l'an sept. D'autre part, la mère de Nabonide. prêtresse
de Sin à Harran, déclare que ses prières pour le retour du dieu ont
duré tout le temps de Nabopolassar, de Nabuchodonosor, de Néri-
glissar. mais que —
dès le règne de Nabonide l'ordre des dieux —
fut adressé au roi et exécuté promptement (ij. La date donnée par
le cylindre est donc la bonne (5). D'après Diodore de Sicile (IX, 23),
Cyrus devint roi des Perses après la cinquante-cinquième Olympiade,
donc vers l'an 557. En interprétant d'après les données des textes
cunéiformes, Cyrus a été roi d'Ansan en 557 (6i, roi des Mèdes, des
Perses et des Scythes en 553-552. pourra se vanter dans son cylindre Il

d'avoir subjugué la totalité des Oumman-Manda 7). Astyage avait


régné trente-cinq ans d'après Hérodote I, 130 ce qui reporte son ,

avènement à l'année 588.


Ainsi, du premier coup, Cyrus devenait maître de l'Asie antérieure,

(1) Les Aryens avant Cijriis, daus Conférences de Saint-Étienne, t9lo-1911, p. 101.
(2) Grand cyl. de Sippar, I, 16.

(3) D'après Nabonide (cyl. de Constantinople. X,


12 s,s.), le temple de Harran resta
ruiné durant cinquante-quatre ans. En
additionnant 553 etôi on obtient 607 av. J.-C. C'est
précisément l'année de la conquête d'Astyage et de la ruine de Ninive.
(4) Cf. RB., 1908, p. 134.

(5) Homrael place aussi en l'an 553 la défaite d'Astyage {Gesc/i. des ait. Morgenlandes
p. l-3j.

(6) Cyrus ayant régné vingt-neuf ans, au dire d'Hérodote il, iUj, on pourrait placer cette
accession en l'an 559 av. J.-C.
(7) Cyl. de Cyrus, 13.
30 REVUE BIBLIQUE.

à l'exception des pays qui se trouvaient au delà de l'Halys ou sous


la mouvance de Babylone. Or, nous savons que Nabonide, lorsqu'il
veut temple
relever le de Sin à Harran, fait venir ses vassaux « depuis
le pays de Gaza (ffazzati) à la frontière de l'Egypte [Mhir], et depuis
la mer supérieure au delà de l'Euphrate jusqu'à la mer inférieure (1) ».
La Babylonie compte donc, grâce aux conquêtes de Nabuchodo-
nosor II, un immense empire qui, débordant FEuphrate jusqu'à la
Méditerranée, englobe la Syrie et la Palestine. C'est le refuge des
Sémites contre le mouveriient aryen de plus en plus envahissant.
Refuge bien précaire comme nous le fera constater la suite de This-
toire de Cyrus. Pour le moment, Cyrus est roi de FÉlani, de la Perse,
de la Médie, de la Mésopotamie septentrionale, y compris la ville de
Ninive. ne s'ensuit pas que l'équilibre fût rompu, comme l'écrit
Il

M. Radet (2). C'est Astyage qui avait introduit le déséquilibre dans la


politique orientale, en s' asseyant sur le trône de Ninive. Comme il le
constatait mélancoliquement (3), les Mèdes devenaient esclaves, tan-
dis que les Perses devenaient maîtres. Mais « rien ne fut changé.
Mèdes et Perses composèrent, comme par le passé, les forces mili-
taires de l'Empire, fournirent en commun les satrapes et les géné-
raux, les personnages de la cour; l'armement demeura le même ;

ainsi que les méthodes de conquêtes et de gouvernement. Aux yeux


de bien des peuples étrangers, des Grecs entre autres, les Perses de
Marathon, de Platée, de Salamine, étaient toujours des Mèdes (4) ».
Daniel parlera de la loi « des Mèdes et des Perses » (vi, 8), mais dans
tout le livre d'Esther, on dira» les Perses et les Mèdes ». On se sou-
venait que les deux Aryens qui avaient précédé Cyrus étaient des
Mèdes (5). On insistait sur le fait que le successeur d'Astyage avait été
un Perse : « Et le roi Astyage fut réuni à ses pères, et Cyrus le Perse
reçut sa royauté s'était contenté du titre de roi
6). » Jusque-là Cyrus
d'Ansan. Désormais, pourra prendre le titre de « roi de Perse [Par-
il

su) » (7). D'après Stabon (XV, m. 8), ce fut à ce moment que Cyrus
fonda la ville de Pasargade, en souvenir de la victoire remportée
sur Astyage.
Roi des xMèdes et des Perses, Cyrus dominait non seulement sur la

(1) Grand cyl. deSippar. I. 38 ss.


, (2) La Lydie elle monde grec, p. 243.
(3) HÉRODOTE, I, 129.
(4) De Morgan, Les j)rem. civilisations, p. 410.
(5) EscHïLiî, Perses, 765 ss.
(6) Bel et le dragon (Théodotion), 1.
(7) Au moment de sa révolte contre Astyage, la chronique Nabonide-Cyrus appelle Cyrus
« roi d'Ansan » ; après sa victoire (rect. II, 15) elle l'appelle « roi de Perse ».
CYHL'S LE GRAiND. 31

Médie, la Perse, l'Élam et l'Assyrie, mais encore, à rocciclent, sur une


partie de l'Asie Mineure qui s'étendait jusqu'à l'IIalys. L'Halys. au-
jourd'hui le Kizil-innah a fleuve rouge », était la limite entre l'em-
pire des Mèdes el celui des Lydiens (1 j. Ces derniers n'étaient pas
seulement les inventeurs de la monnaie et desjeux [2). C'étaient aussi
do fameux guerriers. « En ce temps-là à l'époque de Cyrus), il n'y
avait en Asie aucun peuple qui fût plus viril et plus vaillant que le
peuple Lydien. Leur fa(;on de combattre était de combattre à cheval;
ils portaient de grandes lances et étaient habiles à l'équitation 3.. »

Aryens d'origine, mais pénétrés d'éléments sémitiques, ils joignaient


la bravoure des premiers à l'esprit positif et marchand des seconds (i).
Le légendaire Gygès, fondateur de la dynastie des Mermnades, avait
joué un grand rùle dans l'histoire générale à l'époque d'Asourbanipal,
roi d'Assyrie (668-626 av. J.-C. . Inspiré par un songe, il avait
d'abord envoyé des ambassadeurs vers le grand monarque, qui reve-
nait de sa campagne en Phénicie. et il s'était déclaré son vassal ôi.

Grâce à l'appui de l'Assyrie, il avait pu repousser une in%asion de


Cimmériens et jeter dans les fers deux de leurs principaux chefs. Mais
bientôt il secoue la tutelle d'Asourbanipal et fait alliance avec le
Pharaon d'Egypte, Psammétique (6). Une seconde invasion des Cim-
mériens, conduits par Lygdamis 7), triomphe de Gygès qui succombe
dans le combat vers l'an 652 av. J.-C. 8 Le fils de Gygès. Ardys .

652-615 renoue l'alliance avec l'Assyrie et expulse les Cimmériens


.

de son territoire 9 Sous Sadyatte (615-610 la Lydie est occupée à


.
,

guerroyer contre la \ille de Milet. Mais sous le règne d'Alyatte. les


Mèdes conduits par Cyaxare s'étaient emparés de Ninive et étaient de-
venus inquiétants pour les populations au delà de l'IIalys. La cause

(1) HÉRODOTE, I. 72.

[2] HÉRODOTE, 1. 94: Xénophane ilans VOnomasticon de Poilus au sujet de la monnaie.


Sur cette question des monnaies lydiennes, Radet. La Lydie et le monde grec p. 155 ss.
Pou ries jeux, outre le texte d'Hérodote, aflirmations d'Hésychius. de Tertullien, de Denys
d'Halicarnasse. colligees dans Boceivrt, Phaieg et Canaan 'éd. 1712 col. 86 s. Bochart .

fait sienne l'étyniologie d'Isidore Ludi a Ludiis vocafi sunt.


:

(3) Hérodote. I. 79.

(4j On peut classer les Lydiens dans le groupe ellinologique des Syro-Thraces 'Raoet. op.
laud.,p. 57.
(5)Les événements sont racontas dans le cyl. d A>ourbanipal, II!. 95 ss.
(6)Ibid.. II, 111 ss. Le nom du Pharaon est transcrit Tusamilhi. 11 s'agit de Psamméti-
que 1" qui régna à peu près de l'an 6fi3 à l'an 610 av. .J.-C. Hommel, Gesch. des ait. Morgen-
landes. p. 162 .

(7) Connu sous le nom de Tvjjdamim- dans un texte d'Asourbanipal cf. Les Aryens :

avant Cyrus [Conférences de Saint-Étienne, 19)0-1911, p. 93i.


(8) Cyl. d'Asourbanipal, II. 115 ss. Pour la date, Radet, op. laud., p. ISl.

(9) Cyl. d Asourbanipal, 11, 120 ss. Radet. op. laud., p. 189 s.
32 REVUE BIBLIQUE.

des hostilités entre les deux pays auraitété, d'après Hérodote (1, 73-7i).
le refus d'Alyatte de rendre au roi des Mèdes les déserteurs seythes

réfugiés en Lydie. Cette opinion n'a rien que de très vraisemblable


si l'on se souvient de la pénétration intime des éléments seythes et

mèdes en Asie (1). La guerre dura six ans et fut interrompue par

la fameuse éclipse du 25 mai 585, qu'avait prédite Thaïes de Milet 2).


Selon Hérodote, Cyaxare aurait alors accepté pour son fils Aslvage
la fille d'Alyatte. Mais Astyage régnait depuis l'an 588. Ce fut lui qui
finit la guerre et épousa la fille du Lydien (3). Il était donc le gendre

d'Alyatte. Ce dernier étant mort vers l'an 560 av. J.-C. (V), son fils
Crésus avait vécu en paix avec son beau-frère Astyage. Toute son
activité s'était concentrée sur les aôaires intérieures. H avait eu à
lutter contre le parti des Grecs révolutionnaires qui voulaient placer
sur le trône le frère cadet de Crésus, Pantaléon, né d'une Ionienne (5).

Puis, Crésus avait subjugué ville par ville, toute la côte ionienne,
et particulièrement les cités d'Éphèse et de Milet (6). Sur la rive gauche
de l'Halys il avait réduit les Phrygiens et les Mysiens, les Mariandy-
niens, les Paphlagoniens et les autres peuples de l'Asie Mineure,
sauf les Lyciens et les Ciliciens. <( Ces deux nations exceptées, l'Ana-
tolie entière, depuis l'Anti-Taurus jusqu'à la mer Egée, et depuis le

Pont-Euxin jusqu'au golfe de Pamphylie, fut obligée d'obéir au Mer-


mnade (7. »
On voit quel immense empire se dressait au delà de l'Halys pour ar-
rêter l'élan de Cyrus et des forces toutes jeunes des Perses et des Mèdes.
Crésus ne pouvait voir que d un très mauvais œil un barbare venir
de l'ÉIam en Médie renverser le trône de son beau-frère Astyage. Il
prévoyait que cette puissance déborderait bien vite le fleuve qui sé-
parait les deux royaumes. Il résolut d'y faire obstacle avant qu'elle

(1) Nous avons trailé celtequeslion à propos de la chule de Ninive, dans Les Ar)jens avant
Cyrus (Conférences de Sainl-Éticnne. 1910-1911. p. 100 s.).
(2) HÉRODOTE, 1, 74. Cf. R.\ni;T, op. laud., p. 203, n. 2.

(3) Remarquer que, d'après Cicéron, Solin, Eusébe, S. Jérôme


isuivis par Curlius et

Gelzer), c'est précisénienl sous le règne d Astyage qu'ont lieu les événements rapportés par
Hérodote au règne de Cyaxare. Radet cherche à tout concilier en prétendant que Cyaxare
était alors roi des Mèdes. mais son tils Astyage commandant des troupes (La Lydie et le
monde grec, p. 20 i. n. 3i. Selon nous, Cyaxare a entame les liostilitcs vers l'an 591 et est
mort avant la tin de la campagne. Son fils Astyage monte sur le trùne en l'an 588 et termine
les hostilités Tannée de lédipse, 585 av. J.-C.
(4) Il a régné cinquante-sept ans au dire d Hérodote (I, 25), mais il semble bien que les

sept années sont de trop dans ce nombre. Crésus doit régner quatorze ans (Hérodote, I, 86).
Or, la prise de Sardes aura lieu en l'an 54G av. J.-C.
(5) HÉRODOTE, I, 92.

(6) R.A.DET, op. laud., p. 208 ss.


(7) Ibid.,^. 221.
CYRUS LE GRAND. •
33

ne devint irrésistible(1). Après avoir assuré la paix intérieure de son

royaume, il demanda l'alliance des Lacédémoniens qui la lui pro-


mirent (2). En même temps, il faisait un traité avec le roi d'Ég-ypte,
Amasis(Âhnias II), et reprenait ainsi la fatale politique de Gygès(;3). Le
roi de Babylone, Nabonide (55i-539 av. J.-C), qui est appelé Aa6jvY;T:ç
par Hérodote, et qui nous l'avons vu — avait d'abord considéré —
Cyrus comme l'exécuteur des vengeances divines contre Astyage, ce
Nabonide s'était inquiété lui aussi de son voisin du nord et de l'est.
Il avait promis sonconcours à Crésus (4). Enfin, les réponses ambiguës

de la Pythie de Delphes avaient achevé de griser le mcmarque et de


lui faire entrevoir un succès assuré (5). Du côté de la mer, des vais-
seaux arrivaient d'Egypte, de Chypre et de Phénicie ; des mercenaires
étaient levés en Thrace (6].

Cyrus avait triomphé d'Astyage grâce à la trahison d'Harpage. Ce


fut encore la trahison qui le servit contre Crésus. Un Éphésien, dont
le nom, Eurybate, devait devenir synonyme de « pervers » ou « mé-
chant » (7), avait été chargé par Crésus de se rendre dans le Pélopo-
nèse pour y lever des troupes à prix d'argent (8). Il s'enfuit auprès
de Cyrus et le prévint de la coalition organisée par Crésus. Vif
comme l'éclair, le roi des Mèdes et des Perses traverse l'Assyrie pour
se diriger vers l'Halys. Crésus, obligé de précipiter son plan de cam-
pagne, vient à la rencontre de son adversaire, franchit iHalys et
s'empare de Ptérie en Cappadoce (9). Cyrus franchit l'Euphrate du
côté de Mélitène et se porte vers la Cappadoce par la route qui va
de Malatia à Sivas (10). Ainsi il arrivait aux frontières de la Lydie.
Selon Diodore, il aurait alors offert au Mermnade de faire la paix si
celui-ci consentait à se dire son vassal. C'eût été reprendre l'état de
choses qui avait profité à la Lydie sous Asourbanipal. Crésus répon-
dit insolemment que l'état d'esclavag-e convenait bien aux Perses et
à Cyrus qui avaient été les vassaux des Mèdes, tandis que lui n'avait
jamais servi personne. Dans la plaine de Ptérie les deux armées se

(1) HÉRODOTE, I, 46.

(2) Ibid., 70.


(3) Ibid., I, 77.

(4) Jbid.
(5) Ibid., I, 53, 55.

(6) XÉxoPHON, Cyropédie, Vi, ii, 10 s. Cf. Radet, op. laud., p. 245.
(7) Diodore de Sicile. IX, 32.
(8) Ibid.
(9) Hérodote, I, 76. L'identification de Ptérie avec Boghaz-keuï est généralement admise
(Radet, op. laud., p. 246, n. 2). Cette identification est loin d'être assurée (H. Kiepert,
Formx orbis antiqui, VHI, 1910, p. 13 du texte;.
(10) Itinéraire d'après Diodore (IX, 31), dans Radet, op. laud., p. 246 s.

revue biblique 1912. —


n. s., t. i\. 3
34

REVUE BIBLIQUE.

heurtent sans résultat, mais Crésus songe qu'il est plus prudent pour
lui de se replier sur Sardes, sa capitale, et d'attendre ses alliés de
Sparte, d'Egypte, deBabylone (1). Cyrusne perd pasde temps. Il arrive
dans la plaine qui s'étend à l'est-nord-est de Sardes et, grâce à un
stratagème (2), il réussit à débander la fameuse cavalerie lydienne.
Crésus est bloqué dans Sardes. Hérodote, Ctésias, Xéuophon, Polyen
donnent chacun un récit difTérent concernant la prise de la ville (3).
Ce qui est le plus sûr, c'est que le siège ne dura pas plus de quatorze
jours (Hérodote, I, 8i) et que les machines de guerre des Perses, en
particulier les béliers, y jouèrent un rôle considérable (i). Nous
sommes en l'année 5i6 av. J.-C. (5). Crésus tombe entre les mains du
vainqueur. Qu'advint-il ensuite du roi des Lydiens? L'antiquité a
insisté beaucoup sur le bûcher de Crésus. Cyrus et les Perses auraient
exposé aux flammes le roi prisonnier, et celui-ci n'aurait été délivré
que par une merveilleuse intervention ou par la clémence de Cy-
rus (6). Les modernes ont interprété ces récits comme si le bûcher avait
été allumé par Crésus lui-même qui aurait renouvelé l'acte désespéré
de Samas-souma-oukin, le dernier roi de Babylone, ou qui aurait
voulu reproduire le rite religieux de la mort d'Hercule-Sandon sur
son bûcher (7). Selon nous, c'est le rite annuel des fêtes lydiennes qui
a créé la légende. Crésus ne se suicida pas et Cyrus ne fit pas dresser
un bûcher pour y placer une victime humaine. Il fit pour Crésus ce
qu'il avait fait pour Astyage. il l'emmena avec lui comme captif (8).
C'était le second roi qui ornait le triomphe du conquérant.
Par la prise de Sardes, Cyrus était maître de toute l'Asie occiden-
tale, sauf la Babylonie. Les villes de la côte ionienne qui, déjà,
avaient été soumises par Crésus, demandèrent la paix. Cyrus, outré
du refus qu'elles avaient opposé à une tentative de soulèvement

(1) HÉRODOTE, I, 76-77.

(2) On aurait placé au premier rang les chamelles qui portaient les bagages. La vue et
l'odeur des chamelles rendent ombrageux les chevaux lydiens et jettent le désordre dans
l'armée (Hérodote, I, 80).

Sur ces récits et la critique à laquelle il faut les soumettre, Radet, op. laud.,
(3)

p. ss. La prise de l'acropole de Sardes était restée proverbiale comme la prise de


251
Babylone (Lucien, De merc. concl., 13).
(4) DuREAi DE i.\ Malle, Mémoire sur la poliorcétique des Perses (t. XVHI des Mém.
de l'Inst. nation, de France), p. 420 s.
(5) La discussion chronologique dans Radet, op. laud., p. 141.

(6) Récits d'Hérodote, de Xanthos, de Nicolas de Damas, etc.. (ibid., p. 254 ss.).

(7) Explication de Raoul Rochette, acceptée par Radet {op. laud., p. 258) et IWaspero
{Hist. anc. des peuples de l'Orient classique, HI, p. 618).
(8) Hérodote insiste sur les bonnes relations qui existèrent entre le vainqueur et le
vaincu (I, 90).
CVRUS LE GRAND. 35

contre Crésus, refusa de la leur accorder (1). Seule, Milet fut traitée
avec égards. Le général de Harpage, entreprit la conquête des
Cyriis,

villes de la confédération ionienne du Panionium (2). Elles ne purent


résister aux machines de guerre que les Perses avaient amenées avec
eux (3). Cyrus était pressé de rentrer dans son royaume et il laissa
à ses généraux le soin de réduire l'insurrection lydienne dont le
trésorier Pactyas avait été l'instigateur (ii. Le Perse Tabale reçut
le gouvernement de la Lydie (5). Ce qui rappelait Cyrus, c'était la
crainte que les Aryens de l'est (6) et les Babyloniens du sud ne pro-
fitassent de l'absence du grand roi pour envahir l'Assyrie ou la
Médie (7j.

Ainsi le vainqueur n'avait fait qu'une apparition extrêmement


courte au pays de la monnaie. Il n'eut pas le loisir de se rendre
compte de visu de l'importance que l'invention des Lydiens devait
avoir pour le commerce général et l'administration des finances im-
périales. Il avait laissé à d'autres le soin d'amener dans son pays l'or
de Crésus (8). Les ateliers royaux ne continuèrent pas la frappe de
la monnaie. C'est à Darius 1" que reviendrait l'honneur d'introduire
en Perse le merveilleux moy^en d'échange qu'avaient découvert les
Lydiens. Ni Cyrus, ni Cambyse ne s'en préoccupèrent. C'est pourquoi
les premières monnaies perses portèrent le nom de Darius, 7TaTY;p
oapE'./.iç (9), le darique.

Deux empires restaient seuls en présence sur la scène du monde


oriental : les Perses et les Babyloniens. Ceux-ci avaient profité de
la chute de Ninive pour se reconstituer en royaume indépendant.
Laissant l'Assyrie aux iMèdes, ils s'étaient efforcés d'étendre leurs
possessions vers L'œuvre du fondateur de la nouvelle
l'occident.
dynastie, Nabopolassar (625-605 av. J.-C), nous est très peu connue.
Par contre, son fils Nabuchodonosor II (604-562) se rendit célèbre non
seulement parles constructions somptueuses dont il embellit Babylone,
mais encore par ses campagnes en Syrie et en Palestine. Ses inscrip-
tions du Wàdi-Brisâ et du Nahr el-Kelb dans le Liban redisent
comment le monarque envoyait tailler les cèdres du Liban pour la

{!) HÉRODOTE, I, 141.

(2) Ibid., 162.

(3) Dlreau de l.4. Malle, op. laud., p. 412 ss.

(4) HÉRODOTE, I, 153.

(5) liid.
(6) Scythes (Saces) et Bactriens.

(7) HÉRODOTE, I, 153.

(8) Ibid.
(9) Sur cette question, Babelon, Catalogue des monnaies grecques de la Bibliothèque
nationale, Les Perses Achcmênides, p. m.
3G REVUE BIBLIQUE.

construction des temples de Mardouk et de Nabou à Babylone (1). Les


Juifs surtout conservaient un triste souvenir de ce prince. Il avait
d'abord assujetti le roi Joiakim, puis fait prisonnier son fils. Joiakin.
Ce fut alors (597 av. J.-G.) que les Babyloniens pénétrèrent dans
Jérusalem, saccagèrent la ville et pillèrent le temple (2). L'oncle
de Joiakin, qui s'appelait Mattaniah. avait été placé sur le trône de
Juda, comme vassal de Nabuchodouosor, et celui-ci lui avait imposé un
nouveau nom, celui de Sidqiyâhou (Sédécias) (3). L'Egypte ne fran-
chissait plus la frontière du torrent d'Egypte et les Juifs auraient pu
vivre tranquilles sous la suzeraineté du Babylonien. La révolte de
Sédécias, en 587 av. J.-C, amena de terribles représailles. Jérusalem
fut assiégée et prise, le roi et la nation emmenés captifs, les murailles

de la ville démolies méthodiquement, le temple et les principaux mo-


numents incendiés (i\ Ainsi commençait l'ère, à jamais maudite

par la tradition juive, de la captivité de Babylone. Le successeur de


Nabuchodouosor II, Awêl-Mardouk, ne fit que passer sur le trône
(561-559) et resta pourtant célèbre, chez les Hébreux, sous le nom
d'É^vil-Mérodak, à cause de sa magnanimité à l'égard du roi déporté,
Joiakin (5). Par contre, les Babyloniens le considérèrent comme un
impie, etune faction, commandée par son beau-frère, Nergal-sar-ousour
(Nériglissar), le détrônaaprès deux ans de règne (6). A Nériglissar
(559-556) succéda pour quelques mois son jeune fils Labasi-Mardouk.
Une révolution de palais renversa cet enfant et le chef des conjurés,

Nabou-na'id (Nabonide s'assit sur le trône, l'an 555 av. J.-C. [1).
i,

Étrange figure que ce Nabonide qui clôt la dynastie néo-babylo-


nienne. Fils d'une prêtresse du dieu-lune à Harran, il tient de sa
mère un goiU profond pour les choses religieuses. Son acti^-ité se dé-
pense à rechercher dans les entrailles du sol les vestiges de la piété
des anciens. Les cultes astraux de Sin (la lune) dans la ville de sa
mère, de Samas (le soleil) à Larsa [Senkereh) et à Sippar [Aboii-
Habbah), il s'attache à les faire revivre plus resplendissants que par
le passé. Il faut lire ses explosions de joie quand il peut mettre la
main sur les barillets de fondation des rois qui élevèrent des temples

(1) Ces inscriptions ont été nouvellement éditées, avec traduction et commentaire, par
Weissbach, dans les publications scientifiques de la Société orientale allemande, fasc. 5
(1906).
(2) II Reg., 24, 10 ss.

(3) Ibid., 17.


(4) II Reg., 25, 8 ss.

(5) Ibid., 27 ss.

(6) Les récits de Bérose (C. Muller, Fragm. hist. grsec, II, p. 507) et d'Abydène [ibid.,
IV, p. 283) sont confirmés par la stèle de Nabonide à Constantinople, col. V.
(.7) Ibid.
CYRUS LE GRAND. 37

aux divinités de Chaldée. Nous avons vu comment il considérait Cyrus


comme Texécuteur des vengeances divines contre Astyage qui n'avait
pas craint de livrer à ses troupes scytho-médiques la ville sainte de
Harran. Tout en se félicitant du succès remporté par le Perse, il ne
vovait pas sans inquiétude l'immense empire qui, d'Élam en Asie
Mineure, barrait aux Babyloniens toute issue vers l'Est et le Nord.
C'est ce qui l'avait porté à s'associer à Crésus, dans la coalition des
forces orientales contre le nouveau monarque. Cette alliance néfaste
devait causer sa perte et celle de son royaume. La Babylonie, d'ail-
leurs, était loin d'être apaisée par l'accession de Nabonide au trône.
Ce visionnaire se vantait complaisamment des apparitions dont
l'avaient gratifié Samas et Adad (1), Mardouk et Sin (2), et même
Nabuchodonosor II avec son vizir (3). Sa manie d'archéologie sacrée
l'avait persuadé qu'il fallait collectionner à Babylone les statues des
dieux anciens, de ceux qui avaient présidé aux beaux jours de la
splendeur chaldéenne (4). C'était le comble de l'impiété. Tout le
début du cylindre de Cyrus, malheureusement très mutilé, enregis-
trait ces forfaits de Nabonide. Le parti hostile au roi celui qui —
avait soutenu Amêl-Mardouk et Labasi-Mardouk insista sur cette —
sorte de démence. On citait même une prophétie de Nabuchodo-
nosor II concernant la chute de Babylone. Le dernier roi devait être
la cause du malheur de ses concitoyens, et Nabuchodonosor souhaitait
que ce traître, « prenant une autre route, errât à travers le désert où
l'on ne rencontre ni les villes ni la trace des hommes, où les fauves
trouvent leur pâture, où les oiseaux tournoient, et qu'il demeurât
seul errant entre les rochers et les ravins (5) ». Cette pseudo-pro-
phétie fut appliquée à Nabonide. C'est lui, en effet, qui fut atteint de
cette folie dont parle Daniel (iv, 31 ss.), car c'est bien lui l'homme
aux songes (6) qui devait, durant un certain temps, être dépossédé de
son pouvoir [Dan., iv, 24 ss.). On le relégua à Têmâ (7), depuis la
septième année de son règne (548 av. J.-C.) jusqu'à la onzième,
comme ^n le voit par la chronique Nabonide-Cyrus (8). Mais c'est là

(1) Grande inscription d'Our (Mougeyir), col. II, 47 ss.


(2) Grand cylindre de Sippar (Abou-Habbah), col. I, 16 ss.

(3) Cylindre de Constantinople. col. VI, 12 ss.

(4) Cyl. de Cyrus, 9 s.

(5) Mégaslhène, cité dans Abydène (C. MiIller, Fragm. hist. cjrxc, IV, p. 283 s.).

(6) Les apparitions à Nabonide ont toujours lieu dans des songes.
(7) Il est difficile de voir dans celte Témà
la ville de l'Arabie nord-occidentale, car, dans

cette hypothèse, les textes de la chronique Nabonide-Cyrus n'auraient pas à insister sur le
fait que le roi ne vient pas à Babylone pour les fêtes. Dans son exil lointain, le roi n'au-
rait plus eu aucune part au gouvernement ou aux cérémonies.
ii) Recto, II, 5 ss.
38 REVUE BIBLIQUE.

un minimum, puisque le texte est mutilé à partir de la onzième an-


née. Le roi n'apparaîtra pas à la tête des troupes avant Fan 17 et
rien n'empêche de supposer qu'il resta hors des affaires durant les
sept ans qui semblent supposés dans Dan., iv, 16, etc. (1). Durant ce
laps de temps, le pouvoir fut exercé par le fils du roi, le fameux Bal-
thasar, de son vrai nom Bêl-sar-ousour, d'où les Hébreux tirèrent
"iïN*»2?S2 (2). Nabonide avait chéri cet enfant. Il associait son nom à
ses prières quand il disait à Sin, le dieu-lune : « Moi, Nabonide, roi

de Babylone, délivre-moi du péché contre ton auguste divinité et


accorde-moi comme faveur une vie de longs jours. Quant à Bêl-sar-
ousour, le fils aîné, issu de mon cœur, place en son cœur la crainte

de ton auguste divinité Qu'il ne commette pas de péché, qu'il soit


!

saturé de la plénitude de vie (3) » Donc, à partir de l'an sept, Bal-


!

thasar prit le pouvoir. Avec les généraux et les dignitaires, il resta


dans le pays d'Akkad, c'est-à-dire en Babylonie, cependant que le
roi, son père, se morfondait à Têmà (4). Le mois de Nisan (mars-avril)
arriva. C'était le début d'une année nouvelle. Suivant une coutume
immémoriale, on eût dû fêter alors le zagmouk, c'est-à-dire la solen-
nité du nouvel an. On amenait processionnellement à Babylone le dieu
Nabou, qui habitait le temple É-zi-da dans la ville de Borsippa [Birs-
Nimroud). C'était à ce dieu, en effet, qu'il incombait de fixer les des-
tins pour l'année qui commençait. Par la même occasion, une proces-
sion solennelle sortait à travers les rues de la ville et le dieu de
Babylone, Mardouk, quittait son temple, l'È-sag-il, pour se prome-
ner sur les épaules de ses sujets (5). Or, cette année-là, « Nabou ne
vint pas à Babylone, Bel (Mardouk) ne sortit pas : la fête de l'akitou
(nouvel an) était interrompue (6) ». Babylone étaitplongée dans le
deuil. Désireux de venger l'affront que lui avait fait Nabonide

(1) Sur ce chap. 4 de Daniel el que nous avons adoptée, cf. Lagrange,
lioterprélation
RB., 1904, p. 499 ss. Nabonide et non de Nabuchodonosor, c'est oe qui
Qu'il s'agisse bien de

est amplement prouvé par Dan., 5, 17 ss., où le fils du roi est Balthazar, plus exactement
BêLsassar, c'est-à-dire Bêl-sar-iisur, fils de Nabonide.
(2) On avait à celte époque une tendance
à remplacer la lettre r par la lettre n : cf.

*1ïN3"T-l23 et "li'N'Ti^'aa pour le même Nabû-kudur-usur. On \\x\, Bêl-éan-usur, ^o\\

Bêl-san-snr, finalement Bêlsas.pir, ']^iiXi'^2-

(3) Dans notre ouvrage sur La religion assyro-baby


Ionienne, p. 254 s. Qu'on veuille
bien comparer avec Baruch, 1, il s. Et orate pro vita Nabuchodonosor régis Babylonis
:

et pro vita Baltassar filii ejus, ut sint dies eorum sicut (lies cœli super terram, etc.

Il s'agit toujours de Nabonide et de son fils.

(4) Chronique Nabonide-CjTus, face, II, 5 ss.

(5) Sur cette fête du zagmouk {rês satti, r\:'Cr\ ^N1), cf. ia religion assyro-babylo-

nienne, pp. 98 et 194. La procession du dieu, ibid., p. 258.

(6) Chronique Nabonide-Cyrus, recto, II, 6. Nous interprétons akilu par « nouvel an »

(cf. notre Choix de textes..., p. 107, 75).


CYRLS LE GRAND. 39

en s'unissant à Crésus, Cynis commençait dans le nord à ravager


le pays d'Akkad. Les dieux avaient été irrités par les sacrilèges du
superstitieux Nabonide. Le conjurateur, chargé d'apaiser la divinité,
offre des sacrifices aux dieux de Babylone et de Borsippa, mais sans
sortir du temple {i .

Cependant rien de grave ne se produisit durant la huitième année


(547 av. J.-C. La chronique constate, au début de la neuWèrae an-
.

née, que le roi Nabonide est toujours à Têmà, tandis que le fils du
roi, les grands et l'armée sont à Babylone. La fête du nouvel an est

encore supprimée « Nabou ne vint pas à Babylone, Bel (Mardouk'


:

ne sortit pas. » Le cinq du mois deXisan, la mère de Nabonide meurt


à Dour-Karasou sur l'Euphrate, en amont de Sippar C'est le fils du
i .

roi, avec ses guerriers, qui porte le deuil et organise les rites funé-
raires. Or, d'après l'inscription même consacrée à la mère de Nabo-
nide et retrouvée récemment par M. Pognon, il est clair que le roi
s'estrendu près du cadavre de sa mère ''2'. La ville de Tèmâ était
donc située quelque part dans la Babylonie du Nord et c'est là que
Nabonide attendait un meilleur destin pour lui-même et pour son
peuple. Les événements allaient se précipiter. Durant ce même mois
de Nisan, Cyrus, que la chronique n'appelle plus « roi d'Ansan >>

comme au moment de sa lutte avec Astyage, mais plus justement


« roi de Perse », Cyrus a franchi le Tigre au sud d'Arbèles (3 Le .

mois d'Ayar avril-mai' est consacré par lui à une campagne contre
le roi d'un pays dont le nom a disparu de la chronique. Ce roi est

tué. Cyrus remplace la garnison du vaincu par sa propre garnison [ï).


De plus en plus l'orage s'amoncelle à l'horizon de Babylone. C'est
encore la tristesse, et non la joie, qui préside au début des années
10 et 11. A partir de ce moment la chronique est lacuneuse. 11 est
probable que. l'an li (54*2 av. J.-C), elle racontait le retour de Na-
bonide dans sa capitale. Toujours que, la dix-septième année est-il

(539 av. J.-C), le roi se trouve Babylone et les fêtes religieuses à


recommencent. Au mois de Nisan, on célèbre le nouvel an. Les dieux
de la ville de Kis el-Oheimir et de Harsag-Kalama près de Kis font
leur entrée à Babylone. On continue de faire venir les statues des
principales villes de l'est et de l'ouest (5). Nous avons vu déjà que ce
sera le grand reproche adressé par Cyrus à Nabonide.

(Ij Chronique Nabonide-Cyrus, recto. II. 7 s.


(2) RB., 1908, p. 135.
(3) Chronique Nabonide-Cyrus. recto, II. 13 ss.
(4'i Ibid., 16 ss.

(h) C'est ainsi qu'il faut interpréter (f haut > et <; bas > dans la Chronique Nabonide-
Cyrus, verso, T, 11.
40 REVUE BIBLIQUE.

La préoccupation religieuse de Nabonide était grande. Il voulait


sauver, au moins, les Pénates des diverses cités soumises à son sceptre.
Mais c'était un manque de confiance envers la divinité. A qui reve-
nait le soin de sauver une ville? Au dieu de la cité (1 ), En fait, Na-
bonide abandonnait à leur malheureux sort les villes de la Babylonie
septentrionale. Il concentrait à Babylone non seulement ses troupes
humaines, mais encore les forces divines. La Chronique constate que
« les dieux de Borsippa, de Koutha et de Sippar n'entrèrent pas » à
Babylone que déjà Cyrus envahissait cette région. Au mois
[2). C'est

de Tamraouz (juin-juillet), Cyrus livre une bataille à l'armée babylo-


nienne, qui s'était portée à Opis sur le Tigre (3). Il est vainqueur et
sempare de Sippar {Abou-Habbah) sans coup férir, le 14 du mois de
Tesrit (septembre-octobre) (4). Nabonide, qui était venu jusqu'à Sip-
par, prend la fuite et se renferme dans Babylone. Deux jours après,
le pacha du pays de Goutioum, qui portait le nom de Goubarou (5)

(Gobryas), à la tête des armées de Cyrus entrait dans Babylone sans


combat (14 Tesrît 539 av. J.-C). Il est invraisemblable que la ville
se soit rendue sans résistance. Ce qui est tout à fait probable, c'est
qu'elle n'eut pas le temps de se reconnaître, et qu'un stratagème ima-
giné par Cyrus (Hérodote, I, 191) introduisit Gobryas dans la cité (6).
Selon Hérodote, la ville était en pleines fêtes quand eut lieu la catas-
trophe. Xénophon insiste sur ce détail et remarque que les Babylo-
niens devaient boire toute la nuit (7). C'est le fameux festin de Bal-
thasar [Dan., v). D'après Xénophon, Cyrus a choisi exprès ce jour de
fête. C'était probablement l'une de ces solennités religieuses que Na-

bonide avait réorganisées depuis son retour. Ne nous étonnons pas


de voir les Babyloniens en train de s'enivrer dans la circonstance. Le

(l) Cf. noire ouvrage, La relifjion assyro-babylonienne, p. 129 ss.

{2) Chronique Nabonide-Cyrus, verso, I, 11 ss.


(3) Le nom de lleuve a été lu jusqu'ici Nisallat, Zalzallat. Il est écrit NI-NI-lat. Or le

signe NI a les valeurs i et dig. H faut lire i-dig-lal qui est le nom babylonien du Tigre.
La ville d'Opis se trouve précisément à l'embouchure du riiuscos (Adhem) dans le Tigre
(Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 205 s.). Hérodote a soin de mentionner que le Tigre
passe par Opis (I, 189).

(4) D'après le texte de la Chronique, on croirait qu'il s'agit encore du mois de Tammouz.
Mais, lorsqu'il s'agit de faire venir les dieux à Babylone, on voit que cette opération dure
jusqu'à la lin du mois d'Éloul (août-septembre). C'est le mois suivant que doit avoir lieu

la prise de Babylone. Cf. Mevf.r, ZATW.. XVIII, p. 339 ss.

(5) Var. Ougbarou. Ce personnage devait devenir célèbre sous Cambyse : il est le Go-
bryas d'Hérodote (III, 70, etc.).

(6) La prise d'une ville par un canal, par un égout, par un fleuve, est un fait souvent
signalé dans le folk-lore antique.
(7) Cyropédie. VII, v, 15. La soudaineté de la catastrophe est bien exprimée dans Is..

47, 11.
CYRUS LE GRAND. 41

récit du déluge nous montre Outa-napistim faisant boire à ses gens


le moût, le vin de sésame, l'huile et le vin il ajoute de vigne, puis :

« Je fis une fête comme au jour de l'akitou », c'est-à-dire comme au

nouvel an, la fête religieuse par excellence (1). Si la trahison avait


favorisé Cyrus dans la lutte contre Astyage (trahison d'Harpage) et
contre Crésus (trahison d'Eurybate), elle le favorisa encore dans la
prise de Babylone. Ce Goubarou (Gobryas) qui, d'après la chronique
Nabonide-Cyrus, entra le premier dans Babylone (comme Joab dans
Jérusalem au temps de David), ce Goubarou n'était pas un Perse, mais
un Babylonien dont le fils avait été tué par le roi de Babylone (2).
C'est à lui que Cyrus donna Tordre de forcer l'entrée de la ville
comme étant celui qui connaissait le mieux la situation topographi-
que (3). Avec son ami Gadatas, un autre transfuge de Babylone, Go-
bryas pénètre dans l'intérieur de la cité. Tous deux arrivent jusqu'au
palais royal. Nabonide n'y était pas, car il avait réussi à fuir vers
Borsippa (4). C'est Ballhasar qui est mis à mort par
les deux géné-
raux (5). Nabonide est poursuivi, rejoint et amené prisonnier dans
Babylone (6). De même qu'il avait usé de clémence à l'égard d'As-
tyage et de Crésus, Cyrus fut libéral envers Nabonide. Il ne le mit
pas à mort (7).
La chute de Babylone eut un énorme retentissement. Il semblait
qu'un des pivots de l'ancien monde venait d'être arraché. La cité qui,
depuis près de vingt siècles, avait été la reine de l'Orient, celle dont
les nations avaient admiré la splendeur et le génie, elle s'effondrait
d'un seul coup et devenait la vassale d'un Perse que Nabonide lui-
même avait qualifié de « petit serviteur » d'Astyage 8). Sur les rives
de l'Euphrate, comme sur celles du Tigre et de l'Halys, c'était le nom
de Cyrus qui réveillait l'écho des gloires antiques. Les Israélites qui,
moins de cinquante ans auparavant, avaient été emmenés captifs en

(1) Noire Choix de textes..., p. 107.

(2) XÉNOPHON, Cyropédie, IV, vi. L'auteur parle de Gobryas comme d'un Assyrien et du
roi, comme du roi des Assyriens. Dans la Cyropédie, Assyrien est synonyme de Babylonien,

et Babylone est considérée comme la capitale des Assyriens cf. sous le mot Assyrii dans
:

le Xénophon de Didot, p. 768. Le nom de gubaru n'est pas un nom perse, mais un nom

babylonien k le fort « (*12i) ; même l'orme que quradu « le brave, le guerrier ».

(3) XÉNOPHON, Cyropédie, VII, v, 20.

(4) D'après le récit de Bérose (Miiller, Fragm. hist. grœc, II, p. 508).
(5) Dan., 5, 30, confirmé par Xénopbon, Cyropédie, VII, v, 30 (le nom du roi n'est pas
donné).
(6) C'est ainsi que nous comprenons la Clironique Nabonide-Cyrus, verso, I, 16, combinée
avec Bérose (loc. laud.).

(7) D'après Bérose {loc. laud.), Nabonide mourut de sa belle mort en Carmanie, c'est-à-
dire dans le pays actuel de Kermân, à lest de la Perse proprement dite.
(8) Grand cylindre de Sippar, I, 29.
42 REVUE BIBLIQUE.

Babylonie, saluèrent cette catastrophe comme la vengeance de lahvé


et Taurore de la libération en redisant les paroles d'Isaïe :

Descends, assieds-toi dans la poussière,


Vierge, fille de Babylone!
Plus de trône! assieds-toi à terre,
Fille des Chaldéens!
Plus jamais on ne t'appellera
Délicate et voluptueuse!...
J'exercerai ma vengeance implacable,
Dit notre rédempteur :

Son nom est lahvé des armées,


Le Saint d'Israël (1)!

Les regards des captifs se tournaient vers la sainte Sion, car la prise
de Babylone par un étranger dont la conduite à l'égard de FAssyric
et de la Lydie était un gage de libéralisme, c'était une perspective
nouvelle qui s'ouvrait sur l'avenir :

Une voix crie :

Dans le désert ouvrez la route de lahvé.


Aplanissez dans les steppes la voie à notre Dieu.
Que toute vallée soit comblée,
Que toute montagne et colline s'abaisse (2)!

Chez les Grecs. Babylone était considérée comme le type de la


grande capitale orientale, tant par sa masse et ses richesses que
par la splendeur de ses monuments et la force de ses murailles (3).
On disait, par manière de proverbe, « tu as pris Babylone » pour
marquer le nec plus ultra des actions remarquables (4). C'est que
l'orgueilleuse cité, fîère de ses fortifications et de ses tours, avait ou-
blié le triste souvenir du pillage et de la destruction méthodiques
dont elle avait été l'objet de la part du roi d'Assyrie, Sennachérib,
en l'année 689 av. J.-C. (5). Elle s'imaginait n'avoir rien à craindre
de l'étranger, et Nabonide nous l'avons vu —
avait été le premier —
à s'applaudir de la prise d'Ecbatane par Cyrus. Les Hébreux pou-
vaient l'interpeller avec ironie (6) :

(1) Is.. 47, 1 ss. (trad. Condamin, p. 286).


(2) Is., 40, 3-4 (trad. Condamin, p. 240 s.).
(3) Les textes des classiques ont été coUigés par Bauinstark (art. Babylon dans l'encyclo-
pédie de Paily-Wissowa, II, 2667-2668).
(4) Llcien, De merc. cond., 13 : [iâ).),ov Sa BaêuXwva eDriça; r, tï)v lâpSswv à-/p67to)iv ya-
6fipr5xaç.

(5) RB., 1910, p. 518.

(6) Is., 47, 7 (trad. Condamin, p. 287).


CYRUS LE GRAND. 43

Tu disais : « Je durerai toujours,


A jamais souveraine ! >>

Et tu ny^s point réfléchi;


Tu ne pensais pas à la fin!

Les troupes de Cynis avaient été formées à la tolérance. Le pre-


mier acte des vainqueurs fut de respecter lesédiflces religieux. Xéno-
phon raconte comment Gadatas et Gobryas commencèrent par rendre
hommage aux dieux de ce qu'ils avaient puni le roi impie Baltha-
sar) 1). La Chronique est plus explicite Jusqu'à la fin du mois, les : (^

boucliers du pays de Goutioum entourèrent les portes de l'É-sag-il


(temple de Mardouk à Babylone L'arme de personne ne fut placée.

dans l'É-sag-il et les aucun enseigne ne s'y


'autresi temples, et
avança 2). » On garde les souille par aucune
les sanctuaires. On ne
profanation. Il faut attendre l'arrivée du nouveau roi de Babylone. Le
3 du mois de Marlieswan 'octobre-novembre Cyrus fait son entrée ,

solennelle dans la ville nouvellement conquise; les nobles viennent à


sa rencontre (3i. Au lieu d'imiter les conquérants sémitiques qui met-
tent au pillage les villes conquises. l'Aryen Cyrus prononce une parole
de clémence " Le salut est fait à la ville, Cyrus ordonne le salut pour
:

Babylone tout entière (4). » Le Babylonien Goubarou Gobryasy fut


nommé gouverneur de la cité,
Cyrus se présentait à la ville sainte non pas comme un conquérant
vulgaire, mais comme un véritable libérateur. L'impiété dont il
accuse Nabonide. c'est d'avoir capté les dieux des autres villes pour les
amener à Babylone. Le roi vaincu a brisé ce lien si fort qui rattache
chaque dieu à sa propre ville 5) et c'est en punition de ce forfait que
le ciel a maudit ses armes. Par contre, Cyrus est l'élu de Mardouk et

c'est lui que le dieu charge du soin de la vengeance. Tous les Baby-

loniens cultivés pouvaient du nouveau roi 'l'ins-


lire, sur le cylindre
cription est en babylonien beau passage suivant
, le Mardouk : '<

considéra la totalité des pays, il les \'it et chercha un roi juste, un roi
selon son cœur, qu'il amènerait par la main. Il appela son nom :

Cyrus, roi d'AnsanI et il désigna son nom pour la royauté sur toutes

(1) Cyropédie, VII, v, .32.

(2) Le passage (verso, I, 16 ss.) est mai compris dans Keilinschr. Bibliothek, 111,2, p. 135.
Corriger d'après Hagen, Beitr. zur Assyriologie, II, p. 223.
(3) On n'a pas interprété jusqu'ici le début de la 1. 19. Le mot hariné (\m ne reparait pas
ailleurs est, selon nous, l'équivalent des D'in (rac. Iiri) de l'Ancien Testament. La forme
babylonienne était harrénu. Quant à l'idéogramme D.\G, on peut lui donner la valeur de
rapâ.du " courir » ou nazàzu « se tenir debout ».
(4) Chronique .\abonide-Cyrus, verso, I, 19 s. Hérodote accentue la différence entre la
conduite de Cyrus dans la circonstance et celle de Darius ;ill, 159 .

(5) La religion assyro-babyloaienne, p. 141.


44 REVUE BIBLIQUE.

choses (1). » Le roi d'Ânsan a été appelé par son nom : Cyrus! C'est
bien la même idée qui se reflète dans Isaïe (xlv, 4) :

Je t'ai appelé par ton nom,


Je t'ai qualiflé sans que tu m'aies connu (2).

De même
que Cyrus exécute apparemment les volontés de Mardouk
à Babylone, de même il exécutera, mais en réalité, les volontés de
lahvé concernant Israël :

Je dis de Cyrus : c'est mon pasteur ;

Il accomplira toutes mes volontés !

Je dis de Jérusalem : qu'elle soit rebâtie,


Et que le temple soit refait (3) !

Cyrus apparaît comme le restaurateur des cultes détruits. Son pre-


mier soin, à Babylone, est de faire retourner les divinités locales cha-
cune dans sa ville [ï) « Depuis le mois de Kisleu (novembre-décembre
: i

jusqu'au mois d'Adar (février-mars"), les dieux d'Akkad (Babylonie) que


Nabonide avait amenés à Babylone retournèrent dans leurs villes. »
Non seulement il les rend à leurs cités, mais il prend soin qu'on y
rebâtisse leurs temples afin qu'ils puissent habiter « une demeure éter-
nelle (5i ». Et le pieux roi demande que tous ces dieux, irrités contre
Nabonide. mais calmés par Cyrus, veuillent bien intercéder auprès de
iMardouk pour lui-même et son fils Cambyse (6).

Cyrus était donc, au point de vue religieux comme au point de vue


politique, le plus tolérant des hommes. Comme les autres Achémé-
nides, il était adorateur du dieu suprême Ahouramazda, mais il n'ex-
cluait pas les dieux des autres nations « Les Achéménides n'étaient :

point monothéistes (7). » Les Juifs, aussi bien que les Babyloniens,
profitèrent de cette tolérance. Il est fort possible que Cyrus, adora-
teur du dieu « qui a créé ce ciel, qui a créé cette terre, qui a créé
l'homme, qui a donné à l'homme la bénédiction (8) », ait reconnu les

mêmes attributs au Dieu des du polythéisme


Juifs, lahvé. En face
exubérant des Babyloniens, la religion des Perses était beaucoup
plus portée à se rapprocher de celle des Hébreux de la captivité. Cette
dernière religion était connue. Il ne faut pas croire que les Juifs se

(1) La religion assyro-baby Ionienne, "p. 157.

(2) Trad. Condamin.


(3) Is.. 44, 28. Cf. /5., 48, 14 ss. (Condarain, p. 293).

(i) Chronique Nabonide-Cyrus, verso, I, 21 ss.


(5) Cyl. de Cyrus, 32.
(6) Ibid., 35. Nous avons cité plus haut le texte où Nabonide priait pour lui-même et son
fils Balthasar.
(7) Lagrange, La religion des Perses, p. 26 [RB., I9ii4, p. 52).

(8) .\insi est qualifié .Vhouramazia dans l'inscriplion de Darius à Naqs-i-Roustem, S 1.


CYRL'S LE GRAND. 45

soient assis, durant toute la durée de la captivité, sur les rives de


l'Euphrate, à chanter les cantiques de Sionet les complaintes funèbres.
Une partie de la population déportée avait trouvé, dans cette ville
grouillante de monde, de quoi déployer son activité mercantile. Le
commerce prospérait. Les Juifs y prirent part. On les reconnaît à leurs
noms où figure l'élément lahvé, écrit Idhù au début des mots, iaœa
à la fm(l). Sans doute, ces noms n'apparaissent qu'au temps de Darius
(Ô21-i86 av. J.-G.) et d'Artaxerxès I''' 4-65-i2i). Mais ces Juifs, restés en
Babylonie malgré ledit de Cyrus. sont bien les descendants de ceux qui
avaient été déportés par Nabuchodonosor qui avaient dû accueillir
II et

Cyrus comme un eux-mêmes avaient été im-


sauveur. Les Babyloniens
pressionnés par le monothéisme des nouveaux venus. Un texte néo -ba-
bylonien semble avoir subi rinfluence de ce contact avec la religion de
lahvé. Le dieu unique des Hébreux concentrait en sa personne toute
la puissance et toute la majesté di^ines. On imagina de les concentrer en
Mardouk, le dieu national de Babylone, et de lui assimiler les grandes
personnalités du panthéon babylonien (2). Que ce fût Ahouramazda,
Mardouk, lahvé, c'était toujours « le dieu des cieux » qu'on vénérait
dans l'antique capitale du monde sémitique (3). Lorsque les Israélites
demandèrent à Cyrus. comme don de joyeux avènement, la permission
de rentrer dans leurs pénates et d'y rétablir le culte de leur Dieu, le

nouveau roi obéit à l'instinct de son libéralisme en leur octroyant cette


faveur. C'était chez lui une idée nettement arrêtée qu'il fallait rendre
à chaque ville, à chaque nation, son propre dieu et ses propres sanc-
tuaires. Ce principe avait guidé sa conduite dès son arrivée à Baby-
lone, et nous avons constaté comment, du mois de Kisleu au mois d'A-
dar, il avait organisé le retour des dieux dans leurs cités. Rien d'éton-
nant si, durant cette première année, il accorde aux Juifs le retour
dans leur patrie et le droit d'y rebâtir le temple de lahvé (i). De même
que les Achéménides sont rois par la grâce d'Ahouramazda », de
(<

même que Cyrus est roi de Babylone « par la grâce de Mardouk ». de


même c'est par la grâce de lahvé qu'il a reçu les royaumes de la
terre (5). Jamais, dans l'histoire de l'Asie occidentale, le syncrétisme
n'avait été poussé plus loin. Les Juifs en bénéficièrent.
Une ère nouvelle commence pour Israël. Le nom de Cyrus y fut béni

Sur ces noms, Zimmern, dans KAT.^, p. 466 s.


(1)

(2) La
religion assyro-baby Ionienne, p. 9S s.
(3) Nous avons vu que le dieu Ahouramazda était le créateur, par suite le Seigneur, des
cieux. Mardouk est « le Seigneur des cieux et de lalerre» dans une foule de textes babylo-
niens. C'est en tant que « Dieu des cieux » que Cyrus reconnaît lahvé 'Esdr., 1. 2, etc.;.
(4) Esdr., 1, 1 ss.

(5) Esdr., 1, 2.
40 REVUE BIBLIQUE.

de génération en génération. Dès la première année, on organisa ces


caravanes de retour qui, périodiquement, ramenèrent à Jérusalem les
fils de ceux qui avaient gémi super flumina Babylonis. Nous n'avons

pas à insister ici sur les événements qui marquèrent les années sui-
vantes et les obstacles que rencontrèrent les Juifs dans leur réinstal-
lation en Palestine (1). Il nous suffit d'avoir constaté combien l'histoire
renfermée dans les livres d'Esdras et de Néhémie, est conforme à ce que
nous connaissons par ailleurs du caractère et de la conduite de Cyrus.
Cyrus régna dix ans à Babylone (de l'an 539 à l'an 530 av. J.-C).
D'après les données des écrivains classiques, Galmet aboutissait à ce
chiffre d'années pour la vie de Cyrus après sa conquête (2). Les fouilles
en Babylonie ont exhumé un grand nombre de contrats ou autres do-
cuments de comptabiKté datés de ce règne. La dernière date est le
21° jour du 12^ mois de la 10^ année (3). Selon Xénophon (4), Cyrus
habitait Babylone durant l'hiver et passait le reste de l'année à Suse
ou à Ecbatane. Forcément il dut prendre contact avec la civilisation
babylonienne. Dans son cylindre, il adopta l'écriture cunéiforme que
les Mèdes n'avaient pas connue (5). On croyait autrefois pouvoir affir-
mer que Cyrus était l'inventeur —
ou, du moins, le promoteur de —
l'écriture spéciale qui sert à écrire le perse dans les textes trilingues
des Achéménides. Si la tombe qu'on montre encore à Mourghab (l'an-
cienne Pasargade) et qui porte cinq fois l'inscription « Je suis le roi

Cyrus, l'Achéménide » en écritures babylonienne, néo-susienne, perse,


si cette tombe du grand Cyrus, la question serait tranchée
était celle
et tout le monde dans notre héros le premier qui
reconnaîtrait
se servit de l'écriture perse (6). Mais nous avons le témoignage
formel de Darius, dans un texte néo-susien il a fait faire des inscrip-
:

tions en (écriture) aryenne, ce qui n'existait pas avant lui (7). Cette

(1) Cf. Van Hoonacker, Néhémie et Esdras (1890), Zorobabel et le second temple (1892),
Nouv. étud. sur la restaur. juive après l'exil de Bal>ylone(iS96). Noies surl'hist. de la
restaur. juive après l'exil de Babylone {RB., 1901, p. 1 ss.).
(2) De l'an du inonde 346(> à l'an du monde 3475, dans son Dictionnaire de la Bible

(art. Cyriis), I, p. 228.

(3) Strassmaier, Leide Cong., 17; Clay, Leg. and comm. transactions (dans The bab.
exped. of the itniversity of Pennsylvania, VIII, 1), p. 4.
(4) Cyropédie, VIII, vi, 22.

(5) En parlant d'Ecbatane (Hamadan), M. de Morgan a pu écrire « Or, après avoir, pen-
:

dant près de vingt ans, suivi les trouvailles qui se font dans ce site, je suis aujourd'hui
convaincu que jamais il ne décèlera rien sur ces peuples, parce que les Mèdes, ne possé-
dant pas aucun document » (Les premières civilisations, p. 408).
l'écriture, n'ont laissé

(6) Sur celte inscription, Weissbach-Bang, Die altpersischen Keilinschriflen pp. 2 et ,

46 s.; Weissbach, Die Acliûmenideninschriften zweiter Art, pp. 10 et 84 s.


(7) Weissbacu, Die Achâmenideninschriflen zweiter Art, p. 77, et surtout Zeitschr.
der deutsch. morgenl. Wi5sensc/jff/"<, XLIII (1909), p. 838 s.
CYRUS LE GRAND. 41

affirmation est confirmée par un passage d'une lettre de Thémistocle r.

Téménide {i'u où Thémistocle demande à son correspondant de lui


envoyer quatre cratères d 'argent sur lesquels sont inscrits d'ancicDs
caractères assyriens (-x 'A^zJz'.x -t. -aXati Ypâ;j.;j.a-a) et non pas ceux que
Darius, père de Xerxès, a récemment apportés aux Perses : jy S.J.z^lzz ( y.

c -7.--\z ZÉirc'j WizzT-'.z 'bix"jzz h;z'x'l-S). On serait, d'ailleurs, étonné que

Cyrus le Grand ait inventé l'écriture nouvelle pour ne nous en donner

qu'une ligne dans laquelle il se donne comme " roi Achéménide »,


alors que dans la généalogie de son cylindre, il se rattache àCambyse,
Cyrus et Téïspès, roisd'Ansan. Nous ferons remarquer, en outre, que —
sur le monument de Mourghab — Cyrus est représenté « vêtu d'un
costume où symboles de l'Egypte se juxtaposent très curieusement
les

aux modes de l'Assyrie r2i ». Et. en effet, le monarque porte sur la


tète » l'un des diadèmes les plus compliqués de la garde-robe pharao-
nique (3) ». Or, le contact entre les Perses et les Égyptiens ne se fit que
sous Cambyse, fils de Cyrus. Nous ne voyons pas comment Cvrus se
serait fait affubler des insignes égyptiens, alors qu'il n'eut
aucun rap-
port avec l'Egypte. Nous concluons donc que, la tombe de Mourghab
étant celle de Cyrus le Jeune et la tradition étant ferme concernant
l'invention de l'écriture perse par Darius, il n'y a aucune raison d'at-
tribuer à Cyrus le Grand la transformation de l'ancienne écriture cunéi-
forme en la nouvelle i). Darius s'est montré un initiateur, en intro-
duisant la monnaie dans son empire: il fut aussi un initiateur en

perfectionnant l'écriture compliquée des Assyriens et des Babvlo-


si

niens, en adaptant cette écriture à une langue aryenne.


Maître du monde Cyrus s'occupa d'organiser l'administra-
oriental,
tion des différentes provinces qui composaient son royaume. Il avait
placé à la tête des plus importantes ses généraux comme gouverneurs
Tabale à Sardes, Gobryas à Babylone. C'était une innovation. Nous
savons que les Mèdes avaient laissé le gouvernement des provinces de
leur empire à des rois vassaux dont la vassalité allait saffaiblissant du
centre à la périphérie. A l'époque de Cyrus, les vassaux ne sont plus

(1) Dans Epistolographi Giwci, éd. Didot, p. 762 ^lettre 21'.


(2) Maspcro, Histoire ancienne..., III, p. 65'i.
''3) Ibid.,
p. 653. Nonobstant ces détails, M. Maspero reconnaît dans le monument la
tombe de Cyrus le Grand.
(4; La thèse de Weissbach sur lanon-identîté du Cyrus de Mourghab avec Cvrus le Grand

me paraît inattaquable. Hommel se range à cette opinion Grundriss..., p. 196 s., p. 197,
n. 1). Ceux qui s'opposent à cette thèse sont d'avis que le développement de l'écriture perse
s'est fait chez les Mèdes avant les Achéniénides cf. HiisiNc, Orient. Litt. Zeitung, 1908,
col.
363 ss. BoRK, Zeitschr. derdeutsch. morgenl. Wissenschaft, 1910, p. 579 s.\ Nous avons
;

vu plus haut comment M. de Morgan a pu aldrmer que les Mèdes n'ont pas connu l'écriture.
48 REVUE BIBLIQUE.

des souverains, mais de simples représentants du roi suprême. Sans


doute, la concentration du pouvoir n'atteignit pas le degré d'unité que
devait lui communiquer Darius (i. C'est à ce dernier qu'il appartient
d'avoir partagé l'empire en gouvernements [xzyjxi' soumise des Perses
qui portaient le titre de satrapes. Il existe des satrapes avant Darius (2),

mais proprement dite ne fut pas organisée avant lui.


la « satrapie »
Dans le souvenir des Perses, le gouvernement de Cyrus avait été le
plus doux des gouvernements. Les conquêtes du roi l'avaient mis en
possession des trésors d'Ecbatane (3), de Babylone (i), et surtout de
Sardes (5). Il était vraiment « riche comme Crésus » et pouvait se
passer de prélever l'impôt sur ses sujets. Aussi, de son temps, comme
du temps de son fils Cambyse, rien n'était fixé concernant l'impôt
et les sujets se contentaient d'envoyer des présents iQ). C'est pourquoi
les Perses disaient un trafiquant, Cambyse un despote,
que Darius était

mais Cyrus un père (7), Ainsi la mémoire de Cyrus devait rester en bé-
nédiction, non seulement chez les Perses auxquels il avait donné la
liberté (8 i, chez les Babyloniens qu'il avait délivrés de l'impie \abonide.
chez les Juifs qu'il avait autorisés à regagner la sainte Sion, mais
encore chez tous les civilisés de l'Asie occidentale qu'il avait gouvernés
sans violences et sans exactions.
L'obscurité la plus complète enveloppe les dernières années de Cyrus.
On ne peut discerner la part qui re\'ient à l'histoire et celle que doit
revendiquer la légende dans l'expédition contre les Massagètes dont
parle Hérodote (I, 201 ss. i. Que Cyrus ait franchi l'Araxe, pour arrêter
le flot des Sc^ihes envahisseurs, cela n'a rien que de très vraisembla-
ble. Quant au roman entre le monarque et Tomyris, la reine des Mas-
sagètes, on peut y voir l'un de ces récits de folk-lore auxquels se
complaît parfois l'imagination d'Hérodote. D'après cette légende,
Cyrus aurait été écrasé dans une bataille terrible entre son armée et
celle de Tomyris. H serait mort dans la mêlée, et la reine des Massa-
gètes,pour venger son propre fils, aurait plongé la tète du cadavre
dans une outre remplie de sang humain, en lui disant u xMoi vivante :

(1) HÉRODOTE, III, 89.

(2) Stein, sur HÉROPOTE. III. 89, n. 2.

'3 La chronique Nabonide-Cyrus spécifie que Cyrus emporta au pays d'Ansan « l'argent,

l'or, les trésors qu'il avait pillés à Ecbatane » 'recto. II, 3 ss.^.

(4) Hérodote insiste longuement sur les richesses des Babyloniens, au moment oii Cyrus
s'empare de la ville (I, 192;. La ville était, au dire d'Eschyle [Perses, 53), TtoXyxp'JffoÇ-
(5) Le roi avait chargé le Lydieu Pactyas de transporter l'or de Crésus et des Lydiens.
(6) HÉRODOTE, m. 89.

(7) Ibid.
(8; HÉRODOTE, MI, i.
CYRLS LE (iRANO. 49

et ayant triomphé de toi dans un combat, tu m"as perdue en prenant


mon fils par la ruse; mais moi, comme j'en ai fait la menace, je t'assou-
virai de sang (1). j) Déjà, à l'époque d'Hérodote, circulaient plusieurs
versions sur cette mort et, si l'auteur donne celle-là, c'est qu'elle lui
parait la plus croyable 2'i. \ous en sommes aujourd'hui encore à l'état
dig-norance que signalait Calmet : « Les auteurs sont fort diflerents
entre eux sur le genre de sa mort. Hérodote, Justin 3) et Valère
Maxime [ï^ racontent qu'il mourut dans la guerre contre les Scythes...
Diodore de Sicile(ô) dit qu'ayant été pris dans un combat, il fut atta-
ché à une potence. Gtésias (6) assure qu'il mourut d'une blessure qu'il
avait reçue à la cuisse. Jean Malela (7) d'Antioche citeun prétendu
écritde Pythagore de Samos, qui portait qu'il avait été tué dans un
combat naval contre ceux de Samos. Xénophon [Si le fait mourir paisi-
blement dans son lit au milieu des siens. » Quant à la tombe de Cyrus
à Mourghab, où on la montrait déjà du temps d'Alexandre (9), nous
avons dit plus haut qu'elle était probablement celle de Cyrus le Jeune.
La mort de Cyrus, comme sa naissance, n'appartient pas à l'histoire.
C'est ce qui permit à Xénophon de faire de son héros le sujet de son
roman pédagogique, la Cyropédie, et de placer sur une même tête
les anecdotes et les traits de mœurs qui devaient caractériser le plus
parfait d'entre les princes (10).
P. Dhorme, 0. P.

(1) HÉRODOTE, I, 2ii.

(2) Jbid.
(3) Liv. I, VIII.

(4) Liv. I, X.
XIV. xxiii, 8.
(5) Liv.

(6) Ade l'Hérodote de Didot, p. 47.


la fin

(7) Cliron., VI (Migne, P. G., XCVII, 260).

(8) Cyropédie, VIH, vu.

(9) Strabon, XV, m, 7.

(10) En parlant du récit de Xénophon, Cicéron disait déjà Cyrus iste a Xenephonte non :

ad hislorue fidein scriptus, sed ad ef/igiem Justi imperii {Epist. ad Quinlum fratrem, I,
1, 8 .

REVUE BIBLIOLE 1912. — N. S., T. IX.


MÉLANGES
I

LES DESTINATAIRES DE L'ÉPITRE AUX HÉBREUX

Avec la question d'auteur. Tépitre aux Hébreux soulève une autre


question aussi considérable et aussi difficile, cest la détermination
de ses destinataires. Au témoignage des critiques les plus récents,
tels que Zahn li et Harnack -2), Tépitre aurait été adressée à l'une
des communautés judéo-chrétiennes d'Italie et particulièrement de
Rome; pas été écrite, selon l'opinion qui prévalut long-
elle n'aurait
temps et qui s'était imposée presque à l'instar d'une tradition, à
l'église-mère de Jérusalem. Quel sentiment l'examen personnel de
répitre peut-il nous suggérer?
Avant d'entreprendre d'élucider ce sujet, une question prélimi-
naire doit retenir notre attention. Avant de rechercher quels pour-
raient être les destinataires de l'épitre, il est indispensable de se
demander si, eu égard à sa forme littéraire, on doit lui en supposer.
En d'autres termes, l'épitre aux Hébreux a-t-elle les apparences d'une
lettre, d'une communication privée?

Ce caractère paraît devoir lui être dénié car, à l'inverse des épi-
;

tres du Nouveau Testament et de celles de saint Paul en particulier,


elle ne possède, comme on le sait, ni suscription ni adresse. Tandis
que saint Paul ne manque jamais de se nommer et de désigner la
communauté qu'il veut exhorter et instruire, l'épitre aux Hébreux
est muette et sur le nom de l'auteur et sur le nom des destinataires.
Alors que saint Paul se plaît à exprimer à ses lecteurs des souhaits de
paix, à célébrer leur charité et leur foi, à définir l'occasion et le
sujet de ses lettres, l'épitre aux Hébreux se tait sur les relations per-
sonnelles de l'auteur avec ses correspondants et sur leurs mérites
surnaturels. Elle serait dépourvue de confidences, de compliments,
de la note alerte et familière, des marques de particulière sollicitude
qu'appellent les besoins et les tendances d'une société déterminée.
Cette épitre aurait bien plutôt l'allure grave et régulière d'un traité
didactique,

(1) Th. ZAfix, Einleitung in das Neue Testament^. II, 1907, p. 144.
(2) Ad. ]i\Ry\c.K, Zeitscliiifl fur die neutestam, Wissenschaft, 1900. p. 19.
MÉL.\>GES. of

Elle ressemble, en effet, par labondauce de rargumentation, à une


œavre théologique. L'auteur consacre les trois quarts de sa disserta-
tion, I. 1-x. 18, à établir lexcelience personnelle du fils de Dieu, la
signification expiatrice de sa mort et sa supériorité sacerdotale. Son
exposition, parsemée de recommandations communes, est métbodique
et nourrie, appuyée par une exégèse copieuse et subtile. Cette épitre
constituerait en somme, comme Wrede il/ s'est etforcé de le montrer
tout récemment, une explication doctrinale, et la conclusion, de
nature épistolaire, il est vrai, serait un morceau indépendant, une
addition pseudonyme, destinée parla mention 2^ qui y est faite de la
confraternité de l'auteur et de Timothée à rehausser l'importance de
cette apologie, en insinuant quelle était de saint Paul.
Toutes ces raisons ne sont pas également objectives et rig-ourenses :

il convient d'en doser l'exactitude et la jDortée. Remarquons d'abord


que l'épitre n'a pas uniformément, comme on le prétend, le carac-
tèredune instruction générale. L'auteur interrompt son développe-
ment pour adresser à ses lecteurs, dont il sait les habitudes et la pré-
coce conversion, des exhortations opportunes. Il constate (3 avec
regret que le sens de la foi s'est émoussé chez eux ; depuis le temps
où ils ont été catéchisés, ils devraient posséder une science magis-
trale. Mais, bien loin d'avoir approfondi la doctrine, ils auraient
encore besoin d'en réapprendre les rudiments. Ailleurs, il leur re-
commande [%'< de ne pas déserter les réunions de leur communauté,
comme quelques-uns en donnent le fâcheux exemple; ils doivent être
d'autant moins néghgents à cet égard, que la parousie approche et que
les réunions nombreuses sont pour tous une occasion et une source
de mutuel encouragement. Pour les exciter à la persévérance et tem-
pérer la sévérité de ses menaces et de ses reproches par le charme
du souvenir, l'auteur se plait à leur rappeler (5) la vaillance qu'ils ont
déployée dans la manifestation de leur foi et de leur charité chré-
tiennes. Les outrages et les persécutions n'ont pu ébranler leur fidé-
lité; la confiscation de leurs biens n'a pas intimidé leurs sympathies
pour leurs frères enchaînés qu'ils se maintiennent dans la même
:

assurance. L'épitre aux Hébreux n'a donc pas la forme impersonnelle


dune œuvre didactique elle vise à répondre aux besoins d'une com-
:

munauté particulière, à éclairer et à affermir sa foi. à soutenir son

'1 W. Wreue, Das literarische Riltsel des Hebrâerbriefs, Gôttingen, Tandenhock,


1906, in-8, viii-9S pages.
(2) Ep. Bb.. 13, 23.
(3> Ib., 7, 11, 12.
f4; Ib., 10, 25: Mr) Èyy.aTa/.si-ovTï; -/;•/ ÈTï-.CJvaY'jùYr.v ïxjtô);. y.aOô); ï9o; ti^îv.

(5i Ib., 10, 32, 34.


0-2 REVUE BIBLIQUE.

intrépidité. Elle n'est pas plus exclusivement doctrinale que l'épître


dogmatique par excellence, aux Romains, où
c'est-à-dire l'épitre
saint Paul s'applique à établir, en dix chapitres nourris de pensée
personnelle et d'interprétations également allégoriques, la thèse de la
justification par la foi. Comme cette épilre, elle a une conclusion
épistolaire, d'une effusion moins vibrante et moins affectueuse sans
doute, mais d'un thème personnel indéniable, et dont il nous semble
arbitraire de suspecter l'authenticité. De même que saint Paul justifie
l'envoi (1) de sa lettre et qu'il annonce à ses lecteurs son dessein de visi-
ter leur église, quand il traversera Rome pour se rendre en Espagne,
l'auteur de l'épitre aux Hébreux dit son intention de revoir bientôt,
en compagnie de Timothée, la communauté de ses frères et il la prie
de bien accueillir son discours d'exhortation, ::apay.àAo) o" -j'^.x:,...

œnytafit tcD Ai-'iJ Trapa/./vr.cTsa);, xiii, 22. Tel est, en effet, exactement
définipar l'auteur, le caractère de sonépître c'est moins une disser- :

tationou une lettre quiine homiHie. Dans son ensemble, elle parait
identique en tant que genre littéraire, comme le fait observer avec
raison Deissmann i^2), aux épitres de Jacques, de Pierre, de Jude, à la
première de Jean et, ajouterons-nous, à l'épitre dite de Barnabe. Elle
n'est qu'accessoirement une lettre, essentiellement elle est un discours.
Quels en sont les destinataires ?

Selon l'opinion répandue, ce sont des chrétiens de nationa-


la plus

lité arguments que l'on allègue en faveur de cette


juive. Voici les
thèse. On fait remarquer d'abord que les manuscrits en onciales les
plus renommés, le Sinaïticus, V Alexandrimis et le Vaticanus que l'on
est convenu de désigner, on le sait, par les sigles n, A, B, qu'un
certain nombre de minuscules et de versions portent en tête de cette
épître l'adresse zpc; Ecpx'.ur. Ce titre constitue sans doute une inven-
tion des copistes; mais, en ajoutant cette indication, ils se seraient
faits l'éciio de la croyance commune et la vérité de cette tradition se-
rait amplement confirmée par l'examen de l'épître. L'auteur se —
propose un double objet ij veut mettre en relief la transcendance
:

personnelle du Fils de Dieu et l'incomparable efficacité de sa fonction


sacerdotale et cette démonstration doit aboutir, en établissant la
supériorité de la religion chrétienne, à raviver la foi et l'espérance

(1) Ep. Rom.. 15, 15 To>(i.ripôtEpov ôà êypail'a {i[Atv..., w; £îtava[ii(j.vTn(7y.(«)v 0(Aâc.


:

(2) A. Deissmann, Lichtvom Osten, Tlibingen, Mohr, 1908; in-8, x-364 pages.
MELANGES. 33

de ses lecteurs. Or, ses procédés de dialectique, les considérations et


les souvenirs qu'il aime à faire valoir ne pouvaient impressionner et
convaincre que des fidèles, juifs de naissance et de culture. Compa-
rer le Christaux organes de l'ancienne alliance, aux ang-es et à Moïse,
instituer ensuite en quatre chapitres vu, 1-x, 19 un parallèle assez
minutieux entre le rôle sacerdotal du Christ et les fonctions du prêtre
lévitique, rappeler que le grand prêtre offre des victimes (1) " aussi
bien pour ses péchés que pour ceux du peuple » et qu'il n'a le droit
de pénétrer qu'une fois Tan dans le saint des saints, c'était se mou-
voir dans le cercle des conceptions et des pratiques cultuelles fami-
lières aux Israélites. Utiliser continuellement la méthode typologique
et s'ing-énier à expliquer, avec une grande liberté d'interprétation,
que tous les faits et les personnages de la Bible préfigurent la vie et
la personne du Christ, lui appliquer les psaumes qui célèbrent la
puissance de lahvé ou la suprématie dont l'homme a été investi (2),
assimiler Melchisédech (3) au Fils de Dieu en exploitant le silence
du texte sur son origine, ce mysticisme exégé tique ne pouvait agréer
qu'à la mentalité juive. Seul Israël, sous l'empire de sa croyance à la
prédilection de Dieu pour lui et à l'avènement messianique, pouvait
prêter aux événements de son histoire un sens symbolique : seul, il

était habitué par l'enseignement de ses docteurs à découvrir et à se


persuader que « la Loi possédait l'ombre des biens à venir et non la
forme des réalités i) ». i

Enfin, pour illustrer ses exhortations et en accroître la force insi-


nuante, l'auteur aime à emprunter ses exemples à l'histoire des grands
ancêtres de la nation. Si ses correspondants veulent « hériter des pro-
messes », ils doivent imiter la foi et la persévérance d'Abraham (5);
de leurs aïeux, d'Abel. d'Abraham,
la foi a fait le mérite et la gloire
de Moïse i6), etc.. et l'auteur le leur rappelle avec une éloquence
puissante et enthousiaste. Un examen attentif ferait donc clairement
ressortir que Uécrivain est un Juif qui s'adresse à des Juifs. C'est aussi
le sentiment de Zahnqui déclare (Ti : « AusHb. ergibt sich... das der
Verfasser wie dieEmpfanger desselbendem Jiïdischen Volk entsspros-
sen sind. i

(1) Hb., 7, 27.


(2) Hb., 2, 6 = ps 8.
(3; Ib.,1 — Genèse, 14. 12-20.
(4)76., 10, 1;

(5) /&.. 6, 12 sq.


(6) Ib., 11.
(7) Zahn, op. cit., II, p. 130.
54 REVUE BIBLIQUE.

Ces arguments, sévèrement considérés, nous paraissent dépourvus


d'autorité décisive. L'adresse r.p:: E6 p a-.: jç, envisagée à part, est une
indication sans valeur. Prétendre que les copistes, en l'inscrivaut,
n'ont fait que manifester l'état de la tradition en leur temps est une
liypothèse gratuite. De même qu'il est reconnu que la mention iv
'Eçéztô{i),dans l'adresse de lépitre aux Épbésiens. constitue une in-
terpolation sans aucune garantie puisqu'elle 'manque dans les manus-
crits alexandrins, de même encore que la leçon iv Pw;j.y; (2) dans la

suscription de lépitre aux Romains est d'une authenticité douteuse,


puisqu'elle manque dans commentaire d'Origène, le titre
le texte et le

-p:ç Eopxio'jq représente, à notre avis, une invention sans portée des
scoliastes. Car, dans le corps de l'épitre, il n'est fait aucune mention
de ceux à qui elle est envoyée et si cette adresse, tout extérieure, est
attestée par les manuscrits alexandrins, elle est absente du codex D,
texte dit occidental, lequel fournit parfois une leçon plus ancienne et
plus importante que les manuscrits en onciales. La formule aux
Ht^breux ne peut être qu'une présomption suggérée par la lecture de
lépitre (3) elle ne saurait avoir de valeur significative indépendante.
:

Ajoutons aussitôt que cette présomption elle-même nous semlde


très peu fondée le contenu de lépitre ne suffit pas à la justifier. L'ap-
:

pareil dogmatique qui y est mis en œuvre n'avait pas son emploi que
dans les milieux israélites il était essentiellement semblable au pro-
:

gramme de l'instruction chrétienne et à l'enseignement théologique


de l'apôtre des gentils. Dans sa lettre aux Galates, lesquels, dans l'en-
semble, étaient des convertis du paganisme (i), saint Paul insistait

<léjà avec force sur l'opposition 'ô'i entre le régime de la Loi d'une
part, le régime de la foi et de la promesse de l'autre, et l'on pourrait
signaler entre ces deux épitres de singulières analogies d'idées et par-
fois d'expressions. « La Loi comme les œuvres qu'elle commande, dit

saint Paul, est impuissante (6) àprocurer la justification ... JTrb vi;j.;v :

£9psupcy;j.£6a GJ';v.f/j.v.-\J.v/z\ v.ç t-/;v ;j.ÉAA:j7av -î-tiv i-c/.aXjsOr^vai (7). Il

faut donc se garder d'en accepter de nouveau la tutelle : ce serait se sou-


mettre à des '< principes de vie inefficaces et vides (8' ». Ces considé-
rations et ces conseils, l'auteur de l'épitre aux Hébreux les reproduit en

(1) Ephes., 1, 1.

{1)Rom.. 1, 7.

(3) C'est aussi l'avis du P. Le>io>>\er, KpKrcs de saint l'aul, H, p. 203, Paris, 1907.

(4) Gal.,^, 8.

(5) Gai., 3. 6 — 5, 1.

(G) Gai., 3. 11; 2, 16.


(7) Gai., 3, 23.
(8) Ib., 4, 9.
MÉLANGES. oo

termes équivalents (l). —


Les Galates, comme les destinataires de
cette épitre, menaçaient de renoncer à la religion chrétienne pour se
plier au joug de la Loi et des observances mosaïques les mis et les :

autres s'entendent dire qu'ils ne doivent pas perdre courage et se


laisser abuser, car ils sont de « la postérité d'Abraham, héritiers selon
la promesse {2i ».
pour garantir la vérité de sa doctrine, Paul se sert des témoi-
Enfin,
gnages scripturaires et préfère aussi à l'exégèse littérale l'interpréta-
tion mystique. Il exploite dans un sens allégorique les épisodes de
l'histoire d'Israël et il démontrera aux Galates que la narration rela-
tive à la maternité de Sara et de Hagar préfigure l'éviction de la Loi et
la supériorité de l'évangile.
Xous pourrions étendre cet examen et faire observer encore que,
dans lépitre aux Romains, saint Paul reprend avec plus d'ampleur
son antithèse fondamentale entre la foi chrétienne et la Loi mosaïque,
que, pour la faire ressortir, il emprunte ses exemples à Ihistoire reli-
gieuse de sa nation, qu'il rejette de nouveau l'idée de la distinction des
aliments, admise par des consciences scrupuleuses et attardées. Or,
cette communauté romaine, si elle était juive par ses origines, for-
mait, au moment où Paul lui écrivait, une église composée en majorité
de convertis de « la gentilité ». C'est ce qui ressort du contenu de
lépitre (S; c'est ce dont témoigne, entre autres indications, le fait
que la persécution de Néron, en 6i. frappa l'église de Rome sans at-
teindre la synagogue, persécution qui serait inintelligible dans sa
genèse et son cours, si les chrétiens avaient été encore confondus à
Rome avec la population Israélite.
Les païens évangélisés étaient donc, comme les Juifs de race, fami-
liarisés et des personnages fameux
avec la connaissance de l'Écriture
de La catéchèse apostolique, aussi bien que les traditions de
la Bible.
l'assemblée dominicale, leur nourrissaient l'esprit de ces souvenirs.
(( Le jour du soleil, comme le dira plus tard l'apologiste saint
Justin (4), les chrétiens des villes ou des campagnes ont l'habitude de
se réunir pour entendre la lecture dos écrits des apôtres et des pro-
phètes. )) Dans la Bible, ils cherchaient une lumière et un aliment
pour leur foi.

Ces brefs rapprochements nous autorisent à conclure que les des-


tinataires de l'épitre aux Hébreux ne sont pas nécessairement des

1) Bb., 7, 18; 10, 1-10.


2; Gai., 3, -29 = //6., 6. 12.

(3) Rom., 1, 13, passim.


[ij JiSTix, Apolofjie, 1, 67.
S6 UEVUE BIBLIQUE.

Juifs de naissance. Grâce à leur initiation chrétienne et à l'enseig-ne-

ment religieux qu'ils continuaient de recevoir, des païens convertis


avaient ]es aptitudes voulues pour concevoir et admettre la doctrine,
la dialectique et le vocabulaire de cette épitre. Reconnaissons cepen-
dant que cette impression n'a pas été jusqu'à présent celle de la plu-
part des Pères grecs ni des commentateurs catholiques. Et nous ne
prétendons pas non plus qu'il soit évident d'après les critères internes
que les destinataires de l'épître aient été des chrétiens nés païens. On
pourra, dans cet état, incliner vers l'opinion traditionnelle. Mais cet
argument ne s'impose pas avec la même force, s'il s'agit dune autre
question bien différente, celle du lieu qu'habitaient ceu.v auxquels
l'épître est adressée.

Juifs ou païMis ou association cosmopolite, les destinataires de-


vaient probablement appartenir à une communauté locale. On con-
vient, sans raison suffisante, de limiter les recherches à ce sujet
aux trois églises les plus florissantes de Jérusalem, d'Alexandrie et de
Rome. Résumons succinctement les arguments qui déterminent une
présomption en faveur de l'église de Jérusalem.
Pantène, le chef de l'école catéchétique d'Alexandrie, était per-
suadé que notre épitre avait été adressée aux Judéo-chrétiens de la
ville sainte et Clément, son disciple et son successeur, ne fait que
nous transmettre son sentiment à cet égard. « Clément dit dans ses
Hf/pohjposes, raconte Eusèbe, que l'épître aux Hébreux est l'œuvre
de Paul et qu'elle a été écrite aux Hébreux en langage hébraïque.
Luc l'a traduite avec soin et publiée pour les Grecs (1). »
L'exactitude de ce renseignement serait corroborée par la critique
interne. La description minutieuse r2i que fait l'auteur du tabernacle
et des cérémonies liturgiques, témoignerait qu' il avait en vue le «

temple de Jérusalem (3i »; ce tableau précis et les réflexions théolo-


giques qui se greffent sur ce tableau ne pouvaient avoir de sens et
d'intérêt que pour des correspondants familiarisés par des visites
fréquentes avec la structure du temple et les rites qui s'y prati-
quaient.
nous sommes très exigeants et que nous ne voulions ctoire
Si
qu'au témoignage rigoureux des faits, écoutons enfin une raison plus
positive. Les allusions historiques, dont Fauteur étaie ses exhorta-

(1) EusicBE, Histoire ceci.. VI, 14.


(2) Bb., 9, 1-10.
(3) Jacquier, Histoire des Livres du \ouveau Testamenl, A" éd. Paris, 1904, I, p. 423.
\IEL\NGES. 57

tions finales, s'appliqueraient avec plus de vraisemblance à l'exis-


tence troublée de la chrétienté de Jérusalem. Oj-oj -i.iyy.z yX-j.y.-zz

3i'»-.<:/.'jL-iz-.r-i T.çz: Tr,v ây.apT-av i:vTa7o)v.'::y.Ev:'. (1 , est-il dit aux lec-

teurs, mais song'ez que vous traversez est une


cjue la persécution

correction qui \àeat de Dieu. Du reste, puur ne pas défaillir, « sou-


venez-vous de vos higoumènes qui vous ont prêché la parole
divine i2 ». Ces allusions ne concerneraient-elles pas plus particu-
lièrement la communauté hiérosolymite, cjui demeurait en Lutte à

l'hostilité incessante de la synagogue et sur laquelle s'abattirent des


épreuves meurtrières? En l'an 33, le diacre Etienne expia par le
martvre la hardiesse de son prosélytisme. Sa mort fut le signal d'une
persécution générale 3 : l'église naissante fut dispersée dans la
Judée et la Samarie. En l'an ïï. sous le règne du zélote Agrippa, Jac-
ques le Majeur eut la tète tranchée et Pierre fut enfermé à la tour
Antonia ii>. Enfin, en l'année 62, à un moment assez rapproché de
la date de composition de notre épitre. pour terroriser les lidèles. on
décapita encore leur église Jacques le Mineur, dit le Juste, subit le
:

supplice de la lapidation 5 . Ainsi la .synagogue travaillait à inquiéter


ou à chasser les fidèles et elle s'acharnait surtout, pour les décourager
et les ramener au judaïsme, à les frapper dans leurs chefs. N'est-ce
pas cette situation historique qui serait visée par l'épitre aux Hébreux?
Peut-être! C'est la seule réponse qu'il soit légitime d émettre. Si le
souci de la vérité oblige à n'adhérer qu'aux idées claires et distinctes,
aux faits établis avec une parfaite rig-'ueur, nous oserons dire que
les arguments invoqués n'aboutissent qu'à une faible probabilité. Es-
sayons d'en discerner la valeur.

Le témoignage de Pantène et de Clément ne mérite à aucun titre

d'être considéré comme une tradition. Une lacune dun siècle s'étend

entre Pantène et la composition de notre épitre : cette tradition


supposée donc une chaîne qui a perdu ses premiers et indis-
serait
pensables anneaux. D'ailleurs, Eusèbe ne lui attribue pas ce carac-
tère il donne le renseignement qu'il rapporte omme une aftirma-
:

tion isolée et indépendante 6\ Ue plus, le maître le plus savant de


l'école d'Alexandrie. Origène, s'était déjà inscrit en faux contre l'as-
sertion de ses prédécesseurs: frappé de la distinction littéraire de

(1) Hb., 12, i.

(2)^6., 13. 7: 3 Actes, 8, i-i. — {i) Actes. 12. —[b] JoikpaE, Antiq. Juil., .\X. \iii.

6) EustBE, Hisl. eccl.. VI, 14 : « "Hor, os tô; ô jjLaxâp'.o; D.îvî zi^taô-j-t^o^. i~z: 6 KOp'.o;
àîTÔOToXo; <ôv TO-j nav-oxpaTopo:, àûôSTà/.r, r.yj- 'Eopaioj;, o'.à aîTp'.ÔTr,-a 6 IlaO/o;, w: âv
si; -à. iOvr, àîiî'jTa/.ij.Évo;, ov/. iy^pizzi ivj-ôi 'Eëpxîcov à-ôuTo/.ov, o'.â tî tt.v "po; tov livp'.ov

ti[j.ï;v ôti TE TO j/. 7:sp'.o'j(>;a; xai toî; 'Eêpa;o'.: ;-'.<7Tg>./,E'.v. i^vôiv xr,puy.a ôvra xa*. à7îÔ!7TO/.ov.
58 REVUE BIBLIQL'E.

lépitre aux HéJjreux, il se refusait à la reconnaître purement et


simplement comme une o?uvre de l'apùtre Paul dont la phrase était
nue et singulièrement heurtée 'Evw ci irrcç-aivi-j-îvcç : v'.-oi[j.' av o-i -x
;j-àv vo-(^;j-a-a Tou AzcjTÔAoy èfJTtv, '^^ oï spij'.r y.yX r, (jjvGîs'.ç à7:3îJ.vr,[xciVcU<7av-

zô: -v)z: -.X pour atténuer cette antithèse,


x-z—z'lv/à (1). Supposer,
que l'épître est la traduction est une conception
d'un original hébreu,
réfutée par la philologie dans toute traduction de l'hébreu telle
:

que les Septante, l'allure de la phrase reproduit Tallure de la


phrase sémitique. Il ressort, du reste, de la lecture de l'épître que
l'auteur appartient, non au collège apostolique, mais à la seconde
génération chrétienne (2). On est donc déterminé à regarder comme
non avenue l'opinion de Pantène et de Clément elle enveloppe une :

double impossibilité il est incontestable que l'épître n'est ni l'œuvre


:

personnelle et immédiate de Paul ni une pure traduction. Après cela


est-on justifié à se réclamer de la déclaration de Pantène et à dire
qu'elle nous éclaire sur la destination de l'épître? Le témoignage —
de ce maître représente le résultat d'un examen personnel; loin d'être
l'expression dune tradition ferme, il constitue une hypothèse incon-
sistante, une sorte de génération spontanée dans l'ordre conceptuel.
Dès lors, si la clef de voûte de la prétendue tradition s'elfrite, cette
tradition aussi s'écroule.
Les arguments puisés dans la critique interne sont aussi peu con-
cluants. La description ([ui nous est faite de l'intérieur du temple et du
culte qu'on y célébrait n'est pas le fruit d'une perception actuelle
et elle n'offre rien quine fût parfaitement intelligible aux membres
de la Diaspora. Elle est incomplète et imprécise par endroits, puis-
qu'elle localise (3) dans le saint des saints ou Qodeé haqodasim
l'autel des parfums (i) qui se dressait, au contraire, dans le saint ou
Quodes, c'est-à-dire dans la section la plus spacieuse du temple. De
plus l'auteur, au lieu de désigner le temple par son nom, s'astreint
à ne nous parler que du tabernacle, z/.r^'n^ ou miskan, comme si le
temple était déjà anéanti, ou plutôt comme si le souvenir du sanc-
tuaire primitif tel que l'avait construit Moïse supplantait sans cesse
dans son imagination la vision du second temple et de sa structure
propre l'auteur n'a dans sa perspective que la loi et le sanctuaire
:

mosaïques auxquels il oppose la nouvelle alliance fondée par le

(l; Elsèbe, ib., VI, 25. — (2)Hb., 2. 3; 13, 7. Quelques critiques catholiques n'bésitent plus
à rapporter la rédaction de l'épitreà un autre qu'à saint Paul. « L'écrivain de l'épître était juif,
chrétien, de la gé.nération sub-apostolique...; il était disciple de saint Paul w Jacquier, op.
cit., p. 482). Le P. Prat e>t d'avis que le rédacteur serait Barnabe (F. Prat, La Théologie
de saint Paul, 3" éd. Paris, 1909, p. 502).
(3) Hb., 9, 3, 4. — (4j Exode, 30. 1-6.
MELANGES. 9

Christ elle sanctuaire céleste« où il est entré (1 ». C'est dire que

une relation « de visu ». u*a qu'une signi-


sa description, loin d'être
fication schématique; elle est une sorte de rédaction stéréotypée,
tout aussi sommaire que les descriptions analogues qui se lisent
dans les apocalypses [i de l'époque.
Enfin les allusions historiques sont vraiment trop discrètes et trop
vagues pour qu'on en tire une indication plausible. On pourrait,
tout aussi bien, s'ingénier à établir qu'elles ne coïncident pas avec
l'histoire de l'éelise palestinienne. Les désastres que cotte église eut à
soufl'rir que des épreuves intermittentes. De la
n'ont été, en effet,

mort de mort de Caligula, c'est-à-dire des années


saint Etienne à la
33 à VI; puis, pendant tout le gouvernement du procurateur Félix,
de 52 à 60, les chrétiens, loin d'être inquiétés, furent protégés par
les fonctionnaires impériaux contre lanimosité brutale de leurs com-
patriotes. Ce sont les Juifs orthodoxes, au contraire, qui eurent à
sulîir les sévices des Romains 3 Or les exhortations de l'épitre don-
.

nent à entendre que la persécution se prolonge, qui s'est abattue


depuis quelques années sur ses destinataires. Ils ont déjà été abreu-
vés d'outrages et dépouillés de leurs biens. L'auteur sent le besoin
de lesprémunir contre la lassitude et de ranimer leur courage (i).
Il les invite à prendre pour modèle la patience de Jésus, à fixer leurs
yeux sur sa croix, et il leur recommande de soutenir les prisonniers
de leurs prières et de leurs secours 'ôi. — D'ailleurs, il serait étrange,
si aux Judéo-chrétiens de Jérusalem,
cette épitre avait été adressée
qu'il ne soit fait aucune mention de leurs glorieux martyrs (6).
Ainsi, rien ne prouve péremptoirement cjue l'épitre aux Hébreux
doive être rattachée à l'église de Jérusalem. Deux arsuments militent
contre l'hypothèse de cette destination. L'épitre aurait dû être écrite
dans la langue parlée par ses destinataires supposés, c'est-à-dire en
araméen. C'est en caractères hébraïques et dans le dialecte araméen
que fut composé un évangile de la même époque, répandu dans les
petites communautés de Judée et que nous connaissons par les cita-
tions de saint Jérôme, l'évangile selon les Hébreux.

1) Hb., 9, 24.
Apocalypse de Baruch, Livre des secrets d'Hénoch, etc.. C'est parce qu'il songe
Cl)

uniquement au premier et lointain sanctuaire que l'auteur mentionne le dépôt de l'arche


d'alliance dans le Saint des Saints. Ub.. 9.4 Cette mention constituerait une erreur, s'il
.

avait entendu parler du second temple i[ui ne renfermait plus ni l'arche, ni les l'rim et les
Thiimmim.
3 TACITE, Histoires, V, 2U. —
(4) Hb., 12. 3 sq. {5i Ib.. 13. 3. —
Zahn. op. c, p. 144. « Ein brief, dit avec raison Zahn, der vor dem J. 90 geschrieben
^y,

sein mu^, kônnte an dièse Gerueinde nicht wohl gerichtet werdeu, ohne da^ darin der in
ihr Leben se tiel" einschneidenden Ereignisse um das J. 70 gedacht wurde ».
60 REVUE BIBLIQUE.

Il est une considération surtout qui nous semble vraiment incom-


patible avec ridée de cette destination c'est Télose que reçoivent les
:

lecteurs de contribuer à <> l'assistance des saints (1) », service dont les
bénéficiaires sont toujours, dans le Nouveau Testament, les chrétiens
pauvres de Jérusalem. Lors de son premier séjour à Antioche, Paul
fut chargé avec Barnabe, parla communauté locale, de porter au con-
seil des anciens de Jérusalem le produit d'une collecte faite à l'in-

tention des « frères » de cette ville (2). Dans toutes ses épîtres, Paul
manifeste sa sollicitude pour l'indigence de ses habitants : il avait à
cœur de remplir l'engagement qu'il avait pris, lors du concile de
Jérusalem, de « se souvenir des pauvres (3). » Aux églises de la Gala-
tie comme à celle de Corinthe (i), il demande un tribut d'aumônes et
il prescrit des règles concernant la constitution de ce tribut : tout
fidèle doit, le lendemain de chaque sabbat, apporter une offrande pro-
portionnée à ses ressources, et l'apôtre remettra lui-même ce subside
ou le fera remettre par des délég-ués à léglise-mère, en témoignage
de la charité et de la déférence des jeunes églises. Dans une autre
lettre (5), il presse vivement les Corinthiens de donner abondam- (c

ment pour les pauvres de Jérusalem >>, et, pour stimuler leur géné-
rosité, il leur propose l'exemple des églises de iMacédoine dont les

membres, malgré leur condition précaire, ont donné au delà de leur


pouvoir, le suppliant de les laisser participer « au service en faveur
des saints ». Paul invite de même les Romains (6) à subvenir à l'en-
tretien des saints et il leur annonce qu'il retourne à Jérusalem pour

y porter la contribution des chrétiens de Macédoine et d'Achaïe. Ainsi


la communauté de Jérusalem apparaît toujours et à l'exclusion de
toute autre, comme une église assistée (7). Les fidèles de cette cité
besogneuse, sans industrie et sans commerce, se recommandaient à
la pitié de leurs coreligionnaires étrangers. Si les destinataires de
l'épitre aux Hébreux s'entendent décerner des élog'cs pour leur cha-
rité à l'égard des saints, s'ils reçoivent l'exhortation de ne pas négli-
ger ce devoir, il est invraisemblable qu'ils appartiennent à cette
église.
Cette hypothèse écartée, deux autres, jouissant également d'un cer-
tain crédit, méritent d'être appréciées.

(1) Hb., 6, 10:... otay.ovT^TavTs; toî; àyioi; xal ôiaxovo-jVTs:.


Actes, 11, 29, 30.
(2) —
(3) Gai., 2, 10. —
(4) I Cor., 16, 1. ~
(5) II Cor., 8, 2.

Rom., 12, 13; 15. 25.


(6) —
(7) Signalons en passant l'erreur commise par M. Jacquier qui
prétend que l'expression ot âyîo'. désignerait avant tout « les chrétiens de Jérusalem »
(Jacquier, op. c, p. 424). Cette expression s'applique à d'autres communautés et tend à se
confondre avec l'appellation de chrétiens : cf. Acies, 9, 32; fio7n., 7, 7; Ephes., 1, 1;
Philip., 4, 21, 22, etc..
MÉLANGES. 61

Que lépître ait été adressée à Féglise alexandrine, c'est l'opinion


de quelques critiques distingués, tels que Weizsâcker 1 1 i. Cette manière
de voir s'autorise des considérations suivantes. On fait remarquer
que la plupart des citations de la Bible sont empruntées au Codex
Alexandrinus (2), que certaines expressions inusitées ailleurs sont
communes aux Septante et à l'épitre aux Hébreux. On signale surtout
de curieuses ressemblances de langue et de doctrine entre Philon le
juif et l'auteur de cette épitre. Un texte scripturaire i3' allégué en
faveur d'une exhortation à la résignation et à la confiance en Dieu ne
se rencontrerait sous sa forme exacte que dans une œuvre de Phi-
lon. Par son symbolisme théologique et son parti pris d'allégorisation,
l'auteur serait de lécole du philosophe alexandrin.
Nous ne nous arrêterons pas à discuter cette présomption. Toutes
les marques d'affinité, de dépendance que l'on croit découvrir entre
Philon et notre épître intéressent plutôt la question d'auteur : elles

n'élucident d'aucune manière la question des destinataires.

Reste l'hypothèse la plus accréditée qui rattache l'épitre aux Hé-


breux à l'église romaine. Cette opinion revendique en sa faveur des
témoignages assez significatifs. Que cette église ait été particulière-
ment renseignée sur l'auteur, sur la valeur propre et les circonstances
historiques de cette épitre, c'est ce qui résulte de l'attestation de saint
Jérôme qui écrivait ('i-) : Sed et apud Romanos iisque hodie quasi
Pauli apostoli non habetur. Ce jugement reflète le sentiment commun
de romaine à la fin du iv° siècle. Nous pouvons remonter
l'église
plus haut et discerner, par des témoignages plus positifs, l'estime
dont jouissait notre épitre et l'usage qui en était fait. Le premier his-
torien de l'église qui compulsa la littérature des temps anciens,
Eusèbe de Césarée (ôi, signale d'étroites ressemblances de style et de
pensées entre cet écrit et la première épitre de Clément romain; et,
frappé de ces analogies, il croit devoir partager l'opinion de ceux qui

(1) Weizsâcker, Das apostolische zeitalter der christlichen hirche. Freiburg, 2° éd.,

1892.
(2) Voici la correspondance de quelques citations : Hb., 1. 3 := Sap., 7, 25: Hb.^ 1, 5
= ps. 2, 7; Hb., 10, 5 = p,v. 39; Hb., 11, 21 = Gen., 47. 21.
(3) Hb., 13, 5 : GO [xri cz àvù ovo' où ar, m lY^.'xxoCiÂr.ui , se retrouve textuellement dans
Philon, de Confusione ling., xyïiii.
(4) JÉRÔME, De l'iris ill., 59; il écrivait encore dans son Comm. in Ts., 32 : « quam latina
consueludo non recipit ».

(5) Eusèbe, Hist. eccl., 111, 38.


62 REVUE BIBLIQUE.

prétendent que Clément a traduit cette œuvre de riiébreii. Remontant


encore plus haut, à la première moitié du iif siècle, nous rencontrons
le témoignage d'Origène (1) qui raconte également que notre épître
aurait eu Rome pour berceau « La tradition est venue jusqu'à nous
:

qui rapporte que Clément, l'évêque des Romains, a écrit l'épitre... «


Ces relations concordantes suggèrent lïdée que l'épitre aux Hébreux
a dû être connue à Rome dès l'origine on devait la lire et la com- :

menter et l'utiliser. N"est-il pas dès lors vraisemblable qu'elle fut


adressée à ceux qui l'avaient entre leurs mains et qui en faisaient
leur profit?
L'hypothèse se précise et se fortifie si, au lieu de se fier simplement
aux déclarations dautrui, on essaie de déterminer la dépendance
entre Clément romain et notre épître. Clément, qui écrivait aux
Corinthiens pour réprimer la sédition et pour apaiser les troubles
qui avaient éclaté parmi eux, priait ses lecteurs de renoncer à leurs
vaines querelles et de se défaire du venin de la jalousie. Il les invi-
tait à prendre modèle sur lindéfectible et glorieuse obéissance des
patriarches. Or les exemples (2) qu'il allègue pour illustrer cet aver-
tissement sont précisément ceux qui se déroulent dans la péricope
enflammée de l'épitre aux Hébreux. Ce sont les souvenirs d'Hénoch,
de Noë, d'Abraham, de Rahab la prostituée qui se pressent sous sa
plume. Quand il exalte (3) la puissance médiatrice de Jésus-Christ, il
se sert, pour marquer sa transcendance par rapport aux Anges, des
mêmes expressions et des mêmes citations que l'épitre aux Hébreux :

la dépendance est donc ici indéniable. Il semblerait que Clément, au


lieu la version des Septante, se borne parfois à exploi-
de recourir à
ter l'épitreaux Hébreux comme s'il la possédait de mémoire. Cette
épitre devait donc être familière aux Romains et c'est à eux qu'en
aurait été réservée la primeur.
Lés allusions historiques orienteraient aussi vers Rome les recher-
ches et les conjectures. Les lecteurs sont félicités pour « les nombreux
combats qu'ils ont soutenus au milieu des soutirances » et la joie
virile avec laquelle ils se sont résignés à la confiscation de leurs biens.
Quelques-uns ont peut-être subi le martyre (4) et il semble que les
chefs de la communauté ont dû mourir victimes de la persécution (5).

Aussi les destinataires sont-ils profondément abattus et sur le point

(1) EisÈBE, op. C, VI, 27).


(2) Clément, Ad Corinth.. 9, 10, 12 = Hb., 11. 5, 7, 8, 9, 31.

(3) Clément, ib.. 36 =


Hb.. 1. 3, 4, 7, 13.

{i'j Hb., 12, 4 : O'JTtto [Asyjji; aïaaTo: àvTtxaTÉfftirjTE.


(5) Hb., 13, 7 : Mvr,[xov£ÛeTî tûv •r,you[Ji.c'vwv ô(i.(Ji)V...
MÉLAiNGES. 63

de fléchir (1 . L'auteur sent le besoin de relever leur courage et de


leur remettre sous les yeux le tableau de la passion de Jésus : ils

doivent retremper leur énergie dans la foi, car la persécution se pro-


longe {2', beaucoup sont prisonniers et en proie à de mauvais traite-
ments et aux vexations actuelles vont s ajouter encore des épreuvt^s
imminentes 3 La représentation des malheurs de cette église évoque-
.

rait de préférence le souvenir des destinés de l'église romaine sous


les règnes de Claude et de Xéron.
En l'année 52. pour enrayer les troubles suscités par les Juifs,
Claude 'ï ordonna leur expulsion de la capitale et les Actes ir») confir-
ment que cet édit enveloppa les chrétiens saint Paul trouva à Corin- :

the un juif, orisinaire du Pont. Aquilas et sa femme Priscille. qui s'y


étaient transportés à la suite du décret impérial. N'est-il pas vraisem-
blable que l'auteur de l'épitre a été atteint par ce décret ? Il se plaint

d'être éloigné de sa communauté, semble-t-il, par une mesure de


rigueur ^6 . D'autre part, l'expulsion totale des Juifs ne pouvant être
facilement exécutée, la police s'appliqua à interdire leurs réunions (7).

La crainte de transgresser une ordonnance publique n'explique-t-elle


pas que beaucoup, parmi les destinataires, aient pris l'habitude de
déserter leur assemblée? De plus, quand éclata la persécution de
Néron en 6+. l'interrogatoire que subirent les premiers individus
arrêtés, révéla certains indices qui permirent de dépister leurs core-
ligionnaires; le nombre des détenus devint alors considérable. C'est
un nouveau trait de coïncidence avec l'épitre aux Hébreux. Enfin,
comme il du
récit de Tacite et surtout de celui de Suétone i'8),
résulte
le premier grief dont on chargea les chrétiens et qui consistait à les
dénoncer comme des incendiaires seffaca bientôt devant une imputa-
tion plus générale on les accusa, tous, en bloc, d'être les ennemis
:

de la civilisation et « du genre humain ». C'est à cause de leur nom


religieux 9 en dehors de toute inculpation de droit commun, qu'ils
,

furent poursuivis et la répression devint permanente, systématique :

encore un trait qui s'accorde avec l'idée d'une persécution prolongée


que suggère l'épitre aux Hébreux.
Ce qui achèverait de rendre cette hypothèse tout à fait lumineuse
et séduisante, ce serait la salutation finale. L'auteur écrit à ses corres-
pondants que leurs frères d'Italie les saluent, Wz-ilt-j-y.: -j'j.x: :'. x-.ï

(1; Hb., 12 VL
(2) Ib.,13, 2, 3.
'3)76., 12. 3, 4. —
;4, Siéto^e. Claudhts, 25. (5) Actes. 8, 2.— (6, Hh., 13, — l'J.

(7 Dion Cassils. lx. 6.


(S, SiÉTONE, Nero, 16. —
(9) Tacite, Annahs, XV. 44; 1 Pefr., 4. 12 sq.
64 REVUE BIBLIQUE.

-r: 'ItaXia; (l). La préposition x-i marquant avec l'idée déloigne-


ment le point de départ, le lieu d'origine, la locution présente dési-

gne donc les sens qui viennent d'Italie et qui accompagnent l'auteur.
S'il s'était agi de chrétiens résidant dans la péninsule, la préposition
àv aurait été substituée à x-z. Le salut qu'adresse, dans la première
épitre de Pierre i;*2 , l'église de Rome aux communautés du Pont et de
la Cappadoce offre, en effet, cette rédaction : '\z-y.lt-y.: jj.x: r, àv Bacu-
Awv. -jv£7.A5/.Tïi... Ou pcut douc couclure, sinon avec certitude, du
moins avec beaucoup de probabilité, que l'épitre aux Hébreux a été
envoyée à une communauté italienne. Toutes les raisons (3) que nous
venons d'énumérer nous sollicitent, semble-t-il, à adopter cette manière
de voir.
A nous parait de toutes la mieux
tout prendre, cette conjecture
défendable ne rencontre dans la critique
et la plus séduisante. Elle
interne aucune pierre d'achoppement et elle ne semble pas inconci-
liable avec les données historiques. Il est étrange sans doute que l'é-
pitre aux Hébreux, dans l'hypothèse où elle serait écrite à l'église
romaine, néglige de commémorer les grands événements de son his-
toire, de rappeler le souvenir des martyres de Pierre et de Paul. Sans
nier cette difficulté, on peut montrer qu'elle ne saurait constituer une
fm de non-recevoir. Nous ne voulons pas, pour l'atténuer, tirer argu-
ment de l'incertitude où nous sommes touchant la date de la mort
de saint Pierre et la date de la composition de l'épitre aux Hébreux
et nous ne prétendrons pas que la rédaction de cette épitre est peut-
être antérieure au martyre de l'apcHre, car il est à peu près sûr qu'eUe
s'adresse à la génération sub-apostolique. Nous ferons seulement
remarquer qu'il n'était pas indispensable de redire aux témoins de
la persécution les noms de ceux qui avaient succombé une mention :

générale, telle que l'exhortation qui leur est faite de « se souvenir


de leurs guides >>, pouvait sulhre à leur remettre sous les yeux les
souffrances de leurs chefs et de leurs frères. L'imprécision historique
est une lacune pour nous, elle ne l'était pas pour les contemporains ;

voilà pourquoi elle n'est pas, en l'espèce, particulière à cette épitre.


La première de Pierre qui fut certainement écrite de Rome et qui
suppose la persécution ouverte ne renseigne pas davantage ses lecteurs
sur les victimes qu'elle a faites.
Exempte de contradiction, la même hypothèse se recommande par
H)Bb., 13. 24.

(2) I Petr., 5, 13.


(3) Nous aurions pu grossir encore l'importance de cet exposé et rappeler que l'existence
à Rome de plusieurs cononiunautés chrétiennes [Rom.. 16 s'accorde avec Hb., 10, 25 :

12, 24. C'est une coïncidence que font valoir Zahn et Harnack.
MELANGES. 60

les affinités del'épître aux Hébreux avec les écrits qui se rattachent à
Féq-lise soit qu'ils en proviennent, soit qu'ils lui aient été
romaine,
destinés. Nous avons déjà marqué entre cette épitre et Clément romain
des rapports de dépendance indisculable et indiscutée, et nous avons
cru pouvoir en inférer que notre épitre devait être à Rome particu-
lièrement connue et utilisée. —
Maisl'épitre aux Hébreux nous parait,
de plus, présupposer chez l'auteur la connaissance de l'épitre aux
Romains et de la première de Pierre. Elle procède, semble-t-il, de
l'épitre aux Romains, car elle s'en rapproche beaucoup, pour ce qui
concerne les citations textuelles, les exhortations pratiques et rensei-
gnement doctrinal. La citation 'E[j.z: ï/.civ.r,7'.:. ï\'ôi Tny-.ozMZM, Hb., x,
30. constitue une infidélité exceptionnelle à l'égard du texte des
Septante que suit d'ordinaire l'auteur et une imitation de l'épitre
aux Romains dont elle reproduit la leçon, Rom., xii, 19. De même
Hb., X, 38 rappelle Rom., i, 17. — L'épitre aux Hébreux se rencontre
encore avec saint Paul sur le terrain des recommandations pratiques.
Les exhortations que reçoivent les correspondants de « rechercher la

paix avec tous les hommes (1) », « d'observer les devoirs de l'hospi-
talité (2) » sont comme des réminiscences de Rotn., xii. 18 : xiv, 19;
XII, 13: elles représentent un abrégé du thème moral si largement
développé dans cette épitre. — Enfin
on peut déceler entre ces deux
épitres certains rapports théologiques. La définition de la foi et la
justification qui en est proposée sont conçues selon l'esprit et dans
les termes de saint Paul la formule fameuse "Ejt'.v sa rJ.7-'.i àA-^o;j,£vo)v
:

jr.z7iy.z'.:. -pavjxâ-wv ÏKt-^yzz oj ^AîTuosAevwv (3) évoque le souvenir de

Rom., VIII, 2i. L'affirmation touchant l'immuable personnalité du


Christ, Hb., xiii, 8 fait songer à Rom., x. 12, de môme que la répro-
bation de la coutume relative à la distinction des aliments (i) nous
reporte aux considérations que fait valoir Rom., xiv et xv.
L'épitre aux Hébreux semble également se rattacher à la première
de Pierre. Entre elles on discerne un grand nombre de ressemblances
verbales. De part et d'autre, le péché est défini une ignorance, à^vo-z
et un égarement, rXJ.^rr,. Hb., v, 2 ix, T et I Petr., i, H; 11, 25. La
;

prérogative du chrétien est de posséder l'héritage de la bénédiction,


sjACYiav /.AY;ccvo;j.Erv, Hb., xii, 17 et 1 Petr., ni, 9. Le sang du Christ a
une vertu purificatoire, aly.a =avTi7;x:j. Hb., xii, 2i et I Petr., i, 2. Par

la médiation de Jésus, nous pouvons offrir à Dieu un sacrifice de


louange, Ouj-av a-vs^so^ç, Hb., xiii. 15 et I Petr., 11, 5; on pourrait
allonger la liste de ces rapprochements littéraires. — Les deux épî-

(1) Hb., 12. 14. - (2) 76., 13, 2. — (.3) Ib..±±, 1. — (4; Ib , 13, 10.

REVUK BIBLIQCE 1912. — N. S., T. IX. 5


66 REVUE BIBLIQUE.

très ontencore en commun certaines conceptions théologiques fon-


damentales. Le Christ, la sainteté incarnée, a satisfait en une fois
par son propre sacrifice aux exigences de la justice divine, Hb., vu,
26 et -27 ; ix, 28; x, 10 et 1 Petr., m, 18. La nature et rimportance de
la foi sont aussi envisagées de la même manière, Hb., xi, 1 et I Petr.,

I, 8 et9.
Ainsi l'épitre aux Hébreux^ demande à être située entre l'épitre aux
Romains première de Pierre d'une part, et l'épitre de Clément
et la
de l'autre elle dépend des premières comme elle contribue à expli-
:

quer la seconde. Elle doit donc faire partie de cette famille d'écrits
dont l'église romaine se réservait l'honneur, l'élaboration ou la pro-
priété. Puisqu'elle est si bien nourrie des conceptions et du vocabu-
laire de cette église, et quelle a ensuite si bien occupé et alimenté
sa pensée, n'est-il pas naturel d'en chercher la genèse et la destina-
tion dans le cercle de son influence immédiate, d'admettre qu'elle a
été écrite à la communauté romaine par l'un de ses chefs (1), par un
auteur de formation paulinienne et de culture ale.xandrine? L'hypo-
thèse de cette destination est la plus vraisemblable de toutes plus que :

les autres, elle s'accorde avec l'ensemble des données historiques et

de la critique interne.
les résultats
Néanmoins, malgré le patronage des savants distingués dont elle se
réclame, elle doit être, croyons-nous, accueillie avec un certain scep-
ticisme, car l'argumentation sur laquelle elle repose manque de net-

teté et d'une parfaite rigueur, elle ne suffit pas à produire la con-


viction. Indiquons brièvement les contestations qu'elle soulève (2).

La tradition que l'on invoque en premier lieu est vraiment trop


récente et trop indécise pour qu'on lui prête une complète autorité. Le
témoignage de saint Jérôme, trop éloigné déjà, n'a qu'une significa-
tion négative il dit ce qui n'est pas, que Tépitre aux Hébreux d'après
:

les Romains n'est pas de saint Paul il ne dit pas quels en sont les des-
;

tinataires et l'auteur. Le témoignage d'Origène, qu'Eusèbe ne fait

(1) Hb., 13. 10.

Quelques-unes «ics objections qu'on élève contre l'hypothèse considérée, ne sont pas
(2)
fondées, .\insi, M. Jacquier prétend que si notre épitre est adressée aux Romains, « on
s'expliquera dirticilenient ([ue l'auteur dise de ses lecteurs qu'ils sont lents à comprendre »,
5, 11. eux à qui saint Paul a écrit une lettre si riche de sens, « et dont il vante la foi dans
le monde entier » (Jacquier, op. c, p. 421). —
L'observation nous parait injustiliée. Rom..
1, 8 qu'on allègue n'a pas le sens qu'on lui prête la foi dont il est question dans ce pas-
:

sage, c'estpurement et simplement l'adhésion à l'évangile. —


M. Jacquier utilise Ub., 5, 11
non plus sous forme d'objection, mais à titre d'argument eu faveur de l'hypothèse de la
destination de notre épitre aux Judéo-chrétiens de Palestine Jacquier, p. 424). Comment
n'a-t-il pas vu que si cette indication vaut contre la destination aux Romains, elle vaut
encore plus contre la destination aux Judéo-chréliens?
MELANGES. 67

en somme que répéter, est impersonnel et réservé : l'auteur se fait

l'écho d'une tradition vague et inconsistante.

Si l'on les relations de dépendance


envisage ensuite avec minutie
que l'on signale entre Clément romain et notre épître, on se rend
compte qu'il faut, sans les rejeter tout à fait, beaucoup les restrein-
dre. Exception faite pour le passage où Clément explique la trans-
cendance du Christ, il n'y a pas dans l'ensemble de sa lettre de
traces évidentes de l'influence de l'épître aux Hébreux.
Les allusions historiques sont d'un tissu si faible et d'une lumière
si pâle que les interprétations qu'elles suggèrent, si bien agen-
cées soient-elles, n'emportent pas la certitude : elles éveillent le doute
et la défiance.
Enfin le sens attribué à la salutation à-::b -r,: 'I-7.k(x: et qui semble-
rait devoir clore la discussion, n'est pas la seule acception possible.
Si x-zéveille souvent l'idée d'éloignement, il exprime souvent
aussi, dans la langue néo-testamentaire, l'idée d'origine, abstrac-
tion faite de tout éloignement. Saint Pierre, quand il prêche à Cé-
sarée, appelle son maître 'Ir^aouv tov «7:0 Na^aps- (1). Les Juifs de
Thessalonique, qui ne purent contenir leur colère en apprenant que
Paul évangélisait Bérée et qui entrejjrirent de soulever la foule con-
tre lui, sont nommés :-. à-b -f,: Bzz'yyloyiv.r^q 'Icjoxîo', (2). Nous pour-
rions multiplier les citations analogues. Ces exemples attestent que,
dans legrec néo-testamentaire et pour exprimer le fait d'arriver d'un
lieu, ou d'appartenir à une ville, 7.-0 tend, selon la remarque de Fr.
Blass (3), à remplacer s; dont l'emploi en ce sens était déjà contraire
à l'usage attique. Par suite, l'expression « les gens d'Italie » peut
simplement les gens qui sont originaires d'Italie et qui y
signifier
demeurent et, dans cette interprétation, la péninsule serait le lieu
d'envoi de l'épitre. Rien, dès lors, n'assure .sans contestation possible,
qu'elle ait été adressée àune communauté italienne.
En dernière analyse, il nous semble impossible de dire catégori-
quement quels sont les destinataires de l'épitre aux Hébreux. Nous
avons examiné attentivement et sans parti pris toutes les conjectures
émises à ce propos, compulsé toutes les pièces du procès; si nous ne
voulons que traduire notre opinion, dans sa teneur exacte et précise,
en écartant les suggestions possibles du sentiment et de l'habitude,
nous devons affirmer que ces destinataires sont, pour le moment,
introuvables. Si les présomptions sont, à notre avis, en faveur de

(1) Actes, 10,38. -(2j/^.,17, 13. — (3) Fr. Blass, Grammatik des neutest. Griechisch.-,
Gollingen, 1902, p. 1-26 « Auch das partitive
:
il, selbst wenig klassisch, wird zuw. durch
das noch unklassischere àub vertreten. »
68 REVLE BIBLIQUE.

l'égliseromaine, elles ne sont pas toutes suffisamment fondées. Libre


à d'autres de se satisfaire à Taide d'hypothèses insénieuses et éphé-
mères, de voir au delà des témoignages dûment vérifiés. Nous préfé-
rons demeurer dans les limites de la connaissance positive, et si notre
travail aboutit à une conclusion plutôt négative, le résultat, nous
Tespérons, n'en sera pas inutile en ce qui concerne la destination :

de l'épitre aux Hébreux, il nous fait nettement savoir que nous ne


savons rien avec certitude.
Joseph QUEXTEL.

II

AHIQ.VR ET LES PAPYRUS D'ÉLÉPHANTINE 1).

1. — AUIQAR.
1'^ Dan^ le livre de Tobie. — Aliiqar Acheicharos, Achiacharos,
Achicaros'ine figure qu'en un endroit de la Vulgate, xi. 20, sous la
forme Par contre, les textes grecs du livre de Tobie et la
AchiiM'.
Vêtus Itala ont conservé le résumé de son histoire. Voici la traduction
du Sinaïlicus (2) :

I. 21-22. Sacherdonos, son fils fils de Sennacliérib}, régna après lui et il établit

Aliiqar. fils d'Anaël, fils de comptes de sou royaume, et il


mon frère, sur tous les

eut pouvoir sur toute l'administration. Alors Ahiqar intercéda pour moi et J'allai à
Ninive, car Ahiqar était grand éelianson et garde du sceau royal et intendant et
maître des comptes de Sennacliérib. roi des Assyriens, et .Sacherdonos l'établit en
second lieu dans le même emploi. Or il était mon neveu et de ma parenté.
II, 10. Et Ahiqar me nourrit pendant deux ans avant qu'il allât en Elymaide.

XI. 17-18. En ce jour-là après la guérison de Tobie). il y eut joie pour tous les
.luiFs qui étaient à \inive. Et Ahiqar et Xabad, ses neveux, vinrent se réjouir avec
Tobie.
XIV. 10. Vois, enfant, ce que Xadab a fait à Ahiqar qui l'avait nourri: ne l'avait-
il pas fait descendre vivant dans la terre? Et Dieu l'a traité selon sa
méchanceté de-
vant lui. Et Ahiqar est revenu à la lumière et Kadab est entré dans les ténèbres
éternelles, parce qu'il a cherché à tuer Ahiqar; parce qu'il m'avait fait l'aumône, il
est sorti du piège mortel que lui avait tendu >'adab, et Nadab est tombé dans le
piège mortel, et il l'a perdu.

^° Dam les légendes orientales. — Les littératures arabe, armé-

(1) Voirpapyrus dans Ed. Sachau. Aramiiische Papi/rus und Oslraha, Leipzig, 1911,
les

et les textesdes versions orienlales dans The slonj of Ahikar. Londres. 1898. Nous renver-
rons fréquemment, pour tout complément au présent travail, par le mol Histoire, suivi do
de la page, à nos traductions et études Histoire et Sagesse d Aliiqar l Assyrien, Paris,
:

1909, S°, 308 pages.


(2; Cf. Histoire..., p. 49-59.
MÉLANGES. 69

nienne, roumaine, slave, syriaque, renferment toutes une histoire


d'Ahiqar (Havkar, Khikar, Akyriosi dont il n'exisie, semble-t-il, aucun
manuscrit antérieur au \ii° siècle, et qui a été insérée au moins —
par Maxime Planude, au xiii^ siècle — dans la biographie d'Ésope(l).
D'après ces légendes. Ahiqar, scribe et trésorier de Sennachérib, puis
de Sarchédom, n'ayant pas d'enfant, adopte son neveu Nadan; il
l'élève, l'instruit et le présente à Sarchédom pour tenir sa place. 11
lui adresse une série de sages maximes pour compléter son éduca-
tion (2) :

... O mon ûls, si tu entends une parole, ne la révèle à personne et ne dis rien de
ce que tu vois..., écoute et ne te hâte pas de donner une réponse..., ne désire pas
la beauté du deiiors, car la beauté disparaît et passe, mais une bonne mémoire et un
bon renom demeurent à jamais..., joins-tni aux sages, aux hommes pieux, afin de
leur ressembler..., ne cesse pas de frapper ton entant; le châtiment du lils est comme
le fumier dans le jardin..., instruis-le et frappe-le tant qu'il est jeune... Mon fils, lors-

que tu as des serviteurs, n'aime pas l'un et ne hais pas l'autre, car tu ne sais pas le-

quel d'entre eux tu choisiras à la fin.... adoucis ta langue à l'aide des paroles de
Dieu et rends bonnes les paroles de ta bouche... Mon fils, j'ai porté du fer et du
plomb, et je n'ai rien vu -de lourd) comme l'opprobre et la calomnie..., un ami
proche l'emporte sur un frère éloigné et un bon renom sur la richesse du monde...

Nadan ne répond pas aux espérances que son oncle fondait sur lui.

Il frappe ses meilleurs serviteurs, il tue ses bêtes de somme et ses


nmles; il prend l'habitude de dire : <( Ahiqar. mon père, est vieux et il

a perdu l'esprit (;3/. » Il craint d'être déshérité et il imagine, au moyen


de lettres qu'il écrit au nom de son oncle, de le faire passer pour un
conspirateur et de le faire condamner à mort. Fort heureusement le

bourreau est un ami d'Ahiqar; il n'exécute pas l'ordre donné et il


cache Ahiqar dans une sorte de cave.
Peu après, le roi d'Egypte demande au roi d'Assyrie de lui envoyer
un homme qui puisse répondre à toutes les questions et bâtir un
palais dans les airs. Ahiqar seul peut suffire à cette tâche. Il va en
Egypte, répond aux questions du Pharaon et, à son retour, il demande
que Xadan lui soit livré. Il lui adresse une série de remontrances,
souvent sous forme de fables li) :

Mon fils, tu m'as été comme un scorpion qui a frappé une aiguille. L'aiguille
...

dit Tu as frappé un aiguillon qui est pire que le tien... Tu m'as été, mon fils,
:

comme celui qui jette une pierre vers le ciel; elle n'atteint pas le ciel et celui qui l'a
lancée a péché devant Dieu.. Mon fils, tu m'as été comme un chien saisi par le froid
.

qui fut se chaufiér chez des potiers et qui, lorsqu'il eut chaud, chercha à aboyer et

(1) Cf. Histoire..., \i. 74-109.


(2) Cf. Histoire..., \). 155 et passim.
(3) Cf. Histoire..., \). 185.

(4) Cf. Histoire..., [>. 238 sqq.


70 REVUE BIBLIQUE.

à les mordre. Ils se mirent à le frapper. Il aboya, et eux. craignant d'être mordus, le

tuèrent...
Lorsque Nadan eut entendu ces paroles, il gonfla aussitôt et devint comme une
ontre..., son côté se déchira et creva. Ainsi il finit et mourut.

Les criticjues. aux prises avec les versions précédentes, regardaient


Ahiqar comme un conte relativement moderne : certains supposaient
qu'il avait été composé après le livre de Tobie, pour expliquer les

allusions obscures de ce livre; la plupart admettaient qu'il pouvait


être antérieur à Tobie, mais en faisaient un vulgaire agrégat de
vieux contes, soit grecs, soit orientaux, soit hindous, suivant leurs
prédilections; ce n'était qu'un modeste courant, dérivé sur des sources
plus anciennes et plus pures (1).
3" Dafis l'ancienne lilli'ratwe grecque. — On connaissait cependant
déjà quelques témoignages qui nous montraient Ahiqar sous un meil-
leur jour Dans les Stromates, 1, 15, Clément d'Alexandrie, voulant
:

montrer que la philosophie grecque est puisée, en grande partie, dans


la philosophie des barbares, écrit « ... Les ouvrages moraux com- :

posés par Démocrite proviennent des Babyloniens, car on raconte qu'il


inséra dans ses propres écrits la traduction de la stèle d'Acicar (Achi-
car =
Ahiqar), en écrivant en tête Voici ce que dit Démocrite. » :

Ce témoignage nous reporte donc déjà au temps de Démocrite, c'est-


à-dire au v' siècle avant notre ère, et il nous apprend qu'à cette épo-
que Ahiqar s'est trouvé à la source de la gnomique grecque ("2). Ce
témoignage n'est d'ailleurs pas isolé, car Strabon écrivait, au
i" siècle avant notre ère « Les devins (sages) étaient honorés, au
:

point qu'on les jugeait dignes de la royauté, comme s'ils nous appor-
taient, et durant leur vie et après leur mort, les ordres et les avertis-
sements divins, comme Tirésias, Orphée et Musée... chez les Bospo-
réniens lire Borsippéniens) Achaïcaros. » Cette assertion de Strabon
:

provenait sans doute de Poseidonios qui vivait au ii*" siècle avant notre
ère S). D'ailleurs ii'^ siècle de notre ère, nous apprend
Babrius, au
aussi que « une ancienne invention des Syriens qui vi-
la fable est

vaient à Xinive et à Babylone » et nous incite donc à chercher encore


en Assyrie les prototypes des fables ésopiques qu'il mettait en vers (4).

(1) Cf. Histoire..., p. 15-35.


(2) Cf. Histoire..., p.
35-46. —
Notre opinion suppose seulement que Clément d'A. a fidè-
lement transcrit une tradition antérieure, comme les scribes ont ensuite fidèlement trans-
crit son texte sans le comprendre. On ne peut la contrôler efficacement sur les quelques

bribes conservées sous le nom de Démocrite.


(3) Cf. Histoire.... p. 46-48.

(4) Cf. Histoire..., p. 30-31 et 119-133.


MELANGES. 71

Ces témoignag-es retenaient assez peu l'attention, mais la découverte


dont nous allons parler vient de montrer leur importance capitale.

II. — LES PAPYRUS d'ÉLÉPHANTINE.


1° Les papyrus. — Dans volume qui vient d'être
le publié par
iM. Sachau, les tables 'tO à 50 (papyrus i9 à 59) portent des frag-
ments de l'histoire d'Ahiqar, écrits à Éléphantine environ 'i-OS ans
avant notre ère, car M. Sachau estime ip. 182j qu'ils peuvent être
de la même main
première pièce éditée par lui, laquelle a
que la

été écrite dans cette ville à cette époque.


Les tables 49 et 50 sont formées respectivement de 4 et de 8 courts
fragments. En général, les lignes sont à moitié tronquées, cependant
43 et 46 sont en meilleur état de conservation; ce sont ces
les tables
deux papyrus (avec la table 42) que nous avions vus, en 1908, au
nouveau Musée de Berlin, et qui ont servi de base à notre note sur les
papyrus araméens d'Ahiqar(l). On peut constater ici que les lignes
comptaient plus de quarante lettres. D'ailleurs les tables 47 et 48 por-

tent nous reste donc, sans parler des fragments 49


deux colonnes. Il

et 50, onze colonnes, en plus ou moins bon état, de quinze à dix- sept
lignes chacune, c'est-à-dire plus du tiers de l'étendue de la version
syriaque conservée.
^^ Leur contenu. — Les tables 40 à 43 portent les restes de l'his-
toire d'Aliiqar, et les tables 44 à 50 les restes des maximes et des
fables :

Ahiqar, « », garde du sceau de Sennachérib,


scribe sage et habile
roi d'Assur, et de son Asarhaddon, était « le conseiller de toute
fils

l'Assyrie » il élève Nadan comme son fils et le conduit à Asarhaddon


;

pour qu'il serve à sa place « à la porte du palais ». Le roi accepte et


Ahiqar semble adresser un premier conseil à « Nadan, le fils de sa
sœur ». Cette partie, qui n'occupe qu'une page dans la version syria-
que, est deux fois plus étendue dans les papyrus.
Après une lacune, on trouve tables 42 à 43) le récit de la condam-
nation d'Aliiqar et de la manière dont il échappe à la mort Asarhad- :

don dit " Celui que mon père avait élevé, qui a mangé son pain...
:

voudrait perdre le pays », et il charge Nebosoumiskouni 2), avec deux


autres hommes, d'aller trouver Ahiqar et de le mettre à mort. Le
bourreau expose sa mission (Nadan « que tu as placé à la porte du
:

(1} Cf. Histoire..., p. 288-210.


2 ^^ustt^ooocoj rend le nom assyrien Nébo-sum-iskoun, « Nébo a établi un nom. on un
fils )). Cf. Histoire..., p. 290.
72 REVUE BIBLIQUE.

palais t'a perdu ». Aliiqar rappelle au bourreau qu'au temps de Sen-


nachérib, père d'Asarhaddon, il l'a sauvé de la mort, et il lui de-
mande, en retour, de luirendre le même service. Nebosoumiskoun
accepte " et dit à ses compagnons, à ces deux bommes qui étaient
avec lui : Approchez, et je vous dirai le conseil qu'il me donne, et ce
conseil est bon. Lesdeux hommes répondirent et lui dirent : Dis-
nous donc, ô Nebosoumiskoun le licteur, ce que t'a dit celui-ci à qui
(toute l'armée d'Assur) appartient. Nebosoumiskoun répondit et leur
dit Écoutez-moi. Celui-là est Ahiqar, un grand, il est le sceau
:

d'Asarhaddon, le roi d'Assur; de son conseil et de ses paroles dépend


toute la puissance de l'Assyrie. Nous, ne le tuons pas. Je vous donne
un eunuque que j'ai, et, dans les montagnes, celui-là sera mis à
mort pour Ahiqar ». On annonce au roi qu'Ahiqar est tué et le
licteur rend compte de sa mission.
Cet incident, qui occupe deux pages et demie dans la version sy-
riaque, est encore ici dune longueur double. Nous constatons donc,
dans les deux fragments historiques conservés, que les papyrus, en
donnant la parole à tous les acteurs, en leur faisant répéter souvent
les mêmes formules et les mêmes choses, ont une longueur double de
la version syriaque; nous pouvons croire qu'il en était de même dans
les parties non conservées.
Tous les autres papyrus (tables 4i à 50) portent des restes de
maximes ou de fables.
« N'épargne pas le bâton à ton fils (table 4V, 3)... Si je te frappe,
mon fils, tu ne mourras pas (44, 4)... Prends garde à ta bouche, tiens-
la en toute garde, car la parole est comme un oiseau et celui qui
l'envoie est comme un homme (45, 3-5)... Que ton cœur ne se ré-
jouisse pas sur le grand nombre des fils ni sur leur petit nombre
(45, 12). » Plusieurs lignes sont consacrées au roi (table 44, 1, 6
à 10 et 14). On trouve des comparaisons : « J'ai levé du sable et j'ai
porté du sel et il n'y a rien qui soit plus lourd que (46, 1)... J'ai porté
de la paille et j'ai pris un joug et cela n'était pas plus léger que
d'habiter (46, 2)... Mieux vaut une brebis (47, 11)... » On trouve aussi
des fables « La panthère rencontre la chèvre lorsque celle-ci était
:

nue (tondue?). La panthère dit à la chèvre Viens et je te couvrirai :

avec ma fourrure... La chèvre répondit et dit à la panthère Est-ce :

que ma peau ne me couvre pas? Ne me l'enlève pas (seulement/, car


(ta sollicitude m'est suspecte) (46, 8-9). » On trouve mentionnés l'âne,

le cerf, le lion, le chameau, l'agneau, l'oiseau, le dragon, la pan-

thère, la chèvre, la gazelle, l'ours, la brebis, l'ànesse, le buisson


d'épines, le grenadier, le ver. Cf. Sachau, p. 181.
-MÉLANGES. 73.

« Dieu » V figure en de nombreux endroits sous les formes ^i (une


fois\ vo^:i^ quatre fois), i-oi^ deux fois On ne trouve nulle part le .

nom '< Jéhovah », qui figure une quinzaine de fois sur les autres
papvrus sous la forme oou. De même que l'hébreu z^n^.v désigne tan-
tôt le vrai Dieu et tantôt les dieux des païens, et quil doit être lu
tantôt au singulier et tantôt au pluriel, tout en éfant une forme
plurielle; de même ici ^o,ss est un pluriel emphatique et v»'^ est sans
doute aussi un pluriel masculin, car la finale apocopée v^ pour ^ est
fréquente dans les papyrus, et d'ailleurs v.o,s^ est quelquefois cons-
truit avec un pluriel; cependant, au point de vue grammatical, on
peut souvent traduire par « notre Dieu ». On trouve, par exemple :

'< ... elle est précieuse aussi à notre Dieu ou : aux dieux vpc^p;; 'pour
elle un royaume dans le ciel est placé, car le maitre des saints
.ç»;^ ^\^ (l'ia enlevée table ïôA
yeux de notre Dieu des
... Si les

dieux) (senti sur (jnelqu'un table +6.1 ... C'est un péclié contre no- 1-

tre Dieu lies dieux table i7.3 ..., et ne procède pas de notre Dieu
(des dieux (table tT,10j..., un homme sera gardé avec notre Dieu ,les
dieux (table i8,2). n En tous les endroits précédents la traduction
«- notre Dieu » est suffisante. Mais on trouve aussi, avec un verbe au
pluriel « Si une malédiction sort de leur bouche, les dieux (notre
:

Dieu) les maudissent >st>»^ v5^-^ v«»^ table iô.ii » De même, en un .

autre endroit (46,5 vocsx est suivi d'un verbe au pluriel


, v©'^ ^?a— v*° : '

•>:>o.oo\ oni..^ >^ v^nvv.m. oo, « et sil cst Tauii dcs dieux de notre Dieu 1 ),

ils placeront le bien dans son gosier, pour parler ". En un dernier

endroit +T. I, 1\ le pluriel emphatique ^©oi^ est suivi de deux verbes


au SmÛTUlier ;-/>^i^ wOi ^.lov.o 0)>»i>:a ov.^ai^
!
ll-ovS^ ovia\ ^Ji-jj:^ /-è^— .JsJÎOil "^|o

« N'envoie pas ta flèche contre le juste, de crainte que Dieu dieux)

n'augmente à son secours ne lui donne un grand secours et ne le ,

fasse se retourner '2 contre toi ». Il semble donc bien qu'il y a


identité entre i-ociv. ^w^ et l'hébreu i:\"i"'N ; c'est d'ordinaire un singu-

Nous tenons, comme M. .Sachau le reconnaît probable, que le texte jxjrte >*— ^ et non
1;

^
yi '^v car l'ombre légère que l'on voit au-dessus de la ligne ne doit pas être prise pour le
haut d'un noun, vu que. d'après l'encre employée pour ce papyrus, une porlio7i de lettre ne
se réduit pas ici à une ombre, elle n'existe pas ou bien elle est d'un beau noir. Ceci a l'a-
vantage d'expliquer ow en le rapportant à la ligne précédente « (voici) un homme petit et :

il grandira, ses paroles résonnent au-dessus de lui, parce que l'ouverture de sa bouche est
près de Dieu. Et voilà qu'il est aimé de Dieu; il placera (litt. ils placeront^ le bien dans :

sa bouche pour parler de nombreuses choses,., et personne ne saura le nom d'eux ». Ce


texte fait songera Eccle., ix, 15 Inventus est in ea vir pauper et sapiens... et mdlus
:

deinceps recordatus est pauperis. Mais si l'auteur ne met pas indistincte-


hominis illius
ment le pluriel et le singulier, il faut couper la phrase avant « de nombreuses choses ».
'2] coua*Lov. est une 3' personne masculin, car on lit, table 50,2 uovi^a^, u| qj© l;-aoo- :

« c'est un maitre qui lui donnera a goûter ». Voir aussi Sachau, p. 272 et 273, 1. 1-4.
74 REVUE BIBLIQUE.

lier qui peut être traduit par Dieu ; il est même inutile d'écrire « no-
tre » Dieu, et il est impropre d'écrire « les dieux ». bien que la forme
plurielle du mot puisse le faire construire quelquefois, par attraction,
avec le pluriel. Cette conclusion est encore fortifiée par la table 48.
col. 2, c[ue l'on peut comparer à un psaume : « Place-moi, ô Dieu (^i),

parmi (les) justes de ton peuple..., ceux qui me haïssent mourront et


non par mon glaive..., je l'ai abandonné daus lombre du secret...,
j"ai abandonné tes miséricordes (ta grâce)... » Ici tous les mots qui

ont Dieu pour sujet sont au singulier.


Nous ne nous occupons pas ici des Juifs d'Assouan (1^, mais seu-
lement de Vauteur d" Ahiqar, tables iO à 50. Si. avec M. Sachau, on
en fait un païen, il nous faut dire du moins que notre thèse géné-
rale n"a pas à en souffrir; cela aurait mémo l'avantage d'expliquer
a priori pourquoi cet auteur, supposé païen, ne pouvait pas men-
tionner Tobie; mais il faudrait alors expliquer pourquoi le paga-
nisme, si frappant dans les documents d'Âssouan, n'a pas laissé
plus de traces dans Ahiqar et la présence du psaume monothéiste
de Nous préférons interpréter dans le sens d'un
la table i8, col. 2.
auteur monothéiste, malgré les objections fondées que l'on peut
adresser à cette thèse, mais ce point est secondaire.
3'' Leur auteur. — Nous pouvons
donc supposer, d'après la discus-
sion précédente, que leur auteur est un juif-araméen du \f siè-
cle (2); nous pouvons l'appeler un Élohislc, puisqu'il n'emploie que
ce nom. Sa patrie est l'Assyrie, à cause des noms assyriens qu'il
emploie si bien; les papyrus conservés n'ont même absolument
rien qui les rattache à l'Egypte on n'y trouve : pas trace du Pha-
raon et de ses énigmes. D'ailleurs les papyrus d'Ahiqar voisinent
avec la traduction araméenne de l'inscription assyrienne gravée
par Darius sur les roches de Béhistoun. tables 52 et 5'i.-5(j, cette

traduction n'a pu être faite qu'en Médie (près de l'Élymaïde) (3i,

(1) semble y avoir eu à A«souan 123 Juifs honiines et femmes) que nous regardons
11

comme doute jamais appartenu à l'élite de la nation.


rnonolliéistes, liien qu'ils n'aient sans
A coté d'eux se trouvaient 190 Palestiniens du nord Ephraïiniles et Samaritains; poly-
théistes. Ils avaient le même ethnarque lédoniah, car celui-ci totalisait le « denier du
culte » |)olythéiste à la suite de la liste de Yalio (c'est son total : 12 -f- 7 kérèchs, ou
380 sicles, versés par les adorateurs d'Asambélhel et de 'Anathbéthel. table 17. col. 7,

qui nous apprend l'existence de 190 Israélites du nord, hommes et femmes, polythéistes''.
Us vivaient en bonne intelligence, car lédoniah recommandait les 12.3 Juifs aussi bien aux
filsde Sanaballat qu'à leur grand prêtre. A côté de cette garde nationale, il y avait quelques
milliers de soldats perses, assyriens ou araméens de l'est; ce sont ces derniers qui ont
apporté à Syène Ahiqar et l'inscription de Béhistoun.
(2) D'après .M. Sachau. cet auteur (païen) aurait écrit de 5.50 à 450. Pour nous. « Juif »

est synonyme de « monothéiste ».

(3} Car Béhistoun se trouve dans le pays où se déroule l'histoire de Tobie.


MÉLANGES. 75

et les Araméens. (jiii lnut apportée de la Mésopotamie en Egypte,


ont pu apporter en même temps la légende d'Aliiqar. Nous ne

pouvons tîxer la date de cet apport, car les Juifs étaient fixés à Eié-
phantine dès avant conquête perse de Cambyse, c'est-à-dire dès
la

le milieu du icf. Sachau, p. xiii-xiv


vi- siècle avant notre ère il est ;

probable cependant que les premiers venus, soldats mercenaires et


marchands, ont dû avoir pendant longtemps d'autres préoccupations
que l'histoire et la littérature. La traduction de linscription de
Béhistounn'a pu être portée en Egypte longtemps avant la mort de
Darius ,i85^: c'est p. 113
encore de +83 Sacliau,
«-Oi Sachau. ,

p. 100 . +71, +6."). +59 Cowh'y


que sont datés les plus
et Sayce
anciens actes de famille trouvés à Éléphantine: c'est donc vraisembla-
blement vers cette époque aussi que la légende d'Aliiqar a été appor-
tée +80-ii0 Elle a été transcrite ensuite une ou plusieurs fois, en
.

particulier vers l'an iOT cf. Sachau, p. 182). sur un papyrus palimp-
seste, chargé auparavant des comptes d'un marchand, dont les restes
viennent d'être édités.
La langue originah de l'écrit est sans doute raraméen, surtout si
l'on admet que l'auteur est juif, car il n'est pas vraisemblable qu'il
aurait employé l'alphabet cunéiforme et la langue assyrienne, lors-
qu'il était en possession d'un instrument aussi perfectionné que
l'alphabet phénicien. Du moins, la traduction conservée de l'inscrip-
tion assyriennne de Béhistoun montre que l'auteur araméen d'Aliiqar
pouvait insérer dans son œuvre une série de maximes traduites d'une
stèle assyrienne —
c'est par une stèle, dit Clément d'Alexandrie, que

Démocrite lui-même aurait connu Ahiqar 1 ou du moins imiter —


et paraphraser quelques documents lus par lui en langue assyrienne.

m. — COMPARAISON' DE LARAMÉEX (a)


ET DES LÉGENUES ORIENTALES O .

1' La forme des papyrus araméeîis A est plus populaire que celle
des légendes orientales . A multiplie le style direct, allonge, mul-
tiplie les incidentes. Jusqu'ici pourrait représenter une série de
revisions améliorées de A. Il n'en va plus de même si nous étudions
le fond. Le plan est le même, mais tout le reste diffère : la présentation
de Xadan au roi, qui est réduite à peu de chose par 0, est développée
et répétée par A. Les efforts d'Aliiqar pour avoir des enfants, longue-
ment développés dans 0. semblent avoir manqué dans A (2). Dans 0,

(1, Cf. Hisloire..., p. 35-36.

(2; Car la table iO, dit M. Sachau. p. 150. semble porter le début de la légende.
76 REVLE BIBLIQLE.

Ahiqar est confondu devant le roi et lui demande la faveur d'être mis
à mort dans sa maison daprès A, Ahiqar est très éloigné quand il
:

est accusé et condamné, car cest avec « des chevaux apides et i >'

« après deux autres jours que le bourreau et ses aides le trouvent.


>-

Dans 0. la femme d"Ahiqar joue un grand rôle pour le sauver, dans


A elle nest même pas mentionnée. Dans 0, ce sont des Parthes li
qui sont envoyés avec le bourreau pour tuer Ahiqar; dans A, ce sont
deux hommes seulement. Dans 0, on enivre les Parthes et ils croient
tuer Ahicjar lorsqu'ils tuent un esclave; dans A. le bourreau per-
suade à ses deux compagnons de tuer un eunuque en place d'Ahiqar.
Enfin la comparaison entre les 285 maximes ou fables de et les 100
à 120 dont A nous a conservé des frasrments, n'a euère fourni à
M. Sachau c{u"une identité table iô. {2^ et quatre analogies ;ii,3;
i

45,4; i6,l,2). Nous pouvons conclure sans hésiter que O et A sont


deux rédactions indépendantes rune de l'autre; ne provient pas de
A, et même et A ne peuvent pas provenir d'une source écrite com-

mune.
Pour on comparera rapidement
se convaincre de ce point capital,
non seulement
entre elles les diverses versions orientales, on trouvera
un plan commun, mais de nombreux détails communs, des phrases
identiques, de nombreuses maximes communes qui permettent de
dresser un tableau très charg-é de sentences idenlicjues 2 aussi on ;

conclut sans hésiter que toutes les versions orientales découlent, ou


les unes des autres, ou d'un écrit prototype commun que nous avons
appelé 0. La comparaison de avec A ne nous révèle rien de sem-
blable. — On peut encore comparer entre elles les diverses recen-
sions du Livre de Tobie : grecques trois recensions), araméenne,
hébraïque, latines on trouvera non seulement
Velus itala et Vulg-ate .

un plan commun, mais mêmes événements racontés en somme de


même manière on verra que les ditférences tiennent à des mots dif-
;

férents employés pour rendre la même idée; d'autres fois les mots
sont les mêmes, mais une recension paraphrase tandis qu'une autre
condense, ou emploie le style indirect, comme plus rapide, de préfé-
rence au style direct; on conclura donc que toutes ces recensions dé-
coulent les unes des autres ou d'un prototype commun, mais il n'en
est pas de même pour et A. — On
se convaincra ainsi que la lé-
gende d'Ahiqar par deux auteurs indépendants l'un de
a été rédigée
l'autre : un juif élohiste, d'où les papyrus A, et un autre auteur

(1) Noter que ce nom « Parthe » figure peut-être dans la traduction araméenne de l'ins-

cription de Béhisloun i
Sachau, p. 201, table 56,2, 1. 5).

'1) Voir, par exemple, Histoire..., 82-86; 92; 94-98; 99-102.


MÉLANGES. 77

(était-il araniren païen? . d'où les versions orientales 0. Ils ne pri--

supposent qu commune ; sus ont utilisé des docu-


une tradition orale
ments antérieurs, ces documents ne leur ont pas été communs. Il
est d'ailleurs difficile de reconstituer le prototype 0. à cause du man-
que de témoins anciens.
'î' Reconstitution de l'ancienne tradition orale. dépit de ses — En
lacunes, A est capital, parce qu'il nous permet, en
rapprochant de le

0. de saisir, au v'' siècle avant notre ère, c'est-à-dire bien près de sa


source, la tradition orale sur laquelle repose la lésende d'Ahiqar.
Aliiqar était un homme instruit et sage, scribe et trésorier du roi
Sennachérib. Il a l'occasion de sauver la vie à l'Assyrien Xebosou-
miskoun, accusé à tort d'un meurtre: cache dans sa maison
il le et
laisse croire qu'il l'a tué, jusqu'au jour où il peut le disculper et le

rendre à l'atl'ection du roi. Asarhaddon, il


Plus tard, sous le roi
adopte Nadan, le fils de sa sœur, et il lui transmet sa charge au pa-
lais. Nadan le paie d'ingratitude, il l'accuse de trahison et Asarhad-

don charge Nebosoumiskoun de le mettre à mort. Celui-ci rend à Alii-


qar le service qu'il en a reçu; il l'épargne dans l'espoir que son
innocence éclatera un jour. Ahiqar était d'ailleurs un sage, à qui la
tradition prêtait beaucoup de sentences gnomiques et de paraboles
sous forme de fables d'animaux.
Ce canevas est très simple et n'offre rien d'invraisemblable. On a
d'ailleurs le droit de le compléter avec les données du Livre de To-
bie, de Strabon et de Clément d'Alexandrie, car les auteurs des papy-

rus n'avaient certainement pas la prétention d'être complets, puis-


qu'ils paraissent ignorer non seulement les lois juives, "ce qui se —
comprend dans une certaine mesure lorsqu'il s'agit de lois restric-
tives. —
mais encore toute la glorieuse histoire de leur nation: nous
pouvons donc ajouter qu'Ahiqar était juif, comme en témoignent, en
des degrés différents, son nom, la prédilection des juifs pour son
histoire et le Livre de Toôie.

L'ancienne tradition orale repose-t-elle sur une fable antérieure
ou sur une histoire? —
Pour expliquer cette tradition orale du vi'' siè-
cle avant notre ère, consignée par écrit du vi" au v'. il serait as.sez
commode d'invoquer « le vieux fonds des contes orientaux » et de

n'en voir qu'une variation. Mais les lecteurs ont le droit d'exig"er
ici

la présentation de « vieux contes orientaux antérieurs au v" siècle


avant notre ère ». Tout ce qu'on possède en ce genre de la Chine ou
de l'Inde est, à notre connaissance, postérieur à cette date et a donc

chance — si l'on veut absolument établir une filiation d'être un —


dérivé d'Ahiqar et non une source. On pouvait peut-être tirer Ahiqar
78 REVUE BIBLIQLE.

d'un vieux conte tant ([ue nos plus anciens manuscrits ne nous repor-
taient qu'au xii' siècle, etque l'une des principales sources était un
conte des Mille et une Nuits. Si le Roland de Roncevaux n'était connu
que par YOrlaîido fwioso de l'an 1516, on pourrait aussi supposer a
priori que c'est une métempsycose d'un roman quelconque de che-
valerie. Mais aujourd'hui qu'une découverte inespérée — disons
providentielle — nous
rendu une légende d'Aliiqar, rédigée au
a
v^ siècle avant notre ère, sans anachronisme il), sans jongleries (2 ,

sans impossibilités, nous nous refusons à chercher dans une autre lit-
térature l'origine de notre légende. Il ne reste donc plus qu'à nous
demander si la tradition orale a créé la légende de toute pièce au
VI^ siècle, ou si elle s'est bornée à embellir un fait divers du Vil" siècle.
Nous tenons pour la seconde hypothèse; elle nous parait plus sim-
ple, plus fondée et seule capable de rendre compte de tous les faits.
Rien de plus simple, en effet, que le canevas de « l'histoire » d'Ahiqar.
De tout temps et en tout pays, des représentants de ce peuple auquel
Dieu a promis les biens de la terre, se sont trouvés parmi les plus
puissants, au moins comme leurs instruments. Je citerai l'histoire
d'Abarbanel, qu'un hasard m'a fait résumer pour le Dictionnaire

d'histoire : il a été trésorier d'Alphonse V, roi de Portugal, et, comme


Ahiqar. il a été chassé plus tard sous l'inculpation de trahison; comme
Ahiqar encore, il consacrait ses loisirs à la philosophie. 11 n'est pas
étonnant qu'Asarhaddon ait eu, lui aussi, son juif, et il est encore
moins étonnant, vu les fluctuations des anciennes cours orientales (3;,
que celui-ci ait perdu, puis recouvré, la faveur du roi. Cette hypo-
thèse explique tous les faits connus Ahiqar était l'un des sages de :

Rorsippa, comme la dit Strabon. Ses sentences, portées au v" siècle en


Égvpte, pouvaient avoir été écrites dès le vi*^ ou le vu' en Rabylonie,
et Démocrite a pu en lire, au v% une recension sur une stèle ou un
cylindre, comme l'a dit Clément d'Alexandrie. Ses paraboles, en
forme de fables, ont pu donner aux Grecs le modèle et le goût de
ce genre de littérature, et c'est peut-être lui qui a été visé par

r Jusqu'à notre travail, cf. Histoire.... p. 4, toutes les sources orientales connues fai-

saient de Sennachérib le fils d'Asarliaddoii.


^2 ) aucune trace, dans les papyrus conservés, du voyage en Egypte, de la construc-
Il n'y a
tion dans les airs, etc., qui donnaient à la légende d'Ahiqar l'allure d'un conte.
du palais
On peut croire que A n'avait pas encore cette incidente. Elle n'est d'ailleurs pas néces-
saire, carNebosoumiskoun qui avait été condamné à tort et épargné, comme Ahiqar, a bien
pu rentrer en grâce sans construire un château dans les airs.
(3j Voir Revue biblique, 1911, p. 201, 1. 10-13. Dans une révolution de palais, sous
A.«arhaddon, un grand-vizir (tel .\hiqar) devait être amené à Ninive pour y subir le dernier
supplice.
.

MELANGES. 79

Babrius 1 . Il peut avoir éU' le parent de Tobie -2 et il n'est plus


nécessaire de supposer que l'auteur de ce dernier livre est un im-
posteur (3 •

Cette « histoire o, ou le conroit, faisait l'orgueil des Juifs. Nous


sommes bien sur que, même dans la rédaction déjà légendaire con-
signée par écrit deux siècles après Tévénement, ils n'ont jamais vu
« un conte ». car elle ne commence pas comme nos contes : « 11 était
une fois un vizir d'un grand prince ". mais par : « Il se nommait
Ahiqar; c'était un scribe sage et habile: il instruisit son fils Xadan...,
le sceau de Sennachérib, puis d'Asarhaddon, rois d'Assur, était eu sa
main» (table iO, 1-3 Ce scribe, ces rois, les grands-pères des pre-
.

miers rhapsodes les avaient vus, et leurs descendants avaient emporté


leur (( histoire » en Egypte en même temps que celle des victoires de
Darius, car si celles-ci, traduites sur les rochers de Béhistoun, étaient
l'orgueil de l'armée perse dont ils faisaient partie, « l'histoire d'Ahi-
qar » était l'orgueil de leur race, eux qui se qualifiaient d'Araméens
et de Juifs dans tous leurs écrits; c'est pour cela que leur ethnarque
lédoniah la copiait et la lisait à Éléphantine.
De même —
pouvons-nous dire en terminant que deux siècles —
après le désastre de Roncevaux, ni quo praelio Hruodlandus, Britan-
nici liniitis praefectus, interficitur, en tête de l'armée qui envahissait
l'Angleterre :

Li Taillefei- allait caatant


De Karlemaigne et de Roland :

de même, deux siècles après celui qui avait vu la puissance et la sa-


gesse d'Aliiqar. ainsi que sa sollicitude si mai récompensée par Na-
dan, aux mercenaires juifs qui veillaient aux frontières de la Nubie :

lédonîah allait contant


Sur Ahiqar et sur _\adan,

et. si la chanson du premier avait pour point d'appui un menu fait


historique, le récit du second procédait d'un « fait divers » de la
cour d'Assur.

(1) Cf. supra, I, 3".

(2) Cf. supra, I, T.


Pour terminer par un peu de chronologie, on place Sennachérib de 705-681 et Asar-
(3)

haddon de 681-668 La tradition orale a pu conduire au siècle suivant à des rédactions, en


Médie et en Assyrie, d'une légende avec fables et masimesaulhenliciues ou supposées. Esope
et Démocrite en ont eu connaissance et l'une d'elles a pu être portée en Egypte entre 480
et 440.

Paris, 19 novembre iOil.


F. Nau.
80 REVUt: BIBLIQUE.

III

INSCRIPTION MINÉENNE RELIGIEUSE DE HEREIREH

Le texte que nous présentons aux lecteurs de la Revue fait partie


de la moisson épigraphiquc recueillie à Hereibeh près d'El-'Ela, lors
de notre dernière mission en Arabie. A vrai dire, il n'est pas absolu-
ment nouveau. M. Millier la étudié d'après les co pies de Doughty,
Huber et Euting (1). Plus tard, M. Mordtmann a essayé, avec sa saga-
cité ordinaire, une nouvelle explication (2). Mais ces savants navaient

à leur disposition que des copies insuffisantes et n'ont même pas


essayé une interprétation intégrale. Heureusement, nous avons rap-
porté un excellent estampage (fîg. 1) qui assure le déchiffrement de ces

Fig. 1. Hereibeh. Inscription minéonne; iiiioto de l'estampage.

caractères négligés, assez irrégulièrement tracés sur la surface ru-


gueuse de la paroi (3). Et à la certitude de la leclure est joint désormais

(1) Epigrajihische Denkmiiler ans Arabien, p. 51.

(2) BeitrïKjezur Minaischen Epigraphik.


(3) Ce texte comprend cinq lignes et mesure : longueur, o'",33: largeur, 0"'.18; dimen-
sion moyenne des lettres, O^iOS.
.

MELANGES. Si

un autre avantage appréciable la connaissance de la situation exacte :

du document. Il est gravé au-dessus dune tombe creusée dans le


rocher, entre deux êtres fantastiques qui ont une ressemblance loin-
taine avec des sphinx et qui paraissent avoir été placés là comme
des gardiens à l'entrée de la tombe. Le rapport du document avec le
monument aide à saisir le sens de ce texte dont voici la transcription :

bx^m I
p I x;- . I

'-
; 1 rN"::ri2 i ]- i
-^^ .-1

"î Snx I
-••
;
--: .'i

^'2'j •;-'27 '-•::'-,


! i .4

jn-N' ; ]z- .5

1. Hd/ii' /ils de Wahab'il


'1. de Mali h a gémi dans les péchés.
3 Sakrah Wadd ont
imposé ceci
et

k. pour qu'il soit pardonné. Le tombeau a été fait


5. en la {même) année et en la [même) date.

L. 1. — 'xz.-" 1 "ji : x;- ne soutire aucune difficulté ni de lecture


ni d'interprétation. Ces noms sont fort connus.

L. 2. — n'^ZT signifie « de la famille de Malih ». L'expression a


été déjà signalée en minéen (1) et nous l'avons nous-mêmes rencon-
trée plusieurs fois dans les graffites minéens que nous avons relevés.
— 'H, entre les deux barres de séparation, ne saurait faire Tombre
d'un doute quant à la lecture. Pour le sens, il sera rapproché non
pas de la conjonction ^,' qui n'aurait ici aucune signification, mais du
verbe arabe *^ï <c gémir, pleurer ». Le motif de cette douleur inté-
rieure est contenu dans le mot suivant. rx^cni — « dans les péchés ».
Le même terme avec la même signification se retrouve plusieurs fois
€n minéen; répond à l'arabe .^^i^. On notera la forme de l'avant-
il

dernier signe qai est assurément un n* mais auquel le lajîicide a


donné une barre de trop comme s'il avait voulu tracer un r; lihya-
nite, ce qui n'aurait ici aucun sens. Une autre maladresse du gra-
veur se constate aisément dans le signe qui suit rx"::-. Selon toute

vraisemblance, ce signe qui ne répond à aucune lettre en minéen doit


être divisé en deux éléments dont le premier représente la barre de

(Ij Cf. M. Hartmvnn. Die Arabische Frage, p. 281.


REVUE BIBLIQUE 1912. N. S., T. IX. —
82 REVUE BIBLIQUE.

séparation nécessaire après rx":::! : le second élément est le :. lettre


initiale du nom du dieu Xakrali il).

L. 3. — ~~::. Contrairement à l'usage qui mentionne la triade nii-


nécnne Wadd, Nakrali et Attar ou bien qui nomme un seul dieu, soit
:

'Attar, soit Wadd, soit Nakrah. nous avons ici deux divinités Nak- :

rali et Wadd. Assurément, il nexiste aucune preuve pour voir dans les

deux représentations étranges sculptées de chaque côté du tombeau


( fig". 2) une image quelconque de ces divinités: mais cependant serait-il

téméraire de soupçonner l'auteur d'avoir voulu noter un rapport, si

faible soit-il, entre ces deux noms divins et ces deux êtres mystérieux?

La religion minéenne est encore si peu connue •-;


''?nN. ainsi écrit I

estd'une lecture absolument certaine. Mais la question se pose doit- :

il être considéré comme un seul nom? Dans le cas affîrmatif. on sup-


posera probablement une racine ï^n. En hébreu, on connaît ~7'^.

« vie » rëipondant à l'arabe -v^ « durer » : mais la racine -;''-


n'existe
pas en arabe. Cette supposition n'aboutit donc pas à une solution
acceptable et il faut, semble-t-il, séparer ce groupe de lettres en deux
mots : Tix -j- ••7. Le lapicide distrait aura vraisemblablement gravé
dans l'intérieur de Ln de tn^j::-. placé immédiatement au-dessus, la
barre de séparation. De rechef ?rix présente une réelle difficulté. Tout
d'abord, on admettra très vraisemblablement qu'on a un verbe sous
les yeux, et un verbe qui a pour sujet, non point n:~ sujet de *~: mais
les deux dieux mentionnés immédiatement auparavant. Cette explica-
tion donne seule raison de l'absence du waw devant "^ns. .Maintenant,
quelle est la valeur de -nx ? Impossible de le regarder comme étant
une forme primitive dont on ne pourrait justifier l'existence. On le

considérera donc comme étant une quatrième forme de J.^ ou de


J.::^..
Mais dans ce cas, on se heurte à une autre difficulté ce nest :

pas 'ûs qu'il faudrait, mais "Mt" d'après la grammaire minéenne.


Étant donnée la négligence de notre lapicide. dira-t-on qu'il a tracé

un N à la place d un 'C? et on sait combien minime est la différence

entre ces deux lettres minéennes! ou bien, à cause de l'époque tar-


dive à laquelle semble appartenir l'inscription, préférera-t-on admet-
tre un arabisme? Les deux solutions paraissent acceptables. Nous
proposons de voir dans "tîn la quatrième forme du verbe J^ « délier,

être licite -•.à la quatrième forme J^î « concéder, rendre licite »,

(1) La petite l>arre transversale qui unit le jet la barre de séparation n'est pas de na-
ture à uiodifler celle lecture.
MÉLANGES. 83

et aussi « imposer quelque chose comme obligatoire » eu parlant de


Dieu : « [mposuit Deus alicui mandaium iieccssaiio peragendum <•,

Fi^'. -1. — ii riliLiK \ii U'L'ii-einljle du luunuraent avec l'inscription minéeune.

apud Freytag. Cette dernière sisnification convient parfaitement


après la mention des deux divinités Nakrah et Wadd qui agisseut
comme des maîtres à l'égard de Hàni' saisi de repentir à la vue de ses
84 REVUE BIBLIQUE.

fautes. — •-; ne saurait être ici ni un duel ni un pluriel de J^ " celui

de, possesseur de... », mais doit être pris comme l'équivalent du pro-
nom démonstratif féminin arabe ^^ « celle-ci, ceci ». L'arabisme

constaté dans la forme verbale Jcs.' au lieu de J.^s— autorise, sem-


'

ble-t-il, l'écriture de l'arabe n au lieu de la forme régulière minéenne


nï. Et ce pronom démonstratif féminin parait devoir se rapporter à
la représentation des deux êtres fantastiques sculptés à coté.
L. i. —
Spin « pour qu il soit pardonné ». Le a la valeur d'une "t

conjonction qui gouverne le subjonctif. En minéen. on écrirait régu-


lièrement TTsZ ou 7\-h. Mais l'inscription, sous son enveloppe de carac-
tères minéens, est d'une langue de transition. Or on sait qu'en ara-

niéen, le simple pour introduire une phrase relative il en est


-; suffit ;

de même en éthiopien. Dans le cas actuel, on constate la même régie.


— Sp:*! peut être à l'imparfait subjonctif de la forme en nûn du verbe

S-.^. A la quatrième forme JU' a le sens de « demander pardon, faire

pardonner ». La forme en mm J^j[ n'est pas donnée par les lexiques;


mais elle se construit régulièrement et grammaticalement avec le

sens de «pardonné ». C'est la signification réclamée par notre


être
passage, tandis que le sens de « transporter, enlever », sens propre au
verbe Sp: et adopté par Mûller et Mordtmann, ne cadre nullement
avec le contexte. —
"il^p désigne évidemment la tombe creusée dans

la roche, au-dessous de linscription c'est un simple four de 2'", 15 en ;

movenne de profondeur, sur 0"',T5 de large. "^"2" est un


verbe dont —
le sujet est 'C-T-\ il répond à l'arabe v.>' ou ^^ « a été construit ».

Cette troisième phrase commence ex abrupto, sans copule, comme la

deuxième.
L. 5. — ;E"iri indique le printemps et l'année. Le mot suivant "jnT.x

signifie « date » d'après l'arabe ^ t Aucune autre indication n'est

ajoutée : cela n'a pas paru nécessaire. Car on veut nous nire simple-
ment que la tombe en question a été creusée la même année et à la
même époque que les deux sphinx ont été sculptés.

L'importance de cette inscription n'échappera à personne. Hàni' a


commis des fautes dont il conçoit une vive douleur. Pour obtenir son
pardon, il est obligé de se soumettre à l'ordre émané des deux dieux
Nakrah et Wadd, de faire sculpter, de chaque cùté de sa tombe, la
MELANGES. 8a

représentation des deux êtres mystérieux. Cette idée de l'expiation


d'une faute par un acte pénal voulu par la divinité, devait être assez
répandue parmi les Minéens, si Ton en juse par d'autres textes ( 1).

Novembre l'.'ll.

A. Jais s EX et H. Savigxac.

(1} Cf. MliLtER. Siidarabl^che AlterthUiner. p. 20 âs. et Lvgkange, iVwc/ei mr les reli-
gions sémitiques, T éd., p. 256, note 4.
CHRONIQUE

LES RECENTES FOUILLES l) OPHEL.

3. Le passage souterrain entre la fontaine et la crête d'Ophel.

Le 24 octobre 1867, M. le capitaine Warren. du génie anglais, assisté


du sergent Birtles, pratiquait lexploration périlleuse d'une série de
puits, galeries horizontales, cavernes, escaliers creusés dans les en-
trailles de la colline et conduisant du plan de la fontaine presque 1

sous la crête du plateau. Cette audacieuse expédition eût certaine-


ment été célébrée par l'épopée antique à l'égal du coup de main hé-
roïque d'Ulysse et de Diomède ravissant le Palladium des Troyens. Mais
en dépit de très soigneuses observations, même complétées un peu
plus tard par quelques essais de déblaiement, trop de points demeu-
raient obscurs en la découverte pour qu'elle pût être utilisée avec
toute sécurité. On ignorait la structure et les proportions réelles de
ces galeries, la nature des cavernes, la nature même de l'un des puits,
considéré par hypothèse comme une simple crevasse naturelle. Les
rares pièces archéologiques signalées compliquaient le problème
bien loin d'y apporter quelque éclaircissement, car il s'agissait de
vases en terre cuite et en verre, d'époque juive ou gréco-romaine
selon la meilleure vraisemblance; et le moyen de rattacher à cette
époque l'installation de tout le passage?
A quarante-trois ans d'intervalle, d'autres jeunes et distingués
officiers sont venus renouveler l'admirable équipée de leur aîné. Au
même courage, à une égale habileté ils joignaient plus de ressources;
leur œuvre a donc beaucoup plus méthodique et tout à fait radi-
été
cale. Nul, j'en suis sûr, n'applaudira plus
chaudement que M. Warren,
aujourd'hui lieutenant général, au succès et à la remarquable décou-
verte de ses dignes émules. J

Divers bouleversements d'époque assez moderne et la présence de '

deux maisons neuves n'ont pas permis, jusqu'ici à tout le moins, de


ressaisir sur l'esplanade d'Ophel l'amorce du passage souterrain à la
fontaine. Il demeure en effet beaucoup plus vraisemblable que cette
CHRONIQUE. 87

entrée ait été située à. l'intérieur du rempart général, sur la crête


rocheuse de la colline. Tel est néanmoins l'escarpement de la rampe
orientale que le passage aurait pu, sans aucun danger, déboucher
devant une porte par
exemple, à quelques
mètres en contrebas
du pied de la muraille
sur la première ter-
rasse naturelle fil. Quoi
qu'il en soit de cette
exacte entrée, c'est jus-
qu'à cette terrasse in-
férieure, à une dizaine
de mètres environ sous
la plushaute escarpe,
mais à iO mètres au-
dessus du Cédron. que
le passage (voy. pi. V,i

est actuellement connu


dans le plus parfait
détail.
Un escalier dans le

roc. A, s'allonge d'a-


bord à peu près paral-
lèlement à l'axe de la
terrasse, S, O.-N. E.,
sur une longueur de
6 mètres en chiOre
rond et sans pénétrer
à une bien considéra-
ble profondeur Il abou-. Fi§. 7. — L'escalier D, vu du palier E. ee '= d du plan)
débris d'un mur tardif pour fermer Tescalier. Cf. pi. vm,
tit à un puits rectan-
la vue inverse.
gulaire, B, de .S"", 15
sur 2", 35, qui plonge presque verticalement à 3 mètres.
Tne voûte en plein cintre. C, posée à la surface du banc rocheux,
couvrait sans doute jadis tout l'espace au-dessus du puits et se pro-
longeait même peut-être sur l'escalier. Elle est depuis longtemps

(1 Surtout si celte porte était logée dans un saillant ainsi que l'a imagine M. Sayce dans
son diagramme localisant la porte des eaux » (Q.S., 1883, face p. 21.î]. Le relief topogra-
.

]ihique en ce point aulorisaitla conjecture, et. si je ne me trompe, les fouilles sont en train
de lui donner une assez stricte justilication.
88 REME BIBLIQUE.

effondrée dans sa moitié méridionale, mais se développe au nord du


puits jusqu'à un épais blocage dont je n'ai pu saisir la relation
exacte avec la voûte 1 .

Sous cette voûte et comme en prolongement de l'escalier A. un


nouvel et monumental D (fig. 7 et pi. VIII), est amorcé de
escalier,
biais,par 36" X.-E., au bord du puits. Les marches en sont à ce point
dégradées par l'effritement, la foulée des pas et diverses retailles qu'on
pourrait hésiter dabord à parler d'escalier. Mais la régularité du
plafond dans ce tunnel plongeant est déjà un indice delà régularité
primordiale des marches, reconnaissables d'ailleurs encore à l'obser-
vation attentive de cette rampe tailladée, polie, glissante, qui des-
cend de 33° sous l'horizon de la marche initiale, sur une longueur
de 5".i5 seulement. In palier spacieux. E, n'interrompt la descente
que pour créer un escarpement à pic sur 2", 70 de hauteur à quelques
mètres en avant d'une porte liasse, F. dont l'ouverture se rétrécit
à l-^j^O i^pl. IX). Aussitôt après le tunnel s'élargit (pi. VI, 1 , s'oriente
plus franchement à l'Est et se maintient sensiblement horizontal, au
plafond et au sol. sur une longueur d'environ 10 mètres. A ce point. G,
il atteint son maximum de largeur : par un coude très pro-
2*^,90, et

noncé tourne au SE. Il reprend la forme d'un escalier à degrés inégaux


rendus précipitueux par l'érosion séculaire des pas (pi. VI. 2). A 17'^\65
du grand coude, l'escalier, ramené à la largeur moyenne de r".86,
aboutit à uu palier quéchancre loritiee évasé d'un puits latéral, /,
creusé sous une sorte d'alcôve dans la paroi septentrionale du
tunnel. L'alcôve mesure 2'", 32 de moyenne ouverture et 0",75 au delà
le passage parait bloqué par une escarpe artificielle icf. pi. V, i)

haute de de cette dernière section est dirigé par 20" S.-U.


3'°, 25. L'axe
depuis un nouveau tournant à peu près au centre de l'alcôve. En
escaladant ce barrage on atteint une ouverture irrégulière dans une
mince cloison rocheuse. A', et, derrière, une vaste caverne naturelle.
M. certainement agrandie et régularisée de main d'homme. L'axe
longitudinal est presque exactement X.-S. ï" 0. sur une lon- — —
gueur de 13 mètres et un coude naturel. A', à peu près à angle droit
mais très court, ramène le passage à l'Est au bord de l'escarpement
où s'ouvrait autrefois la caverne, avant que à 7 mètres de décom-
bres se soient accumulés sur ce point de la colline.

(1) Quelques légers indices mont d'abord suggéré l'hypothèse d'un prolongement de la
voùl'e primitiveau delà de ce mur. Sous réserve d'un développement ultérieur de la fouille,
j incline cependant à croire aujourd'hui que la voûte ne s est jamais étendue plus loin,
quoi-
que le mur ait tous les caractères d'une construction postérieure, peut-être dans un but de
consolidation.
CHROMOUE. 89

Dès qu'on pénètre en cette spacieuse excavation, il saute aux yeux


que sa liaison est tout à fait accidentelle avec le arand tunnel. Cette
liaison est é\àdente néanmoins et il y aura lieu den chercher le
motif. En vue de cette recherche, on observera tout de suite l'exis-
tence d'autres cavernes H et I au N. (pi. V, 2 et i et sur le même
plan liorizontal que M, c'est-à-dire dans le même étage géologique.
Les proportions seules diffèrent; // surtout n'est guère maintenant
qu'une niche capricieuse au tlanc du tunnel et ne présentait, avant
les sondages modernes, aucune trace d'outil. Autant paraît devoir en

être dit de la caverne /, toutefois sans prétendre exclure la possi-


bilité de quelques retouches à une époque relativement basse où

Fig. 8. — La caverne / avant le déblaiement. Vue prise du mole de décombres devant le puits
J. A gauche, amorce de la cavité naturelle //. Au fond, on discerne le mur de fermeture de
la caverne /.

l'antre servit d'habitation et de cachette. Alors probablement furent


élevés, à l'extrémité orientaledu plafond ruineux, disloqué peut-être
par quelque tremblement de terre, les gros murs en pierres sèches
demeurés en place l'un ou l'autre de ces murs, dont le rôle comme
;

soutien n'est pas très évident, pourrait être de date beaucoup plus
ancienne (cf. fig. 8 et pi. VII, 2).

Photographies coupes sont multipliées suffisamment pour qu'il


et

n'y ait pas à décrire en fastidieux détails l'élévation et la structure


du tunnel. Quant au procédé de mine, on le peut saisir assez claire-
ment encore en scrutant les parois le plus indemnes de transforma-
90 REVUE BIBLIQUE.

tions hypothétiques et le mieu\' respectées par l'action du temps. Au


lieu des stries longues, relativement fines, en arc de cercle plus ou
moins prononcé comme les produit le pic de sape, on observe à peu
près invariablement des stries verticales, courtes, trapues, fréquem-
ment recoupées, ou se perdant à leur base dans la trace laissée par
des esquilles plus ou moins larges. Selon le degré variable de résis-
tance qu'offrent les lits de roche, les stries se dilatent et s'allongent,
ou se resserrent et samincissent; ici l'on sent que le choc du mar-
teau a été plus dru et la morsure du ciseau plus Apre; là au con-
traire des coups plus mous suffisaient à lever des éclats plus longs.
Quand on suivait la direction normale des assises, le forage était
naturellement beaucoup plus aisé; ({uel({ues retouches un peu plus
fines donnaient aux parois un dressage élégant. Tout autre devenait
la difficulté dès quil s'agissait de plonger verticalement, ainsi que

dans les puits B et J, ou de tracer un plan incliné correct à travers


des couches qu'on prenait en écharpe. comme à l'entrée du tunnel,
de D en F. Et c'est précisément ici que le labeur a été réalisé de la
plus ingénieuse manière.
La hauteur adoptée en principe par le mailre d'œuvre parait avoir
été de '2'",\C) : c'est du moins la hauteur relevée tout à l'angle du
palier IK au point le moins exposé à l'usure des pas. Il est désormais
impossible de déterminer si la première section, longue de 1 mètre
environ, était munie jadis d'un plafond horizontal, ou si l'échancrure
actuelle (pi. V, 3, 6 a été voulue pour prévenir l'effondrement d'une
masse rocheuse réduite à trop peu d'épaisseur. Cette échancrure
avait au surplus son utilité pour l'aération et l'éclairage de l'escalier.
Le plafond amorcé à l'extrémité de cette échancrure suit avec une
régularité remarquable l'axe d'inclinaison de l'escalier. Vers le
milieu de la rampe il s'était relevé cl'envjiron •2'^: l'écart est aussitôt
corrigé par un abaissement proportionnel qui devait ramener à la
hauteur normale avant que la dégradation des marches n'ait
augmenté cette hauteur. Et pour que cette section nouvelle du pla-
fond puisse, sans autre modification, être développée jusqu'au bout
du palier, on a eu soin d'en varier l'inclinaison de la quantité que
de droit pour maintenir partout la hauteur minimum de 2'",iG

sans occasionner une discordance quelconque dans^le coup d'œil d'en-


semble.
Non moins heureuse sera jugée la solution du problème créé dans
le tracé du plafond par le dénivellement énorme du tunnel devant

la porte F. Haute à peine de 1"'.60. cette porte n'affleurait même


pas, à beaucoup près, le sol du palier. La prolongation régulière
CliRdMnUE. 91

du plafond incliné jusqu'au plan vertical de la porte au,i:mentait


de manière fort volume de roche à débiter, produisait
appréciable le

un raccord disgracieux, sans parler du danger qui en pouvait


résulter pour la solidité. L'ingénieur y a pourvu au moyen de trois
crans plus ou moins en quart de rond pi. V, 2 cf. pi. IX), à la façon de
;

cavets superposés dans une corniche énorme. A partir de F, le plafond


horizontal coïncide, sur une certaine étendue, avec un lit de stratifi-

cation et n'a presque pas nécessité de dressage. A 6 mètres de l'entrée,


un gradin franc (pi. V. 2, /) le relève de O'^jSO dans un autre joint
moins régulier, dont il suit la très légère inclinaison jusqu'au point
où la trouée perd dans la grande caverne. Tandis que
artificielle se

le niveau général du plafond ne s'abaisse pratiquement pas entre la


porte F et le puits ./, le sol du tunnel dégringole en assez nombreux
et irréguliers gradins. La hauteur totale réduite à 1",60 dans l'ou-
verture se relève presque aussitôt à 2 mètres; elle est déjà de 3°',58
au premier gradin après le tournant G, de .j'",10 en atteignant la
grotte H et de 6 m. au bord du puits. Le maximum enregistré est
()"',30 entre le fond de la galerie au delà de J et la plus haute anfrac-

tuosité de la grotte / pi. V, o,. \ln tel développement en hauteur


sans but saisissable ne laisse pas que d'êtreanormal et ce serait
évidemment bon marché de la compétence technique des
faire trop
exécuteurs que d'imaginer là un pur caprice, ou quelque effet du
hasard. Puisque le vieil ingénieur qui fournissait le tracé avait su
triompher si correctement de difficultés sérieuses pour obtenir un
tunnel régulier et spacieux en restreignant néanmoins le labeur de
forage de D en F sur iï mètres d'étendue, comment aurait-il che-

miné à l'aventure entre F et A', s'imposant une trouée longue de


32 mètres alors que la distance en ligne droite était à peine de
19 mètres? Comment surtout le laisser acculer ses mineurs à la néces-
.sité de débiter un tel volume de roche dure, quand il eût été si

élémentaire de réduire le labeur au moins de moitié, sinon des deux


tiers, sans porter le plus minime préjudice à la commodité du pas-
sage? Mais avant de discuter de plus près le tracé et l'analyse du

monument, relevons encore quelques détails descriptifs.


La première section du tunnel. D-F, traverse uniquement la couche
superficielle de calcaire mezzij doux, ordinairement richeen petites
cavités et eu fissures, mais ici remarquablement compacte. Tout au
plus çà et là une faille un peu plus accentuée marque-t-elle encore
sa trace au plafond ou sur le plan des parois. D'aucun des petits
trous, bien rares d'ailleurs, à constater dans cette section, je n'oserais
affirmer avec sécurité si c'est le fond d'une poche argileuse coupée
9-2 REVUE BIBLIQUE.

par rexcavation, ou quelque niche artificielle (l'. Une seule de ces


anfractuosités X. pi. V présente une certaine importance et une régu-
larité telle quelle,dans la paroi méridionale en avant de la porte F.
Létage inférieur, de Ijelle roche blanche nuancée de rose [malaky\
commence un peu au-dessus du seuil de cette porte. Malgré la patine
sensiblement uniforme étendue par les siècles sur toutes les parois,
la suture demeure bien apparente sur la longueur totale entre le
mezzy et le malaky, d'abord à mi-hauteur environ, tant que le
tunnel conserve un axe général horizontal, ensuite de plus en plus
haut mesure que se multiplient les degrés qui abaissent le sol. Par
à
endi'oitson peut même saisir encore la diversité de taille résultant
de la dureté inégale des deux assises au-dessus du joint, dans le
:

mezzij ferme et cassant, des coups de ciseau plus denses, des stries
plus anguleuses; au-dessous du joint, dans le malaky hon^gf^-ne et
doux, des coups de ciseau plus espacés, des stries plus allongées et

plus uniformes. Ajoutez, dans l'assise haute, une stratification géolo-


gique assez morcelée (pi. V, 2), de nombreuses failles qui donnent à
quelques points da plafond, dans les phot. •
pi. YI 2, VII 1), l'aspect d'un
alignement de grandes dalles, enfin les rugosités, les dégradations
naturelles, les fissures multiples tapissées de concrétions cristallines
par le suintement prolongé des eaux hivernales. Mais nulle part le

contraste n'éclate aussi violent qu'à l'extrémité de la galerie entre


le calcaire rougeàtre. banal, de texture capricieuse et la roche blanche,
fine, souple, vraiment royale, de l'assise inférieure. Ici l'on sent que
l'ingénieur a guidé son tracé sans effort et dans une comme à plaisir
pierre qui fournissait cependant toute la solidité désirable; là on a
plutôt l'impression d'une matière rebelle, fertile en désagréables
accidents, où il a fallu toute la vigilante habileté de l'homme du
métier pour maintenir la correction du tracé et la correction beau-
coup plus difficile des parois. Comme de juste, puisque nous sommes
dans un tunnel de roc, en parlant d'exécution correcte et de parois
élégantes il n'est pas question de donner à entendre que l'ingénieur
s'était imposé de réaliser un champ uni et lisse comme pour un

décor à la fresque ; on ne revendique pas non plus à son profit la

précision do calcul, la fermeté de tracé, la dextérité de tour de main


de ses collègues modernes en devoir d'ajourer le sous-sol des grandes
ou de relier deux réseaux de chemin de fer par-
villes occidentales,
dessous quelque montagne. Il reste néanmoins, à la gloire de ce

(1) L'indice le plus décisif en ce dernier sens est que les cavités sont situées en général
à la hauteur voulue pour fournir un point d'appui à la inain quand on circulait le long de
la rampe. Même dispositif dans le fameux tunnel de Gézer; cf. RB., 1908, p. 400.
i:HRONlMLE. 93

très vieil ingénieur, qu'il a su créer un monument raisonné de façon


de manière à combiner au mieux Futilité
très judicieuse et exécuté
pratic[ue avec une physionomie harmonieuse, grandiose même. Le
mot semblera trop libéral, ou d'un enthousiasme bien candide, en
face des graphiques à petite échelle et aussi de mince compétence
artistique; il n'est pas trop fort et traduit comme il convient l'im-
pression rétléchie au contact direct et réitéré de ce monument.
Dans le forage des puits B et / toute préoccupation de rectitude
et d'élégance disparaissait naturellement ; tout ce à quoi l'on visait
était d'atteindreau plus vite une profondeur déterminée et dans ce
but on perçait les couches roclieuses avec autant d'énergie que le
permettait un outillage imparfait. Cet outillage était certainement le
même que dans le tunnel : ciseaux de fer ou de bronze, coins de
même métal, marteaux et massues de métal ou de pierre. Dans B la

partie supérieure est d'abord sur plan quadrangulaire. Vers la base


de l'étage mezzy doux, une caverne latérale, «. entraine une défor-
mation du plan qui devient vaguement rond pour traverser, assez peu
verticalement déjà, B\ l'étage malaky. Par une tendance tout à fait

spontanée dans un travail de mine sous cette forme, l'excavation se


rétrécit à mesure qu'elle descend et que la difficulté augmente. Par
intervalles une réaction produit un élargissement bientôt limité par
la fatigue du mineur, sa précipitation à creuser plus avant, ou la
rencontre d'une veine plus dure. Dès qu'on a atteint, plus bas que
le malakij^ l'assise redoutable de cette pierre rouge, dure à déses-
pérer les meilleurs bras et que les carriers palestiniens ont baptisée
du nom pittoresque de « mezzy \\x\i ». on croit voir redoubler l'em-
barras du mineur, mal armé contre cette roche opiniâtre, mal à
l'aise au bas de ce trou qui parait obstiné à se refermer à mesure

([uon s'acharne à le rendre plus profond et moins étroit. La téna-


cité du rocher finit par vaincre la ténacité du mineur. Après quel-

(|ues oscillations, comme à la recherche d'un filon plus doux qui


fournirait du moins une prise initiale pour la trouée, de guerre lasse
tout est abandonné le puits énorme se termine en manière d'en-
:

tonnoir aux parois mal dégrossies et dans le fond exigu et rugueux


pi. V, 2 malgré la patine dont une séculaire humidité l'a revêtu,
voici comme la cicatrice des impuissantes morsures finales de l'outil.
Aussi complète qu'on puisse imaginer d'abord la similitude entre
un puits dans le roc et un autre puits dans le roc, l'évidence ne tarde
pas à s'imposer qu'il existe d'impressionnantes divergences entre ce
premier puits B elle second puits./ creusé à l'autre extrémité du tun-
nel. Celui-là n'est plus ni rectangulaire, ni rond; s'il fallait de toute
94 REVUE BlliEIQL'E.

rigueur en définir la forme par les termes géométriques dont nous


avons coutume de nous servir, on se résoudrait à parler d'un cylindre
ovale. Il faudrait seulement corrisrer aussitôt l'expression en ajoutant
que ce cylindre, haut de 13 mètres si on le mesure de Tcxtrème bord
supérieur au plus fin fond, est tortueux, qu'entre ses deux bases fort
inégales beaucoup de sections sont plus inégales encore on devrait;

ajouter aussi que l'ovale n'est rectiligne nulle part, ou à peu près
nulle part, qu'il s'étire ou se renfle tantôt d'un côté et tantôt de l'autre,
qu'il s'orne de protubérances ou de concavités suivant le hasard des
éclats de roche dans le percement, qu'il est déformé enfin sur toute
la hauteur par une faille verticale, mais naturellement sinueuse, dont
les lèvres demeurent partout assez nettement apparentes (pi. V, 2).
Au lieu de s'ouvrir sous une voûte en maçonnerie, J est ouvert
sous une alcôve dans le roc large de 2", 32, haute de 2", 20 et profonde
de l^'jSO en moyenne, car elle est percée un peu de biais dans la
paroi et sans grande régularité dans le fond. L'orifice très évasé em-
piète sur le radier du tunnel. Malgré l'extrême dégradation, le dé-
blaiement très soigneux a fait constater au bord de cet orifice, devant
l'alcôve, les vestiges d'un palier, d'un large gradin si l'on préfère.
Iciou là, dans les parois une cavité fruste offrirait un point d'appui
pour la main ou le pied, mais n'a sans doute pas été creusée en vue
de l'escalade; il y en a trop peu, leur espacement est toujours trop
considérable, leur disposition trop fantaisiste, enfin la largeur du
puits trop grande, en plusieurs points, pour que l'escalade soit pos-
sible avec l'unique secours de ces entailles. A la patine générale,
identique à celle que nous avons observée dans le puits B, s'ajoute
ici par endroits ce même poli lustré que présentent aussi certaines
sections des galeries étudiées plus haut. Malgré la situation toute dif-
férente et une cause immédiate probablement bien diverse, la même
cause fondamentale, un frottement prolongé, doit être invoquée dans
les deux cas. Aussi bien est-ce en effet sur des saillies plus ou moins
fortes que ce poli est à remarquer dans le puits J; pas sur toutes les
saillies également, ni même toujours sur les plus accentuées, mais de

prélérence contre la paroi occidentale. Seul l'étranglement, n, qui


déplace l'axe du puits, à la jonction des étages malahy et mezzy infé-
rieur, est poli tout le tour avec assez d'uniformité. Pour le reste, ce

puits est de même travail que l'autre, pratiqué avec le même outillage,
les mêmes habitudes de sape, la même difficulté.
Seulement ici l'in-
génieur et le mineur ont triomphé des résistances du roc. Le « calcaire
juif » n'a pu leur imposer cette fois qu'un tâtonnement, une dévia-
tion axiale; ils ont poussé leur trouée jusqu'au niveau nécessaire
CHROMQLL. 9;i

pour reprendre ensuite leur cheminement vers l'Est en galerie hori-


zontale. Pourtant la victoire avait été si manifestement obtenue au
prix de laborieux efforts qu'on n'eut pas le désir de la compléter au
delà du plus strict nécessaire. Môme à travers l'étage plus abordable
de pierre blanche royale », ce puits amorphe n"a pas l'ampleur du
<(

puits B. Si incommode aussi que doive être, en toute hypothèse, le


déplacement d'axe et le notable rétrécissement à l'entrée dans le
calcaire rouge rebelle, on s'est contenté d'ouvrir le passage tellement
quellement. quitte à le dilater plus bas avec une sorte de fantaisie
qui serait désordonnée si elle n'avait quelque raison justificative.
La justification de ces apparentes négligences ou impérities n'est
autre que la grande faille verticale déjà signalée. Qu'on l'observe
sur toute la hauteur du puits elle constitue invariablement le grand
:

axe de l'ovale. Un examen patient, —


facilité par l'obligeance libérale
de M. A. qui a fait installer pendant longtemps des échelles perma-
nentes, —
permet de saisir encore le procédé même du forage. La
crevasse naturelle ofï'rait, par ses anfractuosités, la meilleure prise
initiale au ciseau. On l'élargissait, mais en se laissant guider par
elle, et sans même se donner le soiu superflu de raccorder en une

paroi quelque peu rectiligne les variations axiales que ses sinuosités
imposaient. Perdue un instant <lans la couche siliceuse qui relie le
inalaky au inezzi/ dur, elle se retrouve au-dessous, développée elle-
même on ne peut plus à propos par la nature en une véritable petite
caverne, presque toute prête au service de l'ingénieur. Et l'ingénieur
adopte en effet la caverne, m, comme il a utilisé la faille : elle lui ser-
vira de chambre d'eau à la base de son puits sitôt qu'il l'aura mise,
au moyen de la galerie que nous connaissons déjà 1 1, en communi-
cation avec la source.
Dès cju'on embrasse d'un regard le tracé de cette monumentale
installation, sa forme étrange pique la Pourquoi ce long
curiosité.
circuit sinueux équivalant plus qu'à un demi-cercle, au lieu de la ligne
droite dirigée sur la source? Pourquoi aussi la hauteur excessive déjà
signalée dans le tunnel? Pourquoi encore les deux puits? les inégalités
d'exécution entre les puits et le tunnel? l'incommodité voulue, devant
la porte F. d'un passage agrandi au delà sans aucune modération?
Les premières questions concernent la conception logique du monu-
ment; les autres soulèvent le problème de sa destination. D'abord
l'analyse du plan.
On a vu plus haut, du moins sous forme de conjecture, pourquoi

(1; Planche I, galerie VI et la descriplion. lill., 1911, p. 589 s.


06 REVUE BIBLIQUE.

lepassage en pleine roche débute notablement sous Tesplanade cul-


minante et cependant tout près du rempart le plus élevé et donc par-
faitement à couvert du côté d'un agresseur. Il est assez naturel aussi
qu'au lieu de plonger directement dans le rocher pour courir droit
sur la fontaine, l'ingénieur ait préféré cheminer d'abord à peu près
dans Taxe même de la terrasse de roc pour s'enfoncer graduellement
à la recherche du banc le plus propice à son projet. Laissons de côté
pour le moment le puits B et la voûte C. et plaçons l'ingénieur devant
la paroi D, avec l'intention de se diriger vers la source qui jaillit à
peu près en plein au pied de l'escarpement.
Est,
S'il adopte avec décision une marche franchement au NE., qui

allonge de beaucoup son trajet, il serait tout à fait invraisemblable


de voir en ce parti une erreur initiale. Elle était par trop élémentaire
à éviter, puisque au point D on opérait à ciel ouvert avec toute facilité
de repérage immédiat sur la source. Mais la tentative du puits B,
sinon une connaissance antérieure acquise en quelque autre point, a
instruit sur la nature des couches rocheuses on veut maintenant :

un passage assez bas sous la surface du roc pour ofïrir toute la solidité
opportune, mais sans se risquer à le faire pénétrer trop vite dans les
assises les plus résistantes. Si d'autre part on ne pénètre pas tout de
suite assez avant au cœur de la colline, le tunnel ne tardera pas à dé-
boucher désagréablement à la lumière, au liane de quelque terrasse
inférieure. Et surtout ne s"impose-t-il pas de ne point exagérer l'axe
de cette plongée initiale dans le roc, puisqu'il s'agit de créer un

moyen de un escalier praticable avec des fardeaux. Ainsi


circulation,
s'explique très normalement, quand on l'étudié sur l'échiné réelle
du coteau, l'amorce du tunnel et l'orientement de la section D-F.
La pointe vigoureuse poussée tout droit jusqu'à G n'est plus d'une
explication aussi spontanée. En admettant l'hypothèse d'un coude
voulu dans le tunnel, comme un complément de sécurité contre l'assaut
d'un envahisseur pratiqué juste en arrière de la porte
(^1), ce coude
que 10 mètres plus loin et l'économie d'effort
eût été tout aussi qfficace
était très appréciable, puisque le circuit de F à J était sensiblement
plus court, la nature des roches certainement la même et le relief
chorographique identique. Tout au plus pourrait-on imaginer que ce
prolongement en ligne droite aurait été motivé par un désir d'aéra-
tion plus facile; on n'ose guère ajouter quelque intention d'éclairage

(1) On retrouve en effet la même disposition anguleuse dans le grand tunnel qui descend
du sommet du Tell Bel'ameh à la source de Sindjar, au bas du tertre (voir Guérin, Samarie,
I, 339 s. et le plan partiel publié par M. Schumachei!, Q.S., 1910, p. 107 ss. et pi. ii; cf.

RB., 1910, p. 475.


CHRONIQUE. 97

par l'extérieur. Sans doute est-il sage de ne pas sobstiner à vouloir


découvrir dans le plan de ce très archaïque ingénieur le calcul mi-
nutieux et la logique rigoureuse ([u'il pourrait bien n'avoir pas cher-
ché beaucoup à y mettre, satisfait d'obtenir de façon intelligente et
correcte un résultat pratique. Cependant si son raisonnement de-
meurait perceptible?
La question des niveaux se présente tout de suite. Entre le sol du
tunnel à la porte F et l'orifice du puits ./. la dittërence de niveau est
de ï" .ïô et la longueur eu droite ligne 18", 15 seulement. C'est par
conséquent la nécessité de réaliser le passage ou sous forme de glis-
sade en casse-cou par un plan incliné avec une pente de 25 centi-
mètres par mètre, ou sous forme d'escalier assez doux mais continu,
ou enfin sous forme de nouvel escalier précipitueux comme DE en
ménageant un petit palier devant /. Aucune de ces solutions ne
pouvant aboutir à un passage commode pour des gens pressés ou
chargés, l'homme de l'art n"aurait-il pas très sagement pris le parti
d'allonger le parcours pour en adoucir la pente? On demandera il
est vrai pourquoi choisir le point ./ comme base de calcul c'est ici :

que doit intervenir le rôle des cavernes pour justifier élégamment


toute la suite du plan. A une époque où les amas de décombres
n'avaient point encore défiguré le relief naturel de la colline, la
rampe orientale d'ed-D'/iOurah présentait une cascade d'escarpements
rocheux presque correspondants à ceux qui demeurent visibles en
face, de l'autre côté de la vallée, sur le flanc occidental du dj. Baf?i
el-Hawâ. Dans la plupart de ces parois plus ou moins hautes on
voyait bâiller les cavernes, grandes ou petites, que les phénomènes
violents des dernières phases géogéniques avaient creusées entre les
assises molles du calcaire de surface. Les premiers habitants de la
contrée n'avaient pas manqué de de ces formations natu-
tirer profit

relles, et ne paraîtra guère douteux que l'expert chargé de créer


il

le passage souterrain ne les ait utilisées aussi. Quand on reporte le

tunnel sur un plan de la colline, on est frappé de la relation entre les


deux extrémités du tunnel proprement dit et la fontaine. On remar-
que aussitôt que ces trois points se placent dans un très satisfaisant
alignement d'Ouest en Est. On observe également que le tunnel a,
sur 4 à 5 mètres de longueur, une direction générale X.-S., voire
même NE.-SO.. parfaitement anormale dans le tracé théorique d'une
communication entre A' et D; enfin on s'étonne que le passage sem-
ble d'abord se prolonger jusqu'à .Y au Sud de la petite ouverture
A', puisqu'on devait finalement l'intercepter en avant du puits J par

une escarpe de plus de 3 mètres. S'il ne se fût agi en effet que d'ou-
REVLE BIBUOLE iyi2. — :N. S., T. I\. 7
98 REVUE BIBLIQUE.

vrir un chemin par la voie plus courte, c'est évidemment


caverne la

/ qui eût été préférée comme débouché, semble bien, au contraire,


et il

quon s'était donné tout le soin possible pour en obstruer toute en-
trée du côté oriental.
Pour deux exigences contradictoires,
concilier réaliser un pas- —
sage absolument secret et créer, pendant lexécution un moyen ,

pratique de dég-agement et d'accélération en attaquant le forag-e par

les deux bouts à la fois, —


l'ingénieur choisit son entrée au point .V
dans le fond de la caverne .1/. Il trace rapidement un chemin pi.
V, ï dans le sol mal nivelé de la sTotte en se diriaeant. selon l'axe

Kig. 9. — la caverne artificielle L. vue du passage .V.

de la terrasse, vers les grottes contiguës au Nord il). Il réserve avec


prudence la cloison naturelle entre M et / se bornant peut-être à
élargir un peu en manière de porte quelque fissure préexistante, au
point A l'angrle NO. de 7, reprenant son vrai plan, il attaque la
A'.

paroi dans une direction prévue pour recouper son cheminement par

(1) A l'examen diiiilan. on se demandera sans doute si l'enfoncement occidental artificiel


de cette laverne, L, n'est pas une première tentative de percée directe entre J) et M, ten-
tative abandonnée pour les motifs pratiques suggérés tout à l'heure dans l'analyse du tracé
l)-G. Bien dans l'étude directe de L n'appuie mieux, ni n'exclut la conjecture, si ce n'est
peut-être que la largeur trop grande et quelques traces de taille au pic diffèrent de tout le
reste du tunnel et impliqueraient un remaniement plus tardif (fig. 9).
CHRONIQUE. 99

l'autre extrémité. On adopte probablement comme radier au moins


provisoire du tunnel, la jonction entre les étages mezzy supérieur
et malahy et l'on le mezzy doux, une galerie
ouvre au-dessus, dans
qui mesure déjà â^jiO eu moyenne au point de départ, c'est-à-dire
pratiquement Ja même hauteur que l'entrée du tunnel, en /), (|ue
l'ouverture initiale de la grotte L, la hauteur aussi d'une assez impor-
tante section à l'orient de la porte F . Cette galerie ne progresse pas
tout à fait avec la même du côté opposé, peut-
rectitude que celle
être simplement parce que la roche moins franche, plus cassante,
plus caverneuse où l'on opère attire insensiblement l'axe de la trouée
tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; les parois n'offrent pas non plus,
en cette zone supérieure, un dressage aussi exact que plus bas cf.
pi. VII, 1), ou que dans la section occidentale.
Il ne doit pas être fortuit que le sommet anguleux de la boucle soit

le milieu assez approximatif du tunnel 22"\45 de Z> à G, 20"", 50 de


:

(i à l'escarpe devant A'. Les conditions de travail n'étant pas tout à

fait les mêmes, il serait risqué de supposer que deux équipes de mi-

neurs opérant en même temps ont cheminé de part et d'autre avec


une rapidité égale. Il est tout naturel au contraire de considérer le
point G comme l'intersection d'un double jalonnement à la surface,
destiné à guider les mineurs (1).
Quand les deux galeries se recoupent au point déterminé, le pla-
fond de la section orientale GK est un peu plus élevé dans l'étage
mezzy que celui de la section GF. On le prolonge à l'occident de G
sur quelques mètres de longueur et, à la rencontre d'un banc plus
sain, ce labeur de ravalement est abrégé par le décrochement franc
noté dans la description (/, pi. V, -2). Les parois septentrionales des
deux sections sont raccordées selon l'angle d'incidence et sans re-
touche, tandis qu'on rabat, sur une étendue de deux mètres, l'ansle
d'intersection des parois opposées, donnant ainsi à ce tournant une
largeur de 2"\90, bien supérieure à la moyenne conservée partout
ailleurs.
Le tunnel une fois ouvert avec cette régularité générale sur toute
lalongueur, il s'agit ou bien de l'incliner à nouveau dans les dernières
rampes de la colline pour le prolonger jusqu'à la source, ou bien de

Le tracé des lignes d'axes qui ontservi de base au levé dulunnel, —pi. Y, 1.
(Il — faittou-
clieidu doigt la simplicité de ce repérage. Un observateur placé au-dessus du puits D pouvait,
au moyeu de lampes dans le tunnel, contrôler d'un regard sa rectitude sur le jalonnement
extérieur DG. Pour être un peu moins rudimentaire, le contrôle du jalonnement A" ou JG
n'exigeait cependant aucune divination. (Jn constate au surplus que la marche a été moins
ferme par cette direction.
100 REVUE BIBLIOLE.

pénétrer directement au niveau présumé du plan d'eau. Ce dernier


parti, le pins facile et le plus sûr, est adopté. Aussitôt s'impose la né-
cessitéde diminuer autant que possible la hauteur du puits vertical
plus difficile à creuser, la nécessité aussi de choisir convenablement
sa situation. L'ingénieur laisse à la section F G un sol horizontal
(pi. VI, Il : ce sera un temps de marche aisée, permettant de reprendre
haleine après ou avant l'escalade abrupte de D en F. Tout au plus
cherche-t-il par quelques degrés assez doux et largement espacés, à
.

gagner quelque peu déjà sur la pente totale nécessaire. Mais à partir
de G vers l'E. pi. VI. 2 le ravalement s'accentue, d'abord par assez
hauts degrés qu'isolent des marches larges faisant fonction de paliers,
ensuite par une dernière volée continue de marches pi. VII, i) péné-
trant à 3 mètres de profondeur dans l'assise de malaky [i'\ L'observa-
tion de la faille verticale décrite plus haut fixe le choix au point / pour
situer le puits. On en protège l'orifice sous une alcôve latérale pi. VII,
•2). La galerie profonde n'est développée au delà que juste de la lon-

gueur exigée par une circulation commode en avant du puits. Le


passage KN est bloqué probablement, ou muni d'une fermeture con-
venable pour ne pas laisser accès au tunnel fig. 10 et pi. V, 6i. Des
murs et des remblais épais contre les j^arois orientales des cavernes /
et J/ bouchent jusqu'aux moindres fissures pouvant trahir au dehors
le secret du tunnel. Cependant un chenal a été ouvert entre le fond

du puits et la source. L'installation est achevée, et comment ne pas


ajouter qu'en vérité elle a été habilement conçue?
Son but, en effet, ressort bien nettement de sa nature même c'est :

un passage couvert pour communiquer secrètement entre la localité


campée au sommet d'Ophel et la source qui coule dans le Cédron.
Une telle destination, pratique autant quelle est facile à imaginer,
s'harmonise au mieux avec tous les détails de structure. Il paraîtra
donc superflu de ressasser, pour en montrer l'inanité, les conjectures
émises en sens divers suivant les péripéties des controverses passage :

ou dû à quelque effet du hasard entre des goufi'res et


insignifiant,
des cavernes également dus au caprice de la nature, issue secrète
pour s'échapper en cas d'investissement, cachette où se réfugier aux
heures d'alertes, d'autres théories à l'avenant, ou plus caduques en-
core. Sans être en mesure de donner une idée quelque peu nette de
l'installation entière, M. Warren semble bien en avoir deviné correc-
tement *la nature quand il parle, au moins incidemment, de « l'an-

(1) On voit que la hauteur démesurée du tunnel en cet endroit doit être tout autre cliose

qu'un caprice de mineur, ou une naïveté dans les calculs d'un ingénieur simplet.
CHROMQLE. 101

cien puits d'Ojîhel » 1). Il existait même encore, à l'époque de sa


vaillante exploration, un témoianag-e particulièrement suggestif de
cette destination : un anneau de fer scellé au plafond de lalcôve
au-dessus du puits ./, sans doute pour faciliter la manoeuvre de la
corde servant à tirer leau.
A vrai dire, l'irrégularité du puits ne se présente guère d'abord
comme une condition bienfavorable à l'extraction de l'eau. Le coude
final en particulier, qui déplace tout à fait l'axe, parait devoir pré-
venir toute possibilité de faire plonger un seau jusqu'à la galerie
amenant l'eau de la fontaine. L'objection était trop spontanée pour

Fis. 10. — Communication entre le tunnel et la caverne M. A droite de la porte, vestiges


du blocage de fermeture, La traverse n. (lu'on discerne au centre, est visible en sens in-
verse, pi. VII, 2.

n'avoir pas été l'objet d'un examen attentif dès les premiers jours de
l'exploration. Quelques mesures provisoires établirent assez vite
qu'en cboisissant connue axe de suspension un point convenable au-
dessus de l'orifice irrégiilier de ./. la plongée directe n'était pas du
tout impossible. Un peu plus tard, la démonstration péremptoire en
(levait être Pour accélérer le curage des galeries inférieures
faite.

et surtout celuidu tunnel-aqueduc. M. A. adopta deux voies d'éva-


cuation la chambre ronde au bout de la galerie IV, le puits ./ et le
:

passage NO. Un plancher solide reconstitua le palier par trop dégradé

(1) Recocery of Jérusalem, p. 2.!>G.


102 REVUE BIBLIQUE.

à rorificedu puits. Au lieu d'un scellement précaire dans la roche


molle de l'alcôve, on s'assura, au moyen d'une charpente, un point
d'appui à l'épreuve de très lourds fardeaux et sur cette charpente
fut adaptée une poulie où circulerait commodément une corde munie
de seaux à ses extrémités (cf. pi. VII, -2). Après quelques tâtonnements
on trouva le point nécessaire pour une facile descente du seau. Tout au
plus, dans le mouvement toujours un peu vif qui lui était imprimé,
venait-il heurter avec fracas l'étranglement des parois inférieures :

ce choc même le faisait rebondir et il disparaissait au fond du trou.


Quand il au contraire, de le remonter lourdement rempli
s'agissait,

de vase, au premier effort de traction l'enlevant du sol il était balancé


dans la cavité, heurtait de divers côtés, atteignait le goulet resserré
et le traversait en faisant grincer sa tôle sonore contre les aspérités
d'une paroi; plus haut, son propre poids le maintenait dans un cer-
tain équilibre et il arrivait d'ordinaire sans grands heurts nouveaux
à destination. Plus tard on perfectionna l'installation au moyen d'un
petit plancher iixé sur le rétrécissement du puits un ouvrier établi :

là guidait de la main le passage du seau. Mais la preuve est décisive


qu'on pouvait naguère, du haut de la grande galerie, puiser directe-
ment au niveau de la chambre d'eau, bien plus facilement même
avec les poches de cuir usuelles dans le pays qu'avec les seaux mé-
taUiques employés dans les fouilles (1). Encore faut-il ajouter qu'a-
vant l'ouverture des divers canaux qui saignèrent plus tard le réser-
voir de la source, l'eau pouvait s'élever assez haut dans le puits, aux
heures où la source montait.
Tout élément direct et certain fait défaut pour dater ce remarqua-
ble système hydraulique, si l'on veut bien maintenant tolérer ce nom.
Le déblaiement radical n'a fourni aucune pièce archéologique bien
digne d'attention quelques grosses balles de fronde, deux ou trois
:

monnaies romaines trop détériorées pour qu'on les puisse déter-


miner, un petit bronze probablement hérodien d'après les traces
saisissables des symboles empreints au revers casque et palme —
— diverses pièces d'ossements
, humains, des débris de char-
bon de bois et beaucoup de tessons désespérément mêlés, comme
tout dans l'épaisseur d'un remblai qui atteignait environ
le reste,

^ mètres devant / par exemple. On ne perdra pas de vue que M. War-


ren avait tenté sur divers points des essais de déblaiement déplaçant
les décombres et en introduisant de nouveaux jusque dans le tunnel

(1) Voir dans la pi. I (RB., oct. 1911), à l'exlrémité de la galerie VI, les coupes trans-
versales du puits J qui concrétisent ce mouvement d'axe; m représente l'orifice supérieur,
n l'orifice inférieur, o l'étranglement à la base du malahy : mêmes repères intervertis, pi. V, 2.
CHRONIQUE. 103

et sous la voûte C (1). Il va de soi que la difficulté n'était pas très


grande, au cours des récentes fouilles, de discerner entre débris re-
mués de fraiche date et couches profondes laissées intactes en 18GT.
Pour être plus certain de n'avoir été victime absolument d"aucimo
inconsciente piperie, je ne ferai état d'aucune observation de détail
arcliéolos'ique, du reste toutes par trop pauvres, même dans les en-
droits les indemnes de bouleversement, comme le
plus sûrement
fond du puits B et les grottes H, /, L, M. Sous les insigniliants débris
de surface dans ces grottes. —
boue glissée par des fissures de pla-
fonds disloqués, fragments de vases grossiers, vestiges de feu, — un
étonnant amas de petits éclats de rocher emplissait tout. Leur res-
semblance est si intime avec les rebuts d'un chantier où Ion taille la

pierre et leur nature si parfaitement conforme aux roches à observer


dans le tunnel et les puits, qu'on y verrait assez volontiers des restes

de l'excavation, utilisés pour combler systématiquement les cavernes


désormais inutiles, compromettantes même pour le tunnel.
A une époque bien postérieure, quand le passage à la fon-
taine n'avait probablement plus aucune raison d'être, le puits B fut
en grande partie remblayé; une voûte sommaire couvrit l'orifice de
/ 2 Lentement, siècle après siècle, la coulée des terres à chaque
.

hiver envahit le tunnel abandonné, ou visité seulement par des


fauves et des hommes moins soucieux de confort que de retraite
sûre et d'obscurité. Car il est évident que le tunnel a été utilisé
comme cachette très tard encore, quand déjà les décombres lavaient
comblé aux deux tiers. Des vivants s'étaient glissés là dedans. Pour
se mettre un peu plus au large, ils avaient relevé contre les parois les
décombres mouvants et empilé des pierres afin de maintenir ces
petits môles. Là-dessus M. Warren a recueilli naguère, de place en
place, trois vases de verre qu'il a pris pour « des lampes de ciu'iense
construction » (3j et que M. Greville Chester, chargé de les étudier, a

(I; Recovery..., p. 253 ss.

2} Les deux premiers claveaux d'un arceau très fruste adhéraient encore à une échan-
crure de l'aicùve. au début des fouilles. On respecta scrupuleu>ernent d'abord cette arciii-
lecture barbare, malgré le petit frisson instinctif p'rovoc|ue par son équilibre inquiétant des
qu'on la sentait à plusieurs mètres au-dessus de soi, parmi les contorsions de l'escalade
avec des moyens provisoires. Un tomber (cf. pi. V. 2 et 5, o].
accident lieureux les a fait
3 L histoire de ces « lampes « est un exemple amusant de ce que le dilettantisme
pressé, imprudent, échautfé à faire jaillir des preuves », peut créer avec une donnée ar-
.<

chéologique très consciencieuse. M. Warren [Recovery..., p. 247;, en signalant ces lampes


dont un spécimen est (iguré {op. /., p. 489), émettait sans doute l'hypothèse qu'elles avaient
pour but « d'éclairer le passage », mais notait avec grand soin qu'il les avait trouvées les
unes sur les piles de pierres sèches, une autre sous la voûte C parmi quelques morceaux
de charbon, quelques pièces de vaisselle à feu et une jarre pour l'eau. Il ne risquait aucune
104 REVUE BIBLIQUE.

judicieusement comparées à des lampes de mosquées arabes ou de


vieux couvents égyptiens (1). Quant aux rares et humbles vases de
terre associés aux lampes dans l'énumération de M. Warren, à défaut
de détails descriptifs il serait téméraire de leur assigner une date.
Le tunnel fut complètement bloqué à un moment donné par un
mur en assez gros matériaux, mais à peine épannelés. Pour lui assurer
plus de solidité, on avait pris la peine d'échancrer un peu la paroi de
roc aux deux extrémités. Il n'en subsiste que le tiers environ (cf. fig. 7
et pi. VIII). Rien ne trahit l'époque de ce barrage, sinon une vague

analogie avec le mur qui soutient l'extrémité nord de la voûte T,


lui-même de date indéterminée. La voûte, elle, pourrait à la rigueur
fournir un indice combien vague cependant! sans parler des chan-
:

ces d'une restauration très tardive peut-être. Ainsi qu'elle se présente


depuis que l'énergique habileté des ingénieurs de la mission lui a
rendu quelque solidité et tout ce qu'il était possible de sa physiono-
mie première, en cintre presque exact avec un rayon
elle est tracée
de l'",i5. Elle compte seize rangées de claveaux d'excellent appa-
reillage mais dégradés pour la plupart à l'excès, car on a employé
un malaky de texture spongieuse et de toute dernière qualité, qui
s'effrite au moindre choc depuis qu'il a été saturé longuement d'hu-

midité. Le jointoyage primitif était extrêmement fm et le cintre fermé


sur un joint. La taille, exécutée avec un marteau large de 0"'.06,
muni d'une seule rangée de dents très iines marquant 23 stries à
chaque coup sur une longueur moyenne de 12 à 15 millimètres, rap-
pelle beaucoup certaine taille juive bien authentique, antérieure à
l'exil, dans le palais de Samarie par exemple. Mais tout en signalant

cette impression, je me garderais de prétendre rien suggérer sur une


aussi fragile base. On aboutira d'ailleurs plus loin, par une voie in-

date. En 1883 M. le prof. Sayce écrivait avec décision [QS., 1883, p. 211 : « Les lampes
romaines... prouvent que le tunnel était encore utilisé... pour avoir de l'eau jusqu'à une
époque tardive » car en ce temps-là M. Sayce paraissait croire le tunnel antérieur à la-
-.

queduc horizontal vers Siloé. Mais l'année suivante il s'y reprend, ou du moins veut
s'exprimer avec « une suffisante clarté » pour montrer que le tunnel est au contraire une
œuvre beaucoup plus tardive. La principale preuve à lappui ce sont maintenant « les :

niches pour lampes —


une invention gréco-romaine " QS., 1884, p. 175). Et voici plus
récent « Dans une chambrelte pratiquée sur le parcours de celte galerie [le tunnel], on
:

retrouva les niches encore garnies de lampes de la période romaine » (R. P. B. Meistek-
MANN, La ville de David, 190.i, p. 94. n. 2). 11 n'y avait pas de niches, pas de chambrelte
dans la galerie, pas de preuves d'époque romaine qu'on puisse l'alléguer lout
si évidentes
court: enfin je crains qu'il n'y ait même pas de lampes en ces vases fragiles apportés là
parmi le mobilier de hasard de quelques réfugiés à l'époque du siège sinon de quelques
reclus durant l'âge d'or monastique. Lampes si l'on veut, après lout, mais traitées de la
sorte elles obscurciront longtemps encore le sujet.

(1) Recovenj..., p. 490.


CHRONIQUE. lOo

directe il est vrai, néanmoins beaucoup plus sûre, à déterminer avec


une approximation satisfaisante la seule date générale qui importe
notablement ici l'époque où fut créée l'installation monumentale
:

et savante qui vient d'être révélée avec toute la précision désirable-


par la mission de 1909-1911.

ï. Le tunnel-aqueduc de Siloe.

Les souterrains sont un élément de prédilection chez les vieux nar-


rateurs orientaux, et dans le folklore contemporain la faveur n'en
est, certes, pas diminuée. Il n'est pas beaucoup de villages qui ne
se puissent glorifier de quelque secrète communication avec un au-
tre village merveilleusement distant et de préférence avec un ouély
en renom, une mosquée fameuse, une caverne hantée. Pour peu
que le hasard fasse découvrir un tronçon de canal, un mètre on deux
de voûte remblayée ou d'entaille un peu large dans un banc de
roche, il y a presque aussitôt ï Ancien qui se souvient avoir vu « dans

sa jeunesse » un grand chemin où n'existe plus qu'une fissure. A tout

le moins ce chaînon obligeant de la tradition légendaire aura ouï

d'un sien aïeul, mort aux dernières limites possiljles de l'âge, que
jadis on marchait dans ce trou parfaitement à Taise, qu'on y pouvait
voyager trois jours, sept jours, soixante jours, qu'on y voyait ceci et
cela, ou qu'on y était exposé à telle ou à telle tribulation,
.Jérusalem possède son réseau de souterrains légendaires développé
entre tous. Il n'est guère de sites de la ville, ancienne ou moderne,
que le peuple n'estime très certainement en communication directe
avec dix points éloignés ou proches. Les raccords les plus invraisem-
blables sont naturellement ceux auxquels s'attache la plus ferme
croyance et je ne conseillerais à personne de nier, en face d'un mu-
sulman, que le Haram. par exemple, n'a pas son chemin de mystère
font droit jusqu'à l'antre patriarcal à Hébron et jusqu'à la sainte
Mecque. Jérusalem d'ailleurs n'avait-elle pas. en des jours un peu
plus reculés et dans la foi très ardente d'un peuple qui ne se croit
pas dupe des préjugés enfantins dont beaucoup d autres sont les vic-
times, sa voie ouverte jusqu'à la Géhenne? On en savait très bien
l'entrée et les doctes affirmaient voir s'enéchapper un jet de la fu-

mée infernale il]. Et à qui doit-on remettre en mémoire la fréquence


des souterrains et leur rôle assez souvent tragique dans les récits de
Josèphe qui ont Jérusalem pour situation?

(1) Citations tairaudiques dans Neobaler, La rjéographie du Talmud, p. 36 s., ou dans


l'article Cc/ienne des diverses encyclopédies théologiques.
(06 REVLE BIBLIQUE.

abondent ici les passages créés jadis à air libre


C'est qu'en réalité
et enfouispar Faccumnlation millénaire des ruines, ou même les
travaux de canalisation, drainage, communication secrète en pleine
roche. La légende a brodé libéralement parce que le canevas réel
était très riche, et l'exploration scientifique moderne en fait, année
par année, la démonstration. Il n'est d'ordinaire pas très facile de
saisir en quel sens la légende a déformé le souterrain, mais il serait
trop radical de mettre en doute toute existence du souterrain. Quand
le pèlerin anonyme de Plaisance répète. avec gravité l'assertion de
ses guides sur un courant direct des eaux entre le Calvaire et
Siloé (1), informés peuvent se récrier ou sourire; ce cours
les g-ens
d'eau vient de la même symbolique source que le lleuve symbolique
du Saint des Saints dans Ézéchiel.
La légende n'était pourtant point si dénuée de fondement qui
supposait des eaux en voyage à travers les collines septentrionales,
par des chemins naturels ou artificiels, vers le bassin illustre de
Siloé. En tout cas, la légende sut de bonne heure, depuis toujours
probablement et malgré quelques oublis momentanés, cpie Siloé n'é-

tait qu'une fontaine de parade, empruntant ses eaux à de mystérieu-


ses cachettes. Le nom même, aux jours de Notre-Seigneur, n'était-il

pas interprété de manière à suggérer cet emprunt, cet envoi des eaux
d un point ignoré à la fontaine apparente? L écho de la vérité oubliée
retentit quelques siècles plus tard dans les expressions puissamment
descriptives de saint .lénune Siloe... fontem esse... qui... per ter-
:

rarum concava et anlra saxi durissimi cum magno sont tu veniat.


C'est un passage d'Isaïe viii, 61 sur le courant naguère silencieux
et tranquille des eaux de Siloé qui provoque le souvenir de la
bruyante « Siloé » contemporaine de saint Jérôme et c'est le pro-
phète en personne qu'en ce temps-là un folkloriste inconnu saura
nommer comme l'auteur miraculeux de cette étrange source : elle
vint jaillir en ce lieu à la prière d'Isaïe exténué de soif durant les

apprêts de son martyre (2).


Quand de très courageux explorateurs introduisirent dans l'examen
de Siloé, au commencement du siècle dernier, les méthodes plus po-
sitives d'observation et de description, ils n'eurent apparemment pas
toute la délicatesse indulgente, ni même la stricte justice que de droit
à l'égard de leurs très vieux devanciers; c'est M. Tobler (^3) qui a pris

(1) Apud (iE^Eii, Ilinera..., 172, 6 s.

(2) PsELDo-Ki'iPHAXE, Vics dss propkétes ; PC, XLIIl, 397. Cf. les observations de M. Cler-
niont-Ganneau Rec. arch. or.. II, 288 ss.) sur ces textes.
(3) Dritle Wondervng.... 1859, p. 213 et les notes p. 474.
CHROMQUE. 107

soin de le remarquer preuve. Sans doute, on gâcherait


et d'en faire la
son huile à scruter les récits antérieurs au xix° siècle pour y découvrir
(le quoi se faire une idée telle quelle de Siloé, de son installation re-

marquable et surtout de sa communication par-dessous la colline


avec la fontaine de la Vierge. Il est vrai, les savants arrivés depuis

1830 ont apporté l'habitude avantageuse de la boussole, de l'instru-


ment quelconque à mesurer les distances et du moins quelque peu
les niveaux. Comment toutefois ne pas se rappeler le zèle déjà vrai-
ment scientifique d'un Père Nau, S. J., qui, désireux de s'éclairer sur
le tunnel, persuade deux Capucins de son entourage d'y ramper pour

son compte (1), d'un Quaresmius qui se repent, à distance, d'avoir


omis cette exploration quand il était sur place et se fait suppléer par
un savant ami demeuré au couvent de Terre-Sainte 2i. Et le moyen
de n'être pas touché des tourments que se donne cet ami, le Père
Gérard Vinhoven, pour recommencer l'exploration par l'autre bout
après que l'étranglement du tunnel abordé par la fontaine de la Vierge
l'a contraintde rétrograder « trempé et maculé àrexcès))(3). Honneur

à tous ces vaillants car il n'a tenu ni à leur énergie, ni à leur bonne
!

volonté que l'étude du tunnel ne fût détaillée, précise, complète. Et


voit-on assez l'émoi d'un Rubinson, explorateur si soigneux, si métho-
dique et si méritant du tunnel de Siloé, s'il eût vécu assez pour
apprendre qu'il avait frôlé probablement, et sans la voir, une longue
inscription hébraïque sur une paroi de ce tunnel 'n? Après la tra-
versée réitérée par les observateurs les plus qualifiés, depuis la pre-
mière moitié du siècle dernier, surtout après l'examen approfondi
des ingénieurs militaires anglais, eùt-il été décent d'escompter qu'une
exploration nouvelle introduirait dans notre connaissance du monu-
ment une modification quelconque ou un complément appréciable?
On avait tout noté, tout mesuré et même tout expliqué de ce boyau
étrange; pas jusqu'à ses anomalies
il n'était courbes démesurées, —
sinuosités, enfoncements latéraux, prétendu défaut de pente, extraor-

(1) R. P. N\L, Voyage nouveau..., IIF, 13. p. 307 s., en 16"4.

(2) QcARESMius. T. S. Elucidatio, II, p. 221, éd. de 1881, Venise.


(3) Bene madidus et sordibus plenus (op. /., col. C). A qui serait tenté de ne pas prendre
très au sérieux rexlrême difliculté que signaient ces vieux récits, on doit conseiller la lec-
ture des récits dingénieurs militaires modernes engagés dans la même exploration. Le
danger réel oùvu pour quelques instants M. le capitaine Warren par exemple, à plat
s'est

ventre dans un passage haut de 41 centimètres et demi avec 11 ou 12 centimètres seulement


de vide au-dessus d'un fort courant d'eau, donnera, sinon un petit frisson, du moins la
certitude que le passage était pour tout de bon malaisé; cf. Recovery..., p. 240 s.
(4) Tout le monde a en mémoire l'Iiistoire et la teneur de cette inscription découverte
en 1880. Ce n'est pas le lieu d'y revenir.
108 REVUE BIBLIQUE.

dinaire réduction do hauteur en plusieurs sections — qui n'aient


reçu quelque justification plus ou moins limpide, ou d'une fait l'objet
h^^othèse plus ou moins vraisemblable. Rappeler cet état des infor-
mations jusqu'en septembre 1910 n'est point gaspiller du temps à
une critique de mauvais coût, mais marquer avec exactitude, par
conséquent avec justice, l'apport de données nouvelles dû au labeur
de la mission de 1909-1910.
Dès les premiers travaux autour de la fontaine, en 1909, ne pou-
vant prévoir qu'on projetait un déblaiement ultérieur du tunnel,
j'avais profité des visites aux galeries pour patauger fréquemment et
chaque fois un peu plus avant dans le tunnel, en vue d'y contrôler
des mesures, des orientements et des hypothèses, celles en particulier
des puits —
ou du puits —
communic^uant avec l'esplanade centrale
d'Ophel, d'une source latérale sur le trajet dans la première boucle,
enfin d'une fermeture en dalles aux deux points les plus bas, mani-
festement trop bas pour qu'un mineur ait jamais pu. semblait-il, y
évoluer (11. L'appréhension d avoir insuffisamment observé ou mal
vu provoqua maint retour à cette tâche, recommencée avec la campa-
gne de 1910. Un beau jour une équipe était en devoir de déblayer
jusqu'au radier primitif- l'entrée de la galerie, soudainement aug-
mentée d'environ un mètre en hauteur. Lejour suivant ce déblaiement
progressait: bientôt il fut entrepris aussi par l'autre extrémité et
durant à peu près deux semaines on put avoir quelque impression
de ce qu'avait dû être le forage. A la tète du chantier cjuelques
ouvrière de choix se relayaient un à un pour attaquer à la pioche le
môle de boue eu quelque sorte cimentée par les dépôts calcaires
d'eaux stagnantes en beaucoup d'endroits. En arrière de ce qui
pourrait ainsi s'appeler la tête de sape commen«;ait la chaîne, chaque
jour plus longue, faisant courir de main en main les seaux de déblais.
Entre les deux équipes c'était une émulation ardente à qui aurait par-
couru la plus longue distance quand on se rejoindrait. Toutes les huit
heures des équipes fraîches prenaient la tâche ininterrompue jour et
nuit, excepté à de très courts intervalles, quand la fumée des bou-
gies, le brouillard d'humidité, de sueur et d'haleine rendaient l'at-
mosphère par trop dense et irrespirable. A la simple curiosité pro-
voquée par les premières phases de cette besoi^ne pénible, qu'aucune
trouvaille de bibelot archéologique ne venait rémunérer et qu'on
pouvait croire avantageuse seulement aux maraîchers et aux lessi-

(1) CeUe dernière hypothèse, émise par M. Schick, qs.. 1886, p. 198, était malheureuse-
ment traduite dans un graphique où rien ne la distingue assez de constatations réelles au
sujet d'un autre aqueduc. Cf. QS., 1891, p. 18 s.
CHRONIQUE. 100

veuses de Siloé, succédèrent bientôt un très vif intérêt et plus d'une


surprise. Les explorateurs, inlassablement obligeants, s'offrirent à
laisser le tunnel ouvert pendant autant de jours que Texigerait un
relevé commode avant que l'eau y soit renvoyée. C'est ainsi que nous
avons eu. dans l'intervalle du 26 septembre au 8 octobre, toute faci-
lité de circuler à notre gré dans le tunnel radicalement déblayé et

asséché, du moins sans communication avec la Ibntaine.


L'occasion était trop propice d'un relevé pour ne pas céder au désir
de le réaliser, après qu'un contrôle attentif des relevés antérieurs eu
eut fait saisir l'utilité. J'ai hâte de dire, en hommage bien sincère à
l'énergie courageuse et à la précision méritoire de nos devanciers,
qu'il faut admirer la documentation qu'ils avaient littéralement con-
quise. En comparant avec leurs tracés, avec ceux surtout des officiers
du Siirvey^ le nouveau tracé obtenu (pi. X), on n'observera que
des variantes de détail. Si, dans les coupes (pi. XI), la divergence est
plus notable, ce n'est pas la faute des anciens observateurs, mais le

mérite de la mission récente, qui s'est imposé un lourd sacrifice pour


restituer au tunnel ses proportions et son caractère authentiques.
Pour apprécier la ditTérence des conditions où l'on opérait avant
et après, qu'on veuille bien prendre en considération ce détail
seulement : avant, M. le capitaine Warren
avait dû pratiquer un cer-
tain nombre de dans la position du nageur
ses visées d'orientement
contre le fil de l'eau, son crayon et sa bougie entre les dents, afin de
réserver ses mains lijjres pour maintenir au-dessus du courant sa
feuille de levé et sa boussole (1); après, nous avons mesuré ces mêmes
passages avec des instruments montés sur pied nous avons promené ;

là dedans des règles graduées, des niveaux d'eau, des graphomètres


et jusqu'à une chambre noire; des visiteurs (2) ont traversé le tunnel

pendant les opérations et. n'importe où la rencontre s'est produite,


il n'y a eu qu'à s'amincir obligeamment mais sans le moindre excès,

chacun sur sa paroi, sans t[u'il soit nécessaire de se réfugier dans un


garage quelconque. Sur la plus grande partie le canal était absolu-
ment à sec. Dans les dépressions du radier qui seront décrites tout à
l'heure, le suintement continu de certaines zones des parois ^3) avait

(1) Recovenj..., p. 241, ou Jerus. Mem., p. 355.

(2) Par une exception à la consigne rigoureusement maintenuedans tout le resledu chan-
tier, le tunnel est en effet demeuré librement accessible pendant environ 1 mois du côté de

Siloé. Un barrage établi à l'entrée sur la ualerie VI obligeait seulement à revenir sur ses
pas à Siloé. Je souhaite que beaucoup de visiteurs experts aient mis à profit cette heureuse
occasion pour exécuter des relevés qui fourniraient un précieux contrôle aux nôtres.
(3) Surtout dans l'assise supérieure de calcaire mezzy et dans quelques couches de
malaki). Ces suintements s'accentuèrent à la suite d'une assez copieuse averse au début
110 REVUE BIBLIQUE.

accumulé, depuis le déblaiement, des paquets d'eau, beaucoup plus


amusants par les incidents auxquels ils donnaient lieu de temps à autre
que gênants pour le relevé.
Dans la pensée que le curage aussi parfait du tunnel ne serait peut-
être bien pas recommencé de sitôt, nous avons cru qu'il n'y aurait
aucun pédantisme à livrer en très grande partie le détail même des
mesures enregistrées et concrétisées tant bien que mal par les gra-
phiques. Le tableau A, annexé au plan, est donc un simple abrégé
des feuilles de levé groupant les ô2 ^531 stations de la boussole fixe et
du graphomètre, abstraction faite 1° des contrôles fréquents au
:

moyen d'une boussole à main 2° de la colonne de chiffres représen-


,

tant les lectures sur le graphomètre, enregistrées telles quelles et


réduites plus tard aux valeurs d'orientation (1), contrôlées du reste

par Le registre du nivellement, B, joint à


les lectures sur la boussole.
la coupe, ne présente guère que les deux tiers des cotes mesurées. On
v a inséré par contre deux colonnes de chiffres calculés en chambre
pour donner une plus rapide notion d'ensemble du mouvement de
pente eu cet étrange canal (2 plus pratique pour
. Le procédé jugé le

une ligne horizontale


ce nivellement, après divers essais, a été de fixer
continue sur une paroi, avec les décrochements nécessaires en vue de
la maintenir à une hauteur commode pour la précision des mesures.
Les longueurs de sections, variées par des considérations pratiques,
ont toujours été déterminées sur un chiffre plein excluant les fractions

d'octobre, mais il n'y a rien absolument dans tout le tunnel qui puisse taire songer à la
plus minime source.
(1) Dans ces réductions il a paru pratiquement superllu de faire état de quelques
divergences inférieures à l 2 degré. La même moyenne de 1 2 degré a été adoptée dans
toutes les lectures comme fraction minimum utile. Toute fraction de degré inférieure à

20 minutes a été négligée entre 20 et 40 minutes elle a été systématiquement notée 30'
, ;

au-dessus de 40' elle a été haussée à 1°. La station II par exemple, notée :)3'30', devait
l'être en réalité 53' 28' 17". On voit assez que, dans le cas, cette notation minutieuse eût

été un trompe-l'œil, puisqu'il eût suffi de pratiquer la visée sur une section légèrement
moins longue, à un simple niveau différent ou sur une mire située de manière un peu autre
pour aboutir à des nuances bien plus considérables que celle de la notation adoptée. L'o-
rientation est fournie sur le Nord magnétique sans aucun calcul de déclinaison. Pour s'expli-
quer les inégalités bizarres au premier aspect dans la longueur des sections, le lecteur
voudra bien se rappeler qu'en des opérations de ce genre les chances d'erreur diminuent
dans la mesure où le rayon de visée augmente. On a donc choisi pour chaque station le

maximum possible de visée directe, à la hauteur moyenne de l'",35.

(2) Dans les sections plus longues que 10 mètres la continuité de pente n'a été déterminée
d'une station à l'autre que par des mesures intermédiaires, à intervalles de 5 mètres en moyenne.
Dans les cas de pente inverse déterminée avec exactitude aux stations, le contrôle de pente
n'a pu être toujours établi sur la longueur totale de la section. Entre m-n par exemple, ce
contrôle s'étend seulement aux 5 mètres qui précèdent n; le reste de la section pourrait bien
être horizontal.
CHRO-MQIE. 111

de mètre; la dernière seule s'est trouvéo réduite à une indispensable


exception : 2"Vi-ô <
1 .

Comme on peut différer peut-être d'opinion sur la véritable entrée


du tunnel proprement dit, du côté de la source, la base des opérations
a été choisie de préférence au débouché, du côté de la piscine. Ces
minuties ne s'étalent point par ostentation ingénue elles n'ont point ;

l'ambition de fournir une garantie absolue d'exactitude d'opérations


où il ne dépendait de nous que de mettre ui#? très persévérante appli-
cation. Tout leur but est de placer complètement sous les yeux du
lecteur la marche suivie en cette nouvelle étude dan monument déjà
tant de fois décrit.
.4 suivre.)

LES FOUILLES ANGLAISES D AÏX SEMS.

En avril dernier, la Société du Palestine Exploration Fimd inau-


gurait une nouvelle campagne de fouilles. Son choix s'est arrêté sur le
tertre à'Wïn Sems, site à peu près incontesté de Beth Séniès biblique.
Pour succéder à M. le prof. R. A. St. Macalister, désormais titulaire
dune chaire d'archéologie à l'Université de Dublin, le Comité a fait
appel à M. le D"" Duncan Mackenzie. Ce nom, pour le grand public,
est associé à celui de Sir Arthur Evans et aux merveilles du plus beau

palais Cretois. Les gens d'étude savent qu'en plus de sa collaboration


féconde à l'évocation de Cnossos, M. Mackenzie s'est assimilé à peu
près tout ce qui concerne le développement de la civilisation dans le
bassin de la >Jéditerranée. qu'il est en particulier un des maîtres les

plus autorisés dans les délicates questions qui touchent à la céramique.


N'y aurait-il pas quelque harmonie intentionnelle entre le choix
du site et le choix de l'homme? Depuis tantôt un quart de siècle

l'effort de la vaillante Société anglaise a porté presque sans interrup-


tion sur la zone frontière entre la Judée et la Philistie. De Làchis à
Gézer. elle a interrogé la plupart des Tells qui ponctuent les ramifi-
cations extrêmes de la chaîne montagneuse à l'orée de la grande
plaine : avant-postes où les contacts, pour ne pas dire les conflits,
furent permanents entre la culture méditerranéenne et la civilisation
Israélite. Un tertre assez considérable demeurait: celui d"^4m Sems,

1 1
Je confesserai plus loin par quelle vaniteuse tricherie le tableau porte 2"", 50. Les cotes de
nivellement et de hauteur ne fournissent aucune fraction de centimètre. L'essai chimérique de
noter des millimètres, intraduisibles dans le dessin de la coupe à l'échelle imposée, eût en-
traîné une multiplication inouïe et fastidieuse de mesures. 11 n'était déjà pas si ?imple de dé-
terminer la cote au centimètre sur des surfaces aussi rusueuses.
112 REVUE BIBLIQUE.

un peu plus avant déjà vers la Judée, au nœud des routes arrivant
des satrapies philistines pour escalader la rampe abrupte de Jéru-
salem à l'orient, ou se diriger vers Hébron au sud-est. C'est celui-là
qu'on attaque, et son exploration est confiée au savant le mieux pré-
paré pour ne laisser rien échapper de tout ce qui portera la plus
léeère empreinte égéo-minoenne. 11 ne tiendra donc pas au dévoù-
ment scientifique du Palestine Exploration Fiind que le terrible pro-
blème (( philistin » ne reçoive enfin une solution. Car le nouveau
champ d'investigations ne pouvait guère être mieux choisi.

Tandis qu'en tous les autres Tells une superficie trop vaste, ou la
présence malencontreuse de villages, ouélys. cimetières limitait désa-
gréablement l'exploration, rien ici ne l'entrave la collioe principale
:

est relativement restreinte, déserte à souhait; Tunique ouély qui


veille aux souvenirs et à la protection du lieu est si complaisant qu'il
s'est installé à l'écart des plus intéressantes ruines, si accueillant que

sa blanche coupole abritera l'atelier et les collections des explora-


teurs. A l'iuverse encore de Lâchis, T. es-Sâfy et Gézer, où la domi-
nation Israélite ne s'implanta que tardivement, jamais peut-être, avant
1ère macchabéenne, avec assez de puissance pour y imposer une
civilisation nationale indépendante, Beth Sémès parait avoir été de
très bonne heure boulevard des possessions Israélites sur la fron-
le

tière S.-O. Abritée, sur son mamelon, par la grande Vallée de Sorec au
point où elle s'épanouit en un bassin très large au débouché des
montagnes, la petite cité faisait bravement face aux Philistins. Par
réaction spontanée contre les influences de l'ennemi si proche et tou-
jours menaçant, elle s'attachait sans doute avec un loyalisme plus éner-
gique à sa propre culture, intimement liée à sa religion. D'autre part,
son rôle de gardienne à lentrée du défilé que devaient fréquenter les
caravanes trafiquant avec l'Egypte ne pouvait manquer d'y introduire,
par pénétration pacifique, une multitude déléments industriels, artis-
tiques, sinon même religieux, importés de la Vallée du Nil. Enfin, si

le rôle historique de Beth Sémès, assez secondaire en définitive n'au- ,

torise pas l'espoir de monuments bien grandioses à découvrir, ce rôle


même lui a épargné les bouleversements infligés au cours des siècles
premier rang.
à toutes les villes de
On donc en présence d'un petit centre digne de toute attention
est :

sorte de confluent des civilisations très disparates dont le mélange,


complété encore par les influences arrivées de l'autre extrémité du
monde oriental, a constitué la civihsation palestinienne.
Et afin que rien absolument ne fasse défaut de ce qui peut assurer
aux observations la plus stricte nature scientifique, un spécialiste qui a
^Vi.wlii,.w|ji.\a

w/rrr^
Planche VI.

= fei

n a>
PLAXr.HE VII
Planciik Mil.

l-enlitH-du luiiiicl aopliel, \ue du |.uils acces. D, 1- niaiclie; e =d sur le plan,, arra-
•! (

chements du mur postérieur qui l)lo(|ua l'escalier .r(


: = e pi. V,
-2et 3\ quartier de roc
éboule. (|ui a probablement elTondré la partie antérieure du plafond de
l'escalier.
Plaxcue IX.

Extrémité inférieure du grand escalier B, vue du palier E. Au f"^ [ilau à droite, amorce de
la cavité artilicielle -Y. Au
centre, la porte rclrécie F ; dans le haut, les décrochements symé-
triques du plafond en plan incliné.
CHRONIQUE. 113

déjà fait très brillamment ailleurs ses preuves comme architecte et


dessinateur, M. F. G. Newton, est adjoint à M. Mackenzie. Est-il néces-
saire de l'ajouter? Si la Direction est nouvelle dans ce nouveau chan-
tier, on y retrouve avec gratitude de libéralisme
la tradition exquise
et de courtoisie qui rend, depuis tant d'années, aussi charmantes
qu'instructives les visites aux fouilles du P. E. Fiind.
Seul le mode de communication des résultats est modifié. Au lieu
des comptes rendus trimestriels qui imposaient un lourd supplément
de tâche et faisaient courir le risque d'interprétations prématurées,

on ne publie qu'un rapide aperçu du progrès des travaux et les direc-


teurs feront paraître à la fin de chaque année leur compte rendu dé-
taillé dans une publication que va inaugurer le Comité.

Les comptes rendus provisoires (1) attestent déjà qu'on avait raison
d augurer bien de ce Tell. Après la reconnaissance topographique
et les sondages utiles, sur les deux pointes du Tell, on a attaqué vigou-

reusement la plate-forme et les flancs de celle qui est dite er-Rumeileh,


à l'occident du ouély Abou Meizar, ou plus simplement el-Djabbar. En
quelques mois on a déjà déterminé le circuit presque entier de la ville
fortifiée, acquis les éléments essentiels d'une classification chronologi-
que générale des ruines, et réalisé, dms les nécropoles archaïques
surtout, un très important butin scientifique.
Dans son dernier état (2 le rempart épousait la crête irrégulière
,

du coteau, décrivant un ovale dont le grand axe allongé d'E. en 0.


mesure de 200 à 220 mètres, tandis que l'axe N.-S. excède à peine
150 mètres. Avec cette superficie maximum de 3 hectares et demi, la
ville est donc aussi comparable que possible à la redoutable Jéricho
cananéenne (3), ou mieux encore à la cité inconnue etplus voisine qui
occupa Tell Zakariyâ 4). 1

Dans ses parties les plus anciennes (5), le mur présente un très mas-
sif appareil, où l'élégance et la régularité sont sacrifiées à la solidité.

Très peu de longues parois, mais une multitude de décrochements, en


général assez peu accentués, quoique suffisants pour augmenter les
facilités delà défense. Par intervalles irréguliers de véritables bastions

font saillie sur la courtine ils sont pour l'ordinaire barlongs et de


;

faibleprojection.Uneseuleentréeest actuellement déblayée, vers le mi-


lieu de la face méridionale dans la plus avantageuse position straté-

(1) Q.S'., 1911, pp. 69-79; 129-134; 139-142; 143-151; 169-172.

(2) Plan dans Q5., 1911, face p. 142.


(.3) Cf. /?B.,1909, p. 270 s., et 1910, p. 405, d'après M. Sellin.

(4) RB., 1906, p. 64, n. 3, ou Canaan, p. 27. d'après MM. Bliss et Macalisfer.
(5) Que M. Mickenzie (p. 141) reporte à « l'âge du bronze » et met en relation avec les
constructeurs des monuments mégalithiques.
REVUE BIBLIQUE I9l2. — N. S., T. IX. 8
114 REVUE BIBLIQUE.

gique; et peut-être la ville n'en avait-elle aucune autre. Cestle meilleur


exemple palestinien d'une porte fortifiée suivant le principe asiatiijue fa-
milier une baie étroite ouvrant sur un long- passage défendu par des
:

postes latéraux logés dans l'épaisseur du rempart et dans les tours. Les
parties hautes de la muraille, du moins à l'une de ses époques, furent
en briques sèches beaucoup aussi, apparemment, des édifices inté-
;

rieurs.
Il faut laisser aux explorateurs le temps nécessaire pour disséquer
l'enchevêtrement des restaurations à la lumière du déblaiement mé-
thodique de larges sections. Dès les premiers travaux cependant les
lourdes cicatrices du rempart et les amas de débris confus qui en chaus-
saient le pied donnaient à entendre que la ville avait dû traverser des
jours d'angoisse et de dévastation. A mesure qu'on progresse devient
plus évidente la réalité sinistre d'un siège farouche et dune catastro-
phe qui étendit sur la cité un linceul de cendres (1). Elle ressuscita
néanmoins de cet anéantissement à une vie que les ruines attestent

encore très active jusqu'à la fin delà période Israélite, qui paraît même
s'être prolongée jusqu'à nouveau cataclysme, on a l'im-
l'Exil. Passé ce
pression d'un site à peu près abandonné. Ce coteau sera déserté aux
périodes hellénique et romaine et la localité renaîtra de l'autre côté
du ouély. Plus tard seulement une installation monastique byzantine
viendra remuer cette cendre; et peut-être est-ce quelque réminis-
cence des jours où l'Arche de lahvé s'arrêta en ces lieux qui fit tians-
former en chapelle et en cellules ce qui restait de l'acropole antique,
dans l'angle S.-E. des remparts (2).
Bien avant l'ère sémitique, le site était déjà occupé par des popula-
tions dont la trace est particulièrement saisissable dans les nécropoles,
par delà même les premiers âges des métaux et jusf[u'au déclin de
l'état néolithique. Le premier stade dans l'évolution de Beth Sémès
aurait donc été troglodytique, à peu près à l'aurore du IIP millé-
Cn intéressant hypogée de cette période initiale
naire avant J.-C. (3 .

semble singulièrement apparenté à la belle caverne néolithique

(Ij Macke.nzif.. op. L, p. 132. Lit de cendres analogue à Làchis, et la plupart des villes
déjà fouillées offrent quelque chose de plus ou moins comparable cf. Canaan, p. 443.
n. 2). Mais tanilis qu'on a cru ailleurs devoir attribuer cette ruine aux campagnes égyp-
tiennes sous la XVllP dynastie, M. Mackenzie (p. 142) serait enclin à en rendre les Philis-
tins responsables pour Beth Sémè>.
(2) Ces ruines ne doivent en aucune manière constituer l'obstacle qu'on semble redouter
(p. 133) pour lexploration approfondie de l'acropole. Quand elles auront été relevées, rien
n'en exige la conservation au détriment des vestiges anciens qu'elles peuvent couvrir.
(3) Mackknzie, op., L, p. 134.
CHRONIQUE. li:i

dite le Crématorium à Gézer 1 Lui aussi a été utilisé secondaire-


.

ment par une race qui avait d'autres rites funéraires. Parmi le mo])i-
lier de ces morts plus récents, on signale des idoles, Astarté, Bès. —
Isis, — des scarabées et autres objets trahissant la prépondérance
très accentuée de l'influence égyptienne, tandis que rien ne porte la
marque babylonienne, ni ég-éo-crétoise (2).
La seconde catégorie de tombes déjà signalée correspond, par la
structure et le mobilier, aux tombes d'époque Israélite, toutefois avec
cette particularité que le type de la tombe quadrangulaire avec ban-
quettes latérales et façade extérieure plus ou moins dressée con- —
sidéré souvent comme très tardif en Palestine — se trouverait à
Beth Sémès peut-être dès grande monarchie (3). La
le temps de la
céramique trouvée dans ces dépôts est décidément méditerranéenne.
A maintes reprises M. Mackenzie emprunte des analogies à la Crète ou
aux centres égéens caractéristiques. Il désigne même explicitement
(p. 134) comme « vase philistin un vase peint identique à celui que
découvrirent naguère MM. Bliss et Macalister à T. es-Sàfy (i).
Si l'on ajoute la mention de curieux vases modelés en formes
humaines ou animales et surtout d'un couple divin en terre cuite qui
semble avoir été préposé à la garde d'une tombe, on soupçonnera
quelle précieuse série d'informations va contenir déjà, pour l'archéo-
logie et l'histoire de Palestine, le premier mémoire détaillé de
MM. Mackenzie et Newton.

DEUX INSCRIPTIONS DE LA XÉCROPOLE STIVrE DE JAFFA.

Avec son usuelle obligeance M. le baron d'Ustinow veut bien com-


muniquer à la Revue deux nouvelles épi taphes juives qui viennent
d'être incorporées à sa splendide série. Elles n'offrent ni l'une ni l'au-
tre aucune obscurité de déchiffre ment, mais je ne saurais garantir une
lecture ferme. Ces deux petits documents sont donc livrés à examen
plus compétent.

(1) Cf. Canaan, p. 208 ss., d'après Macalister, Q.S., 1902, p. 347 ss. Dans la caverne de
Beth Sémès, dont la description détaillée est attendue avec la plus vive curiosité, M. Ma-
ckenzie {op. L. p. 170) ne semble pas admettre lincinération proprement dite et met les
traces de feu au compte de quelques repas lituri<iqnes suggérés par des os de mouton.
Pourquoi pas des vestiges sacrificiels? car cette préparation d'un repas funéraire dans la
tombe elle-même ne va pas sans difficulté.
(2) Mackenzie, op. L, p. 171.

(3) M\CKENziE, l. l. A la façade artificielle près, on comparera les hypogées archaïques


de Siloé {Canaan, p. 237 ss.i.
(4) Cf. Canaan, p. 324, fig. 212. On se souvient que M. le prof. H. Thiersch {Anzeiger d.
Jakrb... arc/iaeol. InsHt.. 1908, col. 278 ss., proposait déjà cette désignation; cf. RB.,
1909, p. 341.
116 REVUE BIBLIQUE.

A : fragment de marbre gris, irrégulièrement taillé, quoique le titulus soit évi-


demment complet haut. 0>",20; larg.0"\10 au sommet; épais, moyenne 0™,02. Haut,
;

moy. des lettres 0'",02.


B : dalle triangulaire en marbre blanc à bords réguliers et revers fruste: long, de

base 0'", 32; haut, du triangle 0'",16. Haut. moy. des lettres 0"',018 dans les lig. 1 et

2 ; 0^,022 1. 3.

cj p|=) M H

A : Zay;/a;j.'.ç Jiiç As-rspiou, Zahhamis fils d'Astérios.


B : lax utou Aarapc-j tspc(a))ç, (E)y-(7:t )s| 'j]- Eipr.vr^ ^r/l. [Tombean
de] Isa fils de. Lazare, prêtre, d'Egypte. Paix! Lazare. La terminaison
i; =^ icç parait se cacher dans le sigle initial de la 1. 3. Je ne vois
pas le radical sémitique transcrit ainsi. Astérios est un nom connu.
Sur Isa, voir les observations de M. Clerniont-Ganneau (1) à propos
de deux autres inscriptions similaires de Jatfa. On notera à lai. 2 les
deux formes E et 6 dans le même mot. Un scribe aussi peu familiarisé
avec le grec a pu omettre la petite barre transversale du E initial
dans le mot suivant, car le groupe z-;<. n'est guère satisfaisant, même
avec toutes les déformations possibles z/.\, c7/.r,, etc. L'analogie des
autres textes appelle ici un nom de lieu ou de pays. Faute de mieux

je propose l'Egypte. Le manque d'espace qui obligeait d'amputer la


lettre finale a pu faire grouper t: et t dans une ligature. La transcrip-
tion hébraïque de Lazare sera remarquée.

Jérusalem, novembre 1911.


H. Vincent, 0. P.

Archaeol. Researches.U, 133 ss. et 490 Ida père dua Ézéchias qui était phrontistès
(1) ;

Quart. Stat., 1900, p. 119 E'.aa; (ils de Benjamin. La mission


et originaire d'Alexandrie; :

américaine de Princeton Universify a trouvé ce même nom dans le Haurân méridional


parmi des noms arabes Gr. and Lat. Inscr., Div. III, A. 2, n" 175, p. 102 s. Ear, MaYÔou.
: :

'/sa [Ésau) fils de Magd. Les éditeurs se demandent s'il ne s'agirait pas d'un Juif et le
texte est gravé sur un linteau orné d'une grande croix.
RECENSIONS

Adonis und Esmun, eine Untersiichung zur Geschichte des Glaubens an Aufer-
stehungsi^otter und an Hcilgôtter von Wolf Wilhelm Grafen Baudissin. mit
10 Tafeln (1); grand in-8° de xx-575 pp. Leipzig, Hinrichs, 1911.

Le titre du livre de M. le comte Wolf Wilhelm de Baudissin n'est point trop aisé
à traduire; Adonis et Echraoun, étude sur l'histoire de la foi en des dieux de résur-

rection et en des dieux de salut. Te pense qu'il s'agit de dieux qui ressuscitent pour
leur compte et qui sauvent mais le titre comprend aussi les dieux qui
les autres,

ressuscitent d'autres personnes. Ce dernier point s'entend surtout de l'Ancien Testa-


ment. Quoique le titre ne l'indique pas, l'étude du professeur berlinois porte en même
temps sur Adonis et Echraoun, les dieux phéniciens, et sur le Dieu des Israélites.
Après une introduction magistrale sur les cultes cananéens, l'auteur étudie successi-
vement Adonis puis Echmoun; il les compare entre eux dans une troisième partie et
tous deux avec lahvé dans une quatrième.
De M. de Baudissin on ne pouvait attendre qu'une étude approfondie, érudite,
judicieuse. Son livre groupe tout ce qu'on sait aujourd'hui sur Adonis et sur Ech-
moun. Sans viser à l'énumération complète des textes classiques, il n'a négligé aucun
élément récf-nt d'information (2). C'est en ce moment, et de beaucoup, le livre le plus
important qui existe sur le sujet, moins original peut-être que celui de Frazer (3),

mais combien plus soucieux de ne conclure qu'à bon escient et de doser les degrés de
probabilité! Ce scrupule nuit peut-être à l'intérêt littéraire. Quand on croit être avec
l'auteur sur une piste, on s'aperçoit après quelques pages qu'il faudra rebrousser
chemin pour chercher ailleurs. Mais rien ne fait plus d'honneur à la conscience du
savant qui tâche de bonne foi à découvrir ce que chaque opinion peut contenir de
vrai. Et tout de même cette méthode rend l'analyse difficile, car on risque de se trom-

per en prenantune hypothèse caressée avec faveur pour une conclusion arrêtée. C'est
dans l'adhésion plus ou moins ferme de l'auteur que gît la difûculté de la critique. Si

l'on n'avait à parler ici que de ce qu'il déclare certain, c'est à peine si le recenseur
aurait à faire des restrictions de quelque poids: mais l'ouvrage est rempli de sugges-
tions que B. semble avoir très à cœur, qui sont même comme la raison d'être et l'es-
prit de son œuvre; et ce sont ces aspeclsondoyaots et fuyants qu'on voudrait regarder
detrèsprès, sauta voir s'évanouir quelques fantômes, nésde combinaisons hasardeuses.
D'autres fois il faudra rendre hommage à la sagacité du maître.

Dès l'introduction Baudissin nous avertit que l'étude des religions cananéennes est
très difticile, et qu'il y faut employer la divination (p. 8). Les fouilles, encore trop

(1) Avec desindices rédigés delà façon la plus obligeante pour faciliter les rectierclies.
(2) Encore est-il que l'auteur a tenu à se compléter lui-même dans la Zeitschrift '1er deutsclien
Morgenl.-Ges. LXVl. p. o()7 ss.
(3} Adonis, Attis, Osiris, i" éd. 190".
118 REVUE BIBLIQUE.

peu nombreuses, révèlent de plus en plus le pays de Canaan comme un théâtre où


les influences sesont combattues, mais aussi mélangées. Dans cette situation, est-il
prudent de dire que les Phéniciens, n'ayant pas développé leur religion dans le sens
de la théologie comme les grands empires d'Assyrie et d'Egypte, ont des chances pour
avoir conservé plus fidèlement les caractères primhifs de la religion des Sémites,
ainsi Arabes au temps de Mahomet
que les (p. 10)? La comparaison est déjà chan-
ceuse, après les coups portés par Winckler à l'impénétrabilité de l'Arabie. Quant
aux Phéniciens, c'est le tjpe même Ce qu'on peut~aîre,
des peuples sans originalité.
et ce que B. a très que chez eux le rapport d'une divinité avec une
bien dit, c'est

force naturelle spéciale n'apparaît pas aussi nettement que chez certains peuples. Mais
ce vague, qui a unesaveurdepanthéisme, est-ilbienunindice d'antiquité ? A ce point B.
rencontre la célèbre théorie qui conduit l'humanité du polydémonisme au polythéisme.
La Phénicie lui semble en fournir un exemple dans Echmoun, qui serait comme
un Adonis développé et passé vraiment au rang des dieux (I). Mais il se refuse très

sagement à généraliser. en un dieu et culte religieux quand


D'après lui, il y a foi

l'homme entre en une puissance surhumaine; à défaut de


relation personnelle avec
cette relation personnelle, l'être redouté n'est qu'un démon. Quelle forme a précédé
l'autre? Il faudrait pour le dire connaître les facultés de l'homme primitif (p. 15).
On a souvent parlé des triades phéniciennes le dieu mâle dominateur, la déesse, :

le jeune dieu. Que ne l'a-t-on toujours fait avec la réserve qu'adopte d'abord Baudis-
sin! « Dans aucun de culte nous ne pouvons observer sûrement les trois formes
lieu

dans trois divinités constamment associées entre elles » (p. 15). Bien plus. /^(JQt^is est
le seul type franc du jeune dieu —
si c'est un dieu —
car ce n'est pas un grand dieu,.

un -de ceux qu'on implore.


Il fallait s'en tenir là. Malheureusement, après avoir constaté que la Babylonie ne

connaît pas la triade Monsieur, Madame et"Béhé, B. imagine que cette triade a passé
:

en Phénicie de l'Egypte, où elle s'est constituée d'une façon assez artificielle. Il cite

comme triades, à Sidon : Astarté, Baal de Sidon, Echmoun; à Carthage : Tanit,


BaaI-Hammon, Echmoun; à Byblos : El-Kronos, Baalat, Adonis. Mais il n'a pas

oublié que Carthage et Sidon avaient une autre \^t;irlé ou déesse; El-Ivronos devait
être un bien mauvais père, et ni Echmoun ni Adonis ne sont les fils d'une Astarté.
Nulle part nous ne rencontrons la famille divine (2).
L'opposition entre le Baal et l'Âstarté, leurs caractères propres, sont d'ailleurs tracés
de main d'ouvrier. En réaction contre W. R. Smith, et d'accord avec ce qu'a écrit
sur ce sujet le recenseur (3), Baudissin refuse de voir dans le Baal le genius iàciUé
au sol, donnant la fécondité seulement par une action émanée du sol. Le mâfî
pas tant le possesseur que le Seigneur, et c'est très probablement du cier'qîi'il enri-
^-
chit lii t(^rre p.ir la phiie.
Il est devenu chef du clan, par conséquent mêlé assez étroitement aux actions
et

des hommes; il venge, sauve, punit, sans que son action non plus que sa nature soit
très morale (4).

(1) On verra plus loin que cet exemple mi^me est loin d'être décisif.
ajà-dessus d'excelleates considérations, p. 181.
(•2) B.
(3) Études SU7' les religions sémitiques,
2<^ éd., p. 97 s.

(4) M. de Baudissin enseigne loujour-; que les pierres sacrées ne doivent être à
l'origine que les
monuments destinés a marquer les lieux consacrés parune manilestation delà divinité; c'est seule-
ment longtemps après, que les pierres oni été prises pour une représentation de la divinité. Je crois
qu'il laut maintenir cette explicatjnn, au moins dans un grand nombre de cas. contre les exagé-
rations du bctylisme. Dans les Études sur les religions sémitiques (û" éd., p. 'J2 ss.). j'ai regardé
nadad comme le principal type du Baal cananéen. Cela me parait toujours vrai s'il s'agit des
temps historiques. M. de Baudissin estime que ce dieu est d'origine anatolienne. On s'explique-
RECENSIONS. 119

La déesse, elle, est très liée à la terre. A. l'urigine elle n'a rien de religieux; c'est
une explication de la vie dans le monde; elle est la mère de tout et de tous, et n'est
donc la mère de personne en particulier ;
elle est la source de toute fécondité, comme
une sorte de cause universelle de la vie. C'est la création propre des Sémites. Spécia-
lement chez les Phéniciens, l'idée de la vie domine. La déesse, placée souvent avant
le dieu, est la représentation de la renaissante. Dans sou culte on pra-
vie t(Uijours
tique l'acte générateur. Les sacrifices humains prouvent à leur manière combien la
vie est chère aux dieux. Et cette idée conduit l'Introduction au seuil du livre consacré
à des dieux morts et ressuscites.
Le premier de ces dieux, c'est Adonis. Il faut lire de ligne à ligne l'ouvrage de
M. de Baudissin pour en comprendre la richesse. Aucun filon ne passai inaperçu.
Chaque nom de personne, chaque nom de pays, le moindre incident du culte, les
racontages des anciens, tout est l'objet d'une enquête pénétrante. Il ne faut rien
moins que cette érudition attentive pour triompher des difficultés du sujet. Elles ré-
sultent surtout des antinomies sur le culte, le mythe, la personne. Et d'abord Adonis
est-il ïamouz? Les anciens l'ont cm, et c"est au fond l'avis de Baudissin. Mais il

affecte une sorte d'élégance à réduire la portée de leur témoignage, pour garder
toute liberté d'étudier séparément chacun des deux cultes (I), et pour mesurer l'évo-
lution 'le leurs formes en Phénicie, en Syrie, à Babylone, en Grèce. Et ces précau-
tions sont, en principe, très sages. En fait, je ne vois pas que Baudissin ait mis la
main sur aucune dilïereace sérieuse, sauf celle du nom; encore Adon, « Seigneur »,
est-il, du moins à l'origine, un nom commun. Sans doute nous savons d'Adonis dés

choses qui ne sont pas dites de Tamoiiz et réciproquement; sans doute le mvthe
raconté par des écrivains syriens récents n'est pas exactement le même que celui
des Grecs; mais ces Syriens eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux, et on ne peut
insister beaucoup ^ur des déformations secondaires. Baudissin parait tenir cependant
à maintenir une distinction que les anciens out crue négligeable. Serait-ce parce que, à
raisonner surTamouz. il faudrait en faire un dieu grain, tandis qu'Adonis serait plutôt
le dieu de la végétation qui suit les pluies? Au surplus, le maître de Berlin a très pro-
bablement insinué la vraie solution. Dieu de la végétation printaniere chez les no-
mades, Adonis-ïamouz devenu plus tard, chez les Sémites sédentaires, le dieu
serait
du grain des céréales. J'ai cru. avec Frnzêf, que c'était là le sens primitif du mvthe.
et j'ai vu dans la mort d'Adonis le symbole du graiu coupé par la faucille du mois-

sonneur. B. a combattu très énergiquement nos arguments et ne s'est peut-être pas


assez préoccupé de la part dd vérité qu'ils contiennent.S'il ne s'agissait que du con-

sentement unanime des auteurs gréco-romains qui assimilent Adonis au grain qui
meurt dans la terre pour y ressusciter, on pourrait dire qu'ils ont été entraînés par
la nécessité de trouver dans la nature un fait qui correspondît au mythe. Mais les
Syriens ne dépendent pas des mythologues gréco-romains, surtout lorsqu'ils décrivent
l'usage de s'abstenir, durant les fêles deTamouz, de tout ce qui a été broyé au
moulin. Et ces derniers rejoignent les antiques lamentations babyloniennes (2) : « Quand
rait ainsi son rayonnement de la Crète à Babylone [La Crète ancienne, p. 100). Mais il est impos-
sible que Sémites du nord n'aient pas eu un dieu de l'orage. Il a certainement fusionné avec
les
le dieu analolien, auquel appartient probablement le symbole de la hache, léclairquifend les
-^ '"''«t»m\<fnii>VMesarynmr<>mm.tam'mmmma<\^,^\uus^
arbres.
w) Fônr ma
part je n'accepterais pas qu'il y ait eu véritablement deux cultes discernables au
temps de l'empire romain, par exemple un mode syrien à Antioche, un autre a Bt-thléem.
;2) C'est ce qui a entraîné le P. Dliorme. La religion assyro-babylonienne, p.ljo. i.e texte cunéi-
torme est d'époque grecque, mais c'est la copie d'un lexie qui remonte au moins à Assourba-
nipal, et sûrement par lui à l'époque babylonienne ancienne. Pour ce passage on ne possède
pas seulement le texte " sumérien ., dont la trailuction serait sujeite à caution, mais une trans-
cription en assyrien Zimmern, Sumrrisch-babylonische Tamuzlieder, p. :206).
120 REVUE BIBLIQUE.
il est grand, il est couché dans la et y repose ». Tamouz a donc été un dieu
moisson
grain; mais peut-être seulement dans un second stade de son existence mythique, et
cette phase a peut-être été moins marquée pour Adonis. L'idée primitive aurait été
celle de la végétation des steppes, ce dont les Babyloniens auraient gardé le sou-
venir en faisant de Tamouz un pasteur. Nous voici à une seconde antinomie, car
Adonis est bien plutôt un chasseur. Il me semble pourtant que M. Baudissin s'est
trop préoccupé de ce double aspect du personnage. Les bergers qui mènent les brebis
de M™^' Deshoulières « dans ces prés fleuris qu'arrose la Seine '>, n'ont rien de
nos nemrods modernes, mais le pasteur de l'antiquité était un robuste gardien, sou-
vent obligé de défendre son troupeau contre des bêtes redoutables. Lorsque David
faisait paître les brebis de son père et qu'un lion ou un ours enlevait une brebis du
troupeau, il le saisissait à la mâchoire et le tuait (I Sam. 17, 34 s.). Tel était sans

doute le pasteur Tamouz. Il ne faut pas non plus trop s'étonner de le voir au ciel

d'Anou, malgré ses origines chtoniennes, et malgré qu'il habitât ordinairement les
enfers. Étant un petit dieu, il pouvait, un jour ou l'autre, être placé au ciel par la
fantaisie d'un poète. Cela n'empêche pas son attache au sol, comme dieu de la végé-
tation. M. de Baudissin s'est demandé si ce concept n'était pas trop général pour des
primitifs. Il a essayé de rattacher Adonis à une essence végétale particulière. JDepuis
longtemps on reconnu la parenté du dieu avec lanémone. Ne faudrait-il pas conclure
a
à une véritable identité? Lorsque, a la Qn de janvier ou en février, le Liban se
couvre de gazon émaillé d'anémones rouges et à'Adoitis miniata. on croirait la ver-
dure teinte de taches de sang. Quoi de plus simple et de plus populaire que de
regarder en effet ces pétales d'un rouge ardent comme les gouttes de sang d'un jeune
dieu? Comment Baudissin sait-il que cette fleur a été seulement plus tard rapprochée
de sa mort (p. 129).' Les pâles anémones des bois d'Europe ne peuvent donner une
idée de l'impression produite par leurs sœurs d'Orient, aussi rouges et plus nom-
breuses que les coquelicots dans les blés. Et les coquelicots eux-mêmes, au temps de
la moisson, pouvaient passer pour la même manifestation d'une vie mystérieuse et
divine (1).

Adonis est un dieu de la végétation printanière, soit, mais alors pourquoi sa fête
ou plutôt les lamentations sur sa mort ont-elles lieu au mois de Tamouz (juin-juillet)?

ou en d'autres termes, pourquoi ce mois lui est-il consacré? La date a-t-elle été
fixée seulement quand Tamouz était déjà un dieu de la moisson? On pourrait le con-
jecturer, car la moisson estun peu postérieure au dessèchement de la verdure des
steppes. Mais à Babylone, et même à Niuive, la moisson ne devait guère être pos-
térieure au mois de mai. Faut-il supposer qu'on s'est rapproché du solstice d'été
parce que déjà Tamouz tournait au dieu solaire, ou bien son culte est-il né dans les
steppes plus froides des montagnes de l'Assyrie ou de la Syrie du nord?

Adonis-Tamouz mourait chaque année. Il ressuscitait donc dans l'intervalle? Les


poèmes babyloniens semblent chanter sa sortie de l'enfer, naturellement sur un
mode joyeux. Mais il est impossible de prouver que les fêtes du deuil aient été sui-
vies d'une fête de la résurrection, du moins pour les temps qui ont précédé le chris-
tianisme. M. de Baudissin, qui a bien voulu tenir compte de mes observations sur ce
point, aurait pu conclure avec plus de fermeté à une contamination du culte
d'Adonis par celui d'Osiris, pour expliquer que le deuil d'Adonis a été suivi d'une
fête de sa résurrection. Sauf j^ucien dans le De deà sy/id, dans une phrase qui rompt

(1) S'il éi.Tit permis de tout oser dans une matière aussi obscure, on pourrait imaginer que le
petit Tamouz est l'anémone baignée par les pluies de l'hiver, et le Tamouz grandi b- coquelicot
dans les blés. Mais c'est aux céréales elles-mêmes que les lieds babyloniens font allusion.
RECENSIONS. 121

le contexte, seuls es auteurs égyptiens ou influencés par les Égyptiens parlent de


la fête de la résurrection d'Adonis (1). Nul ne le sait mieux que Baudissin, qui con-
sacre de nombreuses pages aux rapports si fréquents entre l'Egypte et Byblos. Peut-
être pourrait-on ajouter un rapprochement qui m'a beaucoup frappé en visitant le
musée du Caire. Dès le temps de la XVIII° dynastie (salle Darls) on semait sur la
toile qui recouvrait le sarcophage des grains de blé dessinant la forme d'un Osiris.

Comme M. Daressy a»bien voulu me l'expliquer sur place, cette végétation hâtive
était passée au four pour être plus promptement desséchée. N'est-ce pas comme
une première esquisse des jardins d'Adonis.? Or ce blé desséché qui représente la
mort d'Osiris était sans doute aussi symbole de sa résurrection. C'est donc très
vraisemblablement par l'assimilation à Osiris qu'Adonis est devenu, et encore dans
une mesure, un type de dieu ressuscité peu après sa mort. Le mythe grec est
faible
muet sur ce point, et c'est vraiment subtiliser à l'excès que de voir la résurrection
déjà célébrée dans le deuil. Pour que le deuil annuel suppose la résurrection annuelle, ,

il faudrait que le deuil ne soit pas seulement la comméraoraison de la mort, mais le

drame même de la mort. Dans ce cas, la résurrection serait exigée en bonne logi-
que, mais pour quel temps? et qui ne sait que les cultes s'arrêtent à certains aspects
traditionnels, sans représenter tous les traits d'une légende par des fêtes distinctes?
L'antiquité a pleuré Adonis éperdument; elle ne s'est pas souciée de fêter sa ré-
surrection avant une époque assez basse, et probablement d'après les rites osiriens.
Baudissin p. 180) doute qu'Adonis ait été l'époux ou l'amant delà déesse; il serait
plutôt né d'elle. En quoi il raisonne d'après le sens attribué par lui au jeune dieu,
plutôt que d'après les textes. Ou prétend-il distinguer à ce point Adonis et Tamouz?
Ses dissertations sur une dernière antinomie. Adonis descendu aux enfers dans une
caisse ou tué par le sanglier? m'ont beaucoup appris, et je ne puis que m'associer
à la sage réserve de l'auteur sur le sens et l'antériorité relative de ces mythes.
Il est difficile d'accorder entre eux les textes relatifs à Adonis; on voudrait en
avoir davantage pour se faire une idée de la physionomie d'Echmoun. Son mythe
ne nous est connu que par le texte très tardif de Damascios
(2); les documents A
cunéiformes n'ont produit aucune lumière nouvelle. donc scruter les textes
Il faut
phéniciens ou carthaginois qui sont très pauvres, et c'est ici surtout que M. Bau-
dissin a dû mettre en exercice cette divination qui doit rendre une forme aux osse-
ments desséchés de la tradition. Oserons-nous dire que l'Echmoun qu'il a ressus-
cité ne nous paraît guère semblable à celui qu'a connu l'antiquité?

Le principe de la recherche était excellent. M. Baudissin a compris que le texte


de Damascios est une synthèse composée d'éléments trop divers pour qu'on puisse
en tirer une image distincte. Il met en scène la mère des Dieux qui assiste à la
mutilation d'Echmoun, et nous voilà en pays phrygien. Puis Astronoé ressuscite
celui qu'elle aime et le met au rang des dieux, ce qui rappelle Isis et Osiris. Et
cependant ce texte est le seul qui représente Echmoun comme un dieu jeune et
comme un dieu ressuscité! Or l'auteur paraît tenir beaucoup à ces deux titres. C'est
que tout l'eflét de suggestions savamment combinées serait manqué si Echmoun
n'était un jeune dieu ressuscité que rien n'empêcherait d'interpréter comme un dieu
de la végétation, un autre Adonis. Il faudra donc que l'effort d'une érudition impec-
cable dans le détail aboutisse à faire sortir de tout le matériel connu un jeune dieu

(1) s. Jérôme, qui aurait pu passer pour un témoin puisqu'il parle des lamentations d'Adonis
à Bethléem, a prnliablement suivi Origène, en parlant de la résurrection dans un passage où il
commente Ezécliiel à la suite du maitre alexandrin.
(2) PiiOTiCs, Bibliolheca, Cod. !24-2; P. G. CIII, col. iSOi s.
122 REVUE BIBLIQUE.

semblable à celui de Datuascios. Les deux images s'éclaireront mutuellement et la


démoastratioD, insuffisante dans chacun des deux chapitres, résultera de leur
accord.
Encore une fois, la méthode serait excellente si Ton pouvait extraire de l'épi-
graphie et de la tradition ancienne seulement les éléments du mythe damascien.
Nous estimons qu'ils n'y sont pas.
Echmoun, dit-on, doit être un dieu jeune, parce que c'est nn dieu fils. Mais de ce
que les Grecs ont su une généilogie, conclura-t-on que les Phéniciens le
lui forger

regardaient comme un fils? Le fils de qui? d'Astarté? mais il serait plutôt son époux
ou son amant. Du grand Baal? mais il u'est jamais en relation avec lui; si on l'iden-
tifie avec lolaos, il sera bien le compagnon plus jeune d'Héraclès, mais non son fils.

Aussi bien il y a une raison positive d'affirmer qu'Echmoun n'était point un jeune
dieu, c'est que les Grecs l'ont couramment et sans hésiter assimilé à Askiépios (1).
Si M. Baudissin n'a pas cité une seule représentation d'Asklépios en jeune dieu,

c'est sans doute qu'on ne connaît rien de semblable Askiépios est toujours figuré
:

sous les traits d'un homme barbu, dans toute la maturité de


l'âge. Aussi a-t-il eu
recours une autre assimilation. La fréquence du type de Dionysos sur les monnaies
à

phéniciennes, spécialement à Sidon, signifie pour lui l'équivalence d'Echmoun avec


le jeune dieu de la vigne. L'argument est séduisant. Mais enfin on n'a jamais hésité

à assimiler Echmoun à Esculape; aucun texte ne le compare même à Dionysos. Ne


faudrait-il pas, pour le faire, établir d'abord un rapprochement sérieux entre Esculape

et Dionysos?
Et il est encore plus difficile Echmoun
de trouver dans tout ce qui regarde
Da- —
mascios toujours excepté — la moindre trace
mort et qu'il ait été ressus-
qu'il soit
cité. S'il s'identifie à lolaos, il a ressuscité Héraclès. Dans ce rôle encore, nous re-

connaissons Abkiépios-Esculape; mais c'est en vain que M. Baudissin cherche un


rapport quelcon(|ue entre le dieu médecin qui guérit, et même qui ressuscite son com-
pagnon, et le jeune dieu ressuscité par son amante. Quant à faire du dieu médecin
un dieu de la végétation, il y aurait quelque appnrence si l'on entendait parler de
plantes salutaires et médicinales (2), mais nous serions loin du thème de la végétation
printanière qui se dessèche pour renaître, et par conséquent loin du dieu ressuscité
qui est nécessaire à M. de Baudissin. Ici encore le sosie Askiépios barre la route.
Avec son admirable conscience des devoirs qui s'imposent à l'érudit. l'auteur recon-
naît sans détour que ce dieu n'est, en aucune manière, l'image de la vie de la nature
mourante et renaissante (p. 343, note 3).
Assurément on n'a pas la prétention de résumer en ces quelques lignes la riche
argumentation de Baudissin on se croit obligé de dire que pour docte et ingénieuse
;

qu'elle soit, elle est impuissante à produire la conviction. A tous les arguments de
détail s'oppose la distinction très nette des images que l'antiquité connaissait mieux
que nous.
La liaison des deux dieux, Adonis et Echmoun. avec une Astarté, n'est pas un trait
qui les rapproche plus qu'il ne rapproche Adonis de Baal-Hammôn, le parèdre de
ïanit; or la dame de Byblos et l'Astarté de Sidon sont deux personnes au moins
aussi distinctes que l'Astarté de Carthage et Tanit.

(1) B., vraiment trop réservé cette fois, se demande {p. 244 si Ectiini>un est en lui-même un
dieu guérisseur ou si cette qualité lui a été attribuée après qu'il eut été ideutifié o Askiépios.
Le scrupule est étrange, car si Edimoun n'av.iit été du moins un guérisseur, l'eùt-on jamais iden-
tifié avec un demi-dieu qui n'était que cela?

(2) La racine smm a servi à désigner en arabe des plantes salutaires.


RECENSIONS. 123

Nous avons déjà rencontré deux fois le nom de lolaos. Son identité avec Ecliraoun
serait la meilleure raison de rajeunir le dieu de Sidon, et entre lolaos et Asklépios
toute relation ne fait pas défaut, puisque lolaos a ressuscité Hercule. A vrai dire ce

n'est pas tant comme médecin que par l'idée iieureuse d'y employer une caille, mais
ilne faut point regarder ici de trop près. La difflculté est que lolaos semble avoir
son équivalent précis en phénicien; on l'aurait donc distingué d'Echraoun (1). Cela
n'empêcherait pas cependant qu'il n'y ait eu entre ces deux divinités une certaine
ressemblance, et cette ressemblance a probablement suffi à Polybe 2 pour nommer
lolaos parmi les dieux carthaginois, alors qu'il pensait à Echmoun. Mais il faut avouer
que les flls de la question demeurent bien enchevêtrés. Baudissin flnit par supposer
un dieu lolaos sarde, d'origine libyque, qui fut identifié à lolaos grec, et qui était
avec Melqart dans les mêmes relations que ce dieu grec avec Héraclès ip. 294.
Admirable coïncidence des nnms et des rôles: S"il était prouvé que TEchmoun chy-
priote a été réellement avec Héraclès-Melqart dans des relations définies p. 294 ss.^,
ne faudrait-il pas conclure, comme Baudissin n'est pas éloigné de le faire plus loin

ip. 309), en Chypre une nuance particulière, et se trompe-


que cet Echmoun a pris
rait-on en l'attribuant à l'influence de la légende grecque de lolaos? Le problème
de lolaos demeure très obscur, mais on ne saurait, en bonne critique, se servir d'un
rappro -bernent aussi risqué pour qualifier le puissant prciteeteur de Carihage.
Baudissin voit dans Echmoun une sorte d'Adonis qui se serait développé dans le sens
de la puissance et de la divinité: or les te.xtes ne savent rien de cette transformation,
si ce n'e*>t au temps de Damascios : à cette époque on était impuissant à découvrir le

voile des origines: on s'en dédommageait par le syncrétisme des combinaisons.


Si M. Baudissin s'est trompé sur la nature et le caractère d'Echmoun. nous n'avons
pas à nous en plaindre. Sous sa conduite, on apprend beaucoup sur la route, même
si l'on n'atteint pas le but. La religion carthaginoise est mise par l'auteur dans une
lumière nouvelle: ses analogies avec celles de Sidon sont rendues plus évidentes,
sans que l'auteur ait prétendu percer le mystère de cette énigme, Carthage ayant été
fondée par Tyr. L'interprétation de très bon aloi de la bande d'argetrt de Batna lui

permet aTd^Bttfier l'Astarté de Carthage avt-c la Viz-yo ou Junu crlrstis. tandis que
Tanit serait le génie de Carthage de Polybe, la Juno Regina des Romain-;, la déc'^se
des capitoles puniques. Il s'oppose sagement au syncrétisme des modernes qui expli-
quent les noms phéniciens composés (3) comme une fusion de deux divinités, ou
dans ce sens que le dieu fils en révèle un autre p. 2T8\ Cette dernière idée surtout
ne répond guère au matérialisme des Phéniciens. Aussi plutôt que d'inscrire une
Tanit, face de Baal, Baudissin prendrait plutôt Pené-Bual pour uu nom de lieu (p. 23.
note 1 '.

A
propos d'Echmoun, l'auteur prend déjà contact avec l'Ancien Testament. Le
dieu guérisseur évoque le souvenir du serpent d'airain, brisé par Ézéchias II Rois,
18, 4. D'où venait cet objet auquel les Israélites brûlaient de l'encens? De Moise,
d'après le récit des Nombres 21, 4 ss.;. Mais B. croit savoir que ce récit a été ima-
giné pour expliquer et pour justifier la place du Nekhoustan dans le Temple; il n'au-
rait donc aucune valeur. On peut en tirer seulement que le serpent d'airain n'a pas
été trouvé sur place. Comme il ne vient ni d'Arabie (4'. ni d'Egypte, il a été emprunté

(1) m'a paru dt-cisif. Études sur b'S religions sém.. 2« éd., p. 426.
C'est l'argument qui
Dans le fameux serment qui énuraère les dieux de Carth;ige ^Pol., VII, 9, 2 s.).
1,2)

(3) Toute cette dissertation parait délinitive, au moins quant au rapport grammatical des mots
Echmoun-Astarté, Eclimoun-Melqart, etc.
w*
.1) M. de Baudissin n'a pas tenu compte du nom 2— mI relevé par les Pères Jaussen et Sa-
124 REVUE BIBLIQUE.

aux Cananéens, et assez récemment, sans quoi la légende l'aurait fait remonter au
temps des patriarches.
Vraiment on ne reconnaît pas, dans cette série de conjectures, le sens rassis de
l'auteur. Ce sont là procédés de criti lue littéraire moulant dans le vide. Au point de
vue de l'histoire des religions, la petite histoire des Nombres a un sens parfaitement
clair; le serpent d'airain est un ex-voto (l Sam. 6, 17 s.), avec ce cachet spécial qu'on
le fabrique d'avauce. Je ne cesse de dire depuis bien longtemps {RB. 1900, p. 286)

que cet ohjet, en airain, a été forgé avant d'arriver à Oboth, c'est-à-dire à la station
de Phounon où il y a précisément des mines de cuivre, qui pouvaient très bien être
exploitées au temps de Moïse. L'histoire du serpent d'airain a donc tout l'aspect d'une
histoire vraie. Pourquoi en faire une légende étiologique qui n'atteindrait même pas
son but?
Par Adonis qui n'est pas tout à fait un dieu, par Echmoun qui est devenu tout à
fait dieu, l'ouvrage s'achemine vers le Dieu de l'Ancien Testament. Ce Dieu-là est
un Dieu qui ressuscite; c'est de Lui que les Juifs et les Chrétiens — sans parler des
musulmans — attendent la résurrection.

D'où est venu ce dogme? Baudissio nous le dit : la foi en la résurrection chez les
Juifs est un fruit de la foi en Dieu, de la foi en la puissance de la divinité qui ne
préserve pas de la toute-puissance de la mort, mais qui en triomphe (p. 510). Certes,
la formule est excellente, mais elle est malheureusement accompagnée et comme
glosée de conceptions qui en paralysent étrangement l'énergie. Nous sommes d'ac-
cord avec M. Baudissin quand il exclut la Perse comme le pays d'origine de la résur-

rection. Analysant avec beaucoup de pénétration les termes dont se sont servis les
Sémites pour exprimer cette idée, il montre qu'ils ne découlent pas naturellement
des préhupposilions du parsisme. Si la forme extérieure du dogme n'a point été
empruntée aux Perses, l'idée ne doit pas non plus venir de là. Le parsisme ancien a
pu servir d'excitateur, surtout par sa doctrine très ferme de la rétribution, mais le
concept de la résurrection plonge par ses origines dans le plus vieux fond sémitique.
Et pour le montrer, Baudissin prend une à une les formules qui expriment la guéri-
son et qui la dépeignent si souvent comme une véritable résurrection des morts.
« Guérir », au sens d'entrer en convalescence, se dit « vivre », et « guérir » en par-
lant du médecin qui guérit ses malddes se dit « faire vivre ». Bien plus le malade
est déjà la proie de la mort; le guérir c'est lui rendre une vie nouvelle, l'arracher au
Chéol. C'est là, comme le dit très bien l'auteur, une hyperbole consciente (p. 417);
la comparaison, d'abord exprimée, a été sous-entendue, mais elle est toujours sous-
jacente. Elle suppose que le dieu qui guérit a bien le pouvoir de faire revenir l'âme
déjà absente, de ressusciter; mais ou ne saurait confondre ce concept des résurrec-
tions particulières possibles avec le dogme de la résurrection générale. Comment le

passage d'une idée à l'autre s'est-il opéré?


D'après l'auteur, les Israélites ont suivi la même voie que les Cananéens ou Sé-
mites du nord en général, ou plutôt ils se sont établis en Canaan quand déj?i existaient
chez ces derniers des idées dont ils se sont inspirés. Le concept de la résurrection
serait fondé, même chez sur la rénovation de la nature, spécialement sur
les Israélites,

la renaissance de la La preuve?
végétation. —
Baudissin ne prétend, il est vrai, —
fournir que des indices, mais auxquels il semble attacher une valeur qui croît à me-

vignac {Mission archéologique en Arabie, p. 250 ss.) dans une inscription minéennc et qu'ils
ont rencontré de nouveau, comme on pourra s'en convaincre dans le volume annoncé consacré
aune seconde mission.
RECENSIONS. 125

sure qu'on avance. Il les voit dans les termes mêmes des textes, quand Isaie D par
exemple parle de la rosée divine à propos de la résurrection
26. 19\ et dans le Is.

caractère même de la résurrection qui amendes morts sur la terre pour y jouir encore de
biens terrestres, les biens messianiques. Je ne puis pour ma part concéder ce dernier
point ,2, : le texte d'Isaïe ;26. 19) fait partie d'une eschatologie, plutôt transcendante
que spéciûquement messianique, et il en est de même de Daniel '12, 2 Quoi qu'il en .

soit, une résurrection même pour vivre uniquement sur la


l'argument serait insuffisant :

terre, n'est pas nécessairement venue à l'esprit à propos des plantes. D'après Job

(14, 7), c'est tout simplement le contraire. L'arbre coupé repousse, l'homme ne
repousse pas. Deux natures aussi différentes ne peuvent avoir la même destinée. Ce
qui est si aisé pour la plante est simplement impossible à l'humanité... Et on ne
peut prouver que les Phéniciens aient raisonné autrement. Autre chose est d'expri-
mer par un mythe le sort de la végétation, autre chose est de conclure du sort des
plantes à celui des mortels. Aussi bien, rien ne permet même de soupçonner que les
Phéniciens aient cru a la résurrection des corps.
M. de Baudissin tombe ensuite dans une exagération notable lorsqu'il oppose
entre eux le concept grec et le concept phénicien. Chez les Grecs, les dieux étaient
immortels par nature, ils conservaient la vie sans lutte-, chez les Sémites, les dieux
ne conservent la vie qu'en triomphant de la mort. On voit ici combien il était
nécessaire qu'Echmoun mourût et qu'il ressuscitât! Car sans cela, Adonis était le
seul appui de cette théorie, Adonis qui n'est pas même tout à fait un dieu! Et nous
pouvons bien le dire, c'est précisément parce qu'on savait qu'il était mort qu'on
ne rendait pas à Adonis un culte divin; on le plaignait, le pauvre jeune homme:
Si les dieux des Phéniciens différent de ceux des Grecs, c'est au contraire par le ca-
ractère plus imposant de divinités plus puissantes et plus exigeantes. Si vraiment,
comme le veut M. Cumont, c'est des dieux orientaux que vient l'épithète d'œte/-
nus. comment la concilier avec ces existences éphémères, sans cesse renaissantes,
mais sans cesse M. Baudissin gratifie les divinités des Sémites? Par
fanées dont
quelles manipulations de la critique un phénomène isolé, que l'antiquité a classé
à part, est-il transformé en loi pour tout un Olympe? Comment le gracieux
Adonis est-il devenu le type des divinités redoutables qui ont arraché aux Phéni-
ciens et aux Carthaginois le sacrifice de leurs enfants? Un dieu, qu'il ressuscite lui-
même, ou qu'il soit ressuscité par son amante, a-t-il par cela même la vertu de
ressusciter les autres? De toute manière, il n'y a pas de trace que les Hébreu.x aient
conçu leur Dieu de cette manière. C'est un Dieu vivant, parce qu'il est 3), possédant
ainsi la plénitude de la vie dans son expression la plus simple, mais aussi la plus
compréhensive.
De toutes parts la thèse cède, parce que les Hébreux ne se sont pas inspirés des
idées cananéennes, parce que ces idées ne sont point telles que les a décrites M. de
Baudissin.
Pourquoi donc les Juifs ont-ils cru à la résurrection? Parce qu'ils ont cru à la
puissance d'un Dieu vivant, plus fort que la mort, c'est la formule même de l'auteur.
Encore faut-il dire pourquoi Dieu a jugé bon de remporter ce triomphe? On a

(1) Notons en passant que B. voit une allusion aux jardins cPAdonis dans Is. 17, lO s., mais,
au lieu de conclure que le morceau appartient aux temps plus ou moins tielléniques, il le date
très fermement de l'ao 731 av. J.-C.
2) Cf Le Messianisme..., p. ITti ss.
3.1 B. a prévu l'objection et ramené à une époque très basse le texte de l'Exode 3, 14; qu'il
di-pouille d'ailleurs de son sens profond. Mais on peut descendre plus bas encore sans trouver
chez les Pliéniciers la moindre trace de ces idées très relevées, en dépit de toute exégèse.
126 REVUE BIBLIQUE.

répondu : parce que Dieu ne voulait pas se séparer de ses fidèles, parce que ses
fidèles n'ont pas cru qu'il les abandonnât, parce qu'ils voulaient vivre avec lui, et ne
concevaient pas cette existence sans la résurrection. A cette raison, qui est au fond

celle de l'Évangile (l),M. de Baudissin répond que les Hébreux admettaient très bien
une survie après la mort, même sans le corps. Cela n'e&t pas douteux, mais il est
non moins certain qu'elle ne répondait pas aux aspirations religieuses de leur âme.
Dans le Chéol on n'était pas avec lalivé.
Si l'auteur ajoute que cette idée de la vie avec Dieu n'a pas été liée dans l'Écriture
avec celle de la résurrection, que du moins les psalmistesue l'expriment peut-être
pas nettement ip. 426 s.), c'est qu'il refuse de donner son explication naturelle par
exemple au ps. 16, 10. Nous avons reconnu sans difficulté que souvent la guérison
est exprimée comme une sortie du Chéol mais la métaphore, rappelons-le, suppose
;

le sens propre, et c'est ce dernier sens qu'il faut entendre quand le contexte l'exige

comme c'est ici le cas (2).

Dans sa conclusion, M. de Baudissin ouvre des perspectives sur le Nouveau Testa-


ment. Voici d'abord une afûrmation très saine, dont il faut le féliciter, puisque tant
d'autres n'en apprécient pas le bon sens On n'a pas prouvé que le culte d'Adonis :

avec sa fête de la mort et de la résurrection ait eu de l'influence sur la naissance ou


sur la forme de la foi chrétienne au ressuscité (p. .522 . Il faut encore remercier,
quand on nous dit que les premiers chrétiens ont eu d'eux-mêmes, d'après le Jésus
de l'histoire, l'idée d'un Sauveur mourant et vivant de nouveau. Et en effet Bau-
dissin nous a dit mainte fois qu'Adonis n°. fut jamais un dieu, et il a ajouté expres-

sément qu'il ne fit jamais rien pour l'humanité ni pour ceux qui observent ses rites

p. 347). C'est tout au plus un dieu sauveur. Ici


un dieu patient, ce n'est point

nos adversaires auraient bien besoin d'Echmoun... car Echmoun est un dieu sau-
veur... mais ce n'est pas un dieu patient, ni un dieu plus homme que les autres...
Pourtant Baudissin ajoute « L'homme-dieu mourant de la doctrine chrétienne
:

est préparé par le concept des religions orientales et spécialement sémitiques de


dieux qui passent par la mort et pour autant deviennent des hommes-dieux » (p. 524).
Et il faudrait s'entendre une bonne fuis sur cette préparation au christianisme.
Qu'on pose donc le problème dans ses termes concrets. Il n'est pas sans doute ques-
tion d'un païen qui ne croirait pas aux mythes de résurrection. On n'imagine guère
que le chrétien zélateur les lui enseigne d'abord pour les détruire ensuite. Il s'agit
donc d'un fervent des cultes d'Osiris ou d'Adonis, tels qu'on les suppose. D'après
ce que nous savons de la polémique chrétienne, le chrétien s'attaquera au mythe
ou par la voie de révhémérisme,ou parcelle des stoïciens. C'est-à-dire qu'il prouvera
à son païen qu'Adonis ne fut jamais qu'un homme, sa déesse une impure courtisane,
et qu'Adonis n'a jamais été ressuscité par elle. Ou bien il montrera dans Adonis le
gazon ou le grain de blé, expliquera que le mythe n'est que la traduction d'un phé-
nomène conséquent qu'il n'y a pas eu de résurrection. C'est-à-
très vulgaire, et par
dire que le païen devra d'abord être convaincu qu'il a eu tort de rendre un culte à
Adonis et de croire à sa résurrection. Peut-on dire que dans cette situation il lui
reste un pli dans l'esprit, une disposition intérieure à accepter plus facilement l'his-
toire d'un homme-dieu ressuscité? Et l'empreinte de sensualité qui a souillé son âme
l'inclinera-t-elle aussi à adhérer à une religion de pureté et de renoncement? >{'est-il

pas naturel que ce païen, s'il a été convaincu de son erreur, essaye d'appliquer à

(1) Cl. Me. 12, -20 et le Commentaire.


(2) Le ps. 16, il ne marque pas moins l'union surnaturelle avec Dieu que le ps. 73. 53 ss.
RECENSIONS. 127

Jésus la même critique dissolvante.' Ou supposera-t-on qu il admettait, comme pre-


mier principe religieux, le culte d"un dieu ressuscité, sauf à déterminer lequel? Plu-
sieurs apologistes opineraient volontiers qu'une ombre de vérité est plus nuisible à la
conversion que lignorance toute nue du mystère proposé. A tout le moins convient-
il de sVx primer avec beaucoup de réserve sur des états psycholo::iques si nuancés.
C'est d'ailleurs, il faut le dire encore une fois en terminant, la méthode de M. de
Baudissin. extraordinaireaieut circonspecte, si on la compare aux artisans de systèmes
préconçus. On n'en est que plus étonné qu'il ait pris comme thème principal de son
livre l'influence des Phéniciens sur la religion de l'Ancien Testament, spécialement
quant au concept de Ton remontait aux premières oriizines sémitiques, il v
vie. Si
aurait à discuter, malheureusement dans une ombre très opaque. Mais il s'agit de la
vie divine, et de l'idée que s'en sont faite les Phéniciens à une époque récente, peu
avant notre ère. M. de Baudissin a reconnu chez eux l'importance de cette concep-
tion, à la prostitution religieuse et aux sacriQcPS humains. La luxure et la cruauté
vont bien ensemble, cest un lieu classique. Sont-ce là les idées primitives des Sé-
mites? Si oui, dans Israël elles ont évolué d'une façon bien étranse. dans le sens
toujours plus épuré de vie spirituelle et éternelle avec Dieu. Ou plutôt, si ces deux
branches ont poussé sur le même tronc, l'une a été greffée. Mais, en realité, on doit
conclure, et de l'histoire elle-même, que la religion cananéenne a pris un aspect plus
brutal que celle des anciens Sémites. La religion de lahvé s'est dressée contre les
dieux cananéens dans un antagonisme plus exclusif. Au lieu de poursuivre à la lu-
mière de la divination des rapprochements incertains, l'auteur à'A'/onis et Echmoun
aurait plus aisément relevé des différences. Rarement, autant qu'en le lisant, j'ai
compris qu'il est impossible à l'érudition la plus irréprochable d'expliquer le
développement de l'Ancien Testamrnt selon l'évolution naturelle des religions voi-
sines.
Jérusalem, août l'Jll.
Fr. M.-J. Laoraxge.

Aramâische Papyrus und Ostraka aus einer jûdischen Militar-Kolonie


zu Elephantine. Spvachdenkmoler îles .5 Jahrhan'/erts vor
AUorictit't.Usche
Chr., bearbeitet von Eduard Sachau, mit 7-5 Lichtdrucktafeln. Grand in-4" de
xxix-290 pp., plus les 7.3 planches en phototypie. Leipzig, Hinrichs, 1911 sep-
tembre .
— Prix M. 90.

Le splendide volume M. Sachau contient les textes araméens trouvés à


édité par
Éléphantine en 1907 et MM. Rubensohn et Zucker. En organisant cette
1908 par
double campagne, la Commission des Papyrus du Musée de Berlin se proposait sur-
tout de découvrir des papyrus grecs, puisqu'elle en confia successivement la direc-
tion à ces deux distingués hellénistes. La chance des fouilles amena des papyrus
araméens du plus haut intérêt. Dès l'année 1907, M. Sachau publia trois des plus
curieux et des mieux conservés. Grâce à son obligeante autorisation, les lecteurs de
la Revue ont pu en connaître le texte original 1.. Aujourd'hui, c'est tout le stock

qui est présenté au monde savant,


il faut avouer
et, si l'impatience était grande,
que le délai était justifié, de classer, de traduire des do-
puisqu'il s'agissait de lire,

cuments qui sont trop souvent coupés en petites parcelles ou misérablement rédiuts
à d'informes tronçons, sans parler des lettres mangées par les vers. C'est donc un
devoir de reconnaître avant tout la patience ingénieuse de M. Ibscher qui a réuni

(1) RB., 1908, après la page 324. cf. p. 3i5 ss. cf. pour les papyrus Couley.
: IflO-, p. 2-58 ss.;
pour les fouilles. 190«. p. 2fi0ss. : )iour le papyrus d'Euting. 190-5, p. 147.
128 REVUE BIBLIQUE.

les papyrus et la laquelle M. Sacliau a conduit le déchiffrement et


maîtrise avec
l'interprétation. En
du volume, une introduction fait connaître les résultats
tête
dans leurs grandes lignes, en indiquant les problèmes qui demeurent obscurs. Les
documents reproduits sur les 75 planches phototypiques sont transcrits en lettres
carrées dans le volume des commentaires. Ils sont répartis en six groupes 1) mis- :

sives et lettres d'un caractère olflciel et privé; 2) listes de noms de personnes;


3) documents d'affaires; 4) littérature; 5) petits fragments: 6) ostraca, estampilles
de jarres, Le dialecte araméen d'i^léphantioe est désormais assez bien représenté
etc.

pour que M. Sachau ait pu esquisser une grammaire. Des Indices terminent le
volume, pour les noms propres, les autres vocables, les chiffres et les choses les

plus importantes.
C'est dans cet ordre que j'indiquerai quelques-unes des découvertes les plus sail-
lantes, surtout dans leurs rapports avec l'histoire religieuse, en notant les observa-

tions qu'une première lecture m'a suggérées.


Les textes émanent quelquefois des autorités persanes. C'est ainsi que la grande
inscription gravée par Darius P"" (vers 510 av. J.-C.) sur les rochers de Behistoun
en perse, en élamite et en babylonien, ligure sur un papyrus araméen d'Éléphan-
tine, où elle avait sans doute été envoyée par le grand roi. Le texte araméen paraît

être la traduction du babylonien (1). C'est ainsi que les autorités perses ordonnent
la construction d'un grand vaisseau. Cependant il est probable que ces documents
eux-mêmes regardaient la colonie juive d'Eléphantiue, et c'est d'elle qu'émanent
presque tous les autres textes. Il est donc certain désormais que ces Juifs n'em-

ployaient que l'araméen. Si les estampilles des jarres sont en cananéen, les noms
sont phéniciens et non juifs. Il faut vraisemblablement renoncer à l'espérance de
trouver là des textes hébreux.
Cette colonie, ignorée hier, est aujourd'hui assez bien connue. Son existence est
attestée par l'écriture depuis environ 494 av. J.-C. jusqu'à environ 400. Le dernier
texte daté est du temps d'Arayrtée, ce roi égyptien qui secoua le joug des Perses.
Il est vraisemblable que les Juifs furent emportés dans cette tourmente. Quant
aux origines, nous n'apprenons rien de nouveau il faut sans doute remonter à :

tout le moins au temps de Psammétique (594-589).


On se demandait si les Juifs d'Éléphantine, quoique répartis entre certaines ensei-
gnes, étaient bien des soldats. Singuliers militaires, dont l'activité ne se manifeste
que par des contrats civils On avait conclu à des cultivateurs miliciens. M. Sachau
!

insiste aujourd'hui sur l'expression nouvellement découverte d'armée juive (nStî


Nmni), mais il reconnaît de bonne grâce que c'est une armée pacifique, puisque les
femmes en faisaient partie (2), et il s'arrête au terme assez heureux de colonie mili-
taire. On sait y avait sept enseignes (3), quoiqu'on ne sache les noms
désormais qu'il

que de six commandants, quatre perses et deux babyloniens (4).


En plus des enseignes (]Sa"r), qui étaient comme des l'égiments, il y avait des
centuries (kîin'C).
La perle des documents du premier groupe, c'est toujours la correspondance rela-
tive à la destruction et à la restaurationdu temple d'Éléphantine. On me permettra

(1) Avec certaines divergences. Le babylonien dit 546 tués (et non pas 30i6, comme le dit
M. Sacliau, p. 18'j), tandis que le chiffre araméen (lacuneux) débutait par 5000.
(2) Papyrus 18. planches xvn-xx.
(3) P. 27, pi. XXYI. 1. 3-4.
(4) Aux noms cités. RB., 1907, p. 26S\ ajouter Naboulcoudourri.
RECENSIONS. 129

de renvoyer à l'article de la Revue; ']e signalerai seulement ici quelques corrections


de l'auteur, nécessaires — ou discutables.
Le premier personnage, ledoniah, est sûrement un laïc, Tethnarque de la nation,
et non le grand prêtre de lahô (Sachau). On le verra prendre nne position assez
indépendante en matière de culte. S. pense maintenant que la prononciation est bien

lahô; c'est celle que nous avions adoptée. Mais il exagère en la regardant désormais
comme la seule possible pour le nom divin. Puisque ""' et ,";"'' se prononçaient cer-
tainement lahô, il conclut de même pour ri"~"i, le T ne serait que l'écriture pleine,
comme p~ï au lieu de '^~'à pour Sidon. L'analogie n'est pas complète, car si Ton
voulait prononcer lahô. il n'y avait rien à ajouter à ~~V Les Juifs Araméens d'Elé-
phantine prononçaient ainsi, mais aussi n'ont-ils jamais écrit ~*~^. La tradition
ancienne nous a transmis deux prononciations I qui avaient sans doute chacune son
écriture. Les textes d'Eléphantine nous font maintenant connaitre la forme verbale
nVi'' « il est » qui est le meilleur commentaire de l'Exode (3,14).
P. 1, 1. -5. Le mot r'":*'2~ ne serait pas perse: il pourrait être à l'état absolu.
S. lui donne le sens de conjuration, sans s'exphquer a-sez sur la racine.
1. .5. lire "T^î et non "j7r"'r de l'iranien fratara: c"est un titre d'administra-
teur dont le sens précis échappe toujours. S. note que c'est un comparatif, et que le
superlatif /'ra^ama se trouve sous la forme 2**2r'"£ 'Dan, 1,3-, Est. 1,3: 6.9 .

1. 6. n"Ti;n, le nom du temple des Juifs, de la racine i;n, « rassembler « ; donc


un terme équivalant à « synagogue » et à djam'i (S.).

1. 7. N\";~' est traduit « maudit ». par une dérivation peu naturelle. Dans un docu-
ment officiel, qui doit éviter les appellations mal sonnantes, je serais porté à tra-
duire « feu «i le défunt "Waidereng. peut-être deletus.
1. 10. *i'2''p est regardé comme une erreur pour :C"Z, « en bois a. correction qui
n'est pas nécessaire; la transcription porte yoi^z (coquille?).
1. 11, lire yr.'J 'un noun dans notre crochet , donc le pluriel. S. a été tenté d'ex-
pliquf r les cinq portes par la présence de cinq enseignes à Éléphantine, la sixième
résidant à Syene: mais lui-même en a découvert une septième. D'ailleurs il n'est
pas nécessaire de regarder ces portes comme des pylônes cf. RB.. 1908, p. 338 s. .

1. 15. Je maintiens la lecture "T'il" qui me parait certaine (au lieu de T72" d'ail- .

leurs sans conséquence pour le sens.


1. 16. •,''"1","! '7 « qui nous a fait savoir . On avait vu là un hébraïsme : < qui nous
a donne de voir •'. S. préfère supposer un oracle. lahô avait annoncé la ruine de
Waidereng. Tout ce qui suit serait à traduire au futur, les parfaits marquant la cer-
titude de la prophétie, censée accomplie : « il nous a fait savoir à propos de ce
chien (?) de Waidereng ce qui suit) : on éloignera les chaînes de ses pieds, et on
anéantira tous les trésors qu'il a acquis, et tous les hommes qui ont tenté de faire du
mal à ce dit temple, seront tous tués, et nous contemplerons leur perte «. C'est très
ingénieux, mais il faudrait à tout le moins supposer que l'oracle a été prononcé par
un prophète, ce qui n'est pas dit; la fin surtout serait assez étrange dans la bouche

de lahô. S. s'appuie pour donner ce sens à "iin sur pap. 15, pi. xv, 1. 7 qui supporte
l'explication que nous avions donnée après D. H. .Mù.ler. — 11 reconnaît d ailleurs
que sa propre traduction est inexplicable en ce qui regarde le châtiment de Waide-
reng. L'epithète de chien ne convient guère à un document adminis-
litt. canlnns]
tratif. 11 est probable que Waidereng a été mis en croix; voir un lion qui s'attaque
aux pieds d'un homme attaché au poteau dans le Dictionnaire des Antiquités,
au mot crux.
(1) RB., 1903, p. 371.
REVL'E BIBLIQUE 1912. — N. S., T. l.\. 9
130 REVUE BIBLIQUE.

l. 27-28. Le vrai sens a été trouvé par M. Brustou. dans La Vie Noxœelle du

4 janvier 1908 : « et ce sera un mérite pour toi devant lalio, le dieu du ciel, plus
''rand que celui d'un homme qui lui offrirait un holocauste et des sacrifices équiva-

lant à la valeur en argent de mille (l) talents ». « Et au sujet de


l'or », etc.

que Sauaballat n'était pas encore mort, puisqu'on le nomme tou-


1. 29. S. estime

jours « pacha de Saraarie ». Mais le titre pouvait lui être resté à cause d'un long
«gouvernement. Si l'on s'adresse à ses fils, c'est qu'il n'était plus là.
Le rapport entre les deux premiers papyrus est expliqué comme dans la Revue: ce
sont deux brouillons, le second corrigeant le premier.
A propos du troisième document, S. note qu'il est muet sur les holocaustes.
Bacfohi et Delaiah demandent qu'on rétablisse « la maison d'autel » pour y offrir des
sacriflces d'encens et alimentaires. Il n'est pas question des immolations. L'autel

aurait encore en partie sa raison d'être. L'omission est peut-être calculée. S. le


croirait d'autant plus volontiers qu'il a trouvé une trace de cette opposition entre
deux sortes de sacrifices dans le papyrus .5 (planche iv). Ce document, malheureuse-
ment iacuneux dans la partie la plus intéressante, émane de ledoniah, qui est vrai-

semblablement l'ethnarque, et de quatre autres individus de Syène, mais domici-


liés (?) dans la forteresse de lêb, le nom égyptien d'Éléphantine (5, iv, 7-11).

Us s'expriment ainsi : Quand notre Seigneur...


et le temple du dieu lahô qui...
dans la forteresse de léb, comme auparavant a été bâti (...?)
Et des paires de pigeons, des tourterelles, des chèvres, iSpD (2), ne sont pas (?) (3]

offerts...
Mais des sacrifices d'encens, alimentaires...

Le reste fait allusion à un présent d'orge.


Ce texte vraisemblablement une réclamation des chefs de la communauté
est

contre la restriction capitale apportée à leur culte. Ainsi donc Bagohi et Delaiah
auraient maintenu indirectement les droits du sanctuaire de Jérusalem, qui pré-
tendait être le seul où l'on pût immoler. Cela étonnerait plus de la part du Sama-
ritain Delaiah que de la part de Bagohi, gouverneur de Judée. On sait par Josephe
qu'il aimait à s'occuper des choses du temple (4). Sans doute, à ce mom^-n', sa

querelle contre le grand prêtre lokhanan n'avait pas encore éclaté (Sachaii). L'an-
cienne pratique d'Éléphantine était peut-être en somme antérieure à la promul-
gation du Deutéronome sous Josias (622); en tout cas les effets de la réforme
ne durent se faire sentir si loin qu'avec le temps. Il était difficile de détruire le statu
quo: le sacerdoce de Jérusalem aurait-il profité de la ruine du temple égyj.tien

pour imposer des conditions nouvelles? On regrette la petite lacune qui ne permet
pas d'êire tout à fait fixé sur ce point important.
Les regrets s'augmentent à propos du document suivant (-3) où M. Sachau a
reconnu une allusion à la Pâque. L'éminent critique nous permettra de reproduire
sa traduction.

(1) Ne plus lire ^1 ; le premier signe est une barre, on disait mille avec une barre devant si'?,

avec deux barres, deux mille, etc. (S.).


(3) Ce mot ne serait-il pas à rapprocher de iSp • bléj^rillé =, quelque chose de grillé, sinon
du blé?
(3) La négation est probable il ne reste que la fin de N, ^'^ "1 est dans une coupure.
(4) AîU.. XI, vil. 1.
(5) Papyrus 6. planche vi.
RECENSIONS. 131

1. [à mes frères]
2. Ii'doniah et ses compagnons l'armée juive, votre frère Hanaiiiah. Les dieux saluent
mes frères.

3. Et maintenant, en cette année, l'an 5 du roi Darius, de la part du roi à Archain


a été envoyé [un rescrit]...
4 Maintenant comptez ainsi qua[torze jours]...
:

5 Et du jour t5° jusqu'au 21°. ..


6 Soyez purs et tenez-vous sur vos gardes, un travail (I) ne [faites pas].
7. [rien qui enivre?] ne buvez, et quoi que ce soit de. fermenté ne [mangez pas .

Revers.
8 Du coucher du soleil jusqu'au 21° jour de nisan...
9 Montez dans vos demeures, et scellez entre les jours...
10
11 [à] mes frères ledoniah et ses compagnons l'armée juive, votre frère Hana-
niah '2).

était Hananiah? un Juif employé par Arcliam, le vice-roi de l'Egypte du


Qui
sud. Ce personnage qui parle « des dieux » à propos de la Pâque, est probable-
ment le même qu'un Hananiah dont il est question ailleurs. Depuis qu'il était en
Egypte, les prêtres?] de Khnouni avaient relevé la tête (3). C'était donc un faux
frère? Quoi qu'il en soit, celui qui parle dans le document 6 ne fait que trans-
mettre un ordre du grand roi. Pourquoi Darius ordonna-t-il ou permit-il de célé-
brer la Pàque cette année-là (419/418), avant la destruction du temple? Rendait-il
chaque année un édit semblable"? M. Sachau ne le croit pas. Il est certain cepen-
dant que les Cfimmunications étaient fréquentes entre le pouvoir central et la
province la plus méridionale de l'empire : des instruclions « précisant telle et telle
chose mois par mois on nous envoyait; même une instruction écrite nous était
donnée » (4). Cet éloge du passé constate sans doute une négligence actuelle
(en 427). Puis le pouvoir se reprenait. Mais enfin, pourquoi un édit sur la Pâque?
M. Clermont-Ganiieau a pensé que l'immolation de l'agneau était spécialement
odieuse à Éléphantine, surtout aux prêtres du dieu Rhnoum. le dieu bélier. Nous
venons de voir que, à l'arrivée de Hananiah. ils ont ouvert les hostilités. N'auraient-
ils pas obtenu qu'on supprimât de la Pâque? L'édit de Darius
le sacrifice essentiel

revient-il sur cette interdiction? ou un règlement qui permettrait la Pâque


serait-ce
sans le sacrifice de l'agneau? Il faut encore ici s'en prendre aux lacunes (5)! S. a
remarqué que le texte du papyrus ressemble plus à la législation du Deutéronome
qu'à celle de l'Exode. Elle suit son chemin propre. On ne manquera pas d'alléguer
d'un côté que les Juifs d'Éléphantine possédaient donc le Pentateuque, puisqu'ils
célébraient la Pâque, d'un autre côté qu'ils ne le lisaient donc jamais puisqu'on
leur rappelait ses prescriptions, ou même donc pas puisque Hananiah
qu'il n'existait

compose un édit pascal au lieu Torah. Ces deux argumentations seraient


de citer la

également dépourvues de bases. Hananiah interdit de boire sans doute des —


boissons enivrantes-, — la Loi est muette sur ce point. Il recommande aux Juifs de
se tenir sur leurs gardes, de rester chez eux, et de se tenir cois (6). Ne serait-ce
pas qu'en rappelant les grandes lignes de la fête, il parle surtout en administrateur,

(1) n~11!? est bien le mot d'Onqelos, Dt. 16, 8.


(2) J'ai ajouté quelques mots entre crochets pour la clarté.
(3) Papyrus 11, pi. xii, 1. 7.
(4) Papvrus 5, pi. V, 1. 3.
(5) X ilroite et à gauche; il ne reste que la partie centrale des lignes dans la partie la plus
importante.
(6) Sceller (?) quoi?
132 REVUE BIBLIQUE.

on dirait presque en préfet de police, responsable de Tordre public? Dès lors


il n'avait pas à rappeler tout le détail des cérémonies.
Le papyrus 10, pi. xi, irrite la curiosité; il manque probablement la moitié de
gauche. M. Sachau n'a pas essayé de résoudre l'énigme, et il est certain qu'on ne
peut procéder que par conjectures. Il semble qu'on gagnerait beaucoup à traduire
(ligne 6) "ji^ZN par « nous nous sommes dit », « nous avons pensé », au lieu de
« ils ont dit ». comment on pourrait reconstituer les faits. X fait
Voici savoir à
ledoniah et à d'autres Juifs (1) comment il a mené à bien un procès difficile.

Il s'agissait d'obtenir justice d'un Perse d'un rang supérieur (2), et qui avait entraîné
dans sa cause les Egyptiens. Les Juifs se sont dit : « C'est un mazdéen, c'est

le préfet de la province; nous sommes de petites gens. Si nous nous adressons


à Arebam, lui-même fonctionnaire perse et mazdéen, notre adversaire se présentera
nous dira de bonnes paroles, et nous n'obtiendrons rien (3) ».
On délégua donc quelqu'un pour se rendre à Memphis, où la cause fut portée
devant un tribunal supérieur. « Sur cela » (4), dit Tirib... (S. très bien TtpfSaÇoç, :

T:pi^i-r^ç)... dans le conseil du roi... On dirait même qu'Archam, s'il a prévariqué,

devra donner satisfaction ,5). Serait-il lui-même en cause, et la difficulté consistait-

elle à demander justice d'Archam devant


d'Archam? Quoi qu'il en soit,
le tribunal
si celte piste était la bonne, il serait désormais probable qu'Archam n'était pas
vice-roi de toute l'Egypte, mais seulement gouverneur du Sud. Quand X écrivait,
le jugeiîient écrit lui était déjà parvenu, il s'empresse de prévenir ses ayants
cause (6).

Le papyrus 15 planche xv) pourrait bien avoir conservé le récit d'une de ces
émeutes ayant amené la fin de cette colonie militaire, qui vers l'an 400 était pro-
bablement dépourvue d'esprit militaire. C'est une lettre dont le premier mot con-
servé est Khnoum. On du pogrom
serait tenté le suppléer : Voici le résultat
organisé par Us prêtres de] Khnoum. femmes qui Ensuite : « Voici les noms des
ont été [trouvées... (7) ». Le premier mot qui vient ensuite est n''C, soit un nom
propre, soit, d'après S., la fin de "iliDN' qui indiquerait que les femmes ont été
faiies prisonnières; le masc. ne serait pas plus étonnant que dans 1,20. Il était

assez d'usage en Orient de prendre les femmes quand on tuait les hommes. Suit le
nom de ces femmes.

3) Demi la femme de Hodoii, Osirsout {?) la femme de Hosea, Paloul la femme de Islah,
RaMa... 4) Sibia la (ille de Mesouliam, sa sœur Berula. Et voici les noms des hommes qui
ont été trouvés à la porte extérieure (8) et qui avaient été lues (9): 5) ledoniah, filsdeGema-
riah, Hosea fils de latom, Hosea fils de Natun (?), son frère Haggaï, Ahio fils de Mr... [On

(1) Je crois que la formule du salut est la même que dans les autres cas, mais l'auteur
se confond avec les Juifs dont il est peut-être le mandataire, pour se souliaiter en même temps
qu'à eu\ la bienveillance des dieux.
(2) Je le conclus du v. 6.
(3) Le V. 10 ne conlient-il pas des proverbes marquant le résultat de ces bonnes paroles,
du miel pour les chats, des cordes qui tirent une ombre?
(4) N~3 hV, S. : d'après le Kor (mesure .

(5; C'est ainsi (|ue j'explique ''ZZ^ 'tt/IX pTJI, cf. Gen. 44, -29 etc. p'; ne signifie pas
réparer, mais commettre une injustice.
(b) P. :>i, 1. 12 (du document), lire viir et non uns.
(7) La dernière lettre est îs» qui peut êlre complété d'après irÎjinCN ligne 4.

(8) Je crois qu'on peut lire ><13i N33S ; S.: X23 XI2Z12. à chaque porte (?;.

(9) ... inriNT que S. restitue très bien en ajoutant 12.


RECENSIONS. 133

a visité (?)] 6) les maisons où ils sont entrés (1) dans lêb, et les objets précieux qu'ils
avaient pris, on a chercbé (2) s'ils étaient bien auprès de leurs maîtres; ainsi ils ont con-
duit à leur seigneur (?)... 7) 120 keres. L'ordre '3j n'est pas encore (rétabli). Donc tiens (4)-
toi en paix dans la maison, et tes fils lusqu'à ce que les dieux nous fassent voir [la fin de
nos maux].

Si ledoniah, flis de Gemariah, était, comme il est vraisemblable, l'ethnarque des


Juifs, c'était le commencement de la catastrophe. Les Juifs ont-ils vu(.V le triomphe
qu'ils attendaient?
Nous avons déjà rencontré deux fois l'expression « les dieux » sous la plume des
Juifs d'Éléphantine. Je me disais en lisant les premières pièces que ces personnes
n'appartenaient pas sans doute aux fiièles de Iihô, groupés autour de Tetiinarque
ledoniah, que peut-être ils se servaient de formules de salutations courantes... mais
toutes les excuses ne sont-elles pas inutiles quand on aborde la pièce cipitale des
contributions religieuses (6), la plus sensationnelle de tout le nouveau lot d'Eléphan-
tine? M. Sachau l'a placée dans la seconde série de ses documents, parmi les listes
de personnes. Ce n'en est pas moins un document administratif. Le titre est ainsi
conçu « le 3 de Pamenhotep. l'an 5 (probablement de Darius II, 419 418
: voici :

les noms de l'arnaée juive, qui a donné de l'argent pour le dieu lahô, clia jue
homme deux sicles d'argent (7 ».
Le premier nom est celui d'une femme. M... fille de Gemariah. S. conjecture
qu'elle figure la première comme sœur de ledoniah. qui était aussi fils de Gemariah.
Quoi qu'il en soit, les noms se suivent, d'hommes et de femmes, avec l'indication
des deux sicles ; assez souvent la ligne se termine par nS, que S. interprète « pour
lui », « pour sa personne ». Ce serait une mention assez inutile.
JN'e serait-ce pas ini'?, pour lahô, selon l'abréviation qui a prévalu depuis, pour
spécifier que l'argent irait bien à lahô? Le doute en etî'et était possible. Vers la fin

des listes, on trouve l'étrange note suivante :

Cet argent s'est main de ledoniah, lils de dein iriah, au


trouvé ce propre jour dans la

mois de Pamenhotep. Argent, 31 kerech, 8 sicles.


Là dedans pour lahô 12 kerech, 6 sicles, pour Ismbethel 7 kerech. pour Wnatbethel
12 kerech (8).

Ainsi donc la collecte était partagée entre trois personnes, qui paraissent être des

(1) s. : les maisons où on les a conduites-'"]rî2 l'^'J "i" N'irQ. C'est très grammatical de traduire
7n2 comme un suffixe lérainin, maisil y a longtemps qu'il n'est plus question des femmes: ne
pouvait-on pas écrire dés lors "|n2 pour Tin2 usité depuis?

("2) nn"'"172
'"^y
nX Tinx *nuS *~
N1Dj:1. s. llt iznx, ils ont rapporte, soit à leurs maî-
-

tres... ». Mais on ne voit pas ou placer un second nx, et il semble bien que TlUN est la bonne
lecture; on peut supposer "nlnx comme 12TN le hiph'il existe en hébreu. ;

(3) D"*i2 peut, je crois, être pris dans ce sens le bon sens, la raison n'existe pas encore.
:

S. : « Désormais on ne donnera plus d'ordre ».


(4) Je prends UIXj pour un verbe à rim])ératif. S. « le salut de la maison est •. Ou pour- :

rait-on prendre 7MT\ pour un impératif hébraisant (cf. p. 6"'?


(5) Pour pl'in''- S- suppose encore un oracle cf. l'ap. 1.16. :

Pap. 18, pi. xvii-xx.


(6)
\~] On se rappellera l'impôt d'un demi-sicle que chaque Israélite devait à lahvé Ex. 30. 13'.
Cette taxe était qualiliée de ô:ôfa-/[j.ov .Ml. 17,24 A Eléphanline on donnait deux sicles, et les .

femmes elles-mêmes contribuaient.


(8) Voici les dernières lignes :
////// *k2?//"^D in^S "IJl

/////// furi^' 'Sxn^rinr^l


134 REVUE BIBLIQUE.

Mais alors pourquoi le titre ne parle-t-il que de lahô? M. Sachau


divinités. a trouvé
le problème d'autant plus compliqué que si les sieles sont des sicles forts, il u'y en
a que 10 par kerech. soit ici un total de 318 sicles.
Par lui-même. Il a abouti à un total de
ailleurs, la liste est totalisée par le scribe

91 personnes, mais omis 20 lignes. En ajoutant sept, puis trois noms qui
il a
viennent ensuite, en tenant compte qu'une ligne contient deux souscripteurs, on
peut aboutir à 122 personnes, ce qui ne fait toujours que 244 sicles au lieu de 318.
S. pose ainsi le problème, sans essayer de le résoudre, problème qui recèle peut-
être la solution d'un cas de conscience.
On peut sans difficulté aboutir à 123 souscripteurs, car il y en a 21 d'omis. Ce
sont donc 246 sicles. Qu'on imagine qu'au lieu du sicle fort la liste parle du sicle
ordinaire, qui n'était que sa moitié, le kerech contiendra 20 sicles au lieu de 10, Les
246 donc 12 kerech, six sicles. Or c'est précisément la part qui revient
sicles seront

à lahô Quant aux autres sommes qui se sont trouvées le même jour dans la
,1).

main de ledoniah, on n'indiquerait pas leur provenance.


Cette hypothèse n'a pour but que de mettre le document d'accord avec son titre,
nullement d'innocenter les Juifs de toute attache au polythéisme. Il répugne cepen-
dant de croire que ceux qui ont montré un si fidèle attachement au temple de leur
dieu et à son culte étaient disposés à brûler de lenceus à toutes sortes de divinités.
J'estimerais pour ma part qu'un certain noyau ne rendait ses adorations qu'à lahô,
le dieu du ciel. Mais ceux-là mêmes qui n'auraient pas consenti à ad(trer Khnoum,

s'étaient shus doute habitués, dès leur séjour au pays de. Canaan, à associer certains
cultes à celui de lahô. En cela nul scandale pour nous : les prophètes le leur ont
assez reproché.
M. Sachau n'a trouvé nulle part (sauf sur les jarres phéniciennes) le nom de Ba'al.
C'est sans doute le résultat obtenu par la polémique des anciens prophètes. Ce qu'il

y a de plus singulier à Eléphantine, nom de Beihel, comme nom


c'est la vogue du
divin, quoiqu'il ne se soit jamais rencontré isolément comme nom de dieu. Mais il se
trouve comme élément 1) dans des noms propres, comme 'jPjSN'ri"'2. 2p"'?xn"'2,
:

DpriSxniZ (ici même, "iluS... doit être Béihel nuurii 2) dans des noms divins :

composés. Le cas le plus évident est celui de '^Nn''2'2"'n (Pap. 27, pi. xxvi,
1. 7 s.), de NH^N, c'est-à-dire « le dieu Harambéthel ». Ici n)éme on vient de
suivi
lire Ismbéthel, Anatbéthel. —
Or. M. de Baudissin (2) a prouvé que quand deux
divinités sont unies pour former un nom, le composé ne signifie pas le mélange des
attributs dans une troisième personne divine, ni l'union de deux divinités comme si

la copule était sous-entendue-, le sens est plutôt que la première divinité est avec la

seconde dans un de ces rapports que les Sémites expriment par l'état construit, par
exemple « la déesse 'Anat qui est celle du dieu Béihel », soit par ce qu'elle était
regardée comme son épouse,
soit plutôt par ce quelle avait sa chapeile dans son
temple. Anat, en une dée.>'Se sémitique bien connue, et 'Anatoth, qui en
efl'et, est
dérive probablement, était un village voisin de Béthel. '^Nr!^2a'in est plus difficile
à expliquer. Pui>que Béthel ne parait être que le temple divini.-é (3), il serait pos-
sible que Harambéthel, —
s'il faut vocaliser ainsi, ne soit que l'enceinte du tem- —
ple, elle-même divinisée. Le nom ISM beihel défie encore plus la critique. JSM est

(1) Si n'i signifie à lalio, il faudrait supposer que cette iMtc n'a été omise que par la négli-
gence du scribe.
(2) Adonis und Esmun. p. 259 ss.
(3) cf. Éludes sur les religions sémitiques, 2= éd., p. 190.
RECENSIONS. 135

bien un nom divin, comme


prouve 1T72^'»:*N (24, xxiv, 6); mais lequel? Est-ce le
le

dieu I^uin, dieu babylonien de la peste, ou la déesseN^''wN :ll Reg. 17, 3o; d)?
Le nom babylonien cité Isum Kudarrl ferait pencher pour Isum. On ne peut guère
songer à Echinoun, parce que chez les Phéniciens, plus prompts à la suppression du
noua que les Araméens, cette lettre n'a disparu quà Caithage 2). si vraiment ce —
n'est pas ISM une déesse guerrière, assimili'e
qui ligure dans r"2"*2wX. Mnat était
plus tard à la chaste Athéoé (3). Oa sait que Jéréraie reprochait aux Juifs réfugies
en Egypte d'honorer encore la reine du ciel (Jer. 44. t7\ Cette reine du ciel était
sans doute Ichtar, mais il y avait une Ichtar belliqueuse comme une Ichtar déesse
de volupté. La reine des cieux de Jéréraie pourrait donc être 'Anat. Et les Juifs

d'Éléphaiitine ont continué la tradition de leurs pères, puisque leurs documents nous
font connaître — pour la première fois — le nom d'une déesse accolé à celui de
lahô sous la forme inTiIV.
Le document (4} est des plus vulgaires; il s'agit d'une ânesse. ou plutôt de la moi-
tié d'une àiiesse. Dans l'ensemble, il est suffisamment clair. Un certain Manahem
jure qu'il est propriétaire de la moitié de cette bète, qu'on ne lui a donné pour
racheter sa part ni un àne. ni une valeur en argent. Il jure v^<*3^) (ô.--- NT;r'^2

iriTl-y^T M. Sachau est parfaitement autorisé à traduire ce passage d'après Cuw-


ley F. 5 où une Juive jure (inN^i^) par la déesse Sati (,-;n~"'N 'nm. Cependant
»X~;d^ signifie authentiquemeut une stèle (6), ou un autel ;7). 11 serait bizarre de

dire « par la stèle et par 'Anatiahô ». On serait tenté de remplir la lacune qui pré-
cède le mot stèle par le nom d'un dieu. Précisément la ligne 3 commence par 2; la

lettre suivante parait être un " [Sachau]-^ il manque ensuite quatre à cinq lettres,
car je ne vois pas de raison de supposer une grande distance entre les morceaux du
papyrus; les Ugnes 8 et 9 fournissent des points de repère. On pourrait compléter (8)

n[~"^n* U^]n2 « par le dieu Hjram, à l'autel, et par Anatiahô »... Le fragment de
lettre qui sUit peut appartenir à un icaw, ou à un mem; dans le premier cas. on
jurait encore par une autre divinité; dans le second, on penserait à Nrj~'0; de
toute façon Anatiahô n'était pas qualitiée expressément de personne divme; mais
elle doit figurer ici comme telle.

C'est probablement encore un serment qui est prêté à propos de poissons, mais
cette fois < par le dieu lahô ,9) ».

Les Juifs d'Eléphantioe ont associé d'autres dieux à lahô. Peut-être même quel-
ques-uns d'entre eux ont mis au premier ra ig un autre que lui. C'est sans doute
le cas de Malkiah, fils de lochibiah, dont le nom indique bien une origine Israé-
lite, quoiqu'il se qualifie d'araméen. propriétaire à lêb; il appartient à l'enseigne

(1) J'ose à peine dire que j'ai pensé à CwN, • sacriScs expiatoire » ce qui n'est peut-être

pas tout à fait absurde à côté de SNn^Z'Znn, ^t à 0*^17, • nom ., avec aleph prosthcticum,
ce qui coïnciderait bien avec le sens divin du Non ctiez les Juifs.
(2) Baldissin, l. l., p. 216.
(3) Corpus inscr. sem., I. 95.
(4) 3. Dans le troisième groupe, celui des documents juridiques.
32. XXXII,
^3) I.e premier mot dont il reste seulement 1*2 est probablement N*213, ' serment ».
(6) Voir la forme de celle du dieu A'ara, J aissen et Savignal, Mission archéologique en Arabie,
p. 41", et la planche XLI.
(7) Etudes sur les religions sémitiques, 2" éd., p. -209 s.

(8) 11 me semble bien voir un X que S. rend seulement par un point. La lettre lue H douteux

par S. ne peut guère être un "i


; sans cela, on songerait à in*. La première lettre de la '2= ligne
est un n plutôt qu'un ~.
(9) P. 36, pi. xxxu. 1. i.
136 REVUE BIBLIQUE.

de Nabukudurri. Le document, relativement ancien, est de 460 avant Jésus-Christ. Ce


personnage accuse un de ses concitoyens, appartenant à la septième enseigne dont
le nom manque, d'avoir violé son domicile, d'avoir battu sa femme, et de s'être
approprié ses meubles précieux :

Je fais une demande et une assignation par-devant notre dieu, venant par devers moi
en jugement (1); moi. Malkiah, je t'assigne par-devant le dieu Harambéthel entre quatre
vengeurs (2) pour dire je n'ai [pas] violé ton domicile, je n'ai pas battu ta femme, je n'ai
:

pas pris dans ta maison tes meubles précieux...

Il est même tellement étonnant de voir deux Israélites regarder simplement Haram-
béthel comme leur dieu: cela est tellement peu conforme aux sentiments de la com-
munauté dont ledoniah fut plus tard ethnarque (3), qu'on soupçonne quelque mystère.
Ne serait-ce pas qu'une partie de la colonie d'Éléphantine se composait d'Israélites
dont les ancêtres avaient appartenu au royaume du nord? On sait que Béthel fut,

du moins, l'une de ses capitales religieuses. Or, c'est Béthel. avec ses cotnposés
Ismbéthel, Harambéthel, 'Anatbéthel. où figure 'Anat, déesse d"Anatolh, voisine
de Bétiiel, qui font concurrence à lahô. Le culte installé à Béthel était d'ailleurs
une autre forme de celui de lahô. Avant de dire « le dieu Béthel », ou dit long-
temps « le dieu de Béthel (4) » on peut estimer que les dieux « étrangers » d'Élé-
;

phaniine n'étaient d'abord que des personnifications de plus en plus distinctes des
formes de l'ancien culte national, avec l'adjonction d'une déesse, selon le courant
universeldu temps. Et si la présence d'Israélites du nord à Éléphantine paraît trop
invraisemblable, on rappellera que Béthel n'était qu'à trois heures de Jérusalem.
Je n'insiste pas sur ce que les nouveaux documents nous apprennent du droit
civil (5). Ou voit les femmes opérer aussi librement que dans les papyrus Cowley (6),
Pour la curiosité du fait, je reproduis l'étrange devinette du pap. 42, pi. xx:xvii.
Les mots ne sont pas séparés, comme dans tous les autres cas, sûrement parce que
l'auteur se proposait d'exciter la sagacité de son correspondant. M. Sachau offre au
choix deux traductions, car le texte peut être hébreu ou arainéeo. Il lit « [Porte] (7) :

à mon temple ton salut (hébr. mou sacriQce). Il récompensera ton salut (ton sacri-
fice). Il délivrera le tout tout) et récompensera ». Ce changement de persoime n'est

guère vraisemblable. Je ne vois ici qu'un billet pour remercier d'une félicitation :

(1) s « Il (le Dieui m'a donne sa décision >, ce qui rompt le contexte. Le serment déféré est
:

'
une sorte d'appel au jugement de Dieu qui est tenu d'intervenir eu cas de parjure.
(2) L'idée de lire "ja[p;j à la ligne 8 et de retrouver Ni^p[:] la ligne 10 lait le plus grand :•

honneur à la sagacité de M. Sachau. Il ne faudrait pas cependant conclure à un collège de Juges


vengeurs du serment. Le défenseur devait se présenter au milieu de quatre de ses amis, res-
ponsables de ses allégations et cautions de sa véracité. Il n'est pas dit qu'ils dussent jurer
avec lui comme cela avait lieu dans les serments purgatoires du moyen âge, par exemple dans
la loi des Burgondes -Si' inijeniius per susp cionem
: vocatur in culpain... sacramenta praebeat.
cum uxore rt filiix.et propinquis sibi duodecim jurel (VIII, i .

(3) Cependant noter encore dans le sens du syncrétisme pap. 43. pi. xxxvii « Que les :

dieux le saluent en tout temps. X fils de Y est allé à Syène et a lait à lahô... ».
(4) Pap. 34. pi. XXXIII. Béthelnatan est fils de lelionatanl

(3) Dans le pap. 33, pi. xxxin, je ne vois qu'un contrat. La donatrice offre une certaine
somme a sa sœur en pur don: l'autre accepte, ce qui rend la donation parfaite. La dona-
trice en répète donc les termes. N£n£ est rapproche du persan; je croirais plutôt que c'est
le feiwa, « décision juridique », ici « titre émané de la maison du roi. A la ligne 8 on peut
suppléer NS[n£] aussi bien que N3[D3] (malgré ce que suggère la ligne 10).
(6) A
page 12G, 1. 5, lire
la "nXL'^ au lieu de 11 devant ]n:SNn''2; d'ailleurs la traduction,
conforme au papyrus, rectifie la faute d'impression de l'hébreu.
(7) S. suppose qu'il y avait au début 'lU/Ti. H reste tout au plus des traces d'un meiiii S'il

faut en tenir compte, on peut supposer n'l'\dj, salut.


RECENSIONS. 137

btt:ii pis"» S-S -j^S'iiT

[Que le salut de] mon Dieu te sauve complètement! Qu'il te rende


Ton salut entièrement! Qu'il délivre et recompense!

Le quatrième groupe de textes comprend un fragment sans importance et les


deux grands textes d'Ahiqar et de Darius I®'. Il sera question du premier sous une
autre forme dans la Revue, M. Nau ayant bien voulu nous promettre de parler
d'Ahiqar qu'il connaît si bien.
Les fragments du cinquième groupe fournissent d'intéressantes glanures, qui ont
dû coûter cher à l'éditeur.
Le sixième groupe enfin contient des ostraca et des estampilles de jarres. Parmi les
petites inscriptions écrites au courant du calaTne sur un tesson ou sur de la pierre,
quelques-unes n'ont pas été trouvées à Éléphantine. La lecture de ces ostraca est
assez ardue, le sens échappe parfois, précisément parce que le style est très fami-

lier. Les estampilles de jarres nous ont procuré l'heureuse surprise de retrouver les
"îSdS « au roi », parfois en araméen NoSaS (1). En Egypte, à la différence de la
Palestine, ce mot n'est pas suivi d'un nom de ville 2), mais le plus souvent d'un "c.

que S. prend avec raison pour le chilTre i) indiquant le jaugeage. La jarre était donc
officiellement garantie par le roi comme cuntenant tant de mesures. Il est très fâ-
cheux que M. Sachau, qui s'est soustrait à toute comparaison métrologique, n'ait pas
du moins indiqué ce que les jarres tiennent de litres, puisque quelques-unes ont été
conservées. C'eût été un point de départ précieux pour les calculs. Il est, du moins,
précieux de constater que, en Palestine comme en Egypte, le roi est le roi de Perse.
C'est bien l'époque à laquelle avait conclu le P. Vincent (3).

M. Sachau a relevé sur d'autres jarres des noms phéniciens qui expliquent la forme
cananéenne ~|SaS (avec l'article apocope, pour "pariS. comme en hébreu). Il est

fort possible que les Juifs aient été remplacés à Éléphantine par des colons phéni-
ciens (4) ;
peut-être aussi certaines jarres ont été importées. L'analyse de leur argile
pourrait renseigner là-dessus, ainsi que les formes.
On voit quelle incomparable reconstruction historique a composée M. Sachau avec
de frêles débris. Il les a reçus informes, dans un état presque désespéré; il les met
à la disposition du public parés d'une admirable érudition.

Jérusalem, 'il octobre 1911.


Fr. M.-J. Lagra\oe.

P.-S. — Faut-il voir un rapport entre 'Anatiahô et 'Anatel (Snt^J?) que M. Spie-
gelberg [Orienta Hstische LiUeratur-Zeitung , VII, 131j a reconnu sous la forme
'nt-hr comme le nom d'un prince hycsos?
M. Sayce a lu mot Pâque (noS) sur un ostracon d'Éléphantine {Proceedings of
le

the Society of biblical Archœology, XXXIII, 183).

(1) Planche lxxiii, vingt et une inscriptions.


(2) H. Vincent, Canaan d'après l'exploration récente, p. 337 ss.
(3) Cf. RB.. i!)10. p. 412.
(4) Comparer la colonie sidonienne de Marésa près Beit Djebrin :
1

BULLETIN

Nouveau Testament. — Peu après que M. Lebreton eut publié son admirable
ouvrage sur Les origines du dogme de la Trinité, M. Labauche a donné au public
des Leçons de théologie dogmatique sur la Très Sainte Trinité, le Verbe Incarné, le

Christ Rédempteur (1). Les deux thèmes se touchent souvent, mais on ne rendra jus-
tice à chacun des deux auteurs qu'en tenant compte de leur programme. Tandis que

M. Lebreton s'est placé sans hésiter sur le terrain de la méthode historique, ne re-
fusant la discussion approfondie d'aucun problème, M. Labauche déclare que « vou-
loir rétablir les dogmes en particulier d ans leur cadre historique sans se laisser guider

par les definiiions et les directions de une entreprise insensée »


l'Église serait

(p. viii). Et certes il de cette formule à M. Le-


serait très injuste de faire application
breton, qui n'a jamais perdu de vue ni les définitions, ni les directions de rÉj;lise.
M. Labauche a donc seulement entenlu dire quau lieu de prouver l'identité du
dogme ancien et du dogme actuel en descendant le fleuve depuis sa source, il a pris
pour point de départ l'état actuel du dogme, sauf à chercher ensuite les fondements
du dogme dans l'Ecriture sainte et dans la tradition.
Et tandis que M. Lebreton peut servir de guide à ceux qui veulent pénétrer au
cœur des questions, M. Labauche s'adresse « aux ecclésiastiques qui, une l'ois dans
le saint ministère, s'appliquent à combattre les objections d'ordre historique des

temps présents, ou bien aux laïques instruits qui se préoccupent d'examiner attenti-
vement fondements de leur foi afin de la défendre contre les attaques dont elle
les

v s.). Ce but apologétique (2) est sans doute aussi dans la pensée de
est l'objet » (p.
M. Lebreton; mais il fréquente chez des laïques tout de même plus instruits et par
conséquent plus exigeants, sinon sur la solidité, du moins sur le caractère technique
de l'argumentation.
L'ouvrage de M. Labauche, placé dans le cadre choisi par l'auteur lui-mêuie,
rendra assurément de bons services. Il est clair, bien divisé, bien informé, et les

notes rappelleront aux ecclésiastiques du ministère leurs études d'antau. Certaines


questions, plus actuelles, comme celle de la science du Christ, sont développées plus
longuement. D'autres sont un peu écourtées, quoique non moins actuelles, comme
celle du net-torianisme. Un laïc instruit aura lu l'histoire de l'Église de Rls' Du-
chesne. Il se demandera si le résumé de M. Labauche n'est pas décidément trop
partial en faveur de s. Cyrille. On ne cite même pas la malencontreuse formule du
patriarche d'Alexandrie, devmue le principal obstacle à l'acceptation du coucile de
Chalcédoine pendant des siècles; on dirait qu'il s'est toujours exprimé comme ce

concile lui-même! Mais ce n'est pas notre terrain. La façon dont l'Écriture sainte est

(1) Leçons de théologie dogmatique, par L. Laualciie,


professeur au séminaire t|e Saint-Sulpice.
Dogmatique spéciale, t. I, 8" de viii-a88 pp. Paris, Bloud, l'Jll.
(2) M. Labauche semble y voir une réponse à certaines
aUaques, comme si on l'avait accusé
d'initier les séminaristes aux questions posées de l'autre coté du mur.
BULLETIN. 130

alléguée prouve chez lauteur des connaissances très solides, et une intention très
lovale de ne pas la solliciter à contre-temps 1 .

Le Révérend Père J.-M. Pfattisch, bénédictin, entre en lice dans la question de la


durée du ministère de Jésus d'après saint Jean (2). Il est regrettable qu'il n'ait point
dressé de tnbie bibliographique. On eût pu constater plus aisément à quel puint ce
problème préoccupe nos coreligionnaires allemands. Cela devient une hantise, d'au-
tant moins justifiée que les termes sont assez clairs. Si Jean parle de la Pâque dans
5, 1, comme l'a entendu saint Irénée, il a mentionné quatre pàques. Si cette fête est
plutôt luie léte indéterminée, par exemple celle des Pnrim, saint Jean a mentionné
trois pàques et le ministère de Jésus a duré seulement un peu plus de deux ans.
Le P. Pfattisch se décide pour ce dernier système, et il doit avoir raison, car Jean
dit simplement « une fête » et non « la fête »), comme on est autori>é à le conclure

de l'accord des rass. Vaticanus et Codex Bezae. Mais parmi les Allemands catholi-
ques on ne peut raisonner si simplement, tant l'autorité de MM. van Bebber et Belser
semble avoir incliné les esprits vers la solution d'une seule année de ministère, même
dans saint Jean. Le P. Pfattisch se croit donc contraint de prouver que le texte de
Jo. 6, 4 est bien authentique. Tous les manuscrits concordent. On avait donc été
réduit à suggérer que tels et tels Pères, Iréuee, Origène, etc., ne lisaient pas de la
même faç m, sans quoi leurs raisonnements ne seraient pas concluants. Argumenta-
tion d'autant plus scabreuse, que ces textes des Pères ne sont pas parfaitement clairs.
Le P. Pliltiisch s'attache à prouver q^i'ils s'entendent très bien en supposant le texte

actuel de 6, 4, démonstration assez ardue, surtout lorsqu'il s'agit de saint Irénée.


11 est plus à son aise ensuite pour démolir l'étrange échafaudage de subtilités qui fai-
saient (lire à saint Jean, d'une manière voilée oh! combien —
que le ministère de —
Jésus ii'avait duré qu'un an. Là où nous ne pouvons plus suivre l'auteur, c'est lors-
qu'il se jette à son tour dans les voies d'une exégèse contrainte pour faire dire à

saint Jedu que Jésus est mort le 1-5 uisan. Il ne songerait même pas à mettre les
textes à pareille torture siramener saint Jean à la perspective des
ce n'était pour
synoptiques. Et il serait bien aise aussi que les deux ans du ministère de Jésus d'après
Jean coïncident avec la quinzième année de Tibère d'après Luc. Pour cela le critique
bénédictin suppose que Jésus est mort le vendredi 7 avril de l'an 30. qui aurait été
un 15 ni^an. L'année quinzième de Tibère est honnêtement laissée à sa place, du
19 aoiii 28 au 18 août 29. Seulement Luc a pu désigner comme la quinzième lan 28
dès le l^janvier. Est-ce sufdsant pour mettre d'accord Luc qui a une perspective
d'un an, et Jean qui a une chronologie de deux ans? Si Luc avait en vue l'an 28
pour le début de la prédication de Jean, il pensait dune que Jésus était mort l'an 29.
Userait plutôt d'accord avec Jean, dans le système de l'auteur, si Jésus éiait mort en
l'an 30. Pourquoi ne pas admettre que Luc s'est conformé à la manière ordinaire de
compter les ans de règne, et qu'il a pris l'an 29 pour point de départ précisément
parce que sa perspective du ministère de Jésus ne durait qu'un an?
Quant à l'an 30, nous n'avons aucune dilficulté, mais nous rappelons que d'après
les calculs de M. Fotheringham {The journal of theological studies, octobre 1910,

(1) En admetiaiit que Jésus a seulement fait profession de messianisme devant le Sanhédrin,
M. Labauelie ne tient pas assez compte du texte de s. Luc. Par ailleurs, ou a-til trouve le tiU-e
de Fils de Dieu dans HsdUtier salomonien, 17, -2ti-36: 18, 8?— Hénoch lOS.-iestin'erpole d'après
M. Martin. Le 1V« livre d'Esdras étant bien postérieur à Jésus, il parait peu jusiilie de concéder
simplement aans aucun doute, dans la pensée des Juils qui interrogèrent le Sauveur, les
: -

deux expre-sions Fus de Dieu et Messie étaient s>uouymes » (p. 73 .

-i) Die Dauer der Lehrtâliglceit Jesu nacli deni Evan^elium des Hl. Johannes. untersuclit von
loannes Maria Pfattisch 0. S. B. 8° de vi-18i pp. [Bibltsche Stadien, XVI, 3 et '*).
140 REVUE BIBLIQUE.

p. 120 ss. ), la lune de mars n'a été visible cette année-là à Jérusalem que
le 24 mars.

Le vendredi donc le 14 ni'^an et non le 15. Et c'est aussi à cette conclu-


7 avril était
sion qu'est arrivé M. Preuschen (Todesjahr und Todestag Jesu, dans ZNTW., V, 1904,
1-17). D'après les astronomes de Berlin, cités par M. Preuschen, la pleine lune se

trouva en l'an 30 le 6 avril à 10-11 heures après midi, temps de Jérusalem. Sans
doute ce soir-là on eut pu préparer la Pâque, puisque la lune était pleine. Mais si le
croissant n'avait été visible que le 24 mars, on n'était encore le jeudi dans la journée
qu'au 13 nisan. Comme la Pàque exigeait des préparatifs, mis en branle le dixième
jour, on s'en tenait au point de départ, au risque de célébrer la Pàque le jour qui sui-
vait la pleine lime.

Il faut féliciter le P. Pfàttisch d'avoir lutté au nom des règles normales de l'exégèse
contre une opinion aussi opposée à l'exégèse critique qu'à l'explication traditionnelle
de saint Jean — depuis saint Irénée. Mais puisqu'il s'est aperçu des excès où avait
emportés MM. van Bebber et Belser le parti pris d'harmoniser saint Jean avec les

synoptiques, il aurait du se mettre en garde contre cette tendance. Chaque groupe a


sa perspective et les points de raccord qui s'y rattachent. S'ils ne sont pas décidés à
traiter les faits de la même façon, ils ne sauraient être en désaccord entre eux.

Le commentaire critique international d'Edimbourg comprend maintenant la pre-


mière aux Corinthiens par Ms"" Archibald Robertson, évêque (anglican) d'Exeter et

le Rev. Alfred Plumm^r (1). Les deux auteurs n'ontpas voulu spécifier ce qui appar-
tient en propre à chacun, et s'il plaisait au lecteur de s'exercer sur ce problème de
sources, ils refusent de faire sou jeu, mettant eti commun leur collaboration. Il

semble bien cependant que la pirt principale appartient à M. Robertson. L'ouvrage


si distinguée dont il est sorti, philologie très
a d'ailleurs les propriétés de l'école
diligente, sans beaucoup d'entrain pour les études nouvelles, esprit relativement
traditionnel, tempéré par la répugnance anglicane à préciser ce qui ne saurait ce-
pendant rester dans le vague sans infliger aux âmes, du moins sur le continent, un
intolérable malaise. Les auteurs n'insistent pas sur l'authenticité de l'Épître, qui est
admise par l'immense majorité des critiques. Quand on prétend que Paul était indif-
férent à la carrière mortelle de Jésus, ils notent que cette opinion est mal fondée.
Si on veut du Christ de Paul un homme céleste, préexistant dans la pensée di-
faire

vine seulement, ils font remarquer que le Clirist de l'Apôtre préexistait réellement,

et qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes. Mais ils ne disent pas nettement

s'il préexistait dans l'unité de la nature divine. Il leur parait à bon droit inadmissi-

ble que Paul ait lui-même intro luit l'usnge de renouveler l'Eucharistie, et, celte fois,

ils déclarent très franchement qu'une pareille institution n'a pu devoir sou origine
qu'à l'ordre de Jésus lui-même. On ne saurait leur faire un reproche de demeurer
anxieux sur lyw yàp j^apÉXaSov i-Ko -ou -/.opîou (11, 23). S'agit-il d'une révéla-
le sens :

tion, s'agit-il d'une tradition orale sur l'institution de l'Eucharistie.^ La nature des
choses suggère une tradition, les termes sont presque formels pour une révélation.
Les savants exégetes disent seulement que Paul ne s'explique pas sur le mode,

pourvu que la du litige. Il


source soit certaine. C'est laisser incertain le point précis
semble que Lietzmann a donné une excellente solution en peu de mots « Paul a :

conscience d'avoir été instruit, non par les hommes, mais par le Seigneur lui-même.
Cela doit être apprécié psychologiquement : tout ce qu'il a appris sur Jésus avant et

1
(1) A critical and eKeyetical commentary on Ihe first epistlc of St. Paul tn ihe Corinihians,
by the Right Kev. Archibald RonEr.Ts^ix, D. b., L.L. D. and Rev. Alfred Plummeh, M. A., D. D. 8" de
Lxx-M4pp. Edinburgh, Clark, 1911.
BULLtTIN. 141

après sa conversion lui apparaît comme un don unique qu'il a reai du Seigneur lui-
même sur le chemin de Damas Le même Lietzmanu dit tout uniment que les
,1). »

mots '-'-'Ci f>t mon corps signiflent : a que le pain est réellement le corps du Sei-
gneur u i2;. Mais nos auteurs qui sont hommes d'Eglise, et dont lexégèse règle la
pratique religieuse, ne peuvent s'en tenir a une traduction qui les mènerait plus loin
qu'ils ne veulent aller. Le texte les oblige simplement, estiment-ils, à reconnaître
une présence du Seigneur. Mais il a aussi promis d'être présent quand deux ou trois
personnes sont réunies en son nom. Ces deux présences diûerent-elles par la nature
ou par le degré ? on nous assure seulement que les termes de Paul dépassent le sens
de Zwingli, et qu'ils ne vont pas jusqu'à la présence réelle catholique. D'ailleurs peu
importe il n'est pas plus nécessaire de connaître le mode de celte présence pour user
!

avec fruit del'Eucharistie. quede savoir les propriétéschimiquesdu blé pour s'en nour-
rir. — Et certes le mode de cette présence demeure tout à fait mystérieux, mais les pa-
roles de saint Paul — et des évangéUstes — sont toujours on ne peut pourtant pas
là, et

les entendre autrement que dans le sens symbolique, si on ne veut pas les entendre
dans le sens littéral avec les catholiques de tous les temps. C'est de la même ma-
nière un peu fuyante que l'Eucharistie est uu sacrifice. La tradition est trop ferme
pour que .MM. Robertson et Plummer s'en écartent. Mais c'est entant que les chré-
tiens,en corps ou indi\iduellement. font pour ainsi dire leur actedu sacriflce delà
Croix. M lis on n'entend pas renouveler ici des controverses encore récentes.
On nous dit encore que dans la première aux Corinthiens, le retour du Christ est
moins prochain que dans les épitres aux Thessaloniciens. Après ce retour Paul n'ad-
mettait pas de règne du Christ avec ses élus sur la terre. Il paraît même certain à
nos auteurs ^d'après I Cor. 9. 24. 27 et Rom. 14.10.12 que Paul admettait la résur-
rection des coupibles.
>'ous avons parlé tout d'abord de la théologie, qui s'impose toujours la première
quand il s'agit de saint Paul. Cest aussi à quoi les commentateurs ont donné le plus
de soin.
Les circonstances historiques sont mises en une bonne lumière. Le schéma
chronologique n'est pas celui de M. Harnack, mais celui qui place le rappel de Félix
seulement en l'an 58. Paul, converti en 35 ou 36 au plus tôt, serait venu au concile
apostoii lue à Jérusalem eu 49. et aurait été arrêté à la Pentecôte de .56. C'est bien
aussi la solution qui paraît la plus probable, sauf à donner aux dernières dates une
marge d'un an n'empêche en effet que Paul ait été arrêté en 55 (3). Les com-
; rien
parai>ons avec langue des papyrus ne font pas defdut, sans être très fréquentes.
la

Epictète figure plusieurs fois. Au sujet de ilaran atha. on aurait pu citer l'ingénieuse
explication de M. Dussaud, du moins à titre de renseignement.

Dans la Reuie d'histoire eccUsiastiqve (15 juillet 191 1 . M. J. Lebon, professeur à


l'université de Louvain, s'est demandé ce que nijus savons de la « version phl-
loxénienne de la Bible », et ce que nous en avons. Le travail s'étend naturellement
à la recension héracléenne de cette version. Rarement la critique s'est faite plus
exigeante sur une question d'ailleurs obscure. L'ne première thèse, c'est que le
texte édité par White et que le monde savant regardait comme la version héra-

(i; An die Korintlier I, 1907.

{.il 11 est vrai que Lietzmann ajoute comme Lutlier l'a déclaré avec raison dans
:
le sens de
Paul. Mais cette teinte protestante ne change rien au sens des mots.
,3) Voir, ;i propos de la ciironologie de la vie de s. Paul, la note de Ms-^ Batiffol : <
Le procon-
sul d'Acliale, Gallion •. dans le Bulletin d'ancienne littérature et d'archéologie
chrétiennes I
' '
p. 215.
142 REVUE BIBLIQUE.

cléenae, serait en réalité autre chose. Il s'agit d'abord des évangiles, et, sur ce
point, la démonstration est empruntée à M. Gressmann
résumée en (1). Elle est
ces termes « Or, sur dix-luiit leçons liéracléennes relevées par cette massore (21
:

pour les Evangiles, quatre seulement nous sont présentées par le texte de Wliite.
La conclusion se tire d'elle-même; au jugement de Gressmann quia noté ce fait,
le texte de White ne peut pas même être considéré comme un remaniement de l'hé-

racléenne d'après le grec; ce sont plutôt deux versions différentes (héracl. et White)
du même original grec » (p. -425 s.). Voilà qui est bien sommaire, et Gressmann lui-
même était plus nuancé. L'héracléenne et White sont d'accord quatre fois, et dans six
autres cas les différences ont peu de signiâcation il ne reste donc que huit différences.
;

Est-on sur qu'elles ne s'expliquent pas par un remaniement de l'héracléenne? D'autant


que "White concorde avec le témoignage de la massore dans certains cas contre la
Peschitto.
Le plus curieux cas est le IS*^. Il y aurait une petite différence, disons trois,
mais absolument sans portée, entre le texte de White et celui que la massore
attribue à l'héracléenne. Mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'il s'agit d'un scholion
assez étendu 3) qui se retrouve dans le texte de White. L'accord sur ce scholion

est beaucoup plus significatif pour l'identité que les légères variantes pour la dis-
tinction. Et at-on le droit, avec Gressmann et Lebon, de traiter si léjièrement le
témoignage des colophons attachés aux mss. reconnus jusqu'à présent comme
héracléens (4). parce qu'une semblable note a été par erreur attachée à un ms.
de la Peschitto (5)? En bonne critil^ue, l'erreur n'est pas régulative; un colophon
mal placé ne prouve pas que les autres le soient aussi. L'autorité du nouvt-l évangé-

liaire découvert à Homs par M. Delaporte (6), et que M. Lebon n'a pas mentionné,
confirme l'opinion commune (7).
Une seconde M. Lebon, c'est que la version des quatre petites épîtres
thèse de
catholiques publiée par M. Gwynn comme philoxénienne, n'est pas philoxénienae. Et
en effet la thèse de M. Gwynn suppose que le texte de White est le texte héracléen;
si ce point d'appui manque, il est impossible de prouver que son texte à lui est phi-

loxénien. Il y a plus, M. Gwynn n'a pu publier le texte philoxénien de ces épîtres,


pour la raison que les Syriens n'ont pas dû traduire ces épîtres au temps de Philoxène
qui ne les cite jamais ; il est très probable qu'elles ne figuraient pas dans son
canon.
Nous pensons encore que tous ces raisonnements, très logiquement enchaînés,

s'inspirent d'une critique trop exigeante. Le texte du colophon est formel. M. Lebon
se dispense de le reproduire, parce que ses lecteurs sauront où le trouver, et il les
renvoie aux bons endroits. En le relisant on est tout de même frappé de la netteté de

ses aifirmations ExpUcit liber sanctus Actuum Apostolomm et Epistolariim catho-


:

llcarum septem. Descriptus est autem ex exemplari accuralo eorum qui versi sunt
diehus Sancti Philoxeni confessons, episcopiMabugensis. CoUatus est autem diligentia
tnulta a me Thomapaupere, etc.

(1) Zeitschrift fur die neutestumentliche Wissenschaft..., 1904. p. 248 ss.


(2) Mas. 2 Codcl. Afid. 12178, Jacobiticus, saec. ix vel x, dans Gwillum, Tetraevangelium sanc-
tum...
(3) Ex Ctiar. (Vers. Heracl.), Scliolium in Juclianaa Evangelistam 'Klejopa et Jauseph [erant]
fratres: et Marjam et Marjam mater Uomini, sorores. Illi igitur duo fratres acceperunt lias
duas sorores' {ap. GwilUa^n;.
(i) Un ras. de White et trois de .\dler.
(5) D'après M. Bernstein.
(G) CI'. RB., 190", p. 254 ss.

(7) Avec des nuances dans la rédaction du coloplion.


BLLLETI.N. 14:'>

Nous sommes ici sur le terrain des témoignages positifs. On ne s'en débarrasse pas
en allémiant la maladresse d'un copiste ou sa mauvaise foi, quand on ne peut rien
alléguer de décisif en sens contraire. M. Lebon aime à scruter la valeur des arguments
et conclut volontiers par un non liqv.et! On serait tenté de lui appliquer la même
mesurf-. Quand bien même Pbiioxène n'aurait pas reçu les quatre petites épîtres
dans son canon, est-il admissible qu'il n'en ait pas entendu parler, qu'il n'ait pas

désiré les connaître, et. puisqu'il était, nous dit-on. plus fort en syriaque qu'en grec,
qu'il n'ait pas souhaité qu'on les traduisît pour lui? Son attachement à Antioche

allait-il jusqu'à lui imposer, même en partie, le canon de Théodore de Mopsueste.


ce père véritnble du nestorianisme 1 ?

On peut même dire que la traduction des quatre petites épîtres, au temps de Phi-
loxène, s'imposait comme phis opportune qu'une revision de la traduction des évan-
giles. M. Lebon admet la version dite philo.xénienne des évangiles (en réalité œuvre
de Polvcarpe, ce que personne ne nie aujourd'hui), et la revision par Thomas d'Hé-
raclée; il admet encore que ledit Thomas a écrit lui-même une notice relative à sa
recension des évangiles; seulement dans tous les cas où cette notice existe, elle au-
rait étémal placée. 11 admet de plus qu'un copiste « ignorant, ou peu scrupuleux )>
a pu calquer sur cette notice un colophon approprié aux épîtres catholiques. Ce sont
bien des postulats, et on peut estimer que la critique n'a pas été abusée à ce point

par une série de malchances ou de falsiûcations. Dans l'opinion contraire il suftit


d'adm que la version héracléenne, représentée par le texte de White, n'est pas
ttre
tout a fait semblable au texte que l'auteur de la massore avait sous les yeux. Puisse
la publication attendue de M. Delaporte faire un peu plus de lumière sur ce point!

Lt-s lettres syriaques ne sont guère moins redevables à Mrs Gibson qu'à sa sœur
jumelle Mrs Lewis. Avec un zèle infatignble, et une maîtrise incontestée. Mrs Gibson
a entrepris de publier et de traduire en anglais les commentaire^ rricho'dod de ilerr
sur les quatre un nouveau service rendu à l'histoire de l'exé-
éraniji^listes (2,. C'est
gèse et à la critique du texte évangélique, surtout chez les Syriens. M. Rendel
Harris, qui s'est plu à rendre hommage à la manière dont Mrs Gibson s'est acquittée
de sa tâche, a mis en relief, dans une piquante introduction, les mérites d'Icho'dad
dont il avait déjà dépouillé le manuscrit pour en extraire des allusions au Diatesso-
ron de Taiien. 11 nous avertit en même temps d'une précaution à prendre. L'évêque
neslorien s'inspire très souvent de Théodore de Mopsueste, qu'il nomme par précau-
tion V Interprète, mais il ne le cite pas toujours, même sous cette forme voilée, de
SOI te qu'un risquerait d'attribuer à la tradition syrienne ce qui viendrait en réalité

de Théodore. Maintenant que le commencement du grand commentaire de Bar Salibi


sur les évangiles a été imprimé dans la cnUeclion éditée par M. Chabot, M. Reudel
Harns, qui possède un ms. de Bar Kepha, a pu se rendre compte une fois de plus de
la manière dont les Sémi'es composent. Bar Salibi s'est contenté souvent de mettre
bout à bout sans les nommer Icho'dad le nestorien et Bar Kepha le mouophysite.
L'édition d'Icho'dad permettra donc de remonter plus haut, d'autant que lui-même
n'est guère qu'un écho des exégètes plus anciens. Sa tradition textuelle remonte

(1) p. 4IG « Pliiloxéne eut


: et conserva toujours des attaches intimes et prof.^ndes avec An-
tioclie. Parmi les grands docteurs de cette Église, on sait que Tliéodore de Mopsueste rejetait
de sou canon du N. T. les sept épiires cailioliques et l'Apocalypse », etc.
Horue semiticoe V, VI, VU,. The commentaries of Isho'dad of Merv bishop of Badatha (c. 8oO
i2i
A. b.i JD syiiac and english, edited and translated U\ Margaret Dcnlop Gibson..., in ttiree volumes
wiili au Introduclion by James Rf>DEL Hahris... Vol. I. Translation, in-4'' de x\xvni--2yo pp.; VoL
II. Maiiliew aud Mark in syriac. iî38pp.; vol. III, Luke and John in syriac, 230 pp. Cambridge,

at tlie Lniversitv Press, 1911.


144 REVUE BIBLIQUE.

même au delà de la Peschitto, et il contient nombre de leçons qui coïncident avec


cellesde Tancienue version syriaque Ciireton et Lewis du Sinaï'; Mrs Gibson en a
dressé la table. Icho'dad —
M. Rende! Harris l'avait déjà montré cite parfois le —
Diatessaron. sans dire s'il a été composé d'abord en grec ou en syriaque, avant ou
après l'ancienne version. >'e peut-on rien tirer de lui pour la solution de ces ques-
tions si délicates? Quand Tatien a miseust-mble les souliers exclus par Mt. 10, 10 et
les sandales permises par Me. 6, 9, il a pu travailler sur un texte grec comme sur
un texte syriaque, puisque le grec lui-même emploie deux mots différents iJ-oor^aatz
et aavôiÀia). Mais Mt. dit « pas de bâton », Me. dit '( seulement un bâton ». et le mot
(_oa6oov| est le même en grec. Si le Diatessaron a su tout concilier en autorisant
— disons en français (?) un bâton, mais non une trique, n'est-ce pas parce que des
versions syriaques antécédentes lui ont fourni prétexte à l'harmonisation ? M. Rendel
Harris incline de ce côté (1) avec Mrs Lewis. Icho'dad offre d'ailleurs une autre solu-
tion de la contradiction apparente : le mot syriaque n^n) excluait le bâton dans
les deux cas, mais il pouvait signitier « si ce n'est », d'où le texte de S. Marc.
Comme Icho'dad devait bien savoir que sa solution ne s'appliquait point au texte
grec, préludait-il à la critique moderne qui cherche à résoudre les divergences des

synoptiques par différentes manières d'entendre un original araméen? Cela paraît être
la pensée de M. Rendel Harris, mais d'autre part le commentateur imagine au con-

traire que Marc a été traduit du latin en grec, du grec en syriaque (p. 126).
Sa remarque, empruntée à « d'autres ». a probablement plus de portée qu'il ne pen-
sait. Le commentaire de S. Matthieu est naturellement le plus complet: sur le second

évangile il ne s'arrête qu'aux parties propres à Marc. Il en est de même pour S. Luc.
Tout le commentaire, et non pas seulement la partie relative à S. Jean, doit beau-
coup au commentaire de Théodore sur le quatrième évangile. Mrs Gibson a dressé
une table des passages concordants. Il est superflu de dire que la typographie est
excellente; elle est l'œuvre des presses de l'Université de Cambridge 2i.

Dans un compte rendu de l'édition du ms. syriaque du Sinaï par Mrs Lewis [Jour-
nal asiatique, mai-juin 1911), M. Nau conteste l'antériorité de la traduction repré-
sentée par ce ras. avec celui de Cureton sur la Peschitto. même que la Pe-
Il opine
schitto et le texte des évangiles séparés sont deux versions indépendantes. La Peschitto
aurait paru la première, avant même le Diatessaron, et les évangiles séparés n'au-
raient été traduits qu'au \^ siècle, pour remplacer, comme livre d'office, le Diates-
saron. Cette hardie interversion des résultats de la critique ne paraît pas destinée à
un grand succès. On pourra mesurer plus ou moins le degré de dépendance dans la

Peschitto, contester quelle soit aussi tardive que Rabboula (début du v" siècle), mais
il est désormais prouvé qu'elle représente une tentative de se rapprocher davantage
du texte grec que l'ancienne version jugée trop libre et trop peu conforme à la re-
cension grecque qui avait prévalu.

M. le chanoine Cellini multiplie ses tentatives de maintenir l'union entre la Théo-


logie et l'Herméneutique biblique. Son procédé consiste à donner tort tantôt aux théo-
logiens tantôt aux exégètes. car il va de soi que la bonne harmonie n'est troublée entre

les sciences que par leurs représentants plus ou moins qualifiés. Cette fois il s'agit du

;i) On pouiruit dire en sens contraire que la différence de la traduction, vraisemblal)lement

intentionnelle, est donc l'œuvre de celui qui faisait l'Harmonie; c'était l'opinion de Zalin.
(-2 Le pris est très modéré, G shillings le premier volume, 10 shillings et six pence chacun des
deux autres.

à
BULLETIN. 145

prologue de saint Jean (1), largement développé dans le sens théologique, plutôt que
critique. Un exemple.
Les anciens Pères ponctuaient par tradition : Qaod factum est in ipso vita erat.

Cette tradition a été reprise de nos jours par des critiques aussi indépendants les uns
des autres que Loisy, Calmes, Van Hoonaclier; c'est l'interprétation de saint Augus-
tin et de saint Thomas. M. Cellini préfère la ponctuation de la Vulgate Clémentine,
parce qu'elle satisfait mieux, à ce qu'il pense. Tordre logique, etc. elle est donc la ;

seule acceptable au point de vue de Therméneutique. Or il semble que l'exégèse doit


moins se préoccuper de l'ordre logique en soi que de la manière de l'auteur. Et s'il
est permis d'abandonner les interprétations des Pères, iln'est guère prudent de le

faire quand elles sont l'écho d'une tradition textuelle qui Qxait le sens. M. Cellini

a parlé de Nestorius en renvoyant seulement à ses sermons de la Palrolof/ie latine


de Migne et à Pesch qui a cru devoir noter que le nestorianisme a été renouvelé par
Gunther et par Rosraini! C'est peu et c'est trop à la date d'aujourd'hui. Il faut le fé-
liciter de s'être montré réservé — pas assez peut-être — sur la prétendue contributiou
apportée par les Odes de Salomon aux origines de la théologie de saint Jean. Pour
quelles personnes était-il nécessaire d'expliquer longuement que in principio de la

Genèse ne signifie pas « dans le Verbe » ? M. Cellini le sait sans doute mieux que nous,
et il faut lui savoir gré de faire pénétrer quelques lueurs de critique dans ces milieux.
Son ouvrage a d'ailleurs grande allure.

Plus modeste est le but poursuivi par M. Leone Zarantonello dans ses « Évangiles
des dimanches », texte latin et traduction italienne (2). Ce texte est suivi d'un com-
mentaire en italien, et de citations des Pères en latin, qu'ils aient écrit en latin ou en
grec. Étant donné le caractère de l'ouvrage, il semble que toutes ces citations auraient
dû figurer en italien. L'auteur ne s'est pas proposé de composer un ouvrage scienti-
ri(|ue (3), mais d'être utile aux prêtres isolés dans les campagnes et sur les montagnes.

Excellente idée, et réalisée d'une façon très convenable. On se demande cependant si


les prêtres même les moins instruits ne se poseront pas certaines difficultés; l'auteur
aurait pu les aider à les résoudre. Comme, par exemple, lorsqu'il dit tout simplement
que l'aveugle guéri d'après saint Luc à l'entrée de Jéricho se nommait d'après saint
Marc Bar-Timée; chacun se dit aussitôt que Jésus a rencontré Bar-Timée en sortant
de Jéricho. D'ailleurs on se demande encore quel pouvait bien être l'itinéraire du
Maître qui est censé aller d'Éphrem à Jéricho pour monter à Jérusalem? Cela n'em-
pêchera pas de tirer parti des excellents éléments contenus dans ce bon livre.

Le succès a consacré la Vie de Jéms-Christ d'après se.y eontemporoins, de M. l'abbé


P. Boyer (4). Ces contemporains, ce sont naturellement les Evangélistes!

L'auteur a entrepris de fondre la substance de leurs textes dans un récit très simple,
avec un cadre historique qui permette d'avoir sous les yeux « la vie de Jésus dans sa
réalité " (5).

(i) Consideraziûni esegetico-dommaliche sul Prologo delV ecangelo seconda Giovanni, nuovo
saggio (ii un ben inleso connuliio Ira la Ermeneutica e la Theologia, in-8" de w-.ili pp. Firenzc,
Libreria éditrice Oorenlina, 1911.
('2) / Vangeli délie Dominiche. testo latino e versione ilaliana, Commcnto storico-esegetico e
moralepatristico, in-8» de 43G-xx pp. Vicenza, Galla, 1911.
Il eût mieux valu ne point meUre de mots grecs, qui sont trop souvent mal réussis. P. i:j,
(3)
le mois de nisan ne répond pas à lévrier-mars, mais à mars-avril, etc.
(4) Quatrième mille, in-8° de vi-3T8 pp. P.iris, Amat, 1910.
Imprimatur de M*-"' de Ligonnès qui conseille la lecture du livre. A propos de ces paroles,
(.">)

. vous êtes possède d'un démon », l'auteur écrit en note (p. :201) « Les exégètes estiment que :

les Juifs entendaient exprimer par là non pas la possession proprement dite, mais une dépres-
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 10
140 REVUE BIBLIQUE.

M. Sanday avait tenté une nouvelle explication de la personnalité dans le Clirist (1 .

On reproché assez généralement d'avoir sacriflé le principal à l'accessoire en


lui a

accordant tant d'importance aux phénomènes sub-liminaiix. Il a expliqué que ce


n'était point son intention. Il accueille avec une extrême modestie les observations de

ses recenseurs et cherche une expression plus satisfaisante de sa pensée (2). Quelle que
soit l'idée qu'il se fait définitivement delà personne, il semble bien attribuer au Christ
une personne humaine comme la nôtre, quoique tenue et possédée par la Divinité
d'une façon si différente (3i.

Ce n'est pas la personnalité de Jésus, mais /'/ personne humaine dans les Évan-
giles (4), qu'étudie M. André Arnal, professeur à la faculté libre de théologie de Mon-
tauban (protestante) la nature, la valeur et la destinée de la personne. L'auteur est
:

croyant, et animé des plus ardentes espérances sur la pénétration du monde mo-
derne par l'esprit de Jésus. Quoiqu'il insiste peu sur le côté théologique de son sujet,
on voit qu'il n'admet pas de la part de Dieu à la vie éternelle (p. 53), ni la
l'élection
résurrection des corps (p. 101). Son exégèse est très respectueuse, et il lui arrive,
dans les notes, de manifester un désaccord avec M. Loisy. C'est ainsi, par exemple,
que dans Luc i6. 20) en disant bienheureux les pauvres, Jésus aurait entendu dire à
ses apôtres : vous êtes heureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume des
cieux est à vous (p. 38). En traitant de l'autonomie de la personne, l'auteur montre
fort bien qu'à moins de renoncer à toute règle morale, il faut se résoudre à une
hétéronoraie, ou plutôt, en reconnaissant la loi morale, se soumettre à la loi de Dieu
(théonomie) et s'unir à sa volonté. Tout en maintenant très énergiquement le prix de
la personne, l'auteur veut qu'elle exerce son activité dans le sens du plan rédemp-
teur. « S'il n'y a pas de théories sociales chrétiennes, quand on entend par là des
théories tirées de l'enseignement même de Jésus, il y a cependant les théories sociales
chrétiennes, quand on entend par là des théories inspirées par l'esprit du Christ; il

y a des théories que les disciples du Christ ne peuvent pas ne pas professer, eux qui
doivent aimer leur prochain comme ils s'aiment eux-mêmes, et il y a des théories,
fondées sur l'égoisme, du Christ ne peuvent pas professet
que les disciples »

(p. 119 V On ne voit percerde M. Arnal aucune antipathie contre


dans le livre

l'Église catholique (5); on souhaiterait qu'il comprenne combien il est plus aisé à
cette Èghse de prêcher un christianisme social, puisqu'elle est elle-même une société.

Les miracles sont généralement regardés comme une preuve du surnaturel. A


l'inverse, ceux qui nient le surnaturel n'admettent pas la possibilité des miracles.

M. Thompson admet le surnaturel, et ne nie pas la possibihté du miracle, mais il

nie la réalité des miracles du Nouveau Testament, et il estime que c'est la meilleure

sion morale... D'ailleurs, les.Iuils appelaient couramment certains vices, des démons de lame.
Un ivrogne, se traduisait chez eux par avoir le démon de l'ivrognerie. Chasser les démons si-
:

gnifiait donc, dans un sens lar(ie : chasser les vices. » H semble bien que l'auteur n'a pas entendu
appliciuer cette théorie à tous les cas.
(1) CI". RB., 1910, p. 57!» ss.
(-2) Personality in Christ and in ourseh'cs. hy William Sanday, 8' rie ':> pp. Oxford. Clarendon
Press. 1911.
(3; P. 48 : There are Divine influences at work vvithin ourselves: and those inlliiences touch
more lightly or less lightly upon the Person, but ihey do hold mu and jjosscss it, as the Deity
within Him lield and possessed t.hp. Person of the incarnate Christ.
(4) 8° de 1-21 pp. Paris, Fischbacher, liH.
(5) P. il. il est (piestiondelà théorie du romanisme sur les vertus surérogatoires. De la pra-
tique de la iiauvreté dont il est ici <|uestion. on attend plus de facilité pour posséder la charité
qui est la même vertu pour tous les chréiio ns.
BULLETIN. 147

manière de sauvegarder le surnaturel et même rincarnation ;i . Les miracles du


\. T. sont ou des visions ou des guérisons, ou des phénomènes merveilleux. Le plus
difûcile à éliminer, c'est la résurrection du Christ; mais l'auteur estime pouvoir
croire, avec s. Paul (!!! ,
que le corps de Jésus est demeuré dans le tombeau, et

cependant l'adorer comme ressuscité et vivant. Donc les miracles n'entrent pour rien
dans la manifestation de Jésus: ils n'offrent à l'analyse historique que des éléments

humains: cependant en JésUS-Christ Dieu est incarné, découvert et adoré, comme


Dieu seul peut létre, par la vue de la foi. Nous avons déjà entendu le son dé cette
cloche. Ce qui est particulier à M. Thompson, c'est d'ajouter que l'Incarnation était
nécessaire. Il resterait il est vrai à définir ce qu'il entend par Incarnation. Ce n'est
pas l'union de Dieu et de l'homme, deux entités incompatibles, mais ce fut toujours
une partie de la nature de Dieu qu'il homme, et l'homme fut toujours
dut se faire
incomplet jusqu'à ce que le venu (p. 213,. On sent là comme un relent
Christ fût
d'hégélianisme. Quant à la manière dont M. Thompson traite les miracles du N. T.,-
s'il s'agit des guérisons. il en reconnaît l'évideite réalité, mais nie leur caractère
miraculeux; s'il s'agit des faits merveilleux, il leur reconnaît le caractère de mira-
cles, mais en nie la réalité.

Jéms et les Apôtres {'2], cela signifie, dans la pensée de M. Piepenbring. qu'il y a
une reliiîiou de Jésus et une religion apostolique. La dernière, que ce soit le judéo-
christianisme ou le paulinisme. n'est plus compatible avec notre temps. Celle de
Jésus est encore destinée à éclairer et à consolt-r les âmes, et la raison en est que
H les principes fondamentaux de l'Évangile de Jésus ont été entrevus ou franchement
professés par les plus grands génies religieux de l'humanité » {p. 315;. En adoptant
( le culte du bien » on se trouve « sur une base aussi large que l'humanité et d'au-
tant plus solide » p. 319). Le nom de Dieu est conservé, mais il sera sans doute
permis de l'entendre de beaucoup de manières, pourvu qu'on veuille le bien. Avec

une base humaine aussi solide que large métaphore ne laisse rien à désirer — la —
on se demande pourquoi M. Piepenbring tient encore à une base historique. C'est

du dilettantisme évidemment, inspiré par un sentiment d'admiration pour la cons-


cience religieuse supérieure de Jésus. Quant au procédé critique, il consiste à regar-
der comme l'évangile primitif de Jésus surtout ce qui concerne la morale. Il est très

aisé, en mettant en regard la théologie paulinienne. de marquer les différences,


d'autant que tout ce qui est « paulinien » dans les évangiles est regardé comme
introduit par le pauliniste Marc. Et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on regarde la théo-
logie apostolique, non seulement comme le développement, mais aussi comme le

complément de la pensée de Jésus. Il est de foi que les Apôtres, eux aussi, ont reçu
des révélations. Et on comprend en effet que les Apôtres n'avaient pas eu seulement
à tenir compte des paroles de Jésus; il fallait qu'ils entendissent le fait de Jésus.
celui de sa vie. mais aussi celui de sa mort et de sa résurrection. Seulement ce n'est

pas avec les arguments de M. Piepenbring qu'on prouvera qu'ils l'ont mal entendu.
Au surplus, a qui faut-il apprendre que le simple culte du bien ne ressemble guère
à la religion de Jésus? Et le mot « culte » suffit-il à changer la morale en religion?
Il y a là dedans beaucoup de piperie.

Ancien Testament. — Jusqu'ici on ne possédait en copte de Josué. des Juges,


de Pvuth. de Judith et d'Esther que des fragments de peu d'étendue. Sir Herbert

I. Miracles in the Xev: Testament, by the Kev. J. M. Thompson, fellow and Dean of Di\inity

S. Mary Ma,<ialen Collège Oxtord. in-i6, \\-23G pp. Loudon. Arnold, 1911.
[i Pclit 8^ de vni-3-29 pp. Paris. Nouny, l!»ll.
148 HEVLE mBLIQLE.

Thomson vient de cùmbler celte lacune en publiant un codex sahidique du Britixh


Muséum comprenant ces cinq livres de l'Ancien Testament l'. Ce manuscrit, acquis
en 1847 dans un monastère de la vallée de Nitrie. avait été identifié par Wright,

mentionné par Lagarde. M. Hyvernat, dans son Album de paléograpliie copte, en a


reproduit deux pages i2). Il fut de la part de M. Crum l'objet d'une étude minu-
tieuse, rendue difficile par la nature même du codex qui est un palimpseste. Le texte
biblique copte, écrit vers le début du vu*" siècle très probablement, est recouvert

d'un texte syriaque contenant des extraits d'Évagre et de Cbrysostome, et daté de


913 après J.-C.
M. Thomson reconnaît que l'examen de M. Cium. dont les résultats avaient été
du manuscrit,
rédigés dans le détail, lui a singulièrement facilité sa tache. L'écriture
en onciales carrées, est très régulière, bien ponctuée. Les marges sont fréquemment
ornées d'enluminures finement exécutées. Ka attendant une collation serrée de ce
texte avec une édition critique complète des LXX. on peut affirmer que pour le
livre de Josué, « ce texte ne suit étroitement aucun des trois principaux onciaux

(A, B, F mais qu'il paraît dériver d'un texte indépendant, ayant beaucoup de leçons
,

particulières ». Dans Juges et Ruth. il se montre dépendant de B et de A, tout en se


rapprochant plus souvent du premier. On ne peut que savoir gré à M. Thomson
d'avoir si bien répondu au désir exprimé par P. de Lagarde en 1879 3).

Le R. P. Zapletal, qui a si bien défini les devoirs de l'exégèse catholique dans le


domaine de l'Ancien Testament (4i. continue en même temps à donner l'exemple.
Empêché par les devoirs de la dignité rectorale de publier de nouveaux travaux, il
a du moins reédité son excellent petit volume sur le récit de la création (5). Le pre-
mier chapitre de la Genèse est cette fois présenté sous une forme métrique, ce qui
exige le sacrifice de certains mots. Il serait antérieur au Code sacerdotal, qui n'au-
rait eu qu'à le recueillir dans son texte. Le cachet particulier de cette explication

de l'Hexameron est toujours la division en proiluclio regionum et exercituum. Xous


continuons à protester contre la dénomiuatioii d'armée appliquée aux poissons ou
aux oiseaux, et même aux mammifères. Ou Néhémie 9, G ne lisait pas « et la terre »

dans son texte de Gen. 2, 1, ou il comprenait et furent achevés les cieux (avec la
:

terre) et toute leur armée. C'était tout naturel pour un Hébreu qui savait très bien
que quand on parlait d'armée dans ce contexte il ne pouvdit être question que de
l'armée des cieux. En comparant le récit biblique de la création aux légendes cos-
mogouiques des autres peuples, le P. Zapletal a tenu compte, comme il fallait s'y

attendre, des dernières découvertes.

M. F erarès trouve mauvais que les rabbins aient interdit la préparation de toute
viande avec du lait ou du beurre, sous prétexte qu'on lit dans la Bible : « Tu ne fe-

ras pas bouillir du chevreau dans le lait de sa mère )> Ex. 23, 19) (iV II propose
donc de traduire : « Xe faites pas cuire le chevreau tant qu'il est allaité par sa
mère «. C'est l'interprétation de plusieurs anciens exégètes. L'auteur ne prouve pas
([u'elle fasse justice aux termes de la législation.

(1) A coptic Palimpsesl containing Joshua, Juges. Ritlh, Judith and Esther in Ihe Saliidic
dialecl. ln-8", xii-386 pp. H. Frowde, Oxlord, l'JU.
(2) PI. VII, I. LVl, i.
(3^ Voir RB., 189". Hyvernat, Études sur les l'ersions copies de la Bible, p. 50.
(4) Leber einiije Aufgaben der katholischen altlestamentliciten Exégèse, discours prononcé en
prenant possession de la charge de Rocteur de l'Lniversité de Fribourg Suisse), le 15 nov.
1910.
(".) Der Sch<~>pfungsbericht der Genesis (1, 1—2. 3).... 8» de vi-14G pp. Regensburg, 1911.
(6) Un« erreur de traduction dans la Bible, 8" de 3i pp. Paris, Fischbacher, 1911.
BULLETIN. 14!)

M. le Professeur D. H. Millier, auquel on doit une si remarquable théorie de la


stropluque,a été frappé des nouveaux exemples d'inrlusions fournis parle R. P. Cod-
damin dans cette Rrvue (1 C'est en elfet une conlirmation éclatante de sa géniale
1.

découverte, car dans ce cas les strophes sont marquées par des lettres. Le maître
de Vienne n'a pas eu de peine à reconnaître le phénomène de VAl-Otis qu'on pou-
vait lire sur le tableau de notre collaborateur i2 . On savait bien en effet que les
Juifs ont divisé l'alphabet en deux groupes de onze lettres, la première correspon-
dant à la dernière, la deuxième à la vingt et unième, etc., mais que ce jeu soit aussi
ancien que l'école de Jérémie, on hésitait à le croire, et l'on attribuait plutôt aux
scribes les deux jeux de cette sorte qui sont dans le du prophète 3 Aujour-
texte .

d'hui M. Millier opine qu'on peut très bien les mettre au compte de Jérémie lui-
même. Quoi qu'il en soit, les exemples découverts par le P. Condamin et commentés
par M. Millier sont une preuve évidente de l'antiquité de certaines traditions rabbi-
niques.
Toujours à propos de l'alphabet. Commentant le ps. 118 hébr. 119 dont chaque
strophe commence par une lettre de l'alphabet hébreu, s. Ambroise a risqué une
explication des lettres hébraïques qui ne coïncide pas avec les explications ordinaire-
ment beaucoup plus naturelles d'Eusèbe et de s. Jérôme, et qui ne paraît pjs avoir
été empruntée à Origène. D'où venait-elle? Sans prétendre résoudre absolument le
problème, M. le Professeur D. H. Muller a montré que quelques-unes de ces tra-
ductions se retrouvent chez les Rabbins, et il a essayé très ingénieusement de dé-
couvrir le sens des autres 'A). M. Bâcher a apporté une contribution à ce travail (-5',

en notant que parfois le sens était celui d'un mot araraéen (6;. Il est plus osé de
prétendre que S. Ambroise a simplement glosé une lettre d'après un mot commen-
çant par cette lettre (7;.

M. Paul Humbert a édité dans la Revue de théologie et de philosophie 'protestante)


et publié à part une étude sur le Messie dans le Targam des Pro/jhètes (8).

L'analyse exégétique des passages, très soignée, est suivie d'une synthèse judi-
cieuse. D'après M. H., le Targum, sans s'expliquer toujours très nettement, a cepen-
dant distingué l'ère messianique de la vie éternelle. Le Messie attendu n'aurait rien

de vraiment divin, il n'était pas chargé d'expier pour son peuple. Vainqueur des en-
nemis de son peuple, pieux observateur de la Loi. il saurait faire régner la justice (8).

En un mot, le Messie qu'attend Jonathan (9), c'est un homme, c'est un Juif, c'est un
sjint rabbi, c'est le roi puissant du temps de la consolation, c'est le fils de David
promis aux Israélites pieux )> ip. 71 1. Nous voilà loin des Apocalypses... Mais, dira-
t-on, nous sommes loin aussi, au iv'' ou au v siècle, du temps qui les avait inspi-

rées. Ne fallait-il pas poser le problème du recul de la pensée juive en face du fait

chrétien? C'est à cause de la date tardive des Targums que Je P. Lagrange ne les a

(1) 1910, p. 213.


(2) Xeue Wahrnehmungen bezûglicli der prophetischen Kunstform, von Hofrat D. H. Muixei;,
8" de 11 ])p. Wien. Hôlder. 1910.
(3) Jer. 25, "2ii et 51, 41 ".^."1^ pour ^ZZ et 51. l ''Z": Z,"' P"ur :i*~"w 3.
('»)Die Deuluii(ien der heOrâischen Buchstaben bel Ambrosius. von Dav. Heinr. MiiLi.Er;, 8^ de
-27 pp. Wien, Hôlder, 1911.

(.">) Wiener Zeitschrift fOr die Kunde des Morgenlandes. XXV. -2, p. -23!i.
(6) Par exemple daieth expliqué timor, de l'araméen dahalat, prononcé dalatlt.

(") Par exemple iod expliqué desolatio, parce que c^est la première lettre de iechiii-'.n. > dé-
sert ».

(8) »' de 71 pp. Lausanne, Imprimeries Réunies, 1911.


(9) On se demande si M. Humbert n'emploie pas l'ironie en parlant de Vdme généreus" du
Tar^'umiste imaginant que les gentils seront exterminés pour la coulpe d'Israël (p. 63;.
ISO REVLE BIBLIQUE.

pas utilisés ex professe dans son Messianisme. Cependant M. Humbert pouvait à la


rigueur se dispenser de cette tâche ardue, puisque l'idéal du Targiim répond assez
exactement à celui des Psaumes de Salomon.

Le livre que publie M. Lehmann-Haupt sur l'histoire d'Israël (1) manque évidem-
ment de proportions. L'auteur s'en excuse dans la préface, en rappelant que les huit
premiers chapitres étaient achevés en 1906 et n'étaient que le développement d'un
travail destiné au grand public, tandis que les quatre chapitres de la fin ont été éla-
borés depuis ce temps et ont pu bénéficier des plus récentes découvertes ou théo-
ries. Les papyrus d'Eléphantine ont. en particulier, fourni uu point dappui très
ferme à l'historicité des livres d'Esdras et de Néhémie. M. Lehmann-Haupt en tire

la conclusion que les critiques radicaux ne sont pas justifiables, lorsqu'ils traitent avec
dédain les récits des Chroniques qui n'ont pas de parallèle dans le livre des Rois. En
ce qui concerne les sources extra-bibliques, elles ont été consultées sur les originaux
(sauf pour l'égyptien); mais afin que la vérification soit plus accessible aux profanes,
on nous cite de préférence les bons ouvrages de vulgarisation, tels que les traductions
d'Ungnad et de RankedansGRESSMANX,il/<or. Texte und B(7der (2). La répartition des
différents chapitres est excellente. L'auteur expose les conclusions les plus certaines
de l'histoire biblique, sans enchevêtrer son exposé de digressions et de parenthèses.
Les notes justificatives sont bloquées à la fin (pp.2S6-31l). Elles sont un peu maigres
et se bornent généralement à quelques indications bibliographiques. C'était inévita-
ble. M. Lehmann-Haupt, qui connu comme assyriologue ne s'est pas ar-
est surtout

rêté, dans son exposé de de Jérusalem par >iabuchodo-


l'histoire d'Israël, à la prise

nosor, ou au retour de la captivité sous Cyrus mais il descend jusqu'à l'époque de


;

Psotre-Seigneur et même jusqu'à la révolte de Bar-Kokéba. Et remarquez que toute


cette histoire doit tenir dans onze chapitres (pp. 1-242), le douzième étant un coup
d'oeil sur le développement de la culture intellectuelle et morale des Juifs. Après une

série d'observations, pleines de sens, contre la critique radicale de l'A. T., l'auteur
entre en matière avec l'histoire d'Abraham ou plutôt avec le chapitre xivde la Genèse-
La question n'a pas avancé d'un pas depuis que la hcvue Biblique en a entretenu les

lecteurs M. Lehmann-Haupt reconnaît dans Abraham un personnage historique,


(3).

mais, puisqu'il cite en note des travaux parus en 1910, il n'aurait pas dû oublier que
le nom même du patriarche a été retrouvé sur des tablettes de Dilbat 4), datées de

la première dynastie babylonienne. La lecture Eri-Aku pour aboutir au nom d'Arioch

est tout aussi contestable qu'autrefois (.5). Quant à l'explication d'Amraphel par Am-
muropi Ozycv)-, nous ne la trouvons guère préférable à celle que nous avons propo-
sée (6). Le troisième chapitre est consacré à l'histoire de la Palestine sous la domi-
nation égyptienne. Cette histoire est très brièvement reconstituée à l'aide des docu-
ments hiéroglyphiques et des lettres d'el-Amarna. L'auteur s'attache ensuite à
montrer comment l'installation des Hébreux au pays de Gésen et l'exode eu Canaan
sont des faits que confirme la situation du monde oriental dans la seconde moitié du
deuxième millénaire avant notre ère. L'installation dans la terre de Gésen devrait se
placer à l'époque d'Aménophis IV (vers 1400 av. J.-C), l'exode sous Ménephtah (vers

(1,1 Israël, seine EntwicMung im Rahmen der '^'eUgeschichle. von C. F. Lehmann-Uauht, Professer
an der Iniversitat Berlin, in-»" de vu 3ii pp. avec une carie). Tiibingen, Molir, 1911.
(2) RB., 1910, p. 142. Les travaux français sont presque totalement ignorés.
(3) RB., 1908, p. 205 ss.
(4) RB., 1910, p. 15(j.

(5) RB., 1910, p. 209.


(6) Ibid., p. 207 s.
BULLETIN. loi

la fia du Canaan au milieu du xir siècle, alors que l'E-


xiii= siècle), rétablissemeat en
iivpte avaitperdu sa suprématie sur la Palestine et que la Mésopotamie ne pouvait
encore hériter de cette suprématie ip. .59 Ces conclusions n'ont rien que de très
.

plausible. Elles montrent avec quelle prudence procèle M. Lehmann-Haupt. A partir


de riiistoire des rois, les dociim^uts deviennent de plus en plus nombreux. Aussi
Texposé s? borne-t-il à une énuraération des faits, tels que les textes les enregistrent.

On sent que l'espace manque à l'auteur et qu'il voudrait faire de plus amples déve-
loppements. Il s'attarde un peu cependant sur l'expédition de Sennachérib au pays de
Jnda. Selon lui, l'hypothèse d'une seconde campagne du roi d'Assyrie contre Ezéchias
est complètement inadmissible p. 298 Et pourtant, tout concorde à rendre cette se-
.

conde campagne historiquement certaine 1 On pourrait relever çà et là des points


.

qui ne sont pas iip to datf. mais ce défaut provient de la façon dont le livre a été
composé. Pourquoi aussi M. Lehmann-Haupt consacre-t-il tant de place à réfuter le
fameux Gilgamès de Jensen.' Sa conclusion, à savoir que Jésus-Christ est une « per-
sonnalité historique dans toute la force du terme ». est diamétralement opposée aux
affirmations de Jensen; mais il a le tort de s'être laissé influencer par l'école mytho-
logique allemande qui veut, à tout prix, faire pénétrer le mythe dans les évangiles 2'.
Ce qui rendra surtout service aux étudiants, ce sont les tables chronologiques et gé-
néalogiques (pp. 31.5-327;, dressées avec le plus grand soin et accompagnées d'excel-
lentes remarques. La carte embrasse un champ très vaste itoute l'Asie occidentale et

l'Egypte), ce qui a forcément restreint le nombre des indications géographiques.

Peuples voisins. — La fièvre de mythologie qui sévit depuis quelques années


dans certains milieux d'érudition allemande fait sans cesse de nouvelles victimes. On
a admis comme un axiome que la mythologie, trésor commun de l'humanité à ses
origines, s'était répandue dans le monde entier et devait se retrouver, sous diverses
formes, non seulement dans les légendes, mais encore dans l'histoire des peuples an-
tiques. On s'est misa la besogne, on a cherché partout les rapprochements les plus

fortuits, on les a catalogués et on nous les sert, par tranches, dans des monographies
ou abonde l'érudition, mais où la logique est cruellement maltraitée. >'ous ne con-
naissons pas les Giinvhteiaen zur Geschichte Isra'-ls de M. Martin Gemoll. D'après
les allusions à cet ouvrage que nous rencontrons dans la nouvelle production du
même auteur (3^, il doit s'y trouver bien des affirmations plaisantes. La religion d'Is-
raël est d'origine indo-germanique, Abi'aham et Aaron ne sont que des humanisa-
tions yermeitsch/ichuiitjen] du dieu iranien Ahoura-mazda, lahvé pourrait bien être
le dieu indo-iranien Yama. Poussé par le démon de sa thèse, le mythologue s'aperçut

un jour que l'histoire d'Abraham et de Lot n'était que le pendant du mythe d'Ar-
thur et de Lear. Ce sont donc maintenant les Celtes qui ont communiqué leurs lé-
gendes aux Hébreux, et les noms de Galaad, Gédéon, Arawna sont tout simplement
des appellations celtiques 4 . Et M. Gemoll est heureux de constater que son système
se rapproche de celui de M. Cheyue. Pour celui-ci, l'histoire religieuse d'Israël est
contenue dans la lutte entre lahwé et lerahmeël, car lerahméël nous l'a-t-on assez
servi!; est le même que larbaal, qui est devenu Baal! Pour M. Gemoll, leroubaal

;1 RB.. 1910, p. -jl-iss.


Remarquer la parenthèse insidieuse de la deruiére phrase: wie immer sein Bild von der
.2';

Sa'je umsponnen sei {p.-2ib\.


Ci] Die Indogermanen itn Alten Orient, mythoiogisch-historische Funde n.nd Fragen,\on Mar-

tin Gemoll. In-8 de vm — 124 pp. Leipzig, Hinrichs, 1911.


v4) Auch Xamen v.'ie Galaad, Gideon, Arairna u. s. ic. sind jetzt als itrsprûnglich kellisch
(jesichert (p. v,.
lo2 REVLE BIBLIQUE.

(larbaal) était primitivement Oaroubaal, « Ahoura est Baal », et cet


c'est-à-dire
Alioura est identique à Abraham qui —
immole des enfants (sans doute
puisqu'il
parce qu'il a épargné Isaac; —
est le même que Mélek-Moloch. Après ces constata-
tions si consolantes pour lui, notre auteur cite la recension de M. Cheyne sur les
Grundsteine..., dans Beview oftheology and philosoplii/ (août 1911) At any rate we :

coïncide inso many things that one may smpect the house of the dominant, criticism .

to be very near ils downfall. Et. en ellet, les critiques n'ont qu'à bien se tenir s'ils

veulent lutter contre lerabméël (qui est Baal) et Ahoura (qui est Baal). Mais n'ou-
blions pas que les Celtes doivent venir apporter leur contribution à la religion des
Chananéensetdes Hébreux. A la'pagel3, on nous donne l'arbre généalogique de
Perceval (Parzival), l'un des héros de la Table ronde. Son ancêtre est Mazadan, qui
naturellement est Mazda-Ahoura. Son cousin est Arthur, qui est le même qu'A-
houra ^ Assour. Arthur a une sœur, Morgane or Arthur est le
à savoir la fée ;

même qu'Aboura et celui-ci le même qu'Aharon donc la fée Morgane est la même ;

que Miriam, la sœur de Moïse. Vous ne vous attendiez pas à un raisonnement aussi
serré, mais le dernier mot n'est pas dit. La famille Mazadan est apparentée à la fa-
mille Anschau (= Anjou Or Anschau rappelle étonnamment iauffallend) le pays
.

d'Anschan ou Anzan, voisin des Assyriens. Nouvelle preuve de parenté d'Arthur avec
Assour. Les lecteurs nous dispenseront de citer davantage les combinaisons de
!\I. Genioll (1). Naturellement, lépopée de Gilgamès qu'on a miseà toutes les sauces

devait venir appuyer les déductions proposées. Le cycle d'Arthur est un succédané
de l'épopée. Nous ne savons si M. Jeusen qui a mené partout le héros babylonien
l'a lait asseoir aussi autour de la Table ronde. M. Gemoll reconnaît le nom de Gilga-
mès dans le Celte Gwalchmai et aperçoit une relation étroite entre le nom d'Eabani
et celui d'Owain-Owen-Eweu (etc., dix noms sont alignés pour aboutira Ybau). C'est

toujours le procédé des traits d'union. O.i sait, d'ailleurs, que la lecture Éabani pour
le nom du compagnon de Gilgamès est provisoire et qu'il faut peut-être transcrire
Engidou. Mais soyez que l'épopée celtique ne manquera pas de parallèles! En
siirs

terminant son avant-propos, notre auteur souhaite que l'ouvrage fasse honneur au
nom de son père, M. Albert Gemoll. Nous le souhaitons aussi.
Il est dillicile d'apprécier les deux études (2) que vient de publier M. Cari Pries
dans les Mittcilungen der rorderasiatischen Geseîischaft (1910, 2-4; 19H, 4). Elles
devaient être précédées d'un ouvrage intitulé Die griecliischen Gitttrr und Hcrocn voiu
astralniytholo;/isclien Standpunkte ans belrachtet, qui n'a pas encore paru. Lesconclu-
sions dépassant les préaiisses, 'M. Pries a résolu de publier celles-là avant celles-ci alin
que le tout ne fasse pas un trop gros volume. Si l'auteur s'en était tenu à ce que semblait
indiquer son titre, Stitdien zur Odyssée, nous n'aurions pas à en parler dans cette
Revue. Mais Ulysse n'est qu'un prétexte. En réalité, c'est M. Pries qui entreprend une
véritable Odyssée à travers les mondes de la mythologie, de la religion, de la légende,

de l'histoire, etc., à l'instar de l'auteur deVOrphehs dont il s'est fait le zélé défen-
seur.Pour caractériser sa méthode, examinons comment il traite ce qu'on peut re-
garder comme le cœur de son sujet, à savoir l'aventure d'Ulysse chez les Phéaciens.
Depuis longtemps les commentateurs d'Homère se sont complu à faire ressortir tout
le charme de l'épisode, dans lequel Ulysse, rejeté par la vague sur la terre des

(1) Indifiuons les litres des cliapitres I. Tamurâ-Taliniùra-Taklimo urupa. -- II. Attis-Adad.
:

III. Ahura-Arlliur-Abrahani. —
IV. Gideon-Gwvdion und Gilead-Galaad. V. Zum Gilgamesepos. —
— VI. Die liaUi-Mitani und ilire Verwandten.
(2) Sludicn zur Odiisscc, I. Das ZaQmukfest auf Sclieria [MDVG., l'JlO, -2-4) ; II. Odysseus der
hhikshu {MD VG.. l'M\. 4;.
BULLETIN. i:i3

Phéaciens, flnit par rencontrer Naiisicaa et recevoir l'hospitalité dans le palais du


roi. Nulle part peut-être la verve de Taède ne s>st exercée avec plus de finesse psycho-
logique et plus de naïveté voulue que dans cette partie deVOdijssée. Que fait M. Friesr
Il au palais doit représenter l'entrée du dieu
a la conviction que l'entrée d'Ulysse
-
spécialement Mardouk de Babylone) dans le temple ou il G.xe les destins pour l'année
nouvelle fête du Zagmouk l. Sous l'empire de cette idée fixe, il décompose le récit
(^

homérique en un certain nombre de " motifs qui tous doivent se retrouver dans la >-

procession par laquelle le dieu est conduit au temple. Quand le motif ne paraît pas à
Babvlone. on cherchera en Egypte ou au Mexique, ou chez les primitifs. Mais il
le

le faut découvrir. Pieconnaissons que M. Fries met au service de sa thèse une éru-
dition des plus copieuses. C'est toujours le combat entre l'érudition et la logique.
Tout le premier chapitre est consacré à la Pomp>'\ c'est-à-dire à l'histoire de la pro-
cession sacrée à travers les âges. On commence par celle de Mardouk à Babylone
pour aboutir au chemin de la croix et à la litauia septiformis, en passant par les
fêtes d'Horus, d'Isis, de Krischna, les panathénées, les Dionysies, le triomphe romain,
sans négli_'er l'entrée de Jésus à Jérusalem ou la peregrinatiu de Sylvie Ethérie).Ce
sera ensuite le héros sauvé des eaux, la danse mimique et astrale, le jeu de balle,
la lu,tte '
Agon), le rire, les apologues, la tragédie. Ainsi tous les passages des clas-

siques et toutes les coutumes des peuples, qui de près ou de loin peuvent présenter
une analogie avec l'épisode d'Ulysse ches les Phéaciens, tout cela est groupé avec plus
ou moins d'ordre et finalement sert à expliquer comment « tout l'épisode ne pro-
vient pas d'une libre invention, mais qu'il y a à la base un précédent réel h. Ce pré-
cédent Vu/gang), c'est la fixation annuelle des destins par la divinité et la pro-
cession qui mène le dieu d'un temple à l'autre. L'atterrissage d'Ulysse chez les Phéa-
ciens, c'est l'épiphanie du dieu de l'année: Ulysse reposant sur des branches, c'est

Horus dormant dans le calice d'un lotus; le rêve de Nausicaa et son départ pour le
rivage, c'est un souvenir de la jeunesse du Bouddha Ulysse se baigne dans la ri- :

vière, c'est la statue du dieu baignée dans le Meuve plyntéries Nausicaa joue a la :

balle, exercice astral: entrée d'Ulysse dans Skérie et le palais, entrée du dieu dans
la ville ou le temple. M. Fries a procédé par vivisection. Les vers d'Homère sont

partagés en tranches, dont chacune doit être un déchet mythologique. Le poète est
sans s'en douter le metteur en œuvre d'une multitude de détails légendaires ou
liturgiques. OiJ mène une pareille méthode.' A faire d'Ulysse. « l'astucieux Ulysse! »

le représentant de l'ascèse antique. Toute la seconde étude est consacrée à transformer


Ulysse en un véritable bhikshu, parvenu au quatrième degré de l'ascèse brahma-
nique, qui consiste à tout abandonner ce qu'on possède pour errer dans le monde
en mendiant son pain. Le folklore et de toutes les nations sont con-
les livres sacrés

sultés par M. Fries. une véritable histoire de l'ascèse prépa-


Son travail aboutit à :

ratoire, symbolique, astrale. Et naturellement, ce sera encore Ulysse qui, pour


avoir échappé à Calvpso et aux Sirènes, pour s'être fait passer comme mendiant
chez Eumee, concentrera en lui toute la gloire des ascètes de tous les mondes. Evi-
demment, toute invention est enlevée aux rhapsodes. Ce sont les échos inconscients
d'une doctrine éparpillée y a du rabbinisme dans la façon
à travers le monde. Il

dont M. Fries voudrait figer la poésie vivante incarnée dans Homère. Aux hellénistes
de revendiquer les droits de Ylliadc et de rO'i//^S'V. Mais puisque l'auteur de ces
études n'a pu se retenir de jeter un coup d'œil dans le domaine biblique, il ne sera
pas inutile de montrer comment il s'y comporte. Pour les littératures classiques

(1) De laie sous-tiU-e de la première étude : Das Zagmnkfeslauf Scheria.


154 REVUE BIBLIQUE.

-M. Pries possède une opinion personnelle et raisonne sur des textes qu'il a étudiés
soigneusement. Pour l'Ancien et le Nouveau Testament, il merci des com-
est à la
mentateurs. Grâce à un procédé d'adroite sélection, il choisira pour interpréter un
texte celui des auteurs qui appuiera lemieux son système. Ainsi, pouT les Psaumes
(à propos des psaumes processionnels), on recourra à Gunkel quand Gunkel favori-

sera la théorie, mais on invoquera Nowack ou Baethgen quand le premier ne sera


pas dans la note, quittée opposer Nowack à Baethgen ou Baethgen à Nowack, suivant
les exigences de l'idée préconçue. Qu'est-ce que le Cantique des Cantiques? Une
bucolique astrale. Le héros est Krischaa, les jeunes filles sont les Gopis (les Bac-
chantes de rinde». C'est en même temps la lune avec son cortège d'étoiles. On y
retrouve la Poinpi\ dans laquelle Dionysos visite le monde, sans oublier la danse
du sabre (vu, 1) qui est, elle aussi, d'origine astrale. L'auteur est fier d'avoir dé-
passé tous les anciens interprètes. 11 sent qu'il a dans sa main la clef de toutes les
énigmes. Aussi ne prend-il plus garde aux détails. Il écrira Gad au lieu de Gath,
en parlant de la ville des Philistins (I, p. 37) ou jn (au lieu de 5n) quand il s'agira
de la procession astrale (I. p. 3.5). L'entrée messianique de Jésus à Jérusalem est
interprétée comme l'entrée solennelle du dieu du printemps dans la ville. M. Pries
insistera sur le mot sTioâoa; de 3/c., xi, 8, traduit par Maien dans Luther, car il
veut y voir les « Mais » qu'on portait en l'honneur du roi du printemps chez les
Germains. Il oublie que -jnoâoaçun lit de feuilles ou d'herbes que des
« est plutôt

branches d'arbre » (1). Jésus chassant les vendeurs du temple évoque le Dieu du
cosmos, détruisant le chaos, frappant Tiâmat et établissant un monde nouveau sur
les ruines de l'ancien (I, p. 43). Et toute la passion de Jésus est interprétée comme
un exercice ascétique (2). Si l'auteur a cherché à être original, il a atteint son but.
]Mais le lecteur impartial se demande de quel droit un outsider comme M. Pries
ose traiter les-livres sacrés avec une pareille désinvolture. De ce qu'on a disséqué
quelques épisodes de ÏOclyssce et mis en fiches les textes des classiques, en assai-
sonnant le tout de quelques grains de folklore, on ne peut prétendre avoir les qua-
lités requises pour interpréter les évangiles, les Actes, les Épîtres de saint Paul,
les liturgies grecque, latine, slave, la mystique et l'ascétique chrétiennes. Tel est le

grand reproche qu'on peut faire aux travaux de M. Pries. Le champ de l'érudition
classi(]ue est assez vaste pour le dispenser de ces fugues à travers toute l'histoire
de l'humanité et de la religion. On se défie de plus en plus des généralisations à
outrance. Elles dénotent plus de candeur que de bon esprit scientifique.

Deux parties bien distinctes composent le traité de M. Aage Schmidt sur l'évolu-
tion religieuse (3). La première partie comprend une série de considérations sur la
religion des Egyptiens, des Chinois, des Grecs, des Phéniciens, des Indiens et des
Babyloniens. Et cela en 71 pages in-8! C'est peu pour un aussi vaste sujet. Aussi ne
doit-on pas s'étonner si l'auteur ne fait que résumer les conclusions des spécialistes.
Il a été frappé d'une chose, c'est que, dans les nations les plus éloignées par la race
ou l'habitat, un même phénomène reparait dans leur histoire religieuse : les dieux
anciens, principalement le dieu compagne, sont détrônés par les dieux
du ciel et sa

plus récents. iM. Schmidt croit faire œuvre nouvelle en montrant l'application de cette
loi dans la religion babylonienne. Nous avions montré toutes les usurpations dont fut
1
(1) LvGUANT.K, sur Me, XI, 8.
(2) Die f/anzc Leidensgcschichle isl ein grosser asketischcr Akl, die Einzelhcilca brauchcii
nicht hervorgehobcn ;« trerden (II, p. a";.
(3) Gedanken dher die Entwicklung dcr Religion au f Grand der bahylonischeii Quellen, \on
Aage Schmidt, dans Mitteilungen der vorderasiatischen Gesellschaft, 1911,3, Leipzig, Ilinrichs.
BULLETIN. l'.'..l

victime le dieu du cieL Anoii. à Babylone (1 .Nous ajoutions : « Une tendance innée
à tous les peuples est de placer en tête des dieux le dieu de la cité, au risque de sup-
planter celui qui occupe le premier rang de par sa nature et de par ses droits. De
même, à propos de Mardouk supplante les autres divinités « Cette
la façon dont :

absorption des autres personnalités par celle de Mardouk ne devait pas connaître de
frein » (2). Naturellement. M. Schmidt ignore les ouvrages français sur la quetion.
C'est ce qui lui permet de redire les mêmes choses avec moins d'exemples à l'appui.
Dans la seconde partie de son travail, il cherche à déterminer les différents stades

par lesquels a passé la littérature religieuse des Babyloniens. Sa façon de distinguer


les éléments sumériens et les éléments sémitiques dans les hymnes et les incantations

est un peu simpliste. Pour lui. les morceaux sumériens sont ceux (jui sont rédigés soit
en sumérien iunilingues, soit en sumérien avec traduction babylonienne ;bilingues; ;
les morceaux babyloniens sont ceux qui sont uniquement écrits en babylonien (uni-
linaues). Mais il est très vraisemblable que des hymnes de basse époque, rédigés en
babylonien, ont été accompagnés d'une traduction sumérienne postiche, car les

prêtres choisissaient cette ancienne langue atln de donner à leurs hymnes plus de
mystère, et partant plus de prestige o 3 . En somme, l'aperçu de M. Schmidt est
assez superflciel. Les spécialistes n'y trouveront pas grand'chose à glaner, et les pro-
fanes n'en tireront qu'un maigre butin.

M, Ch. G. Janneau a compris qu'il était temps de coordonner les résultats histori-
ques qui se dégagent des inscriptions exhumées du sol de Chaldée (4). Sa monogra-
phie, imprimée sur très beau papier et abondamment illustrée, a pour objet la période
de la dynaïtie d'Our. Les textes et monuments des rois Our-engour, Doungi, Bour-
Sin, Gimil-Sin, sont successivement analysés et interprétésau point de vue politique.
Les conclusions de M. Janneau sont très modérées et ne dépassent pas l'horizon de
la Chaldee. Il y a parfois une certaine impéritie dans le traitement des textes, par

exemple lorsque l'auteur, dans la formule « au dieu Nannar (ou au dieu Babbar'i son
roi, Our-engoura voué >•>. interprète < son roi » comme se rapportant à Our-ensour;

ou lorsqu'il conserve a la déesse Nina le nom de Hanna. tandis que le dieu Enlil est
appelé Enlillal 'o,. 11 serait puéril de s'attarder à relever ces erreurs ou ces inconsé-
quences, puisque le but de M. Janneau est de prendre les inscriptions en bloc et d'en
extraire la moelle historique. Son exposé de la poUtique et de la diplomatie chal-
déennes, à l'époque des rois d'Our. dénote beaucoup de sens historique. Selon lui,
( la position géographique d'L'r aurait fait tour à tour son élévation et sa ruine ».

Espérons que d'autres monographies compléteront données qui serviront de base


les

à une future histoire de la Chaldée, car nous partageons l'aversion de M. Janneau


pour '( ces gros livres verbeux, qui usurpent le nom d'histoire ».

Langues. —
Nous avions raison de compter sur l'excellence du second fascicule
de la grammaire néotestamentaire de M. L. Radermacher 6 Il remplit pleinement .

les espérances que la partie déjà publiée nous avait permis de concevoir. Dans cette

[\] La religion assyro-babylonienne, p. t>9 ss.


-2; Ibid., p. 98.
.H) que le sumérien de ces hymnes est très défectueux.
Ibid.. p. 259. C'est ce qui lait
4 Lue dynastie chaldéenne. Les rois d'Ur, par Cu. Uull. Jasneai, diplôme de l'Ecole du
Louvre, Inspecteur des antiquités et objets d'arl. Paris, ficutliner. 1911.
j) Lelt'iiieut la l] dans En-Ul-l.aJ. est un determinatif pliouétique ou grammatical.

:0, Seutestamentliche Grammatik. Das Grieclusch des S'euen Testaments im Zusammcnhann

mit der Volkssprache. Feuilles 6-13, in-8s iv,' 81-20" pp. Tubingne, Mohr, 19H. Voir RB.. 19U,
pp. 475 s.
156 REVUE BIBLIQUE.

nouvelle livraisou, l'auteur termine son élude de la conjugaison et passe à la syntaxe


qu'il traite en entier. On lira avec grand intérêt le paragraphe sur l'abâtardissement
de la conjugaison, où M. R.adermacher nous met en garde contre certaines formes,
vrais casse tête, qui ne sont en déOnitive que des fautes. Tels i^ri'xxii, £i!::6aîi dans
un texte épigraphique. Pourtant, des écrivains adoptent consciemmeat des tournures
qui nous font difficulté, des indicatifs pour des subjonctifs, des aoristes pour des

parlaits, simplement pour éviter des formes tombées en désuétude ou que l'usage
n"a jamais consacrées. Les Grecs ont eu des répugnances analogues à celle que les
Français modernes ont pour l'imparfait du subjonctif. De là vient en partie l'enva-
hissement progressif des formes périphrastiques. A ce propos, on nous signale plu-
sieurs exemples de participe aoriste construit avec r,v ou v-ir.v, tirés soit des Actes
apocryphes des Apôtres, soit de quelques scoliastes, soit d'une inscription syrienne;
construction qu'on pensait jusqu'ici être le fait de certains poètes attiques et des

Atticistes, et dont on relevé un cas dans le ]X. T., Luc, 23, 19.
La syntaxe débute, comme partout, par la question d'accord. L'auteur extrait des
papyrus des cas typiques de désaccord entre le nom et ses déterminatifs (nominatif

ou accusatif en opposition à des génitifs), cas qui peuvent aller de pair avec ce qu'on
est convenu d'appeler les solécismes de l'Apocalypse. La déclinaison étant une chose
savante et compliquée, on comprend que le vulgaire ne s'y astreigne pas toujours.
Cette tendance à unifier les cas n'est point seulement une manifestation du manque
de culture; elle marque un courant vers la simplification à laquelle le grec mo-
derne a abouti. Les solécismes de l'Apocalypse peuvent donc s'expliquer autrement
que par un calque servile d'un texte hébreu antérieur. Comme opposition il faut
maintenir Joh. 11. 13, z3p\ tt;; v.rr.ar^niw: ToD C-voj, que Blass détruisait en eftacant
T?;? y.o:'j.r]zzMç. Le verbe xo'.aàTOa'. est employé avec ses deux sens dans le contexte,

ou du moins on joue sur son double sens de dormir et de mourir. Pour cette der-
nière signification, l'auteur apporte en exemple l'inscription de la diaconesse Sophie,
y.oi'j.rfiîT'jx ht sîcr.vr;, trouvée au Mout des Oliviers et publiée par le ?\.. P. Cré dans
EB., 1904, p. 261.
Un cas tout à fait frappant du développement que les prépositions ont pris dans
la langue commune est celui de à-ô avec le génitif de prix, qui se présente dans une
inscription et chez Diodore. M. Radermacher relève ensuite deux particularités de
cette même langue : un substantif indéterminé suivi d'une détermination portant
l'article, exemple : -po; -ûXr;'/ tv-* À^YoaivrjV Z'oT-./.r^v, et deuxièmement, la circonlocu-
tion formée d'un article neutre et d'un génitif comme tî twv to-wv, ta tï); [XETaypj»;;,

au lieu du seul substantif. Quant à l'emploi un classement


des cas, si l'on devait établir
parmi les auteurs néotestamentaires, on placerait l'Apocalypse au premier rang pour
sa vulgarité, ensuite viendrait Matthieu; Luc et Paul s'écartent aussi bien souvent de
l'usage ancien; la langue de Marc et de Jean est à ce point de vue la plus pure.
C'est avec la même maîtrise qu'est traitée la syntaxe du verbe où l'on assiste à une
renaissance partielle de l'optatif au ii' siècle de notre où toutes
ère, et les particula-

rités de la langue du Nouveau Testament reçoivent un jour sinon nouveau, du moins


plus intense, du rapprochement de passages caractéristiques de la littérature des
Pères Apostoliques, des Apocryphes du Nouveau Testament et des papyrus. Une liste

de nutes complémentaires, une table analytique des matières, des mots grecs, des
passages bibliques et profanes, cités au cours de Touvrage, termine cette étude
appelée à rendre de sérieux services.

La grammaire abrégée du Nouveau Testament du professeur américain Robertson,


BLL[.HTLN. irlil

qui en est à sa troisième édition anglaise, \ient d"ètre traduite en allemand par
M. H. Stocks 1 . >'ûus avons donné ici {HB., liJlO. p. GoO les caractères ge'néraux
de cet ouvrage à propos de sa traduction italienne due à M. Bonaccorsi. Ainsi que
riDdi(iue le sous-titre de la traduction allemande, on a tenu à garder de l'œuvre
ori2inale ce qui a traitaux principes de grammaire comparée, mais on a ajouté, par
contre, un bon nombre d'indications papyrologiques aui faisaient défaut dans le texte
anglais. Parmi les autres améliorations apportées par le traducteur, il faut signaler
quelques exemples classiques, la mise en vedette des titres, et un remaniement total
de la bibliographie et de l'index. La syntaxe a été peu retouchée l'étendue restreinte :

que l'on voulait conserver à ce manuel empêchait toute addition quelque peu déve-
loppée. Entin, tous ces amendements contribueront à la diffusion de cette grammaire
dont le succès s'affirme de plus en plus.

Le lexique grec du Nouveau Testament -1 adapté au Cii/sus Scripturas Sacro;


marche à grands pas. En deux fascicules le R. P. Zorell va de tl; à -pioojTEpoç. Le
point de vue de l'auteur étant exclusivement grammatical, on comprend qu'il ait
laissé au Lexique biblique l'explication technique de certains mots et qu'il ait traité
assez longuement des particules telles que i/., i-:, '.va. /.a;', -xzi. etc.. et des divers
sens que présentent des verbes importants pour la théologie du Nouveau Testament,
tels que /.aÀ^oj, ôsâw, -'.stcj'.j. Pour le nom de Mapîa, les différentes étymologies sont
exposées sans qu'on prenne nettement parti pour l'une d'entre elles. En revanche le

mot important de ÀJ-rpo/ est traité fort sommairement. AÔ70; et /.'/.zU font l'objet d'une
plus longue étude. Pour rr.-T'./.o; appliqué au nard, l'auteur propose en plus des in-
terprétations déjà en cours, celle de Houghton : » <jni.d pruliibct, quominus -/âpooç -.

idicetur aardum ex jplaata piçità extractum ». Cette plante des Indes est le nar-
li'jstacliijs Jati.nnansi. On nous permettra de rester froid vis-à-vis de cette interpré-
tation.
En somme, ce lexique complète le t'u/sus, en facilite l'usage, et le clôt honorable-

ment, avant même qu'il soit terminé.

La collection Gcischen a pour but de donner avec clarté mais succinctement l'état

actuel de la science dans tous les domaines possibles. Avant tout œuvre de vulgari-
sation, elle exige des élégants petits volumes qui la composent une forme à la portée
de tout le monde. La partie concernant les littératures chrétiennes de l'Orient a été
conflée à M. A. Baumstark que sa compétence en la matière désignait tout naturelle-
ment {31. En deux mignons volumes nous avons une vue d'ensemble et au point sur
les productions chrétiennes araméennes. coptes, arabes, éthiopiennes, arméniennes
et géorgiennes. 11 va sans dire que les versions de la Bible en ces diverses langues
ne sont point négligées. Tout en donnant les conclusions de la critique récente sur

ce sujet, l'auteur descend parfois dans quelque détail qu'il expose en petit texte. Les
deux volumes sont munis de tables.

Palestine. — PEFund, Quart. Stat., oct. 1911. — M. W. E. Jennings-Bram-

1) Kurzgefasste Grammatik des Xeuleslamentlichen Griechisch, mit Berûcksichtigung der


Ergebnisse der vergleichenden Sprachicisse/ischaft und der Koivf, Forschung, in-8'', xvi-312 pp.
Leipzig, Hinricbs. l'Jll.

(2) F. Grxcum, fascic. U ab £'.; usque ad xuX).ô;, in-8', Itil-


ZoKELL. -Voit Testctmenti Lexicon
320 p.: fascic. a xOfia usque ad Ttpîcg-jTïpo;, 321-480. Paris. Lelhielleux.
III

(3; Sammlung GOschen. Die christUchen Lileraturen des Orients. I. Einleitung. 1. Das
christ lich-ar'i7niiische und das koptische Schriftlum. I11-I6. 134 pp. II. 2. Das christlich-arabisçhe
und das âthiopische Schriftlum. S. Das chrisUiche Schrifltum der Armenier und Georgier,
ln-16, 110 f.p. Leipzig, Gôschen, 1911.
loS REVUE BIBLIQUE.

ley, Les hrdouins de la pétmisulv sina'itique: dans le récit d'une excursion de Nakhel
à Q'^deis, bons renseignements topographiques et etlinograplùques. Les folkloristes
goûteront la légende du Dj. el-Bint , avec l'empreinte gigantesque laissée dans le

rocher par les pieds de l'héroïne qui dirigea combat mémorable d'Ikeram. le —
M. l'archid. Dowling, L'église géorgienne à Jénisulem, esquisse le rôle des Géor-
giens aux Lieux Saints depuis Constantin... brillant chapitre de légende, où M. D.
:

ne fait aucun effort pour introduire quelque critique et discerner un peu d'histoire.
— Rév. W. F. Birch, La cité et la tombe de David sur Ophel... MM. Merrill et :

Conder sont morts; pourquoi ne pas laisser dans la nécropole de leurs livres ce qu'ils
ont écrit d'inexact sur la forme et la situation probables de l'hypogée davidique? —
M. J. M. Tenz, Calvaire « lieu d'un crâne « amalgame de textes traités de seconde
:

main et ne concluant rien; ce thème est décidément favori dans le QS. M. H. H. —


Clifford Gibbons, Note complémentaire sur les inscriptions relatives aux campagnes
romaines en Palestine : observations d'un romaniste qualifié sur la valeur exacte de
quelques formules et nature générale du diplôme du Fayoum (cf. ilB., li)ll,
la

p. 633), —
M. A. Forder, Une caisse d'épargne antique de Moab : titre pittoresque
pour indiquer un pot contenant environ 1.400 monnaies constantiniennes. Cette ca-
chette a été trouvée dans le Ghér el-Mezra 'a près de la Lisàn. M. A. Datzi, Ob- —
servations météorologiques éi Jérusalem en 10 10.

A propos d'une amulette juive provenant d'une tombe d^'Anavcis, la Revue expri-
mait le regret (1908, p. 392,' qu'une série de pièces analogues signalées à New-York
n'aient pas été publiées. Elles viennent de l'être par les soins de M. J. A. Moutgo-
mery (1) et le méritaient. Forme et teneur sont d'excellentes analogies pour le docu-
ment d"Amwàs, mais la conservation est meilleure et les formules plus longues.
Drts hcilige La)id, 1911, n» 4. — M. l'abbé Heidet conclut une monographie du
Dernier solitaire de Palestine par de longues notes sur 'Aniwàs Nicopolis Em- = =
maiisdes. Luc. Cette deuxième équation est plus laborieuse à résoudre. P. Fr. Dun- —
kel, Les martyrs de Palestine durant la persécution de Dioclétien. — M. A. Dunkel,
La grande basilique au mont des Oliviers, analyse les fouilles de l'Éléona. P. Fr. —
Dunkel élude sur la grotte dite de Jérémie.
: P. E. S. —
notes d'un entomologiste :

de marque sur les fourmis de Palestine. — Nouvelles palestiniennes.

Après plusieurs années d'agonie, VOriens Christianus reprend soudain la splen-


dide vitalité de ses jeunes années. La cause de cette heureuse résurrection n'est pas
seulement le haut patronage de la Gorres-Gesellschaft, acquis désormais à la revue :

c'est beaucoup plus la rentrée en charge de M. le D"^ A. Baumstark, l'âme vaillante


de cette publication. Après cinq brillantes années (cf. RB., 1903, pp. 289 ss.), l'O-
riens déclina brusquement; M. B., contraint de faire face à d'écrasantes obligations
d'enseignement, avait dû passer la main à un rédacteur qui n'avait ni son activité, ni
son exceptionnelle compétence surtout. Se serait-on enfin aperçu qu'un spécialiste
de cette trempe vaut mieux que des répétitions d'algèbre et de mathématiques à lon-
gueur de journées dans un collège? Souhaitons cette libération matérielle, où les
bonnes études catholiques ont tant à gagner. Toujours est-il que ÏOriois Christianus
vient d'inaugui-er une nouvelle série en 1911. M. Baumstark étudie dans le fasc. 1 :

Les citations bibliques grecques et hébraïques dans le comnœntaire du Pentateuqtn


d'Isô'adadh. Plus importante encore est la savante démonstration que la relation

(1) So7ne Earhi Amv.lels from Palestine : Journ. of Amer. Orient. Society, XXXI, 1911, (). 27-2 ss.

avec 2 fac-similés.
.

BLLI.ETLV. lo9

d'Ethérie doit être maintenue vers la fin du non rejetée au milieu du vi^
i\^ siècle et
comme le proposait naguère M. Meister cf. déjà Decom>:ck. HB.. 1910, p. 432 ss. i ;

la discussion, très vigoureusement menée, porte sur divers points d'archéologie, mais
surtout sur révolution liturgique palestinienne. — M. le prof. Guidi. Deux prières
antiques dans la Hlnrfjie abyssine des défunts. — Ferhat, Le proloyue de Job de Ju-
lien d'HuUkarnasse d'après une recension o.rménienne. P. M. Abel, Tb iwaTov =r —
Abou Ghûs. — P.
La basilique constantiniennc de l'EUona.
L. Gré, Strzygowski, —
Daniel sur un peigne en ivoire algérien planche}. M?"" Kaufmann, Menas cl —
Uoius-Ha)-pocrate, à la lumière des fouilles dans la ville de S. Menas lô ûg. ). —
Baumstark. Cntal. des Mss liturgiques du couvent jacobitc de Saint-Marc à Jèru-
siilem. — Bibliographie e.xtrêraement riche et nouvelles palestiniennes.

Il serait difficile un résumé succinct des résultats des fouilles palestiniennes


de faire

M. le D"" P. Karge d,. On sent qu'à une as-


plus clair et plus judicieux f]ue celui de
similation très complète des comptes rendus de fouilles, le distingué savant joint une
vue très péuetrante des réalites archéologiques. Ce charmant petit livre fait hon-
neur à son auteur et rendra le meilleur service aux théologiens et aux biblistes en
Allemagne.

Zeitschrift des deut. Pal. Vereins, XXXIV, 1911, n« 4. M. le prof. Dalman et —


M. Diosraore, Les plantes de Palestine, fin de cette excellente classification ;ivec des
tables très utiles. —
D^ Kahle, A propos de l'orir^ine des chants dits Atàha >'. d'a-
près le poète .Mohammed el-'Abed. — Bibhographie.
Mitteilungen... des D. P. Vereins, 1911, — M. n'^ 4. le prof. Guthe. Contributions à
lu topographie de Palestine : propose d'identifier le district samaritain d'Aphairema
[l Macch. XI, 34 et Joséphe, Antiq., XIII, 4, 9) avec kli. Ghunibe non loin de
Sindjil et Archélaïs au kh. el-Bayoudât sur V'AoudJeh (cf. HB.. 1897, p. 169 s.). —
M. Dalman. Les fouilles à la recherche des trcsors du Tcmfjie ce qui pouvait
le prof. :

être démêlé à travers les légendes et les fâcheux incidents suscités par les fouilles
d'Ophel, avant la publication des résultats. —
M. E. Baumann. Proverbes et dictons
arabes.

Varia. — L'iruvrc de l'encouragement des éludes sup'^ricurcs dans le clergé (2)


existe depuis quinze ans. Elle a le droit d'être fière des résultats qu'elle a obtenus,
avec des ressources très limitées, et elle a bien fait de les faire connaître au public.
On peut les qualifier d'un véritable essor donné aux études historiques et exégétiques
dans le clergé. Avec une intelligence supérieure des besoins de la situation, les di-

recteurs de l'œuvre se proposent moins de fournir des bourses a des savants déjà
furmés que de permettre aux jeunes prêtres de se mettre en état de fdire honneur
aux bonnes études et a l'Eglise. Ils leur ont fait crédit; leur espérance n'a pas été
trompée. Les auditeurs de l'Ecole biblique et archéologique de Jérusalem ont maintes
fois bénéficié du patronage de l'Œuvre. En la faisant connaître nous sommes certains
de provoquer des demandes, mais nous voudrions aussi lui assurer des souscrip-
teurs 3;

>'ous avons reçu la lettre suivante de M. Bruston. doyen honoraire de la faculté


de théologie de Montauban :

(r Die ResuUale der neueren Ausfjrabungen nnO Forschv.ngen in Palûstina: dans les Bibli-
9. ni-8' de 9j pp. .A^chendorlï, Munster. l'JlO.
sche Zeitfrageii, n"- 8 et
\2 Brochure in-S' de 31 pages.
•3; Les communicatious, demandes de bourses, et aussi les souscriptions doivent être adres- !

sées à l'un des secrétaires, MM. Jordan, professeur à l'Lniversité, 10, rue du Tliabor. Reunes;
160 REVUE BIBLIQUE.
« Veuillez me permettre quelques brèves observations au sujet de la curieuse ins-

cription de Bersabée publiée récemment dans votre savante et intéressante Reinj'

(1910, p. G3o).
« Les deux premiers vers renferment //-o/s questions:-:?; -j-i; -Aç; Quid? Quanti o?
Quis?
« Au deuxième vers, il faut, je pense, lire r-jpaTo (forme usitée en poésie et même
en prose) \\\ et non r,jpa t"o y.xAÀo;. L'article est inutile, pour ne pas dire gênant;
et r,jia. pour £-jpî, serait dilflcile à justifier. Je traduirais donc :

« Veux, quelle est cette merveille? Quand un univers a-t-il été fait ici? Quel mortel
« a découvert nne beauté qu'une durée infinie ditt. inexprimable) n'avait pas (dc-
« couverte) auparavant? »
« Les deux derniers vers répondent explicitement à la première et à la troisième de
ces questions, et implicitement à la deuxième. iXxO-. me parait être tout simplement
un datif poétique, qui doit être rattaché au verbe :

« Antipater a fait ces choses et a montn' le ciel '/ lu foule, lui qui tient de ses
« mains les rênes des armées chères à Ares. »

« Qui était cet Antipater? De la solution de ce problème résuhera la réponse à la

deuxième des trois questions. Serait-ce par hasard le père d'Hérodele Grand, qui
était précisément originaire de la région située au sud de la Palestine? »

M. Bruston nous écrit encore qu'il lit V"', pour a>a/e/\ une inscription que le
P. Vincent a trouvée « en trop mauvais état pour qu'il soit aisé d'en tirer un
sens 1) f2i.

École biblique et archéologique de Jérusalem. Conférences pales- —


tiniennes et orientales (3), le mercredi à trois heures et demie du soir, 1911-1912.
— 22 Noremb/r : Les nouveaux papyrus d'Éléphantine, par le R. P. Lagraxge. —
29 Noiembi-e : Quelques châteaux à l'est du Derb el-Hadj. par le R. P. Savignac
(avec projections). Décembre — La vallée du Jourdain, par le R. P. Abel.
:

13 Décembre : Darius I d'après ses inscriptions, par le R. P. Dhorme. 20 Décem- —
bre .-La morale chez les Grecs avant la philosophie, par leR. P. Petitot. Jan- —W
vier : Pierre Loti et l'Orient, par le R. P. Créchet. 17 Janvier : Une fleur de —
Bethléem, Sainte Eustochium, par le R. P. Géxier. 2i Janvier : Sainte- Marie- —
la-Neuve, par le R. P. Léopold Dressaire, des Aug stins de l'Assomption. —
31 Janvier : Au bord du lac de Tibériade (suite, par Dom Zéphyrin Biever, mis-
sionnaire du patriarcat latin.

François Martin, professeur à l'iuslitut caUioli(|uc. lOS, rue de Vaugirard, Paris: Paulonnier, di-
recteur du collège Stanislas, H, rue >otre-Dame-des-i;iiamps, Paris.
(1) Voir pour le Thésaurus : ^affiXeiav eOpa-o.
;2) Canaan..., p. 181.
(3) Les conférences de cette année ne seront p^int publiées en un volume séparé.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typograpliie Firmiu-Didot et C '. — Paris.


LA

COMPOSITION DU LIVRE DE LECCLÉSIASTE

Le but de cette étude n'est pas de revenir sur la question de l'ori-


gine salomonienne de rEcclésiaste ni de rechercher à quelle date le

livre a pu être écrit (1;. Un autre problème plus délicat se pose, celui
de savoir si TEcclésiaste, tel qu'il nous est parvenu, représente
l'œuvre d'un seul auteur. On ne peut se dissimuler que depuis les
dernières années du xix" siècle, l'opinion d'après laquelle ce pro-
blème comporterait une solution négative gagne des adeptes. La rai-
son principale de douter qu'une seule main ait travaillé à cet écrit
est que certaines affirmations très catégoriques, insérées de place en
place dans le texte, loin de ss fondre dansla trame ordinaire du livre,

semblent en contredire la pensée essentielle et les développements


les plus nets. C'est dans les deux derniers siècles seulement que l'unité
d'auteur a été contestée. Mais le défaut d'unité du livre lui-même n'a
en aucun temps échappé complètement à l'attention des interprètes.
Un rapide coup d'œil sur l'histoire de l'exégèse permettra de discer-
ner dans quelle mesure les commentateurs des divers âges ont reconnu
la réalité des faits qui servent aujourd'hui de base à la théorie d'une
pluralité d'auteurs et de rappeler comment ils ont cru pouvoir les
expliquer. On examinera ensuite en elle-même la question de la com-
position du livre, non pour prétendre la résoudre, mais en vue seu-
lement de la signaler à l'attention des critiques catholiques et de re-
chercher de quelle manière on pourrait se représenter l'origine de
l'Ecclésiaste et en comprendre la pensée, au cas où l'unité d'auteur
paraîtrait difficile à maintenir.
I. L'idée est très ancienne d'après laquelle rEcclésiaste rapporte-
rait, pour les réfuter, soit les discours des insensés, soit les sugges-
tions mauvaises qui assaillent une âme tentée. Saint Grégoire le
Thaumaturge ^2- a recours à cette seconde hypothèse pour légitimer

(1) CeUe question a été étudiée dans la Revue Biblique par le P. Condarnin 1900, p. 30
ss. et 354 ss.).

(2) Dans sa Mélaphrase sur l'Ecclésiaste P. G. X. 987 ss.}.

REVUE BIBLIQLE 1912. — N. S., T. IS. H


i62 REVUE BIBLIQUE.

la présence dans le livre de versets tels que viii, 15 et ix, 1-3, et à la


première pour expliquer ix, 4-10, qu'il place dans la bouche des sots.
Saint Grégoire de Nysse (1) voit dans ii, 2i-25 une objection adressée '(

au maitre par l'avocat de la gloutonnerie ». Le même expédient


sert à saint Jérôme (2) à l'occasion de ix, 7-8 Et hxc, inquit [Ec- :

clesiastes), aliquis loquatur Epiciirus et Aristippus et Cyrenaici et

caeterae pecudes philosophorum. Saint Grégoire le Grand (3) a géné-


ralisé à la fois et systématisé ce procédé d'interprétation il suppose :

que l'Ecclésiaste, par mode de recherche, exprime successivement les


états d âme et particulièrement les tentations de divers personnages,
lui-même parlant tour à tour au nom de chacun d'eux. Il applique
cette théorie à m, 21; v, 18; xi, 9 en particulier. Suivant Olympio-
dore (il enfin, « Salomon parle tantôt en son propre nom, tantôt au
nom d'une autre personne ». La préoccupation des Pères est évidem-
ment de justifier la présence, dans l'Ecclésiaste, de propositions qu'ils
trouvent malsonnantes, et de résoudre la contradiction qu'elles leur

paraissent présenter avec la conception religieuse exprimée par


d'autres passages, conception qu'ils jugent seule convenir à un
auteur inspiré. Us n'ont pas mis en cause l'unité de l'auteur. Us ont
affirmé cependant que les pensées contenues dans son livre n'étaient
pas toutes de lui, mais que plusieurs devaient être adjugées à d'autres

personnages, dont les paroles étaient citées et les doctrines rappor-


tées pour être combattues. Us ont donc en quelque façon reconnu le
fait sur lequel on veut s'appuyer maintenant pour établir une plura-

lité d'auteurs, savoir : il est difficile d'attribuer à un seul esprit les


pensées diverses que renferme l'Ecclésiaste {o\.
Le procédé inauguré par les Pères a été recueilli et utilisé à l'oc-
casion par les commentateurs du moyen âge et même des siècles
suivants. Grotius lui-même (6) s'en servait encore quand il écrivait :

redactas esse in eum varias hominum qui sapientes apud suos quisqiie
hahebantur opiniones ~^z\ -r,z i'jly.vj.zviy.;, quare mirari ?io?i debemus

(1) Dans ses homélies sur l'Ecclésiaste {P. G. XLIV, 693).

(2) Com.inEccl. (P.L.WUl, 1083).


(3) Dial. 1. IV, c. IV [P. L. LXXVII, 321-325).
(4) P. G. XCIII, 480.
(5) On peut objecter que si les Pères avaient interprété comme on fait maintenant toute
une classe de textes (u, 24-25 et parallèles qu'ils ont cru devoir entendre parfois dans un

sens épicurien, ils n'auraient pas eu besoin de recourir à la solution extrême qu'ils ont
adoptée. Il reste néanmoins qu'ils ont pris l'initiative de reconnaître dans le livre des pen-

sées de personnes diverses, et leurs difficultés ne portaient pas seulement sur les textes
relatifs à la jouissance, mais sur d'autres qui, comme m, 21 et ix, 1-3, sont en rapport avec
la question de l'immortalité ou delà rétribution.
(6) Annotationes in Vêtus Testamentum, Parisiis, 1644; ad Ecclesiasten, i, 1.
LA COMPOSITION DU LIVRE DE LECCLESIASTE. 163

si quaedain hic legimus non prohanda. Une règle d'interprétation ana-


logue fut en usage chez les commentateurs juifs, depuis au moins le

xni^ siècle jusqu'à la fin du xviii" (1).

Herder 2 et Eichhorn 3i ont repris cette opinion, mais en la


présentant sous une forme un peu différente ils en ont fait la théorie
:

des « deux voix ». D'après Herder, lEcclésiaste se partage en deux


séries de développements alternés. Les uns traduisent les inquiétudes
et les doutes d'un chercheur à la poursuite de la vérité qui se dérobe
à lui; les autres contiennent les leçons d'un maître qui l'interrompt,
le reprend et l'instruit. On pourrait ainsi disposer le livre sur deux
colonnes parallèles, en rangeant dans l'une ce qui appartient au cher-
cheur et dans l'autre ce qui appartient au maître. Néanmoins l'ou-
vrage ne procède pas tout à fait par demandes et par réponses, par
exposé et solution de difficultés. On n'y entend point deux personnes;
les deux séries de pensées proviennent << dune seule et même bouche ».
Eichhorn diffère à peine « L'auteur a choisi un mode d'exposition
:

qui ressemble à l'entretien de deux sages sur la vie humaine et le


cours du monde ». L'un cherche, critique, blâme: l'autre apprécie
lentement et sagement. « Il n'y a cependant pas dialogue proprement
dit, ni tout à fait demande et réponse, ou doute et solution c'est :

une composition artificielle d'un genre unique à laquelle je ne con-


nais pas de pendant ». Et plus loin Eichhorn fait observer qu'il n'y
a pas lieu d'imaginer deux personnes poursuivant une discussion
philosophique (i). Cette théorie eut une certaine fortune. Elle fut
accueillie en particulier par Chr. Schmidt, lequel déclare lui-même (5)
qu'il ne diffère pas de Herder et à peine d'Eichhorn, et par Umbreiti6).
Plumptre (7) l'a reçue à son tour, mais en la modifiant quelque peu :

trois voix se font entendre dans l'Ecclésiaste. celle du pessimisme


blasé, celle de la sagesse épicurienne et celle de la foi en Dieu.
L'hypothèse d'un dialogue proprement dit a été adoptée par
Bergst (8; et par Schenkel (9. D'après le premier, les interlocateurs
(1) MENDELsoHjf, Ber Prediger Salonio, Anspach, 1771, Vorrede.
(2) Briefe das Studium der Théologie betreffend, Brief ^, 1780, dans Werke, Tùbin-
gen, 1805, I, p. 200.
(3)Einleitung in das Alte Testament, Leipzig, 1780-1783, III, p. 572 ss.
^,4) L'opinion de Herder et d'Eiclihorn n'est pas toujours exactement rapportée par les
commentateurs. Il est bon d'ajouter que dans la dernière édition de son Introduction (1823-
1824, Y, p. 268; Eichhorn abandonne les « deux voix » et explique que l'auteur de l'Ecdé-
siasle a seulement inséré après coup de nouvelles sentences pour corriger son œuvre.
(5) Salomo's Prediger, Giessen. 1794, p. 219.
(6) Coheleth scepficusde summo 6o/io, Gottingae, 1820, p. 48 ss.

(7) Ecclesiastes. Cambridge, 1881, p. 53.


[S) Der Prediger Salomos, Hambar^, 17Ô9.
(9) Bibellexikon, Leipzig, 1871, III, p. 554 ss.
164 REVUE BIBLIQUE.

seraient un Oriental formé à la sophistique grecque et un Juif ortho-


doxe; daprès le second, la vraie et la fausse sagesse parleraient tour
à tour.
En réalité, rien dans lui-même n'indique un changement
le texte

d'interlocuteurs ni ne permet de partager les rôles. On ne peut non


plus prétendre que l'Ecclésiaste rapporte des opinions qui ne lui
appartiennent pas il n'est pas un mot, en dehors de l'épilogue,
:

qui soit donné comme provenant d'une autre bouche que la sienne.
La théorie des « deux voix », telle que la conçoivent ses auteurs,
n'est pas plus acceptable. Il est bien vrai qu'on entend plusieurs
voix dans ce livre; mais peuvent-elles être dune seule personne?
Enfin, parler de « tentations », c'est se méprendre doublement sur le
sens des exhortations de Qohéleth au plaisir, car il n'a en vue que des
plaisirs considérés comme licites et il veut très délibérément en
jouir. D'ailleurs toutes ces opinions sont abandonnées, et on les
rappelle à seule fin de montrer combien, dans tous les temps, on a
senti la difficulté d'accorder ensemble les diverses propositions de
l'Ecclésiaste.
II. La plupart des commentateurs constatent sans doute un certain

désaccord entre quelques propositions du livre. Mais ils croient pou-


voir concilier suffisamment les textes les plus opposés, et ils se rejet-
tent, pour justifier les divergences plus ou moins réelles qui subsiste-
raient encore, sur l'imperfection littéraire de l'œuvre, sur la com-
plexité de la réalité que l'auteur a observée, et sur la difficulté qu'il
éprouvait à la juger. Les explications d'ailleurs ne varient guère, et il

suffira de donner quelques exemples.


Tantôt on insiste sur la variété des points de vue auxquels l'auteur
s'est successivement placé. Delitzsch [1] écrit : « Les contradictions
qui se trouvent dans le livre ne font que refléter celles dont l'auteur
constate l'existence dans les choses ». Motais (2) développe et nuance
davantage sa pensée : >< En morale,
en morale pratique, les
et surtout
mathématiques. Un jugement
solutions n'ont point l'absolu des vérités
sain et pénétrant est obligé de tenir compte des positions, des circons-
tances, d'établir des distinctions, de faire des réserves; en un mot
d'apprécier les faits et la valeur des choses d'une façon toute relative.
Mais souvent cette réserve, en empêchant le moraliste de tomber dans
des exagérations déplorables, prête à sa pensée des apparences de
contradiction, si l'on ne remarque pas que le jugement porté est dif-

férent parce que la question a changé d'aspect ». De même le Père

(1) Bohesliedund Koheîeth, Leipzig, 1875, p. 191.


(2) Salomon et l'Ecclésiaste, Paris, 1876, I, p. 492.
LA COMPOSITION DC LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 165

Condamin Dans l'ordre des faits historiques il n'y a souvent qu'un


(1 1
: «

seul point de vue possible... Il en va bien différemment dans le do-

maine des considérations morales. L'appréciation des choses peut


varier pour un même esprit suivant les temps et les circonstances, en
raison de l'expérience acquise au cours de la vie, ou encore sur 1 heure,
par l'effet d'un simple changement de perspective; car toute chose en
ce monde a, comme l'on dit, son bon et son mauvais côté, nihil est ah
omniparte heatum; et ces aspects différents d'un même objet envisagés
tour à tour feront naître des jugemenis contradictoires en apparence,
vrais pourtant, parce que chacun d'eux, restant partiel et n'étant pas
exclusif, ne heurte pas de front les jugements prononcés à d'autres
points de vue. » Le P. Zapletal (2) exprime plus brièvement la même

idée : « Dans Qohéleth, la diversité des jugements s'expHque surtout

par la diversité des points de vue auxquels il se place pour considérer


les choses ».

Tantôt on fait observer que le livre a dû être écrit en plusieurs fois


et que les pensées n'y sont pas présentées dans un ordre logique.
Chr. Schmidt, qu'on retrouve dans plus d une direction, a soutenu (3)
que l'Ecclésiaste était composé de morceaux écrits à des dates éloi-
gnées dans des dispositions d'esprit différentes, et pour comble,
et
l'auteur, n'ayant sans doute pas eu le temps d'élaborer son œuvre, ne
nous aurait laissé que son « brouillon ». Cheyne (i) croit aussi que
nous sommes en présence d'un travail inachevé. De l'avis du P. Con-
damin (5), l'Ecclésiaste « n'est pas un traité composé tout d'une pièce,
écrit d'un seul jet; c'est, dans les chapitres du milieu surtout, un
recueil de pensées, notées probablement à des intervalles de temps
plus ou moins longs, reflétant par conséquent les impressions du mo-
ment... ». Le P. Zapletal (6) constate de même l'absence de suite
logique, dans l'ordonnance du livre. L'auteur a jeté ses pensées par
écrit comme elles se présentaient. Il n'y a entre elles qu'un ordre
chronologique. Delà peut venir en partie que çà et là des jugements
en apparence tout opposés sont portés sur le même objet, comme il
nous arrive souvent quand nous apprécions la même chose à des dates
diverses.
La difficulté naît quand on essaie de concilier les textes, et sur-

(1) RB., 1899, p. 506.


(2) DasBuch Koheleih, Freiburg-Scliweiz, 1905, p. 32.
(3) Op. cit., p. 82 ss.
(4) Job and Solomon, London, 1887, p. 204.

(5) RB., 1899, p. 508.


(6) Op. cit., p. 32.
166 REVUE BIBLIQUE.

tout les passag-es relatifs à la rétribution temporelle. Knobel (1) le


reconnaît. Il tâche cependant d'expliquer la variété des assertions du
que Qohéleth, en l'ignorance des rétributions futures,
livre par le fait
ne parvient pas plus que Job à accorder sa foi à la justice divine avec
l'absence de sanction morale que lui révèle le spectacle du monde.
Tantôt il parle de la rétribution d'après l'idée qu'il s'en fait, tantôt
d'après la réalité qu'il constate. Il reste en face d'un problème inso-
luble pour lui. Kuenen (2) avoue que la démonstration de Qohéleth
gagnerait en unité et en logique si Ton en retranchait m, 17 v, 6 é; ;

VII, 5 ; VIII, 2 ô, 8 c, au moins


12-13; xi, 9 ô; xii, 1 a, 1 b ei 9-14,
dans leur forme présente. Mais le livre, ainsi mutilé, constituerait une
énigme plus obscure encore que dans son état actuel. La pensée de
Dieu est en effet partout présente à l'auteur; il écrit trente-neuf fois le
nom divin; et il faudrait cependant admettre que sa foi n'aurait exercé
aucune influence sur sa pensée ni sur sa conception de la vie. Mieux
vaut encore maintenir les textes énumérés et dire que Qohéleth,
en recommandant la crainte de Dieu et l'observation des commande-
ments, rappelle les conditions indispensables du bonheur de l'homme,
celles sans lesquelles on ne peut ni l'acquérir, ni le conserver. Wil-
deboer (3) pense avec Knobel que le livre trahit le conflit qui
existe, dans l'âme de Qohéleth, entre « l'expérience et la foi ». Qohé-
leth garde la foi il ne faut donc pas s'étonner que tantôt il affirme la
:

rétribution et tantôt constate son absence. D'après le P. Zapletal (i)


« Qohéleth a pu écrire vu, 17; viii, 5, 12 b, 13 aussi bien que vu, 15 ;

viii,10, 12 a, 14. Il affirme bien dans les premiers textes que les cri-
minels sont enlevés par une mort prématurée et les hommes pieux
préservés de toute infortune, tandis que dans les seconds il constate
que souvent les criminels sont heureux et les bons malheureux.
le fait
La conception ancienne de la rétribution offrait des difficultés;
néanmoins Qohéleth ne veut pas l'abandonner complètement. L'au-
teur du livre de Job traite le sujet de même façon ». Enfin, Driver (5),
qui se préoccupe surtout de l'épilogue, reconnaît qu'en d'autres en-
droits aussi la pensée de Qohéleth n'est pas entièrement d'accord

(1) Commenlar iiber das Buch Koheleth, Leipzig, 1836, p. 28 s.

(2) Historisch-kritische Einleitung in die Biicher des A. T., Leipzig, 1885-1894, III,

p. 177, 185 s.

(3) Die fanf-Megilloterklaert vonK. Blddk, X. Bertholet und G. Wildeboer, Tùbingen,


1898, p. 111, 115, 119.
(4) Up. cil., p. 33.

(5) An Introduction lo tlte Literalxire of the Old Testavient, 7' éd., Edinburgb, 1907,
p. 478.
LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 167

avec elle-même. Il tient pour possible que l'auteur ait ajouté après

coup les deux versets qui terminent le livre (1); mais « la vérité est
que XII, 13-li ne peut être revendiqué pour Fauteur qu'au prix d'un
illogisme ».

Il douteux que Qohéleth garde la foi, qu'il croie à la jus-


n'est pas
tice de Dieu, qu'il constate pourtant l'absence de rétribution, et qu'en
conséquence le gouvernement divin lui paraisse incompréhensible.
Il n'est pas douteux non plus que, tout en conseillant de profiter des

joies de la vie présente, il maintienne la morale traditionnelle et la

crainte de Dieu. Mais cela suffît-il pour que toutes les divergences de
textes soient expliquées? L'Ecclésiaste se contente-t-il vraiment
d'énoncer la foi à la rétribution, puis de remarquer avec douleur,
comme dans vu, 15; viii, 10 et peut-être même li, que certains faits

infligent un démenti à la théorie? Ne va-t-il pas plus loin? Est-ce qu'en


se représentant ainsi sa position on n'atténue pas la portée de plusieurs
passages? Est-ce qu'on n'oublie pas de citer ix, 1-3, qui pourtant est
que le livre ne contient pas des textes
capital dans l'affaire ? Est-ce
qui affirment purement et simplement l'existence de la rétribution
temporelle, comme viii, 12-13, dans l'esprit duquel sont ii, 26; vu,
26 b ; viii, 5, et d'autres textes qui la nient absolument comme ix, 1-3?
On dira que le livre de Job contient les mêmes affirmations et les
mêmes négations, et que les unes et les autres proviennent chez lui
d'un seul écrivain. Encore que l'auteur de Job se garde bien
est-il

de faire tenir au même personnage les deux langages opposés. Il attri-


bue l'un à Job et l'autre à ses amis. Et quant à lui, il ne professe pas
à la fois pour son propre compte les deux doctrines ou bien il croit :

à la rétribution temporelle, ou bien il la nie, ou encore il reste incer-


tain, et c'est à l'ensemble de sa composition à nous éclairer sur sa
pensée. Mais Qohéleth, lui, prend parti. Tout le fond de son livre, sa
proclamation de la faillite de la yiQ et sa conclusion pratique, qui est
de jouir ici-bas, supposent qu'il n'a pas réussi à se persuader de l'exis-
tence de la rétribution, qu'il n'est même pas resté dans le doute à son
sujet, et qu'il est trop convaincu dé sou absence. Du moins, ce sont
des considérations de ce genre qui empêchent plusieurs exégètes de
se contenter des explications précédentes et les incitent à en chercher
d'autres qui justifient l'opposition, plus radicale, leur semble-t-il,
des textes signalés.

(1) El dans le même dessein qu'un éditeur supposé aurait eu, de dégager ce qu'il considé-
rait comme la vraie morale du livre et de prévenir les objections que la teneur générale de
l'enseignement de Qohéleth aurait pu provoquer.
168 REVUE BIBLIQUE.

III. Wam der Palm Umbreit (2) ont soupçonné que l'histoire
(1) et
du texte de l'Ecclésiaste recelait quelque incident de nature à avoir
causé le désordre qui règne actuellement dans l'arrangement du
livre. Le manuscrit qui le contenait aurait subi des « dislocations ».
Van der Palm propose en conséquence de reporter iv, 13-16 après ix,
16, et IV, 17-v, 6 au chapitre x. Umbreit use plus largement du
procédé et rétablit tout au long, dans Kohelet's des iveisen Konigs See-
lenkampf [3), l'ordre qui lui parait original. Ses corrections ne sont
pas heureuses et ne méritent pas d'être rappelées en détail. Grâtz (4)
s'est permis aussi un certain nombre de transpositions. Mais il était

réservé à Bickell de mettre définitivement sur pied cette curieuse


hypothèse. Il explique fort longuement comment une série d'acci-
dents de manuscrits a brouillé l'ordre des feuillets du livre et rendu
la suite des idées méconnaissable. L'histoire est compliquée et peu
vraisemblable. L'accident d'ailleurs devrait être placé à une date
assez rapprochée de la composition du livre, puisque l'exemplaire
était unique ou à peu près, et en tout cas avant la traduction de
l'Ecclésiaste en grec, puisque l'ordre, ou le désordre, est le même
dans les versions, donc au siècle qui a précédé Jésus-Christ ou dans
celui qui l'a suivi. Mais y a-t-il la moindre apparence qu'à cette époque
un livre hébreu, fût-il d'usage privé, ait été écrit sous forme de codex
et non pas de volumen [5]'^ L'hypothèse de Bickell n'est donc même
pas faisable. Serait-elle possible, il ne serait pas prouvé qu'elle fût
vraie, et fût-elle vraie, elle ne suffirait pas à rendre compte de la di-
vergence des idées contenues dans le livre Bickell n'éprouve-t-il pas
:

le besoin de recourir encore à des interpolations? Il n'y a donc pas


lieu de s'étonner que sa théorie n'ait pas trouvé bon accueil auprès
des critiques. Dillon (6) est seul à l'avoir adoptée (7).
Haupt à son tour (8) a réussi à imposer à l'Ecclésiaste un certain

(1) Ecclesiastes philologice et critice illustratus, Lugduni Batavoruin, 1784, p. 76 ss.

(2) Coheleth scepticus, p. 66 s.

(3) Gotha, 1818.


(4) Kohéleth oder der salomonische Prediger, Leipzig, 1871, p. 40 ss.
(5) Les exemplaires des livres saints à l'usage des synagogues devaient être écrits sur rou-
leau. La forme de codex s'est répandue au m" siècle pour les œuvres littéraires et théologi-

ques, et on peut affirmer qu'elle n'a pas fait son apparition avant le commencement du
H" siècle ou tout au plus la fin du p' (cf. V. Gardthausen, Das Buchivesen in altertum
nnd im byzantinischea Mittelalter, Leipzig, 1911, p. 156-159).
(6) Sceptics ofthe Old Testament, London, 1895.
(7) Sur de Bickell, voir Edrincek, Der Masorahtext des Kohéleth, Leipzig, 1890,
l'essai

p. 19-29; KoENiG, Einleitung in das Alte Testament^ Bonn, 1893, p. 430; Kuenen, op. cit.,
JII, p. 174; Siegfried, Prediger und Hoheslied, Gôttingen, 1898, p. 4 s.

(8) Kohéleth oder Weltschmerz in der Bibel, Leipzig, 1905.


LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 169

ordre en retranchant à peu près les deux cinquièmes du livre et en


bouleversant le reste. Tout exégète peut entrer dans cette voie et avec
moins de talent se livrer au même jeu, exclure un certain nombre de
textes et grouper logiquement ceux qu'il aura retenus. Un pourra
tirer ainsi de l'Ecclésiaste une multitude de petits livrets, car les
combinaisons possibles sont en nombre indéfini. Qui oserait dire que
l'un d'entre eux sera identique à l'écrit primitif de Qohéleth (1 ? En
somme, des tentatives de ce genre présentent peut-être quelque
utilité en ce sens qu'elles aident à pénétrer la pensée du livre, mais
leur valeur historique et positive est plus que douteuse.
ou tard on devait aborder une troisième solution « plus na-
IV. Tôt
turelle et plus simple » du problème, celle qui consiste à reconnaître

« que certaines propositions de Qohéleth ont choqué ses premiers lec-

teurs, et que ceux-ci ont tenté de les corriger en insérant dans le livre >

leurs propres réflexions (2). L'épilogue (3) a d'abord subi les attaques
de Dôderlein (i), Chr. Schmidt [op. cit.^ p. 95, 203, s.), Bertholdt (5),
Umbreit (^6; et Knobel 7;. Nachman Krochmal ^^8j a élaboré Une théorie
singulière sur une partie au moins de l'épilogue les vv. 11-12 con- :

cerneraient tous les Kethoiibim, dont l'Ecclésiaste était le dernier, et


auraient été ajoutés par les collecteurs de la troisième partie du Canon
(cest-à-dire, d'après lui, par les hommes de la Grande Synagogue;
cf. Gr^tz, op. cit., p. 168). Furst (9), Graetz, Bloch (10) et Renan ont
adopté les vues de Krochmal, mais en leur apportant certaines modi-

(1) Haupt écrit 'p. vu) : « Je tien» ferme à ce principe que ce qui est vraisemblablement
exact vaut mieux que ce qui est certainement faux. Le livre de Kohelelli n'a pu sortir de
la main de l'auteur primitif dans l'état où il nous est parvenu. Mais son texte a pu se pré-
senter à l'origine tel que je lai rétabli et subir ensuite des corrections. »

(2) Kle.ne.\, op. cit., m, p. 175.

(3) Racbbam ;Rabbi Samuel ben Méir, circa 1064-1153) s'était déjà rendu compte que les
deux premiers versets de l'Ecclésiaste et l'épilogue n'avaient pu être écrits par Qohéleth
lui-même et il en attribuait la rédaction au compilateur du livre (Ginsburg, Coheleth,
London, 1861, p. 42 ss.).
(4) Scholiain libros V. T. poeticos, Halle, 1779, p. 187; Salomo's Prediger undHohes-
lied, Jena, 1784, p. 161.

(5) Einleitung in dns A. T., Erlangen, 1812-1819, p. 2250 ss.

(6) Op. cit., p. 362.

(7) Coheleth scepticus, p. 94; Koheleth's Seelenkampf,\). 90.


(8) mourut en 1840, mais ses théories ne virent le jour qu'en 1851, dans le
N. Krochmal
journal juif More nebuke hazzeman {Director errantium nostrae aetatis). publié à Lem-
berg par L. Zcnz, vol. XI, n. 8, p. .34, .104 (cf. Cheïne, op. cit., p. 232 et surtout Gretz,
op. cit., p. 47 ss.).

(9) Lier Canon des A. T. nach den Veberlieferungen in Talmud und Midrasch, Leipzig,
1868.
(10) Studien zur Geschichte der Sammlung der altheb'-ûischen Literatur, Leipzig,
1875, p. 137 s.
170 REVUE BIBLIQUE.

fications. Graetz [op. cit., p. 49 ss.) estime que les vv. 9-11 se réfèrent
à l'Ecclésiaste dont ils font l'apologie, mais les vv. suivants (12-14)
visent les Hagiographes dont ils arrêtent définitivement le Canon;
l'épilogue tout entier est l'œuvre des docteurs hillélites de lamuia.
Renan [op. cit., p. 73 ss. ; cf. p. 66) laisse 9-10 à Qohéleth; mais 11-
12 « servent évidemment de clausule à une collection de livres », et
13-14 « paraissent avoir fait partie de la même finale »; le tout, « à
l'époque du sanhédrin de labné, devait déjà être envisagé comme une
partie intégrante du livre » . Parmi
en se plaçant à les critiques qui
un autre point de vue ont aussi refusé à Qohéleth la paternité de
l'épilogue, il faut citer encore P. de Jong (1), Reuss (2), Plumptre {op.
c2V.,p. 55, 101), Kleinert (3), Bickell [op. cit., p. 6 s. et 111), Cheyne

[op. cit., p. 234 s.), Smend Konig (5). Les négations ont été éten-
(4),

dues à XI, 9^; XII, ia, Ib par S. D. Luzzatto (6), Geiger (7) et Nol-
decke (8); aux mêmes textes et encore à m, 17; viii, ôb, 12-13; xii,

7« de la part de Bickell (op. cit.. p. 7 ss.) (9), Smend {loc. cit.),

Cheyne [op. cit., p. 211, 239; cf. Jewish religions Life after the
Exile, New- York and London, 1898, p. 148, 187, 196, s., où le même
auteur, sans préciser davantage, reconnaît que le texte est en désordre
et présente d'importantes interpolations). Konig [loc. cit.) se rallie

à ces critiques en ce qui concerne m, 17 et xii, 7ô. Kuenen, un des


plus ardents défenseurs de l'authenticité de l'épilogue et de l'unité du
livre en général, croit pourtant devoir admettre [op. cit., III, p. 177,

186) que xii, 1 a a été modifié pour des raisons dogmatiques.


Mais une théorie autrement radicale de l'origine du livre a été
formulée par Siegfried. On peut lui trouver des précurseurs dans la
personne de Nachtigal, Stâudlin et van Limburg Brouwer. Nach-
tigal (10) a pensé que l'Ecclésiaste était l'œuvre des assemblées des

(1) De Prediker vertaald enverklaard, Leideii, 1861, 142 ss.

(2) La Bible, Paris, 1878, VI, p. 328.


(3) Tfieol. Shulien und A'ritiken, 1909, p. 497; cf. Realencyclopadie fiir prot. Théo-
logie und Kirche art., Prediger Salomo.
Der Prediger Salomo, Bein, 1889, p. 22.
(4)

(5) EinL, p. 431.


(6) Dans la revue Ozar Nechmad, Brie/'e, und A bhandlungen jiidische Literatur be-
treffend publiée parignaz Bllmenfeld, Wien, 1864, IV.
(7) Jiidische Zeitschrift, 1862, I, p. 161 ss.

(8) Alttestamentliche Liieralur, Leipzig, 1868, p. 176.


(9) Bickell écarte encore un certain nombre de versets de moindre importance parmi les-

quels il faut signaler d'abord viii, la, 5a; xii, 4a, 5ô, œuvre d'un interpolaleur hostile, puis

les allusions à Salornon introduites dans i, 1, 12, 16; n, 7-9, 12 par l'interpolateur pseudo-
salomonien. En outre, Bickell considère comme probable l'identité de l'auteur des textes
relatifs au jugement (m, 17, etc.) avec l'Épiloguiste et même avec l'ordonnateur actuel du
livre (le relieur maladroit).
(10) Koheleth, gewohnlich genannt der Prediger Salomo's, Halle, 1798, p. 20 ss.
LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 171

sages Israélites, d'Ézéchias à Jérémie, et contenait une collection de


chants, de sentences et d'énigmes. D'après Stâudlin (1) un auteur
préexilien a recueilli des fragments salomoniens auxquels il a ajouté
des sentences morales, et c'est là ce qui explique le caractère compo-
site de l'ouvrage. Selon P. A. S. van Limburg Brouwer (2) deux petits
traités, l'un d'un sceptique, l'autre d'un moraliste, ont été fondus
ensemble par un rédacteur subséquent (3;. De ces trois critiques,
les deux derniers sauvegardent dans une certaine mesure l'unité du
livre, puisqu'ils admettent l'existence d'un compilateur-rédacteur
unique. Nachtigal au contraire reconnaît plusieurs ordonnateurs et
collecteurs des éléments du petit volume, et il avoue même (p. 37 s.)

que, des chants pliilosophiques qui le constituent, les plus récents


rectifient parfois les précédents. Néanmoins c'est à Siegfried que re-
vient l'honneur d'avoir réalisé d'une façon complète, et en la pour-
suivant dans tons les détails, une hypothèse strictement logique de
l'origine et de la composition de l'Ecclésiaste.
Siegfried {op. cit., p. 2 ss.) estime que le livre présente un tel
nombre de contradictions qu'on ne peut lui reconnaître une véritable
unité de composition. Il relève une série d'oppositions formelles :

entre m, 1-8 et m, 11 au sujet du gouvernement divin du monde;


entre m, 16; iv, 1 et m, 17; v, 7; viii, 11 sur le caractère moral de
ce gouvernement; entre m, 18-21 et xii, 7 quant à la destinée de
l'âme après la mort; entre vu, 15; viii, 10, 12(7, li et vu, 17; vm,
5, 126, 13 en ce qui concerne la rétribution morale; entre vu, 2 et
V, 17; IX, 7-10 au sujet de l'attitude qu'impose à l'homme la certi-
tude de la mort; entre xi, 9rt et 96 sur la conduite conseillée au
jeune homme; entre i, 2-10; ii, 17, 20; m, 9 et m, 22; v, 18-19
touchant la stérilité ou au contraire l'efficacité des efforts et du tra-
vail de l'homme; de même encore entre i, 17; ii, 15-16 et ii, 13-li;
VII, 11, 12, 19; VIII, 16; ix, 13-18; x, 2-12, les premiers textes affir-

mant l'inutilité de la sagesse, les seconds lui attribuant toutes sortes


d'avantages. Qu'on prenne garde en outre au manque de suite entre iv,
15-16 et IV, 17-v, 1; entre les versets de la série v, 6-9; entre vu?
6 et 7, 19 et 20; entre x, 3 et i, Or toutes les hypothèses in-
etc.
ventées pour pallier ces contradictions et ces incohérences caractère :

inachevé du livre, forme dialoguée, accident de reliure, ont évidem-

(1) Geschichte der SittenîehreJesu, 1799, I,p. 260 ss.


(2) Dans de Tijdspiegel, 1870, I, 238-302.
(3) Cf. KuE.NEN, op. cit., III, p. 173; Nowacr, Der Prediger ;Salomo's dans Kui-zge-
fassies exeg. Handbuch zum A. T., VII, Leipzig, 1883, p. 200.
172 REVUE BIBLIQUE.

ment échoué. Il faut donc se résigner à admettre dans l'Ecclésiaste


des interpolations, ou si l'on veut une pluralité d'auteurs.
Voici comment Siegfried expose l'origine du livre. Les trois pre-
miers chapitres, sauf quelques passages faciles à discerner, sont
assez homogènes et présentent un enchaînement des idées assez satis-
faisant ; il est à croire qu'ils renferment l'écrit fondamental dont les

chapitres suivants nont gardé que des fragments. Un philosophe


pessimiste s'y révèle (Q*)qui, comme Job, oppose aux enseignements
de la religion juive la réalité des faits : celle-ci ne contredit-elle pas
cette vérité de foi que Dieu gouverne le monde conformément à la
loi morale? Il expose sa pensée essentielle « tout est vain », dans une
série de développements contenus dans i, 2-ii, 12, 146 -21 a; ut,
1-10, 12, 15, 16, 18-21; iv, 1-4, 6-8, 13-16; v, 9, 10, 12-16; vi,

1-7 ; VII, 1Ô-4, 15, 26-28; viii, 9, 10, 14, 16, 17; ix, 2, 3, 5, 6; x,
5-7. Le malheureux avait perdu la foi, et seul le nom de Salomon
sauva son œuvre de la destruction. Mais Técrit subit un sort étrange.
Il fut tour à tour corrigé, glosé, dans le sens de chacun des cou-
rants d'idées qui se faisaient sentir dans le judaïsme. Le premier
glossateur fut un sadducéen épicurien (Q-); il est l'auteur de m,
22; v, 17-19; vu, 14, 16; viii, 15; ix, 4, 7-10; x, 19; xi, 7, 8a, 9«,
10; xii, Ib-la. Un sage ou hakham (Q-^), choqué de voir la sagesse
maltraitée dans ce livre, entreprit sa défense et inséra ii, 13, 14a;
IV, 5; VI, 9a; vu, 11, 12, 19; vin, 1; ix, 13-18; x, 1-3, 12-15.
8,
Le livre restait encore scandaleux pour les « pieux » un hasid ;

(Q^) entreprit de le corriger et d'y introduire les idées orthodoxes :

« Tout n'est pas vain. Dieu a bien fait toutes choses, et la loi mo-
rale doit triompher dans le monde ». On lui doit : ii, 246-26a; m,
11, 13, 14, 17; IV, 17 ; v, 1, 3-5, 66, 7; vi, 10-12 ; vu, 13, 17, 23-
25, 29; VIII, 2-8, 11-13; ix, 1; xi, 5, 86, 96; xii, la, 76. Les vicis-
situdes de l'Ecclésiaste n'étaient pas à leur terme; mais les glossa-
teurs suivants sont réunis sous un sigle unique (Q^). Ils ont ajouté :

IV, 9-12; V, 2, 6a, 8, 11 ; vu, la, 5, 6a, 7-10, 18, 20-22; ix, 11 ;

X, 4, 8-11, 16-18, 20; xi, 1-4, 6. Enfin un premier rédacteur (R')


mit le livre en ordre, le pourvut d'un titre, i, 1, et d'une conclusion,
XII, 8. L'épilogue, qui n'existait pas encore, est dû à trois mains
successives: 9-10 est de E' ; 11-12 de E-, lequel était dans les idées
de Q*; 13-14 enfin est de R', un pharisien qui croyait à un jugement
doutre-tombe.
Il est impossible de méconnaître la valeur de plusieurs au moins
des motifs invoqués par Siegfried à l'appui de sa théorie. Certaines
assertions du livre n'ont pu coexister dans un même esprit et la
LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLESUSTE. 113

suite des idées et trop nettement brisée par endroits pour qu'on
puisse nier être en présence d'insertions faites après coup. Mais les
conclusions de Siegfried dépassent ce que demande la réalité
des faits. Il s'est un découpage absolument logique autant
livré à :

d'idées, autant d'hommes. Mais un homme n'est pas un théorème,


et ce n'est pas à la logique abstraite qu'il appartient de déterminer
ici mais à la psychologie. Or celle-ci s'oppose-
les incompatibilités,

t-elle le moins du monde, par exemple, à ce que le pessimiste (Q')


ait écrit les propositions attribuées à l'épicurien 'Q-) ? Le pessimisme

n'exclut pas l'amour de la jouissance tout au contraire, il le sup-


;

pose. Un pessimiste n'est pas un détaché, c'est un mécontent. S'il en


veut à la vie de ne pas lui donner assez, c'e-t qu'il exige beaucoup
d'elle. Tant de haine cache beaucoup d'amour. Et donc si la vie n'ap-

porte pas au pessimiste toutes les joies qu'il désire, ce n'est pas une
raison, pour lui, de dédaigner le peu qu'elle offre. D'ailleurs, même
dans les textes où la jouissance est plus chaudement recommandée,
le pessimisme tran-perce ouvertement cf. v. 19a; vu, li; ix, 9 xi. ;

8, 10 Il.est également excessif de prétendre que l'auteur primitif


avait perdu la foi et que seul le nom de Salomon a sauvé l'écrit. La
liberté de pensée et d'expression était assez grande chez les Juifs à
certaine époque, au moins si l'on en juge par les hardiesses de
Job, que l'Ecclésiaste dépasse à peine. D'autre part, Job a survécu
sans porter au frontispice un nom vénéré, et des livres qui se recom-
mandaient des plus illustres patronages sont restés hors du Canon.
Un des défauts de Siegfried est encore de n'avoir tenu à peu près
aucun compte du style et de la forme des pensées pour discerner
leur orisfine ; aussi ses attributions sont-elles assez souvent inexac-
tes. Il lui reste, malgré ses imperfections, le grand mérite d'avoir posé
très nettement le problème des origines de l'Ecclésiaste. de n'avoir
pas hésité à affirmer la pluralité de ses auteurs et d'avoir déter-
miné du pessi-
plusieurs de ceux-ci de façon définitive. L'existence
miste, du hasid et du hakham s'impose désormais aux commentateurs
du livre, bien que des difficultés nombreuses subsistent sur la répar-
tition des textes entre eux.
La plupart des critiques ont mal accueilli la nouvelle théorie.
Elle a néanmoins fait son chemin. H. Winekler (li s'y est montré
favorable; Lauer (2 l'a adoptée, sauf pour viii. 2-+ et xi, 5 qu'il croit
tirés d'un écrit indépendant; E. Kautzsch (3] pense que Siegfried est

(1) Altorientalische Forschungen, Zweite Reihe. 1S98, I, p. 143-159.


;'2) Das Buch Koheleth und die Interpolations hypothèse Siegfried' s. Wiltenberg, 1900.
l'i) Dans Hastings, Dictionary ofthe Bible. Extra-volume, p. 731. note.
174 REVUE BIBLIQUE.

dans la bonne voie, bien que son analyse soit sur certains points trop
artificielle. A. von Scholz (1) reconnaît que « beaucoup de mains
ont travaillé à ce livre » l'écrit fondamental, très court, composé
:

par un sage, devint de suite un thème d'enseignement et fut natu-


rellement développé par les gloses de l'interprétation scolaire, jus-
qu'au jour où un rédacteur, se servant d'un des exemplaires les plus
usuels, groupa toute la matière, sans grand ordre, autour de l'écrit
primitif (2). Plus récemment, Me Neile et Barton sont entrés dans la
voie mais en s'efforçant de restreindre le
ouverte par Siegfried,
nombre et l'étendue des interpolations qu'il suppose. Pour ce motif,
ils ont des chances d'être plus près de la vérité que ne le fut leur

devancier lui-même.
Me Neile (3) signale d'abord comme distincte de l'écrit primitif
l'œuvre d'un éditeur qui a préposé le titre (i, 1), résumé le livre dans
une formule heureuse (i, 2 et xii, 8) et ajouté la première partie de
l'épilogue (xii, 9-10). de recommander l'ouvrage en le
Son but était
faisant passer en introduisant un éloge de Qohé-
pour salomonien et
leth. Il est à noter qu'il parle toujours de celui-ci à la troisième
personne, et comme d'un autre que lui-même. En dehors de cet
éditeur et après lui, deux interpolateurs, se faisant l'écho des dis-
cussions que cet écrit souleva dans les milieux juifs, tentèrent de
l'améliorer. Le premier, un sage, l'enrichit d'un grand nombre de
sentences, puisées peut-être à des sources diverses, mais tantôt sug-
gérées par les pensées de Qohéleth, tantôt insérées en vue de cor-
riger ses affirmations, d'autres fois introduites un peu au hasard et
sans but déterminé. A ce sage doivent être attribués iv, 5, 9-12;
VI, 7, 9«; VII, 1«, 4-6, 7, 8-12, 19; viii, 1; ix, 17-x, 3, 8-15, 18-19,
et la seconde parlie de l'épilogue xii, 11-12. Le livre restait malgré
tout assez éloigné de la pensée religieuse du temps et il était
naturel qu'un juif pieux entreprit d'y insérer deux nouvelles
affirmations : le devoir pour l'homme de craindre et servir Dieu et
la certitude d'un jugement divin. Le hasîd a. inséré : ii, 26a; m,

(1) Kommentar iiber den Prediger, Leipzig, 1901, p. xix-xx.


(2) Anton von Scholz, prêtre catholique, était en son vivant professeur à la Faculté de
Wurzbourg et son commentaire a paru revêtu de l'imprimatur de l'Ordinaire. Son interpré-
tation est singulière. Il fait de l'Ëcclésiaste un écrit tout allégorique dont le but est de com-
battre le sadducéisme(p. v). Les expressions « manger et boire » signifient « faire le bien, être
fidèle à la loi » (p. vu) la sagesse mentionnée par Qoléleth est celle « qui crée le royaume de
;

Dieu à son image, qui plus tard en tant que personne a été appelée Logos » (p. viii) ;
le mot
vanité SlH, étant le nom d'Abel tué à cause de sa justice, désigne essentiellement le juge-
ment eschatologique (p. ix), etc.

(3) An Introduction ta Ecclesiastes, Cambridge, 1904, p. 21 ss.


LA COMPOSITION DU LIVRE HE LECCLÉSIASTE. 17o

14 6, 17; IV, 17-v, 6; vu, 18 b, 26 ô, 29; viii, 2 è, 'iab, 5, Ga; 11-13;


XI 96; XII, 1 a et la troisième partie de l'épilogue xii, 13-li. Me Neile,
qui attire l'attention sur la forme sentencieuse des pensées du sage,
ne s'occupe pas plus que Siegfried de la forme métrique très appa-
rente de certains versets.
Barton, le dernier en date des commentateurs de l'Ecclésiaste (1),
admet aussi l'existence de deux interpolateurs, un sage et un juif
pieux à tendances pharisiennes. Il attribue à un éditeur i, 1 et dans i,
2; VII, 27; xii, 8 les mots dit Qohéleth », vu que Qohéleth parle
'<

toujours de lui-même à la première personne, et enfin dans l'épi-


logue XII, 9-13 a. Mais cet éditeur ne fait qu'un avec le hakham
qui a inséré iv, 5; v, 2, 6; vu. 1«, 3, 5-9, 11-12, 19; viii, 1 ; ix, 17 -x,
3, 8-14 a, 15, 18-19. Au hasid seraient attribuables seulement ii,
26rt; m, 17; vu, 18ô, 266, 29; viii, 26-3«, 5, 6a, 11-13; xi, 96; xn,
1«, 13 6-1 i. Barton n'établit aucun rapport entre la forme métrique
et l'origine des textes. En fait, cependant, toutes les additions du
hakham, sauf v, 6; vu. 19; ix. 17, 18; x, 3; xn, 9-13ff et les deux
mots qui dans i, 12 et xii, 8 troublent le rythme, se trouvent appar-
tenir aux portions du livre dans lesquelles Barton reconnaît la forme
versifiée. Au contraire, toutes celles du hasid, saufviii, 5, 6 «, appar-
tiennent à la prose. Mais il faut noter que Barton laisse à Qohéleth un
grand nombre de passages qu'il tient pour métriques. D'ailleurs, plus
encore que Me Neile, il tend à restreindre le nombre des versets in-
terpolés.

par l'examen de l'épilogue qu'il convient de commencer


C'est
l'étude de la composition de l'Ecclésiaste. Les versets qui le constituent
présentent en effet l'indice le plus facile à percevoir d'une pluralité
d'auteurs. Que l'épilogue se distingue nettement du livre et forme
une section à part, personne ne le nie le livre : finit au v. 8 du cha-
pitre XII par les mots qui l'ont commencé (i, 2) et le caractère de ce
qui suit est très distinct. Il n'en résulte pas immédiatement que xii,

9-14 soient d'une autre main. Un auteur peut adaptera son ouvrage
un épilogue, nnpost-scriptum, comme d'autres le font précéder d'un
prologue ou d'une préface. Mais ce qui frappe le lecteur le moins
exercé, c'est que l'auteur de l'épilogue parle de Qohéleth à la troi-
sième personne, comme d'un autre que lui-même, tandis que l'au-
teur du livre en parle à la première et s'identifie avec lui {i, 12). Or

(!) A critical and exegetical Cominentary on Book of Ecclesiastes, Edinburgh, 1408,


p. 44 ss.
176 REVUE BIBLIQUE.

l'explication la plus naturelle de cette nouvelle manière de parler,


c'estqu'un personnage nouveau entre en scène pour nous entretenir de
Qohéleth. Et de fait, si l'auteur de l'épilogue a été différent de l'auteur
du livre et si en outre il a voulu s'en distinguer, il n'a pas dû parler
autrement que ne le font les vv. 9-10 du chapitre xii. La .plupart
des critiques qui rejettent le caractère primitif de l'épilogue, et en
particulier Knobel (p. 365, cf. p. 82), Gr*tz (p. 50 s.), Reuss(p. 329),
Me Neile (p. 21), Barton (p. 197), concluent immédiatement que
l'épilogue est l'œuvre d'un lecteur qui, de même quel'auteur du
titre (i, 1), s'est laissé prendre à la fiction des deux premiers cha-
pitres,a confondu l'auteur réel avec Salomon, et a entrepris de faire
son éloge. On verra par la suite de la discussion ce que vaut cette
hypothèse.
Delitzsch [op. cit., p. 215 et 414) et Kuenen [op. cz^.,III, p. 176 ss.)

croient cependant pouvoir concilier les façons de parler de l'épilo-


gue avec son authenticité. Le mot « Qohéleth » désignerait comme
dans le livre (i, 12) l'auteur fictif, non pas
c'est-à-dire Salomon, et

l'auteur réel; seulement, celui-ci, qui jusqu'à présent avait main-


tenu la fiction, l'abandonnerait; il laisserait tomber le masque; c'est
ce qui explique qu'il emploie désormais la troisième personne et non
plus la première en parlant de Qohéleth-Salomon. Mais cette concep-
tion de l'épilogue cadre mal avec son contenu pourquoi l'auteur, à :

l'instant même où il dévoile la fiction, entreprend-il l'éloge de Sa-


lomon? Salomon n'avait pas besoin d'être loué par lui pour être
réputé le plus sage des hommes et pour que les ouvrages qu'on lui
attribuait fussent appréciés. C'est bien plutôt son livre à lui, qui
avait besoin de recommandation et d'appui. Or, si le nom de Salo-
mon ne le couvre plus, à quoi rime le panégyrique de celui-ci? De-
litzsch d'échapper à cette difficulté
essaie l'auteur recommande :

aussi son œuvre, car il vante les sages et donne à entendre que leurs
écrits procèdent du même inspirateur que ceux du grand roi. Cette
une grande opportunité à l'éloge de Salomon,
réflexion ne confère pas
etquant aux louanges qui sont faites de l'Ecclésiaste, il est préférable
de penser qu'elles ne sortent pas de la bouche de son auteur
même.
Mais est-il bien vrai que dans l'épilogue « Qohéleth » désigne Salo-
mon? D'après Ewald avouent sans déguisement que
(1), les vv. 9-11

l'auteur de l'Ecclésiaste n'est qu'un sage ordinaire, soucieux de l'ins-


truction du peuple, et qui dans son métier d'écrivain n'a jamais sacrifié

(1) Die poelischen Biicher des Alten Bundes, Gôttingen, 1837, IV, p. 226.
LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 177

le fond à la forme ; selon Wright 1 , les vv. 9-10. entendus de Salo-


mon, n'auraient plus contenu pour des Juifs qu'une série de vulgaires
truismes incapables de rien apprendre au lecteur ; enfin Bickell i
p. 9
estime que pour TÉpiloguiste Qohéleth nest encore qu'un sage quel-
conque "2).

Ces critiques ne se trompent pas : à l'époque où nous sommes


on n'eût point parlé de Salomon simplement comme d « un sage »
(xii, 9), mais comme du plus grand des sages (i, 16). L'Épiloguiste
a ])ien en vue l'auteur réel, et comme il se donne pour un person-
nage autre que celui-ci, nous devons l'en croire et conclure que l'épi-
logue est dune autre main que le livre lui-même.
L'examen du style et de la langue confirme cette conclusion. Les
termes communs à l'épilogue 3j et au livre {'^Z7\ xii, 9 et i, 15: vu,
13; '^'Zn XII,3; xii. 1; ^""Zir; "î-iz" xii, 11 et ix, 17; -,-;t au
10 et v.

)iiph. XII, 12y: -'n xii. 12 et iv, 8, 16) sont rares et n'ont rien
et IV. 13 :

de caractéristique, sauf pour ^-r mais ce verbe existe en araméen, et ;

encore l'épilogue l'emploie-t-il dans une construction et avec un sens

qui se rapprochent plus de B. que de l'Ecclésiaste. Au con-


S. xlvii, 9
traire, les mots ou locutions de l'épilogue que le livre ignore sont rela-

tivement très nombreux pour un lexte si court ce sont au v. 9 ";7n, :

'ipn, **^*"ir*. -*2"', "'w^'Z; au v. 10 t-zn. 'Ni-*:-'... u*ii, ^u'": au v. 11 «-vi


r"Er>{. ""HT", "'d. r'"'''C>i**2, i"!"*'; au v. 12 '"12. ^*w2 p^'m*. **2 "r*.
'iô"'. ''Z::. Certes, plusieurs de ces termes sont d'usage assez commun

(il n'en est pas moins vrai que le livre ne les a pas employés mais ,

d'autres sont hapax au moins pour la forme et le sens, ou rares, ou


entrent dans des constructions particulières i\ Leur nombre serait
en proportion anormale si l'épilogue était du même auteur que le
livre.

Qu'était l'Épiloguiste? Un sage et un contemporain de Qohéleth.


mais qûiilïi a survécu. Qu'il ait été un sage, lui aussi, c'est ce que dé-
montrent, et l'apostrophe « mon fils » (xii, 12) dont il use comme les
sages (Prov. i, 8, etc.) à l'égard de son lecteur, et le soin avec lequel il
décrit le labeur du compositeur de sentences (vv. 9.11. 12 il parle :

en homme du métier. Qu'il ait connu lauteur, on peut le conclure du

seul fait qu il se garde bien de se laisser prendre à la fiction de r. 12


et de confondre l'auteur réel avec Salomon. Mais de plus il est diffi-
cile de ne point voir qu'il parle de Qohéleth d'après des renseigne-

(1; The Booli of Kolielelh, London, 18S3, p. lui et 439.


(2) Voir aussi Cheyne (p. 231, note 4 ; Smend [p. 22); Siegfried p. 76).
(3) Pour des motifs qui se découvriront plus loin il ne sera question ici que des tt. 9-12.
(4) Ces mots ont été marqués d'un astérisque.
REVUE EIBLIQIE 1912. —
N. S.. T. 1\. 12
178 REVUE BIBLIQUE.

ments puisés ailleurs que dans le livre. Il nous apprend que Qohéleth
avait composé à l'usage du peuple un ouvrage très littéraire, consis-
tant en de « nombreuses sentences» (^9-10 a), et qui nest certainement
pas à identifier avec l'Ecclésiaste. Le point de vue doctrinal le préoc-
cupe à peine 10 b) or nous verrons que par la suite on s'en
;

inquiéta beaucoup. Enfin la réflexion qui termine le v. 12 « beau- :

coup d'étude est une fatigue de la chair », a peut-être été inspirée


par le souvenir des infirmités précoces qui attristèrent l'existence de
Qohéleth.
La contribution de l'Épiloguiste au livre est assez facile à déterminer.
Il ne faut point songer, comme Ta fait Me Neile, à lui attribuer le
titre (I, li dont Fauteur, beaucoup plus tardif et renseigné seulement

par 1, 12, n"a pas évité de confondre Qohéleth avec Salomon. On dira
plus loin pourquoi les deux derniers versets du livre (xii, 13-14) ne
doivent point non plus lui être adjugés. Mais par contre il n'y a pas
de bon motif de lui refuser la paternité de 11-12, comme le veulent
Me Neile. Outre que 9 et 12 débutent par des for-
faire Siegfried et
mules analogues, ce qui n'est qu'un léger indice, les derniers versets

n'établissent pas d'opposition entre les sages et Qohéleth, entre leurs


paroles et les siennes. Tout au contraire, faire l'éloge des sages (11)
après que Qohéleth a été rangé en leur compagnie (9 a) et repré-
senté comme se livrant aux mêmes travaux (9 b-lO cest faire encore ,

l'éloge de Qohéleth. Les vv. 11-12 peuvent donc appartenir à l'Épilo-


guiste. Me Neile a raison de lui attribuer encore i, 2 et xii, 8 qui,
comme XII, 9 ss., parlent de Qohéleth à la troisième personne. Le savant
critique se trompe seulement quand il prend les sentences relatées
dans ces versets pour une création de l'Épiloguiste lui-même, lequel
serait ainsi l'inventeur de la formule la plus caractéristique de tout le
livre. Eq réalité, si l'Épiloguiste, qui d'après la teneur de xii, 9 ss. a
certainement connu Qohéleth, nous affirme que celui-ci disait :
« vanité des vanités, tout est vanité », c'est que Qohéleth avait en
effet coutume de le dire. Nous sommes en présence d'une des paroles
familières du Pessimiste. Le disciple, car il apparaît maintenant que
telle fut la qualité de l'Épiloguiste, le disciple ne s'est pas mépris en
considérant cette sentence comme le résumé de la doctrine de son
maître; il a eu raison de l'ajouter au début et à la fin du livre en
nous indiquant son origine.
Cette hypothèse a l'avantage d'apporter une solution très satisfai-
sante au fait embarrassant et jusqu'ici inexpliqué de la présence des
mots « disait Qohéleth ) dans vu. 27, au beau milieu du livre, comme
dans I, 2 et xii, 8. Ni Siegfried, ni Me Neile ni Barton n'ont su voir que
LA COMPOSITION L»l I.lVliE DE L'ECCLÉSIASTE. 179

VII. 27-28 iiavait pas été écrit par Qohéleth. Barton attribue seule-
ment formule de citation à un éditeur. Mais pourquoi celui-ci
la
aurait-il inséré pareille formule à cet endroit, sinon parce qu'il inter-
calait en ellet ici un 'i-y.z'i de Qohéleth? Dans 2G a l'auteur avait
exprimé sa pensée sur la femme. Ce verset a naturellement rappelé
au disciple la réflexion habituelle du maitre sur le même sujet la :

forme sentencieuse et paradoxale de cette réflexion explique assez qu'il


lait retenue. Il a pensé qu'elle méritait d'être rapportée et il a eu soin
de nous avertir qu'il l'empruntait à l'enseignement oral de Qohé-
leth.
Ainsi, toutes les fois que, par un procédé inconnu au reste du li-

vre, il est question de l'auteur à la troisième personne, c'est le dis-

ciple qui parle, et la formule « disait Qohéleth » a partout même


origine et même portée. Saurait-elle avoir un sens plus naturel, et
de quelle autre le disciple aurait-il dû faire usage? Il est vrai que
dans cette hypothèse le mot « Qohéleth est employé une seule fois >^

par l'auteur du livre (i, 12) et pour désigner Salomon, mais cinq
fois (i, 2; vir, 27; xii, 8, 9, 10) par le disciple, pour désigner au con-
traire l'auteur lui-même. La difliculté est plus apparente que réelle.
« Qohéleth pas une appellation reconnue et traditionnelle de
» n'était

Salomon ndre auteur est le premier et le seul à la lui avoir donnée.


:

Ce n'était pas un nom propre, car tantôt il a l'article vu, 27; xii. 8
et tantôt ne la pas i, 2. 12; xii, 9. 10». Ce ne pouvait être qu'un
titre, correspondant sans aucun doute à une fonction exercée par

notre auteur de son vivant. Comme Salomon avait la plus haute ré-
putation de sagesse et était même considéré comme le créateur du
genre sapientiel, l'auteur a pu lui transférer son titre ou du moins
s'en servir pour le désigner, dans une fiction d ailleurs transparente,
en supposant que le grand roi avait, le premier, présidé aux travaux
des sages assemblés. De fait, le titre à lui seul ne suffisait pas à indi-
quer la personne de Salomon, car l'auteur a soin !j, 12 de lui ad-

joindre tous les traits et les précisions nécessaires pour que le lecteur
ne puisse se méprendre. Le disciple i, 2, etc. n'a pas eu à observer
de pareilles précautions : l'auteur avait tellement illustré sa fonction
dans l'assemblée des sages peut-être l'avait-il créée que dans l'es- ,

prit de tous il était le Qohéleth par excellence. Le nom ne désignait


que lui.
La première retouche à l'œuvre de Qohéleth est donc celle de sou
disciple. On lui doit i, 2; vu, 27-28: xii. 8, qui reproduisent des
paroles de Qohéleth, puis xu. 9-12 qui fait son éloge. Tous ces ver-
sets se donnent ouvertement pour l'œuvre d'un éditeur. Xous n'avons
180 REVUE BIBLIQUE.

eu, pour le reconnaître, qu'à accepter le sens naturel des textes, et II

il faudrait lui faire violence pour échapper à notre conclusion.

II

Si XII, 9-12 n'est pas de Qohéleth, il en résulte nécessairement


que les versets 13-li ne lui appartiennent pas non plus: la place
qu'ils occupent suffit à les dénoncer. Mais leur contenu n'est pas
moins significatif. Il ne s'harmonise pas avec la pensée essentielle de
Qohéleth. D'après J3-iV, la conclusion du livre est que l'homme doit
craindre Dieu en raison de la rétribution qu'il exercera. Or s'il est
une doctrine formulée par Qohéleth et une conclusion répétée, c'est
que l'homme doit cueillir ici-bas les joies que Dieu met à sa disposi-
tion, précisément parce qu'il n'existe apparemment aucune différence
entre le sort des bons et celui des méchants. Qohéleth affirme à plu-
sieurs reprises que la sanction morale ne se réalise point en ce monde,
et c'est là le principal motif pour lequel il déclare que la vie est vaine
et ne mérite pas d'être vécue. >'on seulement il constate des cas par-
ticuliers dans lesquels des méchants sont toute leur vie heureux et des
bons toujours malheureux vu, 15; viii, 10, 14), mais il affirme
énergiquement que d'une façon générale les justes ne sont pas sur
terre l'objet d'un autre traitement que les pécheurs, et cela, bien
que Dieu gouverne le monde et que tout y dépende de lui (ix, 1-3 a).
Et comme d'autre part le cheol ne renferme à sa connaissance aucune
espérance ix, ï-6, 10 il conclut que l'homme doit prendre ici-bas
,

les jouissances que Dieu met à sa portée (viii, 15; ix, 7-10). Il est
indéniable que xii, 13-14 représente une autre conception. Sans
doute, le sentiment moral et la crainte de Dieu ne sont pas choses
étrangères à l'œuvre de Qohéleth (m, 14; ix, 3), mais ils n'y oc-
cupent pas le premier plan de la pensée et n'y sont point basés sur
la croyance à la rétribution.
Il est vrai que dans le corps même de l'ouvrage nous trouvons une

série de textes i^ii, -20 ab; m, 17; vu, 26 ô; viii, 5-8, 11-13; xi, 9 c)
qui sont dans l'esprit et même dans la lettre de l'addition précé-
dente : ils affirment aussi que Dieu distribue sur terre les biens aux
bons et les maux aux méchants, ou qu'il jugera les uns et les autres.

Mais la concordance étroite de cette série de textes avec xii, 13-14, ne


démontre aucunement que cette conclusion ait pu être écrite par
Qohéleth. Tout au contraire, elle jette la suspicion sur tous les pas-
sages énumérés et donne à penser qu'ils sont l'œuvre de la même
main étrangère qui a apposé au livre la réflexion finale. De fait,
LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 181

plusieurs des termes que contient celle-ci se retrouvent, avec la pen-


sée, dans run ou l'autre texte de la série susdite : xi"! DTiSKnTx de
XII, 13 rappelle des expressions de viii. 1-2-13; '•^Zw* **r"j,"2~rs du
même v. est apparenté à viii, ô; ^î:\:**22 ni* z-~"?x~ du v. li repro-
duit à peu près littéralement une proposition de xi. 9 c et se rappro-
che aussi de m, 17 et viii, ô-G. Surtout, ces textes sont tous en opposi-
tion, aussibien que xii, 13-li, avec vu, 15; viii, 10-li;ix, l-ô, 10,
qui nient l'existence d'une sanction terrestre et ignorent la rétri-
bution future. Ils s'opposent également à la pensée fondamentale du
livre, qui est l'affirmation de la vanité de l'existence, et à sa con-
clusion pratique, qui est de jouir ici-bas. Si Dieu punit toujours le
méchant récompense toujours le juste, il n'est pas vrai ipie la
et

que l'homme n'en puisse rien espérer et quil n'ait


vie soit vaine,
rien de mieux à faire que de cueillir les joies qui passent; il n'est
pas vrai quon ne puisse rien comprendre aux conduites de la Pro-
vidence ni découvrir d'après quels principes elle dirige le monde
iiii, 11; vu. li; viii, lG-17; ; tout, au contraire, devient très simple,
la petite raison humaine est satisfaite et les plaintes de Qoheleth
manquent de motif. Par conséquent, si les versets qui aflirment l'exis-
tence de la rétribution sont de Qoheleth. sou œuvre échappe dif-
hcilement au reproche de contradiction et d'incohérence. Ces ver-
sets enlevés, elle gagne incontestablement en unité et en logique.
D'autre part, leur introduction s'explique aisément. En l'ignorance
des récompenses futures, certaines propositions de Qoheleth son-
naient comme la négation de toute sanction morale. Frappé d'une
aussi grave lacune, un .luif pieux aura jugé bon d'introduire dans
l'ouvrage la doctrine traditionnelle de la rétribution temporelle. On
peut lui attribuer ii, 26 ab\ m, 17: vu, 26 b\ viii. 2 h, 5-8, 11-13;
XI. 9 c; XII, 1 rt, 13-li. Les réflexions en prose. du /lasid sont toujours
Elles procèdentpar voie d'affirmation simple et absolue, et expri-
ment régulièrement les mêmes idées certitude de la rétribution :

temporelle et du jugement, et nécessité de craindre Dieu. Presque


toujours elles sont provoquées en quelque façon par leur contexte et
prennent à son égard une allure de correctif; il n'y a guère d'excep-
tion que pour l'addition finale dont l'introduction s'explique assez
naturellement d'ailleurs.
On ne peut songer à identifier le hasid avec le disciple, auteur de
l'épilogue. Le disciple se distingue expressément de l'auteur du livre;
le hasid ne cherche pas à s'en distinguer. Le disciple ne parle point
à la première personne cf. cependant xii, 12 ; le hasid \e fait ordi-
nairement. L'Épiloguiste professe envers Qoheleth une admiration
J82 REVUE BIBLIQUE.
''

sans réserve et ne doute pas de la vérité de ses observations (xii, 10);


le hasid estime que son œuvre a besoin d'être amendée. On peut dif-
tîcilement comparer le style de textes si courts: néanmoins les addi-
tions du hasid sauf peut-être
i viii, 5 ss.) différent notablement de xu,
9-12. Ces derniers versets, bien que prosaïques, ressemblent plutôt
aux sentences dispersées dans le livre et dont il sera question tout à
l'heure.
Il n'y a guère qu'un moyen de faire disparaître la personnalité du
hasid et de sauvegarder dans une certaine mesure l'unité du livre,
c'est celui que suggère Driver (1 Il consiste à supposer que Qohéleth
.

lui-même aurait inséré après coup dans son œuvre les correctifs
signalés, et dans le même dessein qu'on prête au hasid. Le livre serait
d'un seul auteur, mais non pas d'un seul jet. On pourrait invoquer à
l'appui de cette théorie les analogies de termes et de pensée incon-
testables entre viii, 5 6 et m, 1-11, entre viii, 6 a et m, 1, entre viii,

6 6 et VI, 1, entre viii, 7 et m, 22 in fine, vi, 12 m /., vu, li in /.,


X, W b, entre viii, 11 et ix, 3; le style de viii, 11-13 est embarrassé
comme il arrive souvent à Qohéleth. Dans cette hypothèse, xii, 13-14
devrait être attribué à l'Épiloguiste et résumerait le second point de
vue de l'autenr.

III

D'autres textes, groupés surtout dans vu, 1-12 etx, éveillent l'at-
tention du critique. Us sont caractérisés par l'emploi du genre sen-
tencieux et de la forme métrique. Le parallélisme y est régulièrement
marqué, et sauf de rares exceptions, dues peut-être à des accidents
de manuscrit, le nombre des accents dans chaque membre est sensi-
blement égal. Ces vers coupés net, fermes de pensée, d'un style assez
froid, mais ordinairement imagé, tranchent fortement sur la prose de
Qohéleth, lâche et peu colorée, œuvre d'un homme déprimé, inca-
pable de se passionner même pour la beauté littéraire car cela aussi : <•

est vanité ». S'est-il vraiment amusé, au temps où il écrivit l'Ecclé-

siaste, à tourner des vers? Qu'il ait pu citer tel ou tel proverbe, qui se
trouvait rendre exactement sa pensée, que parfois emporté par la force
de l'idée ou dominé par profondeur du sentiment il ait rencontré,
la

sans trop forme du ?/mc7/«/ traditionnel, c'est chose


la chercher, la
possible. Mais, dans l'ensemble, la poésie contenue dans le livre ne
lui ressemble guère et sans doute ne lui appartient pas. Aussi bien,
elle vient souvent à la traverse de ses réflexions et de ses développe-

(1) Inlroduction, p. 477.


LA COMPOSITION DU LIVRE DE LECCLESIASTE. 183

ments et les coupe fort mal à propos. On voit très bien dans quelques
cas ;v, 2; ix. lT-18; cf. iv. 9-12, qui n'est pas métrique) quelle asso-
ciation didées a provoqué l'insertion des sentences. Mais d'autres
fois le contexte ne les appelait pas et on se demande pourquoi elles

sont là (vil, 1-12. 19: viii, 1-i: x. lG-20 Il arrive même que leur .

présence heurte la logique la plus élémentaire. Dans vu, T. 20 par


exemple, on dirait de gloses marginales que le copiste n'a pas su
placer au bon endroit; dans v, 6, d'une glose illisible, doublet cor-
rompu de V,Souvent les vues que les sentences développent ne
2.

rentrent pas dans le cadre des idées de Qohéleth. Ainsi, tandis qu'il
proclame en simple prose la vanité de la sagesse (i. 17; ii, 15 ss. vn, ;

23, etc.), une autre main fait en vers son apologie vu. 1 1-12 viii. 1 : ;

x. 2-3. 12-li a Ailleurs, comme dans vu, 1-6, une intention de cor-
.

rection, ou du moins la volonté de prévenir une interprétation peu


morale de l'auteur, est assez transparente. Parfois, on croit entendre
successivement deux voix dont l'une répond à l'autre, ou plutôt dont
la seconde rectifie les assertions de la première (iv, 5; vi, T: x, 10-
11, 15: XI, 1-i, 6 On peut conclure, avec une probabilité plus ou
.

moins grande suivant les cas, que iv.ô. 9-12: v, 2. 6 « vi, 7: vu, 1- :

12. 18-22; VIII, 1-2 «, 3-i; ix, 17- x. i, 10-li ^/, 15-20: xi, 1-i, 6 sont
l'œuvre des sages ou du (la/iham, étant admis que ce vocable ne re-
présente pas nécessairement un individu unique.
Restent deux sections, l'une prosaïque, iv. t7-v. 6, l'autre de forme
poétique, xii, 2-6. dont l'origine est à déterminer. La première consti-
tue un petit traité sur les pratiques de religion, qui coupe en deux un
développement de Qohéleth sur le régime monarchique iv. 13-10 :

et v, 7-8. L'obscurité de ce dernier fragment n'est pas telle qu'on ne

puisse voir qu'il continue iv. 16, et que iv, 17- v, 6 vient maladroite-
ment à la traverse. Ce petit morceau n'a d'ailleurs aucun rapport avec
le but général de Qohéleth. ni avec aucune de ses conceptions parti-

culières. Sans doute. Dieu y est conçu d'une façon un peu sévère,
mais il en est ordinairement de même dans les livres de sagesse.
Siegfried et Me Neile. qui seuls enlèvent cette section à Qohéleth, l'at-
tribuent au hasid. Mais toutes les autres intercalations de ce person-
nage se rattachent directement à leur contexte et avec Tintention de
le corriger; les vv. iv. 17- v, 6 n'ont aucun point d'attache dans ce

qui les précède ou dans ce qui les suit, et on ne saurait dire pourquoi
ils sont à cette place. En réalité, ils peuvent aussi bien être l'œuvre

du hakham, carie thème des vœux était traditionnellement développé


chez les sages (cf. Prov. xx. 25: Eccli. xvni, 21-23;. Il est vrai qu'ils
sont en prose, mais il en est de même de iv, 9-12; vu, 10, 18-19, 21-
184 REVUE BIBLIQUE.

22;y,3-'i.: xi, 2-3 qui semblent bien avoir une origine sapientielle.
Nous sommes donc en présence d'un fragment de l'œuvre d'un sage
plus préoccupé du service divin que ne le sont ses pareils, et sans
doute apparenté aux classes sacerdotales. Le même casuiste a peut-
être écrit VII, 18, 21-2-2.
Presque tout le monde admet le caractère primitif dexii, 2-6. Sieg-
fried est seul à attribuer les vv. 1 b - 1 a au glossateur épicurien,
mais il n'y a pas lieu, avons-nous dit, de reconnaître une existence
réelle à ce personnage. Cependant, xii 2-6 contrastent singulière-
ment avec leur contexte : ils sont métriques, tandis que 1 et 7, qui les
encadrent, les introduisent ou les prolongent, sont en prose. La forme
versifiée a été reconnue à 3-5 par Renan, à 1 b-b a, 6 par Bickell,
à 1-8 par Driver 1 et à 1 6-T par Barton. Bickell et Haupt ont avec
1 1

raison laissé le v. 7 à la prose. Le premier n'a pu trouver le mètre


dans 1 b qu'en pratiquant des coupes sombres dans son texte, et le
second, en séparant les deux mots -l'zxn "'w'n et en attribuant chacun
d'eux à des membres parallèles différents; Zapletal ne vient à bout
de la difficulté qu'en variant le mètre au cours du verset (2 -f- 2;
2-1-2-4-2; 2-}-2 accents) et en acceptant une disposition qui s'ac-
corde mal avec le parallélisme. Tout exégète que l'esprit de système
n'aveugle pas reconnaîtra que le v. 1 est en prose. Mais ce n est pas
seulement la forme extérieure, c'est le caractère du style qui varie
brusquement entre 1 et 7 dune part, et 2-G d'autre part. Les vv. 1 et 7
sont sans images et la pensée est tout unie. Au contraire, 2-6 contient
une série de métaphores cherchées et présente quelque chose d'arti-
ficiel, voire de précieux et de subtil qui ne rentre pas dans les habi-

tudes de Qohéleth. Il est plus sérieux. Si l'expression de sa pensée est


souvent assez lâche, du moins ne s'amuse-t-il jamais à tracer autour
de son idée de ces arabesques gracieuses et fines, quelque peu pré-
tentieuses aussi. Son livre n'est pas une œuvre d'esprit; cet homme
parle de toute son âme. Il est trop pessimiste et trop sincère dans sa
désespérance pour prendre plaisir à ces fioritures. Si les grandes
douleurs ne sont pas toujours muettes, celles qui chantent, même et

peut-être surtout quand elles se chantent, sont déjà à demi consolées.


Il n'y a guère d'exception que pour les élégies qu'un zèle quelconque,
religieux ou patriotique, inspire, pour les douleurs qui veulent se
communiquer et se propager. Et encore, celles-là n'ont-ellcs point
perdu toute espérance. Mais trouverait-on au fond de xii. 2-6 un sen-
timent de ce genre? Un homme qui fait tant de poésie autour de sa

(1) Dans KiTTEL, BiOlia hebraica, Lipsiae, 1905-1900.


LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 185

peine n'est pas bien désolé ; le pessimisme de Qohéletli ne la pas at-

teint. Ces vers sont l'œuvre d'un sage encore jeune (Qohéleth ne l'était

plus qui poétise les misères de la vieillesse parce qu'il ne les a vues
.

que du dehors et n'en a pas soutï'ert.


La section préliminaire du livre i, i-11) mérite encore d'attirer
l'attention. Aucun doute ne peut subsister sur l'origine des ver-
sets 9-11 dont les idées (cf. ii, IG; m, 15: vi, 10 a; ix, 5) et le style
portent bien la marque de Qohéleth. Mais le début du morceau est
d'une langue plus sobre et plus ferme et la pensée prend un tour
sentencieux qui n'est pas dans les habitudes de notre auteur. Cepen-
dant, la conclusion contenue dans 9-11, et dont l'origine ne peut être
contestée, résume trop exactement l'impression qui se dégage des sen-
tences précédentes pour que celles-ci puissent être étrangères à la
pensée de Qohéletb. Elles ne le sont pas d'ailleurs complètement à
sa manière : il n'est pas difficile de retrouver dans 5 6-6 son style
surchargé et embarrassé, et la forme métrique, qui caractérise ordi-
nairement les additions sapientielles. est certainement absente de i-6.
Driver n'y trouve la mesure qu'en dérogeant aux lois du parallé-
Ksme forme un vers avec les trois derniers mots du v. 5 et les
: il

quatre premiers du v. 6. On ne peut reconnaître plus ouvertement


que 5 h est trop long et que 6 n'a pas la proportion des membres et
l'équilibre requis. Zapletal est obligé de retrancher les trois derniers
mots du V. 5, tout le commencement du v. 6 jusqu'à 'J'Ej,— "^n, et encore
22D un peu plus loin. Haupt est plus modéré. Mais s'il faut tant modi-
fier le texte pour réussira lui imposer le rythme, n'est-ce pas qu'il ne

contient que de la prose? Seule l'origine des vv. T-8 peut donc être
discutée. Leur forme métrique aisément perceptible éveille les soup-
çons. 11 est vrai que Qohéleth se rapproche par endroits du style sen-
tencieux (i, 18; II, 2, etc., et qu'il lui arrive de citer des proverbes
(i, 15; II, li). Serait-ce le cas dans T a? Le fait énoncé, de consta-
tation aisée, pouvait faire l'objet d'une sentence connue. Aristo-
phane ne dit-il pas, lui aussi, de la mer [Nuées, i29i) : ojBèv ';i-;-rz.-y.:

£-'.ip£:vTwv Tojv -z-.y.\j.Z)^/ -rrAsùov? D'autre part, -Fénumération commencée


au V. i était facile à prolonger et un sage a pu être tenté de l'éten-
dre. Surtout, le contenu du v. 8 ne s'harmonise guère avec son con-
texte. 11 trouble, semble-t-il, la suite des idées 9 viendrait mieux à
la suite de 7 ou de 6,. Enfin il a le tort de rappeler vi, 7. qui est du
ha/ihatn. Pour ces divers motifs, le v. 8 au moins paraît douteux.
Lequel, du hakham ou du hasid, a le premier exercé son activité
sur l'œuvre de Qohéleth? Me Neile et Barton donnent la priorité au
hakham, et ils ne pouvaient guère faire autrement puisqu'ils lui
186 REVUE BIBLIQUE.

attribuent, l'un xii, 11-12, l'autre xii, 9-13«, et au hasidles derniers


mots du livre. Sieefried. lui aussi, confère le premier rang- au
Ijakham, mais fait travailler après le hasid d'autres glossateurs (Q'')

auxquels il attribue en particulier y, 2, 6 a. Ces deux versets d'une


part et viii, 1-8 de l'autre commandent en effet la solution. Si iv,
17-v, 6 était démontré provenir du hasid, il faudrait reconnaître, en
raison de v, 2, G«, que l'intervention du Iiakham s'est exercée pos-
térieurement. Mais le fait supposé est au moins douteux. La priorité
du hakham ressort beaucoup plus clairement de viii, 1 ss. Ce com-
mencement de chapitre est très enchevêtré et les exégètes ne s'accor-
dent pas dans la détermination des sources. Mais le caractère mé-
trique du texte des vv. l-V apparaît assez nettement si on le débarrasse
de 26 (addition du hasid), ce qui est une forte présomption de l'ori-
gine sapientielle de tout le morceau. D'ailleurs, à en juger d'après
leur contenu, le v. 1, qui fait l'élog'e du sage, et les vv. 2-4, qui
dictent la conduite à tenir envers le prince cf. x, i, 20 etvoirProv.
XIV, 35; XVI, 13-15; xx, 2; xxiv, 21 xxv, 6, etc.), ne peuvent prove-
;

nir que du hakham. D'autre part, les vv. 5-8 reproduisent les idées
chères au hasid, et leur caractère composite permet seulement d'affir-
mer qu'il a utilisé des idées et des formules de Qohéleth. Or on sait
que les insertions du hasid \\&eni toujours leur contexte en vue de le
rectifier. Cette fois le pieux auteur n'a pu songer qu'aux versets 2-4

dans lesquels il aura découvert une morale trop utilitaire et oublieuse


de la sanction divine. Il est en effet impossible de croire que son in-
tention se porte sur vu, 23-28, sur lequel il a déjà fait ses observa-
tions (26 ô, 29 1
et qui, en tout cas, ne légitimerait pas le contenu de

viii, 5-8.L'intervention du hasid est donc postérieure à celle du


hakham, puisqu'elle s'exerce même sur les réflexions de celui-ci. Mais
la présence de gloses, comme v, 6; vu, 7, 19-20, corrompues ou mal
placées, semble prouver qu'à une date relativement récente, on sur-
chargeait encore de sentences sapientielles les marges du livre. Le
hasid ne serait donc pas le dernier des collaborateurs de Qohéleth,
et le terme de hakham devrait être considéré comme une raison sociale
recouvrant une série d'individus ou plutôt la collectivité des sages.

COXCLISIOX

Ce qui reste à Qohéleth, après qu'on a retranché du livre les con-


tributions du disciple, du hasid et du hakham, forme ce qu'on peut
appeler l'écrit fondamental. Cet écrit est d'une réelle unité. Par-
LA CO.MPOSITIU-N Dl LIVKE Ht LtCL-LtSlASTE. j[87

tout même même


pensée originale. La doctrine ne varie pas.
style,

non plus que les qu'on en tire. Un thème


conclusions pratiques
unique persiste au fond de tous les développements (1 Sans doute, .

on ne trouvera pas dans cet écrit une distribution absolument symé-


trique des parties, ni un enchaînement strict des raisonnements, ni une
progression irréprochable de l'idée. Il n'est point parfaitement com-
posé; mais il l'est comme un li^Te hébreu de la sagesse peut l'être,

aussi bien que .lob et mieux que Ben Sira.


Le livre était hardi et surtout susceptible d'être mal interprété. Il

serait puéril d'imaginer qu'à cette date la fiction salomonienne ait


pu le sauver. Tout le monde connaissait le véritable auteur. L'œuvre
fut accueillie cependant et mise au rang des paroles des sages 'xii,

11). Le fait serait peu explicable si la connaissance qu'on avait de


l'homme n'avait fourni l'interprétation de l'œuvre. Sans doute les
doctrines de Qohéleth étaient pour ses contemporains cf. B. S. xiv,
1-19; XLi. l-i: Eccli. xvii. 2-2-23) moins étranges qu'elles ne le paru-
rent plus tard aux chammaïtes et la difficulté tlu problème de la
rétribution ne leur échappait pas. Néanmoins si les susceptibilités tou-
jours en éveil, et d'ailleurs légitimes, du sentiment religieux laissè-
rent passer le livre ; moins à cause de son contenu
s'il fut accueilli, c'est
que grâce au prestige de son auteur. On admirait depuis longtemps
la profondeur de son génie. La dignité, l'austérité même de sa vie

tout entière consacrée à l'étude et à l'enseignement de la sagesse


r. 1:3; vin. 16-17: xii, 9-10 ,
garantissait aux yeux de tous le sérieux
de sa pensée et la droiture de ses intentions. Son attachement cons-
tant à la religion des pères interdisait d'élever le moindre doute sur
la sincérité de sa foi. Bref, le disciple, en attestant que « Qohéleth
s'était appliqué à écrire des paroles de vérité " (xii, 10 ne faisait ,

qu'exprimer l'opinion unanime de son temps. Il était en particulier


l'interprète des sages.
C'est d'ailleurs pour les sages que le livre avait été composé. Ce
serait une erreur de penser que tous les livres sapientiaux ont été
écrits pour la multitude. Leur langage, en apparence populaire, ne
doit pas faire illusion à cet égard. Les écrivains hébreux n'en avaient
pas d'autre à leur service. Us ne pouvaient écrire, ni même conce-
voir en philosophes; leur aux abstractions, ne sai-
esprit, réfractaire
sissait bien les idées générales que concrétées dans des cas typicjues.

Il est vrai que les prophètes avaient enseigné autrefois en s'adressant

(1) Seul Qoln-leth fait mention de la « vanité ». Ses collaborateurs lisnorent. Les deux
exceptions' qu'on pourrait citer sont sans valeur : vu, G est une glose à éliminer, car elle
n'a aucun sens à cet endroit, et v. 6 est un doublet corrompu de v, 2.
188 REVUE BIBLIQUE.

à tous. Mais par la suite, un travail de réflexion et d'élaboration de


la pensée religieuse devait s'opérer, auquel seule l'aristocratie intel-
lectuelle pouvait prendre part. L'Ecclésiastique nous a parlé \xxxviii,
33 -XXXIX, 11 cf. xxxiii, 16-19, dans G xxx, 25-27) de ces assemblées
;

où s'interprétaient les lois et s'élaboraient les sentences de sagesse,


où se discutaient parfois les plus graves problèmes théologiques et
philosophiques. Ben Sira en fut un membre assidu. Qohéleth en avait
été un des plus illustres maîtres, sinon le fondateur. C'est pour elles
qu'il rédigea ce qu'on pourrait appeler son testament philosophique, et

la corporation des sages le recueillit comme un héritage' précieux.


L'Ecclésiaste porte la marque de son passage dans ce milieu spécial.
L'Ecclésiastique nous donne à entendre que c'est parmi les sages
les plus distingués de l'assemblée qu'on choisissait les délégués qui
devaient traiter avec le prince et défendre auprès de lui les intérêts
delà nation (xxxis, i) seule cette circonstance explique pourquoi
:

notre livre s'inquiète tant de la conduite à tenir devant le roi, en un


temps où celui-ci résidait à Alexandrie ou à Antioche. Des conseils de
cet ordre dans un écrit destiné au peuple n'avaient aucune raison
d'être. Il n'en était pas de même dans l'assemblée des sages. Là se

formaient ambassadeurs de la petite Judée, et les conseils


les futurs
de patience (vu, 8), de calme (vu, 9), de support des colères
royales (viii, 2-4; x, i), n'étaient pas inutiles, hélas non plus que
1

les exhortations à la discrétion et au silence ix, 20), non plus que


le rappel du danger pour le sage de se laisser corrompre par les
dons ou par les menaces ;vii, 7). Ces sentences très caractéristiques,
d'autres encore que l'on pourrait citer vu, 5, 11 s.; viii, 1; ix,
17 s., etc.i, évoquent à l'esprit le milieu dans lequel l'écrit de Qohé-
leth fut reçu, étudié et complété.
L'Ecclésiaste devint pour les sages un thème de discussion, peut-
être un manuel d'enseignement. ne semble pas qu'on lui ait fait
11

subir aucune mutilation. Mais on l'enrichit peu à peu de remarques,


d'observations. Le livre appartenait à la corporation on pouvait y :

ajouter suivant les besoins. On ne tarda pas sans doute à trouver


que la sagesse était trop malmenée dans ces pages quelles que ;

pussent être ses lacunes, elle avait d'immenses avantages. Il fallait


les mettre en relief. Les premières additions furent donc un plai-
doyer yyro domo. Le style fut naturellement celui de la maison, et du
meilleur, sentencieux et métrique (vu, 11-12; viii, 1; x, 2-3, etc.). Un
peu plus tard, en un temps où le souvenir de l'homme excellent qui
avait écrit l'ouvrage commençait à s'effacer, où l'impression laissée
par ses exemples ne déterminait plus le sens de ses paroles, où quel-
LA COMPOSITION DL LIVRE DE LECCLÉSIASTE. 189

ques-unes de celles-ci recevaient déjà, de la part d'esprits malinten-


tionnés, une interprétation grossièrement épicurienne, la nécessité

apparut d'introduire dans le livret traditionnel la recommandation


expresse du sérieux de la vie vu, 1-7, etc. les sages n'avaient-ils
:

pas toujours été les défenseurs zélés de la morale? Vers la même


époque un sage uu peu ancien, successeur peut-être de Qohéleth dans
la chaire présidentielle et chargé à ce titre d'interpréter le livre, crut
devoir y insérer l'affirmation répétée de la rétribution temporelle.
Malgré les objections insurmontables auxquelles elle se heurtait,
cette doctrine longtemps reçue lui semblait préférable à celle de
Qohéleth, ou plutôt lui paraissait devoir être adjointe à celle-ci comme
un complément indispensable car il est remarquable que
; le respect
du livre ait interdit au hasid d'en rien retrancher et qu il se soit
contenté de juxtaposer ses conceptions à celle de Qohéleth. Il aura
compris que les esprits capables de porter sans réponse le poids du
lourd problème qui avait assombri la pensée du vieux maitre étaient
rares et que mieux valait, en attendant l'heure d'une révélation plus
complète, maintenir la doctrine commune, tout insuffisante qu'elle
fût : ne recouvrait-elle pas d'ailleurs une vérité de foi essentielle ?
L'Ecclésiaste subit encore quelques additions, mais sans but doc-
trinal précis. On confia à ses feuilles diverses remarques ou obser-
vations qu'on voulait g-arder par écrit. C'est ainsi que le blanc des mar-
ges fut utilisé et peu à peu surchargé, au point qu'on ne discerna pas
toujours par la suite le point d'attache des textes nouveaux. Le fait
que l'ancienne conception du cheol et de la survivance vi. 6; ix, 10)
ne fut pas amendée démontre que le livre était devenu intangible
avant que cette croyance fût dépassée, c'est-à-dire au cours du ii- siè-
cle avant Jésus-Christ. Muni des interprétations et compléments du
hakham et du hasid, l'Ecclésiaste sortit enfin du milieu fermé des
sages pour servir à l'instruction du peuple. Peut-être cet événement
ne se produisit-il pas avant l'ère chrétienne ou avant la reconnais-
sance officielle de la canonicité du livre. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il

parut au grand jour, le progrès de la révélation, en répandant la


connaissance des rétributions futures, avait depuis longtemps fait
disparaître le danger que sa lecture pouvait causer aux âmes faibles.
Le ajouté à une date à laquelle, le souvenir de l'auteur
titre fut enfin

ayant totalement disparu, la fiction des deux premiers chapitres avait


fait croire àlorisine salomonienne de l'œuvre.

l/hypothèse qui vient d'être exposée parait suffisamment rendre


compte des particularités de l'Ecclésiaste. Elle n'a rien qui doive sur-
prendre. La pluralité d'auteurs ne présente pas pour les livres de sa-
190 REVUE BIBLIQUE.

gesse les inconvénients qu'on pourrait avoir à redouter pour les


livres historiques il). Les Proverbes ne se donnent-ils pas eux-mêmes
pour l'œuvre de sages différents (Prov. i, 1 x, 1, et i, 6; xxv, 1; ;

XXX, 1 XXXI, 1 (2)? Il n'y a rien d'étrange non plus à ce qu'un auteur
; )

inspiré soit interprété par un autre. On pouvait bien dire de l'œuvre


de Qohéleth ce qui a été écrit des lettres de saint Paul « Il s'y trouve :

des passages difficiles à comprendre, dont les ignorants et les mal


affermis dénaturent le sens, comme des autres Écritures, pour leur
propre perte » (II Petr. lu, 16). Quoi d'étonnant à ce qu'un écrivain
postérieur ait jugé bon de l'expliquer? L'épitre de saint Jacques
(Jac. II, 1V--26) ne veut-elle pas nous apprendre, au témoignage de
saint Augustin 3 1
), commentnous devons entendre celles de saint Paul?

D'ailleurs, il n'y aurait pas entre les divers auteurs d'opposition de


principe. La divergence, même entre le hasid et Qohéleth, ne porterait
guère que sur la façon d'apprécier une opinion qui était alors objet
de discussion libre la rétribution se réalise-t-elle, ou non, en ce
:

monde? Et encore est-il permis de penser que le liasid n'était pas


tellement sur que les sanctions terrestres fussent toujours suffi-
santes car il s'est bien gardé de supprimer aucune des propositions
:

par lesquelles Qohéleth le nie (i). et celles qu'il a lui-même intro-


duites dans le livre trahissent surtout la préoccupation de sauve-
garder la justice de Dieu et l'existence d'une rétribution. Mais Qohé-
leth, de son côté, ne doute pas de cette justice en elle-même, bien
qu'il ne parvienne pas à découvrir comment elle s'exerce; il est tout
aussi désireux que personne d'une sanction morale (vni, li; ix, 3);
et il ne méconnaît pas que le débauché tout au moins ne porte

ici-bas la peine de ses excès (vii, 17, -25 b). Surtout, il ne prétend pas

(1) Le hakham et le hasid auraient joui du privilège de l'inspiralion aussi bien que
Qoliélelh. On peut dès lors appliquera l'EccIésiaste ce que saint Grégoire le Grand écrivait
du livre de Job Inler muHos saepe qiuieritur, quis libri beati Job scriptor habeatur...
:

Sed quis haec scripserif, valde supervacue quaerilur. cum tamcn auctor libri Spirilus
sanctus fidcliter credatiir. Ipse igifur haec scripsit qui scribenda diclavit. Jpse scripsit,
qui et in illius opère inspirator exlitit, et per scrihen/is vocem imilanda ad nos cjus
facta transmisif. Si maijni citjusdamviri susceptis epislolis legeremus verba, sed que
calamo fuissent scripta quaereremiis, ridiculuni profccto esset epistolarum auctorem scire
sensumque cognoscere, sedquali calamo earum verba impressa fuerint indagare. Cum
ergo rem cognoscimus, ejusque rei Spiritum sancttim uuclorem tenemus, quia scriplo-
rem quaeriinus, quid aliud agimus, nisi legenles litteras, de calamo perconlamur {Li-
bri Moralium Praefatio, c. i, 1, 2: P. L., LXXV, 515, 517). On sait que les vues de saint
Grégoire le Grand ont été adoptées par un assez grand nombre de théologiens et de com-
mentateurs CoNDAMiN, RB., 1900, p. 33 s.).
(cf.

(2j Cf. J. Knabenbaier, Commentarius in Proverbia, Parisiis, 1910, p. 13.

(3) De diversis quaestionibus octoginla tribus liber unus, Quaest. 76 (P. L., XL, 87 s.).

(4) S'il avait toute facilité d'ajouter au livre, n avait-il pas aussi celle de retrancher'^
LA COMPOSITION DL [.IVRE DE LECCLÉSIASTE. 191

que le jugement qu'il émet sur la vie corresponde à la réalité tout

entière. Il sait bien quune partie de celle-ci nous échappe toujours.


N'est-ce pas précisément lorsqu'il traite de la rétribution qu'il écrit :

« Tout est vain aux regards des hommes » ix, 1-2 1


1 1 i ? N'affirme-t-il pas
ailleurs l'existence d'un plan divin impénétrable au\ investigations
humaines m. 11; vni, 17; xi. 5 ? Et n'est-ce pas justement la révé-
lation de ce dessein caché de Dieu qui devait bientôt fournir la solu-

tion du douloureux problème?


Quoi qu'il en soit de l'hypothèse qu'on vient d'examiner, et lors

même quelle on ne doit point perdre de vue que le


serait adoptée,

livre reconnu canonique par la Synagogue, celui que l'Église a reçu,


c'est l'Ecclésiaste tout entier, tel cpie le comportent nos Bibles. Sa

doctrine n'est pas à déduire dune partie seulement des textes qu'il
contient. Tous sontégalement à considérer, les uns devant au besoin être
tempérés, ou, si l'on veut, éclairés par les autres. Or, à ce point de
vue. qui n'est plus hypothétique, l'Ecclésiaste ne le cède en rien aux
divers écrits de sagesse de l'Ancien Testament hébreu. Il se résume en
une leçon de détachement du monde présent et de religion envers
Dieu : « Tout est vain ici-bas. sauf la vertu: car Dieu la récompensera
à son heure. L'homme peut jouir des biens de cett« vie, mais seule-
ment dans la mesure permise par la loi morale et en se souvenant

qu'ildevra rendre compte de tous ses actes à son Créateur » 17; m,


vin, 5; XI. 9 c\ xii, 1. lo-li Le livre qui contenait de pareils ensei-
.

gnements méritait d'entrer dans le recueil des Écritures, et tout dé-


passé qu'il soit par la révélation évangélique. il peut être utile encore
aux chrétiens.
Lyon. 21 novembre 1911,
E. PODECHARD.

(1) D'après les Septante, qui gardent ici la leçon primitive.

-6-==3i-<C>9c:>-S-
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTETE
ET LE CHRISTIAMSME
[Suite {\)]

C'était une vérité religieuse traditionnelle que Zeus était le père des
dieux et deshommes. Zenon l'avait accommodée à son système, en di-
sant que Dieu était « le créateur de l'univers, et comme le père de

toutes choses, soit en géaéral, soit par cette partie de lui-même qui
pénètre tout (2) », sans craindre pour son monisme rigoureux ce
terme de père qui pouvait suggérer une personne distincte. Aussi
Sénèque ne faisait-il qu'appeler les choses par leur nom stoïcien en
mettant le monde à la place de Dieu " Le monde est Tunique père de :

tous, que la première origine de chacun remonte à lui par des degrés
illustres ou vilains! 3). » Selon son système d'équivalents, il pouvait aussi
nommer la nature i ou les dieux (5). Naturellement Dieu aussi est
,

notre père; il a, surtout pour les hommes vertueux, des sentiments


paternels 6 Les hommes sont donc parents entre eux, et Sénèque a
.

prononcé cette admirable parole, que l'homme est ou doit être sacré
pour l'homme 7'. Il regardait la bienfaisance comme une vertu stoï-
cienne, et en étendait l'exercice jusqu'à des ennemis 8;.
Cependant il a tiré peu de parti de ce dogme sublime, et il ne dit
nulle part expressément que les hommes sont fils de Dieu 9).
Quand il recommande la bonté pour les esclaves, il dit, avec un sen-
timent résigné aux vicissitudes de son temps, que nous sommes tous

(1) Voir Revue, 1912, p. 5-21.

(2) DiOG. Laert., VII, 147.


(3) De Benef. III, 28, 2 ; cf. £p. 31, 11.

(4) Ep. 95, 52 : membra sumns corporis magni. Xalura nos cognatos edidil, cum ex
isdevi et in eadem giqneret.
(5) Ep. 44, 1 omnes fi ad originem primam j-cvocantur. a dis sunt.
:

(6) Ep. 110, 10 deus et parens nosler...: De Benef.U, 29, 4 parens nosier ; De Prov.
: :

2, G : palrium deus habet adversus bonos viros animum amat. et illos forliter

£p. 95, 33: homo sacra res /lomini.


(7)
(S) Dial. VIII, 7,4: Stoici vestri dicnnt... non desinemus communi bonooperain dare,

adiuvare singulos.opein ferre etiam iniviicii...


(9) Les Césars, qui disgeniti deosque genituri dicuntur [Dial. X, 15, 1), sont naturelle-

ment une exception.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME. 193

esclaves, puisque nous ne savons pas ce que nous réserve la fortune (1).
Et, ce qui est surtout de notre sujet, Sénèque n'encourage pas les
hommes à la vertu parce que Dieu est leur père.
La doctrine d'Épictète est la même : Dieu est le père des hommes.
Il père de tout ce qui existe, mais spécialement des êtres raison-
est le
nables, parce que la raison leur permet d'entrer en communion avec
lui. Reprenant une étonnante parole de Posidonius, la société la
plus noble est pour lui celle qui se compose des hommes et de Dieu (2).
Au lieu de dire les dieux, Épictète dit Dieu, non sans intention, car
il entend tirer de cette relation entre Dieu et les hommes des consé-

quences importantes (3.


La première, c'est que l'homme qui aura su l'apprécier à sa valeur
n'aura de lui-même aucune idée basse. Sollicité quelquefois par cette
autre parenté que nous avons avec la matière,
ne se laissera pas il

entraîner. bien pénétré de cette pensée que Dieu est son


S'il était
père, au lieu d'être séduit par les biens du monde, ne devrait-il pas
être emporté vers sa divine patrie? Aucune chose de ce monde ne
peut ni l'etirayer, ni exciter ses désirs. Épictète semble avoir compris
qu'il allait plus avant que ses devanciers quand il demande à son
auditeur Pourquoi ne t'appellerais-tu pas fils de Dieu (4)? » Ce-
: «

pendant il regarde ensuite comme acquis que Zeus ne laisse pas


réduire en esclavage son propre fils (5) ». Et tout cela se déduit en
«:

somme logiquement Dieu et l'homme ne sont liés que par la nature.


:

Il n'y a pas là trace d'une adoption qui supposerait un choix de la


part de Dieu, ni, de la part de certains hommes, une affection tendant
vers la personne du Père. Tout cela est impossible dans le stoïcisme
rigoureux. On trouve cependant dans Épictète une dérogation à pro-
pos d'Héraclès, le patron divin des cyniques. C'est parce qu'il aimait
Zeus plus que toute chose qu'Héraclès a été regardé comme fils de
Zeus et qu'il en effet. La ressemblance entre ce texte et une pa-
l'a été

role de la première épitre de saint Jean est telle qu'on s'étonne que
M. Bonhôffer ne l'ait pas signalée (6). Il est difficile qu'elle soit due

(1) Ep. 47, 1 : « servi sunt » iinmo conservi.


(2) DioG. Laert., vit, 138 : -/.ôcfio:... <7Û(i-r,aa Iv. Oîôiv xal àv9pa)T:tov. Cic. De nat. deor. II,

154: Est enim mundus qtiasi communis deoriim algue hominum domiis aut urbs utro-
rumque.
(3) Les chapitres 3 et 9 du {' livre sont consacrés à ces déduction?.
(4) I. 9, 6.

(5) I, 19.9.
(6) Ep. Diss. IL 1(3, 44 : à),/."o05jv siÀTcOOv -oO bio'j. oià toOto i-'.a-z-'Ar, Aiô; -j'Ô; îlva; y.ai

V. 1 Jo.,3, 1 : \ot~t noTa-riv àYâ;:r,v géSw/.jv r,u.vv 6 aaîr,? l'va TÉxva 6ïoC /.)r,6wtAcv, xai èchév ;

cf. Diss. m, 26, 21.


niCVUE BIBLIQl T. 1912. — N. S., T. IX. 13
194 REVUE BIBLIQUE.

au hasard. L'idée d'une par l'amour est bien une


filiation constituée
comme au meilleur des amis.
idée chrétienne. Héraclès allait à Dieu
« Ce n'était pas une vaine parole pour lui que Zeus est le père des

hommes, Zeus qu'il regardait comme son propre père, et qu'il invo-
quait, et vers lequel il se tournait dans toutes ses actions f(l). » Or
Héraclès était le modèle du vrai sage ; il dépendait donc de chacun de

devenir de cette façon fils de Dieu.


Selon les principes de l'école, c'est à l'homme qu'appartient le pre-
mier en mettant le bien à la
rôle. Le dieu des stoïciens avait fait assez
portée de l'homme et en son pouvoir. C'est en cela qu'il avait agi en
père (2). Le dogme lui interdisait toute action spéciale de grâce envers
les individus. Sa Providence vis-à-vis des sages, de ceux qu'il aimait
fortement, comme disait Sénèque, consistait simplement à les exposer
à des épreuves plus dures, comme il avait fait pour Héraclès, son
propre fils (3). Nul homme n'est orphelin, puisque Dieu, père des
hommes, s'occupe sans cesse de tous \k). Les exigences de la doctrine
étant ainsi satisfaites, Épictète laisse percer un sentiment nouveau. Se
pourrait-il que Dieu ne s'occupe pas davantage de ceux qui ont con-
sacré leur vie à son service? « Dieu aurait-il si peu de soin de ses pro-
pres affaires, de ses ministres, de ses témoins, les seuls dont il se
serve pour prouver aux ignorants qu'il existe, et qu'il administre bien
l'univers, et qu'il n'est pas indifférent aux choses humaines, et qu'un
homme vertueux n'a rien à redouter du mal, ni dans la vie, ni dans
la mort (5)?» Cette question, le sentiment religieux la résout évi-
demment par l'affirmative. Mais la Providence d'Épictète ne promet
pas aux serviteurs de Dieu de les mettre à l'abri des maux. S'ils man-
quent du nécessaire pour vivre, c'est que Dieu leur donne le signal de
la mort. Au lieu de l'attendre, comme c'est le devoir du chrétien, le
stoïcien en devance l'heure, parce quejuge de ce le sage est le seul
qui convient à sa dignité. Le philosophe revient aux maximes de ici

l'école. Cependant, en rappelant son soldat, le général lui donne


encore une preuve qu'il n'a pas cessé de veiller sur lui. La confiance
en la Providence du Père revêt désormais des expressions plus fami-
lières elle a pris un accent nouveau. Involontairement on songe à
;

l'Evangile « Ne dites pas : que mangerons-nous? ou que boirons-


: :

nous? ou de quoi nous couvrirons-nous? car ce sont là les soucis des


:

(1) m, 24, 16.


(2) III, 24, 3 : Tov y.7i86[A£vov rijjLwv y.ai irarpixiB; 7îQoV(JTâu,£vov.

(3) m. 26, 31
(4) III, 24, 15.

(5) 111, 26, 28.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'EPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 193

gentils. Votre père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces
choses (1). ))

On dirait donc, dansÉpictète, d'un sentiment de foi en la Providence


spéciale de Dieu sur ceux qui se consacraient à son service. C'était le
rôle du philosophe cynique, preuve vivante de la Providence de Dieu.
Le cynique avait tout quitté pour Dieu, et il ne manquait de rien.
« Je vous ai été envoyé par Dieu comme exemple, pouvait-il dire,

n'ayant ni possession, ni maison, ni femme, ni enfants, ni même de


couchette, ni de tunique, ni d'ustensile, et voyez comme je me porte
bien (2i. » Et cette fois encore on se rappelle la parole du maître :

" Personne qui ait quitté maison, ou femme, ou frères ou parents, ou

enfants, pour le royaume de Dieu, qui n'ait reçu beaucoup plus en


ce siècle (3). »

Épictète lui-même n'était pas marié, et avait conscience d'être de


ceux qui servent à Dieu de témoins, qui le justifient, qui déclarent
qu'il a toujours raison. Le mal, l'éternel argument contre la Provi-
dence de Dieu, ne peut rien contre elle, puisqu'il est vaincu par le

sage. Et, parmi ces témoins, nul, à notre connaissance du moins,


n'a parlé du gouvernement divin avec une conviction plus profonde,
un enthousiasme plus passionné, qui élève son style assez terne jus-
qu'au lyrisme. C'est même ce qui frappe le plus à la lecture d'Épic-
tète, et l'on cite hymne à la Providence, que
toujours volontiers son
en labourant ou en prenant son repas
l'on devrait chanter, disait-il, :

« Dieu est grand, parce qu'il nous a donné ces instruments pour

travailler la terre. Dieu est grand, parce qu'il nous a donné des
mains, un gosier, un estomac, parce qu'il nous a donné de grandir
sans nous en apercevoir, et de réparer nos forces en dormant... »

Mais surtout nous a donné la raison. « Quoi donc? puisque vous


il

êtes tant d'aveugles, ne fallait-il pas quelqu'un qui s'acquitte de cet


emploi, et qui chante au nom de tous l'hymne à Dieu? Car que puis-je
faire, moi vieillard et boiteux, si ce n'est de louer Dieu? Si j'étais

rossignol, je chanterais comme un rossignol; si j'étais cygne, comme


un cygne. Je suis un être raisonnable; je dois chanter Dieu (i)! »

Celui qui parlait — qui chantait ainsi, — s'était fait une habitude de
voir Dieu en toutes choses et d'agir pour lui plaire. Espérait-il lui
demeurer uni après cette vie? Les savants qui, le plus récemment, se
sont occupés d'Épictète, M.M. Bonhôffer et Colardeau répondent que

;i) Mt., 6, 31 s.

(2) IV. 8, 31.


(3) Le, 18,29 s.

(4)1, 16, 17 ss.


196 REVUE BIBLIQUE.

non. Contrairement à la tendance la plus générale chez les Stoïciens,


le philosophe n'aurait pas admis l'immortalité deTàme. Et, en effet,

certains textes sont assez signilicatifs. H était d'accord avec l'école

pour reléguer aux fables l'Hadès, l'Achéron, le Cocyte et le Pyriphlé-


géthon (1). Lors donc qu'il parle d'aller dans l'Hadès, c'est une expres-
sion courante qu'il ne faut point serrer de trop près. Avec l'école, il
admettait encore que Zeus seul survit à l'embrasement général qui
termine la présente époque du monde (2) les âmes ne pouvaient ;

avoir la vie plus dure que les dieux. Et les stoïciens, surtout depuis
Panétius, avaient-ils une doctrine ferme sur la conscience que l'âme
séparée du corps pouvait garder d'elle-même?
Interrogé sur l'immortalité de l'âme, le cynique Démonax répondait :

(( Certes, elle est immortelle ! Comme tout le reste (3) ! » C'est bien la
solution d'Épictète : « Où vas-tu? vers rien d'effrayant; vers ce dont tu
es venu, vers des amis et des parents, vers les éléments (4) »... « Je
ne serai donc plus? —
tu ne seras plus, mais tu seras quelque chose
dont le monde a besoin maintenant. Car toi-même, tu as pris nais-
sance non quand tu las voulu, mais quand le monde a eu besoin de
toi (5) », C'est si net, avec une précision scientifique, qu'on dirait
bien le dernier mot d'Épictète sur le plus grave des problèmes. Ail-
leurs, quand il s'abandonne au sentiment religieux, il ne paraît pas
douter que quitter la vie c'est rejoindre les dieux. Parent des dieux,
c'est vers eux qu'on retourne. Enflammé de ce désir, le disciple de-
vrait dire à son maître « Épictète,... ne sommes-nous parents de
:

Dieu, et ne sommes-nous pas venus de là? laisse-nous retourner d'où


nous sommes venus, laisse-nous détacher ces chaînes qui nous lient et
nous pèsent (0) » ... « L'homme est par nature une âme, attachée à
un cadavre et qui le porte (7)... »
Y a-t-il donc contradiction? Non, car elle se résout en dégageant
l'équivoque. Retourner vers les dieux, vers Dieu, pour une âme rai-
sonnable, c'estretourner vers les éléments dont elle fait partie. L'âme
est un fragment de la raison qui retourne à la raison universelle. Cela
ne veut pas dire qu'elle se dissipe comme un souffle matériel. Cela ne
veut pas dire non plus qu'elle conserve son individualité. Sénèque s'est

(1) III, 13, 15.


{•>) III, 13, A.

(3) Lucien, Démonax, 32.

(4) III, 13, 14.

(5) III, 24, 94.

(6) I, 9, 11 ss.

(7) Frag. 26 : ij'^'yocp'o'' î^ paatâsov vexpov


L\ PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 197

préoccupé davantage de ce qu'il deviendrait, lui Sénèque. Tantôt il

admettait une immortalité véritable, tantôt il n'osait l'espérer. Épic-


tètesemble avoir pensé que l'âme séparée du corps devenait plus
purement divine. Il est plus dogmatique, à son habitude, mais se
contente de peu.
peu à espérer, elle n'avait non plus rien à craindre.
Si l'âme avait
Épictète qui a poursuivi si vigoureusement le péché, la vie de péché,

et qui voyait tout en Dieu, n'a pas dit que Dieu punirait le péché.
Et il ne pouvait guère le dire. Dieu ne saurait être plus sévère pour
le pécheur que le sage, et le sage avait des trésors d'indulgence pour

le péché lui-même, puisqu'il est toujours le résultat de l'ignorance,

bien plutôt que de la mauvaise volonté. Chaque homme fait toujours


ce qu'il croit être le meilleur, puisque le bien se confond avec l'utile.
Il faut blâmer le pécheur, pour l'instruire, mais il ne servirait guère de
punir. Et comment Dieu le punirait-il? En lui enlevant les biens de ce
monde? Ils sont indifférents et plutôt un obstacle pour la vertu... en
lui envoyant des maux? Mais ce serait plutôt l'occasion d'exercer sa
patience. Après la mort, les mauvais comme les bons retournent aux
éléments dont ils sont sortis.
De sorte qu'après avoir obéi à Dieu pour lui plaire, le sage ne saura
jamais si Dieu lui-même est content, autrement que par le témoignage
de sa conscience et sa propre satisfaction. On s'extasie sur l'héroïsme
d'une morale si désintéressée, mais on ne prend pas garde qu'elle re-
pose sur un acte de foi, sans l'autorité divine de la révélation, et, en
somme, sur une équivoque, puisque Dieu n'est pas complètement dé-
taché de la nature. Sommes-nous donc réduits à tenir pour négli-
geable tout ce qu'on pourrait désirer ou craindre légitimement, à
renoncer à tant de satisfactions naturelles, pour le plus grand
honneur d'une nature sourde et aveusle! Quand Marc-Aurèle aura
dépouillé la philosophie d'Épictète de son apparence monothéiste, il
reviendra par moments au doute de Sénèque sur l'immortalité, pour se
défendre du désespoir 1 On comprend dès lors une fois de plus com-
.

bien le Dieu d'Épictète cadre mal avec le système stoïcien. La vertu


la plus désintéressée ne peut se contenter de servir un fantôme; elle

ne peut être joyeuse s'il lui est interdit à jamais de connaître celui
auquel elle a tant sacrifié.
Il presque aussi difficile de savoir ce qu'Epictète pense des
est
dieux,que ce qu'il pense de Dieu. Arrien emploie le pluriel sans
comparaison beaucoup moins souvent que le singulier. Encore, lors-

1) Cepeadant il affecte d'y renoncer si les dieux l'onl voulu ainsi.


198 REVUE BIBLIQUE.

que le texte dit : « les dieux », c'est très souvent une expression
synonyme de Dieu, ou du divin. On peut donc croire avec M. Colar-
deau (1) qu'Épictète ne parlait des dieux que pour se conformer aux
habitudes du langage vulgaire. C'est ainsi que philosophe prouve le

indifféremment l'existence de Dieu ou des dieux, sa ou leur provi-


dence (2). 11 faut obéir aux dieux, les suivre, leur plaire, comme il
faut obéir à Dieu, le suivre et lui plaire. Parfois la phrase, com-
mencée par le singulier, continue
au pluriel (3). Et en effet.
Dieu étant la raison universelle, on peut la concevoir dans son en-
semble ou selon ses attributs distincts ou ses fonctions. D'ailleurs
Épictète, non plus que les Stoïciens plus anciens, ne songeait pas à
nier l'individualité des dieux. Puisque la raison divine se distribuait
chez les hommes en monades indépendantes, elle pouvait aussi cons-
tituer des entités supérieures, et c'est ainsi, dans le sens du pan-
théisme et du polythéisme, qu'Épictète a pu dire après l'antique
Thaïes : Tout est plein de dieux et de démons (4). Les dieux, c'étaient
sans doute les grandes forces de la nature ; lesdémons ne sont cités
qu'en passant et ne pouvaient jouer dans le système des stoïciens le
même rôle que dans le néo-platonisme. En tout cela Épictète suivait
le grand courant de l'école. Mais on pouvait faire plus ou moins de
place à ces êtres supérieurs qu'on nommait des dieux. Notre philoso-
phe, nous venons de plus souvent que
le dire, ne les nomme le
comme cependant quelques-uns des
des équivalents de Dieu. Il cite

plus illustres. Il reproche même leur scepticisme à ceux qui mangent


du pain, et qui prétendent douter de l'existence même de Déméter,
de Koré ou de Pluton (5). Cette association d'idées indiquerait qu'É-
pictète admettait l'explication naturelle des stoïciens sur la nature
des dieux. Mais c'était là de la théologie, et il se souciait beaucoup
plus de morale. Il a bien dit en général que les dieux « sont, par
nature, purs et sans tache (6) », mais il ne s'est pas soucié d'établir
cette proposition à la lumière des histoires mythologiques, et le
temps lui eût paru mal employé, consacré à des explications sa-
vantes et peu vraisemblables de ces histoires scabreuses. Il était
beaucoup plus simple de citer les traits de la vie de Socrate et de
Diogène. Leur vertu éclatait, pensait-il, au sens littéral. C'étaient

(1) Op. laud., p. 51, note 7.

(2) I, 12, I.

(3) II, 14,11.


(4) III, 13. 15; cf. Dior.. Laert. I, 27.

(5) 11, 20, 32.

(6) IV, 11, 3.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 199

des hommes comme nous, dont les exemples entraînaient l'ànie

mobile des jeunes gens. Héraclès fait exception, mais aussi figure-
t-il comme un homme. Les Dioscures, Asklépios, Hermès, Héphaistos
ne sont cités qu'à la cantonade. On n'entend nommer Héra, Apollon,
Athéné, ces divinités chères aux Grecs, qu'au moment où elles dis-
paraissent dans la conflagration universelle. Zeus seul demeure et

domine tout, mais Zeus est identifié avec Dieu, il est seul Dieu.
Épictète n'a donc pas voulu rompre avec le polythéisme gréco-ro-
main, mais il lui a fait une place si petite qu'il ne représente pres-

que rien dans sa doctrine, et rien dans ses sentiments. Les mots de
grâces aux dieux, remercions les dieux, appartiennent au style cou-
rant, sans évoquer distinctement l'image des dieux de la Grèce ou de
Rome. C'est Dieu que le philosophe remercie, dans les termes émus
que l'on sait, c'est bien à lui qu il veut plaire, c'est lui qu'il prie de
l'employer à son se'?vice, n'importe où. n'importe comment, dans
quelque état que ce soit. C'est à Dieu enfin qu'il rend ses comptes au
moment de mourir, heureux d'avoir été. devant l'humanité tout en-
tière, le fidèle témoin de sa sagesse et de sa bonté. On ne voit
pas que ses dieux, considérés isolément, s'occupent beaucoup des
hommes, ni qu'il ait eu envers eux cette tendresse de cœur qui est le

trait le plus touchant de son attitude envers Dieu.


On comprend mieux cette nuance en lisant Marc-Aurèle. La propor-
tion estsimplement renversée. Dans les Pensées, il est très peu question
de Dieu, beaucoup des dieux. Le César affirme l'unité de Dieu (1) plus
nettement qu'Épictète, mais, après cette déclaration de principe, il ne
s'occupe guère que des dieux. C'est à eux que va le sentiment re-
ligieux de son àme. Non qu'il aime à les citer par leur nom. Il serait
lui aussi choqué par leurs histoires, et il ne veut pas s'embarrasser
dans des allégories forcées. Avec cette candeur qui est le côté le plus
attrayant de cette nature exquise, il accepte ce que sa foi lui dicte
sur Ja perfection, la pureté morale et la sainteté des dieux. C'est à
eux qu'il rend grâce, avec une reconnaissance ingénue, d'avoir évité
ce qui eût pu souiller sa jeunesse: il les remercie de leurs dons, de
leurs inspirations et s'il n'est pas plus vertueux, il n'en accuse que
;

lui-même (2). C'est aux dieux qu'il rendra grâce au moment de mou-
rir, avec sérénité, sincèrement, et du fond du cœur (3). Si l'on

mène une existence semblable à celle des dieux, les dieux ne de-

(1; vil, 9.
(2) I, 17.

(3) 2, 3 : '.'t.zuiz.. iù.rftù}- y.ai àîrô y.apo;a; i\r/j.ç.:i~o- TOt;6ioî;


200 REVUE BIBLIQUE.

manderont pas autre chose (1). On comprend que, dans ses médita-
tions solitaires, n'ait pas la note lyrique d'Épictète chantant devant
il

louanges de Dieu. Puis, nous venons de le dire, plus


ses disciples les
fidèle aux principes du stoïcisme panthéiste, il confond davantage
Dieu avec la nature, cette nature qui n'est pas toujours bonne ni
clémente. L'hymne à la Providence devient un plaidoyer en faveur
des dieux.

Essayons de préciser ce qu'il y a de nouveau dans le stoïcisme


d'Épictète.Au moment où il parut, la sève du système était depuis
longtemps épuisée. Un esprit aussi pénétrant, aussi subtil, aussi in-
génieux que celui de Chrysippe, n'avait pu résoudre les contradic-
tions qu'il renfermait. Le stoïcisme était un paradoxe perpétuel. En
principe l'homme était maitre de sa destinée, et cependant sa volonté
faisait partie d'un enchaînement de causes rigoureusement déter-
minées; tout était réglé par le destin. On invitait cette volonté, libre
en apparence, au plus vigoureux efibrt moral, et cependant le mal
moral rentrait dans l'ordre de la nature universelle, il était néces-
saire à son harmonie; on concédait qu'il était inutile d'attendre la
vertu du plus grand nombre. C'était agir de la manière la plus
parfaite que d'agir selon la nature, et cependant les inclinations de
la nature ne satisfont guère un idéal moral un peu élevé, tandis
qu'à l'inverse l'austère vertu stoïcienne choquait souvent les aspira-
tions les plus légitimes de la nature. Le sage était seul riche, seul
roi, seul parfaitement heureux, et il gémissait sur la paille. Les Ro-
mains, incapables de se débrouiller dans la dialectique de Chrysippe,
n'ont vu dans le stoïcisme que son admirable élan vers une vertu
très haute. Il parut sans doute à Épictète que cet élan était entravé
par le fatalisme, et que la nature n'était pas un but assez élevé. Il

voit Dieu partout. Agir selon la nature pour procurer des fins univer-
selles, c'est un motif trop pour entraîner les cœurs. Plaire à
abstrait
Dieu est plus noble pour une âme rehgieuse. Du destin
et plus clair
qui détermine nos actes, il ne sera plus question. Par un véritable
acte de foi, il faut croire que Dieu nous a donné le libre arbitre, et
que lui-même est impuissant à le contraindre. Dieu est le principe de
la liberté, comme le terme le plus noble de ses efforts. Il est le Père
des hommes qui doivent s'unir à lui et lui ressemlîler. La morale
stoïcienne tout entière devient une morale de monothéiste.

(1) H, 5.
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DÉPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME. 201

Mais en même temps l'équilibre du système se rompt au prolit de


Dieu qui entraîne tout de son côté. Les anciennes contradictions sont
remplacées par une contradiction plus évidente. Le Dieu des stoïciens
qui se confondait, qui se confond encore avec le monde, ne peut jouer
le rôle du Dieu unique des monothéistes purs.
Dieu fait effort de la nature, il attire à lui toute 1 ame
pour sortir
du philosophe, sans ag-ir sur sa volonté. Au moment de retourner
à Lui, après la mort, l'âme, au lieu de trouver enfin Dieu, se résout
dans les éléments dont elle était issue. Elle le cherche toujours, et
avec passion, sans espérance de le rencontrer jamais, plus malheu-
reuse, étant ainsi frustrée de l'objet de ses aspirations,
que le stoïcien
ancien, moins épris du divin, et qui ne se refusait pas d'autres plai-
sirs, conformes ou non à la nature. Il y a donc, dans le système

d'Épictète, pénétration d'éléments étrangers, ou du moins une cer-


taine perturbation causée par le voisinage d'une autre doctrine, comme
un astre modifie sa course normale sous l'influence d'un autre astre
qui l'attire, sans pouvoir l'entraîner. Quel est cet élément étranger,
ou la doctrine qui a exercé sur lui cette influence?
Son enthousiasme, qui est si caractéristique, s'expliquerait peut-
être suffisamment par son origine personnelle. Épictète était phrv-
gien. La Phrygie a été, dans l'antiquité, célèbre comme le pays des
transports religieux, exaltés et excessifs. C'est peu après la mort du
philosophe que Montan, né lui aussi en Phrygie, menaça le chris-
tianisme d'une invasion de charismes spirituels désordonnés.
Cela dit pour donner satisfaction à une théorie en faveur, et qui
n'est pas sans fondement, il faut reconnaître que dans son ensemble
le système d'Épictète n'a aucun lien avec le sol de la Phrygie.
Il a certainement été influencé par le Cynisme. C'est à peine si
l'on peut écrire ce nom dans ce contexte, tant est défavorable le sens
qu'il a revêtu dans notre langue. Et certes la philosophie cynique
signifiait autre chose que du cynisme. Épictète l'a glorifiée. On
dirait bien que pour lui la vie du cynique est l'idéal. Il convie tout
le monde à pratiquer la vertu selon les principes du Portique.
Mais au-dessus de la vie vertueuse, il y a la vie héroïque, celle dont
Héraclès est le modèle. Au-dessus du détachement en estime de toutes
les choses indifférentes, il y a le détachement réel. Plus admirable

que le professeur de morale est celui qui prêche d'exemple, avant de


prêcher par la parole, qui renonce à la fortune, à la patrie, qui
refuse même de se marier, afin d'être plus libre d'annoncer à tous
les véi^jtés nécessaires.

Epictète eût cru manquer à la modestie en s'attribuant à lui-même


202 REVUE BIBLIQUE.

le rôle il était donc é\ideinmeDt sous l'influence de la


d'un cynique ;

secte. reconnu il), et il a assigné une huitaine de points


Zeller l'a

qui rapprochent son système de celui des disciples d'Antisthène et


de Diogène. Parmi eux ne figure pas le sentiment religieux, et je
crois que c'est avec raison. Il est vrai qu'An tisthène a proclamé le
monothéisme (2). On ne cite de lui aucun aphorisme hostile à la
religion de TEtat, et on peut le faire bénéficier du doute qui plane
sur sa pensée (3). Disciple de Socrate, il a pu associer comme lui au
rationalisme un certain sentiment religieux. Mais déjà Diogène fut
très suspect de manquer de respect envers les dieux. Les paroles
qu'on lui attribue sont à tout le moins équivoques. Le monothéisme
des cyniques était plutôt une négation des dieux qu'une justice rendue
à l'être suprême. s'en tenir au jugement de M. Gomperz
On peut :

(( Leur divinité une abstraction tout à fait incolore... « L'être su-


était
prême » n'était pour eux ni un Père qui bénit, ni un juge qui
châtie c'était tout au plus un sage ordonnateur de l'Univers en vue
;

d'une fin. Pas un seul indice ne montre que le Cynique se sentit en


relations personnelles, si vagues fussent-elles, avec lui (i). » Très ré-
cemment on a cherché à ébranler cette conclusion. M. Gerhard (5)

Die Philosophie der Griechen, III, 1, 4' éd., p. 778.


(1)

On le sait mieux aujourd'hui par le texte de Philodème. récemment découvert uap'


(2) :

'AvTt(T6Év£i S'èv [jLÈv Ttô ou(7ixw ).£Y£Ta'. TÔ xa-à vôjxov clvai 'îto).).0'j;. v.aTà ôè çûdiv sva (GOMPERZ,

Les Pe7iseurs de la Grèce, trad. Reyroond, II, p. 170).


(3) De ce qu'il a écrit un traité neplTûvâv âôoy. il ne s'ensuit pas qu'il croyait aux châti-
ments de l'enfer; peut-être conibattait-ii cette croyance. Il professait que l'homme n'a be-
soin de personne pour pratiquer la vertu, et tolérait l'amour libre, compatible avec le ma-
riage « pour avoir des enfants» (Dioc. Laert., VJ, n .

(4) Les Penseurs de la Grèce, traduction Reyraond, t. II, p. 170.

(5) Dans son ouvrage, d'ailleurs si remarquable, Phoinix von Kolophon (1909). M. G. A.
Gerhard commente dans le sens d'une foi à un Dieu rémunérateur les vers qu'il a réussi à
déchiffrer: latiyyiçi,lu~f.'j, ô; TotôcffxoTi^rSaijAwv |
oçèv -/povw. toÔîIovov v.T.ia'jyyvEi \
[v£](j.£i o'

£/.â(7-(oi tr.v xaTaiiTiav (AoTpav: « Car un démon, qui le voit, qui ne permet
il existe, il existe
pas avec le temps que la divinité soit confondue, et qui donne à chacun le sort qui lui
convient ». Or ce sentiment n'est autre que l'ancienne foi à l'exercice de la justice divine
dès cette terre. Il y a seulement dans les iambes du cynique une distinction entre la divinité,
inactive par elle-même, et le démon qui la venge des affionts qu'elle recevrait si le crime
demeurait impuni. Cette croyance est parfaitement conciliable avec la négation des dieux de
l'Olympe, et même maux sont mal distribués, sauf une
avec l'opinion que les biens et les
punition trop tardive pour aUeindre les vrais coupables. C'est en effet précisé-
(âv xpô'jutj
ment ce que prétendait Cercidas, dont M. Hunt vient de publier les vers. .\près s'être plaint
de l'injustice des dieux, même de celle de Zeus, Cercidas propose de regarder comme les
dieux véritables Ilaiâv, M£Tâ5w; (?) (la rétribution), et la N'émésis qui se produit sur cette
terre : àixiv Si iraiàv xai [àYà6a] M£~a5(i); (xïXs'tw | 6£Ô;yàp ayta, xai >i£[X£<ji; v.7.-:àyà.^{0xyrh.
pap. Vlll, 1911, p. 31). En tous cas, Cercidas est un cynique authentique, et son fragment
est plus complet et plus clair que celui de M. Gerhard. Ce savant prétend encore que le
XctpoupYîîv de Diogène est une injuste imputation. 11 rentrait cependant exactement dans
ses principes de satisfaire le plus simplement possible les besoins de la nature. Cercidas a
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 203

prétend que cyniques ont été calomniés par leurs succes-


les anciens
seurs, disciples dégénérés, inclinant vers l'école du plaisir. Les vieux
maîtres auraient été plus religieux que les contemporains de Lucien
et de Julien l'Apostat. Nous n'en croyons rien. C'est chez Démétrius,

un cynique contemporain de Sénéque, que nous avons rencontré


cette belle protestation de soumission à la volonté de Dieu. Il n'avait
d'ailleurs de cynique que sa profession de pauvreté, étant plutôt un
stoïcien. Les cyniques authentiques, comme Démonax, pratiquaient
encore la froide ironie de leurs anciens maîtres pour les cultes poly-
théistes, sans les remplacer par un sentiment religieux monothéiste. De
sorte que si quelques-uns d'entre eux, à l'époque romaine, ont éprouvé

des sentiments religieux, la question se pose, pour eux, comme pour


Épictète, de savoiroù ils les ont puisés; ils découlaient certes beau-
coup moins naturellement de leurs principes que ceux des stoïciens.
Des deux écoles, le Portique était de beaucoup la plus religieuse
des deux. Si Epictète a mêlé à ses maximes des éléments religieux
étrangers, il faut en chercher la cause ailleurs que chez les cyniques,
anciens ou modernes.
Dira-t-on que les Sémites avaient fait prévaloir dans le monde ro-
main une plus haute idée de Dieu, et qu'Épictète a pu s'inspirer des
conceptions orientales? Si par les Sémites on entend les Juifs et les
chrétiens, c'est la question même que nous devons aborder enfin, et
c'est bien la seule qui se pose, car on chercherait vainement les traces
d'un monothéisme sémitique antérieur à celui de la philosophie grec-
que. Les Sémites —
les Juifs toujours exceptés —
n'ont pas connu au
premier de notre ère d'autre monothéisme que la monarchie du
siècle
dieu suprême dans chaque État. S'ils ont marché au ii^ siècle dans le
sens de l'unité, c'était avec le monde gréco-romain tout entier, etnous
revenons toujours au même point ne sont-ce pas les Juifs et les chré-
:

tiens qui ont répandu autour d'eux une


vérité dont ils vivaient, tandis
que la philosophie, qui avait soupçonnée, l'avait laissée dans l'ombre?
l

Platon et Aristote avaient reconnu l'unité de Dieu sans que cela tirât
à conséquence, ni pour le culte, ni pour la morale. Et le principe lui-
même avait reculé. A cette philosophie résolument dualiste avait suc-
cédé dans la faveur du public un panthéisme franc c'était lui qui dé-
:

la même mais qui aboutit plutôt, selon moi, à la pratique recommandée par Anti-
théorie,
sthène (Diog. Laert.. VL 4, oooXoù, et dans Cercidas ôoolSi). Et pourquoi, dès le temps de
Zenon (!), aurait-on calomnié Diogène? Les cyniques ont toujours tenu cette doctrine, que
Dion faisait prêchera Diogène, et que l'empereur Julien admirait encore en lui ou du moins
ne trouvait pas répugnante, comme M. Gerhard lui-même l'a noté, citant Jcl. Or. VII,
p. 226 A. B.
204 REVUE BIBLIQUE.

fendait la religion contre le scepticisme et contre lécole dÉpicure. Et


c'est au sein du monisme que Dieu gagne du terrain, sans que latliéo-
rie soit changée officiellement Cest donc que le philosophe a été in-
!

fluencé moins par une doctrine que par des exemples. Il a subi un con-
tact, il a cédé à un entraînement général. Doù pouvait provenir cet
entraînement si ce n'est de ceux qui prêchaient avec énergie l'unité de
Dieu, cause et terme de tous les êtres? Aucune tliéorie d'évolution ne
peut refuser de tenir compte des influences ambiantes, et les influences
ambiantes supposent des foyers où s'est concentrée leur énergie et
dont elles dérivent.
Ces influences ne sont pas reçues telles quelles, elles sont adaptées,
assimilées; soit. On ne prétend pas en retrouver les morceaux intacts
comme dans un livre composé de documents ajustés bout à bout. Les
comparaisons de détails seront très délicates, parce que les ressem-
blances ont toujours été mêlées de différences peut-être plus accen-
tuées. Mais on ne peut se tromper sur le jugement d'ensemble. Soit
qu'Épictète ait connu le christianisme ou qu'il lait ignoré, jamais la
philosophie n'aurait pris l'allure qu'elle a dans ses Entreliens, si le

judaïsme et le christianisme n'avaient prêché avec ardeur la part


suprême qui revient à Dieu dans toute vie morale. De ces deux as-
pects du monothéisme, l'un, le judaïsme, entravé dans sa propagande
par ses préjugés nationaux, devait paraître trop étroit au stoïcien,
imbu de culture gréco-romaine, et qui se targuait d'être cosmopolite.
Au moment où les Juifs allaient entrer de nouveau en collision avec
Rome, le christianisme poursuivait partout sa course victorieuse, avec
« le renouvellement subit de la conscience, la foi aux choses invisibles,
la transformation de lame pénétrée parla présence d'un dieu paternel,
l'irruption de tendresse, de générosité, d'abnégation, de confiance et
d'espérance c[uidégager les malheureux ensevelis sous la tyran-
vint
nie et la décadence romaine (1 ».
Ce n'est pas que personne imagine de faire d'Epictèt£ un chrétien.
Le christianisme est l'antithèse du stoïcisme. Le parallèle vient à l'es-
prit de chacun d'un côté Dieu confondu avec le monde, l'immortalité
:

presque incertaine et en tout cas précaire, la raison seule règle de la


vie, l'indépendance de l'individu, et, du moins trop souvent, le dé-
dain de la masse adonnée au plaisir. La doctrine nouvelle n'adore
qu'un Dieu, attend la vie éternelle, prêche la docilité à la révélation,
la foi, l'humilité, et la charité envers tous, de préférence envers les
pauvres. Les deux doctrines ne sont vraiment d'accord que sur un

(1) Taine, Histoire de la littérature anglaise, t. V, p. 283.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 20b

point, le mépris des Jjïeas temporels; encore le mot de mépris parait-


il trop dur à une âme chrétienne. Or Épictète est demeuré stoïcien. Il

n'était même
pas sympathique aux chrétiens. Ce sont bien eux qu'il
désig-ne sous le nom de Galiléens (1 Parlant du mépris de la mort, .

et de l'intrépidité du sage en présence du tyran, il reproche à ceux

de sa secte de ne pas entrer par raison dans les dispositions que


d'autres ont pat" ég-arement d'esprit, et les Galiléens par une sorte
d'instinct traditionnel (2j. L'on voit percer ici le dédain pour des
gens qui ne professent pas la philosophie, mais aussi l'admiration
pour une bravoure que les philosophes ne pratiquaient que rarement.
Le philosophe pourra s'inspirer des Galiléens comme de certains ani-
maux que leur instinct rend supérieurs à l'homme sur certains points,
quoiqu'il leur manque la raison.
Et cette petite phrase, arrachée à contre-cœur par le splendide
spectacle des martyres chrétiens, projette beaucoup de lumière sur
l'attitude d'Épictète. On objecte souvent que s'il avait une fois conçu
l'idée d'emprunter quelque chose au christianisme, il ne se serait pas

arrêté en route. Il est vrai, s'il avait assez bien compris le christia-
nisme pour être séduit par sa beauté mais s'il n'y voyait que des ;

avantages de détail, gâtés par l'absence du principe rationnel, et qui


pourraient aisément s'adapter au système de l'école?
M. Bonhôffer, hostile à toute idée d'emprunt par Épictète, ne veut
même pas qu'il ait fait une allusion déplaisante à saint Paul: le philo-
losophe n'eût pas manqué à ce point de critique et de noblesse
d'àme '3 . Il est assez étrange qu'il nous ait fourni lui-même la ré-
ponse, si étrange, qu'il faut le traduire intégralement : « Si Épictète,
comme chacun le voit par ses dissertations, en stoïcien accompli et
pur sang, n'était pas même
en état de rendre quelque justice à ses an-
tagonistes grecs, les épicuriens et les sceptiques, s'il n'éprouve aucun
besoin et ne montre aucune capacité pour consacrer un jugement ob-
jectif à des points de vue ditl'érents, et cependant issus comme le sien

du sein maternel commun de la philosophie socratico-platonicienne,


et qui en tout cas possédaient depuis des siècles leur droit de cité dans
le monde hellénique, il s'entend de soi qu'il éprouvait encore beau-
coup moins le besoin de suivre avec attention et d'examiner sans pré-

(Ij IV, 7, 6.

(2) Kai Onb êÔo'j; ol ra/.vÀaTo'..

3) P. 66 : fur so unkritisch uad unnobel diirfen wir doch dea lefzteren nicht halten, dass
er eine Klage, die ganz anders gemeint war. durch eine solche Eatstellung liicherlicli ma-
chen wollte! Si Épictète n'a pas compris, il ne manquait pas de noblesse en raillant une
idée fausse.
206 REVUE BIBLIQUE.

jugés un mouvement religieux qui sortait d'un pays et d'un peuple si

peu affecté par la culture grecque (1) ». Tout ce que dit M. Bonhôffer
du dogmatisme intransigeant d'Épictète, de son peu de soin de ren-
dre justice à des adversaires, ne prouve pas qu'il était incapable de
faire des emprunts conscients au christianisme, et encore moins qu'il
était incapable de le critiquer directement ou indirectement. Nous
ne demandons pas qu'il ait été plus indulgent pour lui que pour ses
adversaires des autres écoles grecques. Il néprouvait pas, dit-on, le
besoin de l'examiner sans préjugés... de quel droit ajoute-t-on qu'il
avait l'esprit assez pénétrant et le cœur assez large pour lui rendre
justice, et pour apprécier à leur valeur les pensées d'un saint Paul?
Estimant peu la secte galiléenne, il pouvait se croire autorisé à prendre
son bien où il le trouvait. S'il a pu le critiquer, sans le comprendre,
il a pu aussi s'en inspirer, parfois même sans s'en douter.
Ayant ainsi restreint le champ d'observation, il est certain d'avance
que nous ne pouvons trouver que des allusions très rares, probables
plutôt qu'évidentes. Le principal demeure ce que nous avons dit de
l'idée de Dieu. Dans Épictète il est presque devenu un Dieu vivant.
Tout s'efface devant ce fait; le reste ne peut servir que d'indications
plus ou moins vagues destinées à le confirmer.
Nous renonçons à attribuer à des influences chrétiennes les senti-
ments fraternels qu'Épictète professe envers tous les hommes. Plus
tendre envers Dieu que Sénèque, il Test moins envers ses frères.
L'intransigeance de son détachement de tout ce qui n'est pas la vertu
lui impose même des expressions brutales. Si l'on a perdu un ami ou
un serviteur lidèle, il n'y a qu'à les remplacer. Faut-il mourir de faim,
plutôt que de changer sa marmite (2) ? Et tout en recommandant à
ses disciples de prendre part aux affaires, Épictète, simple professeur,
n'a pas pratiqué, et n'aurait peut-être pas compris, l'abnégation de
Marc-Aurèle, philosophe immolé au ser\dce d'un grand empire (3).
Mais reprend l'avantage lorsqu'il s'agit de la propagande par
il

l'idée. Le concept du philosophe cynique qui abandonne toute recher-


che d'élégance et de bien-être pour se consacrer au redressement de
l'humanité est aussi ancien qu'Antisthène, qui l'a sans doute emprunté
à Socrate. C'est Antisthène qui a prononcé une parole assez semblable
à celle de Jésus : « les médecins eux aussi fréquentent chez les

(1) Op. laucL, p. 76.

(2) IV, 10, 34.


(3) A notre époque de dévouement social, a-t-on écrit rien de plus beau que cette pensée:
« Que ton plaisir et ton repos soient uniquement de passer d'uae action sociale à une
action sociale, avec le souvenir de Dieu » (VI, 7)
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME. 207

malades, mais ils Longtemps avant Épictète,


n'ont pas la fièvre » (1 1.

Héraclès, bienfaiteur de rhumanité, avec sa peau de lion et sa mas-


sue, était devenu le patron du cynique, qui circulait dans les foules
avec son manteau, sa besace et son bâton.
Pourtant nous avons déjà fait remarquer que d'après Épictète le
cynique est le messager de Dieu, son héraut, et que nul ne doit embras-

ser cette existence héroïque sans un appel spécial de Dieu. N'est-ce


pas la notion de l'apostolat, telle que Ta comprise S. Paul? Ne dirait-
on pas que le philosophe insiste sur cette classe d'hommes, voués au
bien religieux et moral de Ihumanité, pour rivaliser avec l'apostolat
chrétien? Un point surtout est digne de remarque, la chasteté de
l'apôtre.
11ne serait que juste d'attribuer au progrès de la propagande
juive, puis de la propagande chrétienne, le changement de ton des
philosophes au sujet des rapports sexuels. Admettons que la gravité
de Rome y soit pour quelque chose. Cependant Cicéron ne se piquait
pas de châtier tellement son style et ne professait pas des principes
très rigides. Qu'on lise les fragments des anciens stoïciens et lesdisser-
tations d 'Epictète c'est sortir d'un mauvais lieu pour entrer dans un
;

temple, —
et dans un temple chrétien plutôt que dans un temple

païen. La rubrique Cynica, imaginée par dArnim (2;, nous prouve en


même temps quelle chimère idéalisée était le cynique d'Épictète.
Dion Chrysostome, cynique contemporain, prédicateur moral, n'y
regardait pas de si près. Épictète ne gaze pas sa pensée, mais sa
morale, du moins pour les hommes mariés, est irréprochable (3).
Cependant ce scrupule de pudeur qui étonne chez un disciple de
Zenon, ne date pas de notre philosophe. Musonius Rufus n'est pas moins
sévère, jusqu'à nommer adultère de sa femme le mari qui ne la res-
pecterait pas assez et qui ne chercherait que le plaisir (4). Mais cette
identité des doctrines entre le maître et le disciple cesse quand il s'agit
de l'apôtre. Musonius veut à tout prix que le philosophe se marie.
Épictète préfère que le cynique n'ait pas d'épouse, et en voici la
raison.
Dans une cité idéale, le cynique pourrait se marier, ou plutôt son
ministère deviendrait inutile, puisque tout le monde serait vertueux.
« Mais dans l'état actuel des choses, et sur ce champ de bataille, ne

(1) DiOG. Laeht. VI, 6.

(2) Stoicorum reterum fragmenta.


(3) 11 semble accorder certaines licences avant le mariage tout en recommandant la conli-
nence: Ttepl àçpoSiffta eîç ô-jva[j.iv irpô yâu-ou xaÔaçeyxÉov {Manuel, 33. 8).
(4) £d. Hftnse, p. 63 ss.
208 REVUE BIBLIQUE.

faut-il pas que rien ne vienne tirer le conique en d'autres sens, pour
qu'il puisse être tout entier à son di%-in ministère? Ne faut-il pas
qu'il puisse aller trouver les gens, sans être lié par les obligations
des hommes ordinaires, sans être engagé dans des relations sociales,
dont il lui faut tenir compte, s'il veut rester dans son rôle d'honnête
homme, ne saurait respecter sans détruire en lui lapôtre,
et qu'il

le surveillant, le hérautenvoyé par la divinité (1)? «


Musonius était incontestablement dans la logique du stoïcisme, qui
ordonnait de vivre selon la nature. Épictète suppose une loi plus
haute, le service de Dieu primant tout. S. Paul avait dit avant lui :

« Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur, il cherche

à plaire au Seigneur celui qui est marié a souci des choses du monde,
;

il cherche à plaire à sa femme et il est partagé (2). » Et la raison


donnée par le philosophe est justement une de celles d'Eusèbe pour
justifier le célibat chrétien des prêtres 3).

N" est-il pas vraisemblable qu'Épictète, témoin du progrès de la


propagande chrétienne, a proposé à Tadmiration de ses disciples
un groupe d'apôtres qui ne le céderaient en rien à ceux de Jésus de
Nazareth ?

Précisément à propos d'apostolat, il énonce une pensée très con-


forme à ce qu'avait dit Notre-Seigneur des obstacles que pose l'or-
gueil à la bonne nouvelle. Après une discussion avec ses adversaires
philosophiques, les sceptiques, il s'écrie : « Par Zeus! il serait plus
aisé de persuader des efféminés que des personnes aussi sourdes et
aveuglées sur leurs propres maux (4). »

Que l'apostolat chrétien ait excité Épictète à parer de fausses cou-


leurs la prédication des cyniques anciens, tandis que lui-même dé-
plorait l'attitude des cyniques de son temps (ôi, ce n'est en somme
qu'une conjecture. Mais nous avons constaté par un texte positif que
le courage des chrétiens devant les tribunaux l'avait étonné, et lui
avait même inspiré une émulation assez peu noble pour qu'il dépré-
ciât cet héroïsme. Ces chrétiens se présentaient devant leurs juges
comme des témoins de Dieu, d'où leur nom de martyrs. Le Nouveau
Testament contient de nombreux textes sur le témoignage rendu à
Dieu par Jésus et sur le témoignage rendu à Jésus par ses disciples.
Ne serait-ce pas de là qu'est venue à Épictète cette idée que le sage

(1) IIL 22, 60. Traduction Courdaveaux, p. 232.


(2) ICor., 8, 32 s.

(3) Demotislr. ev. I, 9 (P. G. XXII, 81)

(4) II, 20, 37: cf. ML. 21. 31.

(5) III, 22, 50.


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME. 209

est le témoin de Dieu, et que Dieu l'appelle en témoignage? Rien de


plus naturel dans le Nouveau Testament. Le Christ témoigne de ce
qu'il sait, par sa connaissance supérieure; les Apôtres témoignent de
ce qu'ils ont vu. Dans Epictète on ne voit pas bien quel témoignage
le sage rend à Dieu, C'est en tout cas un témoignage indirect. Il

prouve, par sa conduite, que l'homme a reçu de Dieu la faculté de


choisir librement le bien, sans se laisser arrêter aux choses indiffé-
rentes. L'idée est donc dérivée. Je ne sache pas qu'on l'ait mise en
valeur avant Epictète, tandis qu'il lui donne un relief singulier.
Dans quel rôle te présentes-tu maintenant? demande-t-il à son disciple.
« Comme un témoin appelé par Dieu. Viens, toi, et rends-moi té- —
moignage, car tu es digne que je te produise comme mon témoin. »
Or le disciple ne sait que se plaindre. « Voilà donc ce que tu vas té-
moigner, et déshonorer la citation (de Dieu), alors qu'il t'a si fort
honoré, et t'a jugé digne de te produire pour rendre un si grave
témoignage (1) » !

L'obligation de rendre témoignage à Dieu peut aller loin. « Zeus a


voulu savoir s'il a un soldat comme il doit l'avoir (2), un citoyen
comme il me présenter aux hommes comme témoin au
doit l'avoir, et
sujet des choses qui ne doivent pas fixer le libre arbitre voyez que :

vous vous effrayez à tort, que vous désirez vainement ce que vous
désirez. » Pour que le témoignage ait plus de poids, ayant coûté da-
vantage, Zeus réduit son témoin à la pauvreté, l'abandonne à la ma-
ladie^ l'envoie en exil, en prison... non qu'il le haïsse, mais pour
l'exercer et pour s'en servir comme de témoin auprès des autres (3).
Si bien que les témoins sont comme un groupe spécial dans l'huma-
nité Dieu ne prendra-t-il pas soin de ses serviteurs, de ses témoins (4)?
:

On est même fatigué de l'emphase avec laquelle Epictète ramène


constamment son sage devant le tribunal de César. Qu'il ait rappelé
les illustres exemples d'Helvidius Priscus et de Lateranus, rien
de plus propre à ranimer les courages (5). Mais lorsque Arrien re-

(1) III, 29, 46 ss. Qu'on note l'expression -raùxa (A£),),£'.ç (Jiapxupeïv xal xataKjy'jvEtv xïjv
:

xXrjatv "ov y.ÉxXrf/.ev... et comparer II Tim., 1,8: [Xïi o^v ÈTtaKTxyvôïi; xô ixapx-jptov xoù /•jpiov

(2) Cf. II Tim., 2, 3 : <I); y.aXô; CTxpaxtwxr.ç Xpiaxoû 'Ir,(Tûù.

(3) III, 24, 112 SS. : à).).à yj[i.vâi;(ov xai |A(ipxupi Ttpbç xoù; âX).ou; xpw[J-îvo;. Cf. Acf., 22, 15 :

'{(Tt) [lâpTvi; aOxô Ttpbç Txivxa; àvOpwTtouç.

(4) 111, 26,ôtaxovwv, xwv ixapxûpwv.


28 : xtiv

(5) que ces grands Romains ne furent pas les martyrs du stoïcisme. Le plus
Encore esl-il
illustre qui mérite ce nom est Junius Rusticus, dont Suétone écrit que Domitien le
fit
mettre à mort Quod Paeti Thraseae et Helvidi Prisci laudis edidisset appellassetque
:

eos sanctissimos viros; cuius criminis occasione philosophas omnis urbe Italiaque
sicmmovit {Domit., 10.); cf. Dion Cass. LXVII, 13.
REVUE BIBLIQUE 1912. N. S., T. IX. — 14
210 REVUE BIBLIQUE.

cueillait les entretiens d'Épictète, on était sous Trajan, peut-être sous


Hadrien, et les jugements criminels, sauf pour les chrétiens, étaient
rendus selon la justice du temps. Domitien avait chassé les philoso-
phes de Rome et de l'Italie, mais Domitien n'était plus là; personne
ne menaçait le stoïcisme, qui ne tarderait pas à monter sur le trône.
Pourquoi donc cette perspective d'un César menaçant qui fait tout le
fond du livre? n'est-ce pas qu'Épictète entendait tenir ses disciples à
la hauteur du martyre chrétien? C'est peut-être la meilleure excuse
qu'on puisse fournir de ce qu'il faudrait bien appeler sans cela un
rabâchage emphatique et déclamatoire. Le bon magister eût été plus
pratique en posant des cas plus journaliers. Ce ne sont pas les stoï-
ciens, ce sont les chrétiens qui étaient sans cesse exposés à la délation,
à la comparution devant les tribunaux, aux tortures et à la mort,
même sous Trajan et sous Hadrien, en attendant que le César philo-
sophe donnât une nouvelle impulsion à la persécution. Mais il allait

sans dire pour Épictète que le stoïcien n'avait pas moins d'occasions
de montrer une vertu plus haute, parce que purement rationnelle.
Le philosophe a-t-il eu en même temps le triste courage de faire
allusion à la pusillanimité morale des chrétiens? Une pareille contra-
diction n'est pas impossible; le chrétien bravait la mort par instinct,
plutôt que par raison, dans une circonstance donnée, cela ne l'empê-
chait pas de se montrer dans la vie dépourvu de cette suffisance en
soi dont le stoïcien était fier. Cependant Epictète ne faisait pas allu-
sion à l'Évangile quand il reprochait sa lâcheté à l'apprenti stoïcien :

« Pourquoi flattes-tu le médecin? pourquoi dis-tu : Si tu veux, Sei-


gneur, je me porterai bien (1). » C'était ce qu'on disait d'ordinaire
au médecin (2), ce n'est pas un persiflage de la prière du lépreux à

Jésus (3).
Au contraire, il nous semble qu'Épictète a lu S. Paul, et qu'il l'at-

taque indirectement, sans l'avoir bien compris. Le philosophe met


en lumière tout ce qui ressort de notre parenté divine. Or, loin de se
pénétrer de cette pensée, la foule ne songe qu'à notre parenté avec
les animaux, et, pour s'excuser de ses bas attraits, elle gémit « Que :

suis-je un pauvre homme misérable! ou encore ohl cette


en efi'et? :

malheureuse chair (4)! » N'est-ce pas un écho, dénaturé, hâtons-nous


de le dire, du cri de S. Paul : « Misérable homme que je suis! qui

(1) III, 10, 14 : Tsouv xo),ax£'j£'.; tov îaTpov; tv léyii^ âàv ai) ôéXyi;, xOpie, /aXw; êlw: cf. Mt.,

8, 2 : xvpte, èàv ôéXyiç, ôûvacaî (i£ xaOapîo-ai.

(2) II, 15, 15, où il n'y a pas d'ironie.

(3) Mt.,8, 2;cf. 15, 25.

(4) I, 3, 5 : « TÎ yàp etiiî : TaXaiîTtopo; àv8pw:tàpiov » xaî « Ta 5u(T-r,vâ [xou capxîoia ».


LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÉTE ET LE CHRISTIANISME, -211

me délivrera de ce corps de mort (1 ? » Épictète n'a peut-être pas lu


la suite, ou il a considéré comme une chimère le salut qui est dans le

Christ-Jésus. Mais il a sans doute lu ce qui précède, et, prenant fort


au sérieux l'aveu d'impuissance de l'Apùtre à faire sans la grâce
ce qu'impose la loi, il n'a vu dans son exclamation qu'une excuse,
indigne d'un sage qui se à lui-même. La rencontre ne peut
suffît

guère être fortuite, car elle porte à la fois sur l'aveu de la misère
humaine, et sur l'infirmité de la chair, dans une même phrase, sans
parler du rythme, semblable dans les deux cas.
Epictète a connu l'existence du christianisme, il n'a pas cherché à
l'approfondir. Il était incapable de le goûter, ne voulant accepter
d'autre lumière que celle de la raison, d'autre point d'appui que la
volonté, d'autre libération ou de salut que le don initial du libre ar-
bitre. Mais il dut être étonné de voir
chrétiens ravir aux stoïciens les
la palme du courage, pendant que leurs apôtres faisaient plus d'a-
deptes que les écoles de philosophie. Il a compris que la secte nou-
velle tirait toute sa force de l'esprit reKgieux si intense qui l'animait.
Pour c[ue le stoïcisme fût en état de maintenir son rang. et. s'il se pou-
vait, de conquérir le monde, il fallait faire plus grande la place à
Dieu, il fallait avoir des hommes convaincus, appelés par lui et qui
lui servissent de témoins. Renan a écrit de la prédication stoï-
cienne qu'elle fut « la plus belle tentative d'école laïque de vertu
que le monde ait connue jusqu'ici ''2 > ». L'école d'Épictète a cessé d'ê-
tre laïque; son enseignement voit tout en Dieu. Et vuila pourquoi sa
philosophie est si joyeuse, comme s'il eût touché à la certitude, comme
s'il eût espéré que la philosophie, mise au service de Dieu, suffirait
désormais àcontenter le sentiment relig-ieux des âmes d'élite, sans com-
battre le culte traditionnel, mais sans s'en préoccuper. Cette illusion,
si pas duré plus que lui. Marc-Âurèle craignit-il
elle fut la sienne, n'a

que Dieu unique de son maître ne ressemblât trop au Dieu des


le

chrétiens? Crut-il de son devoir d'empereur de consacrer sa dévotion,


même intérieure, aux dieux de l'ancienne Rome? ou s'apereut-il, en
philosophe, que le Dieu d'Épictète se distinguait trop du monde? Il

n'a plus foi en Dieu, et ne sait plus que se résigner au doute. La porte
ouverte vers le monothéisme se referme sur les stoïciens. Le dernier
représentant de l'école rentre dans la logique du système ; il ne veut
point le voir périr entre ses mains. Il n'en était pas moins destiné à

XOVTOU.
(2) Marc-Aurèle, 5« éd., p. i.
212 REVUE BIBLIQUE.

disparaître. Les lueurs dont il s'éclaire dans les écrits d'Épictète sont

des reflets d'un foyer plus ardent, semblables à ces clartés qui colorent
parfois l'occident quand le soleil se lève. Il a chanté l'hymne d'une
fausse aurore. Les Pensées de Marc-Aurèle sont la douloureuse élégie
d'une philosophie qui désespère et qui s'éteint.

Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagrange.

-IMÙ-KZ- *
-
t
LA SECTE Jl lYE DE LA NOUVELLE ALLIANCE
AU PAYS DE DAMAS

Voici encore du nouveau — fclicitas temponim — dans le monde


qui s'occupe de Tancienne histoire des Juifs. C'est toujours FÉgypte
qui rend ses trésors cachés, et cette fois ils ont été tirés de la Gueni-
zah du Caire. M. Schechtcr qui avait été à la peine lors de la décou-
verte, devait avoir l'honneur de la publication. Le piemier docu-
ment, et le plus important, le seul dont je m'occuperai ici, a été
intitulé Fimgments d'un ouvrage mdocite (1 ).
par lui :

Le savant maître a bien fait les choses. Il a abordé les hasards de la


traduction d'un texte fort mal transcrit, et il a corrigé avec bonheur
des fautes évidentes. Sa compétence exceptionnelle en jurisprudence
rabbinique lui a permis de le commenter par des rapprochements
très curieux avec la littérature des rabbins et celle des Caraïtes. Il

explique dans son introduction pourquoi il a nommé son document


« Fragments d'un ouvrage sadocite », et il est difficile de se dérober
à cette conclusion. Il faut aussi le remercier d'avoir donné deux fac-
similés. Pourtant, sur ce point seulement, on serait tenté de dire
qu'il n'a pas fait assez; il faudra assurément prendre le parti de
publier en fac-similé les vingt pages dont se compose l'ouvrage ;
il

en vaut la peine.
II est même si intéressant, que je n'ai pas cru devoir me conten-

(1) L'ouvrage complet de M. Schechter comprend deux volumes in-quarto et est intitulé

Documents of Jewish sectaries.


Volume I, Fragments of a Zadokite work, edited from hebrew manuscripts in the
Cairo Genizah collection now in the possession of the nnlversity Library, Cambridge, and
pro\ided with an english translation, introduction and notes, by S. Schechter, M. A.,
Litt. D. (Cantab.), Président of the Jewish Theological Seminary of America in New York,

Cambridge; at the University Press, 1910, lxiv-20 pp. avec deux fac-similés.
Volume II, pyS mjf*2n lEDQ ''OTCjlp Fragments of the Book of the Command-
ments by Anan edited... and provided with a short introduction and notes by S. Schech-
ter... vi-50 pp.
214 REVUE BIBLIQUE.

ter de le signaler aux lecteurs de la Revue. J'ai tenté de le traduire et


d'analyser les opinions déjà nombreuses qui se sont produites sur
le caractère de la secte : sadducéens, judéo-chrétiens, dosithéens,
pharisiens, inconnus.
La traduction d'abord. Elle a naturellement pour base l'interpré-
tation si distinguée de M. Schechter (S). Elle s'inspire aussi d'une
excellente revision de M. Israël Lévi (L), dans la Revue des études
juives La traduction de M. Lévi est très claire et très élégante.
(1).

Je lui aurais peut-être demandé simplement de la reproduire, si je


n'avais pensé qu'il y avait intérêt, pour des lecteurs peu familiarisés
avec l'hébreu, à revenir à la manière plus littérale de M. Schechter.
En quelques endroits, surtout dans la partie législative, j'ai cru devoir
m'écarter de l'explication donnée par ces maîtres, quelquefois pour
adopter des conjectures de M. Leszynsky (2). A la correction des
épreuves, j'ai ajouté quelques suggestions d'après M. Bâcher (B),
Zeitschrift fïir hebraeische Bibliographie, XV, p. 13-25.
Les fragments sont publiés par M. Schechter d'après deux manus-
crits. Le document A a huit feuilles, soit seize pages, mais les quatre

dernières sont fort mutilées, surtout dans le bas. L'éditeur le croit


du x^ siècle. Entre les pages 8 et 9 il y a une lacune, probablement
considérable. Elle est en partie comblée par le document B qui, à son
début, est parallèle à A, et qui ne comprend qu'une feuille, p. 19 et

p. 20 (xi® ou xii" siècle). M. Schechter aurait certainement pu se


croire autorisé à diviser le petit volume en chapitres et en versets. Il

s'est contenté d'indiquer des paragraphes, dont la division ne peut


servir à des citations, à défaut de versets. Nous avons donc indiqué
seulement les pages et les lignes.
Les mots entre indiquent des changements au texte; ceux
' '

entre ( ) ont été ajoutés pour la clarté; ceux entre [ ] sont ajoutés,
le un endroit illisible; ceux entre -< >* doivent
plus souvent dans
On n'a pas toujours indiqué de menus changements qui
être effacés.
peuvent passer pour certains; M. Schechter nous avertit que le iod et
ivaw sont souvent assez semblables; il était donc inutile de relever
les casoù l'on a pris l'un pour l'autre.
Afin d'éviter l'encombrement dans les notes, les références à la
Bible sont introduites dans le texte. Mais, outre que les citations sont
très rarement littérales, ces renvois ont souvent pour but d'indiquer
seulement le sens d'une expression d'après un passage biblique.

(1) Tome LXI, p. 161-205 Vn écrit sadducéen antérieur à


: la ruine du Temple.
(2) Revue des études juives, tome LXII, p. 190-196.
LA SECTE JLIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 21 j

Page 1.

Et maintenant écoutez, vous tous qui connaissez la justice et qui


comprenez les œuvres - de Dieu (1) , car il a querelle avec toute
chair et il jugera tous ceux qui le dédaignent; -^
car, à cause des
infidèles qui l'ont abandonné, il a caché sa face d'Israël et de sou
sanctuaire 2). ^et il les a livrés au glaive; mais comme il se souve-
nait de l'alliance des premiers (Lev., xxvi, ïô). il a laissé un reste ^à
Israël et il ne les a pas livrés à la destruction, et à l'âge (3) de la
colère, trois cents " et quatre-vingt-dix ans (4) après qu'il les eut livrés
à Nabuchodonosor. roi de Babylone, ' il les a visités, et il a fait ger-
mer d'Israël et d'Aaron la racine d'une plante pour posséder ^ son
pays et pour faire prospérer son sol (5). Et ils comprirent leur péché,
et ils reconnurent qu'ils avaient été coupables, et ils furent comme
''

des aveugles, et comme des gens qui tâtonnent dans le chemin


(durant) ^^ vingt ans, et Dieu vit à leurs œuvres qu'ils le cher-
chaient d'un cœur parfait, ^'et il leur suscita un docteur de jus-
tice (6), pour les conduire sur le chemin de son cœur, et il fit

connaître ^'aux générations suivantes ce qu'il avait fait à la géné-


ration 'de colère' (7), à la communauté des rebelles, ^^ eux qui
s'étaient écartés de la (bonne) voie. C'est le temps dont il a été
écrit u comme une vache indocile, '^ ainsi a été indocile Israël »
:

(Os., IV, 16), à l'avènement de l'homme de raillerie, qui a fait découler

sur Israël ''des eaux de mensonge ^^8), et les a égarés dans un


chaos sans chemin, de façon à courber la majesté (9) ancienne et
à s'écarter "^des sentiers de justice, et à déplacer la limite qu'a-

(1) Sx, c'est le seul nom divin employé par l'auteur. Les autres sont soigneusement
éliminés, même des textes bibliques.
(2) Le sanctuaire, ou le Temple, a donc été abandonné aux ennemis, sinon détruit.
(3) rp. Je crois avec L que ce mot signifie toujours dans notre texte, sinon tout à fait

« période «, du moins « moment », plutôt que « fin « ; donc « âge » au sens apocalyptique.
(4) Chiffre emprunté textuellement à Ézéchiel (4, 5).

(5) Cette plante, en parallèle avec le petit reste et destinée à posséder le pays, ne saurait
être une individualité (malgré Hénoch, 93, 3; mais cf. 10. 16 . C'est la secte elle-même
destinée un jour à revenir triomphalement en Terre Sainte.
(6' p~À* ri"lV2 ;
cf. Os.. 10, 12 : jusqu'à ce qu'il vienne et qu'il leur enseigne la justice

Le châtiment de la nation provoque le repentir de quelques-uns; ils font pénitence, mais


ne trouvent un guide qu après vingt ans. Désormais la secte est fondée.
(7) Lire "jl^nn a^ec Leszynsky au lieu de iTinx « dernière » que S avait changé ea
« première ».

(8) l'iZ 1^''^. C'est l'entrée en scène du grand adversaire, auquel on reprochera sou-
vent mensonge (p. 8, 13; 19, 25 s.; 20, I5j.
le

On sait que Bar-Kokébas a été nommé par les rabbins Bar-Koziva, le fils du mensonge.
(8) mnz;, à lire probablement riiyu, << les collines ».
216 REVUE BIBLIQUE.

valent déterminée les premiers dans leur héritage, afin '-d'attirer


sur eux les malédictions de son alliance (Dt., xxix, 20), de façon à
les livrer au srlaive exerçant la vensreance '^ de l'alliance Lev.,
XXVI, 25), parce qu'ils avaient recherché les choses flatteuses (Is.,
XXX, 10), et choisi les illusions et dissimulé (1) '-'les brèches et
avaient choisi la beauté du cou (2), et avaient déclaré juste le
coupable, et condamné le juste, -^et transgressé l'alliance, et violé
le précepte, et avaient attenté à la vie du juste (Ps. xciv, 21), et
tous ceux qui marchaient -' droit, ils les avaient en horreur (Amos,
V, 10), et ils les avaient poursuivis par le glaive, et ils avaient
pris plaisir à chercher querelle au peuple.

Page 2.

Alors s'enflamma la colère de Dieu contre leur communauté, de


façon à désoler toute leur multitude, car leurs œuvres étaient deve-
nues souillure devant lui (Ez., xxxvi, 17).
'Et maintenant, écoutez-moi tous, vous qui êtes entrés dans l'al-

liance 1^3), et je révélerai à vos oreilles les voies -Mes pervers. Dieu
aime la science; il a placé devant lui la sagesse et le conseil; ^la
prudence et la science le servent. Auprès de lui sont la longanimité
et l'abondance des pardons de façon à pardonner à ceux qui quit-'

tent l'iniquité, i^mais aussi) force et énergie et grande chaleur des


flammes de feu '^sont en lui, tous anges de la destruction contre
ceux qui s'écartent de la voie, et qui ont en horreur le précepte,
de façon personne parmi eux qui reste -^et qui échappe
qu'il n'y ait
(Esd., IX, i). Car Dieu ne les a pas choisis de toute antiquité, et,
avant qu'ils n'aient été formés (i>, il a connu ^ leurs œuvres, et il a
eu en horreur leurs générations sanguinaires, et il cache sa face du
pays (5) ^jusqu'à ce qu'ils aient disparu.
Et il a connu les années d'avènement et le nombre et la déter-
mination de leurs âges, pour tout "'l'être (6) (actuel) des mondes
et les choses passées (7), même ce qui arrivera dans leurs âges,

(1) "lEJfil, rattaché par S à nZs « épier», et changé par L en "îïlS'iT, « ils firent des brè-
ches », est plutôt nSÏ " recouvrir ». On a passé sur les brèches comme un enduit pour
les dissimuler.

(2) Symbole de l'orgueil (Ps. 75, 6) et de l'indépendance; cf. Os., 10, 11.

(3) Cette alliance qui sera plus loin qualifiée de nouvelle (cf. Jer., 34, 10) est le lien de
la secte.

(4 Au lieu de Tici:, lire avec Bâcher Tiyi:, d'après Jer., 1, 5.


(s; Annuler i^ au début de la ligne.

(6) lin.

(7) minj comme dans Sir., 42, 19 et ici même 13, 8, et non les choses futures 'contre S).
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 217

pour toutes années du monde. "Et dans toutes


les il a suscité pour
Lui-môme des hommes appelés par leur nom (cf. Is., xlv, 3 et i),

afin de conserver un reste échappé pour le pays (Ez., xiv, 22) et

pour remplir '-la face du monde de leur race (Is., xxvii, 6). Et

il leur a fait connaître son esprit saint par le ministère de son


Oint, et il est ^^ vérité, et dans le vrai sens de son nom (1) (sont)

leurs noms. Quant à ceux qu'il hait, il les égare.


i^Et maintenant, fils, écoutez-moi, et j'ouvrirai vos yeux pour
voir et pour comprendre les œuvres ^^de Dieu, et pour choisir ce
qu'il aime, et pour rejeter ce qu'il hait, de façon à marcher par-
faits ^"^dans toutes ses voies, au lieu d'errer suivant les pensées

du penchant coupahle et (suivant) l'attrait (2) de la luxure. Car


un grand nombre ^'s'y sont égarés, et des héros vaillants y ont
trébuché, depuis autrefois jusqu'à maintenant. C'est en marchant
dans l'obstination ^^ de leur cœur (Jer., xiii, 10) que les veilleurs (3)
du ciel y sont tombés; ils y furent pris parce qu'ils n'observèrent
pas les commandements de Dieu, ^^et leurs fils, dont la hauteur
égalait l'élévation des cèdres, et massifs comme les montagnes,
ainsi tombèrent-ils.
20 Toute chair qui était sur la terre ferme ainsi expira (Gen.,
VII, 22) « et ils furent comme s'ils n'avaient pas été» (4) (Abdias, 16),
parce qu'ils avaient fait ^lieur volonté et n'avaient pas observé les
commandements de celui qui les avait faits, jusqu'à ce que sa colère
s'enflamma contre eux.

Page 3.

C'est en cela que s'égarèrent les fils de Noé et leurs familles; et


c'est à cause de cela qu'ils furent exterminés. -Abraham ne marcha
pas dans cette voie, et fut [inscrit comme ami] (5) (Is., xli, 8), parce
qu'il avait observé les commandements de Dieu, et n'avait pas pré-
féré ^le gré de son esprit, et il transmit (cette fidélité) à Isaac et à

(1) s et L effacent iQ^j; comme une dittographie. Alais la phrase a une allure mystérieuse
voulue. L'auteur veut dire que ceux de la secte portent le nom de son fondateur qui est
ici nommé Oint, c'est-à-dire grand prêtre ou Messie. De toute façon il appartient au passé.

L'existence de deux messies se concilierait bien avec la théorie des âges du monde, avec
des hommes extraordinaires appelés nominativement par Dieu.
(2) *)2V^ avec L qui cite Sir., 42, 8.

(3) Lire 'ii'i^ au lieu de Ifiy (S). Allusion à la chute des anges; cf. FTénoch, 1, 5; 7, 2;
Jubilés, 4, 16; Test. Ruben, 5, 6; Apoc. Baruch, 56, 12.
Nepht. 3, 3.5;

(4) Aucune allusion à des supplices éternels. C'est l'âge antérieur au déluge, dont Noé
fut l'homme providentiel.
(5) D'après L S~[lN 2r!]3''1. D est vrai qu'avant la lacune S lit yiT. Cf. Jubilés, 19, 9;
30, 20.
218 REVUE BIBLIQUE.

Jacob, et ils observèrent (les commandements) et ils furent inscrits


comme amis ^de Dieu et (mis) en possession de l'alliance pour tou-
jours.
Les tils de Jacob s'y égarèrent (1), et ils furent châtiés conformé-
ment [2) à °leur erreur; et leurs fils en Egypte marchèrent dans
l'obstination de leur cœur, de façon à se décider contre "^les com-
mandements de Dieu et à faire chacun ce qui lui plaisait, et ils

mangèrent le sang (3).


Et il extermina "leurs mâles dans le désert ^quand il] leur [dit] à
Cadès : Montez et possédez ;Dt., ix, 23) [la terre, et ils endurci-
rent] (4-) leur esprit, et ils n'écoutèrent pas ^la voix de celui qui
les avait faits, les commandements de leur docteur, et ils murmu-
raient dans leurs tentes (Ps. cvi, 25), et la colère de Dieu s'enflamma
9 contre leur communauté, et leurs fils périrent par cette (colère),
et leurs rois furent exterminés par elle, et par elle leurs héros
•f*
périrent, et par elle leur pays fut désolé (Jer., xii, 11). C'est envers
elle que furent reconnus coupables ceux qui vinrent à l'alliance les

premiers, et ils furent livrés l'au glaive, parce qu'ils avaient aban-
donné l'alliance de Dieu et avaient préféré leur caprice, et avaient
erré après l'obstination '-de leur cœur de façon à agir chacun à son
gré (5).
des personnes attachées aux commandements de Dieu
Et par
12 au milieu du peuple, avaient échappé, Dieu établit son
qui,
alliance pour Israël, à jamais, en révélant '^à ceux-ci les choses
cachées en quoi s'était égaré tout Israël. Ses sabbats saints, et ses
solennités '^glorieuses, ses témoignages justes et ses voies véri-
diques, et les bons plaisire de sa volonté, que doit accomplir '''l'homme
pour être sauvé par eux [et ceux qui les rejettent ne vivent pas],
il a ouvert devant eux (6) !

(1) Celte alternance de péché et de fidélité rappelle les eaux claires et les eaux noires de
l'Apocalypse de Baruch (56 ss.).

(2) Lire "isS au lieu de IJE"*.

(3) Insistance sur la défense de boire le sang dans Hénodi, 7,5; Jubilés, 6, 9.12.13;
7, 28.29; 21, 6.7.17.18.
(i) Suppléer des mots omis (en partie d'après S et L) [in TC7»X3] et [Twp"'1 VINH TIN] ;

cf. Num.. 14, 29.43; Dt., 1, 10.46; Ps. 106, 33.

(5) le détail (comme Baruch) la théorie des


L'auteur tourne court et ne poursuit pas dans
âges. Nous sommes revenus au point de départ, au moment de la crise qui a déterminé
la fondation de la secte.
(6) Lincise placée entre crochets doit être remontée avant nn£. Ce mot est maintenant

précédé d'un blanc qui a mis dans l'embarras S et L. La vraie construction a été reconnue
par Leszynsky. Il n'y a donc pas à corriger an^JS^ ^^Pr^* nn£, La phrase est conçue pour
mettre en relief la nouvelle révélation.
LA SECTt: JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAVS DE DAMAS. 219

Et ils ont creusé un puits pour beaucoup d'eaux


et ceux qui < ^'

ne vivent pas>., et eux-mêmes s'étaient roulés dans le


les rejettent

péché de l'homme, et dans des voies où ils se souillaient, ^^ et ils


avaient dit « C'est à nous (1)1 » Et Dieu, dans l'étendue (2) de son
:
' '

miracle, a pardonné leur iniquité et a levé leur péché.


i-'Et il leur a bâti une maison sûre en Israël (II Sam., ii, 35),
comme on n'en avait pas élevé auparavant et jusqu'à -'^mainte-
nant, (composée) de ceux qui persévèrent (dans leur attachement)
à lui pour la vie éternelle (3), et toute g-loire humaine leur appar-
tient, comme -^Dieu l'a établi pour eux par le ministère d'Ézéchiel
le prophète, disant : (^ Les prêtres et les lévites et les fils de

Page i.

Sadoq, qui ont gardé la garde de son sanctuaire, tandis que les fils
d'Israël s'égaraient -loin de moi, eux m'offriront graisse et sang ':4) »
(Ez., XLiv, 15).

Les prêtres sont les pénitents (5) d'Israël, ^qui sont sortis du
pays de Juda, et [les lévites sont ceux^ qui se sont joints à (6) eux.
Et les fils de Sadoq sont les élus ^d'Israël, appelés par leurs noms,
qui surgiront à la fin des temps 7).

Voici le sens vrai ''de leurs noms, selon leurs générations, et l'âge

de leur avènement, et le nombre de leurs tribulations et les années


"de leurs migrations, et le vrai sens de leurs œuvres.
Ils ont sanctifié les années (8) où "Dieu leur a pardonné et : ils ont
donné raison au juste, et ils ont condamné le pervers. Quant à ceux

(1) s compare Ez., 11, 15 et 33, 24 : « C'est à nous que le pays a été donné ».

(2) Lire 2112 au lieu de IT12 (S).

nïJ ''TiS. Cependant le contexte autorise à prendre ni" dans le sens d'honneur.
(3)

Dans le texte d'Ézéchiel il est question des prêtres lévites (ils de Sadoq. Notre texte
(4)

suppose trois catégories dont il va faire l'application à la secte. Le prophète dit « loin de
moi »; le Ms. porte « loin d'eux », comme si le crime d'Israël était de ne pas suivre la
direction des disciples de la nouvelle alliance! Il faut rétablir la coupure an "iSî/O (B). :

Les fonctions sacerdotales ne paraissent pas du tout dans 1 explication.


(5) "ii^ qui peut être I2ï7 « la captivité » (S) ou "in^^ « les repentants ». Je préfère le

second sens avec L et B; cf. Is.. 1, 27 ; 59, 20. Les Cara'ites seront « les gémissants ».

(6) Di1"i;m, jeu des mots avec 'il'i qu'il faut suppléer.
(') D'''2''r! niinN2 dans la Bible indique toujours l'avenir; de même ici. Cela n'erapéche
pas que les membres de la secte ne soient déjà (ils de Sadoq; mais ce nom est réservé à
ceux d'entre eux qui seront les hommes providentiels du dernier âge, les fils de Sadoq par
excellence, naturellement sortis aussi de la secte.
(8) Je lis at:u? Itt^'iTOH au lieu de nl^Vj; '^L'UTlpH, tout à fait désespéré. L : « tels sont

les serviteurs du Dieu saint » ; S : the holy they alter. C'est la première période de la secte,
période caractérisée en peu de mots, le temps du gouvernement des saints.
220 REVL'E BIBLIQUE.

qui sont venus après eux *pour agir selon le vrai sens 1; de la Loi,
où ont été instruits les premiers, jusqu'à l'achèvement Me l'âge
(qui comprend; ces années, — selon l'alliance que Dieu a établie pour
les premiers, de façon à pardonner '*^ leurs iniquités, ainsi Dieu leur
pardonnera.
Et à l'achèvement de cet âge, selon le nombre de ces années,
l'il n'y aura plus à se rattacher à la maison de Juda (2), mais à se

tenir chacun sur '-son refuge; l'enceinte a été construite, le statut


a été reculé iMich., vu, 11). Et dans toutes ces années -là (3),
'3 Bélial sera lâché dans Israël, comme Dieu a dit par Isaïe le pro-
phète, ^^fils d'Amos « erreur et fosse et piège sur toi, habitant
:

du pays » (Is., xxiv, 17).


Son explication ''Ce sont les trois filets de Bélial, dont a parlé
:

Lévi, fils de Jacob (i), "^au moyen desquels il (Bélial) a saisi Israël,
et il leur a présenté leur apparence (5) comme trois sortes ^"de
justice : le premier, c'est la luxure; le second, le lucre; le troi-
sième, '^la pollution du sanctuaire; celui qui sortira de celui-ci sera
pris dans celui-là, et celui qui échappera à celui-là sera pris dans
1^ cet autre (Is., xxiv, 18).
Ceux qui bâtissent la muraille (6), qui sont forts pour la règle —
la règle c'est celui qui débite,dont il a dit — -*J
: « ils débitent à
force » (Mich., dans deux (de ces pièges)
ii, 6); ceux-là ont été pris :

dans la luxure, de façon à prendre -'deux femmes durant leur vie,

(1) U."n£ "16 parait signifier lexpiication orthodoxe de la Loi, soa vrai sens. La
secte

ne prétend pas innover, mais retrouver par révélation le vrai sens des institutions mosaï-
ques et s'y conformer. De là la description de 1 ige qui suit celui des débuts on observera :

la Loi, et, si Ion pèche, Dieu pardonnera.

(2) Toute la nation reportait ses espérances sur la maison de David, du moins pour
le

moment de la restauration des derniers temps par le Messie. C'est ce que la secte refuse
d admettre. La séparation est désormais irréparable-, chacun chez soi. Et l'on cite dans ce
sens Michée (au futur dans le prophète).
(3) On dirait des derniers temps, mais on va voir que Bélial a déjà agi dans le passé;
ce n'est pas un homme, c'est Satan, le vieil adversaire, u Toutes ces années » sont donc

toutes les années du monde, sauf peut-être les périodes exceptionnellement bonnes.
(4) Test. Lévi. 14, 5-8, sur les péchés des jirélres et des lévites, avarice, luxure, mépris
des chose*! saintes.
(5) Très bien saisi par L.
(6) Vinn "III. V"" est pour V'Tî; 1? changement de 1 en "^ ou réciproquement est si fré-

quent que je me suis abstenu de le signaler. L'expression complétée plus loin ;8, 12 ]
par

"En 1""^ est empruntée à Ezéchiel (13, UV. On veut qu'elle signifie les Pharisiens, qui ont

fait une haie à la loi. Mais ce n'est point en tout cas ce que signifie cette image. Dans
le prophète il s'agit de ceux qui bâtissent un mur à la hâte et l'enduisent d'un crépi pour
masquer sa mauvaise qualité ou ses brèches. L'auteur a bien en vue les Pharisiens, et tous
les tièdes; il les caractérise comme faisant de vains efforts pour rétablir le judaïsme par

des expédients.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 221

alors que le principe de la création est : « il les a créés mâle et


femelle » (Gen., i, 27).

Page 5.

Et ceux qui entrèrent dans l'arche, « ils entrèrent dans l'arche


deux à deux » (Gen., vu, 9). Et du prince il est écrit '-« il ne pren- :

dra pas beaucoup de femmes « (Dt., xvii, 20) (1).


Quant à David, il n'avait pas lu le livre de la Loi scellé qui "était
dans l'arche, car il n'avait pas été ouvert dans Israël depuis le jour

de mort d'Élcazar ^et de Josué <Cet de Josué>> (2) et des vieil-


la
lards qui servirent les Astaroth, et il fut caché et [ne fut pas] -^

révélé (3) jusqu'à l'avènement de Sadoq; et les actions de David


furent 'révélées' (i), sans parler du sang d'Urie! "et Dieu les lui
avait remises (5).

Et aussi ils ont souillé le sanctuaire, en ce qu'ils ne "pratiquaient


pas les séparations selon la Loi, et ils couchaient avec celle qui
voyait couler son sang, et il leur arrivait de prendre (pour feqime)
s
la fille de leur frère et la fille de leur sœur. Et Moïse a dit :
^ « ]Ve

t'approche pas de la sœur de ta mère, c'est la chair de ta mère »

(Lev., xvui, 13) (6).


Or la loi des prohibitions matrimoniales (7), c'est pour lesmâles
'0 qu'elle est écrite, mais (il doit en être) de même pour les femmes.
Et si la fille du frère découvre la nudité du frère ^^ de son père,
c'est aussi sa chair (8).
Ils ont même souillé l'esprit saint qui était en eux par leur langue;
l'ils ont blasphémé; ils ont ouvert la bouche contre les statuts de
l'alliance « Us ne tiennent pas
de Dieu, disant :
(9;! » ^^et ils ont
prononcé contre eux des abominations.

(1) Ce texte qui condamne l'abus de la polygamie est cité contre toute polygamie.
(2) Dittographie, y^^lT y^yi.Tîr

(3) Ajouter î<Sl avec S.


(4) iSyil « montèrent ». ou à hiph. « ils exaltèrent les actions de David » (cf. Ps. 137,
6); aucun sens Leszynsky suppose une racine SS^ ou Si". Je lis iSiV
n'est satisfaisant.

(5) L'auteur a moins pour but d'exprimer de l'hostilité à l'égard de David L) que de se
débarrasser de l'autorité de ses pratiques de polygamie. Depuis la révélation de Sadoq, on
sait ce qu'il faut en penser. D'ailleurs Dieu a pardonné à David; c'est toujours une grande

figure.

(6) Cité largement.


(7) Litt. « des nudités ».

(8) Les Pharisiens permettaient à l'oncle d'épouser sa nièce, tandis que la tante ne pou-
vait épouser son neveu. Les Cara'ites, plus sévères sur ce point, faisaient remarquer que
le degré de parenté est le même. C'est l'argument de notre auteur (S).
Qui sont ces audacieux? Ne sont-ce pas simplement des casuistes qui ont essayé da-
(9)

doncir la loi sans la violer ouvertement?


222 RE\TJE BIBLIQUE.

Tous ont allumé du feu et ont embrasé des tisons (Is., l, 11) ; leurs
toiles étaient des toiles *^ d'araignées (Is., lix, 9); leurs œufs, des
œufs de eux ^""ne sera pas inno-
^*ipères (ibid.^\ celui qui se joint à
cent; bientôt (1) sa maison sera désolée, sûrement il sera écrasé.
C'est ainsi (2) que, autrefois, Dieu a visité ''Ueurs œuvres et sa colère
s'est enflammée au sujet de leurs forfaits, car ce n'est pas un peuple

intelligent (Is., xxvii, 11), ''c'est une nation qui perd le sens (^Dt.,
XXXII, 28), car n'y a pas parmi eux d'intelligence; c'est ainsi qu'au-
il

en scène '^ Moïse et Aaron par le ministère du prince


trefois est entré
des lumières 3 et Bélial a suscité lahné et ''son frère (4\ dans sa
,

malice, au moment où (Dieu) a sauvé Israël pour la première fois.


20 Et (de même^ à l'âge de la ruine du pays, ont surgi des gens

qui changeaient les bornes 5\ et ils ont égaré Israël, -i et le pays


a été désolé, carils ont prêché la défection contre les commande-
ments de Dieu, (indiqués) par le ministère de Moïse, et aussi

Page 6.

par son Oint saint (6), et ils ont prophétisé le mensonge, pour
détourner Israël de suivre -Dieu.
Et Dieu se souvint de l'alliance des premiers, et il fit surgir d'Aa-
ron des intelligents et d'Israël ^des sages, et il leur a fait enten-
dre (T ) (sa révélation».
Et ils ont creusé le puits, « le puits qu'ont creusé les princes,
qu'ont percé ^les nobles du peuple parle Chef» (Xum., xxi, 18).
Ce puits, c est la Loi, et ceux qui l'ont creusé sont ^les pénitents
d'Israël, qui sont sortis du pays de Juda et qui ont séjourné au
pays de Damas, 'que Dieu a tous nommés princes, parce qu'ils l'ont
cherché, et que ^son honneur n'a pas chômé dans la bouche
d'un seul 8).

(1) Ea lisant -«-^ au lieu de "TiD (L).

(2) Supprimer ^X revenu par dittographie.


(3) C''"^'ÎN."1 "'w* """Z, fi traduisant ;"2 comme dans les autres cas. Lange des lumières
n'est pas le ministrede Moïse mais de Dieu, comme l'ange de la présence dans les Jubilés,
1, 27: 2. 1; spécialement dans les miracles devant le Pharaon Jub., 48, 4. :

(4) Jannès et Mambré, les deux magiciens qui ont lutté contre Moïse et Aaron.

(5) Du droit divin et humain.


(6) Cet Oint est évidemment lemême i[ue celui de 2. 12, qui avait fait connaître l'esprit i

de Dieu. Ce doit être aussi le même que Sadoq 5. 5^ qui avait tiré la Loi de Moïse de
loubli.
[') Après cette rapide revue des âges, avec un nouveau renvoi (5, 17-19 nous sommas .

revenus exactement au point de 3, 16.


(8) Le teste inx ^E2 zn-NS Zw*T"! N"'T « et n'est pa^ revenue leur branche dans la
:

bouche d'un seul «. Je lis les trois premiers mots *in"'Nîr ,~P2*w n'^T-
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 223

Et le Chef, c'est celui qui scrute la Loi (1), dont Isaïe ^a dit : « pro-
duisant Imstrument pour son travail » (Is., liv, 16).

Et les nobles du peuple sont ceux ' qui sont venus pour percer le

puits avec les règles qu'a tracées le Chef (2), ^'^pour y marcher
durant tout Tàg-e de la perversité, et sans elles ils n'atteindront
pas (3), jusqu'à l'avènement "du docteur de justice (4), à la fin des
temps.

Et tous ceux qui ont été amenés au pacte '"-de ne pas entrer dans
le sanctuaire pour allumer son autel, et qui ont fermé ''^ la porte (5),
dont Dieu a dit Qui d'entre vous fermera sa porte, et n'allumez
: «

pas mon autel ''en vain » (Mal., i, 10) s'ils n'observent pas d'agir :

selon le vrai sens de la Loi à l'âge de la perversité, et de se séparer


'"'des fds de perdition, et de se préserver du lucre de la perversité,
impur, (provenant) de vœu ou d'interdit ou "'des biens du sanc-
tuaire, eten volant les pauvres de mon peuple, en faisant des veuves
leur proie, et en assassinant ''les orphelins, — et de distinguer entre
fimpur et le pur, et de déterminer entre '^le saint et le profane,

et de garder le jour du sabbat selon son vrai sens, et les solennités,

'•'et le jour du jeûne, 'selon les commandements' (6) de ceux qui


sont venus à la nouvelle alliance au pays de Damas, ~^'de prélever
les choses saintes selon le vrai sens (de leurs règles), d'aimer chacun

Le fondateur de la secte, le Mehoqeq n'est donc pas le premier Oint. C'est un


(1)
exégète, qui donne le vrai sens de la loi.
(2) La comparaison est ingénieuse; la nouvelle constitution est forgée comme l'instru-

ment qui doit servir à tous, durant l'âge où il y a encore, des épreuves à subir.
(3) Sous-entendu « les chemins de la vie »
: cf. Prov., 2, 19. ;

(4; 11 n'y a pas pfi" ri1T2, comme 1, 11, mais pfïri "1"'', ce qui n'est pas très diffé-

rent puisque niT' est pris comme substantif, 20, 14, Schechter a conclu de ce passage que
le docteur de justice ressusciterait à la fin des temps. Cela n'est pas certain; le rôle du
Messie sera aussi celui d'un docteur, mais il sera une autre personne, le Messie issu
d'Aaronet d'Israël. Le docteur de justice Mehoqeq est donc placé entre deux Oints.

Le sens de ce passage important a été déterminé par M. Lévi, d'après la référence déci-
(5)

sive à Jér., 34, 10 et II Chr., 15, 12. 11 en a conclu avec raison que la séparation plus —
ou moins volontaire —
de la secte, avait eu lieu dans un moment où le culte du sanctuaire
était en vigueur; ce qui cependant n'est pas décisif comme il le pense pour une date avant
70 ap. J.-C, puisqu'on a certainement offert des sacrifices au temps de la révolte sous
Hadrien. D'ailleurs, L a tort de traduire -.
« "l^l x^i nx parce qu'on n'observait pas la loi

comme il convenait ». Il semble que nx indique le serment (cf. Ps. 132, 3), quoique par
une tournure indirecte. Ce qui suit est l'engagement pris par quiconque adhérait à la
secte. Après la citation de Malachie il faut sous-entendre comme dans tous les serments
« sous les malédictions de la loi » : ils ont dit : qu'il leur arrive telle ou telle chose,
s'ils, etc.

(6) Lire niÀ*^- au lieu de N'ïGl.


224 REVUE BIBLIQUE.

son frère '-'comme soi-même et de soutenir le miséreux et le pauvre


et l'étranger, et de chercher chacun la paix

Page 7.

de son frère, et que personne ne rende coupable d'unions prohi-


se

bées, de s'abstenir de la luxure ~ selon


le droit, de se reprendre
mutuellement (Lev., xis, 17), selon le commandement, et de ne
point garder rancune et de s'écarter de toutes
^ d'un jour à l'autre,
les choses impures selon de ne point souiller ^l'esprit
les droits, et

saint qui est en eux, puisque Dieu les a séparés! Tous ceux qui mar-
chent "^dans ces (voies), dans la perfection de la sainteté selon tous
les principes de l'alliance de Dieu,

Document B. Page 19. Document 4 {suite).

il y a assurance pour eux de les faire il y a assurance pour eux ^de les faire

vivre mille générations (1). Comme il est vivre mille générations (1). Et s'ils habi-
écrit : « Gardant l'alliance et la faveur tent dans des camps, selon la règle du
-pour ceux qui l'aiment et pour ceux qui pays, et qu'ils prennent "'des femmes, et

gardent sescommandements jusqu'à mille qu'ils engendrent des fils, alors ils devront
générations » (Dt., vu, 9). Et s'ils habi- marcher selon la Loi et suivant le droit

tent dans des camps, selon les statuts ^des principes, suivant la règle de la Loi,

3 du pays qui existaient auparavant, et comme il a dit : « entre un mari et sa


qu'ils prennent des femmes selon le femme, et entre un père '-"et son fils »

mode de la Loi, et qu'ils engendrent des (Xura., xxx, 17) (2).

fils, 'alors ils devront marcher selon la Et tous ceux qui rejettent (les com-
Loi, et suivant le droit des principes, mandements) , lorsque Dieu visitera le

suivant la règle de la Loi, "


comme il a pays pour faire retomber la faute des
dit : « entre un mari et sa femme et pervers "'sur eux, lorsque s'accomplira
entre un père et sou fils » (Num., xxx, ce qui est écrit dans les paroles d'Isaïe,

17) (2). fils d'Amos, le prophète, '*qui a dit :

Et tous ceux qui rejettent les comman- <( Il viendra sur toi et sur ton peuple et
dements « et les statuts, c'est pour faire sur la maison de ton père des jours comme
retomber ce qui est dû aux pervers sur '^il n'en est [pas](3) venu depuis le jour

eux, quand Dieu visitera le pays, 'quand où Ephraïm s'est détaché de Juda » (Is.,

s'accomplira la parole écrite parle minis- VII, 17), '3 le prince (4) d'Ephraïm (se sé-

tère du prophète Zacharie : « Épée, parant) de Juda. Et tous ceux qui avaient
réveille-toi contre mon pasteur et con-
^'^
fait défection furent livrés au glaive, et

tre l'homme de mon intimité, dit Dieu; ceux qui avaient persévéré '^se réfugiè-
frappe le pasteur et les brebis seront rent dans un pays du Nord. Comme il a

(1) Aucune vue de l'au-delà. Un pharisien aurait conclu : ils seront heureux dans ce
monde et dans l'autre [Lévi).
(2) Dans les Nombres il est
question du pouvoir qu'a le père et le mari sur les vœux de
sa fille et de sa femme, aussi le teste porte-t-il « le père et sa fille ». Notre auteur donne
cette solution particulière comme un principe général.

(3) Restituer xS devant 1X2 comme dans le texte d'Isaïe.

(4) ^if, qu'il faut probablement lire i::, il a fait défection.


LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 22'

dispersées, ^ et je tournerai ma main dit : «Je transporterai Sikkout votre roi,

contre les petits » (Zacb., xiii, 7). Or '•et Kiyoun votre idole, 'au delà '
(1)
ceux qui lui sont fidèles sont « les pau- de Damas » (Ara., v, 26}.

vres du troupeau » (Zach., xi, 7). Les livres de la Loi sont la hutte (2)
<**
Ceux-là seront sauvés, au temps de la '6 du roi, comme il a dit : « Je relèverai
visite, et le restant sera livré au glaive, la hutte de David, tombée» (Am., ix, 11),
quand viendra le Messie " d'Aaron et et le roi, ''c'est l'assemblée, et [ ] (3)
d'Israël, comme cela a eu lieu lors de la Iviyoun des idoles, ce sont les livres des
'
première visite, comme a dit '
Dieu prophètes, '«dont Israël a méprisé les
<2par le ministère d'Ézécliiel, de marquer paroles. El l'étoile, c'est l'interprète de
d'un signe le front de ceux qui soupirent la Loi '9 qui est venu à Damas, comme
et gémissent (Ez., ix, 4), '^ et le restant il est écrit : « une étoile a m:iri-bé de
a été livré au glaive, exerçant la ven- Jdcob, et un seepire s'est levé 20 j Israël »
geance de l'alliance. (Xum., XXIV, 17): le sceptre, c'est le
Tel Sera le cas de tous ceux qui sont Prince de toute la communauté, et à son
venus ^' a son alliance et qui ne persévé- avènement « il brisera 21 tous les fils du
reront pas dans ses statuts, ce sera d'être tumulte » (4) {ibid.). Ceux-là ont trouvé
visités pour la destruction pnr le minis- un refuge au temps de la première visite.
tère de Déliai. ^^CVst le jour où Dieu
Page 8.
visitera, comme il a dit « Les : princes
de Juda sont comme ceux qui dépla- Et ceux qui avaient fait défection ont été
cent '6 les bornes; je répandrai sur eux livrés au glaive. Et tel est le sort réservé
la colère comme de l'eau » (Os., v, 10). à tous ceux qui sont venus à sou alliance,
Car ils sont entrés dans l'alliance de la qui- n'y ont pas persévéré, lorsqu'il les
'"
pénitence, et ils ne se sont pas écartés visitera pour la destruction par le minis-
de la voie des rebelles, et ils se sont tère de Bélial. C'est le jour ^où Dieu vi-

exercés dans les voies de la luxure et sitera! Les princes de Juda ont été sur les-

dans le lucre de la perversité ;


'^ il en quels répands la colère (.5). '*Car ils ont été
est qui se vengent et gardent rancune malades à ne pouvoir guérir (0), et il les
envers leur frère, et qui haïssent leur a brisés; eux tous ont été des révoltés,
prochain, et ils se sont cachés ^^ 'de' la parce qu'ils ne se sont pas écartés de la

chair de leur parenté (7), ils se sont voie ^des rebelles et qu'ils se sont roulés
rapprochés pour des actions honteuses, dans les voies de la luxure et dans le lucre
et ils se sont grandis en lucre et en gain, de la perversité ; il en est qui se vengent et
et ils ont chacun ce qui lui plai-
fait -*^ gardent rancune ^enversleur frère, et qui
sait, et ils ont choisi chacun dans l'obsti- haïssent leur prochain, et ils se sont ca-
nation de son cœur, et ils ne se sont pas chés 'de' la chair de leur parenté (7),

(1) HnSiID comme dans Amos; le texte "iShî^^D « des tentes ».

(2) DDID, jeu de mots avec Sikkout.


Omettre DIdSï."! "IjI^^"!.
(3)

impossible de distinguer plus clairement entre le fondateur de


(4) Il est la secte, qui fut
un interpiète, restaurateur de la loi, et le Messie qui sera un prince.
(5) Le texte est à rétablir d'après le document B.

(6) Lire N21Q "{''nS (cf. II Chr., 21, 18). L « ils espèrent [en vain] la guérison ».

(7) Les deux textes ont mSi?n', qui peut se justifier par I.s., 58, 7, en lisant "ix^Q au
lieu de "iNyjl. Le vice serait un manque de charité. Mais le mieux serait encore de lire

l^yC, ils se sont rendus coupables d'unions prohibées.

REVtE BIBLIOL'Ë 1912. — N. S., T. IX. 15


226 REVUE BIBLIQUE.

tenus à l'écart du peuple (2),


21 et de ses "ils se sont rapprochés pour des actions
péchés. Et ils se sont émancipés à honteuses, 'et ils se sont vendus' (1) au
main haute, de façon à suivre les lucre et à l'avarice, et ils ont fait chacun
voies des pervers -- dont Dieu a dit : ce qui lui plaisait, ^et ils ont choisi cha-
« Leur vin est du venin de dragons, et cun dans l'obstination de son cœur, et
du poison de vipères, pernicieux )> ils ne se sont pas tenus à l'écart du
(Dt., XXXII, 33). Les dragons, -^ce sont peuple (2), et ils se sont émancipés à
les rois des peuples, et leur vin, ce sont main haute, -de façon à suivre la voie
leurs voies, et le poison des vipères, des pervers dont Dieu a dit : «Leur vin
c'est le chef (3) ^'-des rois de Javan (4), est du venin de dragons, '"et du poison
venu contre eux pour tirer vengeance. de vipère, pernicieux » (Dt., xxxii, 33).
Et dans tout cela ils n'ont pas compris, Les dragons, ce sont les rois des peuples,
ceux qui bâtissent-' la muraille et qui et leur vin, ce sont "leurs voies, et le
étendent le crépi (Ez., xiii, lOi, car le poison des vipères, c'est le chef (3) des
personnage) courant après le vent et rois de Javan (4), venu pour tirer d'eux
pesant la tempête a distillé (5) aux hom- '2 vengeance.
mes 26 le mensonge (Mich., 11, 11), de Et dans tout cela ils n'ont pas com-
sorte que la colère de Dieu s'est enflam- pris, ceux qui bâtissent la muraille et qui
mée contre toute sa communauté. Et étendent le crépi (Ez., xiii, 10), car
selon ce que iMoïse a dit -" à Israël : '•'le précipité d'esprit et celui qui distille
'< Ce n'est pas à cause de ta justice et de le mensonge leur a distillé (Mich., 11, 11),
la droiture de ton cœur que tu es venu de sorte que la colère de Dieu s'est
pour conquérir ces nations, 28 mais parce enflammée contre toute sa communauté.
qu'il a aimé tes pères, et parce qu'il a ' '
Et selon ce que Moïse a dit : « Ce n'est
gardé le serment » (Dt., ix, 5) ; tel est pas à cause de ta justice et de la droiture
-3 le cas des pénitents d'Israël. Ils se de ton cœur que tu es venu pour con-
sont écartés de la voie du peuple à cause quérir '-^ces nations, mais parce qu'il a
de l'amour de Dieu pour les premiers aimé tes pères, et parce qu'il a gardé le
•0 qui avaient adjuré de suivre Dieu, serment» [Dt., ix, 5); ^''tel est le cas
et il a aimé ceux qui sont venus après des pénitents d'Israël. Ils se sont écar-
eux, car à eux appartient ^i l'alliance tés de la voie du peuple à cause de
des pères. Et Dieu hait et a en horreur l'amour de Dieu pour ''les premiers
ceux qui bâtissent la muraille, et sa qui ont excité [le peuple] (6) à le suivre;
colère s'est enflimmée contre eux et il a aimé ceux qui sont venus après eux,
contre tous ceux ^^ qui les suivent; et car à eux appartient '^ l'alliance des
il en est de même pour tous ceux qui pères.
rejettent les commandements de Dieu. Et dans sa haine de ceux qui bâtissent
33 et il les a abandonnés et ils se sont la muraille, sa colère s'est enflammée.
détournés dans l'obstination de leur Et tel est le cas '^de tous ceux qui
cœur. rejettent les commandements de Dieu,
De même tous les hommes qui sont et il les a abandonnés, et ils se sont dé-

(1) 'n^Qn'il au lieu de TiD^niT ou bien lire comme B Tiijn^l.

(2} Le caractère exclusif de la secte parait bien ici, car le peuple est le peuple d'Israël.
(3) Jeu de mots sur rôch poison », et rôch chef ".
•• >•

(4) Javan, la Grèce, ou pput-ètre ici l'Occident ?

(5) r|lT2n comme dans A, au lieu de ï^I'ûG, emprunté à Michée. On voit ici reparaître j

l'adversaire de 1, 14.
(6) D'après B, lire ","!.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 227

entrés dans l'alliance ^''-nouvelle au pa}s tournés dans l'obstination de leur cœur.
de Damas, et qui (ensuite) ont eu du 2f>C"est la parole qu'a dite Jérémie à
et Elisée 21 à
regret, et se sont mal conduits, et se Baruch, (ils de Nériyah,
sont écartés du puits des eaux vives, ''•' i\s Geliazi, son serviteur.

ne K'eront pas comptés dans le conseil du Tous les hommes qui sont entrés dans
peuple, et ne seront pas inscrits dans son l'alliance nouvelle au pays de Damas...
livre (Ez., xiii, 9), depuis le jour où a
(Lacune.)
été enlevé (1)

Pagk 20. Document B {suite).

le docteur unique, l'avènement du Messie d'Aaron et


jusqu'à
d'Israël. Et tel le cas de 2 quiconque sera venu à la communauté,
parmi les hommes de parfaite sainteté, et qui se serait dégoûté de
pratiquer les préceptes des justes; ^c'est l'homme qui a fondu dans la
fournaise (2). Quand ses œuvres auront été manifestées, il sera ren-

voyé de la communauté comme si son lot n'avait jamais été assigné


^

parmi les disciples de Dieu; en raison de son crime, qu'on fasse men-
tion de lui avec' (3) les hommes ^de fraude, jusqu'au jour où il
recommencera à siéger dans le conseil des hommes de parfaite sain-
teté. ^'Ei lorsque ses œuvres auront été manifestées, d'après l'inter-

prétation (correcte) de la Loi que suivent 'les hommes de parfaite


sainteté, que personne ne l'assiste, en argent ou en service, '^car tous
les saints du Très-Haut l'ont maudit, et tel sera le cas de quiconque
rejette (l'autorité des) premiers ^ et des derniers (1); (ce sont des
gens) qui se sont attachés aux idoles (5), et qui ont marché dans
l'obstination l'Me leur cœur; il n'y a pas de place pour eux dans la
Maison de la Loi (6 1
; ils seront jugés selon le droit applicable à leurs
compagnons qui sont retournés ^'avec les hommes de raillerie, car

ils ont proféré l'erreur contre les statuts de la justice, et ils ont rejeté
'-l'alliance et la foi qui ont été constituées au pays de Damas, et
c'est la nouvelle alliance; ^-^
et ils n'auront point de part, ni eux, ni
leurs familles, dans la Maison de la Loi. Or, depuis le jour ^*où a été
enlevé le Docteur unique jusqu'à ce qu'aient disparu tous les hommes
de guerre qui ont marché '•'avec l'homme de mensonge, il y a environ
quarante ans (7).

(•) ^nCNn pour dire mourir; litt. « être rassemblé ». Le terme ne suggère pas une dispa-
rition mystérieuse; cf. Sir., 8, 7; 40, 28 et déjà Nura., 20, 26.
(2) Tandis que les saints en sortent indemnes. Dan., 3, 27 s.
(3) En ajoutant ny. D'après le texte « que les mentionnent (seulement)
: les bommes
de fraude ».

[i] Les chefs de la nouvelle alliance, venus après les premiers dépositaires de la Loi.

(5) Dans le sens propre ou par une exagération symbolique?


(6) C'est bien le nom qui convient à la secte.

(7) L'adversaire n'était donc pas seulement un prêcheur qui débitait le mensonge; il a
228 REWE BIBLIQUE.

Et c'est dans ce temps-là que s'est enflammée "Ua colère de Dieu


contre Israël, comme il a dit : « Il n'y a point de roi, ni de prince
(Os., III, i), ni de juge, i' ni (personne) qui reprenne selon la justice
(Is., XI, 4). Et ceux qui se sont repentis de l'iniquité ont gardé l'al-

liance de Dieu. << Alors ils ont dit (1), ^^ chacun à son prochain »

(Mal., iTi, 16) : [que chacun fortifie son frère] (2), qu'il soutienne ses
pas dans la voie de Dieu. « Et Dieu a fait attention ^^à leurs paroles,
et il a entendu, et il a écrit un livre mémorial [devant luij pour ceux
qui craignent Dieu, qui estiment ^^son nom » (Mal., in, 16), jusqu'à
ce que soit révélé salut et justice pour ceux qui craignent Dieu. « Et
~i
vous reviendrez, et vous distinguerez entre le juste et le pervers,

entre celui qui sert Dieu, et celui qui ne le sert pas » (Mal., ii, 18).
Et miséricorde (à mille), à
il a fait ceux qui l'aiment - et à ceux qui
lui sont fidèles jusqu'à mille générations (Ex., xx, 6 et Dt., vu. 9)
[en faveur de ceux?] de Beth-Pélég (3), qui sont sortis de la Ville
sainte, -^ et qui se sont appuyés sur Dieu, à l'âge où Israël a préva-
riqué, et (où) on a souillé le sanctuaire, et (où) ils sont encore reve-
nus -^ à l'idolâtrie' (4) (?). Le peuple (5), en peu de mots, tous, chacun
selon son esprit, seront jugés dans le conseil ''
de sainteté (6). Et tous
ceux qui auront fait brèche dans la limite de la Loi (7), parmi ceux
qui sont venus à l'alliance, lorsque se manifestera ~'^
la gloire de Dieu
pour Israël seront exterminés du milieu du camp, et avec eux tous
^"
ceux qui ont rendu coupable Juda au temps de ses épreuves.
Et tous ceux qui auront persévéré dans ces institutions, de façon
à se conduire-^ conformément à la Loi, qui auront écouté la voix
du Docteur, et qui se seront confessés devant Dieu, [disant] Nous :

avons péché, nous aussi bien que nos Pères, quand ils allaient à
2-'

rencontre des statuts de l'alliance, ^Oetla vérité de tes jugements

entraîné le peuple à la guerre. Si les guerriers avaient au début environ vingt ans, en sup-
posant le dernier mort à l'âge de quatre-vingts ans, le docteur unique serait mort vingt
ans environ après la guerre, et l'écrit aurait été rédigé au plus tôt soixante ans après l'eiode.

(1) 112-j, restitué par L; mais il n'y a point de place pour S.N NTi.

(2) L croit pouvoir lire piTûnS.


(3) Après une lacune qui peut renfermer deux mots et un q douteux, on lit assez sûre-

ment iS3n*'2. Est-ce un nom propre? un nom symbolique, mieux voudrait tra-
Si c'est

duire « la maison de séparation » à cause du contexte, que « la maison du ruisseau ».


(4) A la ligne 24 je ne vois pas de place pour deux points entre Sn et le mot suivant, lu

-•123; ce mot lui-même paraît plutôt être TD3, car il n'y a place que pour trois lettres.

Ce peut être -,^z pour nZDD. Le reproche d'idolâtrie figurait déjà 1. 9. S et L traduisent

« et étaient revenus à Dieu », ce qui suppose un changement de sujet trop brusque.

(5) cyn à joindre à ce qui suit ou à ce qui précède?


(6) Dieu avec ses anges.
(7) On voit que la secte n'est pas moins disposée que les Pharisiens à maintenir la haie!
LA SECTE JLTVE DE LA NOUVELLE ALLL\NCE Al' PAYS DE D.ANUS. 229

(pèse) sur nous; et qui ne lèveront pas la main contre ses statuts
^i
saints, et témoignages véridiques, et qui
son droit juste, et ses
auront profité de la leçon des premiers jugements par lesquels fi) •'^"-

ont passé les hommes de lUnique, et qui auront écouté la voix du


qui n'auront rien objecté ^' contre les statuts
Docteur de Justice 2 1

, et

de la justice quand ils les auront entendus: ils exulteront et se


réjouiront et leur cœur sera atfermi, et ils domineront 3» sur tous les
fils du monde, et Dieu leur pardonnera, et ils verront son salut,
car ils se sont réfugiés à l'ombre de son saint Nom.

Page 9.

Document A [suite).

Tout homme qui voue à la mort un homme de Ihumanité selon


les usages des Gentils, c'est pour le tuer (3\
-Quant à ce qu'il a dit « : Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas
pas rancune envers les fils de ton peuple » Lev., xix, 18 donc ;

tout homme de ceux qui sont venus ^à l'alliance, qui introduit contre
son frère une affaire, qui ne soit pas pour le reprendre devant
témoins (4), ^mais qui l'introduit dans sa colère, ou qui l'aura ra-
contée à ses anciens pour le déprécier, il se venge et garde rancune.
"•Et il n'y a d'écrit que Il se venge de ses adversaires, et il : '(

garde rancune à ses ennemis » (Nah., i, 2) (5).


''S'il a gardé le silence d'un jour à l'autre (6), et c[ue dans sa
colère contre lui il parle contre lui dans une affaire de mort, "il a
témoigné contre lui-même (7). parce qu'il n'a pas observé les com-

(1) UT^1 au lieu de 'Zi (L)-

^2) Ces premiers jugements sont ceux de la tourmente qui a précédé la migration. L'Uni-
que parait être le même, par parallélisme, que le Docteur de justice, nommé le docteur
unique. 20. 1. Il a donc laissé des ouvrages, ou du moins un enseignement; le livre du
Héf/ou y

(3) NM r'*2~''. D'après S qui rattache ,v*- à ce qui suit, c'est la défense de traîner un
Israélite devant les tribunaux païens. L traduit : « sera passible de mort ». Mais x*,-j à la
fin comme 9,17; 12,1 et surtout 16, 11, se rapporte à la phrase, non à la personne. Il sagit
des tabellae devotionis, qui avaient vraiment une intention homicide. < De Lbumanité »

est peut-être une dittographie.


(i) S : « qui ne soit pas prouvée devant témoins «; L: « pour lequel il ne l'aura pas répri-
mandé devant témoins ».
(5) En parlant de Dieu. Le précepte de charité n'oblige donc qu à 1 intérieur de la secte.
L'exemple de Dieu en délie par rapport aux ennemis '

Emprunté matériellement à Num., 30. 15, à propos des vœux.


(6)

*2 niy, que s corrige en 12 l;"l>. L joint ces mots à pl*2 12"72 qui les précède, en
(")

demandant « pourquoi la dénonciation ne serait-elle réprehensible que dans les cas


:

entraînant la mort pour l'inculpé? » Mais ce n'est pas la dénonciation qui est réprehensi-
ble dans un crime capital, c'est le silence. A propos d'un crime, —à la différence du cas
230 REVUE BIBLIQUE.

mandements de Dieu qui lui a dit :


'"^
<( Reprends ton prochain, et
ne porte pas de péctié à cause de lui » Lev., xix, 17).
Au du serment. Pour ce qu' il a dit « Que ta main ne te sauve
sujet •'
:

pas (I Sam., xxv, 26), l'homme qui fera jurer dans la campagne
y>

jet non devant les juges ou par leur ordre, sa main l'a sauvé (1).
^•^

Et (pour) tout ce qui a été perdu ^' et qu'on ne sait pas qui l'a
volé, des objets appartenant au camp où le vol a eu lieu, son pro-
priétaire prononcera ''un serment d'exécration iNum.. v, i) et
celui qui l'aura entendu, s'il est au courant et ne dénonce pas,
sera coupable. ^^ (Pour) tout objet acquis par délit et qu'on doit
restituer, s'il n'y a pas de propriétaire, celui qui doit restituer se
confessera au prêtre, ^* et l'objet lui sera remis, sans compter le
bélier du pour le délit «Cle tout>> [2].
sacrifice
Et de même tout objet perdu qu'on aurait trouvé, et qui n'aurait
pas '^de propriétaire, reviendra aux prêtres, car celui qui Ta trouvé
ne connaît pas sa situation juridique; '"si on ne lui trouve pas de
propriétaire, ils (le) garderont. Tout délit commis ''par quelqu'un
contre la Loi, si son prochain le voit, lui seul, si c'est un crime
capital, il le dénoncera '^
— en présence du coupable en le repre-
nant 3; — àl'inspecteur (i), et l'inspecteur l'écrira de sa main, jusqu'à
ce que (le coupable) en fasse '•autant en présence d'une seule per-
sonne ; celle-ci de nouveau dénoncera à l'inspecteur; s'il recommence
et qu'il soit (encore) surpris par '"^
une seule persomie, sa situation
juridique est en état (5).
S'ils sont deux et qu'ils témoignent (chacun) sur -' une chose
différente, l'homme sera seulement écarté de la Pureté (6), s'ils

sont sûrs - et qu'ils dénoncent à l'inspecteur le jour où ils ont vu


l'homme; et selon le statut, on recevra^ [1) deux -Hémoins sûrs.
et non 'un' (8) pour écarter de la Pureté.

précédent — l'iotérèl public exige quil dénonce {Test. Gad., 4, 3). Désormais quand il

parlera il dénoncera deux personnes, le coupable et lui-naênie qui n'a pas parlé à temps.

(i) Il s'est fait justice à lui-même en déférant le serment sans les garanties légales.

(2) S note que "«^n pourrait être un lapsus corrigé par "21 qui suit.
(3) Cette étrange parenthèse a probablement pour but de sauvegarder la loi qui oblige à
reprendre son frère, et qui n'était évidemment pas prévue pour un crime capital.
(i) "'^l'Z. terme inconnu par ailleurs traduit, censeur • par S. La racine ip2 suggère

presque le terme d'inquisiteur; en grec ce sérail l'ÈTïtdviojîo; ou V kni\i.z/.rtTr,^.


(5) On pense donc que trois témoins successifs de faits différents équivalent à trois

témoins du même fait.


(6) Ce nom pour désigner la secte ne manque pas de saveur — pharisa'ïque.

{') V[2p"] conjecturé par S.

(8^ En lisant ''^x au lieu de "^'j. C'est le seul moyen de tout concilier. L : « mais un seul
(en lisant TJ au lieu de "i"i pourra faire mettre à l'écart de la pureté >«. Ce serait contraire

à la Loi, Dt., 17, G et 19, 15. .\vec le changement proposé (cf. Amos, 5, li), tout se suit.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIAiNCE AU PAYS DE DAiMAS. 231

Et qu'il ne se présente pas de

Page 10.

'témoin' (1) aux juges pour mettre à mort sur sa déposition, qui n'ait

pas atteint l'âge de passer -au recensement, craignant Dieu (2\


Que personne ne soit cru contre son prochain ''comme témoin, s'il
a transgressé à main levée quelque chose du commandement,
jusqu'à ce qu'il se soit purifié par le repentir.
^Et voici la règle pour les juges de la communauté (ils seront) :

jusqu'à dix hommes choisis '^


dans la communauté au temps voulu (3) ;

quatre pour la tribu de Lévi et Aaron, et six d'Israël, ^connaissant


bien le livre du Hégou (4) et If s principes de l'alliance, depuis l'âge
de vingt-cinq ^ans, jusqu'à l'âge de soixante ans, et qu'il ne siège
plus à partir de ^ soixante ans et au-dessus pour juger la commu-
nauté, car, l'homme ayant péché, '^'ses jours ont été diminués, et,
la colère de Dieu s'étant enflammée contre les habitants de la terre,
il a voulu que leur science les quittât, avant qu'ils aient achevé ^'^

leurs jours.
Au sujet de la purification par l'eau.
Que ^^ personne ne se lave dans de leau sale, ou qui ne soit en
quantité suffisante pour l'immersion' (5) d'une personne. '-Qu'on
ne se purifie pas avec (6) d'un vase, et tout creux dans le
l'eau'
rocher qui ne pas pour '^ l'immersion'
suffirait (5), qu'aurait touchée
un homme impur, cette eau est impure comme l'eau du vase.
^^Au sujet du sabbat, pour l'observer selon son droit (propre).
Que personne ne fasse un travail le sixième jour, '^ depuis le mo-
ment où le globe du soleil "^est éloigné de la porte (de la hauteur]
de son plein (7), car c'est là ce qu'il a dit Observe (8) *'le jour : ><

du sabbat pour le sanctiûer » (Dt., v, 12j.

Trois témoins, même sur des faits différents, peuvent faire prononcer la peine de mort; deux
témoins, dans le même cas, l'excommunication; mais un seul témoin n est pas recevable.
Le cas où deux ou trois témoins étaient d'accord sur le même fait était réglé par la Loi.
(1) Lire TJ au lieu de nV; cf. Dt., 19, 15 (S).

(2) Et qui ne soit craignant Dieu.

(3) T\'Jî^ ""dS, ayant l'âge voulu (S); « selon les circonstances » (L); ne serait-ce pas : au
temps marqué pour les élections?

(4) ^Sin^ 1SD.L : v< C'était probablement un traité commençant par le mot i;n, «méditez ».

(5) S'i<?"lD changé par S en S'i^'Cw.


(6) '^122, au lieu de HQl (S).

Le
(7) au matin par une porte et sortait le soir par une autre [HcnocJi,
soleil entrait

72); on est au moment où il n'en est plus séparé que par la hauteur de sa masse

wSq yjtun V2 p*im, c'est-à-dire au moment où il touche l'horizon.


(8) Le commandement de pratiquer le repos devient un ordre de guetter le moment ou
le sabbat commence.
232 REVUE BIBLIQUE.

Et le jour du sabbat, qu'aucun homme ne dise des choses


'^futiles et vaines (1); qu'il ne prête (2) pas à son prochain du
tout ;
qu'il ne dispute pas sur le lucre et le gain ;
'-'
qu'il ne parle
pas des choses du travail et de l'ouvrage à faire le lendemain, -o
Que
personne ne circule dans les champs pour faire le travail néces-
saire (3).
Le (jour du) sabbat, que personne ne se promène en dehors de
^'

sa ville[ ] (4)
plus de mille coudées (5).
"Que personne ne mange, le jour du sabbat, que ce qui a été
préparé, et de ce qui serait perdu -^ dans les champs. Et que (per-
sonne) ne mange et ne boive, si ce n'est dans le camp (6).

Page 11.

En route, s'il descend (à la rivière) pour prendre un bain, qu'il


boive surplace (7), et qu'il ne puise pas avec -un vase quelconque (8).

Qu'il n'envoie pas un étranger pour faire ce dont il a besoin, le

jour du sabbat.
^ Que personne ne prenne sur soi des vêtements sales ou apportés

par un Gentil (9), s'ils n' ^ont été lavés dans l'eau ou frottés d'encens.
Que personne ne place d"eroub (10) de sonpropre gré^ le (jour du)
sabbat.
Que nul après le bétail pour le faire paître en dehors de sa
n'aille

ville si '^
deux mille coudées. Qu'il ne lève pas sa main pour
ce n'est
le frapper du poing. S' "il est indocile, qu'il ne le fasse pas sortir de
sa maison.
Que nul ne fasse (rien) sortir de la maison^ au dehors, ni du dehors
dans la maison, et s'il est dans le vestiljjile, qu'il n'en fasse rien
sortir ^et qu'il n'y porte rien.

(1) Lire avec Bâcher psii S^H, comme Is., 30, 7.

(2).nï,'1 cf. Dt., 15, 2; 24, 10.

(3) lïSn au lieu de iï£n ;


cf. 11, 2. Celle loi est par Irop évidente; il faut probable-

ment lire rilNlS au lieu de nlCyS ;


pour voir ce qu'il y a à faire.

(4) Omettre ^x ou lire "ly?

(5) La distance consacrée est 2000 coudées; cf. 11, 6. Peut-être ici entend-on laller seu-
lement, ce qui ferait dfux mille avec le retour.

(6) Avec L, plutôt que : si ce n'est de ce qu'il y a dans le camp fS). Nourriture préparée,
Jubilés, 4, 9.

(7) T7721" Sy, à même la rivière, en se baignant. L : « avec ses seules ressources ».

(8) Défense de puiser de l'eau le jour du sabbat, Jubilés, 50. 8.

(9) "tlJ^ an l'eu de i;2 (S)' H est probable que cette loi, relative à la pureté, est placée

ici à cause de l'étranger ou du païen mentionné à l'article précédent.

(10) 2lî;ri\ interprété par Leszynsky de la défense d'installer des 'eroub pour grouper
plusieurs maisons en une seule, et tourner ainsi certaines interdictions du sabbat. L suit la
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DA-MAS. 233

Que nul n'ouvre un vase (à bouchon) d'enduit (1) le (jour du)


sabbat.
Que nul ne porte '" sur soi des parfums en allant et venant le (jour
du) sabbat.
Qu'il ne remue pas dans une maison d'habitation '^de la pierre
ou de la terre.
Le nourricier ne doit pas porter le nourrisson en allant et venant,
le (Jour du) sabbat (2j.

'^Que nul ne fasse de reproches (3) à son serviteur ou à sa servante


ou à son mercenaire, le (jour du) sabbat.
'5
Que nul n'aide une bête à mettre bas le jour du sabbat (i). Et
si elle tombe dans un puits '*ou dans dans une fosse, qu'il ne la
retire pas le (jour du) sabbat (5).

Que personne ne chôme dans un lieu proche ''des Gentils le (jour


du) sabbat.
Que personne ne profane le sabbat pour des questions de lucre
et de gain le une créature humaine tombe
(jour du) sabbat. ^''Et si

dans un bassin' (6) d'eau et dans^^ que personne ne un endroit....,


la fasse sortir avec une échelle, une corde ou un instrument.

Que personne n'offre sur l'autel le (jour du) sabbat, ^^si ce n'est
l'holocauste du sabbat, car il est ainsi écrit : <( excepté vos sab-
bats » (7) (Lev., XXIII, 38).

conjecture de S et change en iVirTi ;


interdiction déjeuner, comme dans Jubilés, 50, 12.

(1) mi2 '''^j. Est-ce quelque chose comme du vin cacheté? S cite b. Chabbath, 146% pour
une pratique plus large des Pharisiens.
(2) Michna Chabbath, xviii, 2.

(3) KlQ'i SNiScos douteux. L : « Il est interdit de donner un ordre ».

(4) M. Chabbafh, xviii, 3.

(5) b. Chabbath, 129', moins sévère (S).

(6) DIpC à lire plutôt HlpD, « bassin » ; cf. Lev., 11,36. D1p12 revient sans être déter-
miné. y a un mot omis, peut-être n)3, un endroit quelconque. Leszynsky a supposé que
Il

le mot omis était caché dans S{<, qu'il lit Sen, « dans un endroit obscur ». Dans ce cas la
loi deviendrait positive : qu'on le fasse sortir I Mais alors on ne comprend plus le détail qui
suit. La pensée de la loi est qu'on peut faire sortir une personne humaine, mais à condi-
tion qu'on ne soit pas obligé d'employer des engins.

(7) Contresens volontaire. La loi disait que les jours de fête on ofl'rait certains sacrifices,

IzSd « sans parler » des sabbats de lahvé. Le nouveau législateur entend donc diminuer
beaucoup le nombre des sacrifices, qui peut-être même n'étaient plus oiTerts que le jour du
sabbat M. Lévi se demande si la communauté offrait des sacrifices, ou si cette loi, comme
celles de la Michna, n'était que le legs d'une époque ancienne, sans correspondre à la réalité.
Il incline pour la seconde hypothèse. Cependant, si le législateur avait légiféré dans le
vide, il aucune raison de diminuer
n'aurait eu le nombre des sacrifices. Les restrictions
qu'il introduit par une interprétation fausse de la Loi paraissent inspirées par des réa-
lités.
234 REVUE BIBLIQUE.

Que personne nenvoie '-'à lautel im holocauste ou une oblation ou


de l'encens ou du bois par la main d'une personne impure d'une
-'^impureté quelconque, lui permettant ainsi de contaminer l'autel,
car il est écrit « Le sacrifice -' du pervers est une abomination, et
:

la prière des justes comme une oblation agréable » (cf. Prov., xv, 8).
Et quiconque vient dans '"la maison de prosternation (1), qu'il ne
vienne pas impur [et nouj lavé.
Et quand retentissent les trompettes de l'assemblée, -^ qu'on soit

en avance ou en retard, on cessera << pas >- tout travail; c'est le


sabbat saint!

Page 12.

Que personne ne couche avec une femme dans la ville du Sanc-


tuaire,pour ne pas souiller- la ville du Sanctuaire par leur impureté (2).
Toute personne dominée par les esprits de Bélial ''et qui aurait
prononcé des paroles de rébellion ^Dt., xiii, 6), sera jugée d'après le
droit prescrit pour le sorcier et le magicien, et quiconque, égaré,
^aura profané le sabbat et les solennités ne sera pas mis à mort, mais
sa garde sera confiée à des hommes, ^et, s'il guérit, ils le garderont
encore sept ans, et après "^il viendra à l'assemblée (3).
Qu'on n'étende pas la main pour répandre le sang de quelqu'un
des Gentils "pour le lucre ou le gain; et même qu'on ne prenne rien

(1) nlnrurî n'12 ('"f- Zach., 14, le,. C'est le sensde l'arabe dont nous avons fait mosquée.

La loi serait très simple sans la difBculté des deux mots D123 NC*i2, impur lavé. Il faut ajou-

ter — commedans plusieurs endroits —


la négation qui, précisément est de trop à la lignr

suivante, où elle a pu pénétrer après une correction marginale. L'impur devait se laver (Lev.
15, 10), à plus forte raison pour pénétrer dans la maison de prière. M. Leszynsky a traduit
« maison où Ion s'accroupit, les lieux d'aisances », et joint cette loi à la suivante. Le
la
législateur auraitordonné de prendre ses précautions d'avance ou d'attendre ;ix CTpH''
TûNn'') au lendemain, car il était interdit de satisfaire les besoins naturels le jour du sab-
bat (cf. Jos., Bell., II, vni, 9). L : C'est d'après la sonnerie des trompettes que la commu-
nauté viendra tôt ou tard, mais on ne fera pas chômer complètement le service «. Plus
tard il a dit de l'explication de M. Leszynsky qu'elle est « ingénieuse » {Bévue des études
juives, LXII, 200;. Toute difficulté disparait si l'on enlève à la ligne 23 la négation xSl. C'est

une sorte de conclusion sur le sabbat, .aussitôt que les trompettes sonneront — et il est

impossible de supposer que cette sonnerie n'ait pas été ponctuelle, — on cessera tout tra-
vail, qu'on soit en avance ou en retard. C'est le son de la cloche pour les religieux. Ligne 23
lire rriZC au lieu de TlZU*''ou mettre au pluriel les deux verbes qui précèdent.
(2) Il ne semble pas qu il soit encore question du sabbat. La défense a donc paru trop
absolue. Mais peut-être niL'N que L traduit « sa femme », doit-il s'entendre d'une femme
quelconque, d'un cas qui serait toléré ailleurs par la loi civile. Ou bien dans ï;~p>2ri yj
qui n'est pas « la Ville Sainte », l'iy signifie-t-il l'enceinte du Sanctuaire, comme dans
II Reg., 10, 26 (dont le texte il est vrai n'est pas très sûr).
semble qu'on distingue entre une possession diabolique consentie et un égarement
(3) Il
involontaire; cf. Is.. 29, 24, ni"! *"ri. Sur les esprits de Bélial, Jubilés, 1, 20; 10, 3.
LA SECTE RIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYb DE DAMAS. 235

du tout de leurs biens, afin ^qu'ils ne blasphèment pas (1) ;


si ce n'est

après délibération du conseil d'Israël.


Que nul ne vende un quadrupède -'ou un oiseau pur à des Gentils,
afin qu'ils ne les sacrifient pas. Et de sa grange ^'-et de son pressoir
qu'il ne leur vende pas, pour tout son bien 2), et qu'il ne leur vende
pas son serviteur et sa servante "ceux qui sont entrés avec lui dans
l'alliance d'Abraham.
Que personue ne se souille soi-même ^-avec toute bête sauvage ou
reptile en mangeant d'eux, depuis les rayons des abeilles (3) jusqu'à
toute âme '-Hivante qui remue dans l'eau, et qu'on ne mange pas les
poissons s'ils ne sont fendus ''vivants de façon que leur sang soit
répandu V), et toutes les sauterelles selon leurs espèces doivent être
mises dans le feu ou dans l'eau 'toutes vives, car c'est le mode de
leur création 5).
Et tous les bois, et les pierres "^ et la terre qui auront été conta-
minés par l'impureté de l'homme, seront impurs comme eux' (6),
conformément ''à leur impureté, celui qui les touchera sera impur (7).
Et tout clou ou crochet dans le mur '-qui seront avec un mort dans
une maison, '^seront impurs de la même façon que les objets fabriqués
(i\um., XXXI, 51) (S).
(Voilà la) règle de la constitution des villes d'Israël sur ces points
de droit qui ont pour objet de distinguer entre -"l'impur et le pur
(Lev., XI, 47) et de faire connaître ce qui est sacré et ce qui est profane
(Lev., X. 10: Xum.. xxxv, 2+). Et ces statuts sont -'à méditer 9; pour
que peuple tout entier y marche, selon le droit, selon le temps (10
le

et le temps; et d'après ce droit -marchera la race d'Israël, et ils ne

seront pas maudits.


Et voici la règle de l'habitation -^i selon laquelle ils marcheront (il)
dans l'âge de perversité, jusqu'à l'avènement du Messie 'issu d'Aaron

(I) Motif émiaemment conforme à la doctrine pharisienne cf. Lagrange. Le Messianisme,


p. 145).

2i '~N"2 ""II. quand bien même le Gentil donnerait tout son bien. On pourrait lire ';*2.

ce serait l'interdiction de vendre quoi que ce soit de son bien; mais elle serait trop
gênante pour le commerce d'Israël. La clause qui suit indique qu'on pouvait vendre les
esclaves qui n'auraient pas consenti à la circoncision.
(3) Les Cara'i'tes filtrent le miel pour qu'il n'y reste rien des abeilles (S).

(4) Les Pharisiens permettaient le sang de poisson (S .

(5) Pour ce principe rabbinique S renvoie à b. Khullin, 27 ''.

(6) Qm'21 rx';"' au lieu de c,-;2 l'Z'w V"^*i.x;S (S).


(7) M. Kelim, su. 3.

(8) La loi rabbinique était plus douce {Kelim, xu, 3 .

(9) Sl-f'S (S, au


de TZX.'^'l.
lieu

(10) Suppléer avec S dans la lacune ri"1 rn">


(II) [12 l:]"inn[i Ti*N], restitution.
236 REVUE BIBLIQUE.

Page 13.

et d'Israël : depuis' (1) dix personnes au moins jusqu'à' mille, et

des centaines et des cinquante -et des dizaines.


Et quand ils seront dix, qu'il n'y manque pas un prêtre , connais-
sant bien le livre du Hégou; 3 tous obéiront à sa parole (Gen., xli, 40).

Et s'il au courant de toutes ces choses, qu'il y ait un lévite


n'est pas
au courant ^de ces choses; son lot sera que tous ceux qui seront
entrés dans le camp régleront leur conduite sur ce qu'il dira. Et si
^la loi de la lèpre doit être appliquée à quelqu'un, le prêtre viendra
et se tiendra dans le camp, '^et l'inspecteur lui expliquera le vrai sens
de la Loi. Et (même) s'il est simple d'esprit, c'est lui qui fera interner
(le malade), car c'est à eux '='
qu'appartient ce droit (2).

Et voici la règle de l'inspecteur du camp. Il instruira la foule des


actions ^de Dieu, et lui fera connaître les miracles de sa puissance, et
il leur racontera ce qui s'est passé autrefois dans son détail. ''Et il sera
compatissant pour eux comme un père pour ses fils, et il portera (3)
comme le pasteur son troupeau (Is., xl, 11). ^"^11 déliera tous les liens
de leurs chaînes (Is., lviii, 6), il celui qui sera opprimé et brisé

(Dt., xxviii, 33) dans sa communauté.


"Et quiconque s'adjoindra à sa communauté, il s'informera de ses
actions, et de son intelligence, et de son énergie, et de sa valeur, et
de sa fortune, '^et il l'inscrira à sa place, selon ce qu'il sera (i), dans
un lot [du camp] (5).
Que nul ne se permette, ^^ parmi les membres du camp, d'introduire
personne à la communauté, [sans le] (6) consentement de l'inspecteur
du camp.
'^Et que personne de tous ceux qui sont venus à l'alliance ne fasse
le commerce avec les fils de 'perdition' (7) 'si ce n'est de la main

(1) En lisant Q au lieu de ly, à transporter devant d'i3"ik comme correction margi-

nale au lieu de S. L idée parait être que les groupes devront être d'au moins dix per-
sonnes, pour que les fidèles ne soient pas trop exposés à perdre la foi, et de mille au
plus,pour qu'ils ne perdent pas la ferveur . naturellement ils pourraient être cent, ou
cinquante ou (donc) dix.
(2) Respect du droit du prêtre, tandis que le pouvoir réel était exercé par
officiel

d'autres, car semble bien d'après ce texte que l'inspecteur n'était ni prêtre, ni lévite.
il

(3) Texte lacuneux et altéré; que faire de D2lnTC SdS?


(4) inin"' peut-être à lire in'iin. Le iod à ajouter indiqué à la marge a pu être mal placé;
mais nlin est araméen.
(5) Suppléé : peut-être n'7y[n aussi bien que ninc[n.
(6) Je supplée [*-ty "13] ;
(S) "h^Q.
(') "inurn ^yi, « les fils de laurore ». J'ai songé aux Sarrasins S a lu 12 j « 'es

étrangers », mais Leszynsky a sans doute raison de lire nnC comme 6, 15.
LA SECTE JUIVE DE LA NOLTS'ELLE ALLLANCE AU PAYS DE DAMAS. 237

à la main, et que personne ne fasse d'achats ou de ventes sans en


prévenir (1) i*^ Fiospecteur qui est dans le camp, et il fera '"et de
même pour l'expulsé (?)
'^
il l'humilie, et danslalfection (2)
qu'il ne garde pas rancune '' et celui qui n'est pas enchaîné
2'J
et ceci est la constitution des camps -'
il ne réussira pas
à habiter le pays - les droits

Page li.

qui ne sont pas arrivés depuis le jour où Éphraïm s'est détaché de


Juda (Is., VII, 17); et tous ceux qui marchent dans ces (voies), -l'al-
liance de Dieu leur est assurée, pour les sauver de tous les pièges
de la fosse, car soudain [ils seront exaucés] (3). ^Et (voici) la règle
de la constitution de tous les camps. Tous seront recensés par leurs
noms, les prêtres les premiers, ^et les lévites les seconds, et les fds
disraël les troisièmes, et le prosélyte le qufitrième. Et on les ins-
crira par leur nom, "'chacun après son frère; les prêtres les pre-
miers, et les lévites les seconds, et les fils d'Israël *^les troisièmes,
et le prosélyte le quatrième, et c'est ainsi qu'ils siégeront et ainsi
qu'ils interrogeront, pour tout.
Et le prêtre qui recensera 'la (i) foule aura de trente à soixante
ans, connaissant bien le livre ^[du Hégou^, et tous les droits de la
Loi, pour les conduire selon leur condition juridique.
Et l'inspecteur qui aura autorité) ''sur tous les camps aura de
trente à cinquante ans, maitre (5) en tous '*^
secrets humains et en
toute langue... (6) c'est d'après sa décision que ceux de l'alliance
viendront ^^ chacun à son rang, et toutes les fois que quelqu'un aura
une affaire à traiter, il en parlera à l'inspecteur, '-pour toute que-
relle et contestation.

Et voici la règle pour la foule, afin de pourvoir à tous leurs


besoins; une contribution ^^ "iig prélèveront pour eux' (T; chaque
mois : selon le droit 8 et ils remettront entre les mains de l'ins-
pecteur; et les juges '^en donneront pour le peuple (?)... et avec
cela ils soutiendront le miséreux et le pauvre (Ez., xvi, 49), et au
vieillard qui ' '
... à l'homme qui 'vague' (9j et qui n'a pas... aux cap-
(1) Texte lacuneux et incertain.

(2) Oa dirait d'une législation péaitentielle.

(3) ^]z'J2^.

(4) Lire riN au lieu de "i'x.


(5) Sl"2, litt. « marié «, peut-être « familier avec »; ou lire Tlnz avec L.

(6) Lacune ..''"lî.^'Z"!.

(7) S offre à choisir "!«2'" 1:U,* ou an imann. Je lis an'") 1D"1TI.


(8) Lacune suppléée avec certitude.
(9) S lit snji dans le comtnealaire, au lieu de y;"! que porte le texte.
238 REVUE BIBLIQUE.

tifs chez une nation étrang-ère, et à la vierge qui ^'^


... qui n'a per-
sonne pour s'occuper de lui (Jer., xxx, 17); tout travail... '"et voici le
vrai sens de l'établissement... i^... et voici le vrai sens des droits...
^^ ... [le Messie] d'Aaron et d'Israël et ilpardonnera leur iniquité (l)...
'-^^'
... avec la richesse et il sait... "'
... puni six jours et celui qui dira...
"... contre Moïse (?) (2)

Page 15.

... ni par Alepli et Lamed, ni par AlepJi et Daleth (3), mais seule-
ment par le serment dans les malédictions de l'alliance,
[écrit (4)] "^

et qu'il ne fasse pas mention de la loi de Moïse, mais... ^car (dans


le premier cas^, s'il jure et qu'il se parjure, il a profané le Nom. Et
si (c'est) parles malédictions de l'alliance devant) ^ les juges, et qu'il
se parjure, il est coupable d'un délit, et il se confessera, et il resti-
tuera, et il ne sera pas Tîhargé [d'un crime digne "'de mort.
Et quiconque parmi tout Israël viendra à l'alliance par un statut
éternel avec ses fils qui [ne] sont [pas (5)] en âg'e ^'de passer au
recensement, il jurera pour eux le serment de l'alliance.
Et telle est' la règle, pour tout l'âge de la perversité, pour tous
ceux qui voudront revenir de leur vie corrompue ; le jour où il j)arlera
^à l'inspecteur qui est (préposé) à la foule, on le recensera sous le

serment de lalliance — alliance que Moïse a conclue avec Israël


-'

de revenir à la loi de Moïse de tout (son) cœur et de toute (6);
**^(son) âme; quant à ce qu'on y trouve à faire, [qu'il ne s'en dégoûte

pas] (7). Et que personne ne lui fasse connaître '^ les droits avant qu'il
se soit présenté devant l'inspecteur, et que celui-ci ne se laisse pas
séduire (8) en le sondant.
*- Et quand il l'aura décidé à revenir à la Loi de Moïse, de tout (son)
cœur, et de toute (son) âme '^ ... et tout ce qui aurait été révélé de la

(1) Si le Messie était le sujet, ce serait un point de doctrine très remarquable; le Messie
pardonnant et peut-être expiant le péché. Mais selon toutes les analogies, c'est Dieu qui
pardonne ici comme dans tous les autres cas du morceau : 2, 5; 3, 18; 4, 7: 4, 9, 10;
20, 34.
(2) ...TrOIL N...
Ne pas jurer par le nom divin Elohim qui commence par Aleph et Lamed, ni par
(3)
Adonaï, qui commence par Aleph et Daleth; cf. M. Chebou'oth, iv, 13. Il est possible
qu'avant on ait défendu de jurer par lod et He (,"il"i1|. Il s'agit d'un serment déféré. Celui
qui un faux serment sans avoir profané le Nom divin en sera quitte à peu de frais.
pi éle

(4) La lacune comblée d'après L.

(5) 11 faut nécessairement mettre une négation dans la lacune pour expliquer nn^"*"

(contre S et L), et lire mp"i.

(6) Restitutions certaines des lacunes (S).


(7) Je propose nriz] y[p"i Sn.

(8) Texte incertain. S otlre le choix entre nnSni et "^rî£V

i
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 239

Loi pour quereller ^''... l'inspecteur, et il lui ordonnera... '... l'in-

sensé... i'^-2u [manquent] (1)

Page 1G.

avec vous une alliance, et avec tout Israël, que l'homme s'engage (2)

à revenir à^ la Loi de Moïse, car tout y est clairement défini.


Et le vrai sens de leurs Ages par rapport à l'aveuglement (3) ^ d'Is-
raël de tout cela, voici que cela est clairement défini dans le livre
des divisions des temps, ^selon leurs jubilés, et leurs semaines (4),
''à la
et le jour où l'homme s'engagera à revenir Loi de Moïse, l'ange
du Mastêma (5) cessera de le poursuivre, s'il tient sa parole. ''C'est
pourquoi Abraham a été circoncis le jour où il l'a su (6).
Et quant à ce qu'il a dit « Ce qui sera sorti de tes lèvres, 'tu auras
:

soin de le tenir » (Dt., xxiii, 2i); tout serment d'obligation (Num.,


XXX, 3i par lequel un homme se sera engagé ^à accomplir une chose
légale, (fût-ce) au prix de sa vie, il ne doit pas s'en racheter. Et
toute fois qu'un homme se sera engagé (7) [à s'écarter de la Loi] (8),
''

il ne doit pas s'y tenir, (fût-ce) au prix de sa vie.


"'[Quant] au serment de la femme dont Moïse a dit qu'on pou-
vait annuler son serment (Num., xxx, 4), que personne ''n'annule
un serment qui n'est mauvais (9) pour personne (10); il est à
tenir (H).
Et quant à l'annuler, ^^si cela tend à violer l'alliance, il l'annulera
et ne le confirmera pas. Et c'est le même droit pour son père (12).
13 Du droit des offrandes spontanées Que personne ne voue (13).
pour l'autel une chose volée, et ''*que les prêtres ne prennent pas
d'Israël; que [nul ne] sanctifie la nourriture i^... c'est ce qu'il a

(1) Malgré les lacunes, on voit que la secte avait les allures d'une société secrète.

(2) 1U7S: au lieu de "j'^LfSJ.

(3) "jIlTi corrigé par S et L en y\'\Zl « souvenir ».

(4) Allusion très claire au livre que nous nommons les Jubilés.
(5) 10, 8.
Cf. Jubilés,

(6) Où il a connu l'importance de l'alliance, renouvelée dans la Loi de Mo'ise, et dans la

nouvelle alliance au pays de Damas.


(7) Lire Q'ip'i dans la lacune.

(8) Bonne conjecture de S pour la lacune.


(9) Je lis yi"i au lieu de 3;t['i (S et L); L : «que le mari ne désavoue pas le serment qu'il

ne connaît pas ».

(10) ui[ih.
(11) Sous couleur d'exégèse, on annule ici le droit du mari et du père de la fille en faveur
de la validité du serment.
(12) Par rapport à sa fille.
(13) m[nj]n, suppléé par S.
240 REVUE BIBLIQUE.

dit :L'un chasse son serviteur par l'interdit » (1) (Mich., vu, 2),
((

et que ne ^^ ... sa possession ^' ... saint... '^ celui qui voue... '^pour
le juge... -"...

[A suivre.)

Jérusalem, 10 janvier 1912.

Fr. M.-J. LagrAjXGe.

(1) Lacune suppléée par pure conjecture, mais en s'appuvanl sur le texte de Michée dont
le sens est : « l'un fait à l'autre la chasse au filet ». Notre auteur joue sur ciil « ^'^t »

et D*1m « anathèrae ». Quoique son texte soit très lacuneux, je n'hésite pas à y reconnaître

l'usage du Corban par lequel on se dispensait de certains devoirs, entre autres de fournir
des aliments à ses parents, sous prétexte que l'objet était consacré. C était un véritable vol
par l'analhème; cf. Marc, 7, 11 et le commentaire.
,

MELANGES

LE TITRE PRLMrriF l)V LIVRE DÉZÉCHIEL

du livre d'Ézéchiel, dans leur disposition


Les trois premiers Aersets
actuelle, au point de vue des données chronologiques,
offrent tant
qu'à celui de l'enchamement du discours, un mélange qui parait
inextricable. « Au seuil même de ce livre, si riche en problèmes et

difficultés, les trois premiers versets accueillent le lecteur avec un


air de sphinx, lui posant des énigmes dont les générations se sont
vainement évertuées à trouver la solution (1). » Voici ces trois
versets :

ri'Uvznri -:•»:•- k'~ -jinS "*ki':2ri2 2. : cti^n r"N"^'2 hnini ccurn innî::
y-^NZ •;-:.- 'rz—;z Sxp"n"'~SN m-i-iz- -\- -'- 3. : ]iz«Ti -S^n rrSaS
.... N1N", 4. : .Tni— 7"'
Dr v'rj \-in' iiz i.-;:-S:* ant":

Les versions anciennes sont d'accord avec le texte massorétique


sauf qu'à la fin du v. 3 les LXX lisent "'S" (è-' ïyA) au lieu de "h'j, et

omettent wsi. La Vulgate donne : 1 Et factum est in trigesimo anno,


in quarto, inquinta mensis, cum essem in medio captivorum juxta
fluvium Chobar, aperti sunt caeli, et vidi visiones Dei. 2 In quinta
mensis, ipse est annus quintus transmigrationis régis Joachin, 3 fac-
tum est verbum Domini ad Ezechielem filium Buzi sacerdotem in terra
Chaldaeorum secus flumen Chobar, et facta est super eum ibi manus
Domini. i Et vidi et ecce ventus turbinis veniebat...
Une double question se pose 1. Quelle est, quelle pourrait être
:

cette « trentième » année dont il est fait mention au v. 1 et qui, d'après


le contexte, serait à considérer comme identique à la cinquième année
de la déportation de Jéchonias (592 av. J.-G.)? -2. Comment expliquer
la présence des vv. 2-3, où il est parié d'Ézéchiel à la troisième per-
sonne, au milieu du discours où Ézéchiel parle de lui-même à la pre-
mière [\\. 1, 'i. ?

(1) Kraetschinar, Bas Buch Ezéchiel, 1900, p. 1.

REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 16


242 REVUE BIBLIQUE.

Pour ce qui est de la « trentième » année, une interprétation qui


semble devoir être écartée avant tout est celle qui la comprend de
l'âg'e du prophète, Ézéchiel ne saurait avoir signifié la trentième
année de sa vie en parlant en termes absolus de « la trentième
année ». Parmi les exégètes qui s'attachent à reconnaître cette portée
à l'indication du v. 1 quelques-uns l'ont senti et
chronologique ,

expriment que notre texte est mutilé. Ainsi Kraetschmar (1)


l'avis
inclinait à croire que l'énoncé primitif portait '"é 'xô-]-! iniMa imi, :

ou bien, suivant une communication écrite que lui fît Guthe "':n* M'''i :

'ur '^"p =
et il se fit, quand J'avais trente ans... (2); à supposer que

le mot p eût été écrit par abréviation 'i, il pouvait aisément arriver
:

que le signe de l'élision fût omis, et la conséquence ultérieure de cette


négligence de copiste aurait été la disparition de l'expression TlMn
ou Sans compter le caractère purement gratuit de ces suppo-
'JN.

sitions,que rien dans l'état actuel du texte ne tend à suggérer ni


à soutenir, elles n'ont guère de vraisemblance. L'importance de la
trentième année de l'âge du prophète serait à expliquer, dit- on,
par la considération que, en d'autres circonstances, c'est à cet âge,
d'après Notnbi^es, iv, 3, qu'Ézéchiel aurait dû recevoir la consécration
sacerdotale (3). Il serait sans doute difficilede trancher la question de
savoir si, à l'époque d'Ézéchiel, la disposition en vigueur était celle
de Nombres, iv, 3, plutôt que celle de viii , 2i où l'âge de l'entrée
en fonction est fixé à vingt-cinq ans (i). Mais quoi qu'il en soit, le

titre de prêtre est attribué à Ézéchiel au v. 3, et l'on pourra en con-


clure qu'au moment de sa vocation comme prophète il remplissait
déjà les conditions requises pour exercer le ministère sacerdotal. Il est
vrai que Kraetschmar voyait dans "jn:" une apposition, non pas au nom
d'Ezéchiel lui-même, mais à celui de son père Buzi. Cette manière de
concevoir la construction n'était chez lui que la conséquence de ses
vues sur la « trentième année ». Elle est contraire au sens naturel de
la notice du v. 3, dont témoignent déjà les versions anciennes; l'au-

(1) L. c, p. 4.
(2j Déjà Houbigant, suivi avec hésitation par Knabenbauer [Commenlarius in EzechiC'
lem prophelam, 1890, p. 20 s.), proposait une explication analogue. Mais sa retouche du
texte, plus légère, donnait un résultat moins satisfaisant au point de vue de l'hébreu

(3) Kraetschmar, l. c, p. iv.


(4) Notons qu'aux deux endroits il est question, non pas en particulier des prêtres, mais
des lévites.
5IÉLANGES. 243

teur de la notice n'avait nulle raison de mettre cette emphase sur


l'appellation "'"""z. une indication g^énéalogique qui. ici comme en
d'autres cas. n'est qu'un élément complémentaire du nom du prophète
(comp. p. ex. Is., I, 1; Jér., i, 1; Os., i, 1; Joël, i, 1, etc.); la qualité
de prêtre est rappelée pour Ézéchiel, comme
en d'autres elle l'est
termes pour Jérémie dans la suscription de son livre, comme celle de
pasteur l'est pour Amos. Le fait extraordinaire de la mention qui aurait
été faite de l'âge d'Ézéchiel n'est susceptible d'aucune explication. Le
contexte montre d'ailleurs d'une manière positive tout l'arljitraire de
l'opinion encore défendue par Kraetschmar. Dans notre v. 1, comme
aux autres endroits de même nature, assez fréquents dans le livre
d'Ézéchiel et que nous aurons à rappeler tout à l'heure, il est é\ddent
que l'indication du mois et du jour se rapporte à l'année dont la men-
tion est censée précéder et nous oblige à considérer cette année
comme marquant une date d'ordre public, où il y avait intérêt pour
les lecteurs à distinguer les mois et les jours (1).

Aussi la plupart des commentateurs, du moins parmi les modernes,


s'appliquent-ils à chercher dans cette voie; mais les résultats, très
divergents, de leurs efforts ne sont guère plausibles. Il n'y a aucun
compte à tenir de l'avis, adopté par Hitzig, d'après lequel il s'a-
girait de la trentième année d'une période jubilaire de cinquante
ans. D'autres, jusqu'en ces derniers temps, ont trouvé plus commode
de compter les trente ans à partir de la date de la découverte dans
le temple et de la publication du Livre de la Loi, en la dix-huitième
année de Josias, 622 av. Jésus-Christ ^11 R., xxii'). Déjà saint Jérôme
écrivait : Tricesimus annus non. ut plerique aestimant. aetatis pro-
est annus remissionis sed a duodecimo
phetae dicitur, nec Jubilaei. qui ;

[duodevicesimo? anno Josiae régis Juda, quando inventus est liber


Deuteronomii in templo Dei... (2). Cette opinion pourrait se prévaloir
de l'accord, très probable, qu'elle réaliserait entre ( la trentième
année » du v.cinquième année de la capti^ité de Jéchonias
1 et la

au V. 2. Mais on objecte avec raison que la réforme de Josias n'ayant


pas eu d'effet durable, le fait qui l'occasionna ne se prêtait point à
servir de base àune détermination de dates pour une époque qui en
était séparée par des événements dune extrême gravité, événements
qui avaient bouleversé l'Asie et changé en particulier la situation
politique du peuple juif; il n'y a pas plus de trace, et il ne fallait
pas plus en attendre, d'une supputation d'années, à partir de la

1 Houbigant ap. Knabenb., /. ci évitait 1 objection formulée ici, mais moyennant un


bouleversement complet des éléments du texte. Voir plus loin.
i2i In Ezech., i. 1. Migne, P. L., XXV, IS. —
LeTargouia donne le même commentaire.
244 REVUE BIBLIQUE.

réforme de que par exemple à partir de celle de Néhémie.


Josias, —
L'hypothèse suivant laquelle la date marquée au début du livre d'Ezé-
chiel serait à rapporter à « l'ère de Nabopoiassar » a eu de nombreux
partisans et elle en a encore. Mais l'avènement de Nabopoiassar,
d'après canon de Ptolémée, doit être fixé à l'année 625 av.
le

Jésus-Christ; la trentième année à partir de là serait donc l'an 595,


et quoi qu'en dise Kônig' (Ij cette année ne coïncide pas avec la cin-
quième de la déportation de Jéchonias. Sinend le reconnaît, mais
n'en maintient pas moins la référence à l'ère de Nabopoiassar (2); il
faudrait donc dire que la donnée chronologique A^Ezéch., i, 1 est
erronée. Notons plutôt que les Babyloniens eux-mêmes, selon toute
apparence, ne connaissaient pas cette « ère de Nabopoiassar ». On
admettrait plus volontiers, à considérer les choses a priori, la fixation

d'une date, dans le livre années du roi régnant


dÉzéchiel, d'après les

Nebukadnezar; et de lait cette idée a été mise en avant à propos


du V. 1. Mais il faudra supposer que le texte portait primitivement
l'an treize; et de plus, que la mention de Nebukadnezar en a dis-
paru (3). D'ailleurs, étant donné le point de vue constant auquel les
dates sont marquées dans son livre, il n'est pas admissible que le

prophète hébreu un point de vue babylonien pour


se soit placé à
indiquer, moyennant une formule pareille à celles qu'il emploie
dans la suite, la date de son premier discours, ou de sa première
vision. On en appelle à Néhém., i, 1. Mais il est évident, à la lecture
des livres cVEsdras et de Néhémie, que pendant la période perse les
Juifs se considéraient comme participants à la vie publique de l'em-
pire; les dates y sont régulièrement fixées suivant les années des rois
régnants. Il en est tout autrement dans le livre d'Ézéchiel. Voir,
outre I, 1, 2 viii, 1; xx, 1; xxiv, 1; xxvi, 1; xxix, 1, 17; xxx, 20;
:

XXXI, 1; XXXII, 1, 17; xxxiii, 21; xl, 1; après l'an 5 mentionné i, 2,


ces pas*-ages marquent successivement, avec indication des mois et
des jours (4), les de l'an 9, de l'an 11, de
dates de l'an 6, de l'an 7,

l'ail 10, de l'an 27, puis encore de l'an 11, de l'an 12, et de l'an 25.

Le terme à partir duquel les années sont comptées n'est autre que la
déportation du roi Jéchonias, comme il est remarqué expressément
I, 2 et comme il indépendamment de cette notice, de xxvi, 1
résulte,
qui rapporte à la onzième année un discours prononcé à l'époque de
(1) Einleituncj in das A. T., 1893, p. 355.

(2) Der Prophet Ezechiel, 1880, p. 5.


"

(3) Voir Mayer Lambert, Lapremière date dans le livj-cd ÉzécMel {Journal Asiatique,
ix" série, tome XI, p. 327).
(4) L'indication du mois a disparu par accident xxvi, 1; elle est conservée par la version
gr. des LXX dans xxxii, 17.
MÉLANGES. 24b

la chute de Jérnsalem, ainsi que de xxxiii, 21 La conclu-


et xl, 1.

sion qui se dégage de ces considérations s'applique d'ailleurs en com-


mun à tous les essais d'explication entendus plus haut.
C'est cette observation qui amena Rutgers et Merx à la solution,
aussi étrange que radicale, consistant à soutenir que la « trentième »
année d'Ézéch., i, 1 n'est autre en effet que la trentième année à
partir de la déportation de Jéchonias, et prétendant en conséquence
que le premier verset du livre d'Ezéchiel n'est qu'une introduction
d'un discours perdu, un fragment, dont la place propre et primitive
était à la suite du dernier discours de notre livre actuel, et qui de là

s'est trouvé transporté en tète (1). C'est invraisemblable.

Faut-il donc se résigner à admettre une corruption du texte, grâce


à laquelle la « cinquième » année aurait été changée en la « tren-
tième »? Mais on ne s'expliquerait guère une corruption purement
accidentelle de cette nature dans le premier mot du livre, une simple
faute de copiste, à moins que l'on ne puisse alléguer une circonstance
qui aurait occasionné la méprise. Y aurait-il eu changement inten-
tionnel? Bertholet (2), suivant en cela une conception imaginée par
Duhm, pose en fait que le texte primitif portait : en la cinquième
année... Plus tard un lecteur, ayant remarqué qiiÉzéchiel, iv, 6 pré-
sente la durée de l'expiation à subir par .luda comme s'étendant sur
une période de quarante ans, en inféra qu'au moment
de la vocation
du prophète on était arrivé à la trentième des soixante-dix années
d'exil prédites par Jérémie (xxv, 11). Il s'empressa donc de changer
la « cinquième » année d'Ezéch., i, 1 en la « trentième », sauf à
reporter à la suite de la première phrase (au v. 2) la date fournie
par le texte en rapport avec la déportation de Jéchonias. On se
demande pourquoi ce scrupuleux calculateur, qui n'aurait pas reculé
devant une opération à la fois aussi hardie et aussi futile, ne se serait
pas donné la peine d'ajouter qu'il s'agissait de la trentième des
soixante -dix années prédites par le prophète Jérémie? Car dans
les termes où elle était conçue la correction était loin de se justifier

par l'évidence de sa signification. Ensuite, quand donc la modifica-


tion en question aurait-elle été apportée au texte? Après que l'événe-
ment eut démontré la fausseté de l'interprétation d'Ezéch., iv, 6 sur
laquelle elle s'appuyait? Ou à un moment où les hommes de la géné-
ration même d'Ezéchiel devaient savoir à quoi s'en tenir sur la véri-
table portée de ce passage?

(Ij Merx dans Jahrb. f. prot. Theolofjie, IX (1883), p. 73.


(2) Das Budi Heaekiel, 1897, p. 2.
246 REVUE BIBLIQUE.

Jusqu'ici la « trentième » année à'Èzéch.y i, 1 demeure pour nous


un mystère.

Portons à présent notre attention sur la seconde des deux questions


soulevées au sujet des vv. 1-3, celle relative à l'incohérence des élé-
ments dont ils se composent, au point de vue de la forme du discours.
On peut tenir pour certain tout d'abord qu'Ézéchiel lui-même ne
saurait dans sa forme
avoir écrit cette introduction à son livre
payer de mots que de dire avec Smend (1)
actuelle. C'est se « Sich :

gleichsam corrigirend greift Ez. mit dem emphatischen ni" nM auf


V. 1 zurûck... Der momentané Uebergang- in die 3 Pers. ist durch

die EinfOhrung des Eigennames veranlasst und ein derartiger Wechsel


bei Ez. ebenso hâufîg wie die parenthetische Forni des Satses ».
Admettons que ce soit « l'introduction du nom propre » qui prêta <(

occasion » à l'emploi de la troisième personne, bien qu'à la rigueur


le nom propre eût pu être introduit d'une autre manière; mais
qu'est-ce qui aurait déterminé Ézéchiel à remettre « l'introduction du
nom propre » après l'exorde de son discours à la première personne?
En du livre on pourra relever des parenthèses,
plusieurs endroits
parfois très peu élégantes mais qu'un changement dans la forme du
;

discours et une parenthèse analogues à la monstruosité d'un pareil


début soient « fréquents » chez Ézéchiel, il n'en est rien. Nous n'en
avons pas rencontré d'autres exemples. Le cas de xxiv, 24, le seul
endroit où Ézéchiel soit nommé ailleurs qu'en notre v. 3, est
entièrement différent; il faut dire plutôt que l'écrivain, dans xxiv, 24,
reste strictement fidèle aux conditions du contexte ou de la mise en
scène, puisque c'est dans un discours mis dans la bouche de Jahvé
qu'il se fait désigner par son nom; l'irrégularité ici se trouverait
plutôt au V. 22, où le prophète, faisant parler Jahvé, prend incidem-
ment lui-même la parole à la première personne. Seulement une
irrégularité de cette nature, très fréquente non seulement chez Ézé-
chiel, mais chez tous les prophètes, s'explique sans la moindre peine
par la considération que les discours attribués à Jahvé sont en réalité
d'eux-mêmes. Un manque de suite ou d'harmonie comme celui qu'of-
frent les vv. 22 et 24 au ch. xxiv, n'est pas à comparer au désordre
constaté dans i, 1, 2-3, 4...
Aussi certains commentateurs ont -ils jugé opportun d'appliquer à
notre passage le remède suprême de l'élimination des vv. 2-3. Bertho-

(1) L. c, p. 6 s.
MÉLANGES. 247

let croit, /. c, que « la giose » des w. 2-3 s'explique par l'inter-


vention du correcteur qui remplaça au v. 1 la << cinquième » année
(depuis la déportation de Jéchonias) par la « trentième » (des soixante-
dix années d'exil prédites par Jérémie). Il a été dit plus haut que
cette correction prétendue n'est pas suffisamment prouvée par les con-
jectures trop artificielles de Bertholet. Au reste plusieurs autres auteurs

partagent l'avis que deux à supprimer. Ils


les vv. 2-3 seraient tous les

font valoir en particulier que la formule embarrassée n^n ^^^ au début


du V. 3 trahit l'intervention d'une seconde main. Kraetschmar répond
très que malgré tout la teneur de ces versets les recom-
justement (1)
mande comme du livre, vu surtout que tous les autres livres
en-tête
prophétiques portent une inscription de ce genre. Cependant il
exprime lui-même l'avis, un peu plus loin, que nous sommes en pré-
sence ici d'un mélange de deux recensions différentes de l'œuvre
d'Ézéchiel, mélange dont on trouverait des exemples en plusieurs
autres endroits du livre; le v. 1 offrirait le début de l'une des deux
recensions (A), celle représentant l'œuvre originelle du prophète; les
vv. 2-3 offriraient le début de la seconde recension (B). L'inconvé-
nient de ce système, c'est qu'on ne comprend pas qu'un compilateur,
si borné fût-il, se mettant à l'œuvre pour fondre les deux recensions,
n'eût pas conservé en tête de son édition le début de la recension B,
qui formait précisément une introduction pareille aux suscriptions que
portent tous les autres livres prophétiques. S'il faut chercher aux
vv. 2-3 la suscription primitive du livre, ou d'un livre d'Ézéchiel, ce

n'est pasen vertu d'un arrangement arbitraire, portant sur des textes
parfaitement clairs et corrects, mais par suite d'un accident de trans-
cription plus ou moins compliqué qu'ils peuvent s'être venus loger à
la suite du v. 1. Peut-être en ce cas serait-on redevable de la formule
HM nSi à un procédé de copiste. — Le lecteur comprendra, sans
qu'il soit besoin d'insister, qu'il ne peut être question de reconnaître
dans nos vv. 2-3 une addition suppléée après coup par la main même
d'Ézéchiel, une idée émise autrefois par Ewald et reprise par von
Orelli (2).
L'impression queles vv. 2-3 renferment le titre primitif du livre
est si forte que plusieurs critiques, pour leur restituer ce caractère,
ont proposé d'enlever le v. 1. Le lecteur se rappellera la bizarre
hypothèse adoptée par Merx, qui renvoyait notre v, 1 à la fin du
livre. Cornill (3) préfère s'arrêter à l'opinion que le premier verset

(1) Très justement du moins en ce qui concerne le v. 3, comme on le verra plus loin.
(2) Das Bucfi Ezechiel und die zwolf Kl. Proph., 1888; in h. 1.

(3) Bas Buch des Propheten Ezechiel, 1886; in 1.


248 REVUE BIBLIQUE.

est une glose ou une surcharge de seconde main. Il se flatte de sup-


primer du coup « la grande difficulté » résultant de la mention de
la « trentième » année. En quoi il se fait illusion; le problème à cet
égard se présenterait seulement en des termes quelque peu modifiés;
on resterait toujours curieux de savoir ce que le glossaieur aurait
voulu signifier par la « trentième » année. Mais y a-t-il la moindre
probabilité que le v. 1, conçu à la première personne, ait été ajouté,
avant la suscription où il était question d'Ézéchiel à la troisième, par
une seconde main? La chose parait dès l'abord si invraisemblable, si
inconcevable, qu'il faudrait, pour qu'on puisse l'admettre, des indices
évidents d'origine étrangère. Or c'est le contraire que l'on observe.
Le V, 1 est entièrement dans le style bien caractérisé d'Ézéchiel; et
la formule spéciale « le ciel s'ouvrit... » n'est pas non plus, comme
:

on l'a remarqué, de la façon des glossateurs. Notre verset « porte


trop clairement au front la marque de l'authenticité, pour qu'on
puisse tout simplement l'écarter (Kraetschmar). Cette parole se
»>

trouvera vérifiée tout à l'heure en un sens plus rigoureux que


Kraetschmar lui-même ne l'entendait. La marque d'authenticité que le
V. 1 « porte au front », ce sont avant tout, comme nous le verrons,
ces mois n:^; DirSu;! par lesquels il s'ouvre et qui ont donné lieu à
tant de discussions inutiles.
Le V. 1 et le v. 3 doivent être tous les deux maintenus; le v. 3
forme l'en-tète du livre; le v. 1 doit être ramené, à la suite du v. 3,
comme début du discours qui se poursuit vv. 4 ss. (1). C'est ce qu'avait
très bien reconnu Houbigant (2), mais sans s'apercevoir de la lumière
que cette hypothèse, bien considérée, peut apporter à la reconstitu-
tion du texte primitif. Houlngaot, se rendant compte que l'indication
du mois et du jour, au v. 1, ne pouvait pas se rapporter à l'année
de l'âge du prophète, mais, comme dans tous les passages analogues
de notre livre, à l'année de la captivité de Jéchonias, suppléa la
mention de cette année moyennant la transposition de v. 2'', après
la formule « ... entrentième année » conservée comme rela-
la

tive à l'âge d'Ézéchiel. La proposition ne semble pas avoir eu grand


succès. Tout d'abord son auteur, pour rétablir au début du v. 1 des
termes appropriés à la signification de l'âge d Ézéchiel, s'était con-
tenté de lire 'C;:"ù'i \"iNi « j'étais dans la trentième année, et c'était
:

(1)Nous faisons provisoirement abstraction d'une double réserve que nous aurons à jus-
tifierplus loin, l'une relalive au dernier membre du v. 3 qu'il faudra rattacher aux
vv. 4 ss. l'autre, beaucoup plus importante, relative à la formule énonçant la « trentième »
;

année au commencement du v. 1.
(2) Ap. Knabenb. /. supra c.
MÉL.AJNGES. 249

la cinquième année de la captivité du roi Jéchonias... »; cela parait

beaucoup plus simple, sans doute, que la reconstruction proposée de


nos jours par Kraetschmar et d'autres; mais ce notait guère de l'hé-
breu. Il n'y a d'ailleurs plus à revenir sur l'invraisemblance de la
mention même de du prophète. La trausposition du v. 2" au
l'àg-e

milieu du v. 1 bouleversait les éléments du texte d'une manière


qui pouvait sembler arbitraire. Il y avait tels autres points de détail
cjLie la critique d'Houbigant laissait dans lombre.

Pour exposer notre solution du problème nous retracerons simple-


ment la voie c[ui nous y a conduit.
Il n'est pas nécessaire de rappeler encore la raison, d'ailleurs
é\ddente, qui commande de reconnaître, sinon aux vv. 2-3, du moins
au V, 3, la suscription du livre d'Ézéchiel. Du v. 2 en particulier
il sera question aussitôt. A la lin du v. 3, comme il a été noté au
début de cette courte étude, les LXX s'écartent du texte massorétique
en ce c£u'ils lisent à la première personne : Ky': ï';vt-.-.z à-' ï\j.ï yy.z
y.jp'.oj. La leçon de grecque semble préférable à celle du
la version
texte massorétique. Ceci toutefois n'est pas suffisamment prouvé par
l'observation de Cornill qu' « Ézéchiel parle toujours de lui-même à
la première personne »; le v. 3, pourrait-on répondre, est dans

son ensemble d'Ézéchiel, ou il ne l'est pas; dans la première hypo-


thèse, d'ailleurs suivie par GorniU. lui-même, il sera acquis que
précisément en cet endroit Ezéchiel parle de lui-même à la troisième
personne; dans la seconde on atiribuera la dernière incise à l'auteur,
distinct d'Ezéchiel, qui ajouta la suscription. Seulement la formule
linale,nettement caractérisée, de notre verset 3 se rencontre en plu-
sieurs autres passages du livre, à la première personne, comme
élément introductoire d'un discours ou de la description d'une vision;
voir III, 22; viii 1-2 (exactement comme i, 3'-i^ : et cecidit... super
me manus Domini mei et vidi...); xxxvii, 1; xl. 1; comp. encore
Dei
XXXIII, 22. Les premiers mots de la reprise du discours d'Ézéchiel
(v. 3' . auraient donc été rattachés à la phrase qui formait l'énoncé
de la suscription longtemps après que celle-ci
primitive (v. 3*'';, assez
eut été intercalée à la suite de l'exorde du discours (v. 1); puisque
l'effet de lïntercalation ne s'était pas fait sentir à cet égard dans

l'exemplaire d'où dérive la version alexandrine. Quant au point de


savoir si la particule au* ibi, omise par les LXX dans cette même
incise finale du v. 3, appartient ou non au texte primitif, la question
250 REVUE BIBLIQUE.

paraît difficile à résoudre (1); il nous semble toutefois probable que


la particule est àsupprimer.
Il hasardeux de se prononcer sur la teneur et la forme
serait
primitives de la première partie du v. 3. La suscription porta-t-elle
dès l'origine la mention du fleuve Kebar, ou cette mention fut-elle
ajoutée après coup par emprunt aux données du v. 1 ? La suscrip-
tion était-elle, dans sa forme première, introduite par la formule
rrr; n'M, ou ne conviendrait-il pas de rétablir ici la formule ordi-
naire : ... ht; "iîz;k r\^r\'^ in-, en supposant que la modification fut
occasionnée par la transposition du titre? Ceci n'est pas impossible;
mais pour opiner en ce sens il faudra admettre que le v. 3 est
indépendant du v. 2, que le v. 2 ne faisait pas partie de la suscrip-
tion, qu'il constitue un élément absolument étranger au texte.

Dans tous les cas une telle appréciation du v. 2 est parfaitement


fondée. Le v. 2 est une glose manifeste. Cornill l'a transformée
arbitrairement en introduction au livre, moyennant l'addition du
chiffre du mois et un changement dans la manière dont est men-
tionnée la cinquième année motif que l'amputation
; et cela sans autre

injustifiable qu'il avait infligée au v. 1, dont l'authenticité est au«


dessus de tout soupçon (*2) ! —
La formule où il est question du roi
Joïakhin n'est visiblement pas de la main d'Ézéchiel. Notons que
quand il arrive au prophète de marquer explicitement la date qui lui
sert de point de départ, il ne la cite pas comme l'année de la dépor-
tation de Jéchoiiias, mais de notre déportation (xxxiii, 21; xl, 1).
:

La mention du cinquième jour du mois, sans aucune détermination


de ce mois, ne doit son origine qu'à l'influence du v. 1. Et quant
aux mots ... n''t7''Gnn r\TiiT\ N\-i traduits exactement par la Vulgate
: :

ipse est annus quintus transm^igrationis régis Joachin, ils forment


un exemple typique du style essentiellement propre aux glossa^
leurs, puisqu'ils ne sont que l'énoncé formel d'un commentaire. Il
n'y a pas à douter à notre avis que nous ne soyons ici en présence
d'une note marginale se rapportant à une donnée chronologique du
texte. Cette donnée chronologique ne pouvait être que celle par,
laquelle s'ouvrait le v. 1, où nous lisons aujourd'hui njt^ niurbu^a
in trigesimo anno... La « trentième » année n'est susceptible d'au-
cune explication raisonnable. A l'origine la date indiquée au v. 1
devait être, comme dans le reste du livre, telle année comptée à
partir de la déportation de 597. Le v. 2 nous apprend quelle était

(1) La version grecque l'omet pareillement vin, 1.

(2) Voir plus haut.


MELANGES. 251

cette année. les deux membres du verset 2 ne peut


Le rapport entre
avoir consisté, dans sa forme primitive, qu'en ce que le thème de
la glose, repris en termes sommaires du texte, y était énoncé avant
la giose elle-même, ainsi :
"p.." r.'":.! rTi^nn ~:w*n n\~ (1) n'w-^znz
^i2*T' = « dans la cinquième année de
cinquième : c'est-à-dire la
la dt^portation du roi Jéchonias », ce qu'un copiste inséra dans le
texte moyennant une addition qui changeait l'énoncé du thème de
la glose en la mention du cinquième jour du m.ois, conformément
aux indications du v. 1. La glose avait été motivée par le fait que
le texte, ici comme presque partout ailleurs dans le livre dÉzéchiel,
indiquait Tannée en termes absolus, sans marquer l'époque par
rapport à laquelle elle était désignée. Nous arrivons donc à la con-
clusion que le v. 1 doit se lire... n:r2 *ni\ :
'y'!"! r"w***2M"

Mais quelle origiue faudra-t-il attribuer à la formule "lur z^wH-jn?


Comment cette formule est-elle venue se substituer à la mention de
la cinquième année? Il a été dit plus haut cju'un changement inten-

tionnel purement arbitraire ne se conçoit point, vu les conditions


spéciales du cas en question. L'hypothèse d'une corruption acciden-
telle du texte, ou d'un remaniement occasionné par un cas embarras-

sant, devrait s'appuyer sur l'allégation de l'une ou l'autre circons-


tance ayant favorisé la méprise ou la confusion. Peut-on alléguer
une circonstance de ce genre? Nous croyons que oui.
Les mots n;r n'w"Sw*2 sont à rétablir comme l'élément final pri-
mitif de la suscription, où ils figuraient non pas avec la prépo-
sition 2 pour signifier la « trentième année », mais avec la prépo-
sition - pour signifier la durée du ministère d'Ezéchiel : « La parole "^

de .Jahvé se fit entendre à Ézéchiel fils de Buzi 'ou bien : Parole de


Jahvé qui se fit entendre à Ézéchiel fils de Buzi le prêtre, dans le ,

pays des Chaldéens, sur les bords du fleuve Kebar, ^pendant environ
trente ans (*2). Or il arriva, en la cinquième année, au quatrième
mois... » Ce débris, légèrement modifié, de la suscription 2:*r"'"»:*2 :

niw*, conservé au début du v. 1, témoigne à la fois de l'authenticité

des deux versets 3 et 1 et de l'ordre dans lequel ces deux versets


s'enchaînaient à l'origine.
Voici comment on peut se représenter l'histoire de notre texte.
Dans un manuscrit qui offrait encore les vv. 3 et 1 dans leur ordre
(1) Il est très possible que le terme à commenter par la glose était écrit à la marge
sous une forme abrégée :
'n2. L'on pourra supposer au besoin que le rapport de la note
marginale avec le texte se trouvait ainsi quelque peu voilé et la contusion avec le cinquième
jour du mois rendue plus facile.
(2"| Le lecteur se rappellera que les mots par lesquels se termine notre v. 3 \et facta est
super me manus Domini) sont à rattacher au v. 4. Voir plus haut.
252 REVUE BIBLIQUE.

originel, mais qui portait déjà, tout au moins à la marge, la glose


qui forme le v. 2 dans le texte actuel (1), les derniers mots de la
suscription 'v D''w*''w':i étaient venus prendre place au commence-
ment d'une ligne nouvelle. Immédiatement au-dessous le début
du discours du prophète, transcrit en alinéa, olïrait la donnée chro-
nologique niw^vznn ''CZ ^"^''^. Peut-être aussi la finale de la suscription,
omise d'abord par mégarde, avait-elle été suppléée après coup
entre les lignes, au-dessus de la mention de « la cinquième
année ». Dans tous les cas la disposition du texte dans l'exemplaire
en question donna lieu à une équivoque. Lus "w 'Xii au lieu de 'u^
'"é, les derniers mots de la suscription furent considérés comme une
indication se rapportant au début du discours du prophète. La « tren-
tième année » et la « cinquième année » semblaient indiquées toutes
les deux. La glose offrit le moyen de
tout « concilier » en reprenant
le tout. Un pour garder les deux indications,
copiste plus récent,
s'avisa donc de transcrire d'abord la première phrase du discours
du prophète avec la formule ~:*c "w'"'''ù*2 [en la trentième année), sauf
à insérer à la suite de la première phrase la glose, retouchée et
combinée avec la suscription du livre, d'où se trouvait supprimée
désormais la mention des trente années du ministère du prophète.
Cette combinaison faisait droit à la seconde alternative posée par
l'exemplaire à transcrire et d'après laquelle c'était en la cinquième
année qu'Ézéchiel avait eu sa première vision. Il est aisé de voir
comment la formule n\"i n"M, au commencement du v. 3, aura été le
résultat du remaniement occasionné par la fusion de la suscription
du livre avec la glose du v. 2.
Le lecteur aura déjà reconnu la parfaite harmonie de notre proposi-
tion avec l'ensemble du livre d'Ézéchiel et avec la teneur habituelle
des suscriptions des livres des prophètes. Le dernier discours daté
d'Ézéchiel est rapporté à l'an 57. Les trente années de ministère du
prophète s'étant passées toutes « dans le pays des Chaldéens » (i, 3),
la « cinquième » de i, 1 comme la vingt-septième de xxix, 17 sont
pareillement à compter depuis la déportation de 597, ainsi que l'avait
très bien marqué le glossateur i, 2. Notre hypothèse rend compte
du fait qu'Ézéchiel ait pu, dès i, 1 et généralement dans la suite,

énoncer ses dates en termes absolus; ces dates se rapportaient toutes,


implicitement, à la période de « trente ans » mentionnée dans la sus-
cription.
Les titres des autres livres prophétiques renseignent d'ordinaire le

(1) Voir plus haut.


MELANGES. 233

lecteur sur l'époque ou la durée du ministère des prophètes, par l'in-

dication des règnes sous lesquels ils l'exercèrent [fs., i, 1 ; Jé?\, i, 1-3;
Os., I, 1 ; Am., I, 1 ; Mich., i, 1 : Soph., i, 1,..). Pour le livre du prophète
de l'exil ce moyen n'était pas praticable; des deux rois en vie, l'un,
Jéchonias, ne régnait pas, il était lui-même parmi les captifs; l'autre,
Sédécias, était considéré par Ezéchiel comme un réprouvé et n'exer-
çait d'ailleurs aucune autorité sur les Juifs déportés en Babylonie
qui formaient l'auditoire du prophète. Mais il était d'autant plus
naturel qu'ici comme en d'autres livres, le titre renfermât, en termes
appropriés aux circonstances, un renseignement relatif à l'époque
ou à la durée de la prédication du prophète, qu'il en marquait expli-
citement le lieu.
Nous espérons avoir donné une réponse satisfaisante à la double
question qui se pose au sujet des trois premiers versets du livre
d'Ézéchiel. Pour terminer cette étude critique par une conclusion ap-
propriée à l'en-tête qu'elle porte, nous répéterons que le titre primitif
du livre d'Ezéchiel était sans doute le suivant :

Parole de Jahvé qui se fit entendre à Ezéchiel fils de Buzi, le prêtre,


dans le pays des Chaldéens [sur les bords du fleuve Kebar?), pendant
environ trente ans.

Louvain, 30 janvier 1912.


A. Van Hooxacker.

II

LA NOUVELLE INSCRIPTION DE SEND.IIRLY

Cette inscription, publiée l'automne dernier, est la plus récente


connue de Sendjirli, mais c'est aussi la plus ancienne, puisqu'elle
date du milieu du ix'' siècle, étant certainement antérieure à celles
qu'on connaissait sous le nom de Hadad, de Panamou et de Bar-
Rekôtib (ij. Elle a été découverte en 1902, mais il parait qu'il n'a pas

fallu moins de temps pour assurer la reconstruction des fragments

(1) Sur ces trois inscriptions, on pourra voir Études sur les religions sémitiques,
2" éd. [ERS], p. 491-499. Sur le pays de ladi ou de lodi, Dhorme, Les pays bibliques et
l'Assyrie, p. 26 et ss. Les rois de lôdi se donnaient aussi comme rois de Sam'aL C'était
le nom de leur capitale, d'après l'inscription de Zakir, publiée par M. Pognon.
2S4 REVUE BIBLIQUE.

qui la composaient. Elle était gravée sur montant massif de la


le
porte principale du consumé par le feu. M. de Luschan qui a
palais,
communiqué au public les résultats de cette campagne de fouilles (1),
l'a jugée en trop mauvais état pour qu'il soit opportun d'en publier

une photographie, et elle n'est accessible que d'après un dessin, dû


à la plume de M. Kilz, qu'on déclare suffisamment certain (2). L'ins-
cription est disposée sur deux registres, contenant chacun huit lignes.
Le premier registre comptant beaucoup moins de lettres, on a pu
placer dans le haut quatre symboles et sur le côté gauche le roi
tenant de la main gauche abaissée une fleur de lotus, montrant
l'inscription avec l'index de la main droite levée.
M. de Luschan n'a donné aucune interprétation. On pouvait pré-
voir que les sémitisants allemands s'empresseraient de faire au
public les honneurs de ce précieux morceau. Les traductions de
MM. Littmann de Strasbourg, D. H. MûUer de Vienne, Peiser de
Kœnigsberg, ont paru presque en même temps et sont indépendantes
les unes des autres. Prenant pour base la traduction de M. Littmann,

je croyais l'avoir sensiblement améliorée, quand M. Lidzbarski a eu


l'obligeance de m'envoyer une épreuve de son article de la Deutsche
Literaturzeitung du 13 janvier. Son interprétation est tellement
supérieure aux autres —
il est vrai qu'il connaissait du moins celle

de M. Littmann, —
que j'ai été au moment de renoncer à une publi-
cation désormais inutile. Pourtant il m'a paru que si j'avais compris
la seconde partie à peu près exactement comme lui, il demeurait,
surtout dans la première partie, assez de divergences pour qu'une
nouvelle traduction eût sa raison d'être, surtout en français. Il va
sans dire que j'aurai soin d'indiquer les points où je me suis rallié à
ses vues.
Voici d'abord la transcription en caractères carrés. Les points
qui séparent les mots ne sont indiqués que quand ils figurent sur
le dessin de M. Kilz; peut-être le graveur en avait-il mis davantage,
mais ils auront disparu.

[«t^n -13 -lab -D^x 1

nx -331 •Sî;[s] -Sm -N^n -[iJn* -j^i -bys -[SiiT-nai J3 3


nSys -ïJND •[* *]n -12 •ia[S]D -aJNi -bys -Sii -haw 4
iK -n^Sa -nDnm -i^xm -jd -an^zsSn -bys -Si 5
hSdk -crxaD •a[D]ba -"u -n:! -ainjSST^ -nS^; -Sdi -m 6

(1) Kônigliche Museen zu


Berlin. Mitlheilungeii aus den Orientalischen Sammlungeo,

Heft XIV, Ausgrabungen in Sendschiili IV, Berlin, Reimer, 1911.


(2) Op. laud., p. 375,
MELA.\GES. 2oo

•'''"
mes -iiWt -U/'n -m- t-^'v -^cn -i'-^ -iix 8

p- •:£"- -'ix -nt: -r: -nw- -N'n-^i •


w::;,^;fA 9-^-.

•2"^N* -rî --n^-z •"rz']


-^-'j -h'jz -'nr "w zz -mbi -'C"! -nx t: ••'zSi 11

1 -'zz •••2*2- ••'y:*2"7 -lii: --n -hz '^^'. -inn -Syzi -^zz •'"'vzi -"ipz 12
•i"2' •'ZNZ .en' cz: •'ZD -m -nu* -d^-'. -tS "ZI^C'Z -rier -zint -ï 13

i-!'>'n --ziiyn^ --zi^^x •'2::::r*2 ''\zzz -p-" -li-inn •ii-û"' -ck ' 14
"wX '""ZÀ* "^'JZ 'UTXT Tiriw'' '"^îr" TTï*»!'* ''"Z' *2r,-">l**2'' '"22* "'X '^2 lo
i2;b
•nz -^^'z -"^Nz:-!": -^z'-' -ù'h -i^r^^'jz -u'nt •nn'w''' 16

TRADUCTION

Il Je suis Kalamou, fils de Ilayà'. 2) Gabar a régné sur lodi, et

n'a rien fait.


3) Fut Bamali. et il n'a rien fait. Fut mon père Hayà'. et il n'a

rien fait.

Fut mon frère ij Sa'il, et il n'a rien fait. Et moi. Kalamou. fil> de
T.... de ce que j'ai fait 5; n'ont rien fait ceux qui furent avant eux.
Fut la maison de mon père au milieu de rois puissants 6) et tous ten-
daient la main pour combattre. Et j'ai été dans la main des rois
comme un feu qui consume 7) la barbe, et comme un feu qui con-
sume la main, et puissant auprès du roi des D... niens, et soldat 8)
moi, auprès du roi d'Assur; donnant une esclave pour une brebis,
et un homme pour un vêtement,
je !-uis as->is sur le tiV.ne de mon
9 i_Mâi»- Kalamou, fils de IJayà".
père. En présence des rois. 10) antérieurs, les grand- ? demeu-
ralênt comme des chiens. Et moi, de l'un j'étais le père, de l'un
j'étais lamère, 11) de l'autre j'étais le frère, et qui n'avait pas, yu
la face l'ai rendu propriétaire de troupeaux, et qui
d'une brebis, je
n'avait pas vu la face d'un bœuf, je l'ai rendu propriétaire 12 de
gros bétail, et propriétaire d'argent, et propriétaire d'or. Et qui n'a-
vait pas vu de lin depuis sa jeunesse, de mon temps il a revêtu
13) le byssus. Et moi j'ai pris les grands ? par la main, et eux fm' )ont
donné leur àme, comme l'àme de l'orphelin envers sa mère. Et qui-
conque parmi mes fils li) qui s'assiéra à ma place (sur le trône s'il ,

contrevient à cette inscription, les grands r?) n'honoreront pas les


plébéiens (?), et les plébéiens '^?^ 15 n'honoreront pas les grands (?.)
256 REVUE BIBLIQUE.

Et quiconque brisera cette inscription, que (lui' brise la tête Ba'al


Semed, (le dieu' de Gabar, 16, et que 'lui brise la tète Ba'al-Ha-
môn, [le dieuj de Bamah, et Rekoub-El, le Seigneur du palais.

1) La vocalisation Kalamou est naturellement incertaine. Elle est choisie d'après


l'analogie de Panamou (llavafxjTjç). Le nom du père est complété d'après la ligne 3 :

ce personnage est le même que Ha-a-a-nu ûls de Gabar qui paya le tribut à Salma-
nasar II en 8-54 {de Luschan).
3) "j^ 3^ pers. du verbe phénicien « être », plutôt que 12 « ainsi ».

La lecture ~^2 est due à Lidzbarski. Le dessin indiquerait 'il. qui avait été in-
terprété « son fils ». Mais on attend un nom propre, et le noun commence si bas au-
dessous de la ligne quil semble plutôt être un mem privé de son crochet supérieur.
Hayà' n'était probablement que dnns un sens large fils de Gabar, fondateur de la
dynastie.
4) Sa'îl ou Sa 'oui. Après 12 il y a un r, puis la place pour une lettre ou deux.
Kalamou indiquait probablement ici le nom de sa mère, qui n'était peut-être pas la
même que celle de .^aîl. En répétant le nom de son père, il ne se serait pas diffé-
rencié de son frère.
5) Dans DmIiE"^". le ; ressemble beaucoup à un T; le n est superflu, d'après la
1. 10. Lid. l'entend comme un aJjectif précédé de l'article; je crois que c'est simple-
ment l'équivalent de l'iiébreu n'':2"'. — nzn*22, « au milieu de » {Peiser, Lid. .

comme dans Barrekoub [ERS., 2" éd., 498;, 1. 9, T^'Jï'22.

6; En insérant la lettre n dans la lacune, Lid. a obtenu un sens excellent. Ti """ù*


est fréquent dans la Bible. A partir d'ici, je me sépare de Lid. qui traduit : « Moi
aussi j'étais au pouvoir des rois, car ma barbe était dévorée, ma main était dévorée.
Le roi des D.niens avait puissance sur moi, car le roi d'Assyrie l'avait pris à sa solde
coatre moi. On donnait une jeune fille pour une brebis, un homme pour un vête-
ment » (à cause du malheur des tempsy. Il dadmettie que Ivalamou se
est difficile
soit complu à décrire cette situation lamentable. Lid. estime que la seconde partie
de l'inscription est la contre-partie de la première, le roi apparaissant comme sau-
veur. Mais il devait dire comment il s'est tiré des mains de ses ennemis. Les
deux registres contiennent la même opposition entre l'infortune et la fortune,
l'un pour l'extérieur, l'autre pour l'intérieur. Aussi reviendra-t-il sur le malheur
des temps passés au début de la seconde partie. Cette seconde partie traitera
des bienfaits de la paix; il faut d'abord parler de l'heureuse issue des guerres.
Je prends donc U?N dans le sens de « feu » (Mûller). Au moment où les rois étendent
la main pour le saisir, il leur consume la barbe et la main.

7) Il manque une lettre au nom du roi des D...niens. Il serait peu prudent de
faire des conjectures.
Dans son hypothèse, Lid. est obligé de rayer ;:n 1. 8, comme une erreur
7) et 8)

du une ressource désespérée quand il s'agit d'une inscription aussi


lapicide. C'est
soignée qui n'a été gravée qu'après que le dessin des lettres eut été contrôlé. Avec
3JN, l-w ne peut être qu'un participe ou un adjectif. Je le prends pour li^il'. Les
princes de lôdi se faisaient gloire de marcher avec le roi d'Assur dans ses cam-
pagnes et se vantaient de leur tidéUté {EUS., p. 496 Dès lors 1~N doit
et p. 499).
être aussi un adjectif, comme à la Ugne 5/6. Je prends iS" comme svnonyme de Sy;
en hébreu une forme poétique, mais c'est probablement la forme primitive.
c'est
Il semble qu'on écrit "r^j surtout dans le sens de auprès; cf. Job, 30. 4; 29, 7;
MÉLANGES. 2^7

Ps. 93. 4; Is. 18, 4; Gen. 24, G; Prov. 8, 2, tandis que ligne 2 ^'J signiGe
« sur ». En phénicien W"! peut être le participe présent. Le roi se flatte de sa
générosité et de sa richesse, ou serait-ce le roi d'Assur qui donnerait des esclaves
et peut-être des soldats en échange des produits du pays, les brebis et le lin? Je
penche pour le premier sens.
10 ;""?ri'' est bien la transcription du dessin. Lidzbarski lit isSrV irapf. 3« pers.

pi. iti)paël de "~~ : il est plus simple de songer à '[:";-'r"i ithpa. de "-, avec omission

de la dernière lettre. Le sens serait peut-être meilleur en prenant ""' dans le sens
de « murmurer », mais la forme ithpa. n'existe pas dans cette acception.
Pour Z22w.*'2 j'étais arrivé au sens de •< sujets »-. c'est aussi, semb!e-t-il, la pensée
de Lid. ; il conjecture ingénieusement que ce sont les anciens habitants, conquis par
les Araméeiis. Le sens de grands convient bien au contexte : ceux qui sont couchés,
qui se reposent, un peu comme le ?'rt6/so'(, littéralement l'accroupi, signifie le préfet.

'v^S dans le sens interrogatif [Littinaan) exigerait une négation : de qui n'étais-je

pas le père? Lid. le prend pour Tzh; mais la répétition serait bien oiseuse. Il

semble donc qu'il s'agit de tel et de tel, comme dans la locution 'î'ZI, ligne II, l'idée

du un peu affaiblie.
relatif étant

La traduction de Littmann, déjà très heureuse, se prêtait à une correction


11

qui m'avait paru certaine et que j'ai retrouvée dans Lidzbarski. Tic (de P"j;' com-
prend probablement le suffixe pron. de la S'^ pers. 11 y avait cependant une raison
spéciale d'écrire le suffixe verbal, le redoublement du ?.
12) Dans iTJ'l'Z' le i représente seul le suffixe masc. pour V. Lid. explique 'T-
comme ~cz, plus le suffixe, yz étant le sujet. Mais on peut regarder T- comme
un piël ancien; « il a revêtu » Jooas, 3, G, est plus dans le rytluiie de la phrase
que « l'a revêtu ».
13) Xu2J pour •»:'£; est décidément une particularité du dialecte de lôdi (Had., 1.
17: Pan. 1. 18,.

14) pTi de p~: qui signifie endommager {Lltt., Lid.). Mais il y a une nuance à
cause de 1 qui suit ici et non 1.12. Il serait bizarre que Kalamou ait menacé de dis-
cordes civiles pour le cas oîi un de ses successeurs aurait endommagé sa stèle, tan-

dis qu'il souhaite que les dieux brisent la tête de celui qui la détruirait. Je pense
que dans le premier cas la punition est politique et vise un roi qui contreviendrait à
l'esprit de la stèle, que Kalamou regarde comme une sorte de programme de la

royauté. Suit un développement en parallélisme, où nzZ'Z'^ est opposé à T'VZ. Ce


dernier mot a été rapproché par Noeldeke uip. Lit t.) du syriaque "!''^"2, « brute,
barbare ». Si les CZiw"^ pouvaient être les grands, les 2"1"|"2 pourraient être la
plèbe: ou bien aux habitants du pays on opposerait les étrangers.

15) et 16) Kalamou ne parle plus ici d'un de ses descendants. L'hypothèse qu'un
de ses fils détruirait son écriture était sans doute trop invraisemblable.
Trois divinités sont mentionnées. La première est Ba'al de Semed, mot qui ordi-
nairement a le sens de joug. On serait tenté de reconnaître un joug dans l'un des
quatre symboles qui surmontent l'écriture '1,. Pourtant il est plus prudent de pren-
dre .^emed pour un pays, d'autant que graveur a peut-être écrit las. Ce dieu
le

était lé dieu spécial de Gabar. le fondateur de la dynastie {2\ Le deuxième dieu


n'est autre que le célèbre Ba'al Hamôu, si honoré à Carthage. Sa mention dans
notre texte donne gain de cause à M. Halévy qui expliquait son nom Seigneur de

(1) Les trois autres sont le casque à cornes, le disque ailé et le croissant.

(2) Sur la religion personnelle chez les Sémites, cf. ERS., 462.
REVUE BIBLIQUE 1912. N. s., T. IX. — 17
2o8 REVUE BIBLIQUE.

l'Amanus (1). On ne peut guère se soustraire à cette évidence quand on lit dans le
texte de Salmanasar II que Hayan, fils de Gabar, habitait au pied du mont Ho.-ma-

ni (2). Ce Ba'alest celui de Bamah, le successeur de Gabar (1. 3). Le troisième dieu,

Rèkèb-El ou Rekoub-EI, est déjà connu par l'inscription de Panamou comme le


Seigneur de la maison, c'est-à-dire sans doute du palais. Les dieux sont en relation
avec une personne (S w-X. en hébreu S nrN, pour marquer le génitif) on ne pour- :

rait dire le Ba'al d'une personne comme on dit le Ba'al d'un lieu.

L'écriture de l'inscription est celle de la stèle de Mésa, le plus


ancien type connu de l'écriture sémitique alphabétique chaque lettre ;

a son caractère propre; les confusions, si aisées dans les écritures


dérivées, sont impossibles; même le daleth est parfaitement distinct
du rescli. Les suffixes verbaux font défaut, ainsi que les suffixes pro-
nominaux, sauf aux cas indiqués. L'article est rare.
La langue est nettement cananéenne, spécialement plus rapprochée
du phénicien que de l'hébreu. Le mot hfn^ est le seul indice d'araméen;
il a été bien expUqué par Lidzbarski comme faisant en quelque sorte

partie du nom propre. C'est un indice que la djmastie était ara-


méenne, implantée dans un pays où l'on parlait le cananéen. L'évo-
lution linguistique du pays de lôdi est désormais assurée; on est allé
du cananéen de Kalamou à laraméen de Bar-Rekoub, en passant par
le cananéen teinté d'araméen des inscriptions dites de Hadad et de
Panamou.
On connaît encore mieux la suite des souverains de ce petit pays,
inconnu hier et même
confondu avec la Judée. C'est d'abord Gabar,
puis Bamah, puis Hayà', contemporain de Salmanasar II 85i), et ses
deux fils. Sa il et notre Kalamou. Par les autres inscriptions de Sen-
djirli, nous avons Qarl, puis Panamou V\ contemporain, d'après l'ins-

cription découverte par M. Pognon, de Zakir et de Benhadad II


(vers 810?). On placera ensuite Barsour, tué dans une conjuration, et,
d'après le P. Dhorme (3), l'usurpateur Azriiàhou, remplacé par le fils
de Barsour, Panamou II, dont Téglath-phalasar III (744-727) reçut le
tribut. Le conquérant assyrien vivait encore quand Bar-Rekoub monta
sur le trône de Sam'al ou de lôdi. Ce dernier ne détruisit pas le
palais de Kalamou, mais il en parle avec un certain dédain (4), et
prétendit faire mieux.
Mais l'histoire religieuse du pays de lôdi demeure beaucoup plus
obscure. On a vu quels dieux servait Kalamou; c'étaient d'abord les

(1 Cf. op. laud., p. 87.


(•> Keilinschriflliche Bibliothek. I, 1G2.
(3) Les pays bibliques et l Assyrie, p. 33.
(4; M. de Luschan a reconnu le vrai sens de loSs ni2 dans l'inscriplion de Bar-Rekoub
(1. 17).

i
MELANGES. 2d9

dieux de ses pères. Panamou II les a oubliés; il était sans doute d'une
autre famille et surtout dévot à Hadad, puis à El, à Réchef, à Arq-
Kéchef, à Chamach, Rekoul-El appartient aux deux, car il était
Seigneur du palais.
Bar-Rekoub nomme les mêmes dieux sauf les Réchef. Il s'est fait

représenter sur un surmonté du symbole du croissant, nommé


trône,
son maître, le Ba'al de Harran, ou le dieu Lune. Et par suite de
quelles circonstances Azriiàhou, l'adversaire de Téglath-phalasar,
portait-il un nom où figurait lahô ou lahou, le dieu d'Israël?
Ce qui est vraiment caractéristique des inscriptions de ces petits
princes, c'est la description du salut dont leur règ-ne donne le signal,
surtout dans le domaine de l'agriculture. Ils n'ont pu, au viii* et au
ix.'' siècles, goûter quelque tranquillité qu'en rendant hommage au
roi d'Assur. Aussi, ne pouvant trop insister sur leurs faits d'armes, se
complaisent-ils en des descriptions plantureuses du bonheur de leurs
sujets, de l'abondance des récoltes, de la multiplication des trou-
peaux. On croirait lire certains tableaux du bonheur messiani(jue
temporel. On saisit du moins combien ces images sont anciennes,
et combien ancienne l'idée du règne qui devait répandre sur la terre

toutes les bénédictions.

Jérusalem, 29 janvier 1912.


Fr. M.-J. Lagrange.

III

L'HISTOIRE DE LA RELIGION ISRAÉLITE ET LA iMÉTHODE


SCIEiNTIFIQUE DES RECHERCHES HISTORIQUES
1. Ce n'est un pour personne que la tendance régnante
secret
parmi de la religion Israélite, ceux oui
les plus récents historiens
se rattachent à Wellhausen, émane de Wilhelm Vatke. Le principal
représentant de cette tendance le dit. lui-même, expr< ssément. Dans
ses Prolegoînena zur Geschichte hraëls, à la fin de l'introduction
(2^ édit., il fait la remarque suivante
p. li), u Mon enquête se ;

rapproche de manière de Vatke, duquel je reconnais avoir reçu la


la
plus grande part, et la meilleure, de ce que je sais (1). » Il se réfère
par là au premier ouvrage important de Vatke, intitulé Biblische :

li) Meine Vntersuchung nàhert<iich der Art Votkes, von weUliem ich dos Meiste xind
das Beste gelernt zu haben bekenne.
260 KEVLE BIBLIQLE.

Théologie wissenschaftlich dargeatellt, I (1835 Mais cet ouvrage a


.

été écrit par Vatke sur les bases de la philosophie hégélienne. 11 ne


s'en est pas caché, pas plus que son ami David Friedrich Strauss qui
éditait, la même année, sa « Vie de Jésus ». Vatke lui-même fait res-
sortir, en bien des endroits, son point de vue hégélien. C'est ainsi

qu'il écrit par exemple p. 591)-


« Le processus historique de la reli-
:

arion de lAncien Testament offre dans la totalité des moments succès-


sifs, la façon de la comprendre. Que si la tradition du peuple hébreu

reproduisait le processus réel de l'histoire de ce peuple et de sa reli-


gion, nous nous trouverions en présence d'une énigme pour laquelle il
n'existerait absolument pas d'analogie nous aurions le point culmi-
:

nant au début. ))

Tout d'abord, il y a dans ces mots une exagération qui n'est guère
scientifique. Car. à prendre la tradition historique des Israélites, telle
qu'elle se présente à l'examen critique, elle ne prétend nullement que
le point culminant du développement historique se trouve au début.
Cette tradition historique connaît, elle aussi, un développement de
la connaissance religieuse, par exemple en ce qui concerne les noms
et les attributs de Dieu, ou en ce qui concerne la légis"lation et les pro-
messes. Mais à supposer que la tradition historique d'Israël plaçât
effectivement le point culminant au début, il faudrait dire que celui
qui écrit l'histoire n'a qu'à reconnaître ce fait. En se refusant à le
faire, Vatke a prouvé ne connaissait pas la méthode de la re-
qu'il

cherche historique. Il a voulu non pas puiser l'histoire aux sources,


mais la façonner par intuition philosophique. Comme son maître
Hegel, Vatke a envisagé toute histoire, et spécialement l'histoire
de la religion, sous l'angle de révolution continue, et, selon sa
manière de voir, l'histoire devait passer de la thèse à l'anti-thèse,
puis par la suppression de cette antithèse s'élever à un nou-
veau stade. Ainsi donc la façon d'envisager le cours de l'histoire était,
chez Vatke, évolutionniste par principe. C'est donc d'un homme qui,
a ;?rion, connaît déjà le rhythme du développement de l'histoire, par
les idées fondamentales de sa philosophie, que Wellhausen a reçu
« la plus grande part et la meilleure » de ce qu'il sait.

2. Mais peut-être que chez les tenants de l'école de Wellhausen,


dans leurs travaux plus récents, n'apparaît plus le principe fonda-
mental légué par Vatke, à savoir que, comme toute histoire, l'his-
toire de la religion de l'Ancien Testament dénote le processus évolu-
nous jetons un coup d'œil
tionniste. Cet espoir ne se réalise pas si
sur ces travaux. On y reconnaît, en effet, des traces des idées mai-
resses de la théorie évolutionniste. Les voici :

lÊù\
MELANGES. 261

A travers les exposés récents de l'histoire religieuse d'Israël, par


exemple dans la Biblische Théologie Alten Testaments de B. Stade
(tome I, 1905), on retrouve, à première vue, l'idée fondamentale
qu'il a existé un rapport de causalité entre, d'une part, la situation
des Israélites parmi leurs voisins, le développement de leur puissance
politique, et, d'autre part, l'origine et la formation de leur religion.
Voilà pourquoi ces historiens de la religion Israélite considèrent un
prétendu idéal de Bédouins comme le père de la religion de l'Ancien

Testament, font grandir le dieu d'Israël « dans la lutte contre les


dieux cananéens » (1) et envisagent David comme un « fondateur de
religion », parce que, grâce à la fondation de son royaume, lahvé
du rang de dieu de tribu à celui de dieu national.
fut élevé
En second lieu, on trouve dans ces exposés une prédilection à
prendre comme point de départ les peuples « dont les
primitifs »,

idées (qu'on prétend tout à fait rudimentaires) sur la divinité doivent


fournir le type de la forme primitive que revêtait la vraie religion
d'Israël (2). Pour Stade, c'est la comparaison avec « les religions
primitives » qui doit servir à fixer les idées religieuses des pa-
triarches. Ceux-ci, jugés d'après ce modèle, doivent avoir adhéré
au démonisme et au fétichisme aussi les partisans de Wellhausen
:

attribuent-ilsexpressément aux patriarches le culte des fétiches (3) ;

cette opinion est soutenue également par Kautzsch dans sa « Théolo-


gie biblique de l'Ancien Testament », qui avait déjà paru en Angle-
terre en 190i et que j'ai pu, par suite, critiquer déjà dans près de
soixante-dix passages de mon ouvrage. D'ailleurs les peuples « primi-
tifs » eux aussi, traités à la manière évolutionniste, comme s'ils
sont,
se tenaient au plus bas degré de l'échelle, au point de vue des idées
religieuses. Et pourtant, durant ces dernières années, sur divers points
des recherches ethnologiques, on a pu prétendre que, même chez les
peuplades qui, sous bien des rapports, ne connaissent que les élé-
ments delà civilisation, se rencontrent déjà des idées élevées et déli-
cates concernant la divinité. Pour n'en donner qu'un exemple,
Howitt, qui s'occupe de recherches sur les Australiens, a prouvé que
les Australiens du sud entendent sous le nom de Dariiinulum « un

être surhumain, qui subsiste toujours, esprit créateur, gardien de cer-


taines lois morales » (4).

(1) Wellhausen dans Die Kultur der Gegenwart,!, 4 (1906), p. 14.


(2) On trouvera des aUeslations, tirées de l'ouvrage de Stade, dans ma Gescfiichie der
alttestamentlichen Religion kritisch dargestellt {ldi2), \k 25.
(3) Stade, op. cil., g 15, 2; cf. ma Geschichte..., p. 76.
(4) Edv. Lehmann, dans Die Kultur der Gegenwart, I, 111, 1(1906), p. 26.
262 REVUE BIBLIQUE.

3. pourrait-on dire, il est incontestable que la tendance de


Bien !

l'école de Wellhausen, dans l'exposé de l'histoire de la religion Israé-


lite, a pour point de départ la théorie hégélienne de l'histoire; il est

indéniable aussi que cette école ne s'est pas encore libérée totalement
de cette théorie mais il n'est pas néces'-aire que la construction de
;

cette histoire, telle qu'elle se trouve dans les ouvrages provenant de


cette école, ait été influencée par cette théorie. L'exposé du processus
de l'histoire religieuse d'Israël, tel qu'il est donné dans les travaux de
tendance Wellhausen, pourrait être parfaitement exact. Mais en a-t-il
été et en est-il réellement ainsi?
Répondre à cette question, telle était la mission qui incombait à la
science de l'Ancien Testament, en présence de ces exposés de l'histoire
religieuse d'Israël, tels surtout qu'ils s'offraient à nous depuis 1881.
Et les représentants des recherches scientifiques dans le domaine de
l'Ancien Testament se sont-ils dérobés à cette mission? Pas du tout!
Ils s'en sont acquittés, et voici quelles ont été les principales étapes
de cette discussion :

à) La critique tenait avant tout à que les prophètes


cette assertion
du viii^ siècle apparaissaient comme que la vraie reli-
des novateurs et

gion d'Israël avait été élaborée par eux. La relation de ces prophètes
(Amos, Osée, Isaïe, etc.) avec Moïse a été par le fait même étudiée de
plus en plus, à partir de 1880 dans mon ouvrage Die Haitptprobleme
:

der allisraelitischen Religionsgeschîchte {iSSk) dans James Robertsox,


;

Theearly religion of Israël (1885) dans Kittkl, Geschichte der ttebràer


;

(1888 et 1892); Oettli, Der Kultus bei Amos imd Hosea{iS9b) Selllx, ;

Beitràge zur israelitischen und ji'idischen Religionsgeschichte, I (1896\


p. 34-39; GiESEBRECHT, Die Geschichtlichkeil des Sinaibundes (1901).
Dans ces travaux on ne se lassait pas de prouver que les prophètes du
viii" siècle, d'après leur propre témoignage, nedevaientêtre avant tout
que des réformaleurs, pour se servir d'un seul mot. Leur tâche était de
convier leurs contemporains à revenir à la religion fondée jadis du-
rant la jeunesse du peuple Israélite, et de protester contre toutes les
perversions religieuses et morales qui se manifestaient dans les plus
humbles comme dans les plus hautes sphères de leur peuple. Qu'ils
aient eu, en second lieu, à compléter et à unifier la loi, à développer
et à spiritualiser davantage la prophétie, cela n'avait pas échappé non
plus à notre enquête historique.
A la suite decette série de preuves toujours plus parfaites, les repré-
sentants de la tendance de Wellhausen ont ç\i{\\\. commencé k reconnaître
ce qu'avaient d'outré les premières affirmations sur le rôle des pro-
phètes du viii" siècle dans l'histoire de la religion de l'Ancien Testament.
MÉLANGES. 263

Et, en effet, Stade, dans son Altteslamentliche Théologie (1905), § i05,


concède qu'il y a « un petit grain de vérité dans la théorie ordinaire(!)
qui fait intervenir les prophètes du viir siècle en faveur de l'œuvre de
Moïse Finalement un savant, qui autrefois avait d'extrême façon
».

suivi lecourant de l'école de Wellhausen dans l'interprétation des


prophéties messianiques (1), Volz se posa résolument en adversaire
de cette école, au sujet du rôle de Moïse dans l'histoire de la religion.
C'est ce qu'il fit dans son ouvrage Mose, ein Beitrag zur Unlersiichuny
ûber die Ursprïmge der israelitischen Heligion (1907). Voilà pourquoi
on peut dire qu'avec l'année 1907 est close une première période im-
portante dans la récente discussion sur l'histoire de la religion d'Isra»'l,
quels que soient les points qui restent encore à éclaircir au sujet de la
situation des prophètes du viir siècle dans l'histoire religieuse de l'An-
cien Testament (2).

b) Après que cette question fondamentale eut été ainsi résolue en


suhstance, on put aborder un nouveau point important de la recher-
che historique. Il s'agissait de savoirs! le commencement de la véri-
table religion d'Israël ne remontait pas an delà du temps de
Moïse.
On devait donc examiner si vraiment les patriarches n'avaient
connu que la religion commune aux Sémites, comme on l'affirme
dans les traités qui émanent des milieux influencés par les théories
de Wellhausen. Il fallait rechercher si vraiment les patriarches n'a-
vaient pas franchi le degré du polydémonisme, du culte des ani-
maux, de l'adoration des ancêtres et du fétichisme, en ce sens qu ils
auraient vénéré les montagnes, les eaux, les arbres et les pierres
sacrées, puisque le fétichisme est attribué aux patriarches non seu-
lement par Stade et Marti, mais encore par Kautzsch dans son travail
de 1904 auquel j'ai déjà fait allusion. La nécessité s'imposait donc
de soumettre à l'examen critique ce nouveau dogme, d'après lequel
il n'y aurait pas eu de religion des patriarches comme premier stade

de la véritable religion d'Israël. Ce fut là un second motif pour moi


d'éditer ma Geschichle der alttestamentlichen Religion, que j'ai men-
tionnée plus haut. J'espère y avoir montré, par un examen critique
de toutes les théories modernes sur la situation religieuse de l'é-

poque des patriarches, qu'il y avait eu vraiment comme premier


stade de la véritable religion d'Israël la religion biblique des pa-
triarches.

(1) P. Volz, Die vorerilische lahveprophelie und der Messias [1891].


(2) Cf. ma Geschichle..., p. 343-350.
264 REVUE BIBLIQUE.

c) A côté de ces deux points principaux, il y avait encore bien des


questions débattues. Aussi a-t-on, durant les vingt ou trente dernières
années, examiné, de la base jusqu'au faite, tout l'édifice de cette
« histoire de la religion Israélite », tel qu'il avait été construit d'après
les théories de Wellhausen. Et cela dans des travaux critiques dont
les témoignages ont été groupés dans mon livre.
Dans ces études se trouve, par exemple, la réponse aux questions
suivantes : le nom de Dieu, qui fut dévoilé à iMoïse, est-il emprunté
aux Madianites chez qui Moïse s'était enfui (Ij? En outre, la divinité
annoncée par Moïse était-elle, d'après la sphère où s'exerce sa puis-
sance, « un dieu local »? Ce Dieu était-il considéré comme « un dieu
de l'orage ou du volcan » qui domine par le sentiment qu'on éprouve
devant sa puissance et est honoré par des sacrifices humains? La
« religion du désert » d'Israël au temps de Moïse sest-elle trans-

formée en une « religion d'agriculteurs » après la pénétration en


Canaan? Les conceptions religieuses d'Israël se sont-elles encore « enri-
chies », au pays de Canaan, par les mythes et les légendes de Baby-
lonie? L'arche dans le sanctuaire était-elle considérée, chez les anciens
Israélites, comme une nom de Jahvé
représentation de .lahvé? Par le
seba'ôth qui apparaît dans / Sam.^ i, 3, a-t-on voulu parler du dieu
« des puissances mythologiques (éclairs, averses) envisagées comme

les troupes auxiliaires du dieu de l'orage » (2)? La vieille religion


prophétique est- elle devenue « plus profonde » par les entreprises
commerciales et les autres relations cosmopolites de Salomon ? Faut-il
donner à l'époque qui précède Amos le nom générique du u temps
pré-prophétique (vorprophetische) »? Ces questions, une douzaine au
moins d'autres importantes, suscitées pour la plus grande partie par
la façon dont Wellhausen et son école ont exposé l'histoire de la reli-
gion d'Israël, ont toutes été critiquement étudiées (en même temps
que les deux questions capitales), par ceux qui travaillent encore dans
le domaine de l'Ancien Testament en dehors des tenants de Wellhau-
sen et malgré eux.
Dans toutes ces études on a pu montrer (3) que l'édifice de l'his-
toire religieuse d'Israël, tel que le construit Wellhausen, est, dans
toutes ses parties essentielles, en désaccord avec les témoignages les
plus certains des livres historiques des Hébreux. Car cette reconstruc-
tion ne prend généralement pas pour point de départ les données

(1) Sur l'hypothèse qu'on appelle « Qénite » au sujet du nom divin Jahvé, cf. ma Ge-
schichte..., y>. 162-169.

(2) Makti, Geschichtc (1er israelilischen Religion (1907), p. 158,


(3] Je dois renvoyer pour le détail à ma Gescliichtc...
MÉLANGES. 265

des sources historiques; celles-ci sont souvent même isolées de leur


nappe primitive commune, et l'on oublie le plus souvent le principe
de la méthode, à savoir que ce qui est commun dans les diverses
sources doit être regardé comme ce qu'elles contiennent de plus im-
portant. En évitant ces erreurs et d'autres encore, on pouvait cons-
tater, de prime abord, g-ràce aux témoignages positifs des sources, que
les patriarches avaient réellement existé et que leur religion avait été
vraiment le premier stade de la religion de l'Ancien Testament. Par
cela même était indiqué, en outre, le véritable développement de la
religion de l'Ancien Testament, et beaucoup de changements, qui
récemment avaient été acceptés dans l'histoire de la religion Israé-
lite, pouvaient être reconnus comme des produits artificiels dune

théorie évolutionniste.
Le point de vue, hérité de Vatke, a donc exercé beaucoup d'in-
fluence sur les exposés de la religion Israélite qui proviennent des
adeptes de l'école de \Yellhausen ; c'est pourquoi la vraie méthode de
toute historiographie n'a pu revendiquer ses droits dans ces travaux.
Le progrès scientifique peut-il donc consister à accentuer, comme
on depuis 1881, les doctrines de Wellhausen sur le processus
le fait

de l'histoire religieuse d'Israël? Le fait est-il tel qu'il apparaît dans


un discours récemment prononcé par Marti, à Berne (novembre
1911)?
Dans ce discours, la fidélité aux doctrines qui sont ressassées par les

tenants de la théorie de Wellhausen sur l'histoire religieuse d'Israël,


y est célébrée comme le fruit « de la science de l'Ancien Testament ».

Seuls les livres qui partagent ce point de vue y sont signalés comme
étant ceux qui permettent « de reconnaître le progrès de la science ».
Mais on n'y trouve citée aucune étude dans laquelle l'exaclitude des
principes de Wellhausen a été soumise à l'examen critique. En vain
y cherchera-t-on la Geschichte der Hebrcier de Kittel, et, en général,
l'unou l'autre des ouvrages de Sellin, Oettli, Giesebrecht, Volz, etc.,
que nous avons signalés plus haut. L'ouvrage remarquable de iM.-J.
Lagrange, intitulé Études sur les religions sémitiques (1), n'y figure
pas davantage.
Un procédé ne peut pas être considéré comme objectif. Lorsque
tel

quelqu'un, en effet, se donne pour tâche d'esquisser une image de

« l'état actuel de la science de l'Ancien Testament », il lui incombe

aussi de parler des problèmes que soulève de nos jours la science de


la religion de l'Ancien Testament, et d'indiquer quels essais sont ac-

(1) Ouvrage couronné : 1" éd. (1903), 2« éd. (1905).


266 REVUE BIBLIQUE.

tuellement faits pour résoudre ces problèmes. Mais si l'orateur tient


pour exact d'exposer comme étant « l'état actuel de la science, dans
le domaine de la religion de l'Ancien Testament », ce que lui-même

considère personnellement comme exact, il force ceux qui travaillent


sur le même terrain à reprendre le même mot et à contribuer, de leur
côté, à achever l'image de « l'état » actuel de la science de l'Ancien
Testament. C'est à moi qu'il revenait d'abord de remplir ce devoir,
puisque j'appartiens au groupe des plus anciens représentants de la
science de l'Ancien Testament et puisque l'étude de la religion de
l'Ancien Testament a toujours été pour moi la partie la plus impor-
tante de mes travaux.
Pour ce qui est de l'avenir, j'ai confiance que, sur ce terrain aussi,
se vérifiera ma maxime : l'utilisation, sans idées préconçues, des
sources étudiées avec critique et la prise en considération, sans esprit
de parti, de tous ceux qui collaborent à la même œuvre nous mène-
ront au but.

Bonn.
Ed. KOENIG.
CHROMOUE

>EBY SAMOriL.

D'après l'unique donnée biblique que l'on possède sur ce sujet.


Samuel fut enseveli à Rànià, dans sa propriété (1). Or, cette Kàmà, de
la montag^ne dEphraïm. identique à la Ramathem des temps macca-
béens et à V Arimathie de l'époque évans-élique (2), est identifiée par
Eusèbe et saint Jérôme avec une localité de Remphis ou de Remfthis
qui porte encore aujourd'hui le nom de Rentis, située à une quinzaine
de kilomètres au nord-est de Lydda. Saint Jérôme donne l'identifica-
tion d'Arimathie et de Remfthis comme admise par le plus grand
nombre, ce qui laisse supposer qu'une autre opinion avait cours.
Il par conséquent, qu'il y ait eu la même diversité d'opinions
se peut,
sur la localisation de Râmà de Samuel. En dépit du bien-fondé de
l'identification de cette Ràmà avec Rentis, il dut se produire dans les
premiers siècles de notre ère quelques vues divergentes à ce propos
parmi les chercheurs de topographie sacrée. Les Talmudistes, par
exemple, ne se sont point gênés pour considérer Ràmà de Samuel
comme proche de Guibéa.(3). Mais il serait puéril de prendre en
considération des conclusions qui découlent, non d'une étude des
lieux, mais de rapprochements fantaisistes.
Le fait qui attacha le souvenir de Samuel au sommet que l'on
connaît aujourd'hui sous le nom de Néby Samouil fut peut-être l'in-

vention en ce lieu d'un corps que l'on crut être celui du fameux pro-
phète. Saint Jérôme raconte que sous l'empereur Arcadius (395-i08),
les ossements du bienheureux Samuel furent transférés en Thrace (i).

Sur le parcours des reliques, que des évêques portaient dans des
étoffes de soie et dans un vase d'or, les populations acclamaient le

prophète comme s'il eût été vivant. Bien que Jérôme ne dise rien
du lieu où les cendres de Samuel avaient reposé jusqu'à cette trans-

(1) I Sam., 25, Dhokme, Les livres de Samuel,


1. Cf.
(i) I Mac, 11, 17, 57. Me, 15, 52.
34. Mt.,
(3) LiGHTFooT, Centuria chorographicn, cap. 43.

(4) Contra Vigilantium, 5, P. L., XXIII, 3i3 Sacrilegus dicendus est, et nunc Au-
:

gustus Arcadius, qui ossa beati Samuelis longo post tempore de Judxa transtulit in
Thraciam?
268 REVUE BIBLIQUE.

lation, il est assez plausible de croire que le fait de retrouver la


prétendue dépouille du prophète ait commencé à porter un rude coup
à la tradition de Rentis et à accréditer l'identification de Ràmâ avec
la hauteur de Néby Samouîl. Avant de s'imposer sans conteste, la
nouvelle localisation avait à réduire à néant l'opinion qui plaçait
Gabaon sur cette même hauteur (Ij. Mais au vi" siècle, cela ne fait
plus de difficulté. Theodosius écrit que de Jérusalem à Ramatha où re-
pose Samuel, il y a cinq milles sept kilomètres et demi environ) (2).
La distance indiquée est à peu près celle qui sépare Jérusalem de
Néby Samouîl. On voit que malgré la translation des reliques du
prophète en Europe, on continuait ù les vénérer en Palestine. Du
cénotaphe les pèlerins concluaient aisément à la sépulture réelle.
Ainsi ils crurent longtemps à la présence du corps de saint Jean-
Baptiste à Samarie, même après que Julien l'Apostat l'eut fait

réduire en cendres. Le tombeau de Samuel était gardé par quelques


moines dont la résidence eut à se louer de la générosité de Justi-
nien. Procope de Césarée signale, en efiFet, parmi les travaux de cet
empereur un puits et un mur d'enceinte au monastère de Saint-Sa-
muel (3). C'est encore à cette localité qu'Arculfe fait allusion en ces
termes : « D'.4£lia, vers le nord, jusqu'à la cité de Samuel qui s'ap-
pelle Armathem. on remarque un pays rocheux et raboteux par in-
tervalles, et des vallées épineuses qui s'étendent jusqu'à la région
Tamnitique C^). » A cette période préislamique appartiennent deux
tombeaux taillés dans le roc et souvrant sur la déclivité nord-ouest
de la montagne. L'un d'eux jDorte une croix au-dessus de son ouver-
ture.
Néby Samouîl est sans contredit le plus beau point de vue de toute
la Judée. On y jouit en outre d'une température fort agréable. La vigne
et le figuier y viennent admirablement on ne saurait en dire autant ;

des céréales qui y végètent à cause du peu de profondeur de la


terre arable. Vers le sommet, le roc affleure presque partout. Deux
sources, dont l'une est au nord de l'ancienne église et l'autre à dix
minutes au sud-est, compensent dans une certaine mesure les désa-

(1) s. Epiphane, Adv. heer., xlvi. 5 'Atcô rrf^\j.vMi ôx-w f, Tagaù^ û'iT;>,0TâTr,. Il est plus
:

exact de dire que Npby Samouil est. non le village de Gabaon, situé à el-Djib, mais
le haut-lieu de Gabaon rendu fameux par le songe de Salomon 'I Reg., 3, 4 :

n''?i-;rî -'zz-i.

(2) Geyek, Itin. Hieros., p. liO : De Hierusalem in Ramalha, ubi requiescit Samuel,
milia V. Cette distance est plus conforme à la réalité que les 8 milles d'Épiphane.
(3) Ds jEdif., V, : tlz ~h to-j àyiov Xay.our)X çpÉap xai teï-/oç.

(4) Geyer, op. L, p. 245. La Tnmnitica regio est une irmiaiscence (itY 0)ioinasticon.

-^
CHRONIQUE. 269

vantages de cette La position sans pareille de Néby Samouîl


stérilité.

non seulement au point de vue stratégique, mais aussi comme en-


droit très propice à « humer l'air », devait nécessairement tenter
les chefs arabes. Au musulman du x' siè-
dire de Mouqaddasi, auteur
cle, originaire de Jérusalem, un sultan eut un jour l'intention de
prendre possession de Deir Samouil, village situé à une lieue en-
viron delà ville sainte. Ayant mandé un propriétaire de l'endroit, il
exigea de lui une description minutieuse de la localité. «Mon village,
répondit ce dernier, est un village du ciel, placé bien au-dessus des
terres basses, pauvre en herbe tendre, riche en folle avoine on y ;

mange un pain dur, car les moissons y sont d'un maigre rendement;
l'ivraie gagne tout et les amandes y sont amères; le cultivateur y

sème-t-il un boisseau de froment, il n'en récolte qu'un boisseau cet ;

endroit sacré, cependant, est bien pourvu de fruits. » Le sultan ré-


pliqua, dégoûté par ce tableau peu flatté « Porte-toi bien, je n'ai
:

que faire de ton village (1). » Il est probable cependant que les musul-
mans aient fini par s'installer dans cette localité avant l'ère des
Croisades. Dans l'usage courant, les Palestiniens nommaient cet en-
droit Mcb' Samouîl ovi Mâimn Samouil (2). Les Croisés, à leur arrivée,
adoptèrent ce nom sous la forme de « Saint-Samuel » ; ils l'employè-
rent concurremment avec celui de Monjoie. Au moyen âge, le terme
de Monjoie était appliqué soit à des collines où se trouvait un tom-
beau de saint, soit à des monceaux de pierres entassés en certains
endroits par les pèlerins (3). Néby Samouil méritait cette appellation
à ce double titre cependant ce qui lui valait surtout le nom de Mon-
;

joie, c'était la vue de Jérusalem dont on jouissait du haut du sanc-

tuaire du prophète. Le pèlerin qui, venant de la côte, avait suivi un


âpre chemin dans les vallées rocailleuses, voyait tout à coup, en arri-
vant sur la hauteur de Saint-Samuel, la coupole du Saint-Sépulcre
dominer dans le lointain les maisons blanches de Jérusalem. Aussitôt,
le cœur débordant de joie, il jetait sa petite pierre dans le tas

amoncelé par les pèlerins qui l'avaient précédé et commençait ses dé-
votions.
Les Croisés s'installèrent de bonne heure à Saint-Samuel. Dans une
charte de 1115, Baudouin P"^, roi de Jérusalem, confirme à l'abbaye de

(1) D'après Le Str\N(;e, Palestine under the Moslems, p. 433.


(2) Yaoout, ibid.
(3) Cf. Du Cange, (jloss. lat., s. v., qui entre autres exemples cite ces deux vers d'un
vieux poème :

Tant i ot pierres aporlées


C'une Monjoie i fut fondée.
270 REVUE BIBLIQUE.

Sainte-Marie de Josaphat la donation d'une terre sise près de Mon-


joie (1). Baudouin II (1118-1131) offrit à saint Bernard le site de Saint-
Samuel et mille écus d'or pour couvrir les frais d'une première ins-
tallation de Cisterciens. L'abbé de Clairvaux, trouvant sans doute ce
lieu trop éloigné du berceau de son ordre et par conséquent de son
rayon d'influence, déclina l'offre royale. 11 pria cependant le roi de
Jérusalem d'accorder la faveur, qu'il refusait pour lui, aux Pré mon-
trés avec lesquels les Cisterciens étaient alors en bonnes relations (2).
Dans une en lli2, à la reine Mélisende, veuve de
lettre qu'il écrivit

Baudouin Bernard recommande chaudement à cette princesse


II, saint
les Prémontrés, « guerriers pacifiques, doux aux hommes, terribles
aux démons », qui étaient partis pour la cause du Christ (3). En 1157,
Saint-Samuel possédait son église franque et son cimetière. C'est à
proximité de cette installation qu'était située la vigne qu'Arnaud,
prieur du Saint-Sépulcre, acquit cette année-là de Guibert Papa-
sius (i). Il est aussi question, dans une charte, d'une vigne vendue à
Martin Charpentier de Monjoie par un certain Ainard, talonné par la
misère (5). A la tête de la petite colonie franque de Monjoie se trouvait
l'abbé des Prémontrés, qui relevait du patriarche latin de Jérusalem.
On trouve en effet inscrits parmi les suffragants de ce patriarche
« l'abbé de Saint-Samoel qui est de la Monjoie, qui porte croce et non

mitre ni anel (6) ».


A l'époque de l'occupation franque, les pèlerins orientaux conti-
nuaient à considérer Néby Samouil comme Armathem et à y vénérer
la sépulture et la naissance du fils d'Elqânâ. « Il y a, écrit l'higou-
mène russe Daniel en 1106, une montagne très haute près de Jéru-
salem, à droite en venant de Jaffa ; cette montagne porte le nom
d'Armathem. Sur cette montagne se trouvent les tombeaux du saint
prophète Samuel, de son père Elkan et de Marie TÉgyptienne... Cet

(1) Delaborde, Chartes de Terre Sainte provenant de l'abbaye de N.-D. de Josaphat,


VI; confirmation de la même donation par Baudouin II, VIII Radidfus Aliensis donavit :

ecclesie predicte tervam jiixta Montem Gavdii silain.


(2}Dans une lettre de 1150, saint Bernard rappelle ces faits (Ep. 253, P. L., CLXXXI^
Apud Jerosolijmam rex Baldninus, dumadhuc viveret, locum sancii Samuelis
p. 454):
donavit nobis,et mille aureos simul. de quibus œdiflcaretur : vos dono nosfro et locum
habetis, et aiircos habuistis.
(3) Ep. 355.
(4) De Rozière, Cartulaire de l'Église du Saint-Sépulcre, p. 239 : Arnaldus... quam-
dam etenim fecit commutationem cum Guiberto Papasio de quadam videlicet vinea,
quam prefatus Guibertus libère habebat et possidebat juxta ecclesiam Montis Gaudii,
cimiterio videlicet ejusdem ecclesiœ conjunctam.
(5) Ibid.
(6) Livre de Jean d'Ibelin, cclxi. Cf. Cartulaire du S.-Sép., p. 136. Dans un privi-

lège du S. -Sépulcre de 1157 il est mentionné R... Sancti Samuelis (abbas).


CHRONIQUE. 271

endroit est entouré d'une muraille (1). » Les voyageurs occidentaux


comme Théodoric (1172) et Benjamin de Tudèle (1173) bloquaient le
souvenir de Silo et celui de Ràmà. « A Silo, dit Théodoric, le pro-
phète Samuel fut enseveli pourquoi le nom ancien en a été
; c'est

changé en de Saint-Samuel, où se trouve une congrégation de


celui
religieux appelés moines gris 2 » Jean de Wirzbourg (1165) dési- .

gne clairement Saint-Samuel sous cette rubrique : (( Mo/is Silo, et ci-


vitas, qua:' et Rama. »
En 1187, quand Saladin fut sur le point de prendre Jérusalem,
les moines de Monjoie se retirèrent à Saint- Jean d'Acre et leur église
comme le reste de la Judée tomba au pouvoir des musulmans. Mon-
joiecependant ne tarda pas à revoir les Occidentaux mais pour bien
peu de temps. Richard Cœur de Lion, en 1192, dans sa marche in-
fructueuse sur la ville sainte, y demeura quelques heures « Le rei :

erra tant, dit un contemporain, qu'il vint à Saint-Samuel, que l'en


apele la Montjoie qui est près de Jérusalem à deux liues. Enssi com
le rei fu la, et il estoit dessendu. por ce que il avoit vu la sainte cité
de Jérusalem, por faire ses oraisons car ce est l'usage de tous les ;

pèlerins, qui vont en Jérusalem, qui illucques aorent avant, por ce


que dillucques voit l'on le Temple et le Sépulcre. » Malheureuse-
ment, le prince, apprenant qu'il n'était pas suivi par la troupe du
duc de Bourgogne, dut se replier sur Jatfa (3).
Quelque temps après le départ de Richard, le frère de Saladin,
Malek el-'Adel, venait s'installer sous la tente à Mar Samouil, afin de
se débarrasser dune indisposition par le régime du grand air (i). Les
pèlerins occidentaux gardaient encore à la fin du xiii° siècle les tra-
ditions de l'époque du royaume latin de Jérusalem. Saint-Sa-
muel;, pour Burchard (1283; est toujours Silo « la plus haute de
toutes les montagnes qui sont en Terre Sainte, quant au site (51 ».
Les Juifs du xvi^ siècle faisaient tous les ans à la Pentecôte un pèle-
rinage au tombeau de Saaiuel et de ses parents un rabbin de ce
;

temps-là déclare que ces personnages sont « dans un caveau fermé,

(1) Trad. Khitrowo, p. H. Phocas, XXIX : à^b ty;; àyia; 7;6),sw; 'lîpo-JCîa/.r.u. wseî .uiX-a ç'

£7tIv t) 'Apixa6a;[x ttoai;, èv ^ Safio'jy;/, 6 (lÎYa; ây.sïvo: 7îso?r,-r,; ^zyvrir,'za.:.


[2] Theodorici libellus, p. 88. Benjamin de Tudele {Jewish Quart. Rev.. XVII, p. 131)
dit que les chrétiens transportèrent les restes de Samuel trouvés à Ranileh à Néby Samouil
qui prit dès lors le nom de Samuel de Silo, m''w~ '!'iS'*'2w'.

;3) Recueil des histor. des Croisades. Occid., II, p. 182. En appendice à l'histoire
d'Eracles.
(4] Recueil des fiislor. des Croisades. Orientaux, III. Vie du Sultan Youssof, pp. 336,
339, 351.
(5; Ed. Laurent, p. 7G.
272 REYLE BIBLIQUE.

au-dessus duquel on a construit de beaux édifices ». Un dessin ac-


compagnant son renseignement représente un tombeau sous une
sorte de baldaquin supporté par quatre colonnes (1\ La description
la plus complète qu'on possède de ce sanctuaire est celle du P. Nau
(1674): « Nous arrivasmes enfin, écrit-il, à la montagne de Samuel.
C'est la plus haute de toutes celles qui sont aux environs de Jérusa-
lem; aussi la découvre-t-on de bien loin. Sur la croupe l'on voit en-
core une église assez entière, bastie de bonnes pierres et bien voûtée.
Elle est profanée par les Infîdelles qui en font une étable. Il y a au
bout un escalier, par où Ton monte en diverses chambres ou cellu-
les. La porte, par où l'on entre au sépulcre de Samuel, est auprès

de cet escalier du côté du Midy. Ce sépulcre est dans un lieu fort


obscur, où l'on descend par cinq ou six marches. Je n'y entray pas,
parce que cela est rigoureusement défendu aux Chrestiens. Néan-
moins un Religieux, quelques Anglois, qui ne scavoient pas cela
et

V allèrent, et virent tout à la faveur de deux ou trois bougies, que


les Turcs qui accompagnoient M. l'Ambassadeur y avoient laissé

allumées. Ils ne virent qu'un grand sépulcre couvert de bois, et


attaché à la muraille, et orné de costé et d'autres de quelques

colomnes (2). »

Depuis la visite du P. Nau, l'église de S. Samuel a dû être forte-


ment endommagée, car il serait difficile de la déclarer encore au-
jourd'hui « assez entière et bien voûtée ». Les officiers anglais ont
publié en 1883 le plan de ce qui en restait et n'ont pu reconnaître
que la nef septentrionale avec le transept (3). M. Guérin, qui avait

décrit ces débris quelques années auparavant, s'était complètement


mépris sur l'orientation primitive du monument (i).
L'année dernière, l'imam auquel est confiée la garde du tombeau
du prophète a obtenu l'autorisation de restaurer le sanctuaire. Les
travaux, entrepris et abandonnés à plusieurs reprises, ne paraissent
pas sur le point d'être terminés; mais ils ont eu cela de bon qu'ils
ont mis à jour la plus grande partie des fondations de l'ancienne église.
On peut donc aujourd'hui se faire une idée plus exacte qu'autrefois

(1) Caemolv, Jiclius ha-abot, p. 443.


'2) Voyage nouveau, pp. 497 ss. La porte donnant dans la salle voûtée du nord s'ou-
vrait vers le midi. Mais l'entrée de la crypte était comme aujourd'liiii située vers le nord.
Les anciennes marches se voient encore. Un auteur juif de 1.561, Gerson de Scarmela (Car-
MOLY, op. L, p. 387), « mentionne cette crypte en ces termes (Samuel le prophète, Elkana
:

son père et Hana sa mère), sont tous enteirés dans une caverne, et les tombeaux qu'on voit
près de la caverne ne sont que pour la parade. »
(3) Survey of West. Palest., Memoirs, Jll, p. 149.

(4) Judée, I, p. 365.


CHRONIQUE. 273

du monument des Croisés, quoique certains points restent encore


obscurs. Peut-être des déblaiements ultérieurs achèveront-ils de
faire la lumière; en attendant nous nous décidons à livrer au public,
tels quels, les résultats acquis (1).

Fig. 1. — Néby Samouil. Plan de l'église et île la crypte.

L'église bâtie en 1157 avait la forme d'une croix latine terminée

(1) Dans !e plan d'ensemble, lig. 1, nous avons supprimé toutes les constructions mo-
dernes accolées à l'édifice ancien; par exemple, le mur visible dans la photo, ûg. 2, qui
REVUE BIBLInUE 1912. — N. S., T. IX. IS
274 REVUE BIBLIQUE.

à son chevet, àl'est, par une abside. Elle mesurait à l'intérieur des

murs 36 mètres de long sur 7", 70 de large, d'un pilastre à l'autre;


la largeur du transept était de 23™, 50. Elle ne semble avoir eu
qu'une nef avec une annexe au nord. La grande porte d'entrée et
tout le côté méridional jusqu'au transept viennent d'être refaits
sur une hauteur de deux à trois mètres avec de vieux matériaux et

sur les anciens soubassements, qu'on nous affirme avoir été respectés
partout. A du monument, du côté sud, l'assise infé-
l'intérieur
rieure, même entre les pilastres, semble primitive, ce qui exclut la
possibilité d'une nef méridionale. De chaque côté de la porte on
retrouve encore en place deux bases de colonnettes.
L'annexe septentrionale est ce qu'il y a de mieux conservé de tout
le monument. Elle ne communique plus actuellement avec la grande

nef, mais jadis on allait de lune dans l'autre par une porte, V, vi-
sible dans la photographie (fig. 2). A un certain moment, à en

Fig. -2. — >éby Samouil. .Mur septentrional de la grande nel de l'cgiise; coté sud.

juger du moins par l'arceau A (même figure), oute la seconde tra-


vée paraît avoir été ouverte mais pour s'en convaincre pleinement
:

sépare la nef du transept; celui qui ferme la mosquée, à l'est, en avant de l'abside; les

chambres bâties dans le transept de gauche et à l'extrémité orientale de l'annexe nord; les

chambres et murs accolés au transept méridional sur le côté est à l'extérieur, etc.
CHRONIQUE. 275

il faudrait pouvoir étudier de plus près la base du mur, derrière la

masse de pierres qu'on y a accumulées, eu avant dans la nef. L'ar-

ceau lui-môme est-il primitif? Nous l'avons cru au premier abord ;

maintenant nous serions moins affirmatifs. Seules peut-être, les cinq


ou six assises inférieures des pilastres appartiennent à la première
construction. Ces blocs, à taille diagonale avec nombreuses mar-
ques de tâcherons fig. 1), accusent incontestablement un travail des
Croisés, tandis que le reste pourrait bien avoir été refait quoique à
une époque très ancienne.
Y a-t-il eu aussi une baie dans la première travée, à gauche en
entrant dans l'église ? C'est possible, mais encore moins sûr. Le
pied d'un arc doubleau D, qu'on aperçoit dans la photographie
(fig. 2 s ne peut pas trancher la question, car il existe en face, au
sud, des demi-pilastres semblables avec un mur dans le fond. Ces
deux points en litige êti-e décidés vraisemblablement quand
pourront
on aura repris les dégagé tout le mur septentrional (1). La
travaux et

présence d'une fenêtre gothique dans ce mur, à la même hauteur


que les autres fenêtres de la grande salle nord et sur le même type,
prouve qu'il y a eu là des remaniements de très bonne heure.
L'annexe nord possède encore sa voûte d'arête avec des arcs dou-
bleanx qui viennent s'appuyer sur des colonncttes coudées sortant
du mur. L'appareil dispa-
sous une épaisse couche
rait

de mortier et de lait de
chaux. Dans la dernière tra-
vée, à l'est, on a bâti sous
la voûte ancienne une cham-
bre reposant sur une voûte
naturellement très basse. Il

y avait dans le mur sep-


tentrional, en face de l'en-
trée de la crypte, une porto
donnant à l'extérieur.
Une porte large de l™,0.j
conduit de l'annexe dans la

partie nord du transept.


Celle-ci est occupée
^
par
^ . „
3.— ». ^ . ,
^ . ,. ,
Fig. Neby ^amouil. Crypte de
,
1 église; ,le ccnotaplie
deux étages de chambres
qui servent d'habitation au gardien de la mosquée et à sa famille.

(1) Dans le plan du Survey on a fait figurer ici deux baies, ce qui donne à l'annexe
nord l'aspect d'une seconde nef plutôt que d'une simple annexe.
276 REVUE BIBLIQUE.

Le bras méridional du transept constitue en ce moment la mos-


quée proprement dite. Sa voûte à arc brisé avec une petite coupole
au centre est croyons-nous, purement arabe. Du reste toute cette partie
,

du transept parait avoir été fortement retouchée par les Arabes. Il


y a en tout cas quelque chose
qui frappe au premier abord
et c[ui n'est pas du tout na-
turel, c'est la différence en-
tre lesdeux bras du transept.
L'un des deux a dû être re-
fait on ne s'explique pas
;

autrement la présence des


arcs doubleaux d'un côté et
non pas de l'autre. Les deux
pourraient même avoir subi
cjuelques modifications dont
les déblaiements ultérieurs
permettront peut-être de se
rendre compte. On remar-
big. 4. — >eby Samouil. cr_\pte de l'église: la chambre nugra l'irré'^'ulirité dcS STOS
de l'est.
^
1.
^ 1
'^
,

pilastres d angle dans le mur


i'

méridional. Celui de langle sud-est sort beaucoup plus que l'autre


et semblerait avoir été fait pour supporter le minaret placé au-des-
sus. S'il en était

ainsi, il faudrait
voir dans toute
cette partie une
restauration mu-
sulmane.
De l'abside, on
n'aperçoit en ce
moment que la
première pierre
à l'angle nord,
m aisl'imam no us
assure que sous
les décombres le

demi-cercle se Nébv Samouîl. Une console du movcn âge.

poursuit sans in-


terruption et c[u"il se propose de le dégager plus tard en entier.
La partie la plus intéressante et la plus ancienne du monument est
CHROMOLE.

sans contredit la crypte. Plus heureux que le P. Nau, nous avons, pu y


pénétrer, en dresser un plan à la hâte et en prendre même quelques
photographies. La porte qui y donne accès ouvre dans Tannexe nord;
son sommet estàl"\32 au-dessus du sol actuel. En se laissant glisser le
long d'un mur tout récent, haut de 1",30. et destiné à retenir les dé-
combres amoncelés dans la salle, on est sur un escalier ancien dont cinq
marches, larges de 0",-2T et hautes de 0^.17, sont encore visibles. Après
ces cinq marches il y a un petit palier de 0™,85 de large formé vrai-
semblablement par des décombres: à gauche dans le mur une niche.
On descend un ressaut de 0™,50 et franchissant une seconde porte on
se trouve dans la crypte ^fig. 1). Celle-ci peut être divisée en trois par

t i e s D ab ord
.
"

une grande
salle centrale,
longue de 7™, 50
et large en
moyenne de
ô^-.OO. Elle est

couverte d'une
voûte d'arêtes
très irréguliè-
re, haute de
2". 85. au cen-
tre, supportée
par quatre pi-
lastres de 0". 90
sur c h aq u e Nébv Saraouil. Chapiteau avec colonnette c^iudee.

face. Vers le

fond de la salle, à l'ouest, se trouve le cénotaphe lonc' de •2"', 87 et


large de l"',ô2 ;tig.3 ATangle nord-ouest de cette première cham-
( 1).

bre, il y en a une seconde assez irrégulière et beaucoup plus réduite


mesurant en moyenne S'^jôO de long sur 2°", 60 de large. On y des(*end
par une marche. Une troisième chambre enfin est située à l'est de la
première à un niveau de 0^^.70 au-dessus de celle-ci fig. ij. Sa plus
grande largeur est de V"\00 et sa profondeur de S'^.SO. Tout ce souter-
rain est éclairé par une petite lucarne ouverte vers le centre de la
voûte de la grande salle; y avait une lucarne identique au-dessus
il

du cénotaphe (fig. 3), mais celle-ci est actuellement bouchée.


Les murs sont stuqués et il est difficile de se rendre compte de l'ap-

(1) La daile qu'on voit dans le coin de l'image appartient au pave de l'époque des croi-
sades; elle a été soulevée tout récemment, peut-être pour faire un sondage.
278 HEVLE BIBLIQUE.

pareil. Vraisemblablement il y avait là à l'origine une tombe compre-


nant plusieurs salles creusées dans le roc. Lorsque la tradition du
tombeau de Samuel prit de la consistance, à l'époque byzantine, lors

des travaux de Justinien, peut-être même avant, on convertit en un petit


sanctuaire le monument primitif; on fit une chapelle souterraine
abritée sans doute par un édifiée beaucoup plus considérable.
Dans la crypte que nous voyons aujourd'hui, qu'est-ce qu'il y a

de taillé dans le roc et de bâti, qu'est-ce qui est l'œuvre des Grecs, des
Francs ou même des Musulmans? Il faudrait pouvoir étudier le tout de
beaucoup plus près avant d'essayer de répondre à ces questions. La
salle centrale est celle qui a dû subir les plus grandes modifications.
Celle de l'angle nord-ouest, assez irrégulière, a beaucoup plus de
chance d'être restée presque intacte. C'est sans doute la présence de
ce réduit et de la petite chambre orientale qui fit placer ici à côté
de la sépulture de Samuel celle de ses parents, voire même le

tombeau de Marie l'Égyptienne.


Dans le pavé de l'église supérieure, juste au-dessus du cénotaphe,
les Croisés avaient encastré une sorte de
dtatn. O^'k^S
pierre tombale, longue de 2'°, 50 et large
de 0'",90, débordant de c|uelques centi-
mètres, destinée marquer remplace-
à

ment de la sépulture du prophète. C'est


sur cette dalle que sont accumulées les
quelques pierres couvertes d'un chiffon
et disposées en forme de tombe musul-
mane qu'on voit dans la photographie
(fig. 2'.

Parmi les débris archéologiques à si-


gnaler en dehors du monument propre-
ment dit, mentionnons une console en-
castrée daus le mur extérieur du bras
méridional du transept à l'ouest, au
point C, et qui a appartenu peut-être
7. — Néby Saraouil. Base à un
du monastère des Prémon-
cloître
de colonne byzantine.
trés. Cette console (fig. 5) comprend un

tailloir reposant sur deux chapiteaux accouplés que supportent deux


colonoettes coudées. Celles-ci ne sont pas arrondies sur le côté
comme d'ordinaire mais il y a là une surface plate, d'un léger relief
qui leur donne l'aspect de colonnettes à moitié engagées.
A une cinquantaine de pas au sud-ouest de la mosquée, dans
une carrière, on trouve une seconde console (fig. 6) rappelant celles
CHRONIQUE. 279

qui supportent la retombée des arcs doubleaux dans l'annexe nord


de l'ég-lise; cest encore incontestablement un travail des Croisés.

Parmi les décombres et les pierres de construction qui encombrent


le chemin aux abords du chantier, au nord, nous avons remarqué, à

moitié enfouis, les débris d'un joli chapiteau byzantin et une base
de colonne, de la même époque, dont nous donnons le profil fîg. 7).
Ces fragments ont appartenu vraisemblablement à Tédifice justinien
qui paraîtrait par le fait même avoir eu une certaine importance.

PP. Savignac et Abel.


RECENSIONS

La solution du problème synoptique, par l'abbé H. Pasqlier.


in-8 de x\xi[-o76 pp. Tours, Marne, 1911.
Personne n'accusera de coinplaisatice pour des nouveautés dangereuses M. l'abbé
H. Pasquier, vicaire général, supérieur du grand séminaire de Tours. Telles de ses
pbrases le feraient même prendre pour un conservateur militant, comme lorsqu'il
regarde la priorité de Marc comme une « invention allemande, imaginée par des
protestants et des libres penseurs ». Mais de grâce, Monsieur le Vicaire général,
l'Église ne peut-elle pas prendre son bien où est venu de nos elle le trouve? et doù
jours le dépendance mutuelle des évangélistes? Car c'est à ce système
système de la

que s'arrête M. Pasquier, et c'est là un fait à retenir. Naguère encore l'hypothèse de la


catéchèse orale semblait avoir seule droit de cité parmi nous. On se refusait à ad-
mettre qu'un évangéliste, ayant un texte sacré sous les yeux, se soit cru autorisé à
s'en inspirer — sauf à rédiger autrement. M. Pasquier consacre de longues pacres
à prouver, par la comparaison des textes, que s. Luc dépend indirectement de s.
Matthieu dans les discours, mais de plus que s. Marc s'est servi des deux autres
synoptiques. On lit : '< Il est donc évident que saint Marc s'applique à préciser et
à rectifier le récit incomplet de saint Matthieu, et lui est par conséquent posté-
rieur » (p. 125). S. Marc « s'est proposé de rétablir l'ordre chronologique des
faits qu'ils (Luc et Matthieu) avaient racontés » 'p. 295) ; Marc s'applique à les
corriger sur ce point » (p. 317), c'est-à-dire en supprimant des doublets. Il y a
même une section intitulée:» Les corrections de saint Marc», et l'auteur prend
soin de nous dire qu'entre s. Matthieu et s. Marc « il ne saurait être question
d'une correction de style ou de grammaire... Les corrections, s'il y en a, ne peuvent
donc porter que sur les idées et leur disposition, et non sur les mots et les phrases.
Or on va voir que. sous ce rapport, de nombreuses corrections et rectifications sont
apportées par saint Marc à la rédaction des deux autres synoptiques » (p. 327 s.).
Nous voilà bien, si je ne me trompe, sur le terrain de la critique. Il faut féli-

citer M. Pasquier de ne pas procéder en pareille matière par voie administrative,


de n'imposer, comme il le dit, son sentiment à personne, et d'inviter le public à
discuter ses arguments. Désormais la critique évangélique sera donc pratiquée
sans qu'on se heurte à des préjugés de convenance.
Il reste à savoir si, en se prononçant pour la dépendance mutuelle des évangé-
listes, M. Pasquier a proposé l'ordre le plus probable. Il en est pleinement persuadé.
« Peut-être, dit-il, metrouvera-t-on trop affirmatif et trop tranchant dans l'exposition
de mon sentiment. C'est que je crois être dans la vérité » (p. xxri). L'ordre Mat-
thieu, Luc, Marc
une certitude (p. viii). Sur un premier point le recenseur est
est

bien aise de partager l'avis de M. Pasquier Luc n'a pas employé l'évangile de Mt. :

tel quel. Mais il y a les discours où une dépendance est certaine. Ne serait-ce pas que
RECENSIO-NS. 281

Luc et Mt. ont suivi commime? M. Pasquier n'y consent pas parce qu'il
une source
regarde Mt. comme que nous l'avons
écrit tel sauf le passage de l'araméen —
en grec: en sa qualité de témoin oculaire, l'apôtre s. Matthieu n'usait pas de
sources. Cela c'est la raison de derrière la tète. Il en faut une qui ait l'apparence
critique. Voici. On sait que les discours sont coupés dans Luc, tandis que dans Mt.
ils forment des ensembles admirables. Puisque Le. les a employés par petits paquets,
c'est donc qu'il les a trouvés déjà à l'état de petits fragments. Si c'était leur état
primitif, Mt. en les groupent aurait fait « un chef-d'œuvre incroyable de composi-
tion » (p. 98;, chef-d'œuvre u'ont il faut faire honneur à N.-S. lui-même; Mt. a
reproduit les discours tels qu'ils ont été prononcés. On s'est plu cependant à les
découper, à les fragmenter, et c'est dans cet état que Luc les a employés.
Mais pourquoi donc Luc n'a-t-il pas connu Mt.? C'est sans doute qu'il n'en eut
pas le temps. M. Pasquier décrète que son évangile ne fut pas écrit a après l'an
54; car saint Paul, en écrivant à la fin de cette même année sa deuxième épître aux
Corinthiens, fait mention de l'évangile de saint Luc déjà célèbre (Il Cor. viii. ]8~ »

(p. 23). Sur quoi on se prend à regretter la prudence des anciens conservateurs.
Le P. Cornely notait sur cet endroit 1 1 que nous ne savons pas de qui parle s. Paul ;

2) qu'il ne s'agit pas d'un évangile; 3) que celui de Luc n'était pas encore écrit. Et
ces raisons sont sans doute suffisantes. On peut ajouter aujourd'hui que la II<= aux
Corinthiens ne fut écrite qu'environ trois ans après l'an 54.
Mais ce que M. Pasquier a surtout à cœur, c'est la dépendance de s. Marc par
rapport à s. Matthieu et à s. Luc. Il paraît que c'est plus conforme à la tradition.
S. Irénée — le représentant le plus respectable delà tradition — est sacrifié à Eusèbe.
A la p. 25 l'auteur reproche à la critique moderne sa manie de mettre les textes en
opposition au lieu de les concilier et de les éclairer les uns par les autres. A la
page 26, s. Irénée est accusé <c d'ignorance •'
et « d'erreur «, moyennant quoi son
texte nous permet de placer la composition de l'évangile de s. Matthieu au début
du règne de Claude... S. Luc, avons-nous vu, a écrit avant l'an 54 Marc a écrit sous :

>'éron, avec « l'intention évidente de les harmoniser » (p. 270). Par ailleurs, M. Pas-
quier a le sens critique trop ûo pour ne pas reconnaître que « le texte grec de celui-
ci (Mt.) est secondaire par rapport à celui de saint Marc » (p. 295), et encore: le texte f

grec de saint Matthieu, (}ui en bien des endroits est une correction du texte de saint
-Marc, est postérieur à celui-ci » (p. 326^.
Voilà décidément bien des partis pris de corriger son prochain. Celui-là est assu-
rément le plus étrange de tous. Le traducteur du Mt. araméen, qui n'est qu'un tra-
ducteur, qui ne veut pas proflter des corrections de 3Ic. par rapport à son texte
araméen, corrige Me. lui-même. On ne voit pas trop comment. Serait-ce qu'il a
voulu montrer qu'on pouvait rendre mieux et dans un meilleur grec le texte que
Me. avait exploité? Mais alors le traducteur ne s'est pas servi de Me, et on ne peut
pas dire qu'il l'ait corrigé ; leur but n'était pas le même. Si la critique n'avait re-
marqué que des différences semblables entre .Mt. et Me, elle eût hésité à dire que
Mt. est postérieur, car enfin Le. n'est pas postérieur à Me, d'après M. Pasquier,
quoiqu'il écrive le grec .mieux que lui.
Mais je n'entends pas chicaner fauteur sur une conclusion que je tiens avec lui.
Prenons acte de ce point important. Quoi qu'il en soit des origines premières et des
documents perdus, à s'en tenir aux évangiles que nous possédons actuellement,
Mt. est postérieur à Me.
Et nous ne prétendons pas affirmer que Me. ne s est pas servi du Mt. araméen.
Ce qui nous paraît tout à fait improbable, c'est le rôle attribué à Me. qui aurait
282 RE\TJE BIBLIQUE.

écrit après les deux autres synoptiques pour les harmoniser, pour trancher en par
ticulier les divergences chronologiques en fixant la chronologie réelle, et pour les

compléter, surtout par des détails.


Notons d'abord que cette conception exprime sous sa forme la phis aiguë ce désir
de corriger des auteurs inspirés qui a choque tant d'écrivains cathoUques. Se servir
d'un auteur antérieur pour le compléter, comme a pu faire Le. par rapport à Me,
ce n'est pas précisément
le corriger. Mais on comprend assez diflicilement que
Me. plume après Mt. et Le. Il n'avait pas grand'chose à dire de nouveau.
ait pris la

Il se proposait donc seulement de mettre les choses au point. Il ne corrigeait pas


à l'occasion, il écrivait pour corriger. C'était donc parce qu'il avait conscience de
disposer d'une tradition supérieure? Mais alors pourquoi se contenter d'un travail
de recenseur, composant son texte de phrases empruntées à Mt. et d'autres emprun-
tées à Le? Et il ne s'agit pas ici d'hypothèses plus ou moins plausibles, il s'agit de
l'incomparable narrateur qu'est Me, qui nous fait pénétrer si avant dans l'âme de
Jésus, qui nous rend les témoins de scènes animées. Et si Le. n'a pas suivi Me.
comme se trouve-t-il d'accord avec Mt.? M. Pasquier a eu raison de nier que Le
dépende de notre Mt. actuel dans les récits; mais la condition de cette position
c'est que Le ait pu se rencontrer avec Mt. au moyen d'une source commune. L'au-
teur ne peut pas dire que Le a utilisé le Mt. araméen, puisque c'est, d'après lui,
exactement le même que le Mt. grec sauf la différence de la langue et quelques mo-
diGcations accidentelles de style (p. 295;.
Mais ce n'est pas le moment d'établir que Me est antérieur, par exemple, à Le
Nous n'avons qu'à examiner les huit raisons qui doivent prouver que Me dépend de
Mt. et de Le Dans la première preuve, M. P. nous dit que " l'évangile de saint Marc
se partage en deux parties, l'une en dépendance avec saint Matthieu, l'autre en dé-
pendance avec saint Luc... Alors de deux choses l'une : ou bien Matthieu et Luc,
après avoir divisé le texte de .Marc en de nombreuses coupures, se sont partagé en-
tre eu.x ces fragments, ou bien c'est Marc qui a puisé partie dans Matthieu et partie
dans Luc » fp. 279).

Évidemment la première hypothèse est inadmissible, mais le dilemme est bien mal
posé. En fait Mt. et Le marchent ordinairement d'accord avec Me. Si tantôt Le
tantôt Mt. lui fausse compagnie, il n'est pas nécessaire de supposer qu'ils se sont en-
tendus pour cela, d'autant que quelquefois Me se trouve seul. M. P. note qu'on ne
peut toujours assigner les raisons précises des inversions faites par Le ou par Mt. ;

il est vrai, mais peut-il donner les raisons pour lesquelles Me aurait suivi sa voie?
C'est sans doute qu'il croyait se rapprocher de la vérité. Mais on peut dire la même
chose des autres. — Deuxième preuve : Me aurait suivi l'ordre chronologique des
faits, tels qu'ils s'étaient passés. Mais les combinaisons imaginées par l'auteur sont
impuissantes à le prouver, et dans l'antiquité il était admis que Me n'avait pas
suivi cet ordre, puisque Papias crut devoir l'en excuser. En suivant deux méthodes
différentes, M. P. revient toujours à l'ordre de Me C'est précisément ce qui a con-
vaincu tant de personnes que cet ordre est base de Le. et de Mt. qui y revien-
à la

nent toujours. — Troisième preuve : Marc n'a presque rien en propre; « à part quel-
ques détails d'importance secondaire, [il] ne raconte rien qui ne soit déjà dans les

deux autres synoptiques. Il ne paraît donc pas tant faire une œuvre qui lui soit pro-
pre, que coordonner, en les abrégeant, les œuvres des deux autres évangélistes »

(p. 311). C'est vraiment être bien sévère pour Marc; pas assez cependant, dans
l'hypothèse choisie: car Me n'a pas abrégé; il n'aurait pris la plume que pour ra-

conter plus longuement ce qui était déjà dit. M. Pasquier afûrme c qu'on ne remar-
RECENSIONS. 283

que de dépendance entre le troisième évangile et le second que dans les passages
omis par saint Matthieu, et, si les faits sont racontés par les trois évangélisles, dans
ceux où la rédaction de saint Marc s'éloigne de celle de saint Matthieu » (p. 311).
Mais cela est notoirement inexact. — Quatrième preuve : les sentences conservées par
saint Marc. L'auteur prétend que les sentences de Me. portent la trace de retouches
par rapport à celles de Le. C'est la question très difficile du rapport de Me. avec
les discours. Nous ne pouvons entrer dans le détail ; il n'y a rien là de décisil" sur la

question de dépendance des évangiles tels qu'ils sont. — Cinquième preuve : la suppres
sion des doublets.Évidemment on peut regarder comme postérieur un écrivain qui
évite les doublets;il aurait corrigé un défaut de ses prédécesseurs. Mais il se peut
aussi qu'on écrive sans en mettre, quoique M. Pasquier nous avertisse qu'il lui est
arrivé d'en commettre un, mais un seul. Etant donné le soin de la tradition de re-
cueillir le plus possible de paroles de Jésus, pour peu qu'elles aient eu une nuance
ou une pointe différente, on regardera comme postérieurs les évangélistes qui ont
des doublets. Les doublets s'expliquent tout naturellement chez Luc, s'il a suivi deux
sources, les discours et Marc. Et M. Pasquier le concède presque expressément. Que
devient l'argument à propos de saint Matthieu.' — Sixième preuve : les corrections
de Marc. Ilbeaucoup de courage à M. Pasquier pour écrire cette rubrique.
a fallu
Les partisans de de Me. sont ici sur leur terrain. Ils n'insistent pas sur le
la priorité

mot de corrections: il leur suffit de constater que Le. et le rédacteur grec de Mt.
ont évité bon nombre de traits qui se trouvent dans Me, et qu'un écrivain posté-
rieur n'aurait pas ajoutés (1). Quant aux exemples choisis par M. P., il eût pu les
multiplier bien davantage, sans rien prouver de plus. Que Me. ait ajouté * deux fois »

pour préciser le terme du troisième reniement de Pierre, ou que Le et Mt. aient omis
ce trait comme trop peu important, c'est ce qu'on peut résoudre pour et contre avec
la même probabilité. Un seul trait serait probant. On lit dans la Vulgate actuelle,
mais on ne lira sijrement pas dans la Vulgate revisée par les Bénédictins : Dicit illi

adolescens : Omnia hcec custodioi a juventute mca (Mt. 19, 20). Les éditions critiques
dispensent l'écrivain sacré de ce non-sens, que M. P. tient absolument à mettre sous
sa plume. Naturellement cela ne pouvait passer, et Me. aurait corrigé en efTaçant
le mot «jeune homme ». Mais comment le traducteur grec de Mt. ne s'est-il pas
aperçu de sa bévue? lui qui est censé corriger Me, aurait mieux fait dans ce cas de
se corriger lui-même (2). — Septième preuve les harmonisations de saint Marc. Il
:

« combine, harmonise et précise deux textes antérieurs au sien » (p. 340); «il rectifie
et corrige ; donc il écrit le dernier » (p. 338). Le principal exemple choisi est celui
de la fille de Jaire, avec l'intermède de l'hémorroïsse. Si vraiment Me. avait harmo-
nisé, il eût, contrairement à ce que M. P. lui attribue d'ordinaire, suivi de préfé-
rence saint Luc. Qu'a-t-il donc emprunté à Matthieu.^ Voici un exemple : « Il intro-
duit en même temps dans son récit deux traits qui manquent dans saint Luc, et qu'il
emprunte au verset 22 de saint Matthieu Jésus conversas, et videns eam ; met le
:

premier au verset 30 et le second au verset 32, puis continue aux versets 33-36 à
suivre saint Luc de point en point » (p. 337). Ceux qui voient des sources dansle
Pentateuque ne seront pas fâchés que M. Pasquier ait écrit ces choses. Mais ils n'ont
jamais attribué à un diascévaste l'admirable coloris de saint Marc. C'est à peine si

(1) On peut les trouver par exemple dans les Horae synoplicae ip. 117 ss.) de Sir John Hawkins,
sauf à discuter les cas.
(2) llest vraiseiiil)lal:)le que âx. vîôtriTÔ; [io\) est venu dans Mt. de la contamination des autres
textes (Le. et Me). A la risueur l'original araméen aurait pu porter : * j'ai gardé tout cela depuis
mon enfance », comme ont traduit les Syriens.
284 REVUE BIBLIQUE.

M. Loisy avait ravalé à ce degré son activité littéraire. Si l'oa consent du moias à lui
laisser les parties qui lui sont propres, on reconnaîtra sans peine qu'il n'avait pas
comme un Tatieu. Et il ne s'agit pas
besoin de piquer des mots à droite et à gauche,
ici de choisir entre Me. de sacrifier l'un pour sauver l'autre. M. Pasquier a
et Mt.,

cru devoir réduire Marc au rôle d'un compilateur, sous peine de dépouiller Mt. de
son autorité. Dans l'hypothèse de la priorité de Me, Mt. et Le. gardent toute leur
dignité, Le. à cause de tout ce qu'il ajoute, sans parler de la façon dont il utilise

Marc pour son but, Mt. pour la même raison, et parce qu'il demeure la source pre-
mière des évangiles. On prétend seulement que le rédacteur de Mt., au lieu d'être
un simple traducteur, s'est servi de Me. qui lui-même avait peut-être utilisé un
proto-Matthieu araméen. M. P. tient surtout à la priorité du Mt. araméen; je l'ad-

mets aussi pour ma part, mais ce n'était pas une raison pour nier le fait assez évident
do l'emploi de Marc par Luc. Dans cette hypothèse on n'est pas réduit au dilemme
de 31. Pasquier : ou Mt. et Le. se sont entendus pour piller Me, ou Me. les a pillés

tous les deux. Le phénomène des synoptiques est trop complexe pour qu'on accule
ainsi le lecteur à choisir la carte forcée.
Huitième preuve, les citations de l'Écriture. Parce que Me. (4, 12) a fait allusion à
Isaïe sans le citer, tandis que Mt. a développé la citation d'une façon expresse, Me.
est postérieur. C'est le contraire qui est vraisemblable, et il en est de même des autres
cas.
L'ouvrage de M. Pasquier se termine par des réponses aux objections. De bonnes
objections sont en effet mentionnées, mais dans un état qui rend le triomphe facile.
A l'objection tirée de la suppression des textes gênants ou inutiles, l'auteur répond
par l'examen de c chacun des textes visés » (p. 359).

Or il n'examine que cinq textes gênants, et vraiment, réduite à ces proportions,


l'objection ne l'est guère.
Et je ne prétends pas non plus avoir exposé dans toute son ampleur le système de
M. Pasquier. Son ouvrage mérite assurément d'être lu et étudié de près. J'ai voulu
seulement signaler certains points de vue et y opposer une autre manière d'entendre
les faits. Encore uue fois il faut remercier l'auteur d'avoir reconnu si sincèrement les

droits et les devoirs de la critique.


Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagbange.

Die Altsyrischen Evangelien in ihrem Verhàltnis zu Tatians Diatessa-


ron, untersucht von D"" Theol. Heinrich Joseph Vogels Religions- und Ober-
lehrer am Reform-Realgymnasium in Diisseldorf, in-8"^ de x-158 pp. (Biblische
Studien, XVI. .5); Fribourg, Herder, 1911,

La Revue a dit naguère quelques mots d'un précédent ouvrage de M. Vogels sur
les tendances harmonisantes du Codex Bezae ou Cantabrlgiensis (1). Ce premier tra-

vail sert maintenant de base à un second sur les deux mss. de l'ancienne version

syriaque, celui de Cureton (C) et celui que Mrs Lewis a rapporté du Sinaï (S). M. Vo-
gels est tout à fait persuadé qu'il a démontré que le Co(fpx Cantabrigiensis (D) a
pris sa forme actuelle sous l'influence d'un diatessaron grec, qui était celui de Tatien,
comme aussi la partie latine de D (d) sous l'influence d'un diatessaron latin, qui aurait
été la première forme sous laquelle les évangiles auraient été présentés aux Latins.
Fort de ce résultat, il cherche dans les deux mss. de l'ancienne syriaque, et par les
mêmes procédés, les preuves d'une dépendance analogue; la conclusion sera la même :

(1) Die Harmonistik im Evangelitntexl des codex Cantabrigiensis, cf. RB., 1911, p. 148 s.
RECENSIONS. 28o

ces deux rass. dépendent d'un Diatessaron. cette fois syriaque, qui a le même auteur
que le Diatessaron grec, le célèbre Tatien.
M. Vogels est tellement sûr de son affaire qu'après avoir dressé la liste des leçons
harmonisantes dans l'ancienne syriaque, il ne veut pas même perdre une minute à se
demander qui a précédé, de la version des évangiles distincts ou du Diatessaron. 11

est évident pour lui que c'est le Diatessaron... Je ne puis ouvrir les yeux à cette évi-
dence, et il me semble que les études de M, Vogels gagneraient beaucoup si ses lis-

tes, qui témoignent de tant de diligence, étaient accompagnées de quelques raison-


nements. Que prétond en ellet établir l'auteur? Que le Diatessaron de Tatien est
antérieur au,\ traductions latines et syriaques, cela est dit assez clairement. Mais
comment entend-il le prouver? Jusqu'à présent, pour établir l'influence que per- —
sonne ne conteste — du Diatessaron sur les manuscrits C, ou S, ou D. on cherciiait
à déterminer si ces mss. contenaient des leçons attestées pour le Diatessaron, et
a\'ant bien le caractère de leçons combinées en vue d'une Harmonie des quatre évan-
giles. Si les cas relevés jusqu'à présent ne sont pas plus nombreux, c'est peut-être

simplement que l'influence du Diatessaron n"a pas été très grande ou du moins très
étendue. M. Vogels cherche une autre voie. Les différents textes qui représentent
Tatien, souvent d'une manière assez certaine, sont traités en suspects (1), parce qu'ils
ne donnent pas tout ce qu'on en attend. M. Vogels a donc recours à un argument
beaucoup plus simple, et qui porte beaucoup plus loin. On nous pardonnera de le
mettre en forme. Les mss. qui harmonisent fortement sont sous l'influence d'une
Harmonie évangélique; Or D et C et même S harmonisent fortement; Donc ils sont
sous l'influence d'une Harmonie évangélique, qui ne peut être que celle de Tatien.
Il faudrait supposer encore une autre majeure, à savoir : si des mss. sont sous l'in-

fluence d'une Harmonie, le texte lui-même a été rédigé sous son influence. Or ces
deux majeures sont moins très douteuses.
à tout le
Dans son premier ouvrage, M. Vogels avait admis que le phénomène de la dépen-
dance constaté pouvait s'expliquer de deux manières. C'était à propos de la version
latine de D (dj : « ou bien un évangile distinct a été traduit du grec en latin en s'ai-

dant d'une Harmonie évangélique latine, ou bien la traduction déjà faite a été corri-
gée d'après une semblable Harmonie (2i ».

Pourquoi ne pas appliquer le même canon à la version syriaque? A supposer que


son caractère harmonisant ne puisse s'expliquer que par l'influence d'une Harmonie,
cette influence s'est-elle exercée sur des copistesou sur le traducteur? Dans le pre-
mier donc pas prouvé que le Diatassaron soit antérieur... à la version elle-
cas, il n'est
même... Qu'on n'oublie pas en effet que l'antériorité, d'un côté ou de l'autre, ne peut
être que de quelques années. Le Diatessaron de Tatien doit être placé aux environs
de l'an 172. Si la version des distincts a précédé, ce n'est sans doute que d'une tren-

taine d'années; dans l'hypothèse contraire, elle ne peut guère être postérieure à
l'an 200.
M. Vogels semble bien avoir préféré l'hypothèse que le traducteur lui-même s'est
inspiré du Diatessaron. Il a dû voir en effet que c'était la seule manière de prouver
l'antériorité de ce dernier, qui est le fond de sa thèse. Et en etlet, constatant, ce qui
est de toute évidence et bien connu, que C contient plus de tatianismes que S, il

(1) Ce sont surtout le Diatessaron arabe du cardinal Ciasca. et la traduction latine de la ver-
sion arménienne du Commentaire de S. Éplirem, publiée par Mœsinger. Nul doute qu'il Taille
les emplojer avec discernement. Le Diatessaron arabe a été revisé d'après la Pechitio, et peut-
être même altéré: mais il n'est pas douteux qu'il représente très bien dans l'ensemble l'œuvre
de Tatien. M. Vogels le cite quelquefois, mais renonce à se servir de Mœsinger.
.•2] Harmonistik.... p. SI.
286 REVUE BIBLIQUE.

en conclut que C est antérieur à S, comme si les tatianismes avaient été introduits en
bloc — donc parle traducteur — pour être ensuite éliminés.
Or cette hypothèse est vraiment beaucoup moins probable que l'autre. Plaçons-
nous dans le système de M. Vogels. Le Diatessaron existant, quelqu'un se propose
de traduire On ne peut pas admettre un tel intervalle que le
les évangiles distincts.

Diatessaron temps d'acquérir beaucoup d'autorité.


ait eu le

Cehii qui va traduire chaque évangile a compris que l'Harmonie ne suffit pas pour
faire connaître la parole de Dieu. Son but est de conserver à Matthieu, à Marc et à

Luc, sans parler de Jean, leur physionomie propre. II a sous les yeux le travail de
Tatien; il y aura recours sans doute pour pénétrer le sens des mots et des phrases; à
sa suite il pourra se laisser entraîner à quelque bévue. Mais comment peut-on ima-
giner qu'il le prenne pour guide quant au texte des évangiles, puisque son but est de
remplacer les évangiles mélanges par les évangiles d/sZ/nc^s? Quelqu'un, nous dit-on,
a cependant réalisé ce qui nous paraît si absurde. Si cela est démontré, j'en accu- —
serai les copistes, plutôt que le traducteur. Le Diatessaron a régné dans l'église

syrienne jusque vers l'an 400; c'est dans ce long intervalle de temps, et à cause de
sa grande autorité, que des copistes, consciemment ou inconsciemment, ont pu alté-

rer l'ancienne version pour la rendre conforme au document consacré par l'usage.
Mais le traducteur, lui, ne pouvait se livrer à ce jeu que consciemment, et précisé-
ment en sens inverse du but qu'il poursuivait.
Ou supposera-t-on un traducteur plus habile que consciencieux, qui aurait ménagé
son adversaire pour le supplanter plus aisément?
Il suffit d'énoncer cette supposition pour voir ce qu'elle a d'odieux et d'invraisem-
blable, surtout peu de temps après la publication du Diatessaron.
Ce n'est donc pas le traducteur, ce sont les copistes ou les recenseurs qui ont
harmonisé, — comme cela s'impose pour D, dans le système de M. Vogels. Et par
conséquent les mss. S et C seraient-ils remplis de tatianismes qu'on ne pourrait,
pour ce seul fait, déclarer le Diatessaron antérieur à la traduction des distincts.
Et en somme, est-il tellement certain que les tendances harmonisantes supposent
l'emploi d'une Harmonie? Il eût convenu d'examiner de près ce principe qui paraît
la base de tout le travail de M. Vogels.
L'auteur d'une Harmonie se propose de fournir à ses lecteurs la suite des faits

évangéliques au moyen des termes employés par les quatre évangélistes. Il harmonise
en complétant un texte par un autre, et encore plus en supprimant les textes qui
n'en disent pas plus que celui qu'il a choisi. Il introduira donc de-ci, delà, un mot
pour ne rien omettre des faits, et il omettra bien des phrases pour ne pas dire deux
fois la même chose, mais il n'a aucun intérêt à rendre les textes semblables entre
eux; amalgame, il ne les change pas. Ou bien il se contente de ce qu'a dit Mt.,
il les

et alors il n'a aucune raison d'assimiler Mt. à Le, puisque la même chose ne sera

dite qu'une fois, ou bien il cite Le. après .Mt., par exemple dans les discours du
Baptiste, et alors chaque texte doit conserver son caractère pour qu'il paraisse mieux
que ce sont des discours différents. D'autres fois, au contraire, son harmonisation
sera hardie et presque brutale. Elle ne veut rien négliger d'essentiel. Par exemple,
si Mt. parle d'une casaque rouge (Mt. 27, 28) et Jean d'un manteau de pourpre
(Jo. 19, 2), l'harmonie devra contenir les deux traits (I .Ou si .Jean (1, 32) a ajouté

(1) Dans ce cas où D et S sont d'accord avec Tatien, on reconnaîtrait volontiers l'influence du
Diatessaron, quoique, absolument parlant, l'harmonisation ait pu se faire auparavant dans un
texte.
EŒCENSIONS. ,
287

aux synoptiques que l'Esprit était demeuré sur Jésus, il faudra insérer ce mot, fût-ce
à la place d'un autre (1).
Uexprit d'harmonisation, sans Harmonie, explique ces faits et s'étend davantage,
sans se permettre ordinairement les mêmes violences.
Celui qui copiait un évangile distinct entendait-il l'éditer seul? Il était naturelle-
ment porté, pour satisfaire sa clientèle, à le compléter par des passages parallèles
qui, en somme, étaient toujours de TEvansile. Et comme, à Tori^ine. on répandit
probablement les évangiles isolés, il est probable que c'est au début que l'harmonisa-
tion sévit davantage par mode de compléments.
Dès que la consécration de l'évangile quadruple eut prévalu, on se préoccupa
d'éliminer certaines difficultés; sans cesser tout à fait de compléter un évangile par
un autre, ou se préoccupa de rendre plus. semblables les textes qui évidemment trai-

taient des mêmes points, et qu'il fallait reproduire tous, ce dont l'Harmoniste pou-
vait se dispenser. D'autre part, comme on ne se proposait pas une véritable compi-
lation, comme dans le Diatessaron, on ménagea les textes davantage. L'harmonisation
a été poussée très loin, par additions, par omissions, par transpositions, par confor-
misation. mais sans altérations trop graves, du moins ordinairement.
La question est maintenant de savoir si les harmoaisations de nos textes s'expli-

quent par des causes très générales et très diverses, parmi lesquelles on pourra faire

une place à l'Harmonie de Tatien, ou si THarraonie de Tatien est la cause domi-


nante. Pour prouver le second mode, il faudrait établir que l'harmonisation de D et
de C et de S est semblable à celle de Tatien, ou qu'elle est d'une nature telle qu'elle

révèle les visées d'une Harmonie. ^I. Vogels a renoncé ouvertement à la première
méthode, parce que les textes qui représentent plus ou moins bien Tatien ne per-
mettent pas d'aboutir par cette voie ; il n'a rien fait dans le sens de la seconde.
Je dis qu'il a renoncé à la première méthode, parce que si, dans son second ou-
vrage, il cite dans le § il a dû
3 toutes les références possibles au Diatessaron arabe,
se rendre compte que ces cas sont trop peu nombreux pour établir sa thèse, et ne
peuvent servir que de confirmation. ou plutôt de trompe rceil, —car plaide une — il

infmence dominante et nous ne nions pas une influence restreinte.


La seconde méthode était assez chanceuse, et exposait à des discussions plus ingé-
nieuses que solides. Elle offrait cependant quelque espérance de classer les harmoni-
sations d'après le but que semblerait révéler leur nature. M. Vogels ne s'est pas
lancé dans cette voie. On dirait décidément que d'après lui plusieurs manuscrits ou
versions ne peuvent faire de l'harmonisation sans avoir sous les yeux une Harmonie,
ni se rencontrer sur certaines variantes sans dépendre du même Diatessaron.
Venons donc à la deux ouvrages, puisque nous sommes
méthode employée dans les

revenus à la question de principe, et qu'ils sont conçus sur le même plan.


Les deux ouvrages sont en elîet divisés en quatre §§. Dans le F" § sont groupées
les harmonies qui consistent à éliminer des différences réelles. Dans le premier
volume on en relève quinze dans le Codex Bezae 2), et le second volume en cite dix
qui se retrouvent aussi dans la syriaque ancienne 'C ou S). Ceux qui ont éliminé les
divergences, M. Vogels le dit très clairement, les avaient parfaitement perçues. Ils
ont donc harmonisé dans un but apologétique, non pas inconsciemment en suivant
une harmonie. Avaient-ils besoin de recourir à Tatien pour savoir qu'on supprime
une difficulté en supprimant un texte? Que les passages soient à peu près les mêmes

(1) Ainsi [U'/o-' au lieu de spy.oaEvo/ sur Mt. 3. 16. dans C et S, mais non dans D.
i] De ces 15 cas je n en trouve que " qui soient aussi dans S ou dans C, à savoir : Mt. 12. 46;
13. 1 :27. -28: Me. 15. -24: Le. 7. T : S. 40: 9. 37.
288 ^ REVUE BIBLIQUE.

dans D et SC, cela découle de la nature des choses. Et en fait riiarmonle s'est-elle
produite de la même manière dans D
dans l'ancienne syriaque? Si ce n'est pas et
le cas, ils ne se sont donc pas inspirés delà même Harmonie. Ona reproché à M. Vo-

gels d'avoir amassé les faits sans opérer le tri nécessaire. Il a senti l'objection, mais
peu lui importe; à supposer que beaucoup de faits ne concluent pas, il im effet
reste
de masse. Mais si les faits contredisent le système? Voici par exemple le du coq.
cas
Dans Me, Pierre reniera le Christ trois fois avant que le coq ait chanté deux fois.
Dans les trois autres évangélistes on parle seulement du chant du coq, ce qui a l'air
d'indiquer le premier. On pouvait faire disparaître la difficulté de deux manières :

soit en enlevant « deux fois » dans Me, soit en mettant « deux fois » dans les
autres. Il semble bien que Tatien avait lu deux chants; C ajoute Si; à Le. 22, 34
et S l'ajoute à Jo. 13. 38. Mais D a supprimé o-.; dans Me. 14. 30. >i'est-ce
pas la preuve que, agissant sous l'empire des mêmes préoccupations, l'ancienne
syrienne et D n'ont pas été réglés par la même autorité ? Dans ce cas du moins D
n'a pas suivi Tatien.
Mais voici qui est plus fort. D a harmonisé à sa façon les généalogies. Plutôt que
de reconnaître qu'il a suivi son inspiration, — comme dans le cas que l'on vient de
citer, — M. Vogeis suppose que D a suivi un Diatessaron grec, publié par Tatien. Ce-
pendant on sait par Théodoret, que Tatien ^ avait coupé les généalogies et tous
les autres passages qui montrent que le Seigneur était né de la race de David selon la
chair (1) ». Qu'à cela ne tienne! M. Vogeis suppose que Tatien avait mis les généalogies
dans son édition crecque, et qu'il les a supprimées dans sa traduction syriaque •2\ Or
il s'agit, d'après Théodoret. d'une question de principes. Tatien est-il donc devenu
hérétique en touchant le sol de la Syrie, oii il a toujours passe pour bon catholique?
Et il n'y a en somme de bien prouvé que
cet écha- le Diatessaron syriaque... Tout
faudage d'hypothèses pour rattacher à Tatien une harmonisation absurde du Can-
tabrigièiisis!
Le § 2 des deux ouvrages est consacré aux harmonisations dans les transitions.
M. Vogeis a parfaitement raison de dire que ces corrections sont intentionnelles.
Les paroles de Jésus, on les savait par cœur d'après Mt., on les reproduisait telles
quelles dans Le. Mais les transitions attirent moins l'attention. Pour les rédiger de
la même façon dans deux évangiles, il faut le vouloir. Soit! Mais est-il nécessaire
pour cela d'avoir sous les yeux une Harmonie? Bien plus, en insistant sur ce que
l'harmonisation des transitions a d'intentionnel. M. Vogeis travaille contre son sys-
tème. Ce n'est donc pas parce qu'il a le Diatessaron dans la mémoire que le traduc-
teur harmonise; il faut qu'il s'en serve déhbéréraent. Nous avons déjà dit, et
MM. Zahn et Baethgen ont senti eux-mêmes, combien cette hypothèse est invrai-
semblable.
EtenCn, c'est là le point qui domine tout, peut-on procéder à une enquête si déli-
cate à coups de statistique, sans examiner minutieusement chaque cas? Je prends un
exemple. Il le faut bien. M. Vogeis répondra qu'il en restera toujours assez. Voyons
toujours. Dans le second ouvrage, S est censé avoir harmonisé Me. 1, 29 (3) d'après

TiiÉuD., Haeres.,}, -20.


(I)

L'assurance de M. Vogeis est bien étrange. .4 le lire on croirait que Théodoret nous
(•2)

informe sur les différences entre le Diatessaron grec et le syriaque Einen Unterscliied weist :

der griechisclie Tatian vom s.vrischen jedenfails in dem einem Punkt auf, dass jener eine Gé-
néalogie Jesu bot. wahrend der in die Heiinat zurùckgekeline Ketzer sie. wie Théodoret von
Cyrus uns meldet, aus seineai Diatessaron ausmerzte. Le passage de Théodoret n'est pas cité!
Il va sans dire que d'après l'évêque de Cyr, Tatien a amputé les évangiles et non pas son propre

Diatessaron.
(3) P. 15. S xai £|yi>6£v sx tr,; uyvaywyr,; /.ai r,/.9ov, tandis que Nestlé lit : xai £v0y; £•/. Tr,:
RECENSIONS. 289

Le. 4, 38. Or la leçon de S est très probablement la meilleure. Son accord avec D
change singulièrement de physionomie quand on constate que B est de la partie sur
le singulier c^cXôiov. Et si S s'est inspiré de Le, pourquoi a-t-il mis le second verbe

au phiriel? On ne peut guère attribuer à Tatien d'avoir pris dans deux textes, non
pour harmoniser, mais pour mettre en contradiction, un pluriel avec un singulier.
Oq voit quelle sérieuse discussion demanderait chaque cas. Mais ce sont des caté-
gories entières qu'il faudrait éliminer. M. Vogels ne l'ait jamais entrer en ligne de
compte la liberté de la version syriaque ancienne.Au lieu de reconnaître que l'écart
entre S ou C et l'édition de Nestlédu simplement à la liberté du traducteur, il
est
imagine plutôt que le traducteur a été moins influencé par le texte qu'il entendait
traduire que par l'Harmonie qu'il entendait remplacer. C'est le cas assez évident du
deuxième exemple d'harmonisation dans les transitions. Au lieu de traduire litté
raleuieut 3;£À0ov::; oc, es ont un texte s\riaque qui répondrait à /.ai £^£X9ovtc;. Aus-
sitôt on les accuse d'avoir harmonisé d'après Me. 3, G, c'est-à-dire, dans les lignes

de la thèse de M. Vogels, d'avoir été influencés par le Diatessaron qui suivait ici

(pourquoi?) Me. plutôt que Mt. Or on sait à quel point les langues sémttiques pré-
fèrent la liaison par la copule à un enchaînement plus lié.
La pechiilo qui a essayé de rendre oî par dén n'en a pas moins changé le participe
en un tt-mps défini. Il est une autre liberté qui s'imposait. Le grec n'a pas besoin
du pronom pour exprimer la possession de même nous ne disons pas « j'ai mal à
:

ma tête », mais « j'ai mal à la tête ». Il omet aussi très souvent le pronom régime
qui s'ajoute si naturellement au nom et au verbe chez les Sémites. Cela M. Vogels
le sait très bien, et il a eu quelques scrupules à enregistrer
dans ses listes les va-
riantes qui consistent à ajouter un pronom. Il l'a fait cependant, et voici un échan-
tillon du résultat. Sur 188 ajoutés de S ou de G dans Le, aux leçons harmonisantes,
il y en a, si je ne me
trompe, 54 qui sont simplement des pronoms possessifs ou
autres. S'imagine-t-on le traducteur ou le copiste — —
hésitant en pareil cas à mettre
uQ pronom, et se décidant parce qu'il le lit dans son Harmonie?
Mais revenons aux transitions. M. Vogels trouve tout simple « que toutes ces
transitions de Luc viennent d'une harmonie évangéliqtie, qui se comportait encore
assez librement avec le texte précis de l'Ecriture et qui tenait toujours compte des
parallèles » (1).
Si vraiment les traducteurs ou les copistes s'étaient inspirés d'une Harmonie, c'est

un tout autre branle-bas qu'on trouverait dans les textes. Qu'on songe par exemple à
l'introduction de l'aveugle de Jéricho Tatien ne parle que d'un aveugle qu'il place
!

avec Me. à l'entrée de la ville (2), sans tenir compte de Le' qui le place à la sortie,
ni de Mt. qui parle de deux aveugles. Il a ensuite le courage d'utiliser Mt., mettant
naturellement le singulier au lieu du pluriel.

Qu'on trouve cette variante quelque part, et je proclamerai qu'elle ne peut venir
que de Tatien (3).
Le § 3 des deux ouvrages de M. Vogels est consacré aux variantes parallèles. Il
entend par là des leçons, sûrement mauvaises, qui se répètent deux fois. Aussitôt il
conclut à l'emplui du Diatessaron. Il est sans doute évident à V^ogels que le copiste ou

ouvavwYvi; £?£>.6ovtî; r)Ao\. Le. 4, 38 avaTToc; oî xiio xr,; o'JvaYMy/i; £'.g'/().6cv. au lieu de se
livrer àune marqueterie inuule, ïaiian a coupé eu deux Me. 1, 29, pour insérer Mt. 9, 9". ciasca
a aUribué à tnrt a Le. 4, 38', ce qui est à Me. 1, '29'.
(1) Harmonistik, p. 19.
(2) Rcférence fausse dans Ciasca.
(3) Tatien elle Mt. 20. .'il, parce (ju'il veut garder le trait de la miséricorde de Jésus, mais il
met le singulier, i)uisqu'it n'a parlé que d'un aveugle.
REVUE lilDLlQLE 1912. — N. S., T. I.V. i9
290 REVUE BIBLIQUE.

le traducteur n'a pu aboutir à ces variantes que parce qu'il avait sous les yeux un texte
unique qui contenait Ja variante erronée. Mais les choses peuvent s'expliquer autre-

ment. En réalité il y a ici deux faits à expliquer la naissance de la variante et sa


:

répétition. Sa répétition peut venir tout simplement du désir d'unifier la traduction


ou le manuscrit. Quanta la naissance de la variante elle-même, elle peut avoir bien
des causes, sans qu'on soii obligé de recourir au Diatessaron. AI. Vogels prétendra sans
doute que son argument suppose la réunion des deux éléments une erreur, mais :

une erreur répétée. Voici donc un cas où une erreur répétée ne peut absolument pas
provenir du Diatessaron, ni en grec, ni en syriaque. D lit dans Me. 14, 15 osi^si :

avaya'.ov o;xov E-jTp'oasvov [xsyav îToiaov, et dans Lc. 22, 12 osi^st avayatov oi/.ov satpw- :

aivov. Aucun texte grec ni syriaque ne pouvait songer à introduire ici oix.ov qui est
une simple absurdité. D'où est-il venu à D? de la transcription littérale du latin,
qui se trouve encore dans d oslendet superiorem domum stralum (Lc. 22, 12).
:

Le latin de Me. 14, 15 a seulement demonst ravit stratum paratum grande. D a donc
introduit o-./.ov d'après le latin de Le, et conformé le texte de Rlc. Tout de même
que vient faire cet exemple dans la liste de M. Vogels (1), si vraiment cette liste doit
avoir pour résultat de prouver quelque chose, relativement au Diatessaron?
On dira que ce n'est qu'un cas. Mais l'objection est générale, car ce que nous ne
comprenons pas, c'est l'état d'esprit d'un traducteiu" ou d'un copiste qui ayant à
écrire le texte des évangiles séparés se règle sur une Harmonie pour mettre deux fois
la même chose dans des auteurs différents. Avant de recourir à cette explication, il

faudrait avoir épuisé les autres. Voici un cas très clair. Cette fois il s'agit de la ver-
sion latine de D, car M. Vogels prétend prouver aussi l'existence d'un diatessaron
latin surtout d'après les variantes parallèles. Dans Mt. 4, 18 on lit r,aav yao a)>iaçet
dans Me. 1, 16 r^asv 7»^ olIuziz. U fallait traduire les deux fois erant cnim piscalorcs.
Or d porte les deux fois erant aiiteni piscatores. Le traducteur ou le copiste sui-
:

vait donc une harmonie qui portait autem, une seule fois, puisque le Diatessaron latin
n'avait aucune raison de répéter ce texte. — Mais pourquoi le Diatessaron latin a-t-il

fait cette faute? Tout simplement, selon nous, parce que, comme dit le nouveau
Thésaurus latin, on mettait souvent aitfcni ?/6? enim expectavcrU ». Si
'< c'était si

courant, le traducteur a pu écrire autem aussi bien que le Diatessaron Et latin.

couçoit-on l'état d'esprit d'un traducteur qui consulterait pour traduire yao, ou d'un
copiste qui lisant e»?m le remplacerait deux fois par ««^cw pour se conlormer à un
Diatessaron latin!
Mais s'il s'agissait d'une forme rare? M. Vogels parait considérer comme une forme
rare circumihat, et s'étonne de la trouver dans d deux fois, Mt. 9, 35 et Me. 6, 6;
dans ce dernier passage y aurait une double traduction
il xa; Tzsptrjysv ta? scwjjLa?
:

xuxXto oiôaajctjjv est traduit t'^ circuibat castella et circumibat docens. Mais d'abord
:

circumibat n'est pas une forme rare, et dans Me. ce n'est pas une double tre^duction;
très naïvement le traducteur a traduit -spiriycv par circuibat et •/.j/'.Xw par circum-
ibat. Dans Mt. -sptrjY^v est traduit par circumibat. S'il y avait à ergoter sur circumibat
et circuibat, il faudrait noter la différence de la forme plutôt que l'unité sur une
forme rare. En réalité la traduction est correcte les deux fois ; il n'y a même pas de
variante parallèle.
Il est encore plus étrange d'appliquer par un besoin maladif d'harmonisation quel-
ques-unes des erreurs les plus évidentes de d. Ainsi, si d écrit cicims turba, au lieu

de iurbcis, c'est parce que dans Mt. 9, 25 on lit quando autem eiecta est turba; s'il

(1) llarmonistik,... p. 43.


RECENSIONS. 2!»1

écrit Me. el mittunt quosdom phariso.eorum et herodianis, c'est parce quM


12,13
porte dans Mt. 22,16 et mittunt ad eumdiscipulos suos cum herodianis. Et cependant
M. Vogels donne en note les éléments de la vraie solution de ce dernier cas. Le co-
piste de d tantôt se rapprochait de son texte grec, tantôt commençait à copier un

.Ms. latin. Sa leçon s'explique comme le mélange de -/.a: a.-rjzrùXijj'::-) T'./a; twv
iap'.saiwv -rojv irpojotavwv et de/ ff-
-/.a'. quosdain ex plidrisacis rt htrodiani.'i. C'est une
:

bévue, un peu grosse, mais qui s'explique mieux que la perpétration d'un solécisnie
pour se conformer à un passage qu'on ne traduit pas. Et c'est par de pareils moyens
que iM. Vogels arrive à se faire une idée du Diatessaron latin, qui lui apparaît comme
une traduction appartenant au latin vulgaire d'après l'orthographe, la formation des
mots et la syntaxe, et qui trahit partout l'effort de rendre le texte grec aussi fidèle-
ment que possible 1 . Il ne fallait pas être prophète pour tracer ce tableau d'un
Diatessaron latin... s'il a existé aussi tôt que le prétend M. Vogels. Pour ma part je
ne prétends pas nier son existence avant la tentative de Victor de Capoue, repré-
sentée par le Codex Fuldensis, mais je ne vois aucune bonne raison pour admettre
que l'Eglise latine n'a commencé à posséder les textes évangéliques que sous la
forme d'un Diatessaron. ni aucune preuve qu'un Diatessaron latin ait eu une in-

fluence notable sur le développement des versions latines.


Venons enfin au j 4. le plus considérable, celui des leçons harmonisantes. M. Vogels
en a compté 1,278 dansD. Sur quoi j'avais fait remarquer dans ma note de la Revue,
qu'il faudrait donc admettre que Tatien a eu plus d'influence sur les mss. grecs que

dans l'église syrienne où son Diatessaron a dominé durant environ deux siècles.
M. Vogels répond aujourd'hui que l'ancienne version syriaque S ou C compte 1.60-}
harmonies: l'argument de la RB. reposait donc sur une base fausse. Les chiffres
prouvent au moins cela (2).
Vraiment? il faudrait s'entendre sur la valeur de celte statistique. Les leçons har-
monisantes de D sont bien des leçons harmonisantes. Le ms. reproduit un texte grec;
s'il s'écarte du texte qu'on considère aujourd'hui comme normal, c'est pour harmo-
niser.
Est-il aussi facile de constater les harmonisations d'une traduction? Jusqu'à pré-
sent tous les critiques ont regardé l'ancienne syriaque comme un type de traduction
libre, rendant bien le sens, sans trop se soucier de calquer les mots. La Pechitto est
incomparablement plus assujettie à son modèle. Ce point constaté, qui dira si la ver-
sion s'est écartée du texte parce ([u'elie va rondement, ou parce qu'elle veut se rap-
procher d'un texte parallèle? La première hypothèse sera de beaucoup la plus pro-
bable s'il s'agit d'ajouter des pronoms. Nous l'avons déjà dit. Sur les 188 leçons
harmonisantes prétendues de Luc, .54. soit plus du quart, sont dans ce cas. Voilà les
1.60-5 leçons bien réduites. On pourrait encore les réduire en les examinant de près.
Par exemple M. Vogels nous que S lit yzsvrar.vwv dans Me. 5, 1, au lieu de
dit (3i
-(•cçaar^vojv conformé avec Le. 8. 26. Mais quand il s'agit de Le 8, 26.
parce qu'il s'est

on nous dit (4> que C S P ont Gadaréniens au lieu de Géraséniens à cause de Mt.
8, 28. Le. ne pouvait cependant avoir à la fois Géraséniens et Gergéséniens pour
faciliter plus à souhait les harmonisations. Et dans ce cas. Tatien ne pouvait lui aussi

qu'opter entre Gadaréniens et Géraséniens et. si l'on veut. Gergéséniens (.5).

(1)Harmonistil:..., p. 50,
Die Altsyrischen..., p, liS.
(-2)

(3 Die Altsyrischen.... p. 97.


(4 P. 118,
(b) La leron Gergéséniens est assez suspecte.
292 REVUE BIBLIQUE.

Que fait donc tout ce chassé-croisé d'harmonisations pour prouver l'influence du


Diatessaron?
En apparence la solution de M. Vosels est très simple l'harmonisation suppose :

l'usage d'une Harmonie. En réalité il préfère souvent une explication très com-
pliquée à une explication très simple. Qu'on me permette encore un exemple assez
suS£çestif. Me. a écrit (15, 22) y.at oeçjougiv autov zru xov roXyoOav to;:ov, o eanv
:

p.£0spu.7)vEuo[jL£vo; xpaviou to-oç. Cela est à peu près intraduisible, du moins dans une

langue qiii ne peut pas comme le latin se calquer sur le grec. La Pechitto, qui a
voulu serrer le texte de près, a rendu « et ils l'amenèrent à Gogultha, lieu qui est
:

traduit Crâne ». C'est presque un non-sens, car ce n'est pas le lieu qui est traduit,

mais le nom du lieu. S a préféré traduire librement : j et ils l'amenèrent au lieu


nommé Gougaltha, ce qui signifie oràne ;.

D'après M. Vogels, cette excellente traduction s'est conformée pour le début à


Mt., /.a-. eXOovt:? sic Tonov Xîyo;x.£vov ToXyoÔa et pour la fin à Luc qui omet xo-oç. Natu-
rellement, dans la pensée du critique, cela veut dire que S s'est inspiré d'une Har-
monie où les choses étaient conçues de cette manière : Kat cjîoojctiv kj-tov d'après Me,
£iç To-ov XcyorjLEvov roÀyoOa d'après Mt., omission de to-oç d'après Le. Or le Tatien
arabe a une Harmonie beaucoup plus intelligente, que personne n'a le droit de re-
fuser au génie de Tatien. Il a été chercher dans Jean le seul élément nouveau et utile,
à savoir que Golgotha était un mot hébreu. Le. 23, .33'' et ciim venissent in locum,
qui vocalur ('.alraria. Jo. 19, 17' lichraire niilem dicitur Golgotha. Vraiment le pro-
blème est résolu. Entre ces deux solutions simples, la liberté prise par S, et l'ingé-

nieux raccord de Tatien, il n'y a pas de place pour les combinaisons de M. Vogels.
Mais on dirait vraiment que j'affecte de passer sous silence l'argument principal de
M. Vogels. Non seulement D et SC harmonisent, ce qui suppose l'usage d'une Har-
monie, mais ils harmonisent de la même manière, ce qui ne peut s'expliquer que par
l'influence d'une Harmonie qui a existé à la fois en grec et en syriaque, le Diatessaron
de Tatien. Mais, si je doute de l'existence du Diatessaron grec, je ne nie nullement
l'influence du Diatessaron syriaque sur le ms. S et surtout sur le ms. C je ne nie pas ;

non plus l'accord de D et de SC, tel qu'il suppose parfois nécessairement une influence
commune; je dis du Diatessaron de Tatien, on ne peut pré-
seulement que, s'il s'agit

tendre qu'il a ni en Occident que le veut M. Vogels.


exercé tant d'influence en Orient
Et tout d'abord il y a des cas où D et S sont d'accord sur une leçon sûrement
mauvaise, et de façon qu'il faut supposer une influence commune, qui n'est cepen-
dant pas celle de Tatien. V^oici un exemple.
Dans Mt. 18, 20, S lit : « iln'y a pas deux ou trois (personnes) rassemblées en
mon nom que je ne sois au milieu d'elles ». C'est le texte de D.
Or Tatien s'écarte ici lui aussi du texte courant, probablement à la suite d'un apo-
cryphe, mais il écrit : « où il y en a un, je suis moi aussi, et où il y en a deux, je
serai moi aussi (i) ».

Une discussion de détail serait infinie.


Il y a, semble-t-il, un moyen assez sûr d'aboutir à un résultat négatif. D'après ce

que nous avons dit plus haut du caracière d'un Diatessaron, quel qu'il soit, son in-

lluence doit être surtout sensible dans les additions relatives au sens.
Il se propose de tout dire, sans reproduire tous les textes. Voyons donc si D et SC
sont d'accord sur ce point. Pour m'en assurer, j'ai noté très en courant, et sans au-
cune préoccupation ultérieure, 86 additions harmonisantes de D d'après la liste de

(1) Hjelt, Die altsijrische Evangelienûbeisetzung und Talians Dialissaron, p. 143.


RECENSIONS. 293

M. Vogels. Ce sont des additions parfois énormes et qui affectent plus ou moins le sens.
Or je ne retrouve que 12 de ces additions dans C et S ou dans l'un des deux, d'après
la liste de M. Vogels. Voici ces additions (l» :

Mt. 1, 2.5; 3, 16; 5,44 (trois); 14. 2: 17. 21; 18. 10: 19,20: *20. 28: 24, 31;
24. 41;*26, 28; 26, 71; ^^27. 28: 27. 32.
Me. 1, 7; 1, 32; *2, 2t; 2. 26; 6, 2: 8, 17: -10. 4: 10.7: 12. 14 (deux;; 13,
I; 13, 10; *13, 15; 15, 1.

Le. 2, 39; 4, 4; 4, 31; 4. 35; 4. 38; 5, 14 (énorme); 5, 21; 5. 22; 5, 33;


5, 38; 6, 9; 6, 10 ^deux); 6, 14 (trois): 6. lo ; 7, 10; 7, 28; 8, 8; 8, 30; 8, 45;
*11, 4; 11, 15; 11, 30;
9. 2; 9, 20; 10. 23; 11, 2 (trois dont *iiQe dans anc. syr.);
11,43; 11, 44;* 11, 51: 12. 4; 12, 10; 16, 21 * 17, 6 17. 21 17. 35: 18, 20; : ; ;

19, 27; 19, 45; 21, 2; 22. 47; 22, 51 22. 64; *23, 19; 23, 38 (deux surtout,
:

*une dans anc. Syr. 23, 46; 24, 1. :

Jo. 6, 11; 6, 15; 6, 59: 9, 1.


Ainsi donc, si le raisonnement de M. Vogels est juste, si les additions harmo-

nisantes prouvent l'usage de l'Harmonie de ïatien,elle a eu beaucoup plus d'influence


sur D que sur S et C; c'est bien le phénomène qui m'avait paru si étrange; je
n'avais pas hésité à conclure que le raisonnement doit donc pécher par quelque en-
droit (2), et j'en suis toujours très convaincu.
La méthode suivie par M. Vogels n'a donc pas abouti à prouver que D est un
témoin de premier ordre pour reconstituer le texte de Tatien (3); elle n'a pas non
plus établi l'antériorité de Tatien sur l'ancienne version syrienne. Ce dernier point
demeure toujours très obscur. Pour le résoudre il faudra faire beaucoup plus de cas
de S que deC dont les tatianismes sont avérés. M. Vogels pense que S en a été purgé.
En elle-même, l'hypothèse n'est pas contraire aux vraisemblances. Il est certain que
la Pcchitfo est une tentative de se rapprocher du grec, en sacriflant des éléments
déjà traditionnels dans l'église syrienne. On pourrait concevoir que s'appuyant sur
un ms., semblable à B par exemple, le recenseur de S lui ait donné ce caractère si

remarquable d'un manuscrit d'où sont éliminés beaucoup d'éléments que la critique
moderne obélise. Cependant l'hypothèse perd beaucoup de sa vraisemblance quand
on envisage en fait certaines omissions du ms. S. Que la finale de Me. lui manque, si
c'était la seule omission importante, ou pourrait l'expliquer par l'imitation du type
de B. Mais il manque encore, à juger d'après la longueur de la lacune, l'ange de
Bethesda (Jo. 5, 4), qui était dans Tatien [Mor$., p. 146, Me. 5, 30, qui était dans
Tatien {Moes., p. 66), Me. 15,28 qui était dans Tatien (i/oe*., p. 242), Le. 22, 43 et

44, alors que la sueur de sang était dans Tatien (Moes., p. 235), enlin et surtout Le.
23, 34% la prière de Jésus sur la Croix qui était dans Tatien [Moes., p. 117, 256,
265). Quel critique aurait eu le courage de supprimer tous ces passages, déjà cano-
nisés dans l'église syrienne depuis un certain temps, puisque M. Vogels suppose que
le ms. a été expurgé? Et cette liste ne suffît-elle pas à suggérer que l'ancienne version
syrienne est antérieure au Diatessaron?
Mais ce n'est pas le moment d'aborder sous toutes ses faces une des questions les

(1; L'astérisque indique les passages où l'ancienne syriaque a l'addition.


11 est vrai qu'à prendre toutes les additions. M. Vogels n'en compte qu'environ 328 (74 -f-
(2j
117 -f 1-25 — 1-2} sur 1.-278 leçons harmonisantei dans D. et 405 (1G7 -j- 117 -+- 188 -^ -23) sur 1.605
le( ons liarmonisanles dans le syriaque ancien. Mais j'ai déjà dit comment celte liste des addi-
tions se gonlle iodiiment de tous les pronoms ajoutés pour la clarté. Autrement significatives
sont les additions réelles dont je viens de parler.
(3) Er (à savoir D) slel l sicli durais ein erstklassiger Zeuge fur Tatians Diatessaron [Harmo-
nistik..., p. 106)
294 REVUE BIBLIQUE.

plus délicates de la critique du N. ï. Qu'il sufûse d'avoir constaté que ce n'est pas
avec des blocs composés d'éléments hétérogènes comme les listes de M. Vogels
qu'on parviendra à la résoudre. En dressant ses listes, il a certainement rendu un
grand service. Elles seront fort utiles, mais à la condition qu'on n'explique pas d'une
seule façon des phénomènes si variés. S'il fallait choisir entre l'usage de Diatessaron
et le simple désir d'harmoniser, il faudrait pencher de ce dernier côté. Le Diates-
saron connu cadre mal avec la solution proposée. Est-il prudent de lui substituer
dans cet office de type un Diatessaron imaginaire? Le plus sage, jusqu'à nouvel ordre,
est de s'en tenir aux termes de s. Jérôme, que M. Vogels connaît bien 1), mais dont il 1

n'a pas fait assez de cas, sauf à chercher eu outre les traces de Tatien par les voies
ordinaires de la critique.
Je me suis étendu un peu longuement sur les études si distinguées de M. Vogels,
parce que j'ai craint leur séduction. Tout le monde aujourdluii a une si haute idée
de la critique, si peu de personnes la pratiquent, qu'on peut s'attendre à voir un sys-
tème si attrayant par sa simplicité faire son chemin partout. Je crois que ce serait
au détriment de la vérité.
Jérusalem.
Fr. M.-J. LAGR.4NGE.

OnirCAHIE rPEMECKILX'L PyKOniICEH MOHACThlPH CBîlTOn EKATEPIIHbl


IIV (IIHAT). TiiMii I. (Catalogue des manuscrits grecs du monastère de
Sainte-Catherine au Sinaï décrits par l'archim. Porphyre L'spexskv et rangés
par V. Benksevic'; in-8° de xN:viit-663 pp. Saint-Pétersbourg, 1911.

L'archimandrite Porphyre Uspensky a pris à tache, à grande joie des Orienta- la

listes, de dévoiler le du Sinaï et à la métochie


trésor littéraire conservé au monastère
sinaïiique du Caire. Son catalogue a été mis en ordre et quelque peu complété
par V. Benésevic', à qui l'on est redevable de l'introduction consacrée aux diverses
mentions de la bibliothèque du Sinaï qu'ont faites les voyageurs à travers les siècles
et aux essais de catalogue tentés avant 1!>11.

La première section est consacrée à l'Ecriture Sainte. Outre les textes bibliques
il s'y trouve des chaînes patristiques de la plus haute importance. On doit se féliciter
de ce que l'auteur du catalogue ait eu l'heureuse idée de transcrire le texte de quel-
ques-unes de ces paraphrases. Les plus intéressantes sont sans contredit celles qui
sont extraites des œuvres, aujourd'hui perdues, d'Eusèbe d'Émèse (7 359), exégète
littéral, de l'école lucianiste :;2). Voici quelques exemples qu font éclater le carac-
tère pratique de son interprétation. Sur (ienése xiv, 18 : "Oti /j laÀsîa, r,; r,v .'îaaiXsj;

ô MsÀytaîôi/, o'j-i lîoouaa/.ria 7,7 ojtî -uyÉa, tj Tpa-jf, DJ^y^v.- or^al yàp ajTi/v elvai

iv T?) KotXaôi âv -u/su. £1'; xb -sôtov tûj liaiiÀéw;. Oa ne voit donc pas pourquoi saint
Jérôme place cet auteur parmi ceux qui à travers mille détours font de Melchise-
dech un roi de Jérusalem (3).
Sur Genèse, xv, 13 « On vous humiliera pendant 400 ans )>. Le texte de l'Exode
:

(xii, 40) qui porte 430 ans ne contredit pas celui-là, dit l'évêque d'Emèse. Il n'est
pas écrit que les Hébreux soient sortis aussitôt les 400 ans achevés, mais après
400 ans, ce qui se vérifie encore trente années plus tard : àXXà a$Tà ù' et/,, o-sc

;li Magnus siquidem. etc., in Evangelislas ad Damascum prœfatio.


(2) B.4.TIFFOL, Littérature grecque, p. 278.
Ep. 73. ad Evangelum : Verti me ad... Eusebium Csesariensem, et Emisemim, etc., Eusèbe
(3)
(leCésarée non plus [Onomasticon. Ia>,Y;5A —
texte conservé par Procope de Gaza et par la tra-
duction de salut Jérôme —
n'est pas nettement en faveur de Jérusalem.
)
RECENSIONS. 293

£;j..ia;v£i Z7.\ Ta Tpià/.ovix ''page 4). Nous sommes loin des spéculations que l'école
alexandrine se permettait sur la raison des chiffres bibliques.
Sur Genèse, xvil, 14 :
'0 Sûpo; o'jzw- ï/iv « nâ; o; où -spitÉtAVEi, £?oXo6p£'j0rj'j£-:ai ».

Kat ô 'E^paToç- « ;:a; 6 uJr\ zeptTÉ^AVojv » . EÎ/.ôtw;- où yàp tb vr|-'.ov oiX jrpô toutou xoXâ-
rïaOat, àÀÀà toj; fo-rJ.',. Dans Ics LXX, c'est l'enfant incirconcis qui doit être exter-

miné.
Sur Genèse, XIX, 21-22, à propos de Ségor : TajTr,v oï àÀXayou r, TpaoY) Zo'jtopa
/.a?>£r. ô 0£ ^'Jpo;, « ZwÇpT] /.ai Ba/.â, TO'JTiaTtv, fj /.aTa::touaa ». Ka\ ô 'ESpatoç o'jtw jzoiç

Xc'ysi- n j'toç TJ]; ZKTajî'.Ojariî 7:cp\ t'^; IStyo'jp », w; iv -Àîi'o'J'. zaTor/.ouvTo; néXsat tou Aojt
tauTa ÀsysTat (page 5).

Sur Genèse, XIX, 38 : Oi 'Aa|j.avrTX'. /.al oi à-o xrj; 'Apaoia; ÈxpâTrjaav Ta lisp-/] fI>tXaôc>.-

idoiç, f^Ti; 'A[x[jLà)v /.aXatTa-. napà twv ÈYyupîojv. Comme daus toutes les villes hellé-

nisées, le fond indigène de la population conservait l'onomastique sémitique. Au-


jourd'hui, le nom de Amman est encore en usage, Philadelphie a disparu.
Sur Genèse, xxir, 13, Eusèbe d'Emèse fait remarquer qu'au lieu de zaTî/ou.svo; xôjv
Syriaque et l'Hébreu ont /.p£aa;j.£vo;, plus approprié au symbolisme de la
x.spâTrov, le

croix.
Sur Genèse, xxiv, 2 « Place ta main sous ma cuisse ». Le même commentateur
:

remarque que le Grec ici est pudibond. "EXÀr,v 7t;j.vÔT£pov ip[ir;vrj£f 6 yàp 'EopaTo;
•/.al
Cl — 'jpoç a'jTÔ XÉysi Tou àvS'pb: tÔ T£/.vo~oibv opyavov A'./.aito -/.al jtoçpovi [xéXo; o\)('À'^

a'7/p6v, TÔJ oÈ àô(/.(;) /.ai Yj yj/T] [xs;jL{avTai. DiodofC de Tarse, contemporain d'Eusèbe
d'Emèse et appartenant à la même école, apostille ce texte à peu près dans les mêmes
ternies {P. G., 33, l'i7i>). Ce n'est pas d'ailleurs le seul passage où les deux lucia-
nistes se rencontrent.
Pour Tinterprétalion d'autres textes on a cité Philon, probablement l'évêque de
Carpasia en Chypre, Acace de Césarée, Théodoret et même Méliton de Sardes. Nous
avons ensuite des scholies de ïhéodoret sur l'Exode, puis quelques fragments de
chaînes sur le Lévitique. Tout ceci fait partie du n° 4 du catalogue.
Le livre des Psaumes est abondamment représenté dans cette collection. Le n" 28
contient en outre la prophétie de la Sibylle Erythrée, nullement inventée par un
chrétien, nous avertit un rédacteur, mais traduite en latin par Cicéron le poète
avant la venue du Christ, et mentionnée par Virgile. Le n'^ 60 présente des scholies
qui valent la lecture. ]\ous devons remercier M. TJspensky de nous avoir transcrit
m extenso les sommaires de plusieurs psaumes (pages 31 ss.). Le ps. 43 (Deus auri-
bus nostris audivimus) est ainsi annoncé Ce psaume prédit la cruauté macé- :

donienne, l'impie et sauvage dessein d'Antiochus Epiphane, ainsi que le courage et


la piété des Maccabées (1). L'annotateur nous fait savoir que le ps. 4-5 {Deus nosler

rcfuglum, et virlus) avait reçu diverses interprétations Gog et Magog; Achaz et :

Phacée; Ezéchias et les Assyriens. Lui, préfère l'appliquer à l'Église.

Les psaumes 13 et ôl sont appliqués aux manœuvres de Sennachérib et aux blas-


phèmes de Pvabsacès contre Jérusalem; le 6P. à la persécution d'Antiochus Epi-
phane. Le sous-titre du ps. G4, « cantique de Jérémie et d'Ezéchiel », est rejeté, sur
l'autorité de l'Hébreu et des LXX liexaplaires — ojth t6 'Eopaï/.bv £/£; oj't£ o'. aXXoi
£p[j.rjV£UTa\ ojt£ oi o' £v Tw 'EÇa-îiT) — de même
du ps. 65, « psaume du le sous-titre
cantique de la Résurrection ». L'auteur, en effet, a composé son commentaire avec
les Hexaples sous les yeux. Outre l'Hébreu et les LXX d'Origène, il aime à citer

(1) llpottyopâOîi 0£ ô '!/a),[j.ô; Tr/; .May.£Ôovf/.r|V ù)[j.6TïiTa y.ai Tr.v 'Avti6/_0"j to-j 'ETTisavoû^
î'jffGeêïj xai ôtjciwStj yvcjjj.r.v xai xr,v rwv Maxxaêai'wv àvopaiav te xal £ÙaÉ6Eiav.
296 REVUE BIBLIQUE.

Symmaque, Aquila et Théodotion. Par exemple, ps. 56 : 'E-/.o'.a7)8r)v -izapayiii^oç.


ToijTO ô OcOOOTÎwv ojtoj; f,;;ar]vs-j3£v ky.O'.'j.r'fir^'i 'j.i-x àvaX'.^xovT'jJV. ô oè 'Ax'jXaç. aîtà
XâBpwv, 6 CE Suaaayo;, jj.STà çÀsyôvrwv.
Le ms. 61 renferme deux commentaires sur le psautier, de tendance divergente,
disposés en deux colonnes parallèles. Pour le ps. 71, Deus judichan tiaim régi da. le
premier trouve qu'il ne s'adapte pas du tout à Salomon. en dépit du titre, parce que
ce roi n'a jamais possédé les extrémités de la terre et n'a pas reçu le tribut de l'Orient
et de l'Occident. Comme il s'agit d'un personnage plus ancien que le soleil et la
lune, il ne peut être question que du Messie. L'autre commentaire en regard répli-
que : L'inscription £•; SaXouiajv est vraie ; Salomon est en jeu ici ainsi que quelqu'un
de sa race dont la personnalité et le temps sont cachés. D'où, si jadis l'on voyait
quelqu'un de marquant et d'illustre dans la famille davidique, on le prenait pour le
Messie, comme Ezéchias, Josias, ou Salomon auquel les nations furent soumises et
des présents envoyés. Autre controverse pour le titre du ps. 72 « '^aXab; tw 'Acaa».
Certains, dit le premier commentateur, tiennent Asapli pour l'auteur du psaume,
d'autres ne lui attribuent que la mélopée, d'autres afûrraent que David prononcé
l'a

et Asaph l'a rédigé. Qu'on se range à l'une ou à l'autre de ces opinions, il n'y a au-
cun inconvénient à cela. A quoi répond le commentateur parallèle \on, tous les :

psaumes sont de David, mais la collection en a été dispersée et n'a été retrouvée
que par parties, d'oîi il est arrivé que ceux-ci en ont attribué plusieurs à Asaph,
ceux-là, plusieurs à Idithun etc. Ce même exégète voit dans le ps. 63, Ut quid Deus
repuUsIi, les tribulations des Maccabées, opinion que le premier a rejetée, pour y
voir la destruction du Temple par Titus. Les temps raaccabéens sont encore mention-
nés à propos des psaumes 78, Deus venerunt génies, et 82, Deus, quis similis. Les
deux commentateurs rivaux mettent en œuvre les Hexaples et la version syriaque.
La nomenclature des manuscrits du Nouveau Testament termine la série biblique.
Il est intéressant de constater, en feuilletant ces collections scripturaires, l'impor-
tance que, dès les premiers âges de l'exégèse, on a donnée à la critique textuelle.
La deuxième section du catalogue comprend les livres liturgiques, menées, eu-
chologes, typica, livres de chant, vies de saints. La troisième, le dogme et la prédi-

cation; la quatrième, le droit canon; la cinquième, divers recueils ou collections


parmi lesquels une réponse au latin Thomas d'Aquin sur la procession du Saint-Es-
prit: la sixième, la philosophie. Quant à la géographie, la topographie, l'histoire, la
littérature, la lexicographie, les sciences, elles sont réparties dans les chapitres vu à
IX. En tout, pour ce premier volume, 507 numéros où les Byzantinistes peuvent
trouver une raine d'informations.
Jérusalem.
Fr. F.-M. Abel, O. P.

I. Publications oî the Princeton University Arcli. Exp. to Syria. Divis. —


II Ancient Architecture; sect. A South. N////r/ part II
: South. Haurdit; : ; :

part III Umm idj-Djimàl. par M. C. Butler. Gr. in-4' pp. 63 à 213, lig. 43 à
:
,

197, pi. VI à IX, trois plans topogr. et pp. xiii à xxv AWppcnd. à Divis. II, A,
II. Divis.— m
Greek and Latin Inscr.; sect. A, ii; pp. 21 à 129, n°* 17-
:

231, par MM. E. Littmaxx, D. Magie jr. et D. II. Stuart; avec xxviii pp.
d'Append. i-vr, inscr.; vii-xvi, Butleb, La route de Trajan... section Bosra-
:

Amman: XA'ii-xxvm, Magie, Les miUiaircs sur cette voie. Brill; Leyde; 1910-
'

1911.

IL Karte des Ostjordanlandes levée tt dessinée par M. l'ingénieur Schima-


RECENSIONS. 297

CHEB et éditée par la Société allemande pour l'exploration de la Palestine. Troi-


sième feuille ; Leipzig, Hinrichs, 1911.

1, Grâce à l'activité de M. Butler cette publication progresse avec une parfaite régu-
larité (cf. RB., 1908, p. 592 ss.; 1910. p. 28.5 .ss.-. Le Hauràn méridional dont on
traite est limité au N. par une ligne théorique horizontale de Boçra au désert en pas-
sant par S/ilkha(f, à l'E. par l'ou. RihIJil et le désert, au S. par le désert encore, à
ro. par la voie ferrée du Hedjàz. Le bord oriental decette zone fut exploré naguère,
au point de vue épigraphique surtout, par Î\LM. Dussaud et Macler. L'intérieur a été
sillonné par divers voyageurs depuis le milieu du siècle dernier et partiellement car-
tographie par M. Schumacher. A peine cependant possédait-on quelques lambeaux
de documentation archéologique restreints à deux ou trois centres plus considéra-
bles. M. B. décrit plus de soixante localités, fournit un grand nombre de relevés dé-
taillés et consacre un fascicule entier à Oumm cl-Djemâl seulement.
Et qu'on n'imagine point ce trésor inespéré destiné aux délices exclusives des spé-
cialistes. Architectes et historiens de l'art palestino-syrien y trouveront assurément
la plus ample pâture à leur savante curiosité les conditions que le sol, les maté-
:

riaux, les vicissitudes historiques imposaient aux constructeurs ont donné aux mo-
numents de toute nature une physionomie originale qui les diiférencie de toutes les
constructions analogues en Palestine occidentale aux époques correspondantes. Mais
d'un point de vue plus général l'intérêt de l'ouvrage est d'exposer en mille détails
presque tangibles l'évolution d'une vie très active dans une région que le désert est
en train d'absorber
En mainte localité l'expédition américaine a discerné les ruines frustes des pre-
miers travaux humains : vestiges de fortitications massives enveloppant une crête de
coteau, pyramides en quartiers de basalte empilés à la façon des murailles cyclo-
péennes de l'Occident. A l'occasion même sera explicitement évoqué (p. 110) le sou-
venir de l'acropole farouche de Tirynthe, dans cette contrée des Géants bibliques.
La première phase vraiment artistique encore attestée est contemporaine du royaume
nabatéen : quelques temples et des hypogées portent l'empreinte de cette origine, en
dépit des transformations que leur infligèrent les âges suivants: mais d'ordinaire tout
ce qui en peut être saisi se réduit à un plan dévasté et à des fragments architecturaux.
Quoique plus riche en édifices, la période romaine n'ofirirait pas, à première vue, la

variété et la splendeur un peu alfectée qu'elle étale dans les régions voisines. Une
découverte de AL Butler résout l'énigme de cette pénurie ornementale, en même
temps qu'elle ouvre sur l'art romain en Palestine une perspective pleine de consé-
quences : c'est le rôle extraordinaire des stucs. M. Kohi (cf. RB.^ 1910, p. 596 et
600) le découvrait naguère dans la décoration du Qasr Fird'oun à Pétra et en tirait,
pour l'interprétation des grandes façades d'hypogées nabatéens, des conclusions que
la documentation très ample des PP. .laussen et Savignac tli parait corroborer au

mieux. Il résulte des observations de M. Butler que dans la contrée balsatique sud-
hauranienne les architectes de l'époque romaine firent
du stuc. le plus large emploi
Encore le procédé ne causerait-il pas une surprise bien grande s'il ne s'était agi
que de dissimuler par ce moyen, comme on le pratiquait volontiers en Grèce, la pau-
vreté desmursou les imperfections aussi inévitables dans letraitement du basalte que
dans une architecture rupestre. Mais il faut se rendre à l'évidence qu'on a stuqué
avec passion des édifices construits en matériaux plus souples et jusqu'à des parois
extérieures préalablement appareillées avec un soin impeccable en blocs finement

(1) Mission archéologique en Arabie, Paris, KK)9 (pp, 307-404).


298 REVUE BIBLIQUE.

Les plus admirables maçonneries de l'époque impériale étaient ainsi revêtues


taillés.

et parfoiségayées par une discrète polychromie (p. 66 et 69 s.). Naturellement on


recourait au stuc polychrome pour exécuter sans effort d'élégantes moulures et les
ornements les plus variés : cf. p. 164 et fig. 141, C : les volutes et les oves d'un
chapiteau ionique; p. 184 et fig. 160 s., la moulure en trèlle qui décore une porte
d'église, etc. (1^
La période chrétienne se révèle extrêmement florissante par l'abondance et l;i
variété de ses édifices, parfois, il est vrai, simples adaptations de monuments anté-
rieurs (2), et l'architecture des premiers siècles après la conquête arabe, jusqu'à l'ex-
linction de la dynastie des Omyades, produit encore d'intéressants édifices (3). Et
rien n'est aussi attachant que de suivre dans une seule localité, Gamin el-DjemàJ
(peut-être Thantia romaine), tout ce développement.
La petite ville, qui put dans sa plus grande prospérité compter huit à dix mille
habitants, offre des vestiges assez nets de temples nabatéens, des remparts romains
et une porte du règne de Commode, des installations hydrauliques, un prétoire du
iv- siècle, une forteresse du V^, non moins de 15 églises, toutes les variétés d'habi-

tations, depuis la maison cossue avec ses amples dépendances, jusqu'au simple logis,
des nécropoles enfin, parmi lesquelles trois types spéciaux d'hypogées nabatéens (4).
A suivre dans le détail l'examen de ces monuments, on sent la vie se développer
heureuse et pleine de sécurité sous l'Empire. La tutelle romaine est douce, laissant
libre jeu aux habitudes et aux tendances locales. A peine l'Empire est-il chrétien
qu'il y a une église 5 à Thantia sur le modèle d'un des édificescivils alors en usage.
1

A mesure que l'architecture chrétienne va s'individualiser, les nouvelles églises de la


localité se modifieront et le moment viendra où une église de type basilical sera ac-
colée à une autre du type archaïque (6). L'invasion arabe n'arrêtera pas brusquement
la vie chrétienne, car on peut augurer qu'il en fut ici comme de la localité assez
voisine, Sameh, où une inscr. atteste la fondation d'un monastère en 624-5 (p. 85),
à la veille du triomphe définitif de l'Islam.
Les gens du métier discuteront les faits épigraphiques. Le joyau de la collec-
tion qui leur est présentée est un édit de l'empereur Anastase V% dont on a dé-
couvert 68 fragments sur des blocs remployés dans la fortere.sse d\'l-Hallàbàt.
Ilmanque trop de morceaux encore pour une restitution intégrale de ce docu-
ment de haute importance pour l'histoire de l'administration byzantine en ces
(I) Du môme art, sans doute, dérive le très curieuv médaillon [lublié il y a quel<iues années
par le P. Savignac(/ÏZi., lito», p. 578 s. et pi.).
(21 Y.g. p, 108 s., fig. 86, l'église de Simdj succédant à un temple nahatécn. Ailleurs, par ex.
p. 13S (lig. M"), ou p. 173 fig. 147\ M. B. montrera un type d'église pruiire à la région et dérivé
manifestement de quelque basiluiue civile romaine dans les mêmes localités.
(.'J) La mosquée de Quuseir elllalldbdt et le hammam cs-Sarnkh fournissent à. M. Butler l'oc-
casion d'exposer les vues les plus judicieuses sur le problème soulevé i)ar les fameux châteaux
du désert Mesalta, 'Amra, foulta. Taudis {|ue les liistnriens discutent l'origine et la date d'a-
:

))rés des textes ou des analogies plus ou moins superdcicllcs, rarciiitecte qu'est M. B. introduit
l'observation technique dc'taillée et l'analyse iiiéce à pièce; cl. surtout les pp. xx-xxv de l'Ap-
pendice. A signaler aussi les pp. xni s. qui fournissent des observations assez décisives pour ap-
puyer l'interprétation du monument d".4r'i(/ el-Émir comme un temi)le {ci. RB., 1908, p. 594,
(4) 1" Columbaria construits en dalles dans une caverne naturelle, avec façade bàlie ; 2" tombes
à Heur de sol avec édifice construit au-dessus; .'}" simples lombes superficielles.
(5) P. 172 ss. Elle est dat('e par une inscription de 3i5 !a plus haute date épigraphique dans
:

toutes les églises de Syrie et de l'univers, note M. Builer.


(Cj • L'église double», p. 17!i ss., fig. 154. On notera dans cette église la i>résence et la forme
du bénitier près de l'entrée (fig. 155 Le bénitier, presque inconnu dans la Sjrie septentrionale,
.

est au contraire fréquent dans le Sud. M. B.en le remarquant, ajoute que l'usage en est ainsi rei)orté
à une date très ancienne aus.^i bien est-il impossible d'admettre que ces liénitiers aient été in-
;

sérés dans les murs aiircs le vu'' siècle p. ftS Voir p. 153 s. les principales caractéristiques des
.

églises de Thantia.
RECENSIONS. 299

contrées à l'aurore du vi« siècle. La teneur en est analogue à celle des édits simi-
laires de Bosra et Bersabée. Une observation très utile des savants américains
vient à l'appui de ce qu'a maintes fois indiqué la Revue : depuis longtemps les ins-
criptions sont en voyage et toutes les fois qu'elles sont découvertes eu des habita-
tions, il est indispensable détenir compte du transfert avant de déduire quoi que ce
soit du texte pour l'histoire spéciale de la localité. Les Druses eu particulier mettent
une véritable manie à convoyer souvent de fort loin des pierres inscrites non par :

spéculation intéressée, puisqu'ils ne veulent pas faire argent de ces textes, mais peut-
être par quelque superstition prophylactique attribuant à ces grimoires inconnus la
valeur de talismans, ou tout bonnement par perspicacité utilitaire. Les anciens ayant
choisi d'ordinaire pour leurs inscriptions des pierres de meilleure qualité, les inscrip-
tions méritent la préférence qujnd un Druse a besoinde quelques blocs plus élégants
ou plus solides pour aménager sa hutte. Ainsi se sont disséminées les inscriptions
votives et les dédicaces officielles des temples, églises et autres édifices, ainsi surtout
les longues stèles qui devaient perpétuer : le nom » i\i des défunts à l'entrée des
hypogées nabatéens aboutissent dans des montants de fenêtres ou des dallages.
mérite littéraire de ces inscriptions est assez mince et leur faconde à peu près
Si le

nulle, que d'intéressantes, parfois touchantes, révélations cache leur laconisme Les !

< stèles du nom » attestent le mélange des éléments ethniques et religieux les plus
variés; quelques textes romains, en signalant l'érection de nouvelles forteresses ouïe
développement des anciennes, laissent devinerl'insécurité croissante du pays dès la
fin du iii'^ un Arabe au nom bien authentique de Saqar fils de Gousam (n"
siècle:
103) est fier jusque dans sa pauvre tombe d'avoir été envoyé «en ambassade à Piome •;
tout à côté un Sévéros quelconque trahit sa superstition naïve en déformant l'écriture
de son nom sur le linteau de sa porte (n° 10-5 , tandis que d'autres {n°^ 38, 41, 201
et peut-être 212' cacheront sous des anagrammes quelque invocation religieuse. Un
texte (d 18 1
un nouveau gouverneur d'Arabie, Flavius Anastasius, en
fera connaître
Ô2U de notre ère: un autre n' 18G mentionne dans une bouriiade perdue la restau-
ration d'un temple et la reprise des rites païens sous le régne de Julien cent détails :

à l'avenant, qui nous initient à la vie. aux croyances, aux préoccupations des peuples

divers qui vécurent ici entre le r^ s. av. J.-C. et le vi<^ ou vu*" après.
Dans son étude sur la voie romaine Bosra- 'Amman M. Butler propose de bons
arguments pour localiser Gadda à kh. es-Snmrâ. Hatita au kh. el-Hai/icL Thantia à
0. el-Djcindl. Mais on notera surtout une observation de nature à compléter fort
avantageusement notre notion des voies romaines. Dans une section mieux conservée,
Butler a constaté que le pavage un peu fruste en moellons était recouvert d'un lit de
cendres volcaniques épais de dix centimètres, revêtu lui-même d'une couche d'argile
battue. Ainsi s'expliquent les lignes de pierres proéminentes au sommet du dos d'àne
central et sur les deux bords de la voie elles assujétissaient ce revêtement et l'on
:

voit, sur cette chaussée d'où s'écarte aujourd'hui la piste des rares caravanes, rouler
moelleusement les postes impériales qui emmenaient Trajan ou Hadrien de Bosra à
la mer Rouge 2 .

1, Voirtig. 183 s. les photographies de ce curieux entassement des « stèles du nom • en deux
Xombes d'Oumm el-Djemâl. Quelque chose d'analogue a dû exister dans le grand hypogée d"Abdeh
[RB., 1903, p. Si ss. comparable par beaucoup de détails aux types sud-hauraniens. Son linteau
{loc. cit.) sera rapproché d'un linteau de Sa'âdeh Mig. lio. p. \6\i de Butler Les savants améri- .

cains ont observé que dans les groupes de stèles nabatéennes. les sommets carrés portaient des
noms d'hommes, les sommets arrondis généralement des noms de femmes. Il y a quelque chose
d'analogue dans les stèles des tombes musulmanes modernes.
-2) Noté dans la lecture, p. 138, 1. 18. un in de trop p. xiii de YAppend., 1. -a. on attendrait co-
;

lumns à la place de melres; p. xv, n. 2, un to de trop; p. il2, 1. scriptioa pour inscription.


."î :
300 REVUE BIBLIQUE.

II. Le Dora seuldu libraire changé dans la nouvelle


qui a le privilège de la vente est
feuille prête. En présentant deux premières, on a dit {RB., 1910, p. 288 ss.) le
les

caractère, la méthode, la haute valeur technique et la splendeur artistique de cette


carte. Certaines publications analogues flattent l'œil au premier abord, expriment en
apparence la conliguration précise du sol et semblent étaler un trésor toponymique

infini, mais se révèlent cruellement trompeuses dès que le contrôle en est abordé.
Celle-ci, au contraire, gagne encore à la pratique. Essentiellement sincère, elle tra-
duit des réalités étudiées et dans la seule mesure où elles ont pu être étudiées-, au
besoin une légende avertira que telle étroite zone demeure « incomplètement relevée».
Hâtons-nous de dire que de tels cas sont rarissimes et que tout le relief utile, tous
les sentiers permanents, toutes les sources appréciables, les ruines dignes de
quelque attention sont enregistrés avec une correction et une clarté qui l'ont de cette
magnifique carte un guide agréable et sur.

La nouvelle feuille comprend le 'Adjioùn septentrional entre Mukles au N., Kefr


AMI au S., I/'bid à l'E. et le Jourdain à l'O. La hauteur moyenne du plateau à la
limite orientale de la région figurée est d'environ 550 mètres, mais dépasse 1 .000 mètres
à l'angle S.-E. A 25 kilomètres tout au plus à vol d'oiseau, le niveau moyen du Jour-
dain est à 260 mètres au-dessous de la Méditerranée. Ces chifTres extrêmes ne don-
nent d'ailleurs qu'une indication très imparfaite d'un relief tourmenté et qui devient
affreusement chaotique dans l'écheveau des ravins qui rongent avec persévérance
l'écran montagneux qui limite la vallée du Jourdain. Avec la carte de M. Schuma-
cher sous les yeux, même ceux qui n'ont jamais pu traverser la contrée en saisiront
facilement l'aspect général et une attrayante étude leur en fera comprendre la nature,
un peu même les ressources, par conséquent aussi l'histoire. Pour la première fois les

bassins fluviaux — si le nom est toléré pour les grands ouâdys — le réseau des voies
antiques, la répartition et le développement des massifs montagneux et des zones de
culture peuvent être embrassés d'un coup d'oeil et deviennent expressifs. Les sites de
Mukeïs, de Ma'âd, de Fahil,à l'extrême bord du plateau, commandant les passes où
viennent se nouer toutes les vieilles routes dirigées vers l'intérieur du Haurân ou
vers la capitale de Syrie, expliquent au mieux le rôle et les destinées de Pella et de
Gadara depuis les temps hellénistiques et celui de Ma'àd, dans la conquête arabe
(cf. Abel. BB., 1911, pp. -108-1:30 Les localités de seconde ligne comme Tibneh,
.

Taycbeh. Kefr Asad occupent plus ou moins le centre de la première terrasse géné-
rale, en des situations spécialement avantageuses, tantôt fortes comme à Tibneh sur

une croupe escarpée entre deux grandes vallées, tantôt confortables, au cœur de plaines
fertiles et sur le passage d'importantes voies de trafic. Ou notera aussi le groupe-
ment des vestiges de civilisation préhistorique. Les principaux champs de dolmens
s'étendent autour de Kcfr Youbd, encadrant un certain nombre de tells dans le pla-

teau vallonné qu'enserrent les premières ramifications des vallées aboutissant au


Jourdain sous les noms d'où. Taycbeh et d'où. el-'Arab. Les deux voies principales

parties du Jourdain pour pénétrer dans le Haurân et la Batanée constituent la déli-


mitation nord et sud assez exacte de ce remarquable district mégalithique. Par ail-
leurs des noms comme tell -Snlr, tell abou Zeità, kh. cl-Boulmy, etc., accentuent
<'.s

bien l'idée d'une fertilité que les conditions actuelles ne permettent malheureuse-
ment pas d'exploiter. Et la carte livre ainsi à l'étude la plus commode une infinité
de détails précieux à de multiples points de vue. Ce sera le mérite et l'honneur de
M. le D"" Schumacher et du Palastina-Verein d'avoir réalisé une telle carte.
Jérusalem. Hugues YlxCEiM. 0. P.
BULLETIN

Histoire des religions. — M. le comte Goblet d'Alviella a commencé d'écrire,


voilà plus de trente-cinq ans, sur l'histoire des religions (I ). De nombreux articles
étaient disséminés dans plusieurs revues, et par là même peu accessibles au public. Il

a consenti à les grouper en trois volumes, et. sans approuver les théories de l'auteur,
on peut, en le lisant, comme en parcourant une iialerie de tableaux historiques, re-
trouver le souvenir de la plupart des controverses, des mouvements ou des ouvrages
de notre temps. M. d'Alviella a rangé sous trois noms grecs les études relatives aux
religions. La simple description des faits, leur ordre, et leur suite, sont l'objet de la
hiérographie. Si l'on compare entre elles les religions, en expliquant encore pour-
quoi elles se ressemblent ou différent unes des autres, on est hiérologue. Enfin
les

la hit/osophie sera comme une synthèse philosophique qui indiquera les con-
séquences logiques et même pratiques des études antécédentes. Chacun des trois
volumes de ces ou conférences est placé sous une de ces rubriques. Mais, si
articles
l'on voulait leurdonner un titre commun, il faudrait encore trouver je ne sais quelle
combinaison de deux mots grecs, d'autant plus difficile à découvrir que les Grecs
n'ont point connu, du moins dans l'antiquité, ce que nous nommons le compte rendu
raisonne. Hierobibliographie n'exprimerait pas assez la part personnelle de M. d'Al-
viella ; hiérocritique serait plus juste, car, même dans la partie de Hiérographie. la
part des observations originales de l'auteur est très restreinte. C'est un penseur, qui
a beaucoup lu, et qui. sachant beaucoup, a donné son avis motivé ; la hiérolo^ie do-
mine toujours, même dans le volume moins qu'on ne consi-
intitulé hiérosophie, à
dère comme la conclusion logique de l'étude des religions une position toute néga-
tive à l'endroit de la religion. Je dis toute négative, malgré la sympathie évidente de
lauieur pour le sentiment religieux. 11 se déclare « étranger à toute Église, mais en
communion d'idée et de sentiment avec quiconque, soit à rintérieur, soit en dehors
des orgauisaiions ecclésiastiques, cherche à rapprocher la religion de la raison «
(I, XX). Mais il est fort opposé à toute religion positive, et, parce qu'il comprend
très bien que l'Eglise catholique est le type des religions positives, il déclare à toute
occasion que son rôle est termine, et qu'elle a laissé passer le moment ou elle pouvait
peut-être encore s'adapter aux temps modernes. Il sympathique au protes-
est plus
tantisme, parce qu'il le sait malléable, et qu'il a vu des protestants renoncer à toute
idée de révélation, sans cesser de se dire protestants ni d'appartenir a des communau-
tés protestantes. Et lorsque Guyau a proposé le programme de l'irréligion de l'avenir

1. Comte Goblet d'.4lviella. Sénateur, membre de l'Académie royale de Belgique, professeur

à ruuiversité de Bruxe.les. Croyances, rites, instilutions. Tome I. Archéologie et histoire reli-


gieuse, Hiérographie: Tome II. questions de méthode et d'origine. Hiérologie: TomellI. Problèmes
du temps présent, Hiérosophie, in-8 de ss-.3»G pp.; 412 pp.: 386 pp. Paris, Geuthner, VJll.
"
302 RE>TE BIBLIQUE.

il a d'abord trouvé ce terme un peu cru, mais Tod voit assez clairement que le mot
l'effraie plus que la chose, et, flnalement, il passe condamnation sur le mot, avec
un aimable sourire III, 13-5 .

Un sourire un peu ironique, peut-être, et nous aurions tort d'insister sur une pa-
role de politesse. Quelle est, dans ses termes à lui, la formule de M. Goblet d'Al-
viella? C'est celle des « esprits larges et éclairés » qui pensent « que toutes les reli-

gions renferment une part de vérité, mais seulement une part, et qu'à ce point de
vue, elles se complètent les unes les autres, sans cependant épuiser, même dans leur
ensemble, l'idéal dont elles ont pour mission de nous rapprocher sans cesse... C'est
ma conviction personnelle qu'un syncrétisme de ce genre, s'il n'est appelé à fournir
la forme définitive de la religion, entrera du moins pour une large part dans la
'> religion » de l'avenir » ,111, 13-5;. Une mosaïque alors? ou plutôt un mélange chi-
mique.^ l'éclectisme, délogé à jamais delà philosophie, serait destiné à fournir la so-
lution du problème religieux? Qui indiquera les bons éléments, précisera le dosage,
dira le temps de la cuisson? Vraiment on s'étonne de rencontrer cet empirisme
sous une plume si distinguée. Prendre partout ce qu'il y a de meilleur, peut être
une bonne recette pratique, mais concilier les contraires ou même les contradictoi-
res est une besogne ardue pour un philosophe. Aussi bien, cette conception ne se
concilie guère avec ce que nous lisons ailleurs. Ce que désire l'auteur, ce n'est point
une synthèse, qu'il doit savoir impossible; il se contente de ce qui n'est pas même
un résidu. L'objectif qu'il poursuit, c'est, d'une façon négative, « la disparition du
principe d'autorité en matière de croyance » et, d'une façon positive, « la réalisation

la plus large et la plus féconde de nos rapports avec l'universalité des être?, non
seulement des êtres réels et vivants, mais encore des êtres « possible et idéaux »

iIII, 532i. Serait-il aisé de dire plus clairement qu'on ne tient aucun compte des
deux données fondamentales de toutes les religions, qui toutes supposent l'autorité
en matière de croyance, et regardent comme réels les êtres auxquels vont leurs hom-
mages? M. Goblet joue sur les mots. Il l'a avoué très gentiment, en se déclarant dis-

posé à dire irréligion, pour ne pas se brouiller avec l'iulortuné Guyau, plus épris
de logique et de clarté.

Je n'ai point dit plus sincère, car il est évident pour tout lecteur que M. Goblet
d'Alviella a poursuivi ses études avec une parfaite sincérité. Il faut même lui savoir
bon gré d'avoir mis à jour les contradictions oîi Guyau s'est enlisé, d'avoir opposé
un scepticisme de bon aloi à des généralisations prématurées, d'avoir dégonflé par le
simple usage du bon sens plus d'une théorie prétentieuse, surtout d'avoir compris le
changement qui s'opère dans les esprits au sujet de la religion. Il a noté, comme tout
le monde, que le pur rationalisme, si sur de ses exigences il y a quarante ans, recu-

lait comme étonné devant la profondeur, l'universalité, la bienfaisance du sentiment

religieux. Ce qu'on est en droit de nous demander, dit-il très noblement à la fin de
sa préface, « que nous exposions les thèses contraires aux nôtres d'une façon
c'est

suffisamment objective... c'est ensuite que nous ne dissimulions pas les points faibles

de nos solutions préférées: c'est enfin que nous ne perdions jamais de vue l'impossi-
bilité de demander aux sciences « morales et politiques », comme on les appelait —
naguère, en y comprenant la sociologie religieuse. — le degré de certitude exigible
des sciences exactes » (I, xx\
Et en même temps
qu'il constate dans la science indépendante moins de dédain et de
un désir sincère de comprendre, qui ne va pas sans une certaine sympathie,
parti pris,
M. Goblet d'Alviella semble prendre plaisir dans sa préface, dont le ton est beau-
coup plus conciliant que celui de ses anciens articles, à constater chez les catholi-
BULLETIN. 303

qiies les mêmes preuves de bonne volonté à ne pas gêner la recherche scientiGque
sur le terrain qui est le sien. C'est ninsi. et non point par une synthèse chimérique,
qu'on peut espérer de s'entendre.
Ce n'est pas sans un peu d'humour, d'ailleurs de très bon goût, que le savant
belge oppose l'ancienne défiance des catholiques pour l'histoire des religions à l'en-
irain qu'ils mettent aujourd'hui à pratiquer la méthode comparative. Ce zèle ne va
pas jusqu'à repousser le concours des compétences dans l'étude des faits. Nous pou-
vons donc, comme l'a sugf:éré finement le R. P. Pinard, marcher d'accord dans la

hiérographie. Les discussions dans la hiérologie n'auront pas toujours de fâcheux ré-
sultats; là aussi, on pourra souvent se rencontrer, en partant de points opposés. Et
(juaud nous aurons constaté que la raison est partout impuissante a résoudre le pro-
i»lème religieux, et que les religions ou plutôt la religion qui l'a résolu de la manière
qui semble à notre raison la seule satisfaisante, nous aura dit qu'elle tient ses lumières
de Dieu, on ne s'étonnera pas que nous Lui demandions, même ceux qui l'ont d'a-
bord nommé l'Inconnaissable, ce supplément de lumière dont laraison sentie besoin.

Nous ne pouvons ici que signaler l'intérêt du livre de Al. Curlis sur l'histoire des
Crnlo et des confessions de foi l . Il s'étend même en dehors de la religion chré-
lienne. mais c'est surtout une revue
nombreuses confessions de foi
très rapide des
([ui prétendent se rattacher â l'Évangile. Le nombre en est considérable, et on sera

bien aise d'en posséder l'esquisse très rapide [2 L'auteur a d'ailleurs compris que .

ce mouvement qui s'est produit, dans le centre ou à la périphérie du christianisme,


prouve son pouvoir tout à fait exceptionnel de faire appel aux instincts intellectuels
de l'humanité. Il semble qu'il a compris aussi que, dans le christianisme, il n'y a plus
que deux formes de croyance, celle de l'Eglise catholique, qui conserve tous ses
l'icdo, en développant la foi initiale sans l'altérer, et celle qui laisse à chacunla liberté
de fixer sa foi. Il souhaiterait un Credo idéal qui pût contenter tout le monde, même
et surtout ceux qui réservent toute leur liberté de croire ou de ne pas croire et — —
il faut naturellement qu'il soit aussi réduit que possible. Il propose en terminant de
s'en tenir à la confession de S. Pierre. Mais est-il certain que tous ceux qui se disent
encore chrétiens l'entendent de la même façon et si lui-même l'entend de l'hommage
.^

rendu à Dieu, connu par Jésus, simple homme comme nous, comment proposer ce
Credo à la grande Église qui vit de sa foi au Dieu incarné? Il n'est que juste de le
dire : l'auteur a toujours le ton digne et respectueux qui convient au sujet.

Le R. P. Kortleitner, auteur d'un ouvrage sur le Polythéisme, continue ses études


dans le même sens et avec la même méthode (cf. RB., 1909, 154 s.i. Son nouveau
livre (3) promet de traiter des causes du polythéisme, d'après l'Écriture sainte et les
Pères de l'Eglise, puis du temps et du lieu 4 où le polythéisme prit naissance.
Dans la première partie, l'exégèse du début de l'épitre aux Romains joue un grand
rôle comme il est naturel, et cette exégèse en vaut une autre, mais on est étonné de
la conclusion que l'auteur en tire. Voici la thèse : Deum inde ah origine mundi ope-
ribus suis tain clore hominibus sese ostendisse, ut eos Intere non posset, ex sacrarum

;i) A of Credo and Confessions of Faith, in Christendom and Beyond. witli historical
Hii<lorij
tables, bj" William A. Ciktis B. D.. D. Litt. EdiD.'. p rofessor nf systeiuatic llieology in llie uni-
versity of Aberdeeu. in-8' de xix-:K)2. pp. Edimbourg Clark. l'JlI. ,

2) A propos du Qv.icum<iue, que .M. Curlis estime originaire de France, lire l'article de doni
Morin [The Journal of Theological Sludies. XII 1911). p. :«" ss.) qui le rattache à l'Espagne.
,3) De pohjtlieismi origine, (juac sit diiclrina sacrarum litierarum patruinque ecclesiae. scripsit

Kranciscus Xav. KouTLEiiNEr., .ibbatiae wiltinensis canonicus regularis, in-s" de i\-I.jO pp. Inns-
brucli, 1911.
4) P. VIII : nv.o te.mpore el quo loco...
304 REVUE BIBLIQUE.

lilterarum patrumque eccicsiae doctrina deiiwnstratur. Il s'a2;it bien entendu de la

connaissance de Dieu par la raison, d'après ses œuvres. La proposition concédée, on


ne voit vraiment pas comment l'auteur peut conclure : ex quo elucet pohjthehmum
non priorem quendam generis humani statum, sed defectionem a puriore Dei
fuisse
cognitione. En effet, il nV a aucune raison d'affirmer que les premiers hommes se
sont mieux servis que les contemporains de S. Paul de leurs lumières naturelles. La
conclusion est fondée il est vrai sur l'Écriture et sur les Pères, mais comme une
suite de la révélation primitive, non comme une conséquence de l'exercice par les
premiers hommes de leur pouvoir rationnel, dont nous ignorons absolument les effets.
Il semble, sauf meilleur avis, que toute celte premièie partie souffre de ce que l'au-

teur n'a pas distingué dans les textes ce qui se rapportait à la révélation primitive,
et ce qui devait s'entendre de la lumière de la raison.

Quant à la seconde partie, elle est plus étrange encore. S. Thomas a pensé que
l'idolâtrie avait commencé avec Abraham, et il a été suivi récemment encore, paraît-

il,par M. Rogge. Mais leur argumentation, dit sévèrement le R. P. Kortleitner, n'est


qu'un jeu sur les mots. Et il prouve, oh très solidement, en cinq pages d'une argu-
!

mentation très serrée, que le polythéisme est antérieur à Abraham. Il est même né
avant le déluge, et dès le temps d'Enos. Comme Adam, instruit par la révélation

primitive, a bien dû la transmettre à son fils, on se demande enfin quels sont les

premiers hommes qui ont connu l'existence de Dieu par la seule raison (1)? Il est

fâcheux que le R. P., si bien informé, ne nous ait pas fait connaître, comme il avait

paru le promettre, en quel lieu a commencé le polythéisme.

Nouveau Testament. — C'est une bonne fortune pour le public quand un


orienta liste comme M. Chabot traduit les évangiles (2). Son œuvre est entièrement
nouvelle, d'après la Vulgate. La traduction est plutôt littérale, sans faire violence au
français. Des notes expliquent les passages difficiles. L'introduction esta la fois lit-
téraire et historique. On peut y lire que l'Évangile de saint Marc a dû servir de source

à ceux de saint Matthieu et de saint Luc, et que les parties communes à saint Matthieu
et à saint Luc seuls paraissent également reproduire un document écrit, et tirent

probablementleur origine d'unedouble collection de sentences etdeparabolesdeJésus


7iil ohstat, a montré qu'il ne refu-
(p. 15*). iM. le chanoine Pasquier, en donnant le

sait pas de reconnaître la parfaite orthodoxie d'une opinion qui n'est pas la sienne. Des

cartes et des tables facilitent l'usage de ce charmant petit volume, imprimé avec une
parfaite netteté. On peut être assuré que cette édition des évangiles sera bientôt très
répandue et très populaire avec le sutlrage des esprits les plus cultivés.

Il faudrait une compétence toute spéciale pour rendre compte du livre de M. Voigt
sur l'histoire de Jésus et l'astrologie ^3). Il s'agit de l'épisode des Mages, au chapitre
deuxième de saint ^Matthieu. M. Voigt estime que l'aspect du ciel au printemps de
l'an 6avant J.-C. a déterminé les mages à croire à la naissance du Messie. Le 14 avril
de cette année, à peu près deux heures après le lever de la lune, et trois quarts

U) H s'agit bien, p. 18. de celte connaissance, certaine, quoique imparfaite et sine revelatione
divina,el c'est de celle-là que l'auteur dit .Sed liomincs jjroyrediente lempore avéra illa cogni-
:

tione defvcerunt...
(-2j Les S'tints évangiles, traduction nouvelle d'après la Vulgate, précédée d'une introduction
historique, et accompagnée de nombreuses noies explicatives a\ec cartes et plans, par J.-B.
CuAiîOT, docteur en théologie. In-IG de x-'JS'-iSO.
Die Gescliicftle Jesu iind die Astrologie, Eine religionsgeschichtliche und chronologische
(3)
Untersucliuiig zu der Erzalilung von den Weisen aus dem Morgenlande von U. Dr. Heinrich G.
VoiCT, a. o. l'rolessor der Tlieologie in Halle, mit einer Zeiciinung im Text und einer Tal'el, in-8»
de \i-'2X'> pp. Leipzig, Hiiirichs, l'Jll.
BLLLETLN. 305

d'heures avant le lever du soleil, Jupiter paraissait à l'horizon suivant Saturne et


Vénus. Les mages se mirent donc en route; et quand ils arrivèrent à Jérusalem et
eurent pris le chemin de Bethléem, Jupiter marquait la voie du sud et indiquait en
quelque sorte la maison de l'enfant, parce qu'il se trouvait alors à son point culmi-
nant dans le méridien de Bethléem yl). On
que M. Voigt admet nettement le
voit
caractère historique des faits racontés par saint Matthieu, sans serrer de trop près
l'exégèse des termes. Il supposerait plutôt que le récit evangéUque repose sur un
document antérieur plus temté d'astronomie.

Voici un titre peu ordinaire : Jésus le fils de Dieu ou Christologie primitive, trois
essais et une discussion (2); mais, s'il provoque la curiosité, il paraît, après la lecture
de l'ouvrage, tout à fait adéquat à l'intention de l'auteur. La discussion est menée de
façon très attrayante, avec cette subtilité platonicienne qui lui donne l'aspect d'une
causerie, alors que la trame des arguments est très serrée. Bref cet ouvrage serait
une très belle était possible de démontrer que le christianisme est né sans
œuvre, s'il

cause. Les trois essais sont intitulés Jésus fils de Dieu, Jésus fils de l'homme, Jésus
:

comme Seigneur, et la pensée de l'auteur est que Jésus s'est cru et s'est dit fils de
Dieu, mais ne s'est pas nommé lui-même fils de l'homme. Il s'est dit fils isans majus-
cule) de Dieu, parce qu'il a soutenu contre les Pharisiens l'ancien idéal messianique,
que tout Israël était et devait être le fils de Dieu. Se faisant le champion de cette
idée, il devait donner l'exemple en prenant ce titre. Les Pharisiens avaient absorbé
l'idéal d'une rétribution d'outre-tombe et l'avaient amalgamé avec les espérances
apocalyptiques d'un Messie vainqueur. Jésus s'inspire d'un messianisme moral et reli-

gieux : c'est celui-là qu'il prêche aux simples, au petit troupeau, et c'est pourquoi il

peut dire que personne que le fils ne connaît le Père, comme personne ne connaît
qui est le fils, c'est-à-dire qui est un fils, sinon le Père.
Donc M. Bacon ne songe même pas à voir en Jésus autre chose qu'un pur homme,
ce qui l'oblige à indiquer comment on s'est imaginé qu'il était Dieu. Attribuer tout à
l'influence de Paul est franchement impossible. Et nous ne sommes pas embarrassé
pour signaler dans un livre, dont nous reprouvons la thèse, d'excellentes pages. Elles
peuvent servir contre ceux qui prétendent que c'est Paul qui a imaginé de nommer
Jésus Seigneur, préexistant en Dieu, rédempteur du monde. Mais, dit Bacon, il n'au-
rait jamais édifié sa théologie sur Jésus de Nazareth, en prenant rang parmi ses dis-
ciples, si déjà Jésus n'avait été pour eux le Messie et le Seigneur. Cela posé, l'évolu-
tion de la pensée paulinienne n'est point tellement mystérieuse. C'était un phari-
sien, imbu de messianisme apocalyptique son idéal reconnu en Jésus, le reste allait :

de La difficulté était dans le point de départ. Paul n'aurait pas même songé à
soi.

tenir pour Dieu un homme tenu par les siens eux-mêmes pour un pur homme cru-
cifié. La théologie de Paul est une théologie d'incarnation : elle suppose que celui

qui en est le terme est déjà glorifié. Elle s'appuie sur celle de Pierre qui est une
apothéose. C'est ce qu'il faudrait démontrer, et M. Bacon, qui a récusé les témoigna-
ges clairs, ne peut se dissimuler qu'il lui manque des textes. Comment Pierre en est-
il comme Fils de Dieu, exalté à la droite du Père, celui qu'il avait
venu à regarder
abandonné au moment de la suprême épreuve? L'embarras est surtout grand pour

(1) Il faut t^ àvaTOÀÎQ signifle que les Mages ont \-u Jupiter « à son lever », et que
donc que sv

iaxibr, fou que Jupiter était à un point élevé au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
l<rrr,) signifie
On a peine à croire que l'astrologie etl'eségese se trouvent ainsi d'accord.
(i) Bt Benjamin Wisner Baco.n, DD., Litt. D.. LL. D., Buckingham Professer of New Testament

Criticism and InterpretaUoa in Yale Universitv, in-8^ de 101 pp. New Haven, l&ll. Sur le commen- :

taire de saint Marc par M. Bacon, cf. RB., 1909, p. 6o0 ss.
REVLK BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 20
306 REVUE BIBLIQUE.

M. Bacon, qui ne voit dans Marc qu'un évangile inspiré par Paul, inspiré par la foi

de l'Église entre 70 et 90, alors qu'il lui faut savoir ce qu'ont pensé les premiers
fidèles après la mort de Jésus.
Donnons ici à l'auteur, et sans aucune arrière-pensée, un éloge mérité. Il com-
prend très bien que la foi au Messie ressuscité ne s'est pas faite à coup de textes,

et, comme il le dit avec esprit, qu'elle n'est pas née dans le scriptorium. C'est la lon-
gue familiarité de Pierre avec Jésus, c'est ce qu'il a connu et compris de cette âme
incomparable, si unie à Dieu, si soumise à sa volonté, qui lui a fait comprendre que
Jésus était Bis de Dieu. Mais, si je ne me trompe, c'est toujours sans majuscule. Car
les plus admirables vertus de Jésus, sans prophéties, sans miracles, sans aucune dé-
claration de sa part, sans aucune apparition après sa mort, ces admirables vertus ne
prouvaient pas que Jésus fût plus grand que Moïse, plus grand qu'Abraham. Qu'on
songe à la mentalité d'un Israélite! C'est un des excellents traits de M. Bacon d'avoir
compris que Jésus n'est pas un illuminé, dominé par l'idée des foudroyantes apoca-
lypses. Le messianisme de Pierre n'était pas le sien. Il faudrait donc que Pierre, au
lendemain de la mort de Jésus, ait compris que c'était Jésus qui avait raison avec ses
idées morales et religieuses... mais d'autre part, cela équivalait à reconnaître qu'il
n'était pas le Messie. Et quand Pierre aurait consenti, sans autre cause que son admi-
ration et son amour, à nommer Messie celui qui, par hypothèse, n'aurait fait aucun
acte qu'on pût de bonne foi nommer messianique, comment faire partager sa convic-
tion à d'autres? M. Bacon sait très bien quel jour Pierre se convertit, et avec lui le

premier noyau de fidèles : ce fut le jour de la Pentecôte, qui était un dimanche, et


dont le souvenir fut plus tard remplacé par celui de la Résurrection. Mais il ne nous
dit pas par quel prodige fut déterminée cette conversion, et comment Pierre et ses
frères comprirent que Jésus, qui s'était dit lils de Dieu, comme le type de l'Israélite

repentant, avait été e.xaltépar Dieu jusqu'à être le Fils de Dieu d'une apothéose. Or,
rappelons-le, sans l'apothéose selon Pierre, l'incarnation selon Paul ne saurait être
Le dernier mot de M. Bacon est: « L'auteur dernierde notre Christologie est
justifiée.

Jésus lui-même ». Oui, mais sans équivoque; non parce que Pierre a changé le sens
du mot Fils de Dieu, mais parce qu'il l'a compris.

M. le Dr. Schumacher a consacré une monographie soignée (1),


à saint Etienne
exégèse des pages des Actes où du premier martyr. Il ne croit pas que
il est question

Luc ait ici suivi plusieurs sources; l'unité du discours est maintenue; les diver-
gences qu'il contient par rapport à la Genèse ne sont point dissimulées par des
échappatoires artificielles. Avec Melchio r Cano. M. Schumacher note que saint
Etienne, quoique rempli de l'Esprit saint, ne jouissait point du charisme de lins-
piration pour prononcer son discours, et que Luc, qui, lui, était inspiré, n'avait qu'à
le reproduire tel quel. Le discours est à bon droit regardé comme authentique. Saint

Etienne a été lapidé dans un mouvement populaire; il n'est point nécessaire de sup-
poser que la Judée n'avait point alors de procurateur présent. Les sanhédrites ont
précisément échappé à la difQculté de lui demander une sentence de mort en laissant

les ennemis d'Etienne précipiter les choses. —


Ce n'est pas impossible en soi. Mais
avec le caractère de Pilate. on ne s'y serait probablement pas hasardé. L'ouvrage —
est dédié à M^'' Bludeau, évéque d'Ermland, qui cueille ainsi un fruit de son ensei-
gnement si distingué.

(î) De»" diacon Slephanus. von Dr. Rudolf Schumacher, fait partie des Neuteëtamentliclie Abliand-
lungen, éditées par M. Meiuertz. ni, 4: in 8" de ix-136 pp. Munster, Aschendorff, 1910.
BULLETIN. 307

Le R. P. K. Six, de la Compagnie de Jésus, a consacré une intéressante étude au


Décret des Apôtres (1) (Act. 15, 28-29). Deux parties : L L'originedu décret; H. Son
autorité pratique dans les quatre premiers siècles. La première partie — la biblique
— est dans les lignes générales de l'article de M, Coppieters qui a paru ici même
{RB., 1907, 31-58; 218-239). Même préférence pour le texte oriental que le R. P.
nomme même le texte canonique, même conciliation entre le décret, la doctrine et la
pratique de saint Paul. L'étude du texte est moins complète, mais le R. P. a insisté
davantage sur l'Ancien Testament et les usages des peuples sémitiques.
D'après lui le décret ne visait que les communautés en relations avec les judéo-
chrétiens, ce qui supprime beaucoup de difficultés.

Cornélius a Lapide est toujours bon à lire, et par conséquent à réimprimer; son
Commentaire des épîtrcs de Saint Paul est d'ailleurs plus à jour que le reste, parce
que l'exégèse de saint Paul a évidemment moins gagné que celle de l'A. T. aux pro-
grès de l'histoire, et a été moins agitée que celle des Évangiles. M. le chanoine Pa-
dovani, professeur au grand séminaire de Crémone, a donc été bien avisé de faire
pour les épîtres paulines ce qu'il avait fait pour les Évangiles (cf. RB., 1896, 136) :

rééditer La Pierre en y ajoutant quelques notes (2). Ses travaux antérieurs sur saint
Paul lui facilitaient la tâche (cf. RB., 1894, 295). Les notes sont judicieuses, ayant or-
dinairement pour but de rectifier ce qui est absolument insoutenable dans le commen-
taire : attributions fausses de certains ouvrages, contre-sens empruntés à la Vulgate,

etc. On verra par exemple à propos de I Thess. iv, 14, que l'annotateur ne refuse
pas d'enregistrer certains progrès de la critique. On estimera seulement que le titre

n'est pas suffisamment justifié, et que ces maigres et rares notules ne peuvent avoir
la prétention de mettre Cornélius a Lapide au niveau actuel de la science sacrée. C'est
toujours l'ancien commentaire, avec ses qualités et ses défauts — dont quelques-uns
sont signalés, — et l'absence de toute bibliographie ne permet même pas aux étu-
diants de s'informer ailleurs. Mais enfin chacun poursuit son but, et M. Padovani a
très correctement fait ce qu'il se proposait de faire.

Le petit commentaire de Vépitre aux Galates (3), par M. A. Lukyn Williams, est
précédé d'une introduction sur les points ordinaires et suivi de quelques notes plus
développées. Les Galates sont ceux du Nord, selon l'opinion ancienne, car l'auteur
n'a pas été converti par les brillantes dissertations de M. Ramsay. L'épitre a été
écrite peu avant l'épitre aux Romains, et assez longtemps après le Concile de Jéru-
salem. C'est à cause de ce laps de temps écoulé que Paul n'a pas allusion au\ fait

comprenant qu'elles ne pouvaient avoir une importanca


interdictions alimentaires,
durable pour les communautés des Gentils. L'auteur parait hésiter sur l'année, puis-
qu'il assigne comme date l'automne de 55 ou l'hiver de 55 à 56, mais en conservant

,1) Das Aposteldekret, Seine Entsteliuug und Geltung in den ersten vier Jahrlmnderten, von
K. Six s. J. In-8'> de Innsbruck, Rauch, 191-2. C'est le cinquième numéro des publica-
xx-lGtJ pp.
tions biblico-patristiques, inaugurées par le R°"' Père Lêopoid Fonck.
(•2) Commentaria tiiomnes sancti Pauli epistolas R. P. Cornelii a Lapide e socielate Jesu S.
Scripturae ollm Lovanii,postea Romae professoris, recognovitsubjectisque notis illustravit, emen-
davit et ad praesenlem sacrae scientiae statum adduxit can. Antonius Padovani, philos, ac. s.
Tlieol. doclur Sacrae Scripturae et theol. dogniat. in seminario Cremoneusi professor aique epi-
scopi vicarius generalis. Tomus I, in epistolas ad Romanos et I ad Corinthios, in-8° de xv-o63 pp.
1!K)9; Tomus II, in epistolas II ad Corintliios, ad Galatas, ad Ephesios, ad Piiiiippenses, ad Colos-
senses et letll ad Tliessalonicenses, 60:i pp. loil, Turin, Marietti.
(3) The epistle of Paul t/ic AposHe to t/ie Galatians, edited by A. Lukw Williams B. D. Vicar of
Guilden Morden and Examining Cliaplain to Ihe Lord Bistiop of Durham, with introduction and
notes (Cambridge Bible for Schoots and Collèges). In-16 de l(i-126 pp. Cambridge, at Ihe Univer-
sity Press, 19H.
308 REVUE BIBLIQUE.

entre parenthèses les dates de 57 et 57 à 58. Il n'est fait aucune allusion à l'inscrip-
tionde Delphes. M. Williams se donne pour un disciple très convaincu même un —
peu farouche —
de S. Paul, et déplore que le grand apôtre ait été définitivement
vaincu dans sa lutte pour affranchir le christianisme du légalisme !

M. Steinmann a repris l'examen si discuté de ce passage de la première aux


Corinthiens ;I Cor. 7, 21) où S. Paul parle de Vesdave qui peut être affranchi (1).

L'apôtre lui conseille-t-il d'user de la liberté, ou de ne songer qu'à sa vocation chré-


tienne, demeurant indifférent à sa situation sociale"? Les deux opinions ont été sou-
tenues, et sont encore en présence, quoique l'exégèse actuelle incline vers la seconde
solution. M. Steinmann conclut que le passage, isolé, ne fournit pas les éléments
d'une solution nette, mais il opine que l'ensemble de la doctrine de l'apôtre est en
faveur de la liberté. Il traduit donc : « Tu as été appelé étant esclave? Ne t'en fais
pas de souci! mais si tu as la possibilité de devenir libre, uses-en plus volontiers ».

M. Behra a traité avec ampleur


le sujet de l'imposition des mains dans le christia-

nisme primitif Le titre complet du livre en indique la division. C'est d'abord


{2).

l'examen des textes du N. T., non sans faire une place à la critique littéraire des
sources pour en pénétrer le sens. Des textes, l'auteur remonte à l'origine de l'usage.
Il n'admet aucune influence des rites employés dans les mystères d'Isis et de Mithra,
quoiqu'il ait noté des traces d'imposition des mains dans ces mystères. Quant aux
Mandéens et aux Manichéens, ils ont plutôt emprunté au christianisme. Le rite de
l'imposition des mains, joint au baptême comme rite d'initiation dans l'Église primi-

tive, est donc un rite nouveau, sans être une création absolument originale, puisqu'il
se rattache à diverses manifestations semblables dans l'Ancien Testament, qui ont
abouti chez les Juifs à l'ordination des Rabbins par l'imposition dés mains. Après ces
deux premiers chapitres, M. Behm se demande dans un troisième quelle est la signifi-
cation du rite de l'imposition des mains, soit telle qu'elle a été pratiquée par Jésus,
guérissant les malades, soit telle qu'elle a été fixée par l'Église comme signe de la
communication du Saint-Esprit. A propos des guérisons de Jésus, l'auteur déclare
sans ambages que Jésus n'a pas entendu exercer seulement une influence psychique
Cette dernière solution peut plaire aux modernes qui ne veulent ni admettre davan-
tage, ni consentir à ce que Jésus ait pensé autrement qu'eux elle est contraire aux ;

textes. Jésus, qui avait conscience de sa dignité messianique, a opéré des guérisons,
précisément parce qu'elles ressorlissaient au rôle du Messie, et M. Behm, qui appartient
à l'école conservatrice d'Erlangen, semble bien admettre qu'en effet la puissance de
Dieu qui était en Jésus le poussait à guérir, et opérait par lui des guérisons. Cependant
Jésus ne voyait pas en cela une opération pour ainsi dire naturelle de son corps, in-
dépendamment de sa volonté, et si Marc et Luc lui prêtent cette manière de penser,
c'est qu'ils ont représenté les choses sous un faux jour. Le scrupule, pour le dire en
passant, est exagéré, et il n'est pas nécessaire de supposer que Marc (5, 30) ait regardé
le miracle de l'hémorroïsse comme le résultat d'une action magique du corps de Jésus.
Les mêmes considérations reviennent à propos de l'imposition des mains destinée
à communiquer l'Esprit-Saint. L'Église primitive y a-t-elie vu une sorte de sortilège
opérant nécessairement, mécaniquement, et comme naturellement son effet? M. Behm

(1) Paulus und dieSklaven zu Korinth, I Cor. 7, 21 aufs neue untersucht, von Prof. Dr. Alphons
Steinmasx. In-S» de iv-78 pp. Braunsberg, Grimme, 191).
(2) Die Handaufleyung im Urchristentum nacli Verwendung, Herkunft und Bedeutung in reli-
gionsgeschichtlichera Zusammenliang untersucht von Lie. Joliannes Behm, Répètent der Tlieologie
an der Tniversilât Erlangen. In-8° de viii-207 pp. Leipzig, Deichert, 1911.
BULLETIN. 309

proteste et répond par le cas type du refus indigné de Pierre aux propositions de
Simon le Magicien qui l'entendait sans doute ainsi. Plutôt serait-il exact de dire que
l'imposition des mains était un pur symbole, puisqu'elle était accompagnée de la

prière qui Implorait le don de l'Esprit. Mais c'est encore avec raison que cette solution
ne lui paraît pas exprimer tout le sens des textes. Quoi donc? L'imposition des mains
était bien un symbole, mais un symbole efficace, un symbole qui agissait, qui opérait
le résultat qu'il signifiait. On ne saurait mieux dire, et il n'y a qu'à donner acte de
ces conclusions au nom de la théologie catholique. Par malheur, M. Behm se croit
obhgé d'excuser l'Église primitive qui ne savait pas distinguer comme nous entre le
corps et l'esprit. S'imaginant que tout esprit avait encore quelques particules maté-
rielles, si affinées qu'elles soient, les premiers chrétiens croyaient que l'esprit pouvait
donc se transmettre comme un fiuide. Et nous ne nions pas que la distinction très
nette entre les esprits et les corps n'ait exigé, même dans le christianisme, beaucoup
de réfiexions, prolongées très longtemps, mais ce point n'est pas décisif dans la ques-
tion de l'action des sacrements. Serait-ce un progrès de la philosophie moderne, qui
distingue si bien le corps et l'esprit, de dénier à l'esprit toute action, parce qu'il ne
peut exercer cette action par un fluide matériel ? Physique et corporel sont-ils donc
synonymes, et l'esprit n'a-t-il ni réalité physique, ni action physique? M. Behm sou-
haite en terminant que le christianisme d'aujourd'hui s'inspire de l'énergie et de la
profondeur du sentiment religieux ancien, de ce sentiment donc qui voyait dans le

rite l'action immédiate de Dieu, conditionnée cependant par une action humaine. Mais
c'est précisément ce qu'enseigne l'Église catholique en disant que les sacrements
opèrent ex opère operato. M. Behm qui a si bien montré quel fut le sentiment de
l'Eglise primitive, n'avait qu'à regarder pour le retrouver parmi nous, et il n'aurait
pas dû employer la formule de ex opère operato à propos de la conception magique de
l'imposition des mains (p. 189), pour marquer une simple manipulation qui ne man-
que jamais son effet, dépendant de sa vertu propre et naturelle.

La dissertation que M. Rùcker a consacrée aux homélies de saint Cyrille cV Alexan-

drie (1) sur saint Luc est un très brillant début, et manifestement le résultat d'un
travail considérable dont il ne donne au public que les résultats. L'entreprise était des
plus ardues de déterminer ce qui appartient vraiment à Cyrille dans les différentes
Catenae, et de se faire une idée juste de son exégèse, en s'appuyant tantôt sur ces
épaves du texte grec, tantôt sur la traduction syriaque des homéUes publiées par Payne
Smith. Et cependant, M. Rûcker, mettant d'ailleurs à profit les travaux de M. J. Sic-

kenberger sur Titus de Bosra et sur Nicétas d'Héraclée, a orienté le lecteur avec
beaucoup de clarté, soit sur l'authenticité des textes grecs, soit sur la valeur de la
version syriaque, soit sur le caractère des homélies elles-mêmes. Il conclut des allu-
sions doctrinales qu'elles ont été composées après que la controverse nestorienne eut
éclaté, probablement même après que Cyrille eut publié ses anathématismes. Les homé-
lies, thème l'évangile de saint Jean, se rapprochent
postérieures à celles qui ont pour
davantage de l'exégèse M. Riicker dresse une liste des passages les plus re-
littérale.

marquables en ce genre; une homélie n'est point un commentaire, et ces passages sont
peu nombreux. En appendice il publie pour la première fois et traduit en allemand
des fragments syriaques d'homélie qui se trouvent à Berlin. On peut dire qu'il s'est

qualifié pour une édition du grand docteur alexandrin.

(1) Die Lukas-Homilien des Hl. Cyrill von Alexandrien. Ein Beitrag zur Gesctiiclite der Exégèse,
von Adolf RvcKER, D'^ theol. et Phil. Domvikar in Breslau. In-8 de 102 pp. Breslau, Goerlich et
Cocli, 1911.
310 REVUE BIBLIQUE.

Le R. P. Louis Mariés, S. J., a exposé dans la Revue de Philologie (1) les raisons qu'il
a d'attribuer à Diodore de Tarse un conmentaire sur les psaumes, contenu dans le
ms. Coislin, 275. C'est le R. P. Lebreton qui le premier a appelé l'altentioa sur ce
vas. Le R. P. Mariés a constaté qull contient les fragments attribués à Diodore par
la catena gr. 139. De plus le caractère de l'exégèse, sobre et historique, paraît bien
répondre à l'idée de l'école d'Antioche. La publication de ce document important, à
laquelle le P. Mariés ne peut se dérober, sera donc un événement pour l'histoire de
l'exégèse des Pères.

L'édition de la Chronique d'Eusèbe de M. J. Karst (2) (dans la collection des écri-


vains ecclésiastiques de l'Académie de Berlin) est certainement en progrès sur toutes
ses devancières, du texte arménien dont elle présente la
au point de vue de la qualité

traduction. Tandis que les traductions d'Aucher et deZohrab (1818), et la revision de


Petermann pour la publication de Schoene ont pour base le manuscrit de Jérusalem,
apporté à Constantinople vers 1787, celle de M. Karst suit avant tout un codex de la
bibliothèque métropolitaine d'Etchmiadzin, jusqu'ici inutilisé, et qui représente un
état du texte plus satisfaisant que le ms. de Jérusalem. Suivant le programme de la

susdite collection, la traduction est allemande; la disposition du canon est très claire.

Au lieu de faire remonter la version arménienne au iv^ et au v« siècle, M. Karst la


date de la fin du vi^ ou du vii" siècle. Il lui reconnaît une valeur supérieure à celle
de saint Jérôme. C'est donc à cette nouvelle interprétation qu'il faudra recourir
pour serrer de plus près le texte perdu de la Chronique d'Eusèbe. Quant au travail de
Schoene, si la traduction arménienne qu'il renferme n'est plus î<p to date, il est encore
à consulter, à cause des chroniques dérivées de celle d'Eusèbe qui y sontcompilées.

L'enchiridion patristique élaboré par le R. P. Rouët de Journel (3) mérite de


prendre place à côté de l'Enchiridion des symboles et définitions conciliaires de
Denzinger; il est appelé à rendre les mêmes services que ce dernier à la gent stu-
dieuse. L'auteur ne s'est pas dissimulé qu'une collection manuelle ne saurait être
complète; d'autre part, il est évideot que l'étudiant en théologie a besoin d'un guide
expérimenté pour se reconnaître rapidement au milieu de l'énorme production litté-

raire que représentent les Patrologies. Lui mettre en mains les pensées les plus sail-

lantes des anciens auteurs ecclésiastiques, les passages où leur position dogmatique
s'affirme avec le plus de précision, débarrassés des hors-d'œuvre et des développe-
ments accessoires où ils sont noyés, voilà le mérite du savant compilateur. Les textes
publiés s'échelonnent de la Didachè à saint Jean Damascènc; placés par ordre chro-
nologique, sous le nom de leurs auteurs respectifs, ils portent des numéros de repère
auxquels renvoie un index théologique, méthodique et détaillé. Les textes grecs
sont accompagnés d'une traduction latine. Outre les passages des Pères, l'enchiridion
contient des documents importants tels que l'épitaphe d'Abercius, le fragment de
Muratori, l'hymne tpœç ïXapdv, daté du ii^ ou du iii« siècle, et que l'on chantait
encore au x*^ siècle, à l'office du lychnicou du Saint-Sépulcre. L'exécution typogra-
phique, qui ne laisse rien à désirer, facilite l'usage de ce manuel dont la disposition

est des plus heureuses.

Le R. P. Le Bachelet a fourni une contribution non seulement assez sérieuse


comme il le dit modestement, mais très précieuse, à l'histoire de la Bible sixto-clé-

(1) Tome xxxv, d" livraison.


(•2) Die Chronik des Eusebius aus dem Armenischen ûbersetzt; in-8° de lvi-319 pages. Leipzig,
Hinrichs. 19H.
(3) Enchiridio II patristicum, in-8» de xxiv-887 pages; Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1911.
BULLETIN. 311

mentiae, en éditant des documents nouveaux relatifs à ses mystérieux débuts, et en les

expliquant au lecteur avec beaucoup de clarté {[]. On le lit comme les amateurs lisent
les romans au moment de pénétrer les dessous du secret qui les passionne. C'est la

grande figure de Bellarmin qui est en scène, disons même sur la sellette, et les admi-
rateurs du savant cardinal souhaiteraient que le R. P. eût réussi à le justifier du reproche
d'avoir manqué de franchise, en conseillant au pape Clément VIII et à ses conseillers

de prêter à Sixte-Quint l'intention de remettre sa Bible sur le métier. Le R.P. Le Ba-


chelet, lui, ne manque pas de franchise. Il publie les pièces connues, il en ajoute d'autres,
il attribue avec certitude à Bellarmin le jugement sur l'opportunité de publier la Bible
revisée. Or, cette pièce est vraiment décisive dans un sens peu favorable — je ne dis
pas à Bellarmin, dont les intentions étaient très pures, — mais à la réhabilitation du
procédé employé : et inpraefatione navreturl... Ce xabretur n'est-il pas l'aveu qu'on
va raconter quelque chose dans un but qui n'est pas simplement celui de rapporter
des faits? Ce but,Ange Rocca l'a parfaitement déterminé Particxda praefationi sa- :

crorum Bibliorum inserenda pro dignitate sedis apostolicae sei'vanda (p. 97). Le R.
P. Le Bachelet est trop loyal pour approuver cette manœuvre si bien intentionnée,
puisqu'il la qualifie d' « expédient», c'est-à-dire de « moyen de se tirer d'embarras
dans une conjoncture délicate » (p. 101), mais il proteste contre les termes de men-
songe et de mystification, comme si Bellarmin et tant d'autres avec lui avaient créé
de toutes pièces une légende. Pas de gros mots, soit; et de toutes pièces, non, car on
savait que Sixte avait toujours corrigé son œuvre et l'on s'est cru autorisé par cela
même à préjuger son intention (2). Mais puisque Bellarmin a eu à cœur la dignité

du Siège Apostolique, elle ne doit pas nous être moins chère, et rien n'a fait plus d'hon-
neur à ce Siège, dans le procès de canonisation du vénérable serviteur de Dieu, que
de se refuser à couvrir de son autorité un... disons « expédient » imaginé pour lui

rendre service, mais qui n'était pas conforme à la parfaite droiture. Le R. P. a mon-
tré, pour innocenter Bellarmin, que les plus hautes personnalités de l'Église et de la
Compagnie ont suivi la même hgne de conduite. Elle était donc, elle ne pouvait être
que parfaitement justifiée! Mais cette argumentation perd un peu de son effet, lors-

qu'il faut enfin consentir à 1' « expédient ».

Bellarmin a proposé une solution qui a séduit, et il a entraîné les suffrages. Et c'est
peut-être ce qui rend sa faute — objective — moins aisément excusable. L'auteur
tient aussi beaucoup à ce que la Bulle n'ait pas été promulguée, quoiqu'elle soit datée
du mars et que les cursores du Vatican déclarent l'avoir affichée le 10 avril. Et il
1"'"

n'hésite pas à faire sienne la suggestion du P. Azor, que, « dans son impatience d'en
finir, Sixte-Quint aura fait consigner d'office, par anticipation, le certificat d'affichage »

(p. 87). Alors c'est Sixte-Quint qui a mis tout le monde dans l'erreur... était-ce un
expédient ou une mystification? Et, s'il promulguer
voulait en finir, que ne faisait-il

la bulle au lieu de faire écrire qu'elle l'était! Quoi qu'il en soit, on peut dire que le

point d'histoire est maintenant beaucoup mieux éclairci. Le R. P. Le Bachelet a fait


office d'historien de la façon la plus distinguée nous pouvons nous en remettre aux;

théologiens pour qualifier l'acte au point de vue moral.

(1) Bellarmin et la Bible Sixto-Clémentiae, étude et documents inédits par le R. P. Xavier-


Marie Le Bachelet, S. J., Professeur de théologie à Ore Place Hastings. In-8' de xi-210 pp. Paris,
Beauchesne, l'JH.
(2) Sixte-Quint est mort le 23 août 1390. D'après la lettre d'Olivarès du 28 mai, le Pape lui avait
fait envoyer la Bible en déclarant qu'il n'y aurait pas désormais d'autre Bible, que no avia de
aver oira biblia de aqui adelante (p. 19i). Quand il se seiait occupé encore après à de menues
corrections, cela n'indiquerait pas qu'il ait changé d'opinion sur le fond. Il était plutôt obstiné
que versatile. Bellarmin, absent de Rome depuis octobre IbS'J, n'y rentra que le 11 nov. 1390. Le
procédé dont il prit la responsabilité a pu lui être soufflé
312 REVUE BIBLIQUE.

Ancien Testament. — On a traduit en anglais La Source du Fleuve chrétien (1)

de M. Edouard Dujardin (RB., 1906, 497}. Le livre étant demeuré sensiblement le


même, il nous est impossible de modifier notre manière de voir à son endroit. L'au-
teur estime que les papyrus d'Assouân confirment son opinion que le Pentateuque a
été rédigé durant le iv^ siècle avant J.-C, et au début du m". Il pense toujours que
les prophètes, Jéréraie, Ézéchiel, Isaïe, les petits prophètes sont encore postérieurs.
Heureusement il n'y a aucun indice que la critique la plus indépendante et la plus
hardie — sauf, paraît-il, M. Whittaker — incline vers cette gageure de M. Maurice
Vernes.

Dans sa brochure De l'authenticité des livres d'Esther et de Judith (2), M. le vicomte


:

E. de Marsay prétend établir par de nouveaux arguments le caractère historique de


ces deux livres sacrés, sans se soucier aucunement de maintenir l'exactitude de ce
qu'il nomme des détails. On admettra difficilement qu'Assuérus soit Artaxerxès P"",

que nom d'Esther soit le même que


le celui de Vasti, que le livre de Judith raconte
un épisode du temps des Juges.

M.MaxL. Margolis (Dropsie collège) prépare une édition de Josué en grec, d'a-
près 54 et d'autres suivants la même recension, qui est celle du Codex K
le cursif

de Tischendorf. Il a préludé déjà à cette publication en éditant dans The american


Journal of semitic Languages and Literatures le textedums. Kavec un très riche ap-
parat critique etun commentaire textuel très copieux (3). M. Margolis ne se prononce
pas encore sur le caractère de la recension qu'il va éditer, mais on voit par les notes
que ce n'est sûrement pas celle d'Origène, et qu'elle procédait avec plus de respect
du texte même des Septante, où Origène n'hésitait pas à introduire des éléments
tirés du texte hébreu massorétique. Ce travail peut être considéré comme un mo-
dèle des travaux d'approche, minutieux, patients, avertis, qui permettront plus tard
de posséder un texte relativement rapproché de la traduction primitive.

On ne peut rien ajouter au soin avec lequel M. Tisserant a édité le ms. grec
palimpseste auquel il a donné le nom de Codex Zuqninensis rescriptus vêler is Testa

menti (4).
En réalité, — pour autant qu'il est question du texte sous-jacent, —ce sont bien six
mss. qui ont été groupés pour constituer un ms. syriaque, contenant une chronique,
attribuée à Denys de Tell Mahré jusqu'au jour où MM. Nau et Noeldeke ont dé-
montré que le célèbre patriarche jacobite ne pouvait en être l'auteur. La chronique,
composée probablement à Zouqnin, aux environs de Diarbékir, peut-être par Josué le
stylite, a donc été écrite sur des morceaux de parchemin contenant diverses parties

de la version des Septante, dont le texte avait été lavé. De la Mésopotamie le ms. a
passé au monastère de Sainte-Marie des Syriens, en Nitrie, où il a été acheté pour la
bibliothèque Vaticane par Joseph Simon Assemani. Quelques feuillets détachés sont
demeurés sur le sol jusqu'au jour (1842) où M. Tattam les acquit pour leBritish Mu-
séum. Le texte grec avait été aperçu et deux feuillets avaient été publiés par Tischen-
dorf et huit par Cozza-Luzzi, mais cent dix-sept attendaient le déchiffrement. M. lis-

(1) The Source of the Christian tradition, a critical history of ancient Judaism, by Edouard Du-
jardin, Revised édition, translated by Joseph M^ Cabe. In-S" de xvi-307 pp. London, Watts, 1911.
(2) lQ-8» de 41 pages, Geutliner, 1911.
(3) Octobre 1911, p. 1-35.
(4) Studi e testi (23,. Codex Zuqninensis rescriptus veteris Testamenti. Texte grec des manus-
crits Vatican syriaque 162 et .Mus. Brit. additionnel 14.GGC> édité avec introduction et notes par
Eugène TissER.vNT, in-8" de Lxxsv-2Tri pp., Roina, Tipograûa poliglotta Vaticana, 1911. Avec six
feuillets en ptio.totypie. Dédié à S. E. le cardinal Capecelatro.
BULLETIN. 313

serant s'est attaché à la lecture du srec, soit à Rome, soit à Londres, et c'est cette

série de fragments qu'il publie aujourd'hui. Au labeur du déchiffrement, poursuivi


sans l'aide d'aucun réactif à cause du mauvais état du parchemin, il a joint celui de

décrire les mss., de fixer leur âge et d'en classer le texte. Le grec est imprimé en
caractères cursifs, mais la disposition en colonnes et en lignes est conservée, avec
un apparat critique contenant les variantes des manuscrits apparentés.
Le premier ms. Zi contient des fragments des Juges (16. 29-19, 12: 19, 18-29;
20, 4-18; 20, 30; 21, ô). Il paraît être du vi'^ siècle. Ses leçons sont apparentées à
celles de K, 54, Théodoret. L'estime que fait M. Margolis du ms. 54 à propos deJosué
est confirmée parce qu'en dit M. Tisserantà propos des Juges. La recension estlucia-

nique.
Z" contient III Resn. 2. 19-25: 2, 35i-39; 2, 46?-3, 2:3,27-4, 9; 4, 28-6. 16;
7, 27-8. 33 ; 21. 26-39. Le ms. date du début du vi« siècle. On sait que de Lagarde,
dans son édition de ce qu'il a reconnu être le texte de Lucien, s'est appuyé sur les cur-

sifs 19, 82, 93, 108. Le ms. Z marche avec eux, mais plutôt avec 82 et 93 (auxquels
il faut ajouter 127 reconnu par M. Rahlfs) qu'avec 19 et 108, qui sont très infé-
rieurs. C'est donc encore le témoignage d'un oncial apporté à la tradition de Théo-
doret comme représentant la recension de Lucien.
Il n'en est pas de même de Z"^ (III Regn. 8, 58-9, 1 , du v* siècle, qui se range
parmi les onciaux déjà connus, plus près de B que de A.
Mais avec TP du vi^ siècle, nous revenons à Lucien, et à propos du psautier,
8, 1-9, 19; 9, 36- 12, 3; 13,1 - 16. 1 17. ; 3-29; 17, 39-48; 19, 9-21, 25; 21,
3-2 - 23, 2; 24. 9-19; 25, 8 -26, 4: 28, 3 - 29. 4; 30, 2-11 : 32. 21 - 33, 22;
35, 7 - 37, 11. C'est en effet à la recension de Lucien qu'on attribue encore le texte
courant du psautier, la vulgate grecque, distincte du texte des grands onciaux. Le
cod. Zuqnine?isis témoigne en faveur des cursifs par son texte, mais aussi en faveur
des onciaux, en conservant les formes de la Koinè, par exemple pour les aoristes
asigmatiques en a.

Zv un conglomérat de vingt fragments d'Ézéchiel (1, 9-25; 3, 1-18; 4. 16-


est

5, 11; 6. 11 - 9, 4; 22, 7- 23, 38; 24. 5-14: 25, 2-9: 26. 7-11 28, 10-16; 35,5- ;

38, 4; 39, 10-13; 39, 15-24: 40, 19-23: 41, 25 - 42. 12; 43, 11 - 44, 4;
44. 16 - 45, 13; 45, 20 - 46, 2; 46, 16-22; 47, b-14; 47, 17 - 48, 3). L'é-
criture marque le début du viii^ siècle. Le texte est lucianique. et paraît s'accorder
avec le cod. Vemtus et Théodoret mieux qu'avec les cinq cursifs qui représentent la
même recension. C'est doue un bon appoint pour l'établissement du texte.
Z" Ez. 36, 20-28; 37, 8-14; 41. 25 - 42, 7: 43, 11-18: 47, 19 - 48, 4 et
Dan. 3, 2-15), du vi® siècle au plus tôt, contient encore pour Ézécbiel un texte lu-
cianique. Les versets de Daniel sont de la traduction de Théodotion; M. Tisserant
n'a rien déterminé sur leur caractère, soit à cause de l'exiguïté du fragment, soit
parce que la question des recensions de Théodotiou est encore trop peu avancée.
Excellente contribution à la connaissance des Septante qui classe M. Tisserant parmi
les maîtres de la paléographie grecque et de la critique.

L'étude de M. Grosse-Brauckmann sur le texte du psautier que suivait Théodoret (!)


confirme la conclusion déjà reçue que ce Père suivait la recension vulgaire plutôt que
celle des onciaux, mais elle montre en même temps qu'il était encore, d'une façon

(1) MitteiluagendesSeptuasinta-Unteraehinens der kôniglichenGeselIschaflder wissenschaften


zuGôUingen. Heft -3 Der Psaltertext bei Théodoret. von Emil Grosse-Bracckmanx: in-S". p. 71-lOu.
:

Berlin, weidmann. ItHl.


314 REVUE BIBLIQUE.

assez sensible, sous l'influence de la tradition ancienne, représentée par le Vatica-


nus (B). L'auteur a eu connaissance de la publication de M. Tisserant, puisqu'il la

cite, mais peut-être trop tard pour l'utiliser d'une façon courante. Il eût constaté que
le codeœ 1 beaucoup plus rapproché que Théodoret de la vulgate grecque, plus
était

loin par conséquent de B. Cependant Z eût pu être cité avec Théodoret contre la
Vulgate, par exemple ps. 14, l 17, 13, sans parler du ps. 30, T.leseul cas mentionné.
;

La recherche est d'ailleurs conduite avec les précautions critiques nécessaires, car le
texte commenté par l'évêque de Cyr n'est pas toujours celui qu'on lit dans ses édi-

tions imprimées, ni même dans ses meilleurs manuscrits. Les cas certains sont donc
seulement ceux où le texte s'impose d'après le commentaire. Ils sont indiqués d'une
façon spéciale. Saint Chrysostome et Théodore de Mopsueste sont mis à contribution,
ainsi que la version syriaque de Paul de Telia, qui, pour le psautier, ne suit pas
l'édition hexaplaire, mais la vulgate.

Pays voisins. — Lo Bible et VÈgyptc. M. Daressy vient de publier dans le Bul-


letin de l'Institut égyptien (série V, t. V, décembre 1911) une étude sur la Route des
Hébi'eux. Dans cette question souvent discutée, il apporte un document égyptien
si

qui, d'après lui, viendrait enfln conûrmer les données de la Bible. Il y a quatre ans
le hasard des fouilles à Saqqarah fit découvrir des fragments de papyrus démotiques.
Ils contiennent une liste géographique qui permettrait d'identifier la presque totalité
des villes mentionnées aux chap. xiii et xiv de l'Exode. Curieuse coïncidence, l'or-

dre d'énumération des villes se trouve être même dans le Papyrus et


le dans la Bible.

Sans exposer au long les arguments de M. Daressy, je me contenterai de faire con-


naître ses conclusions : i^Pithom-Succoth se retrouve dans Pi-Toum-Téku. M. Daressy
place cette ville vers Keharbet-lNamah ;
2'^ Étham [en égypt. htm) serait la Mafqi du
Papyrus, à Tell Retabeh;3'^ Pi-Hafihiroth serait à trouver vers le lac Henit-ta-kherte
4° Migdol: Papyrus en mentionne quatre la ville biblique de ce nom est la ving-
le ;

tième de III (à placer à Bir Abou-Balah)


la colonne 5>^ Ba'al-Séphon est évidemment
;

le Migdol Bal-Zéphon, sur l'emplacement de la Koubbeh du Cheikh Hanediq. En

résumé, les Hébreux auraient suivi, si l'on s'en rapporte au Papyrus, le chemin le plus
court pour gagner très rapidement le désert du Sinaï. Ce document viendrait donc
confirmer ce que devait faire prévoir le raisonnement. Partis de Pithora-Succoth
placé à l'entrée du Wadi Toumilat, ils n'auraient eu qu'à parcourir cette vallée pour
atteindre directement la mer. Si la Bible dit qu'ils « se détournèrent », il faut en-
tendre par là qu'ils rencontrèrent à Ethani Khetem (Tell Retabeh) la route des cara-
vanes qui mène en Syrie et qu'ils « s'en détournèrent » pour camper devant Pi-
Hakhiroth. Enfin ils franchirent la mer des roseaux (en égypt. fwfi) située au sud du
lac Timsah (1).

Telle est la théorie de M. Daressy. Malgré l'importance du document qu'il apporte,


malgré d'intéressants rapprochements et de savantes déductions, il nous est encore
impossible d'affirmer avec lui que le Papyrus du Caire donne la route certaine de
l'Exode. Il serait même prématuré dédire que ce système est préférable aux autres,
notamment à celui de M. Naville dont il ne parle pas. Contentons-nous de constater
que l'égyptologie vient de découvrir quelques termes géographiques qui se trouvent
dans la Bible. Seules des fouilles méthodiques dans le Wadi Toumilat pourront révé-
ler peut-être l'emplacement des villes anciennes, conûrmer d'abord les données du
Papyrus, puis celles de la Bible et nous montrer enfin la route véritablement suivie
par les Hébreux en fuite.

(1) C'était bien ce qu'avait pressenti le P. Lagrange, cf. RB.. 1900, p. 80.
BULLETIN. 315

Langues. — On ne peut plus traiter Varaméen ancien comme une simple dépeu-
dance de l'hébreu biblique, ou le confondre avec la langue des Targums. De là l'in-

térêt de la petite grammaire, petite mais très précise, que M. Marti a consacrée à
cette langue, si intéressante en elle-même et à cause de ce qui en transparaît encore
dans La première édition épuisée, c'était un devoir pour l'auteur
les évangiles grecs.

de retoucher son œuvre, une bonne fortune de pouvoir profiter des découvertes de
l'île d'Éléphantine. La nouvelle édition (1) n'est donc pas simplement un second
tirage; c'est une refoute sur beaucoup de points de détails. Le lexique comprend
maintenant des mots (entre crochets) empruntés à la lettre désormais célèbre de la
communauté juive d'Eléphantine avec la réponse ces deux documents sont en effet ;

imprimés sans ponctuation après les textes bibliques. L'ouvrage de M. Marti ne laisse
rien à désirer, ou plutôt nous souhaiterions qu'il fût traduit en français.

Nous avons à grammaire du N. T. de M. Ro-


signaler la traduction française de la
bertson, par M. Montet, professeur à Genève La (2), sur la seconde édition anglaise.
traduction est Adèle au point de n'être plus qu'un calque de l'anglais, où les nombreux
défauts de l'ouvrage ne perdent rien de leur relief. Voici quelques exemples, où la mé-
thode deRobertson et l'interprétation du traducteur français pourraient être regardées
comme undesirable même par un critique indulgent, p. 58 « Dans le latin, le verbe :

s'écarte très loin de la ligne de progrès que l'on voit en grec, de telle sorte que le
grec et le latin diffèrent davantage dans la conjugaison du verbe que dans la flexion du
nom quoique toutes deux procèdent de tendances qu'on peut observer en sanscrit...
Le verbe grec est une pièce de mécanisme de vocable belle mais compliquée, et il
a besoin d'être étudié analytiquement. La simple mémorisation des conjugaisons,
quoique nécessaire, n'est pas sufOsante ». « une base autour
Plus loin, nous avons
de laquelle se développe le verbe ». P. Nous n'avons à nous occuper ici que de
64 : «

la formation, quoiqu'on puisse remarquer qu'en sanscrit, quand l'aoriste disparaît, le


parfait est employé davantage, avec une perte apparente de distinction précise ». Les
étudiants auront tout avantage à connaître l'anglais pour tirer parti de cette gram-
maire même traduite. Voir p. 50, 54, 68, etc. A la page 62, l'observation est bonne
sur l'emploi de GéXw et de will pour former un
Le point de vue philosophique
futur.
n'est pas absent de cette grammaire abrégée. P. 97 Le pronom est lui-même d'une: «

origine indépendante ;
il a eu une persistance remarquable dans les langues indo-
germaniques. Comparez, par exemple, « me » dans ces diverses langues. Cela montre
le côté personnel et social du discours
livre est une « post-
parlé. Le langage du
pensée » [afterthought) aux enfants, bien que ce ne soit
». P. 103 : « Il est naturel
pas là de « bonnes manières », de montrer les objets. L'article ne dit pas pourquoi
une certaine chose est désignée, mais il indique toujours quelque chose ». Entre
temps, King James Version » est malmenée pour avoir saboté les règles de l'ar-
la «

ticle (p. 105). Nous sommes heureux d'apprendre ceci à propos du pronom
(03,

(p. 113) « Dans l'anglais moderne, nous n'aimons pas répéter le même mot, verbe
:

ou nom. On a critiqué Macaulay pour avoir trop employé le substantif. » Il ne faut


jamais abuser même des bonnes choses. P. 126, une intéressante recette pour l'étude
des cas « La méthode proprement historique pour étudier les cas grecs consiste à
:

voir lequel des huit cas est le cas donné, à remonter à la signification originelle de
ce cas, à juger de l'influence du contexte sur le sens, à prendre note de l'histoire du

Kurzgefasste Grammatik der biblisch-aramâischen Sprache, Literatur, Paradigmen, Te:;te


(1)
und Glossaer, von D. Karl Marti, Ord. Professer an der Universitàt Bern. Zweite verbesserte Aullage.
In-8» (petit) de xiv-117-98 pp. Berlin, Reuiher und Reichard, l9n.
(-2) Grammaire du grec du Nouveau Testament..., in-8" de xvi-298 pages. Paris, Geuthner, 1911.
316 REVUE BIBUQUE.

cas; l'idée résultant de tous ces concours exprimera la vérité ». Le point de vue psy-
chologique se maintient jusqu'au bout de la syntaxe. Ainsi, p. 2fi4 : « Le langage
n'est que l'expression de la pensée. Aussi n'est-il pas étrange que les omissions, les
interruptions et les changements soudains dans les procédés mentaux soient comme
embaumés (1) dans le langage... Paul montre beaucoup d'émotion et surtout dans
II Cor. son style lutte pour l'expression. On peut presque y entendre battre son
cœur ».

Palestine. —
On continue à écrire sur la sai7ite maison de Lorette, et surtout,
semble-t-il, du côté des défenseurs qui s'attaquent encore avec la même furia^ pas
toujours francese, au livre de M. le chanoine Chevalier. Serait-ce une preuve qu'il
tient toujours bon? Aujourd'hui c'est le R. P. Ilario Rinieri S. J. qui lui consacre
trois volumes (2). Il paraît bien qu'il a raison de reprocher au savant français d'avoir
daté de quatre ans trop tard le pèlerinage de Ricoldo. Mais pour une date qui ne peut
se déduire qu'au moyen de la critique interne, ce n'est pas le cas de crier au faux lit-
téraire. Nous avons déjà indiqué {RB.^ 1907, p. 467 ss.) le point de vue palestinien.
Il faudrait une bonne fois s'entendre sur ce fait que trop souvent les prétendus

témoins disent avoir vu ce qu'on leur a dit exister ou avoir existé. Il est vraiment
comique que le R. P. Rinieri ait allégué comme favorables au miracle de la Santa
Casa MM. Ebers et Guthe (II, p. 183) parce que ces messieurs, en gens bien éle-
vés, ont reproduit les dires des gardiens du sanctuaire sans les contredire. Encore
ne fallait-il pas méconnaître leur évidente précaution de dégager leur opinion per-
sonnelle. La droiture du R. P. Rinieri n'est pas en cause, puisqu'il cite le texte alle-
mand qui permet de constater son contresens (3J. Lui-même est loin de garder aussi
bien les convenances, quand met sur deux colonnes parallèles quelques phrases de
il

M. Chevalier et quelques phrases empruntées à des auteurs protestants. Le lecteur


candide — il faut bien qu'il le soit à ce coup — est invité à penser que le savant
chanoine a suivi, peut-être sans s'en douter, une inspiration hostile à l'Église; à tout

le moins qu'il a emprunté à ses ennemis des arguments maintes fois réfutés. On doit
pourtant bien se dire qu'en pareille matière, il n'y a qu'une manière de raisonner :

interpréter selon leur sens naturel les textes sérieux, comme celui d'Arculfe qui
dit si clairement que la maison de la Vierge n'existait plus de son temps ; ne pas
faire parler les témoins muets, comme saint Jérôme, saint Paulin, etc., qu'on
ne peut vraiment pas alléguer contre M. Chevalier; mettre hors du débat les pièces
fabriquées tout exprès pour soutenir une opinion; ne pas tenir compte du troupeau
innombrable des pèlerins, qui répètent tout ce qu'on leur a dit. De 1531 à 1906, le
R. P. Rinieri allègue 535 témoignages, dont 529 sont favorables à la S. Casa, y com-
pris celui de MM. Ebers et Guthe (!), et 6 seulement contraires. Il pourrait citer
encore la masse énorme des pèlerins catholiques qui tous, ou presque tous, ont cru
constater sur les lieux l'absence de la S. Casa, puisqu'elle était à Lorette; tandis
que tous les protestants, venus au même endroit, faisaient en eux-mêmes ou à haute
voix des réflexions désobhgeanles. Est-il besoin d'ajouter qu'en pareil cas la négation
et l'afflrmation ont exactement la même valeur? On peut regarder comme close la

(i) Momifiés serait préférable.


(2) La Santa Casadi Loreto, confutazione del libro Notre-Dame de Lorette. Etude historique
:

sur l'authenticité de la Santa Casa par le chanoine Ulysse Chevalier, correspondant de l'Institut.
Qui mercedes congregavit misil eas in sacculum pertusum (Agg. 1); in-8°, vol. I, vin-161 pp.
(1910); vol. II, 210 pp. (1911); vol. III, xlvii-536 pp. (1911). Turin, Marietti.
(3) La traduction italienne néglige un peUt soll qui se traduirait en français • doit », ou même
« est censé ». Tome il, p. 183, note l.
BULLtrLX. 317

discussion des textes. Au lieu d'alléguer le témoignage des anciennes commissions


venues pour constater l'état des lieux à un moment où Ton n'avait pas exécuté de
fouilles et ou les connaissances minéralogistes étaient assez sommaires, y a, répé-
il

tons-le, un moyen bien simple de s'assurer de la vérité c'est : de prier des personnes
compétentes de déterminer la nature des matériaux de la Santa Casa et leur appareil,

et de constater ensuite s'il y a quelque vraisemblance que la Sànta Casa ait été placée
à Nazareth au lieu où le R. P. Prosper Viaud vieat de faire des recherches cou-
ronnées de succès.
Le R. P. Rinieri a pris comme lïvjito de chacun de ses trois volumes une pensée
d'Aggée, faisant allusion à des marchandises déposées dans un sac percé. Est-ce un
symbole ? Et en effet, les arguments de M. Chevalier ont passé sans trop de dégâts
au crible de sa critique : les trous sont trop gros.

On a beaucoup remarqué, dans la Zeitschrift des deutschen Palaestina-Yereins


(1911), la liste des plantes de Palestine publiée par MM. Dinsmore et Dalman (1).
Aussi est-ce une heureuse Idée d'en avoir fait un tirage à part qui constitue une petite
flore locale très soignée. Par Palestine on entend le pays de Dan à Bersabée. ou plus
exactement celui qui est déterminé au nord par le Litani et l'Hermon, à l'est par le
chemin de fer du Hedjaz, au sud par une ligne allant de Bersabée au midi de la mer
Morte. Les anciennes flores ont été mises à contribution, mais le tout a été contrôlé
autant qu'il était possible. Le professeur Dalman s'est appliqué surtout à fixer exac-
tement la nomenclature arabe. Ce serait l'idéal pour les biblistes si l'on avait indiqué
les plantes qui n'ont été introduites en Palestine que dans les temps modernes.

Jérusalem hier et aujourd'hui, par M. le marquis de Vogué, parut, voici quel-


ques mois déjà, au Correspondant. Il faut cordialement remercier l'illustre savant
d'avoir rendu cet ouvrage accessible à un plus grand nombre de lecteurs en un très
élégant petit volume 2;. La sympathie si bienveillante qui a inspiré ses appréciations
sur VÉcole et la RB. ne nous laisse guère la facilité de dire le charme exquis de ces

Notes de voyage, comme un trop modeste sous-titre. Il existe pourtant peu


les qualifie

de pages sur Jérusalem comparables à celles-ci pour le coloris, la fraîcheur, la jus-


tesse et la précision de vue, la profondeur du sentiment religieux et esthétique. Hier,
c'était en 1854, alors que le savant, historien et artiste, réunissait les matériaux des
Églises de la Terre Sainte; c'était encore 1862, date d'un autre monument scienti-
fique, Le Temple de Jérusalem; c'était enfin 1872, époque où M. de Vogué, ambas-
sadeur de France près la Sublime Porte, devait intervenir avec tant de fermeté et de
tact dans la protection des Lieux Saints en des conjonctures spécialement délicates.
Aujourd'hui, c'était le printemps de 1911; et le souvenir restera, à l'École, du véné-
rable maître consacrant des semaines d'une activité inlassable à reprendre l'examen
archéologique détaillé de monuments tels que le Saint-Sépulcre, le Cénacle, la basi-

lique de Bethléem, après avoir revu en pèlerin les sanctuaires de la Ville Sainte.

M. Fr. Benoît, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Lille, traite de L'Ar-


chitecture dans la collection des Manuels d'histoire de l'art que dirige M. Henry Mar-
cel. Le tome P^ Antiquité (3), ne peut manquer d'intéresser nos lecteurs. Il comprend

(1) Die Pflanzen Palaestinas. Aaf Grund eigener Sammlung und der Flora Posts und Boissiers
Yerzeichnet von J. E. Dixsmore, Amerikanische Colonie, Jérusalem, mit Beigabe der arabischen
Kamen von Prof. Dr. G. Dalman, Vorsteher des Deutschen Instituts fur Altertumswissenschaft
zu Jérusalem .Tirage à part,.
(2; lQ-1-2 de 109 pp. Paris, Pion, 1912.
(3) Grand in-8° de vii-o"5 pp., avec 13 cartes, 148 gravures et 997 dessins schématiques par
l'auteur. Paris, H. Laurens, 1911.
318 REVUE BIBLIQUE.

l'histoire de l'art de bâtir, depuis l'enfance laborieuse, aux temps néolithiques, jusqu'à
l'épanouissement le plus complet,
à la fin de la période romaine. L'aire étudiée
embrasse tout l'Orient ancien, Egypte, Mésopotamie, Perse, pays hittite, Asie Mi-
neure, Phénicie, Canaan, Archipel égéo-crétois, Rome et l'Étrurie. De chaque pays
et de chaque époque M. Benoît connaît tout et choisit les meilleures formes, les ana-
lyse en connaisseur assez sûr de son art pour l'exprimer avec une élégance concise et
simple. Les humbles monuments fameux des villes
palestiniens antiques, les édifices
gréco-romaines, l'architecture hybride des nécropoles de Jérusalem sont caractérisés
d'une vue juste et avec un goût judicieux. Le livre est admirablement lisible malgré
sa précision technique. L'érudition très diligente se trahit partout mais ne pèse nulle
part en lourdes notes. L'image est toujours limpide à l'avenant du texte et si le pro-
gramme était immense et ardu d'écrire un tel Manuel, M. B. peut s'applaudir de
l'avoir réalisé avec un plein succès.

Dans Revue numisjnatique (1910, p. 532 s.)leR. P. A. Declaedt, des Pères Blancs
la

de Jérusalem, a publié« une nouvelle monnaie de Medaba » ': pièce de Septime-Sévère,

entrée dans la splendide collection des Pères Blancs. Plus récemment le distingué
numismate 1911, p. 366 ss.)
a fait connaître (ibid., une monnaie de Dora de Phé- :

nicie avec une monnaie de Philadelphie avec date nouvelle, mais


une date nouvelle ;

obscure; une drachme nabatéenne d'argent au type d'Obodas probablement IV,


cependant avec des particularités qui modifieraient le monnayage attribué à ce type
nouveau de monnaie d'Arétas; un « moule de monnaie arabe... des environs de
Gaza », enfin une moitié de moule provenant du Haurân, et difficile à identifier.
PEFund, Quart. S/r;^, janv. 1912. — M. P. J. Baldensperger, L'immuable Orient
(suite)-, cette rubrique elle-même menace de devenir immuable.
Elle tient le som-
maire depuis janvier 1903 et ne couvre pas toujours de bien originales observations.
— M. W. E. Jeunings-Bramley, Les bédouins de la péninsule sinaïtique (suite), olîre
au contraire documents ethnographiques, mêlés à d'excellentes remarques
d'utiles
topographiques. — M.
A. W. Crawley-Bœvey, La nouvelle théorie du Calvaire, a
découvert une béquille neuve au Calvaire de Gordon une sophistique distinction :

entre la « coUine authentique » et la « tombe coramémorative ». Gordon' s Tomb


retourne quasi au néant : ce n'est plus qu'un historical mémorial pouvant évoquer
l'idée du vrai sépulcre de N.-S. et poétisé par l'étiquette Garden Tomb. A supposer
que ce nouvel avatar d'une triste méprise archéologique soit viable, ce sera pour
beaucoup l'œuvre du distingué avocat en retraite qui met au service de ce paradoxe
les restes de son habileté professionnelle. Jamais je n'ai si bien compris à quel point
la théorie est insoutenable qu'en étudiant, depuis deux ou trois ans, les « thèses » de

M. Crawley-Bœvey. —
M. E. J. Pilcher, Les papyrus d'Assoiian et les mobiliers
funéraires de Gézer, entreprend un rapprochement peu limpide entre les objets énu-
mérés dans la dot d'une juive d'Eléphantine au iv<= s. et ceux qu'a recueillis M. Maca-
lister dans une sépulture « philistine » du x« s. à Gézer. Rév. J. E. Hanauer, Notes —
de Damas : un nouvel exemplaire de la dédicace du grand temple un sarcophage ;

romain orné de têtes de Méduse vestiges du théâtre antique dans le quartier adja-
;

cent à la mosquée au sud-est.

M. B. I). Eerdmans (1) considère les stèles funéraires appelées massebôth comme
des symboles du défunt. La pierre plus ou moins conique représente un homme ;

(1) The sepulchral Monument » ma§sebati », dans Journ. of Biblic. Liter., X.XX, 1911,
pp. 109 SS.
BUI.LETLN. 319

munie d'une cavité quelconque elle concrétise une femme. On l'érigeait sur la tombe
pour que l'àme y puisse prendre sa demeure au lieu de vaguer sans asile, pour le pire
dommage des vivants. Peut-être M. E. n"a-t-il pas assez marqué la distinction entre
les massebôth funéraires, largement commémoratives, et les stèles analogues érigées
dans les lieux de culte avec une autre signification.

Et-Tekkîyeh est un village de l'Anti-Liban au bord duBarâda sur la voie ferrée de


Bevroutb-Damas. M. le prof. C. R. Brown. directeur de l'Institut américain à Jéru-
salem en 1910-11, y a étudié un groupe de milliaires (1) publié en 1898 par M. Cler-
mont-Ganneau d'après des copies assez faibles de Luytwed. Le plus ancien milliaire
est daté de la première année d'Hadrien, un de 117. Il a été remployé et orné d'un
nouveau titre sous Constantin après .33.3.

Bas heilige Land, 1912. n 1. — M. Heidet, Le dernier solitaire de Palestine, traite


de sujets variés : divers records de célérité à la course entre Jérusalem et 'Arnwds,
le général Boulanger, l'utilité de la Pénitence, la distinction de deux Maspha en Ben-
jamin : l'-" Maspha de Jos. 18, 26 qui serait le séjour de l'Arche revenue de Philistie
et s'identifierait avec Qouheiheh: 2° Maspha de Jug. 20, 1 etc., lieu d'assemblée des
tribus, qui serait el-Bireh: topographie terriblement difficile à rendre vraisemblable.
— R. P. F. Dunkel, Le cycle de Noël dans l'église syrienne catholique. — T. R. P.C.
Kniel, O. S. B., Grenades médiévales palef^tiniennes . monographie très soignée, avec
des phot. de nombreux exemplaires de ces petits engins de guerre réunis dans la belle
collection archéologique de l'abbaye du Mont Sion. — T. R. P. E. Schmitz, Lutte
avec un léopard, lutte dangereuse renouvelée à plusieurs reprises en ces dernières
années par des bergers de la région de Jérusalem. Léopard et Guépard palestiniens se
différencient des races connues par diverses caractéristiques difficiles encore à préciser
définitivement. — R, P. H. Hânsler, O. S. B.. Contributions à l'histoire de la civi-

lisatioji de Palestine: exploration d'une nécropole préhistorique aux environs d''Am


Yabroud. avec des plans du P. Maurice Gisler. — Chronique de Palestine.
Zeitschrift des D. P.-Vereins,XXXy, 1912, n« — M. pasteur E. Rotermund,1. le

La Jérusalem de Burchard du Mont-Sion, avec un diagramme topographique. —


M. le D'' W. Caspari, Le Millo dans Jérusalem, fait de Millo une sorte de monte tes-

taccio qui se serait graduellement substitué à la « vallée » de ^I. le prof. Guthe sur
la croupe d'Ophel et serait devenu la base de divers édifices. La vallée en question
n'existe pas; Millo ne s'est pas constitué par un entassement séculaire de débris et la
localisation de ce terre-plein est quelque peu différente. — M. le D'' S. Klein, Pour
la topographie delà Palestine antique, produit d'intéressantes informations talmudi-
ques au sujet de Platanos près Sichem = Balâta, Capharnaùm qui serait lihàn
Minyeh — distinct de Rephar Ahoum qui serait Tell Houm — . Oumm el-'Amoud
CAiccimid) près Tyr désignée dès le milieu du second siècle sous le vocable à'Amou-
dah, nom primitif de la localité, — M. Cl.-Ganneau semble avoir prouvé au con-
traire que cette ruine n'est autre que Palae-Tyr [Étud. d'arch. or.,I, 64 ss.), — Ger-
gesa appelée déjà QourSi au second siècle; mais 'j''"w'lp~"'''»2?'!p est-il tout à fait l'é-

quivalent de Koursy? — M.
Dalman, Au sujet de la carte du territoire fron-
le prof.

tière entre la Syrie et l'Egypte; nombreuses rectifications à la carte récemment


publiée par M. H. Fischer. —M. le prof. E. Xestle, Le nom de la mer de Tibériade.

Mittheilungen...des B. P.-Vereins, 1911. n"^ 6. — M. le prof. H. Guthe, Contrib.à

(1) The el-Tekkiyeh Inscriptions, dans Ajneric. Journ. of Archaeol., XV, 1911, pp. 3-23 ss.
320 REVUE BIBLIQUE.

la top. de Palestine : Asân de Jos. 15, 42 et 19, 7 est identifié avec kh. 'Asân, si-

gnalé naguère par M. Musil aux environs de Bersabée. — M. le prof. M. Blancken-


horn, Observations mÉtéorologiques durant l'hiver 1910- II. — M. Bauer, Deux espèces
rares de blé palestinien. — 1912, noi. M.
H. Guthe, Contrib...., situe Beéroth
le prof.

de Benjamin au kh. el-Lattàtin, ^nsixon 2 kilom.etdemi au N.-N.-O. à'el-Bjib; cette


localisation n'ira pas sans quelque difficulté. M. le D'" Th. Kiihtreiber, Remarques —
sur la géographie de Syrie, enregistre nombre de modifications survenues au cours
de ces dernières années. Entre el-'Aris et el-'Audjeh il a découvert un kh. el-Artén
avec un beau puits et quelques ruines. Le rapprochement onomastique Artên =
Rtenou exigera quelque circonspection. —
M. le prof. Dalman, E^icore les fouilles du
Syndicat- Parker à Jérusalem, se montre persuadé que la mission n'avait aucun objet
scientifique et n'y voit qu'une reprise des fantaisies rabbiniques du suédois Melander ;

mais les propres élucubrations de Melander furent accueillies naguère par la même
grave revue du Palàstina-Verein, XVII, 1894, pp. 25-33 qui aurait pu être ajoutée à
la bibliographie suédoise indiquée. Je suis beaucoup moins au fait des « intentions »

de la mission que M. le prof, D.; il me paraît seulement que l'archéologie s'apprécie


surtout par des résultats positifs et la mission anglaise a commencé d'en produire,
que M. D. tient lui-même pour « remarquables », au moins en ce qui concerne les

systèmes de canaux, tunnels, etc. Si la brochure « Jérusalem sous terre » ne contient


rien sur le Haram, on en pouvait facilement trouver la raison en se reportant à l'ar-
ticle du P. Lagra\ge, RB., 1911, p. 442. Quant à la façon dont le tunnel d'Ophel
{supra, pp. 86 ss.) s'adapte au sinnôr biblique dans le passage «difficilement intel-
ligible » de II Sam. 5, 8, je compte montrer assez prochainement que je ne me suis

pas dérobé à cette difficulté. [H. V.]

Nous avons reçu de M. Clermont-Ganneau cette juste observation que nous som-
mes heureux d'insérer ici :

« J'ai été surpris de voir dans la R.B., 1911, p. 475, l'exequatur si gratuitement

donné à la correction, tout à fait inadmissible, proposée par Radermacher pour


Waddington, n" 2127 £y.Tb(ç) 1% xcôijlt;;! Pourquoi aurait-on éprouvé le besoin de
:

dire que le Tycheion était élevé « en dehors du village » ? Rien de plus invraisem-
blable et c'est contraire à toutes les habitudes épigraphiques! Ce qu'on attend «
priori, c'est la mention des ressources à l'aide desquelles le travail a été exécuté ;

c'est bien ainsi que l'a entendu AVaddington, et il est dans le vrai. Seulement je ne
crois pas, comme il le fait, que h. xb soit pour ly. xoîi; l'expression normale, dans ce
cas, est U tûv (cf. n'^* 1990, 2562 g, 2544 h xbv (= xCJv) xoû O^ou) ; en réalité ici èx xb
== SX xà, avec celte équivalence vocalique si fréquente dans le Haurân : o = a. Ce
solécisme est pleinement justifié par le n° 2556 : èx xà xou ôeoî» xè x% xd&jxrjç. Les
expressions xà-xoû-Osou, xà-x%-xw[jLr)ç, avaient fini par être considérées dans le vul-

gaire comme une sorte de composé indéclinable; c'est un phénomène du même genre
que jadis j'ai signalé dans la dédicace des couteliers de Sidon {Études d'Archéol. Or.,
I, p. 100) : CiTîào xb xoivou ».

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmin-Didot et C". — Paris.


LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLLANCE
AU PAYS DE DAMAS [Suite]

SON CARACTERE, SES DESTINÉES, SES ORIGINES

La solution que nous avons à proposer sur la secte manque de sim-


malaisé de pénétrer un secret que l'on a enve-
plicité. C'est qu'il est

loppé de mystère, et de fixer la date dune histoire dont les chitTres et


les noms sont probablement allégoriques. Nous sommes loin de la
précision dont n'était pas dépourvu le plus médiocre historien grec,
même quand il racontait des légendes. Pour le dire dès maintenant,
nous sommes dans le petit cercle fermé qui se complaisait dans les
livres apocryphes et apocalyptiques. Et la méthode que nous avons
suivie n'est pas non plus la plus rapide, ni la plus synthétique. L'in-
térêt du que déjà de nombreux systèmes se sont fait jour.
sujet est tel
L'autorité des savants qui les ont proposés exigeait une discussion. Il
a donc paru qu'après avoir essayé de retrouver la physionomie de
notre secte, le mieux était de rechercher immédiatement si elle a laissé
dans l'histoire des traces de son passage. Tout ce que nous pouvons
obtenir ainsi de certain nous aidera à poursuivre dans le passé les ori-
gines de la secte et à déterminer de quel mouvement d'idées ou de
quels événements elle est sortie.

LE TEMOIGNAGE Dl DOCUMENT.

A l'instar du Deutéronome, le texte de la Guenizah comprend une


exhortation, fondée sur des souvenirs historiques, et une partie légis-
lative.
Il faut interroger successivement les deux parties.
Partie historique. — On ne voit un peu clair dans l'histoire de la secte
— telle que notre document se la représentait, —
si l'on ne distingue

trois personnes qui en marquent les grandes étapes. Aussi bien l'au-
teur a-t-il établi expressément la théorie des périodes, déterminées à
BEVUE BlliLIOUE 1912. — N. S., T. IX. 21
322 REVUE BIBLIQUE.

l'avance par Dieu, qui fait surgir dans chacune d'elles un homme pro-
videntiel (il, 9 ss.).

Le premier, qui se perd déjà dans la nuit des temps, c'est le fonda-
teur éponyme, Sadoq. 11 est dit aussi clairement que possible que la
secte avait pris le nom de Benè-Sadoq (iv, 3 s.). En eifet, on cite Ézé-

chiel (xLiv, 15,, comme si l'on avait l'intention d'établir le droit


sacerdotal des chefs. Pas du tout, c'est simplement pour prendre son
texte dans un sens figuré ; les prêtres sont le gros de la secte, les
Benê-Sadoq seront les parfaits, les élus de l'avenir, ceux donc qui
prêtent déjà aux autres le nom queux seuls mériteront complètement.
Après cela l'auteur peut dire qu'il a expliqué le nom de la secte (iv, 5).
Quel était ce Sadoq? L'auteur ne le nomme qu'une fois, pour dire
qu'il révéla la Loi cachée depuis le temps de Josué et que David même
avait ignorée (v, 5i. C'est enfaire le restaurateur de la vraie doctrine.
L'auteur ne pouvait ignorer que par Benê-Sadoq Ézéchiel entendait
la race sacerdotale ; il a dû se le représenter comme un grand prêtre.
•C'estprobablement lui qui est désigné comme oint dans deux endroits.
Le rôle de cet oint a consisté à faire connaître l'Esprit saint, et il est dit
à cette occasion que la secte porte le nom de cet oint, du moins tel pa-
rait être le sens d'un passage délibérément obscur (ii, 12 ss.). Mais
les Juifs ont méprisé les enseignements de Moïse et de cet oint (vi, 1 "i

et nous savons aussi qu'ils ont méprisé l'Esprit saint (v, 11). Tels sont,
croyons-nous, les textes qui s'appliquent au fondateur épomme et qui
en expriment les traits. Il est certain que cet oint, qui a déjà paru,
n'est pas le Messie qui doit sortir d'Aaron et d'Israël, il est certain aussi
qu'il n'est pas le docteur de justice, parce qu'il précède le châtiment.
Serait-il l'auteur fictif d'une nouvelle révélation de la Loi à la façon
des Jubilés?
La secte n'était pas fâchée de se rattacher à un ancêtre elle fut ;

néanmoins constituée à un moment précis qui est celui d'un grand


désastre national. Le désastre était un châtiment, cela va sans dire,
provoqué par des crimes, cela est encore plus dans la nature des
choses. Il est assez difficile de les discerner, parce que les reproches
de l'auteur \dsent du moins autant ses contemporains que leurs an-
cêtres spirituels. Mais, dans sa pensée, c'est toujours le même parti,
auteur des mêmes méfaits. On lui reproche d'abord d'une façon gé-
nérale l'esprit d'innovation i, 15 ss.\ et un gouvernement insolent
et dur (i, -20 ss. ;. Dire qu'ils ont suivi la luxure et préféré leur caprice
à la volonté de Dieu, ce n'est pas beaucoup plus clair (ii, 16). Mais les
griefs se précisent. On voit maintenant qu'ils ne sont pas empruntés
aux désordres de la vie: ce sont des eriefs doctrinaux. Reliai a trois
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIAiNCE AU PAYS DE DAMAS. 323

iilets (iv, 15) : la luxure, le lucre, la pollution du sanctuaire. Ceux qui


y sont tombés, dans le premier et le troisième surtout, sont des gens
forts sur la règle, donc des docteurs, et en effet on les attaque moins
pour leur conduite que pour leurs principes, La luxure c'est d'admet-
tre la polygamie (iv, 19 ss.). La pollution du sanctuaire, c'est de ne
pas pratiquer assez exactement les règles de la femme niddah (v, 7),
c'est de permettre que l'oncle épouse sa nièce (v, 8). Et l'on réitère

le reproche d'innovations (v, 20). Ces adversaires ont un sobriquet


qui revient plus d'une fois sous la plume de l'auteur (iv, 19 ; viii, 12.
18 s.; XIX, 19. 2i. 31) : ce sont ceux qui bâtissent le mur et qui éten-
dent le crépi. MM. Schechter et Lévi ont vu dans ces mots une allusion

aux Pharisiens, qui entouraient la loi d'une haie. Et ce sont bien les
Pharisiens qui sont visés, mais Fauteur, séparatiste forcené, aurait eu
mauvaise grâce à condamner les haies. La métaphore du mur et du
crépi est empruntée à Ézéchiel (xiii, 10). Au moment de la première

ruine delà ville, le peuple s'empressait à des défenses sans solidité;


on bâtissait un mur en mauvais matériaux, et les faux prophètes dis-
simulaient les trous en passant le crépi. C'est ce que font les adver-
saires de l'auteur. Mécontents, prétend-il, de la Loi dont ils osent con-
damner les prescriptions, ils élèvent eux-mêmes un mur de défense
qui ne pourra soutenir le choc. On pourrait voir là une allusion à une
tentative de restauration nationale, à une défense désespérée de l'in-
dépendance; mais comme ses sarcasmes ont surtout le caractère d'une
dispute d'école, il est plus vraisemblable qu'il entend par le mur toute
la législation édifiée par les Pharisiens. Cela avait commencé avant
la ruine, et c'est pour cela même qu'elle est venue. Mais Dieu avait
conservé un reste (i, ij, des échappés (m, 13^, destinés à devenir la
base d'un nouvel édifice.

Je crois qu'on ne saurait exagérer la portée de la catastrophe pour


l'auteur. en parle comme l'apocalypse d'Esdras et l'apocalypse de
Il

Baruch parlent de la ruine de Jérusalem sous Vespasien. La nation est


livrée au glaive, elle cesse d'exister l'exécuteur des vengeances di-
;

vines est le chef des rois de Javan (viii, 11 et parallèle). Or c'est préci-
sément alors que nait la secte. Ce fut, semble-t-il, aprèsun premier
désastre, mais au moment où les sacrifices fumaient encore, et où
le sanctuaire était encore ouvert (vi, 11 ss.). C'est à ce moment qu'on
sortit de Juda pour se rendre à Damas. La secte constitue un petit
reste, échappé à la destruction, elle sauve la semence d'Israël, des-
tinée à dominer le monde (xx, 33 s.).
Le principal auteur de la fondation c'est Dieu, et par un acte spé-
cial de grâce. L'auteur cite le Deutéronome i^ix, 5) et le glose très forte-
324 REVUE BIBLIQUE.

ment contre ceux qui prétendent avoir le mérite de leurs œuvres


(viii, 16 et XIX, 29 parallèles). Dieu est intervenu par une révélation
(m, 13 ss.), pour faire connaître non seulement l'infidélité d'Israël,

mais ses erreurs doctrinales, concernant les sabbats, les solennités et

les pointsde droit (m, 14). Il a fondé la secte comme une maison so-
lide (m, 19), telle qu'Israël n'en avait point connu de semblable. Elle
tient sur des bases inébranlables; les Livres de la Loi (vu, 15), l'as-
semblée (vu, 17), les livres des propbètes (vu, It s.), l'enseignement
du grand interprète qui est l'Étoile (vu, 19 1, et l'attente du prince de
l'avenir.
Mais Dieu s'est servi d'un instrument, le Docteur de Justice (i, 11).
Avant lui, conscient du désastre, pénitent, mais incertain de ses voies,
le petit reste errait à l'aventure, tâtonnant comme un aveugle durant
vingt ans environ i^i, 8 ss. . Mais le Docteur a tiré la moralité du châ-
timent dont il a expliqué les causes. Si seulement tout Israël l'avait

écouté ! Mais précisément eu ce temps il se montra encore indocile


(i, 13 ), cédant aux suggestions d'un personnage qui revient plusieurs
fois sur la scène, toujours qualifié d'homme de mensonge yi. li s. ; viii,

13; xjx, 25 s.; xx, 15 . C'est lui qui est responsable d'une ruine qui
parait bien être la seconde, quoique les deux désastres soient confon-
dus dans la même que quelques-uns se repentaient,
pei-spective. Tandis
les bâtisseurs de muraille n'ont rien compris au premier châtiment,
séduits qu'ils ont été par Ihommedu mensonge viii, 11 et xix, 24). Il i

semble donc bien que les événements doivent être placés dans cet
ordre premiers désordres, châtiment par le chef des rois de Javan,
:

pénitence de quelques-uns, dirigés par le Docteur de Justice, obstina-


tion des autres entraînés par l'homme de mensonge et châtiment
nouveau.
Avant la dernière catastrophe, la secte s'était éloignée sous la di-
rection du Docteur de Justice. Il est l'Étoile, le Docteur unique, le chef
[mehoqeq). Il a déjà disparu (xix, 35); le terme employé est vague à
dessein, et peut-être estimait-on qu'il n'était point mort; il pouvait
avoir été enlevé comme Hénoch et comme Élie, mais on ne l'affirmait
pas non plus. En tout cas, pas un "mot ne suggère que c'est lui qui
reviendra comme Messie d'Aaron et d'Israël; le contraire est même
dit expressément (xx, 1; cf. vi. 7 ss.). La théorie des périodes et des
hommes providentiels exclut plutôt l'identité entre le Docteur et le
Messie. Il n'y a pas de raison que le Docteur de Justice revienne comme
Messie, lui plutôt que Moïse ou que Sadoq, quoique, naturellement, le
futur Messie doive aussi enseigner la justice ( vi, 10). Cette coïncidence
est d'autant moins caractéristique que des fils de Sadoq devaient jouer
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLL\NCE AU PAYS DE DAMAS. :}2o

volontiers avec le mot sédpq (justice), et en effet ce mot revient avec


affectation (1 .

Avant même l'exposé législatif, l'exhortation historique contient


une sorte de programme de la secte on devra se séparer des fils de :

perdition se préserver du lucre qui serait au détriment des choses


;

saintes, ou qui dépouillerait la veuve et l'orphelin; distinguer entre


le pur et l'impur, le saint et le profane; g-arder les vraies règles sur

le sabbat, les solennités, et le jour du jeûne; prélever exactement

les choses saintes ; observer la charité fraternelle ;


éviter les unions
interdites; se reprendre mutuellement ; ne pas garder rancune, en un
mot ne pas souiller l'Esprit saint vi, li-vii, i).
(

Ilva sans dire que, dans ces termes généraux, ce programme eût
été agréé des pharisiens. L'esprit général est bien le même; mais on
ne s'entendait pas sur l'application de ces belles maximes.
Car il fallait les appliquer. On doit dire à l'honneur de la secte
qu'elle ne garantit pas le salut par ce seul fait qu'on est initié. Il faut
encore pratiquer très scrupuleusement les prescriptions de la loi,

telles que ne les adoucit certes pas.


la secte les entend, et elle
Dès l'origine, il semble que quelques-uns ont fait défection (xx,
1 ss. Le fait pourra se reproduire; il est prévu et sera puni d'une
.

excommunication sévère. Car on est entré dans une période normale


où le mal se mélange au bien. Même on la nomme un temps de per-
versité, ce qui prouve une fois de plus que le Docteur de Justice n'é-
taitpas un véritable Messie.
Donc on sait très bien, et cela suppose une certaine expérience, que
tout n'est pas pour le mieux dans la maison de la Loi, dans la com-
munauté des parfaits. Mais si l'initiation n'empêche pas le péché, elle
n'exclut pas non plus de la miséricorde. Dieu sera toujours prêt à
pardonner.
Enfin viendra le troisième moment de la secte, l'avènement du Messie
d'Aaron et d'Israël. Le sens de cette expression est clair. La secte a
renoncé pour toujours aux espérances déposées en Juda, en tant que
Juda demeure distinct d'elle-même. Lorsqu'on pressentira, sans doute
d'après le malheur des temps, que la fin est proche, il faudra bien se
garder de se rattacher à .luda. Non, désormais les positions sont prises,
chacun chez soi iv, 10s. Mais le terme d'Aaron et d'Israël ne signifie
.

pas non plus que le Messie doit être de race sacerdotale. On peut dire
seulement qu'il paraîtra au sein de la secte, composée, comme l'ancien
Israël, de prêtres et de laïques.

(1) Dans la citation (11, 21) de Prov., 15. 8, le mot Z'"*'^*" est même remplacé par zp~S.
326 REVUE BIBLIQUE.

A ce moment, le jugement pèsera sur les apostats de la secte,


comme sur ceux qui ont égaré Juda (xx, 26 s.). Ce dernier terme
semblerait donner au jug-ement une force rétroactive, et supposer que
lesâmes survivront au corps, puisque déjà le dernier défenseur de
l'homme du mensonge a disparu de la scène de l'histoire. Mais l'auteur
se rend-il bien compte de la perspective? Aucun passage de nos docu-
ments ne parle très clairement de survivance, ni de rétribution après
la mort (1). On dirait même que la récompense est dans une longue
postérité (vu, 5 s.). Les textes étant plus que lacuneux, on ne peut
conclure avec certitude, mais ils avaient tant d'occasions de parler de
la récompense ou du châtiment dans une autre vie que leur silence
est significatif. Peut-être les opinions sur ce point étaient-elles Hbres
dans la secte, et dès lors l'autorité s'abstenait de le toucher.
Conformément à la doctrine messianique des Psaumes de Salomon, le
Messie sera surtout un docteur cependant c'est sans doute grâce à lui
;

que la secte dominera sur tous les hommes. Ce sera le temps du pardon
et du salut, mais il est dit très expressément que le pardon viendra de
Dieu; on ne voit pas que le Messie soit destiné si peu que ce soit à
expier les péchés du peuple 2t.
Partie législative. —
Pour compléter le tableau de la secte, il fau-
drait insister sur la partie législative, mais, pour éviter des redites, on
indiquera seulement les traits caractéristiques.
Dans l'ensemble, c'est une sorte de code de jurisprudence. On sup-
pose toujours une loi plus complète et plus fondamentale, qui était
naturellement le Pentateuque. Le nouveau Code ne traite que de cas
douteux. Il loi, et au besom la contredit, comme cela est
interprète la
assez clair à propos des vœux. C'est donc ce que les Rabbins nom-
maient halaka, une halaka beaucoup moins détaillée que celle de la
Miclina, et qui a davantage l'aspect d'un texte législatif. La Michna prend
souvent comme point de départ l'usage, mentionne même les contro-
verses, allègue l'autorité des maîtres. Notre texte ne s'appuie que sur
l'Écriture, et tire des solutions pratiques même de cette partie de
l'Écriture qui n'est pas le Pentateuque ; il ne raisonne pas, ne constate
pas la coutume; il édicté des règles, selon la vieille manière sémitique
déjà familière à Hammourabi, qui procède plutôt par la solution des
cas concrets que par l'affirmation de principes généraux.
La partie qui nous est conservée oscille d'abord entre le code pénal
et le code d'instruction criminelle à propos de la restitution par suite
:

d'un délit ou d'un quasi-délit, le code traite des objets perdus à pro- ;

(1) Pas même 3, 20.


(2) Voir la noie sur 14. 19,
LA SECTt: JUIVE DE LA NOUVELLE ALLL\NCE AU PAYS DE DA>L\S. 327

pos de la dénonciation des crimes, il s'occupe des témoins et des tri-


bunaux. Suit un court paragraphe sur la purification par l'eau, puis
des règles sur l'observation du sal)bat, déduites des textes scriptu-
raires avec une rigueur extrême, qui dépasse celle des Pharisiens.
Quelques règles sur le culte y pénètrent, appelées par une alliance
de mots plus que par la suite des idées. Les rapports avec les Gentils
sont régulés du point de vue de la pureté d'Israël et de sa supériorité
absolue sur les Goïm avec un certain tempérament commandé par
l'utilité d'Israël et le soin de préserver l'honneur de son Dieu.
L'organisation de la communauté fait partie du Code. C'était cepen-
dant une chose nouvelle. Tandis que la jurisprudence continuait le

aux nécessités
travail des siècles, la constitution de la secte répondait
du temps. C'est une tentative de maintenir son esprit, en formant des
groupes assez compacts pour résister à l'envahissement des idées du
dehors, pas assez nombreux pour perdre le caractère d'une société
fermée. Car c'est bien d'une société fermée et presque secrète qu'il
s'ag-it. On n'y est admis qu'après un examen sérieux et un serment
solennel. Cependant, comme dans le christianisme, les pères peuvent
répondre pour leurs enfants (1). Le législateur s'est efforcé de lui con-
server son cachet original, un mélang-e de prêtres, de lévites et de
laïques. En principe les prêtres gouvernent, ou sont suppléés par les

Lévites (xiii, 2 ss. ). Mais n'est-ce pas seulement dans les choses saintes?
Si l'on a tenu absolument à garder au prêtre, même incapable, ce qui
appartient à ses fonctions, comme la décision en matière de lèpre, ce
n'est qu'une apparence, puisque la solution des cas lui est soufflée par
donc respectés et ont le premier
l'adriiinistration laïque. Les prêtres sont
rang, mais sont confinés dans leur domaine. Dans les conseils, com-
posés de dix membres, ils n'ont que quatre voix contre six, ce qui est
toujours la minorité. Si tout ne nous trompe, l'administrateur de
chaque groupe et l'administrateur général sont toujours des laïques. Ce
qui est plus opposé encore à la tradition sacerdotale ordinaire, c'est
l'élimination des vieillards. Dans cette société, où tout le reste est d'un
esprit résolument conservateur, les hommes qui ont plus de cinquante
ans ne peuvent plus faire partie du pouvoir exécutif (xiv, 9) ; à partir
de soixante ans, ils sont exclus des tribunaux (x, 6). Il y a là une pré-
caution singulière contre la routine ; la secte entend avoir des chefs
énergiques, ce qui est d'autant plus urgent que ces chefs sont vrai-
ment de toute l'organisation. C'est à eux qu'incombe encore
le pivot
le soin des indigents, réglé par une sorte d'assistance publique. On ne

(1) D'après l'interprétation que j'ai donnée de 15, 5 s.


328 REVUE BIBLIQUE.

peut comparer leur rôle qu'à celui de Tévèque dans les communautés
chrétiennes; ils admettent à la communauté et expulsent les membres
indignes, ils sont docteurs, pasteurs, pères, interviennent, du moins
comme conciliateurs, dans toutes les affaires civiles et criminelles.
C'est à propos du serment d'appartenance que le code traite des
serments, puis des vœux.
Tout cela est é%ddemment très incomplet, mais ne fait l'effet d'un
conglomérat qu'à des esprits habitués à un ordre méthodique. C'est
bien la législation de la secte que nous avons sous les yeux. Son désor-
dre ne dépasse pas ce que permettaient d'attendre la race, le temps et
le lieu. La lacune la plus regrettable est celle qui regarde le calen-

drier. C'était lin des points de la réforme (m, 14). Une allusion au Livre
des Jubilés (xvi, 3 s.) suggère l'usage du calendrier solaire de
36i jours. Il faudra revenir sur ce point.
Telles sont, comme dit notre auteur, les règles pour le temps de la
perversité (xv, 7) . Tout n'y est pas très clair. Ceci du moins est certain :

un groupe de prêtres, de lévites et de simples israélites s'est détaché


de Juda et a quitté Jérusalem pour s'établir au pays de Damas. Il ne
s'agit point d'une école, comme celles de Yabné, de Tibériade ou de
Nehardéa, demeurées en communion avec le gros de la nation, mais
d'une secte qui se cantonne résolument dans le schisme vis-à-vis du
Judaïsme officiel; le schisme s'est produit au moment de la ruine,
quand le culte était encore pratiqué dans le sanctuaire.
On se demande à quelle époque eut lieu le schisme ? à quel courant
d'idées il se rattache?

CIRCOXSTANCES DU SCHISME.

L'auteur parle une soixantaine d'années après une grande catas-


trophe (xx, 13 s.). La catastrophe pourrait être la contamination sacri-
lège du Temple par Antiochus Épiphane, ou par Pompée, la ruine de
Jérusalem au temps de Titus ou au temps d'Hadrien. On ne peut des-
cendre plus bas, puisque la secte a abandonné Jérusalem quand le
culte était encore pratiqué.
Le premier événement semble indiqué en termes exprès quand
l'auteur parle des rois de Javan (vin, 11 ), mais il est exclu, comme
le second, par le recul du temps. Soixante ans après la persécution
d' Antiochus Épiphane, ou après la prise de la ville sainte par Pompée.
ces événements n'étaient que des épisodes qui avaient à peine entravé
la prospérité de la nation. Or il s'agit bien —
qu'on relise les textes (Ij

(1) 1, 3 s. 17; 2. 1; 3, 10 S.; 5, 20; 8, 4; etc.


LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 329

— d'un désastre national, sauf le salut messianique attendu dans


l'avenir. Il faut donc choisir entre le siège de Jérusalem par Titus et
la révolte de Bar-Kokébas, en prenant le chef des rois de Javan au sens
allégorique d'empereur d'Occident. Si la secte s'est formée sous Ha-
drien, le document peut faire allusion aux deux calamités regardées
ensemble comme la destruction de la nation, néanmoins il y eut un
moment précis qui fut celui du schisme.
Plusieurs traits s'appliquent aux deux époques. L'auteur ne parle
j)as de la destruction du Temple et on en a conclu qu'il était donc
encore debout. Mais peut-être cette destruction est-elle sous-entendue
dans la ruine universelle, et peut-être était-elle un fait accompli dont
il n'y avait plus à parler dans la crise dernière. A ce moment le sanc-
tuaire existait encore, mais il n'est pas question du Temple, et l'on sait
que sous Bar-Kokébas il y avait, la première année du moins, un
grand prêtre en fonction les sacrifices étaient fréquents sur l'espla-
;

nade du Temple. Voici maintenant quelque chose de plus positif. La


responsabilité du malheur national incombe à un seul homme,
l'homme du mensonge, qui a entraîné ceux qui bâtissaient la muraille.
Au temps de Titus, les chefs de la révolte étaient au moins deux, doués
d'un égal prestige, Jean de Giscala et Simon benGioras, tandis que Bar-
Kokébas, reconnu comme Messie par Aqiba, le prince du rabbinisme,
a joui d'un prestige unique. On ne sait pas exactement à quelle époque
les Rabbins déçus ont commencé à jouer sur le nom de Bar-Coziba, pour
le désigner comme fils du mensonge (1) rien n'empêche qu'un adver-
;

saire ait trouvé cette épithète d'assez bonne heure. Bar-Kokébas fut
nommé fils de l'Etoile, et d'après le Syncelle, le monogène, le fils unique.
Or le Docteur de Justice de la secte est pour elle la véritable Étoile
(vu, 18) et l'Unique (xx, 14, 33). N'est-ce pas pour protester contre
l'usurpation de ces titres par le héros de l'indépendance? Enfin la
scission parait s'être faite en un temps de grande fermentation mes-
sianique. J'ai moi-même essayé de prouver que la révolte de 70 avait
eu ce caractère (2), mais il y fut certainement moins accentué que
sous Hadrien. Après 70 on ne pouvait pas dire que le messianisme de
Juda avait fait failKte, —
je parle du messianisme militaire et tem-
porel des Juifs, —
puisqu'il ne s'était pas ouvertement manifesté ou
n'avait pas été reconnu par les autorités doctrinales de la nation.
Après Bar-Kokébas, c'était bien le messianisme juif, salué par Aqiba,
qui avait sombré. Peut-être quelques-uns, en particulier des prêtres,
n'attendirent-ils pas le moment suprême pour abandonner une partie

(1) Le Messianisme.... p. 25 ss.


(2) Cf. Le Messianisme..., p. 316 et 323.
330 REVUE BIBLIQUE.

perdue. Durant la première année de la révolte, Simon — c'est le nom


officiel de Bar-Kokébas —
figure sur les monnaies comme prince
d'Israël, et Éléazar, grand prêtre, a aussi les siennes. Mais, la seconde
année, Simon est seul (1). On ne sait comment expliquer cette dispa-
rition du grand prêtre pourquoi ne pas supposer qu'il a abandonné
;

le parti du pseudo-Messie ? et, s'il est devenu sa victime, n'était-ce


pas un devoir pour ses adhérents de cesser dallumer l'autel, d'aban-
donner la Ville sainte, et de chercher un refuge ailleurs?
Si la secte s'est constituée après la révolte de Bar-Kokébas, donc
après 135 ap. J.-C, comment expliquer les dates en apparence assez
précises du début de notre document ? C'est 390 ans après la prise de
Jérusalem par Nabuchodonosor que Dieu fit germer une plante de
justice dans Israël (i, 5 s.). M. Schechter a proposé de changer 390 en
490 (2), qui donne sept fois sept semaines d'années. Mais, outre que le
chifire de 390 se trouve dans Ézéchiel (iv, 5), il est attesté par Mak-
rizi en des termes un peu différents, en un passage où il fait allusion

Temple fut rebâti après 70 ans.


à notre secte. D'après l'auteur arabe, le
Suit un que je sache
texte qui n'a pas été allégué, « Environ trois :

cents ans, ou un peu plus, après le rétablissement du temple et le


retour de la captivité, il survint une grande division entre les en-
fants d'Israël par rapport à leur religion. Cela fut cause qu'un parti
qui était de la maison de David sortit de Jérusalem ils se retirèrent :

dans les régions de l'Orient, comme avaient fait leurs pères la pre-
mière fois, et emportèrent les exemplaires de la Michna qui avaient
été transcrits, pour l'usage des rois, sur l'exemplaire écrit de la main
même de Moïse. Établis dans les contrées de l'Orient,
conformè- ils se
rent exactement à ce que contenaient ces livres, depuis l'époque de
leur émigration de Jérusalem, jusqu'au temps où Dieu ayant donné
aux hommes la religion islamique, Anan, chef de la captivité, vint
des contrées orientales dans l'Irak, ce qui arriva sous le khalifat du
prince des fidèles Abou-Djafar Mansour, en l'année 136 de l'hégire. »
De Sacy, auquel est due cette traduction, a noté que selon de nom-
breux chronographes juifs il n'y a que 300 ans environ entre le retour
de la captivité et le règne de Jannée (3). Ce calcul paraîtrait donc
appuyer l'opinion de M. Kohler (4), fondée sur la correction de

(1) Le Messianisme...,^. 317, et note 8.

(2) P. x\ii. A la ligne 25, lire 190 au lieu de 290, ce qui rend précisément la correction
inutile.

(3) Chrestomathie arabe, 2- éd.. I, p. 294. On sait qu'en revanche Josèphe ajoutait 40 à
50 ans de trop au temps écoulé entre la dernière année de Cyrus et l'an 70; cf. Schuiier,
Geschichte..., III, 267.
(4) Dositheus, the Samaritan heresiarch, and liis relation to jewish and Christian
[.A SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DA^IAS. 33i

M. Schechter et le comput des modernes. Du début de la captivité


(586 av. J.-C.) au règne d'Alexandre Jannée i'103-76), on trouve bien
les490 ans voulus. L'adversaire visé dans notre document serait Simon
ben Chetali [Jer. Sanh. ,yi,
i, p. 23''), l'ennemi juré desSadducéens. iMais

quel adversaire des Pharisiens put regarder comme un temps de ruine


le règne de leur implacable ennemi"? Si l'on tenait à prendre le chiffre
de 390 au sérieux, selon la fausse chronologie des Juifs, il pourrait
se rapporter au berceau de la secte, ou, pour emprunter la métaphore
du document, à la racine de ce plant de justice. Le mot racine (i, 7)
indiquerait une origine lointaine, la première origine de la secte, la
révélation de la loi par le ministère de Sadoq, ou le moment oîi un
livre, composé en son nom, fut révélé, c'est-à-dire communiqué aux
premiers fidèles. Mais il faudrait supposer — c'est le point faible de
cette hypothèse — que l'auteur glisse ensuite sur un laps de temps con-
sidérable.
Le plus simple est donc de regarder le chiffre de 390 comme em-
prunté à Ézéchiel pour marquer un temps d'incertitudes, depuis le
jour de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, jusqu'au second
cataclysme. Après les premiers tâtonnements dans les ténèbres, après
vingt ans (i, 10), le Docteur de Justice parut qui donna à la secte son
organisation définitive, lui-même ayant été enlevé environ quarante
ans avant la mort du dernier des combattants de l'homme du men-
songe, en qui nous avons reconnu Bar-Kokébas.
L'ouvrage lui-même aurait donc été écrit au plus tôt à la fin du
second siècle ap. J.-C.
Cette date a paru trop basse à M. Moore qui placerait plus vo-
(1),
lontiers notre écrit avant Titus. 11 est écrit dans un hébreu correct,
avec l'emploi assez délicat des temps consécutifs, particularité de s\n-
taxe qui est déjà absente de la Michna (2). L'argument n'est pas déci-
sif, car notre secte est très conservatrice; cet esprit a pu l'inspirer,
même dans le langage écrit. M, Schechter, excellent juge, a relevé
bon nombre d'expressions qui ne se rencontrent que dans la Michna
ou dans des auteurs bien postérieurs (3). La manière est aussi un
indice. Les livres d'Hénoch, celui des Jubilés, ont une allure plus libre
et moins scolastique. L'emploi exclusif du mot El pour désigner Dieu,

Doctrines and sectes {a. sludy of professer Schechter's récent publication), dans The ame-
rican Journal of Theology, edited by the Divinity Faculty of the University of Chicago, XV
(1911), p. 404-435.
(1) The covenanters of Damascus, a hitlierto unknown Jewish sect, dans Harvard
theological Review, IV (1911), p. 330-377.
(2) Loc. laud., p. 337.

(3) SCHECUTEK, p. XI.


332 REVUE BIBLIQUE.

avec élimination systématique de lahvé, même des textes scriptural res.


ne témoigne pas en faveur d'une haute époque, non plus que des
expressions comme jurer par aleph et lamed, par aleph et daletit
(XV, 1).
L'année 200 nous a paru indiquée comme terme a quo. Sans doute
ne faut-il pas descendre beaucoup plus bas, tant la passion est en-
core enflammée comme par des événements récents. Cependant elle
a pu demeurer longtemps vivace; la communauté a dû compter déjà
avec bien des défections. D'autre part encore, si le document était très
postérieur à la Michna, ne porterait-il pas des traces de polémique?
Je ne vois rien \\.) qui indique un temps postérieur à 200 ap. J.-C.

II

Il faudrait maintenant déterminer les accointances de notre secte,


soit dans ses origines, soit dans son dernier état connu.
Le deuxième point est le plus aisé, et il a été fixé par M. Schechter
d'une façon si satisfaisante qu'on ne s'explique guère les scrupules
de i\I. Moore.

TEMOIGNAGE DES PREMIERS CARAÏTES.

Tous ceux qui se sont occupés des origines des Caraïtes savaient
qu'ils ont prétendu d'abord se rattacher aux Sadducéens. Sacy le
soupçonnait déjà (2) et ce point a été mis en pleine lumière par les
travaux de iM. Harkavy (S") et de M. Poznanski (ii.
Lorsque parut Anan, le fondateur des Caraïtes, sous le khalife Al-
Mansour (T5i-775), il chercha, comme tous les novateurs, un point
d'appui dans le passé. Puisqu'il rejetait la jurisprudence rabbinique,
et refusait toute tradition pour s'en tenir au texte de la Loi, il devait
dire et môme croire qu'il représentait la cause des Sadducéens, ces
antiques ennemis des Pharisiens, ancêtres desRabbanites, ses propres
adversaires.
Les Sadducéens ayant nié la résurrection, Anan ne pouvait se dire
l'héritier de toute leur doctrine, mais ils avaient du moins connu

mnritt?n T\^1 n'est point une imitation de « mosquée « c'est un terme suggéré par Zacli.
(t) ;

14, La ville du [sanctuaire pour dire Jérusalem est plutôt la source que limitation de
16.

l'expression arabe Beit-mouqaddas ou Beit el-maqdis.


(2) Chrestomathie arabe, T éd., I, 324.

(3) Zur Entsteliung des Karaismus, dans l'histoire de Graetz, S- éd., V, 413-429, et

Jeivish Lncyclopedia, 1, 553-556. M. Poznanski cite aussi une histoire abrégée du Cara'isme
en russe.
(4) Anan et ses écrits, Revue des études juives, t. XLIV, p. 161-187; t. XLV, p. 50-6't :

176-203.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 333

quelque chose de la vérité (1). Le*s premiers Caraïtes furent donc


d'accord pour se réclamer des Sadduccens les Rabbanites furent
;

d'accord pour leur en faire un reproche (2),


Il y a plus Anan alléguait des écrits dits sadducéens.
:

S'il en a parlé, c'est qu'il les avait lus, car il n'avait aucun besoin

de les inventer.
Son principe était que l'Écriture sainte suffit à tout. « Étudiez la
loi à fond, disait-il, et ne vous en rapportez pas à
opinion », ni à mon
celle d'aucun ancien. Ce protestantisme au sein du judaïsme donna
ses résultats naturels autant de personnes, autant d'opinions; mais,
:

à l'instar des protestants de nos jours, les Caraïtes voyaient un avan-


tage dans la libre recherche et le libre examen qu'ils opposaient à
l'attachement aveug-le des Rabbanites pour la tradition. Toutefois
ils n'étaient sans doute pas fâchés de citer des opinions odieuses à leurs
adversaires, et c'est ainsi que Qirqisâni (en 936) une allusion à fit

notre document qui n'a pas échappé à M. « Sadoq fut le Schechter :

premier qui s'opposa ouvertement aux Rabbanites. Il révéla une


partie de la vérité et composa des livres dans lesquels il dénonça fré-
quemment les Rabbanites et les critiqua. Mais il n'apporta aucune
preuve de ce qu'il disait, procédant par voie d'affirmation simple,
si ce n'est pour une seule chose, à savoir pour la prohibition d'é-

pouser la fille du frère et la fille de la sœur. Car il a donné pour


preuve l'analogie du mariage (interdit) avec la tante paternelle et
maternelle (3). » C'est précisément le cas de notre document
(v, 8-11).
iM. Schechter appuie ce premier arg-unient de deux autres. Qirqisâni
dit que les Sadducéens n'admettaient pas le divorce, ce qui peut très
bien être le sens de notre document (iv, 20 s.) (4). De plus il s'exprime
ainsi : « Ils (les Sadducéens) ont eux aussi fixé le mois à trente jours
chacun. Il est possible qu'ils se soient appuyés en cela sur l'histoire

de Noé. Aussi, ils ont exclu le jour du sabbat de la somme des jours
de la fê 3 de Pàque, de façon à y compter sept jours sans parler du
sabbat. De même pour la fête des Tabernacles (5). » Or, en renvoyant

(1) C'est l'expression de Qirqisâni à propos de Sadoc pn'^X p2 N''w* 3?'7'!2N'l, arabe
:

écrit en caractère hébreu, Poznanski, l. l., XLIV, 162.


(2) Texte attribué à Saadia « A cette époque, Anan et, avec lui, tous les scélérats qui
:

formaient le reste de la bande de Sadoq et de Boéthos, rivalisèrent [contre le judaïsme


officiel] et résolurent clandestinement de susciter une division », etc. Poznansm, /. /.,

XLIV, 169.

(3) Schechter, xviii; Qikqisani, p. 283.


(4) Qirqisâni, p. 304.
(5) Qirqisâni, p. 304.
334 REVUE BIBLIQUE.

au livre des Jubilés (xvi, 3), notre document semble bien accepter
son calendrier, de douze mois de trente jours, plus quatre jours, un
jour à chaque saison, et ce système s'appuie précisément dans les Ju-
bilés sur le coniput du déluge [Jiib. v, il).
Il n'est donc pas douteux que Qirqisàni ait connu notre document,
qu'il qualifiait d'œuvre sadducéenne, entendant par là la tradition des
anciens Sadducéens. Et il n'est pas le seul à en parler. M. Poznanski
avait déjà cité un commentaire anonyme de l'Exode (x'' siècle), où
on lit dans un passage dirigé contre Saadia « Les ouvrages saddu- :

céens sont connus de tous et ne contiennent rien de ce que cet


homme avance (!}. » Hadasi les connaissait aussi (2). Il faut même
conclure des témoignages cités —
et on pourrait en alléguer d'au-

tres, — que la secte de la nouvelle alliance existait encore lorsque


Anan fonda le Caraïsme. Nous avons déjà dit que la nouvelle héré-
sie, fondée sur le principe du libre examen dans l'interprétation de

la Loi, ne put garder l'unité. Il serait donc bien difficile de parler


d'une succession doctrinale, d'autant quAnan fut un réformateur.
C'est ainsi que les diverses écoles caraïtes ont été d'accord pour pro-
fesser la résurrection que nos sectaires laissaient probablement dans
l'ombre. Pourtant il y a entre nos sectaires et certains Caraïtes des
ressemblances assez frappantes. On croit les entendre quand le Ca-
raïte Tobie invective contre les Rabbanites : <( Ils ont montré au peu-
ple le chemin où l'on mange et où l'on boit, et où l'on peut faire
toutes les abominations; ils ont déclaré permises des nourritures
impures, des unions illicites (3)... » Le tribunal d'Anan se com-
posait de dis anciens (4;, au lieu de trois, chiffre ordinaire de la

Michna (5).
Certains Caraïtes semblent avoir rejeté tout mariage du vivant
de la première femme (6). Du moins ils condamnaient la polygamie.
Quelques-uns admettaient l'année solaire de douze mois de trente
jours. Comme ils savaient que c'était le système des écrits dits
sadducéens, ils avaient donc conscience de se rattacher à leur tradi-
tion (7).

(1) PozN.vNSki, l. L, XLIV, p. 176.

(2) Alphabeta, 97, 98.


(3) Cité par PoznaiNski, l. L, p. 187.

(4) Poznanski, l. L, p. 69.


(5) Sanh., I, 1.
(6) PozNANSki, /. /., p. 185 et 186.
(7) Les Rabbanites prétendaient qu'il fallait déterminer la nouvelle lune par le calcul,
les Caraïtes par l'observation. Quand on leur demandait Comment faites-vous s'il y a des
:

nuages le vingt-neuvième jour? Ils répondaient Dieu nous a déjà indiqué un moyen qui
: «

consiste à compter trente jours et à regarder le trente-unième jour comme le premier


LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DXSlkS. 335

Mais l'objet de cette rapide enque^'te ne saurait être de mesurer Tin-


fluence que notre secte a pu exercer sur l'éclosion du schisme caraïte
qui dure encore, ni de préciser les points de détail sur lesquels les
Garaïtes ont conservé une ancienne tradition [i]. Il serait incompa-
rablement plus intéressant pour nous de savoir si Qirqisâni ne s'est
point trompé, si nos sectaires ne nous ont point trompés, l'un en attri-
buant, les autres en prenant l'étiquette sadducéennc, et aussi s'il ne
faut point reviser l'opinion qui a prévalu chez les critiques modernes
relativement aux Sadducéens.

III

Nous sommes amenés à la question des origines de la secte.


ainsi
Il faut la rattacher à un groupement connu, ou renoncer à la classer,
si les renseignements font défaut.
La méthode la plus pratique consistera sans doute à éliminer tout
d'abord les opinions les moins probables.

JUDÉO-CHRÉTIENS ?

Je n'hésite pas à mettre en première ligne — dans cet ordre —


celle du Rév. G. Margoliouth (2). D'après ce savant, le plant de
justice est le même que le Messie d'Aaron et d'Israël; le docteur de
justice est un autre Messie. Tous deux sont déjà venus, tous deux
doivent reparaître, ce sont Jean-Baptiste et Jésus.
Il suffit, pour apprécier ce système, de relire le début de notre

document. Il ne renferme aucune allusion au fait chrétien. Tout ce


qu'on peut y reconnaître d'esprit chrétien, c^est le j^récepte de la
charité (xiv, li ss.) et l'interdiction de la polygamie iv, 20 ss.).

Mais le second trait n'est pas caractéristique. Ne fût-ce que sous


l'influence des idées gréco-romaines, le judaïsme comprenait, du
moins par moment, que la polygamie n'était pas l'idéal de l'union
conjugale (3). Quant au précepte de la charité, tout le monde s'en

[jour du mois suivant]. Mais quand on leur demande une preuve tirée de l'Écriture, ils la

tirent du récit des cent cinquante jours, par lequel Sadoca prouvé tout juste le contraire de
ce qu'ils veulent prouver )>. Saadia, cite par Yéfelh, connaissait donc le mois sadducéen de
trente jours et reprochait aux Caraïtes de le citer mal à propos (Poznanski, p. 177).
1) Encore moins avons-nous à nous occuper des Falaschas. Comme ils ont conservé
les espérances davidiques, ils ne peuvent avoir avec les damascéniens que des ressemblan-
ces de_ détail plus ou moins fortuites,
Dans The Alhenaeum, 26 nov. 1910; Two Zado/nte messialis, dans Tfie Journal of
(2)
Iheulogical S tudies, àvril 1911; The Sadducean christians of Damascus, dans TheExpo-
silor, déc. 1911, mars 1912.

(3; M. Koliler, l. L, p. 428, cite dans ce sens des autorités il est vrai plus récentes.
336 REVUE BIBLIQUE.

faisait gloire, mais la question était toujours de savoir qui était


le prochain? et notre document n'est guère disposé à y comprendre
les Gentils. Rien de plus opposé à l'esprit et aux enseignements de
Jésus que la rigueur des observances sabbatiques, aux dépens de la
vie humaine (xi, 16). Nos sectaires sont même plus durs sur ce point
que les Pharisiens, adversaires du Christ; ils ne sont donc pas judéo-
chrétiens; tout en formant un schisme dans le judaïsme, ils sont
juifs tout court,à moins qu'on ne préfère relever leur intransi-
geance et leur étroitesse d'esprit en disant qu'ils sont plus Juifs
que les Juifs.
Cest une question différente de savoir si tel ou tel chrétien, dont
le témoignage a pu influencer tel Père de l'Église, les entendant

parler du Docteur de Justice, ne s'est pas imaginé qu'ils regardaient


Jésus comme le Messie. Peut-être, par opposition au judaïsme offi-
ciel, en parlaient-ils avec sympathie. C'est du moins ce qu'on a re-

marqué d'Anan, où l'on voyait le successeur de leur secte. On me per-


mettra de citer ici un curieux passage, traduit par de Sacy d'un texte
alors inédit d'Abou'1-Féda (1) « Un des dogmes qui caractérisent les
:

Ananites, c'est qu'ils croient à la vérité des exhortations et des ins-


tructions du Messie ; ils soutiennent qu'il n'a contredit la loi en rien ;

qu'au contraire, il l'a confirmée et a invité les hommes à l'observer ;

qu'il est du nombre des prophètes des enfants quelques-uns d'Israël...


même d'entre eux disent que Jésus, fils de Marie, n'a jamais prétendu
être envoyé de Dieu comme prophète, ni être chargé d'établir une
nouvelle religion qui abolit celle de 3ioïse; qu'il est seulement un
des fidèles serviteurs de Dieu;... que les Juifs, enfin, ont agi injuste-
ment envers lui, d'abord en le traitant de menteur, et ensuite en le
faisant mourir, sans avoir égard à la justice de ses prétentions, et en
méconnaissant son mérite et sa vertu. »

S'il était arrivé à nos sectaires de tenir ce langage, on eût pu

par mégarde les confondre avec quelque secte judéo-chrétienne. Ce-


pendant il semble que saint Épiphane a précisément fait la distinc-
tion, lorsqu'il mentionne séparément les Nazaréens [y,0L~x Na^apaiwv) et
les Nazoréens ly.x-.x Na'^wpaiwv ). Laseconde hérésie, la vingt-neu"\ième,
est judéo-chrétienne ; mais la première, la dix-huitième
de sa liste,

est rangée la cinquième parmi les hérésies juives (2).


Ce sont des juifs, dit Épiphane, qui habitent le pays de Galaad et de

Aboth de R. Nathan, éd. Schechler, 5'; Sifrê et Tanh. surDt. xxi, 5; Pesiq. r., xliii;
Berechith r., xxm, 3.
(1) Chreslomathie arabe, 2" éd., t. I, p. 326, d'après le inan. ar. de la bibl. du Roi. n' 615.
(2) P. G., XLÏ. 257.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLLVNCE AU PAYS DE DAMAS. 337

Basan. ils ne se distinguent presque pas des autresmais ils n'ad- Juifs,

mettent pas le destin et l'astronomie. Pour qui a lu Josèphe (1 et —


c'était sûrement le cas d'Épiphane, —
c'est une manière de les qua-
lifier de Sadducéens. Épiphane ajoute qu'ils rejettent le Pentateuque,

tout en reconnaissant que Moïse a reçu la loi; cette loi authentique


ne serait pas le Pentateuque des Juifs. Ne serait-ce pas seulement (jue
ces sectaires attribuaient à leur code la même autorité qu'au Penta-
teuque? Épiphane en fait des végétariens; cela n'est pas conforme à
notre document, mais une discipline plus sévère a pu prévaloir oà et
là. Anan avait interdit la viande pour le temps de l'exil.
et le vin,
D'ailleurs les renseignements de Tévèque de Salamine ne sont point
assez sûrs pour qu'il y ait lieu de les discuter de près. Même si nos
sectaires sont les Nazaréens d'Épiphane, cène sont toujours pas des
judéo-chrétiens.

PHARISIENS?

Il parait qu'ils ont été qualifiés de Pharisiens. D'après l'opinion de


M. William Hayes Ward dans la Bibliotheca sacra
je ne connais que
que par une allusion de M. Margoliouth 2', la secte
aurait plus d'af-
tinité avec les Pharisiens qu'avec les Sadducéens, et aurait débuté au

temps des persécutions d'Alexandre Jannée contre les Pharisiens.


Il y a peut-être là une équivoque. Nous sommes habitués, compa-
rant l'esprit de l'Évangile à celui des Pharisiens, à caractériser ce der-
nier comme un formalisme étroit, un attachement exagéré à la let-
tre de la Loi, une préoccupation de ne pas la ^-ioler, même sans in-
tention, qui multiphe les précautions et les scrupules. Et cela est très
exact. Mais si l'on veut apprécier avec justice le rôle des Pharisiens
dans on reconnaîtra que souvent ils ont été les hommes du
l'histoire,
progrès, et que leur apparente inflexibilité dissimule parfois l'inten-
tion sincère d'adoucir la Loi, de la rendre praticable en dépit des
circonstances changées, par une habile exégièse. Nous, catholiques,
rangés sous la tutelle d'une autorité vivante qui modifie la loi dis-
ciplinaire selon les besoins du temps, nous ne mesurons pas à leur
valeur les difficultés où se débattaient les Pharisiens pour demeurer
dociles à cequ un protestant libéral a nommé un pape de papier. Mais
ces accommodements ont dû paraître à d'autres des concessions cou-
pables, un manque de respect à la loi immuable donnée par Dieu
pour toujours. Et c'est bien cette protestation que notre document fait
entendre. On dira si l'on veut que c'est l'œuvre d'un Pharisien plus

(1) Ant., XIII, V, 9.


(2) The Expositor, déc. 1911, p. 501.
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 22
338 REVUE BIBLIUL'E.

pharisien que les Pharisiens, dun Pharisien exaspéré et intransi-


geant. Mais en cela même il au parti historique
cessait d'appartenir
des Pharisiens. Il n'est pas douteux qu'il a pris parti hardiment con-
tre le judaïsme officiel, et précisément en haine de ses guides, les
rabbins qui ont appartenu au parti des Pharisiens. Pour le détail des
divergences, on pourra se reporter aux notes de la traduction.

SAMARITAINS?

On ne peut non plus, sans sexpliquer, rapprocher notre secte des


Samaritains. ressemble beaucoup par ses tendances. Le
Elle leur
preniierschisme est sorti de Juda et de Jérusalem à lépoque du second
temple, le second au plus tard peu après sa ruine. Dans les deux cas,
lexode est conduit par des prêtres mécontents. Dans les deux cas, les
espérances messianiques sont très accentuées, quoiqu'on rejette avec
la même netteté les espérances traditionnelles attachées à Juda et à la

maison de David. Mais schisme de Manassé se place sous lépoque


le

perse, au temps de Néhémie, qui vint à Jérusalem en 4ii av. Jésus-


Christ. Aucune erreur de calcul ne peut mettre 390 ans entre Nabucho-
donosor et Artaxerxès II. document parle du chef des rois d<^
Puis le
Javan, ce qui suppose à tout moins la conquête d'Alexandre, et
le

même la persécution d'Antiochus, car Alexandre passa plutôt pour


un libérateur, chez les Samaritains comme chez les Juifs.
Nos sectaires n'ont pas quitté Jérusalem pour le mont Garizim. mais
pour le pays de Damas. On sait aussi que les Samaritains n'ont ja-
mais reconnu que le Pentateuque avec Josué comme livre sacré et
canonique, tandis que les réfugriés de Damas citent fréquemment les
Prophètes, et en tirent même des solutions légales (l),ce que ne
faisaient pas les Pharisiens. Ils ont même des apocryphes.
On ne peut donc songer un instant à identifier nos schismatiques
avec les Samaritains. Ce qu'on peut dire, c'est qu'ils ont procédé dans
le même style; on peut encore conjecturer qu'ils se sont inspirés de

leur principe à leur contact, ou qu'il y a eu un certain amalgame


entre eux et une secte samaritaine comme les Dosithéens.

DOSITHÉENS ?

de M. Schechter. quoique exprimée avec une cer-


C'est l'opinion
taine ambiguïté. Tantôt les Dosithéens sont un rejeton de notre secte
p. xxif tantôt elle a été absorbée par les Dosithéens (p. xxvi).
.

(1; P. 9. 9.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 339

M. Kaufmann Kohler aété beaucoup plus


précis (1). La secte serait
née chez les Samaritains; wnpronunciamiento messianique dans
c'est
la ligne sacerdotale samaritaine. Seuls ces schismatiques ont pu consi-
dérer le temps du second temple comme une période de colère. Pre-
nant pour base la correction de iM. Schechter qui lui donne 490 ans
depuis Nabuchodonosor, M. Kohler place l'origine du schisme au temps
d'Alexandre Jannée. Simon ben Chetah est l'ennemi; son adversaire,
le fondateur de la secte, serait Dosithée.
Cette manière, plus nette, rend aussi la réponse plus facile. Si Dosi-
thée et les Dosithéens sont une secte purement samaritaine, ce ne
sont donc point nos sectaires qui ont fait schisme contre Juda. D'au-
tre part il est en effet certain que Dosithée était un Samaritain. Il

n'est donc pas le Docteur de .Justice.

M. Schechter était plus prudent en se bornant à indiquer les points


de contact. Il n'est pas sans intérêt de les passer en revue (2.
Et d'abord que sont les Dosithéens? Après des études très conscien>'
cieuses, des savants distingués se sont crus obligés de distinguer deux
Dosithée et deux sectes de Dosithéens. Cette dualité est naturellement
suspecte et doit provenir de quelque confusion. Elle est fondée cepen-
dant en apparence sur la chronique samaritaine dans ses diverses ré-
dactions et dans le résumé d"Abou'l-Fath (3). Ne pouvant aborder dans
ses détails un problème probablement insoluble, je m'arrête à cette
formule d'éliminer la description donnée par S. Épiphane 4 qui
correspond assez bien à la seconde secte d'Abou'1-Fath fondée par
Dousis. Dans cette manière, Dosithée ou Dousis (5) est venu des Juifs
chez les Samaritains, il est mort dans une caverne, il ne s'est pas
donné comme Messie, ses sectateurs admettent la résurrection, et
d'une façon très matérielle. Cette légende se présente dans Abou'l-
Fath avec des circonstances trop merveilleuses pour répondre à une
réalité. Je la considère comme la contrefaçon ou la caricature, tracée
par des ennemis, de la véritable secte des Dosithéens que l'on ren-
contre dans l'histoire avec des traits suffisamment marqués. Les trois

Cl) Article cité dans The american Joinnial of Tlieology de Cliicago.


Ces pages étaient écrites quand j'ai lu la réfutation très systématique de la théorie de
(2)

M. Kohler par M. Israël Lévi, dans la Revue des études juives, LWM, 10 ss. (janv. 1912).
(3i Abulfathi annales Samaritani, éd. Vilmar. Secte deDustan, p. 82; d'après la chro-

nique samaritaine d'Adler [Reu. cl. juives, XLV, 72;,Dustan vivait au temps d'Aristote;
puis secte de Dusis (Abou 1-Fath, p. 151); d'après la chronique saniaritaine(p. 225), au temps
de Philippe l'Arabe.
(4) Hérésie XIII. P. 6'.. XLI. 237.
(.5) Il est probable qu'on a lu ^-*.^j.5 au lieu de -,^_^:, par une simple erreur de
points sous le iâ ou sur le /«.
340 REVUE BIBLIQUE.

principaux sont le messianisme, rattachement très strict aux pratiques

juives, surtout au sabbat, et la négation de la résurrection. Tous les


témoignages ne sont pas explicites sur tous ces points les Grecs sont ;

toujours plus sensibles aux discussions dogmatiques, tandis que les


Orientaux ont été plus frappés des particularités du régime, mais on
peut être certain qu'une secte qui niait la résurrection vers l'an 600
n'en était pas venue là en abandonnant la doctrine contraire, puisque
le mouvement des idées a au contraire décidé les Caraïtes à recevoir

ce dogme comme les Rabbanites, héritiers des Pharisiens,


Origène n'a pas parlé moins de six fois (1 de Dosithée et de ses 1

sectateurs. C'était un Samaritain, qui vivait après Jésus. Il a essayé de.


se faire passer pour le Messie ; on lui attribuait des livres, et on croyait
qu'il n'avait pas goûté la mort. Ses partisans étaient très stricts sur
le sabbat; ils devaient rester comme ils étaient, assis ou couchés, au

moment où la loi du repos devenait obligatoire. Origène estimait


qu'il ne restait guère que trente personnes fidèles à cette doctrine.
C'est cependant l'union de ces traits est assez caractéristique,
peu et

parce qu'ils sont opposés effervescence messianique, espérances sur-


:

naturelles de la survivance du fondateur, ouvrages écrits, observance


judaïque très stricte.

Hégésippe plaçait sans doute Dosithée à la même époque, puisqu'il


le nommait après Simon le Mage (2). Après ces autorités du. premier
rang, il est superflu de citer le pseudo-TertuUien (3) et Philastre, ou
les Recognitiones clémentines (i).

Nous retrouvons les Dosithéens en Egypte, dans l'activité d'un


groupe bien défini et bien connu, disputant avec d'autres Samaritains
devant le patriarche Eulogius (5) (vers l'an 600 . Ils tenaient Dosithée
pour le Messie. Dans ses livres ce pseudo-Messie insultait le patriarche

Juda et corrompait l'Octateuque (6i.

Les Dosithéens niaient la résurrection, n'admettaient ni anges ni


démons Eulogius voit une contradiction dans leurs affirmations
; :

pour eux l'âme est corruptible, tandis que le monde est incorruptible!
Ces problèmes philosophiques ont absorbé l'attention du patriarche

(1) Contra Cels., I, .^T; VI, tl ; in Mallh. Coin, ser., c. 33 ; Uom. 25 i»i Luc. , in Joan.
xm, 27; De princ, IV, 7.
(2) Eus., H. E.,l\, XXII, 5.
(3) Dans un passage interpolé (ch. 45) du traité des prescriptions qui est bien de Tertul-
lien.

(4) On peut voir toutes les indications dans Harnack, GeschichU' der all.-Lit., I, 152.

(5) PiiOTics, Biblioth. cod. 230. P. G., CIII, 1084 ss.

'

(6) On ne sait trop ce qu'est l'Octateuque. Peut-être Eulogius voulait-il dire l'Hexa-
teuque, c'est-à-dire le Pentateuque avec Josué.
LA SECTE .ILINT: DE LA NOUVELLE ALEL^NCE AU PAYS DE DAMAS. :Ul

qui se souciait assez peu des diversrences de leurs rites par rapport
aux autres dissidents, Samaritains ou Juifs.
Ce sont bien les munies qu'Aboul-Fath a décrits longuement, en in-

sistant au contraire sur leurs pratiques. Je cite la traduction de


Sacy y 1).

« En ce temps-ld. ime troupe de gens se séparèrent des Samaritains, et se formè-


rent une doctrine particulière; on les nomma r)nxt.iii. parce qu'ils abolissaient les
fêtes légitimement établies coutumes qu'ils avaient reçues de leurs pères
et toutes les

et de leurs ancêtres '2 Ils adoptèrent sur beaucoup de points une doctrine contraire
.

à celle des Samaritains. Par exemple, ils regardaient comme impure toute eau dans
laquelle se trouvait un reptile mort. Lorsqu'une femme éprouvait une impureté lé-
gale, ils ne commençaient à compter le temps de son impureté que du lendemain
du jour dans lequel les règles avaient paru... Ils défendaient de manser des œufs,
à l'exception de ceux qui se trouvaient dans un oiseau qu'on immolait en sacrifice.

Ils regardaient comme impure toute l'espèce des serpents, quand ils étaient morts.

L'ombre des cimetières était impure suivant eux, et toute personne dont l'ombre
était tombée sur un cimetière, était souillée pour sept jours. Ils ne voulaient pas que

l'on usât de la formule. Bi:nl soit notre Diett eterneHeitient. et défendaient aussi dp
prononcer Jéhowa comme le faisait la multitude des Samaritains mais ils pronon .

çaient au lieu de cela EloJihn. Ils disaient que dans le livre qu'ils possédaient, et qui
avait été écrit par les descendants que Dieu sera servi dans
du prophète, on lisait

lu terre de Zowaïla jusqu'au temps où mont Garizim. Ils aboli-


il sera servi sur le

rent l'usage des tables astronomiques, et ils faisaient tous leurs mois de 30 jours
sans aucune différence, détruisant ainsi l'ordre légitime des fêtes ils supprimaient :

aussi les jeûnes et les mortifications. Ils comptaient les -30 jours après le jour de
Pàque,àla manière des Juifs 3)... Ils ne permettaient point que l'on mangeât ou que
l'on but. le jour du aucun vase de cuivre ou de verre, ou dans tout
sabbat, dans
autre vase qui pouvait se purifier quand il avait été souillé mais ils voulaient qu'on :

biit dans des vases de terre qui ne peuvent se purifier quand une fois ils ont con-

tracté quelque souillure. Ils ne donnaient ni a manger ni boire à leurs bêtes dt; service
i\

lejour du sabbat, mais ils préparaient et mettaient devant elles, dès le vendredi, tout ce
dont elles avaient besoin. Ils différaient des Samaritains en beaucoup de choses, outre
ce qui concerne les dogmes et les lois. Ils se séparèrent donc d'avec eux. et eurent leurs
synagogues et leurs prêtres en particulier. Ils avaient pour pontife le fils du grand
prêtre car plusieurs personnes ayant déposé contre lui, d'une manière non équi-
:

voque, l'avoir vu avec une femme de mauvaise vie. les Samaritains l'avaient anathé-
matisé et excommunié. Son nom était Zar.t. Quand il vit qu'il n'avait plus rien à
espérer du parti des Samaritains, il passa chez les Dosithéens Dostan . qui le reçu-
rent et l'établirent leur pontife. Il composa un livre dans lequel il parlait mal de tous
les pontifes, et qui était écrit dans un style très éléîant: car il n'y avait de son temps
aucun homme plus savant que lui.

On conçoit aisément que le chroniqueur Samaritain orthodoxe ait


placé une historiette de femme à lorisrine de la secte adverse, selon

.1 Chrest. ar., I. 335 s.

2) Oq ne voit [jas bien sur quel mot joue Aboul-Falb.


(3) J'omets des règles sur la pureté des maisons.
342 REVUE BIBLIQUE.

les anciens usages de l'Orient; cela remplace les prétentions messiani-


ques du fondateur qui sont passées sous silence. Peut-être on objectera
qu'Abou'1-Fath place ces faits au temps d'Alexandre. Mais, à s'en tenir
au contexte prochain, ils sont postérieurs au règne de Simon, le prince
Hasmonéen, et même à la ruine de Jérusalem. Ce fut alors, comme
l'a noté Sacy, que les Samaritains, profitant du désastre de leurs en-
nemis, revinrent de tous côtés et rentrèrent dans leur patrie. On peut
songer au temps de Pompée, tout en reconnaissant que le raccord
« en ce temps-là » est assez vague pour qu'on puisse descendre un
siècle plus bas.
Sacy (1 : cite encore Masoudi (f 956) dans les Prairies d'or :

Les Samaritains sont divisés en deux sectes, qui ne diffèrent pas moins l'une de
V.

que les Samaritains diffèrent des Juifs. Oq nomme l'une Couschan, et l'autre
J'autre.
Doostan. 11 y a une de ces deux sectes qui enseigne que le monde est éternel... »

Ce sont les Dosithéens d'Eulogius. Abou'1-Féda (2) 17 1331) :

Quant aux Samaritains, il y en a une secte qu'on nomme Lostaniet aussi Fani:
«

il y en a une autre qu'on nomme Cousanl. Les Dostaniens disent que les récompenses

et les châtiments s'exécutent en ce monde mais les Cousaniens reconnaissent la vie


:

future, ses récompenses et ses châtiments. »

Ce sont encore les Dosithéens dEuloeius, niant la résurrection.


Le témoignage du grand hérésiologue musulman, Schahristani
(f 1153), est encore plus important (3 :

« Du nombre des sectes juives sont encore les Samaritains, qui habitent Jérusalem
et différents villages en Egypte : ils sont très scrupuleux sur l'article de la pureté.
Ils reconnaissent comme prophètes Moïse. Aaron et Josué; mais ils n'admettent point
pour tels ceux qui sont venus ensuite... Un homme appelé Alfan (ou Fan) s' étant

élevé parmi eux, s'arrogea le titre de prophète ; il prétendit être celui dont Moïse
avait annoncé la venue, et l'étoile dont il est parlé dans le Pentateuque. Cet événe-
ment arriva cent ans avant l'avènement du Messie. Les Samaritains se divisèrent
alors en deux sectes, la Dochtaniens. qu'on nomme aussi Dousaniens. et qui sont la
secte de Fan : ceux-ci soutiennent que les récompenses et les peines s'exécutent en
ce monde...

Sauf la date de Dosithée, cent ou cinquante ans avant J.-C, ou en-


viron cinquante ans après, tous ces renseignements concordent suffi-
samment. La de tous, nettement samaritaine. On
secte est, de l'aveu
s'en représente assez bien les destinées. Elle débute avec un pseudo-
Messie, dont on doit naturellement croire qu'il reviendra, mais ce
n'est pas une raison pour admettre la résurrection générale. Le fon-
dateur était un bel esprit, probablement frotté de philosophie grecque,

(1) Loc. laud., p. 343. Makrizi, p. 305, cite Masoudi.


(2) Loc. laud.. p. 344.
(3) Loc. laud., p. 363.
LA SECTE JUIVE IiE LA NOUVELLE ALLLVNCE AU PAYS r>E DA>L\S. :U3

qui admettait l'éternité du monde, mais non limmortaiité de lame,


ni la résurrection. C'est peut-être ce qu'exprime la chronique sama-
ritaine en faisant de lui le contemporain d'Aristote (1 . Comme tous
les Samaritains, ses fidèles sont très stricts sur la pureté, et comme
eux aussi, ils ne reçoivent pas les Prophètes. Ils calculent la Pentecôte
comme les Pharisiens.

Ces points fixés, il faut reconnaître beaucoup d'analogies entre les


Dosithéens et ceux de la nouvelle alliance, mais on ne peut qualifier
de Dosithéenne, c'est-à-dire de samaritaine, une secte juive, sortie de
.Jérusalem pour aller au pays de Damas, qui cite comme autorité les
Prophètes et qui, très probablement, fixait la Pentecôte comme les
Jubilés 2. Les deux sectes sont conçues dans le même esprit d'op-
position au judaïsme officiel et de conservatisme intransigeant, mais
elles ont à tout le moins une origine différente.
Il est vrai que le fondateur samaritain se nommait ///a;? où M. Kohler (3) ,

a reconnu, avec raison, semble-t-il. la racine qui signifie enseigner


en araméen '4). ce qui ressemble au titre du Docteur de Justice, et que
tous deux ont été nommés l'Étoile. Mais le premier titre messianique est
très vague, le second a été porté par d'autres encore. M. Schechter a
attribué à Dosithée l'épithète de (Docteur Unique ô^. Mais ce ne peut
être qu'en cherchant dans l'histoire du Dusis d'Abou'1-Fatli son al-
liance avec un certain Yahdu (6 . Or il ne paraît pas prudent de
prendre indistinctement dans toutes les légendes relatives à Dosithée
et aux Dosithéens. Comparée à la secte que nous avons regardée
comme Dosithéenne, officielle et notoire, la secte d'Épiphane et de la
seconde manière d'Abou'l-Fath serait presque une secte gnostique, en
tout cas végétarienne, avec des tendances à la continence absolue 7).
Elle ne ressemble guère plus à celle de Damas qu'à celle des Dosi-
théens, d'Origène à Eulogius et à Schahristani. Quand on trouverait
entre tout ce qui se réclame de Dosithée dune part, et notre secte de
l'autre, certaines coïncidences dans les exigences de pureté, ce n'est
point assez pour conclure de cet amalgame exégétique à un amalaame
(1) Chronique d'AdIer, Revue des éludes Juives. XL\. 72.

(2) Voir plus loin.


fS) Loc. laud., p. 413.

(4}.=T?N- =1"?*, n;î"''":N, « doctrine », etc.


(5) P. xiiv, n. 52: la référence à Schahristani nest pas efficace.
(<j) Abou'1-Fath. p. 151 (dans Schechter, p. 251;.
(7) 'Eu.'l/v-/_tj)v xai T'.vî; aOtwv ÈyxpaTîOovTa'. «7:0 yàiiwv iiti'y. -b ^'.ôjtxi.
à::£y_ovTa'.- à)^,à

Le teste est probablement altéré, en tout cas fort elliptique. 11


à),)o: ôï y.al -r.s.obv/vjn-j'j:/.

indique que ces sectaires s'abstenaient du mariage à partir dune certaine circonstance la
mort de leur fernme ? la naissance d un lils j-Mnx: au lieu de S-co-ra'.' "?), ce qui dépasse le point
de vue de notre document.
344 REWE BIBLIQUE.

réel. On n'a pas non plus prouvé que les Dosithéens se soient établis
aux environs de Damas (1). Entre les sectes samaritaines et les sectes
juives il y avait un fossé de vieilles rancunes que personne, d'aucun
côté, ne se souciait de franchir.

ESSÉNIENS ?

On ne pouvait se dispenser de rencontrer dans cette affaire les iné-


vitables Esséniens. M. Lévi (2) pense que la comparaison s'impose.
L'inspecteur \mehaqer) lui rappelle le proviseur [épimélèté] des Essé-
niens : des deux côtés mêmes précautions vis-à-vis des profanes,
même respect exagérédu sabbat (3'. Mais ce sont là des traits de
secte. On ne trouve dans notre document aucune trace des étrangetés
esséniennes, s'habiller de blanc, prendre des bains avant les repas,
prendre les repas en commun, s'astreindre à certaines précautions
dans l'exercice des besoins naturels, s'en abstenir le jour du sabbat ^4 .

Il est que notre document n'est point complet. Mais les contradic-
vrai
tions positives ne font pas défaut. Les Esséniens, sauf un de leurs
groupements (5), s'abstenaient du mariage et mettaient tout en com-
mun pour vivre. Us ne pratiquaient pas le commerce, refusaient de
prêter serment, sauf au moment de leur profession dans la secte; on
était expulsé de la communauté par un jugement de cent personnes.

Autant de traits opposés à ce que nous lisons dans notre document. Il


est au moins douteux que les Esséniens aient eu parmi eux des Aaro-
nides (6), et qu'ils leur aient concédé des pouvoirs spéciaux; ils s'abs-
tenaient des sacrifices sanglants. Ce sont encore des difTérences nota-
bles. Mais sans parler des détails, ce qui frappe surtout, c'est que les
Esséniens — à moins que nous n'ayons été trompés par Philon, par

(1; M. Kohler revient sur la discussion deR. Méir avec un Dosithéen de Kokaba, près de

Damas. Mais M. Buechler avait déjà répondu à M. S. Krauss que le niidrach Pesiqtn ne
fait pas allusion à un liérétique Dosithéen; cf. Dosilhée elles Dosil/iéens, par Samuel

KRAiàs, Revue des éludes juives, XLII, "27-42,61 les Dosithéens dons le Midrasch, par
:

M. Blechler. eod. loc, p. 220-231.


(2' Revue des études juives, LXUl, 9 s.

(3) ScHUERER. Gesc/iichte..., 11,656 ss.


(4) Bell..II. viii. 9; c'est ce que M. Leszynsky avait cru retrouver dans notre document

11, 22 s.

(51 Bell., H, VIII, 13.

(6) Ant., XVIII,]. 5: 'ATtooÉxTa; os twv îipocroowv X£'.poTOvoùvxe;'^arÔ7iô(ia' f, yy; sÉpoi i'vopa;
àya^o'j;, '.Epît; t£ otà T:otr,(îiv aÎTou tî xal jîpwu.(XTwv. D'après Schùrer, le sens n'est pas qu'ils
élisent aussi des prêtres, ce qui supposerait qu'ils ne regardent pas les Aaionides comme
seuls propres à cet emploi, mais qu'ils emploient les prêtres qu'ils ont comme boulangers et
cuisiniers. si ion prend des prêtres pour la nourriture et
Mais la boisson, c'est qu'il s'agit
d un ou que le repas est regardé comme sacré. Dans
rite spécial les deux cas il n'est guère
besoin d'Aaronides; nous sommes bien loin de l'esprif juda'ique.
1.A SECTE JUIVE DE LA N«UVELLE ALLIANCE AU PAYS DE DA>L\S. 345

Pline et par Josèphe — sont de véritables communautés, presque


dans le sens de cénobites adonnés à l'ascèse, tandis que nos sectaires
sont des scbismatiques, mais qui nont pas renoncé à vivre à peu
près comme les autres Juifs.

ZÉLOTES?

Avant de parler enfin des Sadducéens, il convient peut-être de dis-


siper un mirage ou une é(juivoque. Josèphe a joint aux trois grands
partis des Juifs ce qu'il nomme une quatrième philosophie, le parti
des Zélotes. Or son fondateur, Judas le Galiléen, homme d'action, s'é-
tait adjoint un certain Saddoq ou Saddouq, pharisien (1\ N'était-ce
pas le théoricien du parti, et ne serait-il pas séduisant de voir en lui
le Sadoq de notre document? L'ardeur enflammée, la haine du ju-
daïsme officiel, rintransiereance passionnée du groupe, ne sont-elles

pas dignes de ceux qui ont soulevé la nation, en dépit de ses chefs na-
turels, les Sadducéens et les Pharisiens? Mais, dans cette hypothèse,
on devrait entendre, au moins une fois, cet appel à la liberté qui
était le trait distinctif des Zélotes. On ne les conçoit guère si résignés.
attendant si passivement le secours de Dieu. Et enfin on ne voit pas
que eu des égards spéciaux pour les descendants
les Zélotes aient
d'Aaron et Le nom de Sadoq, des deux côtés, est donc sans
de Lé\'i.

doute une rencontre fortuite, et. si notre document est sadocite. c'est
des Sadducéens de l'histoire qu'il faut le rapprocher.

SADDUCÉENS?

La première tradition des Caraïtes a caractérisé notre document


comme sadducéen. C'est à ce point que nous ont ramené de longs
détours. Mais n'avions-nous pas chance de trouver ailleurs plutôt que
là? La secte est intransigeante; les Sadducéens. par opposition aux
Pharisiens, passent pour représenter la tolérance et les compromis-
sions avec l'esprit gréco-romain. Faut-il renoncera l'étiquette lue par
les Caraïtes et par nous-mème, ou à l'idée qu'on s'est faite jusqu'à

présent des Sadducéens?


Cène serait qu'une fluctuation de plus, car les opinions ont déjà
beaucoup varié. A en croire Josèphe, les Sadducéens sont une sorte de
' '
\ f
;1) Ant., XVIII,,!^ 1 : 'loûSa; oà ra-J/xvÎTTr;; àvr,! ix -oizinz ôvoaa Faaa/a iaoocoxov »ï>ap'.'îarov

— SOT/ a^ôiuvo; r^Titv\t-o îtcI â:îOirrà<Tî'.... v. ys -/.ai 'loOoi; xai iàotw/.o: TîTapTr.v ç'./osoçiav
È7:-i(7axTov t,|xïv èyî'-?*vte;. Ananias Saddoiiki qui paraît dans la révolte (fie//., II, \s\\, 10;
\xi. 7 pourrait bien être un descendant Je ce Saddoq: d après Josèphe YUa, 39 1. il était
pharisien.
346 REVUE BIBLIQUE.

secte théologico-philosophique. S'il ne prononce pas


le mot d'Épi-
curiens, il du même avis et un
insinue la chose. Les Rabbins étaient
ouvrage de basse époque, Ahoth de Rabbi Nathan (1), a donné pour
origine au sadducéisme une divergence purement dogmatique. An-
tigone de Socho avait enseigné qu'il ne fallait pas servir le Seigneur
en vue de la récompense. Ses deux élèves, Sadoq et Boéthos, en con-
clurent qu'il n'y avait aucune rétribution dans l'autre vie, ni par con-
séquent de résurrection ; ils furent les pères de deux groupes d'héré-
tiques, les Sadducéens et les Boéthusiens.
Boéthos n'est point un être de raison; cest le chef d'une famille
sacerdotale amenée au souverain pontificat par la faveur d'Hérode,
Mais ce n'est point un rabbin. Sadoq devait être lui aussi autre chose
qu'un chef d'école. La petite historiette avait du moins le mérite de
conserver le souvenir du lien qui unissait Sadducéens et Boéthusiens;
ce sont deux lignées sacerdotales, ce ne sont point des écoles de ju-
risprudence religieuse ni de philosophie.
C'est ce que M. Geiger (2j a le premier bien mis en lumière.
Wellhausen (3) a suivi la même voie, et Schiirer (4) a fixé les choses
au point, avec sa précision et son tact ordinaires.
Cependant la nouvelle théorie régnante a été attaquée avec beau-
coup de verve par un jeune critique, M. Hëlscher ,5). Les Sadducéens,
dit-il, sont regardés par Josèphe et par la Michna comme des Épi-

curiens, presque comme des impies. Or il est impossible de qualifier


d'impies ou même de tièdes à l'égard du judaïsme ceux que Josèphe
représente comme Sadducéens, Jean Hyrcan, qui a contraint les Sa-
maritains et les Iduméens à la circoncision, Alexandre Jannée, qui a
détruit les villes hostiles et massacré les habitants qui refusaient de
devenir Juifs. Sur ces bases, on pouvait conclure de deux façons op-
posées taxer Josèphe et les Pharisiens d'exagération, ou nier le sad-
:

ducéisme (les anciens adversaires des Pharisiens. C'est ce dernier


parti qu'a embrassé M. Holscher, avec une logique emportée. Il n'y
eut de Sadducéens, au sens reçu, que la famille de Boéthos. Les fils
de Sadoq avaient cédé le souverain pontificat aux Hasmonéens. Ils ne
purent le reconquérir. Quelques membres de cette famille, au temps
d'Antiochus Épiphane, avaient presque abjuré le judaïsme. Leur nom

(Ij Chap. V.
(2) Lrschrift und Uebersetzungeu der Bibel, p. 101-158, en 1857.
(3) Die PJtarisûer und die Sadduciier, 1874.
(4) Geschichte...,^'' éd., II, p. 475-489.
(5) Dei- Sadduzdismus, eine Itritische Untersucluing zur spateren jùdischen Religionsj^e-
schichte, 1906. Voir la recensionde Schiirer dans la Theologische Lit.-Zeitung, 1907, 200 ss.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLL\Nr.E AU PAYS DE DA.MAS. 347

servitde sobriquet à ceux qui étaient enclins à pactiser avec les idées
grecques et le pouvoir romain. Les Pharisiens l'appliquèrent à leurs

adversaires, en le faisant remonter jusqu'au temps de Jean Hyrcan;


en réalité d'ailleurs il n'y eut jamais ni de secte sadducéenne, ni
même de parti politique sadducéen; le mot servit a désigner une
tendance plus négative que positive, celle qui se tenait en garde con-
tre la domination des Pharisiens.
On que si nos sectaires ne sont point des Sadducéens selon la
voit
manière de Schûrer. ils le seraient encore moins à la manière de
M. Holscher. Mais peut-être l'intérêt capital de notre document est-il
de nous faire mieux pénétrer dans l'histoire du sadducéisme?
Les critiques sont aujourd'hui d'accord, et M. Holscher y consent,
pour faire du mot Sadducéens un équivalent de Bené-Sadoq. Les
Benè-Sadoq, depuis Ézéchiel (xl. V6 etc. , représentaient le sacerdoce
légitime; c'est ce que constate avec éclat le texte hébreu du Sira-
cide 1 ) nouvellement découvert. Aussi les Actes des apôtres décla-
rent-ils tout uniment que le grand prêtre et ses partisans constituent
la secte sadducéenne 2 Le mot -acsijy.aTc. paraît un simple dérivé
'
.

de Sadoq. qu'on prononçait plutôt ^scBooy. (3;. Tous les principaux


prêtres n'étaient point Sadducéens —
il y en eut sans doute de phari-

siens (4.) —
et ils n'étaient point les seuls, car ils avaient de nom-
breux adhérents laïques, surtout parmi les nobles. .losèphe ne doit pas
s'être trompé en disant que les Pharisiens, à tendances démocratiques,
avaient le peuple dans la main, tandis que les Sadducéens représen-
taient l'aristocratie. Ou pourrait en déduire d'avance que les Saddu-
céens étaient plus rigoureux dans l'exercice de la justice. Les colères
du peuple sont mais généralement les législations aristo-
terribles,
cratiques sont plus dures par système Sparte et Venise en témoi- ;

gnent. Josèphe assigne d'autres différences entre les Pharisiens et les


Sadducéens. Il les traite généralement en manière de diptyque, ce
qui, comme les parallèles, est de nature à forcer les contrastes, et s'en
tient aux divergences spéculatives, puisqu'il les conçoit comme des
écoles grecques.
C'est ainsi que les Sadducéens n'admettent ni rétribution, ni résur-
rection, pas même de survivance personnelle. Ils n'admettent pas non

1) Sir.. 51, 12, verset aujourd'liui subdivisé v. 9,: Louez celui qui a choisi
: «. les fils de
Sadoq, pour exercer le sacerdoce, car sa miséricorde est éternelle. >

(2) Act., 5, 17 : ào/iîiî-j; xal r.i-i-i^ o\ irJv a-jTû. r, o-j^a %iç,Z'7:z tôjv laocov/.aiwv.
^3) SCHLKER, /. /.
4) A ceux qu'on citait, et ils étaient fort rares, il faut ajouter ce grand prêtre pharisien

qui fait des objections sur la pureté à Jésus dans un texte d'Oxyrhynque; cf. RB.. 1908,
p. 538 ss.
348 REVUE BIBLIQUE.

plus d'anges ni d'esprits. Us insistent sur l'autonomie du libre arbitre,


au point de nier l'action divine. Pourtant il fallait bien indiquer leur
antagonisme sur le terrain propre à Israël. Le voici les Pharisiens :

ont un grand nombre de traditions qu'ils regardent comme obliga-


toires, tandis que les Sadducéens s'en tiennent au texte de la Loi (1).
Si Josèphe n'a pas calomnié ses adversaires, il est difficile de les
regarder comme fermes sur du judaïsme et comme lo-
les principes
giques dans leurs conclusions. On comprend très bien que les prêtres,
dépositaires de la Loi, exégètes attitrés de ses prescriptions, aient été
outrés de voir des docteurs laïques se donner mission d'en sonder le
sens, de l'accommoder aux nécessités du jour, de donner eux-mêmes
des décisions pratiques, et de leur attribuer avec le temps une auto-
rité égale à celle des textes. Le sentiment conservateur, au double

sens de conservation du droit et de conservation de leurs privilèges,


devait nécessairement aboutir à une protestation, incarnée dans une
classe. Et l'on expliquerait ainsi la répugnance des prêtres à ad-
mettre la doctrine de la résurrection qui nétait point enseignée
clairement dans les anciens textes, non plus que la rétribution de l'au-
delà. Mais ces mêmes textes les obligeaient à reconnaître la survivance
des âmes dans le Scbéol, et l'existence des anges, par conséquent des
esprits, dans le sens assez vague que le mot d'esprit avait alors. Si
donc ils ont vradment nié ces points, il est bien vrai qu'ils ont été con-
taminés par le rationalisme grec.
Encore ne faut-il point dire avec M. Hulscher que s'ils niaient la
prédestination, ils niaient aussi la Providence, et que s'ils niaient la
résurrection, ils niaient aussi les espérances messianiques. C'est bien
le moins qu'on ne les charge pas plus que Josèphe. L'accord de la
liberté et de la prédestination est un problème trop ardu pour qu'on
sache au juste qui a excédé, les Sadducéens en niant la fatalité, ou les
Pharisiens en marquant trop la causalité divine. Et quant au messia-
nisme, il peut exister sans la moindre allusion à la résurrection des
corps, comme le prouvent tant de pages de l'Ancien Testament, et en-
core le livre des Jubilés.
Et enfin on peut se demander si, en niant la rétribution, les Sad-
ducéens n'entendaient pas se cantonner dans l'incertitude où les
laissaient les cinq livres de Moïse, et si leur négation des anges n'est
pas simplement une protestation contre les noms propres donnés aux
anges, et le rôle qu'on attribuait à des personnalités angéliques dis-
tinctes De toute façon, les Sadducéens ne font pas figure de gens qui
!

(1) Je ne crois pas nécessaire d indiquer les sources sur ces points généralement admis.
LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLL\NCE AU PAYS DE DAMAS. 340

cherchent à inculquer des idées neuves ils s'opposent plutôt au dé-


;

veloppement de la théologie. On soupçonne il est vrai que c'est par


sympathie pour le rationalisme et le scepticisme du monde grec c'est, ;

si l'on veut, la raison de leur opposition; mais cette raison, ils ne la

perçoivent pas eux-mêmes clairement, en tout cas ils ne rallèguent


pas, craignant avec raison d'être mis au ban de l'opinion juive par
leurs adversaires.
Officiellement ce sont des conservateurs attardés, ou même rétro-
grades.
Comme le Nouveau Testament et comme Josèphe. les rabbins leur
reprochent avec àpreté de nier la résurrection; c'est même leur grief
principal. Mais dans leurs livres il n'est pas question des esprits, ni
<les anges, ni de la liberté ou de la prédestination. Chose étrange,
on discute sur de menus points de la Loil Comment les Sadducéens,
s'ils tenaient mordicus au texte de la Loi, se sont-ils engagés dans des

querelles de jurisprudence? N'ont-ils pas compris qu'il faudrait fata-


lement aboutir à des déductions, et que ces déductions seraient codi-
fiées, si elles étaient correctes ou seulement opportunes? C'est qu'ils
ne pouvaient se soustraire à la nécessité. Bon gré. mal gré, il fallait
discuter. Mais les Sadducéens pouvaient toujours exiger qu'on en
revint aux textes au lieu de s'en tenir à l'autorité des maîtres, à la
façon de ces casuistes qui s'enquièrent seulement si une opinion a été
soutenue par des auteurs sérieux. C'est la manière d'Anan. qui se
sentait l'héritier de l'ancien esprit sadducéen. Ce principe posé, il im-
portait fort peu que, dans tel ou tel cas, la solution sadducéenne fût
plus rigoureuse. On se tromperait en traitant les Sadducéens de
minu-probabilistes. .

Toujours par la force des choses, les solutions sadducéennes devaient


aboutir à un code. C'est ainsi qu'Anan se montra le plus retors des
talmudistes et créa une théologie ; c'est ainsi que les protestants po-
sèrent le principe du libre examen d'après la seule Écriture, et qu'il
y eut une théologie luthérienne. Mais, dans les deux protestantismes,
du seizième siècle, le principe fondamental
celui des Caraïtes et celui
l'emporta au détriment de l'unité.
On peut estimer aussi que chez les Sadducéens, même après que
leur jurisprudence fut codifiée, on ne vit jamais se pratiquer cet
appel constant à l'autorité des maîtres qui donne un cachet si par-
ticulier au Talmud, et qu'il n'y eut point non plus chez eux de tradi-
tion constante, ni d'unité de doctrine.
Le sadducêisme, avec son principe négatif, a pu avoir aussi ses va-
La revendication enflammée des droits de la grâce de Jésus-
riations.
350 REVUE BIBLIQUE.

Christ, les outrances des puritains, ont pu faire place au latitudina-


risme religieux sans que personne s'en étonne. Ne serait-ce pas aussi
l'histoire des Sadducéens?
A juger d'après les controverses conservées dans le Talmud, ils
représentent plutôt le droit naturel on dirait qu'ils se moquent des
:

scrupules des Pharisiens à l'endroit de la pureté légale; mais sont-ils


en cela les fidèles héritiers des premiers Sadducéens? Nous indique-
rons rapidement les espèces controversées dans les écrits talmudiques.
Chez les Hébreux, d'a(M«sla législation mosaïque, la fille n'héritait
qu'à défaut de fils. Mais la petite-fille qui n'avait pas de frères héritait
en concurrence avec ses oncles, parce quelle représentait les droits
d'un fils.

Telle était la loi iVum. xxvii, l-ll). Les Pharisiens s'y tenaient, mais
les Boéthusiens trouvaient cela très peu naturel (1 . Dans ce cas
les Boéthusiens ont franchement tort ; ils s'écartent du texte de la
Loi. Peut-être le gros des Sadducéens ne les aurait-il pas suivis
jusque-là.
La loi condamnait à payer des dommages-intérêts pour le fait du
bétail (Ex. xxi, 32, 35 s.). Pourquoi, disaient les Sadducéens, ne pas
raisonner par analogie, s'il s'agit de votre esclave ri)? Dans ce cas
c'est encore sur le droit naturel que s'appuie le Sadducéen, mais pour
aboutir à une solution plus rigoureuse en matière de restitution.
Les faux témoins étaient sévèrement punis (Dt. xix, 19-21). Mais
les Sadducéens ne leur infligeaient de peine que si l'innocent avait
été exécuté à la suite de la fausse déposition, tandis que les Phari-
siens l'infligeaient aussitôt le jugement prononcé, même si l'inno-
cence de l'accusé était reconnue avant l'exécution. Ici les Sadducéens
sont moins durs [3), et paraissent avoir été dans l'esprit de la loi du
talion. Les Pharisiens n'en jugeaient pas ainsi, et croyaient avoir fermé
la bouche à leurs adversaires.
Les Sadducéens s'étonnent que les Pharisiens purifient le chande-
lier (i), que les Livres saints souillent les mains 5) ils ne compren- i
;

nent pas que les os d'un àne soient puis, tandis que les os du grand
prêtre lochanan sont impurs 6). Les Pharisiens ont réponse à tout,
et les railleurs en sont pour leur courte honte. Ce n'est pas d'après

(1) Tos. Indann, n. 20.


(2) ladaim, it, 76.
(3) Makkoth, i. G.
(4) Tos. Kliogiga. m. 35.
(5) ladann, iv, G.
(6) ladaim, iv, f..
LA SIÎCTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AL' PAYS DE DAMAS. 3.il

ces traits qu'on peut se faire une idée des opinions sadducéennes.
Le Sadducéen cherche querelle, ce qui lui donne Fair d'un esprit

fort. On dirait de la lutte du commis voyaeeur contre le capucin

dans les histoires pieuses populaires. Assurément notre document est


aux antipodes de cet esprit sadducéen, mais qui consentirait à juger
ce g-rand parti d'après ces caricatures? Peut-être n'y a-t-il au fond
(le ces histoires que la protestation du parti sacerdotal contre la mul-

tiplication des observances positives, surtout dans l'ordre des purifi-


cations, ce qui n'empêcherait pas les Sadducéens d'être plus sévères
dans tel cas particulier 1), !

li est incontestable qu'ils ont tenu pour la lettre de la Loi sur

deux points qui sont de grande importance dans la discussion ac-


tuelle.
Dans le premier de V'Eroub. Les Juifs ne peuvent
cas, il s'ag-it

porter des objets en dehors de leur maison le jour du sabbat. Dans

certains cas. il pourrait être utile de les sortir dans la cour formée
par phisieurs maisons contiguës (2 Il suf usait, pour rester dans la
,

légalité, de traiter cette cour comme une partie de la maison [maboï),


ce qui se faisait avec l'agrément des co-propriétaires. Mais si l'un
d'eux était un gentil, ou s'il n'admettait pasT'^ro^/ô? On ne s'inquié-
tait pas du gentil, mais on ne pouvait passer outre à l'opposition de
l'Israélite. Vient ensuite l'histoire de Raban Gamaliel. Son père lui
(lisait : Sortez vite tous les vases dans le mabo'L avant que le Saddu-
céen sorte quelque chose et ne vous rende illicite. Quoi qu'il en
le

soit des subtilités des commentateurs, on dirait bien que le Saddu-

céen n'est cité ici que parce qu'il a été question de personnes, autres
que les gentils, qui ne reconnaissent pas 1' Eroub (3).
Voilà donc un point très important sur lequel les Sadducéens refu-
saient de se prêter aux artifices des Pharisiens pour tourner la loi;
ce n'était pas pour avoir le plaisir de les vexer en se privant eux-

1} Celui de l'ara, m. 7, est particulièrement difficile. D'après Schiirer, les Sadducéens se

montraient plus sévères sur un cas de pureté lévitique, mai* l'interprétation contraire peut
être soutenue.
(2) Ou dans une rue fermée.
(3) 'Eroubin,\ï, 1 : ...2.r\vi HTra ij\s^ wj ix "i];n2 ''i::n " ^-n.
Voici d'ailleurs traduction des deux premiers §§ d'après Surenhusius
la SI quis habitat :

cinn gentili in atrio, aut cvm eo, qui non confitefur mia hiravi ecce liic probibet ilhtm.
.

Rabbi Klieser fiUvs Jacob dixit : In afernuni non prohibef, 7iisi dinn fuerint duo Is-
raelitae prohibenles alter alterum? Dixit Rabban Gamaliel : factxim {narrabo) de Za-
dokaeo aliqiio, qui liabilavit nobiscum in inlroitu in Jérusalem, et dixit nobis Pater
meus : feslinate, et exportate vasa in introHum, anteqvam (iste) exportet et prtrliibeat
vobis. Rabbi lehudali utitvr atia phrasi : Fesfinate, et facile nécessitâtes vestras in
introilu, dxim ille nondum exportaveril {qiiicquam), et prohibeat vos.
352 REVLE BIBLIQUE.

mêmes d'un avantase, mais pour maintenir le précepte du sabbat


dans son intégrité contre les subtilités de la casuistique phari-
sienne.
Or notre document a précisément un article qui défend de faire
V'Eroub le jour du sabbat (xi, 3) d). Et les points principaux sur

lesquels a erré Israël, ce sont les sabbats saints et les solennités glo-
rieuses (III, 15).
par rapport aux solennités, à la fête de la Pentecôte, que la
C'est
Michna a signalé une seconde divergence légale encore plus grave.
Cette fois ce sont les Boéthusiens qui sont en scène, mais sans doute
pour désigner tous les Sadducéens. D'après le Lévitique i^xxiii, 15 s. ,

on devait une gerbe comme prémice de la moisson le lendemain


offrir

du sabbat. Puis on comptait sept semaines, c'est-à-dire quarante-neuf


jours, et l'on célébrait la fête des semaines. En prenant le sabbat dans
son sens propre, le jour de la gerbe était toujours un dimancbe, et le
cinquantième jour aussi. Dans quelle relation était ce sabbat avec
la Pâque? Le texte ne le dit pas. Il est probable que les deux fêtes
avaient d'abord leur détermination propre, et qu'elles n'ont été soudées
qu'avec le temps dans un même texte. Les Boéthusiens s'en tenaient

au sens propre du mot sabbat. Mais alors la fête des semaines n'était
pas toujours le cinquantième jour après Pàque... Pour que l'intervalle
fût absolument régulier, les Pharisiens entendirent par le sabbat le
lendemain du lô nisan, (jue ce fût ou non un dimanche, et cette
exégèse est déjà celle des Septante *2i, de Philon i3i et de Josèphe (i .

Mais la ]\Iichna a conservé le souvenir de l'opposition des Boéthu-


siens (5i. Cette fois encore, et sur un point dune haute gravité, les
Sadducéens se montrent opiniâtrement attachés au texte, tandis que
les Pharisiens donnent son terme naturel au mouvement de coordi-

nation ({ui rattachait les deux fêtes l'une à l'autre (6).


Les Sadducéens n'étaient donc pas ces indifférents presque ces .

(!) Du moins c'est le sens le plus vraiseinlilable, si ion ne corrige pas le texte.

(2) T^ Èîtaypiov -ry;; TiptoTr,;.

(3) De Septenario, •^. 20, Mangey, II, 294.

(4) Ant., m, X, 5.

(5) Menalihoth, s. 3. rite pour cueillir les gerbes, « à cause des Boéthusiens, qui disent
qu'on ne moissonne pas la gerbe au jour qui suit la fête ».
(61 On pouvait imaginer une autre combinaison, entendre par sabbat le septième jour de

Pàque. c'est-à-dire le 21 nisan. Si l'on comptait ensuite quarante-neuf jours avec des mois
lunaires de 28 jours, la fête des semaines tombait toujours le 15 sivan. C est peut-être le
système du livre des Jubilés, à supposer qu'il ait combiné une année solaire de douze mois
de trente jours avec quatre jours intercalés aux saisons, soit de 364 jours, et une année
lunaire de treize mois de 28 jours. Voir la note de Charles sur Jubilés 6, 29. et l'article
de Eppstein auquel il renvoie [Revue des études juives. XXII. 10-13~.
LA SECTE JUIVE DE EA NOLVEELE ALLIANCE AU PAYS DE DAMAS. 3oH

Épicuriens, que les Pliarisieiis dénonçaient au peuple; les Apôtres ont


été victimes, comme
Jésus lui-même, de leur zèle pour la religion
judaïque. Mais, moins de n'accorder aucune foi au témoignage
à

concordant du Nouveau Testament, de Josèphe et de la Miclina,


c'étaient des hommes d'Etat peu enclins à admettre les manifestations
surnaturelles, très fermes sur la tradition religieuse, mais très hostiles
à tout mouvement nouveau, même favorable à la piété, un peu comme
ces parlementaires du xviif siècle, qui faisaient brûler les écrits de
Voltaire par la main du bourreau, et qui se moquaient de la dévo-
tion au Sacré-Cœur.
La sévérité, même
la dureté, se concilient assez bien avec un cer-
tain scepticisme, et Ion peut estimer encore (jue le scepticisme était
de date récente, et que les premiers Sadducéens dépassaient les Pha
risiens eux-mêmes par le rigorisme de leurs décisions. Entendus ainsi,
les Sadducéens auraient pu donner leur nom à nos sectaires de Damas,
demeurés comme eux fidèles au principe directif de l'attachement à la
Loi, et à la Loi seule. Mais ce qu'on ne peut vraiment concevoir, c'est
que grand parti sadducéen ait donné dans les révélations nouvelles,
le

plus ou moins dissimulées par des étiquettes apocryphes, et qu'il ait


reçu aisément des livres saints nouveaux.
Plusieurs Pères ont pensé qu'ils n'acceptaient d'autres livres saints
que le Pentateuque il). C'est sans doute une exagération on les aura :

confondus avec les Samaritains. Néanmoins il est très vraisemblable


que le Pentateuque a été pour eux le livre canonique par excellence,
et c'est sans doute pour cela que X.-S. s'en est tenu aux textes de
Moïse pour leur prouver la résurrection des morts.
Comment veut-on devant des productions
qu'ils se soient inclinés
apocryphes, fussent-elles attribuées à Hénoch ou à Noé? Or non seu-
lement notre document affecte de citer des livres apocrvphes comme
des autorités; s'appuie expressément sur une révélation nouvelle.
il

Il ajoute il est vrai que cette révélation n'a pour objet que le véritable
sens de la de Moïse, mais ce n'en est pas moins une nouvelle
loi

alliance, et le haut corps sacerdotal, dépositaire officiel de l'exégèse


de la Loi, pouvait-il supposer si aisément qu'on en avait perdu le
secret ?

RÉACTIOXXAIRES MESSIAXISTES.

Notre groupe ne saurait donc être rattaché sans plus au parti saddu-
céen historique. D'ailleurs il dit assez haut qu'il constitue une secte

(1) Origène, Contre Cels., \, 49; Comment, in Mattli, xvii, 35: saint .Jérôme. In Matth.
xxn, 31-32, etc.

REVUE BIELinUE 1912. — X. S., T. IX. 23


3u4 REVUE FMBLinUE.

à part cependant son isolement n'est pas complet, puisqu'il cite avec
;

sympathie et comme des autorités le Testament des XII Patriarches iiv.

loi et le livre des Jul)ilés [xxi, 3 s. "^ le livre de Jérémie à Baruch viii,
20), celui d'Elisée iviii, 20 s.) à Géhazi, et fait allusion à l'histoire de
Jamièset de Mambré [\, 18). sans parler du livre du Hég-ou, canonique

par excellence, et dans lequel il est difficile de reconnaître, avec


M. Kohler (1), le Pentateuque de la lecture publique.
Nous possédons encore les deux premiers ouvrages, et nous pou-
vons juser des ressemblances. On ne saurait s'arrêter beaucoup au
Testament des XII Patriarches. Je crois que c'est bien lui que vise notre
document. Les reproches qui sont attribués à Lévi se retrouvent dans
le Testament de Lévi, non point textuellement, mais assez spéciaux
pour que la rencontre ne soit pas fortuite (2 Mais les Testaments ont .

été trop altérés par des mains chrétiennes pour qu'il soit utile d'en-
trer dans le détail. Dans l'ensemble, c'est le même esprit. Dans les
deux ouvrages. Lévi est exalté avec affectation. Il y a cependant cette
différence que les Testaments, tout en glorifiant Lévi, plus même
que notre document, n'ont point renoncé à Juda, qui garde une
très belle place, et même, si nous ne nous trompons, ses espérances
messianiques u'î).

Avec les Jubilés nous sommes sur un terrain plus solide, puisque
persomie ne regarde cet ouvrage comme interpolé par des chrétiens.
Il débute par ces mots « Ceci est le récit de la division des jours de
:

la loi et du témoignage, des événements des années, selon leurs se-


maines, selon leurs jubilés, dans toutes les années du monde (i). »
C'est donc bien cet ouvrage qui est cité en ces termes : »( Et le vrai
sens de leurs âges... voilà que cela est clairement défini dans le livre
des divisions des temps, selon leurs jubilés et leurs semaines... »

(xvi, 2 s.).Le livre des Jubilés est une révélation, transmise par le
ministère d'un ange, mais ne prétend être que le vrai texte de la loi
de Moïse, qui en est censé l'auteur. Ce qu'il reproche à ses contem-
porains, c'est d'avoir oublié la loi de Dieu et ses commandements et
ses jugements, et de courir après de nouvelles lunes, et des sabbats et
des fêtes et des jubilés et des ordonnances (mal réglés; [Jiib. i, li;.
précisément comme notre document (m, li ss. .

Ce qui se dissimule encore sous ces phrases, ce que les Jubilés expli-

(1; Loc. laud.. p. 415.


(2) Léri. XIV, 5-8. Cepeadant Lévi vise directement les prêtres auxquels il reproche des
désordres moraux plus nets.

(3) Traduction Martin, RB., 19tl, p. 321.


^-i) Cf. Le Messianisme..., p. 72 ss.
LA SECTE JLIVE DE L\ NOUVELLE ALLL^NCE AL' PAYS DE DAMAS. 3^o

queront très nettement (vi, 29 ss. ), c'est Fadoption de l'année solaire,


au lieu de l'année lunaire plus ou moins raccordée au moyen d'un
cycle. On a passé beaucoup trop légèrement sur ce fait. Les Jubilés,
dit-on, sont l'œuvre d'un pharisien qui n'avait pas le même calendrier
que les autres. — Mais c'est dire qu'il était séparé des Pharisiens par un
abîme! Qu'on songe à la hardiesse de Mahomet qui a rompu avec le

monde civilisé — même —


pour imposer à ses fidèles une
en Arabie
année purement lunaire, qui n est donc pas une année! Et l'Église
orthodoxe s'obstine à ne pas suivre le cours du soleil pour ne pas
paraître suivre en même temps une réforme romaine, à tout le moins
pour ne pas troubler l'ordre des fêtes d'une seule année C'est le !

calendrier qui a alimenté bon nombre de controverses entre Rabbanites


et Caraïtes. Or, surce point d'importance majeure, notre document était
d'accord avec les Jubilés, si l'on consent à lui appliquer ce que Qirqi-
sâni dit des Sadducéens, qu'ils suivaient l'année solaire (1;.
Pour poursuivre comparaison des deux textes, il faudrait reprendre
la
dans deux législations: mais les notes de la traduction
le détail les

indiquent les principales ressemblances. L'ne grande sévérité est à peine


l'indice d'une étroite parenté, mais voici des traits où l'on peut conclure
à la dépendance même littéraire.
« Leur connaissance les abandonnera à cause de leur grand âge »

[eriint transeuntes ab ipsis spiritus inlellectus ipsorum\ dans Jubilés

(xxiii, 11) à comparer avec notre texte (x. 9 s.). « Abraham a été

mentionné sur les tablettes divines comme ami de Dieu » iJub. xix,
9) « ceux qui observent l'alliance seront remémorés comme amis »
;

iJiib. XXX, 21), et notre texte (iii. 2 ss. Les deux textes attachent de
i.

l'importance à la venue de l'Esprit saint; dans les Jubilés il doit venir


(i. 21. 23), dans notre document il est déjà connu (ii, 12) et possédé

'^v, IJ). Les deux ouvrages ne citent aucun nom propre d'ange, mais
tous deux connaissent les mauvais esprits, Beliar ou Kelial iJub.
I, 20 ; cf. ici iv, 15; v, 18; xu, 2) etleMastêma(/2/6. x. 8 ; xi, 5.11 ; xix,
28, etc. ; ici xvi, 5).
Malheureusement nous ne pouvons comparer les Jubilés et notre
document sur un point capital, les espérances de l'autre vie. On est
d'accord que les Jubilés admettent la rétribution, mais pour l'àme
seule, en gardant le silence sur la résurrection. De notre texte on ne
sait que dire; il est encore plus sobre sur l'au-delà. S'il prononce le

nom de vie éternelle ni, 20), on ne sait trop dans quel sens, et il

conserve l'ancienne formule de la vie continuée par la postérité

(1) Voir plus haut.


336 REVUE BIBLIQUE.

(vu, 5 ss. ; xix. 1), laquelle d'ailleurs n'exclut pas la survivance person-
nelle. Au contraire, deux graves divergences sont certaines : les Jubilés
attendent encore le Messie de Juda ^xxxi, 18-20); notre document lui
tourne le dos (iv, 11). Et tandis que les Jubilés préconisent le mariage
de l'oncle et de la nièce {Jiib. iv, 15, etc.), notre document le regarde
comme interdit (v, 7 ss.).
En dépit de cette attitude différente, qui tient sans doute aux circons-
tances, notre document appartient donc au même groupe que le Testa-
ment des MI Patriarches, que les Jubilés, que le livre d'Hénoch,
cité par La solution qui conviendra à notre texte devra donc
les Jubilés.

convenir aussi aux Jubilés. La question s'est élargie; elle n'est point
plus aisée à résoudre pour cela. On attribuait ordinairement le livre
des Jubilés à un Pharisien, d'une école spéciale un Kvre qui admet :

les châtiments et les récompenses de l'âme, et possède une très riche


angélologie ne peut être l'œuvre d'un Sadducéen. A quoi plusieurs
savants répondaient déjà: une école aussi sympathique aux apocryphes
et acquise au calendrier solaire ne peut être pharisienne. Le document

découvert par M. Schechter ajoute un poids décisif une école acharnée :

à combattre les Pharisiens n'appartient pas à leur parti. Aussi voyons-


nous M. Kohler et M. Lévi parler du caractère franchement sadducéen
et des Jubilés et de notre texte. Mais de quels Sadducéens parle-t-on?
« En fait, dit M. Lévi, le sadducéisme intégral des prêtres légitimistes

est d'une autre espèce ou d'une autre époque que le sadducéisme


mitigé de ceux qui se rallièrent à la famille hasmonéenne il).» En
quoi peut consister ce sadducéisme intégral? M. Lévi ne nous la
encore point dit, et prouvera difficilement qu'il soit conciliable avec
l'esprit apocalyptique. Toutefois, nous devons tenir compte de ce fait
que, comme notre document, le Testament des XII Patriarches et les
Jubilés sont extrêmement favorables à Lévi, Tout concorde donc, la
critique interne et la tradition des premiers Caraïtes, à rattacher la
secte au sacerdoce de Jérusalem, et, d'une façon large, aux fils de
Sadoq. Mais au lieu de la considérer comme le sadducéisme intégral,
la grande tradition des chefs du sacerdoce, j'y vois une branche déta-
chée, qui a résolument fait schisme: elle a probablement été détachée
à cause de ses opinions choquantes pour le sens rassis et politique qui
a toujours dû être celui des chefs du haut clergé ou des Sadducéens.
C'est presque l'hypothèse de M. Lévi, mais il lui donne un tour parti-
culier que je ne saurais recevoir sans difficulté.
M. Lévi admettrait volontiers que la partie législative du document

1) Revue des Etudes juives, LXIII, 2.


LA SECTE JLIVE DE LA NOUVELLE ALLLANCE AL' PAYS DE DAMAS. 3b7

a été retouchée même remaniée assez profondément. Mais il tient la


et

partie historique pour antérieure à la ruine du Temple. Le moment du


schisme est fixé avec précision, peu après la profanation du Temple
par Antiochus. Le motif en fut le dépit qu'éprouva le parti des grands
prêtres légitimes de voir les Hasmonéens en passe dusurper le souve-
rain pontificat sur les fils de Sadoq. Déjà les Juifs avaient commis une
infidélité abominable en donnant la grande prêtrise à Alcime
16-2 av. J.-C), etles Hasidim s'étaient rangés du côté de l'usurpateur.

Comme Onias IV quitta la Judée poui* fonder un temple à Léontopolis,


notre secte transporta au pays de Damas les sacrés pénates. Cet exode
« est parallèle à celui des partisans d'Onias ; il est le contre-coup des
mêmes déceptions 1 ».

Si l'on objecte qu'alors nos sectaires devaient exhaler leur bile contre
leurs confrères, M. Lévi a une réponse élégante. « C'est qu'il en coûtait
à des prêtres de confesser que des prêtres avaient manqué à leurs
devoirs les plus sacrés. Il mal à des
était politique d'attribuer tout le

laïques, à ces Pharisiens honnis, qui n'avaient pas reculé devant un


attentat odieux. N'est-ce pas la même tactique que suivent les cléricaux
de notre pays? A en croire ceux-ci, les lois contre l'Église ne sont pas
l'œuvre des Français nés dans le catholicisme, mais des juifs ennemis
du christianisme [2 . »

Cette conjecture n'est peut-être pas trompeuse. Quoi qu'il en soit,


j'ai déjà dit que je croyais cette date trop haute, et la discussion de
l'opinion de M. Lévi confirmera cette conclusion.
Il est tout de même étrange, si la secte préfère démasquer ses ennemis
cachés plutôt que de s'en prendre à ses adversaires officiels, qu'elle ne

dise absolument rien de ses prétentions et de ses droits. C'est très mo-
destement que les sectaires se disent fils de Sadoq. Ce sont les parfaits
de l'avenir qui auront vraiment droit à ce titre (iv, 3 s.).
Sadoq n'est point cité comme un ancêtre qui a transmis des droits,
mais comme un docteur dont on suit la doctrine. C'est un père spirituel,
plutôt que le chef de la race.
De plus M. Lévi n'a pas prouvé que le document était antérieur à la
ruine du Temple: tout ce qui en résulte, c'est que le culte existait
encore au moment de lexode, mais cette condition pouvait encore
être réalisée au temps de Bar-Kokébas. Et l'auteur du document sup-
pose que la ruine de la nation a été consommée et dure encore. Cet
argument nous a déjà servi, mais il en est un autre qu'on ne pouvait
alléguer avant d'avoir reconnu la parenté de notre texte avec les

(1; Loc. laud., p. 4.

(2^ Loc. laud., p. 4.


358 REVUE BIBLIQUE.

Jubilés. Personne ne propose de les dater plus haut que le règne de


Jean Hyrcan; or notre auteur les cite. Il est donc postérieur, et, de
plus, la secte tenait donc ce livre et les Testaments comme presque
canoniques avant de quitter Jérusalem. M. Lévi imagine que ces livres,
composés après le schisme, ont été reçus avec joie par les pénitents de
Damas. Cette hypothèse, toute gratuite, est très peu vraisemblable.
La secte était donc à la fois dehors et dedans? Elle sétait donc par-
tagée? ou a-t-elle fait des disciples qui sont devenus ses maîtres? Tout-
cela s'accorde assez peu avec son caractère de secte fermée.
Il y a plus, et il faut tenir compte de l'évolution de l'idée messia-

nique. Avant l'avènement des Hasmonéens, qui pouvait songer à un


Messie descendu de Lévi? C'est sous l'influence de cette dynastie sacer-
dotale que Lévi grandit au point où nous le trouvons dans les Tes-
taments et dans les Jubilés. Il s'en faut de peu que le Messie de Lévi
ne supplante le Messie de Juda dans les Testaments. Malgré tout, Juda
y conserve encore quelque chose de ses prérogatives. Qu'une mani-
festation messianique tentée au nom de Juda échoue, on comprend
l'irritation des partisans de Lévi, et le prétexte qu'ils ont pour re-
noncer au messianisme judéen. Mais comment mettre cette haine de
Juda dans la bouche des prêtres qui font schisme pour ne pas ac-
cepter le gouvernement des Hasmonéens? Le souvenir de David et les
promesses faites à sa race étaient leur meilleure arme contre les nou-
veaux souverains.
Placer notre secte, telle que la représente notre document, avant les
Jubilés, c'est placer le dernier acte du schisme avant le mouvement
d'idées qui devait le préparer.
Donc, à ne tenir compte que de la partie historique, très arbitrai-
rement séparée du reste par M. Lévi, on ne peut situer les faits à
une date si haute.
Voici comment nous comprenons la suite des choses.
Aux premiers jours du soulèvement macchabéen, la réaction reli-
gieuse représentée par les Hasidim atteignit son maximum d'intensité
, ,

Nous savons qu'alors les règles relatives au sabbat étaient plus sévères
qu'elles ne furent depuis 1). Mais on ne peut qualifier ces rigoristes
de pharisiens ni de sadducéens; la distinction n'existe pas encore.
C'est sous Jean Hyrcan, d'après Josèphe, que la scission se produit.

(1) .\insi l'interdiclion de faire la guerre le samedi, observée d'abord à la lettre (I 3Iacc.,
2, 31-38, etc.), fut limitée à la guerre ofifensive (IMacc, 2, 41). On lit aussi dans Sanh. 46"
que durant les temps syriens on lapidait celui qui serait monté à cheval le jour du sabbat.
La jurisprudence devint moins sévère. Pendant le siège de Titus, les Juifs prirent même
l'offensive le samedi (Bell., II, xix, 2).
LA SECTE JLTVE DE LA NOUVELLE ALLL\NCE AU PAYS DE DAMAS. 3:i0

Une partie du haut clergé, sans rien perdre de sa ferveur pour les
intérêts du judaïsme, non plus que les princes eux-mêmes, se montre
indulgente pour les tendances profanes dun pouvoir qui devient une
cour; c'est l'origine des Sadducéens de Thistoire. Le prince s'appuie
sur eux plus volontiers que sur les Pharisiens, grands prédicateurs de
vertu, et d'une vertu conçue à leur manière. On peut très bien con-
cevoir que quelques prêtres ou lévites, sans entrer dans le mouvement
pharisien, par esprit de caste ou par attachement aux anciennes idées,
se soient tenus à l'écart du courant qui entraînait la partie la plus in-
fluente du sacerdoce. Héritiers de l'esprit des premiers héros, conser-
vant le souvenir du secours divin annoncé par Daniel, ils ont constitué
comme une école religieuse très fervente et très enthousiaste, où l'on
revêtait volontiers l'enseignement et la propagande de la forme apo-
calyptique. L'adoption de l'année solaire leur donne un faux air de
sympathie pour le progrès, mais leur année de 36i jours n'était point
fondée sur l'observation scientifique; il semble plutôt qu'elle avait
pour but de donner aux fêtes un ordre immuable^ en fixant spécia-
lement la fête des Semaines au dimanche, conformément au texte de
la Loi. Le principal intérêt de la découverte de iM. Schechter est de

nous apprendre que les apocalypses, dans le style d'Hénoch ou dans


celui des Ju])ilés, n'étaient point des rêveries d'isolés, mais les mani-
festes d'un groupe compact et agissant. C'est une preuve de plus de la
vitalité des espérances messianiques et de leur rôle dans la vie reli-

gieuse d'Israël. Cependant, l'histoire étant muette sur leur compte, on


doit sans doute regarder ces âmes comme ayant exercé d'abord leur
ardeur dans la spéculation, sans prendre parti dans les luttes politi-
ques. Us ont été très frappés de l'ascendant pris par la tribu de Lévi,
et se sont associés à sa gloire, étant eux-mêmes de race sacerdotale ou
lévitique pour la plupart. La triste fin des Hasmonéens, le règne d'Hé-
rode, si profane et presque païen, les révoltes du début du premier siè-
cle, l'agitation croissante contre le pouvoir romain ont dû contribuer à
changer en fanatisme étroit un esprit déjà très intransigeant; il se
forme une véritable secte. Après la prise de Jérusalem par Titus, le
mal parut à son comble. Le châtiment était une preuve que la nation
avait été conduite par ses docteurs officiels sur une pente fatale. Ce
fut pire encore lorsque Bar-Kokébas eut agité en vain les espérances
messianiques de Juda. Les bâtisseurs de muraille et les crépisseurs
opposaient au mal d'inutiles palliatifs. Il fallait remonter d'un bond
à l'esprit des temps anciens, reconstituer la vie du désert, se retirer
d'un monde corrompu, se séparer même de Juda, irrémédiablement
gangrené, et attendre le Messie qui ne pouvait manquer de sortir de
360 REVUE BIBLIQUE.

la secte, reste fidèle d'Israël, tout en pratiquant strictement la Loi,


selon la bonne manière, garantie par une révélation. C'est ce qu'on
essaya de faire au pays de Damas. Ni Pharisiens, ni Sadducéens, nos
sectaires sont animés du plus pur esprit réactionnaire , entretenu par
des apocalypses. Ils se croyaient plus fidèles à l'esprit de la loi que les

Pharisiens, et à celui du sacerdoce que les Sadducéens. De leurs ori-

gines ils ont gardé ce dernier titre, que les Caraïtes ont reconnu, et
qu'ils ont assez naturellement confondu avec celui des Sadducéens de
l'histoire.

Jérusalem, 16 février 1012.


Fr. M.-J. Lagrangk.
LES REGENTES ATTAQUES
CONTRE

L'AUTHEXTICITÉ DE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIEXS

La critique d'authenticité des treize épitres qui portent le nom de


Paul l'Apôtre s'engage dans une voie toujours plus favorable à la
tradition. Il se rencontre bien quelques auteurs isolés qui nient en
bloc l'authenticité de toutes les épitres pauliniennes, mais on ne les
prend pas au sérieux.
La très grande majorité, pour ne pas dire l'unanimité, des auteurs
qui écrivent sur l'œuvre littéraire du grand Apôtre, lui reconnaissent
la paternité des quatre grandes épitres, de la première lettre aux
Thessaloniciens, des épitres aux Philippiens. aux Colossiens, à Philé-
mon. Il y a quelque rare opposition à la seconde lettre aux Thessalo-
niciens. Pour l'épitre aux Éphésiens et pour les épitres pastorales,
il y a plus dhésitations. voire des dénégations: cependant beaucoup

de protestants et de rationalistes et tous les auteurs catholiques dé-

fendent énergiquement l'origine paulinienne de ces documents.


Nous voudrions examiner ici les arguments qu'on a allégués dans
ces derniers temps contre lauthenticité de l'épitre aux Éphésiens :

un exposé historique des récentes controverses relativement à l'au-


thenticité de cette lettre servira d'introduction; on fera ensuite la
critique des arguments apportés dans le débat.
Sans se peut-être par l'originalité des considérations
justifier
émises, cet article peut avoir sa raison d'être dans l'actualité des
attaques dirigées contre une lettre importante, d'un contenu doc-
trinal très riche, et dont la provenance apostolique, appuyée par
des raisons très solides, finira sans doute par s'imposer de plus en
plus, et par conquérir les suffrages de tous les critiques qui sauront
apprécier équitablement les données assez complexes du problème.
En tout cas, l'on a pensé qu'il pouvait être de quelque utilité de
362 REVUE BIBLIQUE.

rapporter et de juger les arguinents qui, de nos jours, paraissent


aux adversaires de l'authenticité de cette lettre (1), probables ou
convaincants. On verra par cet exposé comlùen, dans le courant des
trente dernières années, ces objections se sont modifiées, et comment
les défenseurs de l'authenticité, en serrant de près les difficultés
qu'on leur opposait, ont définitivement écarté des arguments réputés
jadis solides et décisifs.
Dans les limites étroites d'un article de revue, il n'a pas été pos-
sible de donner à l'exposé et à la critique des objections toute l'am-
pleur désirable. On s'est efforcé cependant de reproduire fidèlement
les difficultés et de les apprécier dune manière objective et suffisam-
ment étendue.

La position actuelle de la critique hostile à l'authenticité de l'épître


aux Éphésiens est déterminée, dans ses grandes lignes, par l'ouvrage
de H. Holtzmann que nous venons de citer en note. Cette longue
monographie, dont cependant plusieurs conclusions importantes ont
été abandonnées, même par la critique la plus radicale, résume et
expose les objections contre l'authenticité de l'épitre aux Éphésiens
d'une manière saisissante qu'on a longtemps suivie dans le camp
hostile à cette lettre. Il est nécessaire de rappeler, en quelques mots,
l'argumentation du professeur allemand et les conclusions princi-
pales de son étude.
Le point de départ des conclusions de M. Holtzmann fut l'examen
des relations littéraires entre l'épître aux Colossiens et la lettre aux
Ephésiens. Ces relations constitueraient un problème inextricable.
Le parallélisme des deux épitres est très étroit :2), et il serait néan-

(1) A coté (le quelques articles (jui seront indiqués plus bas, nous avons surtout examiné
les arguments apportés contre raulhenlicilé de l'épître aux Éphésiens par les auteurs dont
les noms suivent :

C. Clemen, Paulus. Sein Leben und Wirkert. I, Giessen, Ricker, 1904;


R. Scott, The Pauline Epiatles. a crilical study, Edinburgh, Clark, 1909:
M. DiiiELiL's, Die Geisterwelt im Glauben des Paulus, Guttingen, Vandenhoeck, 1909:
J. MoFFATT, An Introduction to the Literature of the Neu- Testament, F^dinburgh.
Clark, 1911; iD., The Problem of t'phesians, dans VEvpositor, September 1911.
Parmi les ouvrages ])lus anciens, signalons H. Holtzmann, Kritik der Epheser und Ko-
losscrhriefe auf Grund einer Analyse ihres Venrandtschaflverhaltnisses (Leipzig, En-
gelmann, 1872) et H. von Soden. holosser. Epheser. Philemon, Pastoralbriefe, dans le
Hand-Commentar zum Aeuen Testament (Freiburg, Mohr, 1893) qui ont été mis à con-
tribution par les auteurs cités plus haut.
(2) On a, plus d'une fois, imprimé en colonnes parallèles les textes correspondants des
deux épitres récemment encore J. Ritherflrd, S. Pauls Epistles to Colossae and Lao-
:

dicea, Edinburgh, Clark, 1908.


LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHESIENS. 36:i

moins impossible de déterminer Ja priorité de Tune sur l'autre. H'a-

près tel texte, la priorité serait évidente pour l'épitre aux Colossiens
[Col. IV, 7-8 cfr, Eph. vi, -li-lï), d'après tel autre passage [Eph. iv,

22, 25, 31 cfr. Col.


8), m, de l'épitre aux Éphésiens
la priorité
serait non moins évidente. Plus on examine les textes, plus on élargit
la question, et plus elle se complique. M. Holtzmann crut avoir
trouvé la solution de toutes les difficultés. On peut la résumer ainsi*
Dans l'épitre aux Colossiens, telle que nous la possédons actuelle-
ment, serait contenue une lettre authentique de saint Paul à l'église
de Colosses. Cette lettre aurait fourni à un paulinien de la tin du
premier siècle le thème d'un exposé dogmatique général, sans visées
polémiques, sans relation à une église déterminée l'épitre aux Ephé- :

siens, pour la nommer d'après son titre actuel. L'auteur de cette lettre
apocryphe aurait également apporté des remaniements, surtout
ajouté des interpolations à la lettre pauliniennc adressée à Colosses ;

le résultat de ce travail serait la lettre actuelle aux Colossiens. D'au-


tres considérations tirées du style, du vocabulaire et de la doctrine
de ces lettres ne feraient que corroborer les conclusions entrevues
par létude de leur rapport littéraire.
Nous n'examinons pas ici la singulière opinion du critique alle-
mand sur la composition de l'épitre aux Colossiens. Elle eut d'ailleurs
peu de succès (1). grande majorité des critiques radicaux
La très
continua à défendre l'origine paulinienne de cette lettre. Sa critique
négative de l'épitre aux Éphésiens eut plus de succès; la monogra-
phie de Holtzmann fut, pendant longtemps, l'arsenal où l'on venait
chercher les armes contre cette lettre. Encore aujourd'hui, elle est
beaucoup exploitée et souvent citée.
Pour mettre un peu d'ordre dans les objections dirigées actuelle-
ment contre l'épitre aux Éphésiens, nous les disposons logiquement
sous divers chefs, tout en indiquant également les modifications,
parfois importantes, qu'elles subissent chez les différents critiques
qui les font valoir aujourd'hui.

(1) 11 n'y a guère que M. W. Soltau [Die ursprUngliche (lestait des Kolosserbriefes,

Theologische Studien und Kritikcn. t905, ]•. 521-562) qui en soit resté au système de
Holtzmann. Comme celui-ci, il reconnaît un noyau original authentique (d'après Soltau,
1, 1-5, 7-8, 10-13; 2, 1-8, 10-12, 14, lG-18, 20; 3, 4; 4, 10-18). Une série de modifications
et d'interpolations, donl plusieurs viennent de la lettre aux Éphésiens, développèrent la
lettre originale. Deux de ces interpolations, 1, 21-29 et 3, 5-4, 9, proviendraient de la
lettre perdue aux Laodicéens. —
M. Holtzmann a toujours maintenu les grandes lignes de
sa monographie; dans la seconde édition de son Lehrbuch der neutestamentUchen Théo-
logie, publiée après sa mort par Jûlicher et Bvuer (Tùbingen, Mohr, 1911 cette opinion ,

est encore défendue (vol. II, p. 261-264).


364 REVUE BIBLIQUE.

1) Le rapport littéraire entre l'Épître aux Éphésiens et rÉpiire


aux Colossiens. — Nous avons déjà dit que le point de départ des
conclusions de M. Holtzmann était le rapport littéraire qu'il croyait
découvrir entre l'épître aux Colossiens et Tcpitre aux Éphésiens.
Les critiques qui actuellement nient l'authenticité de l'épitre aux
Éphésiens se basent encore généralement sur la relation littéraire de
cette lettre avec la lettre aux Colossiens, bien qu'ils expliquent ce
rapport autrement que M. Holtzmann, et admettent l'authenticité de
la lettreaux Colossiens. Voir, par exemple, von Soden [Hand-Com-
mentar, p. 96-98), Clemen [Paulus, I, p. 138-139), Moffatt [Introduc-
tion, p. 375-381).

2) Le vocabulaire et le style de l'Épitre aux Éphésiens. — La con-


clusion, basée avant tout sur le rapport littéraire entre Eph. et Col.,
M. Holtzmann a prétendu la confirmer par l'étude du vocabulaire et
du style de l'épitre aux Éphésiens (p. 100-104). Il a insisté sur le
grand nombre d'ârra; \t^(z'^.vty. que présente cette lettre, sur le style,
et particulièrement sur la phrase surcharséc, les répétitions des géni-
tifs, l'emploi exagéré des synonymes, les digressions, phénomènes
qui montreraient une notable divergence entre l'épître aux Éphé-
siens et les lettres pauliniennes reconnues authentiques. Encore sur
ce point on a Holtzmann
suivi
xM. (Voir Clemex, Paulus, I, p. 139;

Moffatt, Introduction, p. 385-389 von Soden, Commentar, p. 88-


;

90 qui tous cependant réduisent notablement le nombre de ces


difficultés lexicographiques et stylistiques). Certains points de vue
spéciaux ont été plus particulièrement étudiés et invoqués contre l'o-

rigine paulinienne de la lettre, p. ex. les métaphores (J. Albani, Die


Metapkern des Epheserbriefes, Zeitschrift fur irissenschaftUche Théo-
logie, 1902, p. V20-i40) et surtout l'emploi de quelques termes
théologiques dans un sens qu'ils n'auraient jamais dans les lettres
authentiques de saint Paul (M. Dibelius, /. c., p. 155-175, et der-
nièrement Hans von Soden, Mu-Tv^piov und Sctcramentum in den
ersten zwei Jahrhunderten der Kirche, Zeitschrift fiïr neutesta-
mentliche Wissenschaft und die Kunde des Urchristenthians, 1911,
p. 193-194).
Comme que nous venons de citer reconnaissent l'au-
les auteurs
aux Colossiens, plusieurs des difficultés signalées
thenticité de l'épître
par iM. Holtzmann, celles-là notamment qui valaient au même degré
contre cette dernière épitre, perdaient toute leur valeur. Car il est
manifeste que l'épître aux Colossiens présente de grandes analogies
avec l'épître aux Éphésiens sous les rapports lexicographique et syn-
taxique et que. de part et d'autre, le style se ressemble beaucoup). On
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 36:;

reconnaît que « l'étude lexicographique de l'épitre aux Ephésiens ne


peut aboutir aune conclusion défavora])le à son origine paulinienne.
que pour autant qu'on puisse démontrer avec certitude que l'auteur
de l'épitre aux Ephésiens a mal compris les idées et les termes de
l'épitre aux Colossiens, ou les a déformés intentionnellement ou les
aurait maladroitement imités ou enfin les aurait mal combinés. Ce
seraient en effet, les indices de tous les faux reconnus de ce genre,
là,

du moins dans l'antiquité (1 ». j

On le voit, l'arg-umentation tirée du vocabulaire et du style se dé-


place insensiljloment et se rapproche d'une autre série de difficultés
tirées du contenu doctrinal de l'épitre aux Ephésiens.
'il La doctrine de rÉpitre aux Ephésiens. —
Tout dépend ici de la
manière dont on se représente le Paulinisme authentique. Quand
M. Holtzmann publia sa critique sur les épîtres aux Colossiens et
aux Ephésiens, il était encore sous l'influence de l'école de Tubingue.
L'on a émis depuis bien d'autres opinions sur le Paulinisme et Dieu
sait ce que l'avenir nous réserve dans ce domaine, de la part d'une

critique soi-disant libre de tout frein (2i. On comprendra du moins


qu'il n'est pas possible de donner ici une esquisse de la théologie de
saint Paul d'après les lettres presque unanimement considérées comme
authentiques, dans le but d'y comparer la doctrine de l'épitre aux
Ephésiens. D'ailleurs on n'invoque que des points spéciaux assez peu
nombreux.
.Jadis on insista beaucoup sur ce qu on appela l'intellectualisme
de l'épitre aux Ephésiens — c'est-à-dire ce relief donné uniquement
ici à la science, à la sagesse, à Vï-'.'^-imz'.z dans la vie du chrétien —
et sur l'ecclésiologie de cette épitre qui dépasserait de loin tout ce
({u'on lit dans
d'une authenticité incontestée. Ces considé-
les lettres
rations reviennent encore aujourd'hui 'Clemex, /. c, p. 139); mais
incontestablement on y attache bien moins d'importance.
Tout récemment M. Dibelius, dans la monographie souvent citée
déjà (p. 167-175), opina que le seul argument convaincant contre
l'origine paulinienne de l'épitre aux Ephésiens était la différence dans
l'angélolog-ie desdeux lettres connexes aux Colossiens et aux Ephé-
siens. Chose curieuse, alors que Holtzmann reconnut l'identité des
doctrines angélologiques dans les deux épîtres, et qu'Everling, l'au-
teur d'une monographie très estimée dans les milieux radicaux sur le

(1) La phrase est de Th. Zah\ [EinleUuiifj in das Neue Testament, Leipzig, Deichert,
1900; I, approuvée par M. Dibelils, /. c. p. 174-175.
p. 353;

(2} Voir Prat, La Théologie de S. Paul, Paris, Beauchesne, vol. II, 1912, p. 1-32.
366 REVUE BIBLIQUE.

même sujet (1), constata la concordance de l'angélolog-ie de l'épi-


tre aux Éphésiens avec celle des quatre grandes épitres, ce serait
maintenant de ce seul chef qu'on pourrait s autoriser à dénier à saint
Paul la paternité de l'épitre aux Éphésiens. Au fond, quand on pénè-
tre bien l'idée de Dibelius, ce qui n'est pas toujours très facile, ce
serait beaucoup moins ^an,^élologie elle-même qui serait différente
dans l'épitre aux Éphésiens, que la signitîcation ou plutôt la nuance
de quelques termes théologiques.
A ce point de vue comme à d'autres, les objections contre l'épitre

aux Éphésiens se sont beaucoup modifiées. Jadis on parlait du Mon-


tanisme et du Gnosticisme de cette lettre. C'est à peine que les
auteurs actuels adversaires de son authenticité y trouvent un déve-
loppement assez logique du paulinisme qu'ils qualifient quelquefois
de « Deuteropaulinismus » ou de « Subpaulinism ».
i) Le rapport littéraii^e avec d'autres écrits du Nouveau Testament,
spécialement avec la /" Petin. —
Holtzmann croyait pouvoir démon-
trer la dépendance de aux Éphésiens par rapport à l'Apoca-
l'épitre
lypse (p. -245-2'i.8), voire même des écrits de saint Luc (p. 250-255).
N'oublions pas que la même dépendance était affirmée pour l'épitre
aux Colossiens, du moins pour les parties soi-disant interpolées. Il
n'est pas étonnant donc que sur ces points le critique allemand n'a
pas été suivi, et ce serait faire œuvre inutile que de vouloir aujour-
d'hui soumettre ses arguments à un nouvel examen (2^.
Il n'en est pas de même des rapports littéraires assez étroits entre
l'épitre aux Éphésiens et la première lettre de saint Pierre. Holtzmann,
qui n'admettait aucune de ces deux lettres comme authentique, pla-
çait la dépendance du côté de la /" Pétri et ne cherchait pas dans cette
relation littéraire un argument contre l'authenticité de la lettre aux
Éphésiens. Mais la plupart des critiques qui nient, l'authenticité de
l'épitreaux Éphésiens intervertissent la relation de dépendance, et
cherchent précisément là un nouvel argument en faveur de leur
thèse. Clemen {/. c, p. 139-140) admet la valeur de cet argument;
Moffattau contraire (/. c.,ç. 381-38i i s'abstient de conclure avec fer-
meté, mais laisse apercevoir cependant qu'il est favorable à cette
preuve.
5) Passages spéciaux. — Il reste à signaler certains textes de l'é-

(1) Die paulinischc Àngelologie und Ddmonologie, Gottingen. Vandenhoeck und Ru-
precht, 1888, p. 101 ss.
(2) Moi FATT {l. c, p. 385) : « None of the Parallels, however, between tbe Apocalypse
of John and Ephesians is of much weight; the idea that the latter employed the former
is quite untenable. »
LES RÉCK.NTES ATTAQUES CO.MRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 3ti7

pitre aux Éphcsiens qui ont été regardés comme défavorables à l'au-
thenticité. Ces textes ne sont pas bien nombreux, du moins ceux qui
peuvent être allégués avec quelque vraisemblance contre l'origine
apostolique de la lettre. On fait grand cas de ii. *20 où l'auteur par-
lerait tout objectivement et d'une manière qui ne se comprendrait
qu'aux temps postapostoliques du groupe « fermé » des Apôtres et
des Prophètes : i-c'.7.c;;;rr,0ÉvT£r ïr.l tÇ) Hfj.th'M twv x-zz-z/m'/ -/.-A -zz-yr-
Twv. Le passage m, 5 : wç vjv y.r.iv.y'hjzHr, -z\z y.-fiz'.: x-z7-zkzi: tj-z'j 7.y.i

-pzsr,-y.iz h 7:v£Û;xaT'. nettement défavorable à l'ori-


Serait encore plus
gine apostolique. —
Ce ne serait pas non plus dans la manière de
Paul de se soumettre, dans l'exposé d'une doctrine capitale qui lui
tient particulièrement à cœur, au jugement de ses lecteurs m, i : :

~pz: z cJvxjOs àvaY'.vwr/.vVTSç vzr^zy. tv;v z'mzvt \).zj £v tw ;j.j7Tr,c''o) tcj


(Glemex, /. Cv P- li^O-lil; Moffatt, /. c, p. 38G-38T). Ces
'/z'.z-zXi

deux auteurs font valoir contre l'authenticité l)ien d'autres textes


qu'il est superflu de relever; on aura plus loin l'occasion de tou-
cher l'un ou l'autre de ces points. Dibelius (/. c, p. 168) reconnaît
franchement que les textes cités plus haut, et sur lesquels les adver-
saires de l'authenticité de lépitre s'appuient de préférence, ne tran-
chent pas la question, et permettraient tout au plus quelque hésitation.
Nous ne pouvons clore cet exposé systématique des difficultés qu'on
fait valoir contre l'épitre aux Éphésiens, sans relever les variations

dans l'énoncé des objections, et sans faire remarquer que chez aucun
des adversaires de son authenticité on ne fait la moindre allusion à
<[uelque hésitation de la tradition, —
il est trop manifeste, en effet,

qu'il n'y a aucune trace d'une hésitation quelconque et de plus —


qu'on ne se soucie nullement, dans l'hypothèse de la non-authenti-
cité, d'expliquer la genèse de cette tradition ancienne et unanime.

C'est là évidemment une lacune très grave dans l'argumentation des


auteurs dont nous venons de résumer l'opinion. Si nous nous pro-
posions principalement de donner les preuves de l'authenticité de
l'Épitre aux Éphésiens. il y aurait lieu d'insister lon^iuement sur la
tradition (Ij.

Il

L'exposé historique qui précède n'avait d'autre but que de nous


permettre de juger de la position actuelle de l'opinion hostile à

(1]Ces considérations sont fort bien dévelopijées A&'ss&Y Einleituwj de M. Zvhn (I-. ii. 349-
350} et parM. Jaculier, Histoire des livres du Nouveau Testament, t. I, p. 300-302 et
chez bien d'autres auteurs dont il serait trop long de citer les ouvrages.
368 REVUE BIBLIQUE.

r authenticité de Fépitre aux Épliésiens et de nous faire connaître les


arguments qui sont le plus souvent invoqués contre elle. Il est temps

de les examiner.

1. LA RELATION LITTÉRAIRE ENTRE LÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIEXS


ET l'épItre aux COLOSSIEXS.

très étroit entre les deux épitres a toujours été remarqué


Le rapport
et adonné lieu à un problème de critique littéraire assez compliqué.
Voici, pour autant qu'on peut le montrer dans un simple schéma, le
rapport d'idées (i) entre l'épitre aux Colossiens et l'épitre aux Éplié-
siens.

Col.
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 369

Eph.

4,
;nO REVUE BIBLIQUE.

munauté de comportent dans l'épilogue de la lettre des


Colosses,
salutations particulières et des communications de détail qui sont
naturellement omises dans la lettre plus impersonnelle aux Éphé-
siens.
Que faut-il conclure maintenant de la comparaison littéraire des
deux épitres?
Faisant abstraction pour le moment des analogies et des différences
de vocabulaire, de style, de doctrine, dont il sera parlé plus loin,
nous n'avons qu'à examiner si le rapport du sujet et de l'exposé dans
les deux lettres fait difficulté à leur attribution à un même auteur.
Après l'esquisse que nous avons faite de l'objet et de la structure
générale des deux lettres, on n'aura pas de peine à admettre que ce
rapport d'idées n'est pas si étroit qu'on se l'est quelquefois imag-iné.
Si l'on veut se donner la peine d'étudier l'épître aux Éphésiens, l'on
ne pourra, croyons-nous, dénier à son auteur une puissante origina-
Kté et une maîtrise peu commune dans l'exposé du grand principe de

la solidarité qui unit tous les croyants au Christ, ou, pour reprendre
ses propres termes, une aJvîj'.ç h tÇ» [K'jGrr,piM -ïcQ XpuToj. Le rapport
littéraire entre les deux lettres est précisément tel qu'on s'attendrait à
trouver chez un même auteur écrivant, vers le même temps et sous
l'impression de préoccupations identiques, à des églises diverses
inégalement bien connues (1).
Constatons encore qu'il n'est rien resté de la fameuse « alternance
de priorité » pour
tantôt aux Colossiens, tantôt pour lépitre
l'épître
aux Éphésiens. alternance qui fournit à Holtzmann l'idée que l'épître
aux Colossiens était le remaniement d'une lettre authentique, fait par
l'auteur qui aurait composé la fausse lettre aux Ephésiens d'après
l'authentique adressée à l'Église de Colosses. Tout le monde reconnaît
aujourd'hui que les indications de priorité sont du côté de la même
lettre. La lettre aux Colossiens, comme on le pense très générale-
ment et ajuste titre, serait la première.

(1) [Licht vom Osten. Tiibingen, Mohr, 1908, p. 165'


L'autorité de M. A. Deissinann
peut servir à corroborer remarques que nous venons de faire
les Der inhaltliche und
: <(

formale Kontrast, den inan zwischen Kolosser- nebst « Epheser- (Laodlzener)- » Brief und
anderen Paulusbriefen gesehen bat, erkliirt sicb ebenfalls aus der briellichen Situation :

Paulus schreibt an Gemeinden, die ibm personlicb, noch nicbt bekannt sind, und was in den
beiden Briefen epistolisch klingl, soUte man thatsiicblich als ihren reserviert unpersiinli-
chen Ton bezeichnen. Der griizste Stein des Anstozses ist immer die inhaltliche Verwandt-
schaft beider Texte gewesen. Ich begreife nun zwar nicht weshalb Paulus nicht auch
in einer Epistel wiederholen kiinnte, was er in einer anderen auch schon gesagt batte ;

aber jedes liefremden hiirt auf. wenn man sieht, dass hier ein Missionar in derselben
Situation gleichzeitig an zwei verschiedene Gemeinden, um die er wirbt. Briefe schickl.
wesentlich dieselbe Fragen beiden gegeniiber in ahnlicher Weise behandelnd. »
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÈPITRE AUX ÉPHÉSIENS. :571

Il faut reconnaître enfin que de nos jours les adversaires de l'au-


thenticité de la lettre aux Ephésiens abandonnent de plus en plus
l'argument tiré du rapport littéraire entre cette lettre et l'épitre aux
Colossiens. De reproduction servile. de plagiat, d'imitation sans origi-
nalité il n'est plus question et pour cause. On recourt plus volontiers
h d'autres objections qu'on croit plu-; précises et plus solides,

2. LE VOCABCLAIRK ET LE STVLE DE LÉPiTRE AUX ÉPHÉSIENS.

Nous abordons maintenant les objections tirées du vocabulaire et


du style de l'épitre aux Ephésiens. Par rapport au vocabulaire nous
pouvons être très bref, parce qu'il existe des études très complètes
sur ce sujet (1) et parce que les adversaires récents de l'authenticité
renoncent à ces objections ou les considèrent du moins comme secon-
daires, sinon comme dénuées de toute valeur.
Voici, d'abord, un résumé des principales données du problème
connues et observées depuis longtemps, mais (ju'on s'obstine à inter-
préter diversement.
On y trouve en tout trente-six mots qui ne se rencontrent pas
a)
dans le Nouveau Testament. Nous donnons la liste de ces
ailleurs
hapax : xhiz;, 7.l7yzz-r,:, zvavEOj^Oa'., avc.rir. à-aAvîîv, à'scsoc, jj^Aor.
Èy.TpÉç^'.v, iviTY;;. èr-.r/ôe'.v. Ït.'.zjv.'/, i-Z'.\j.y.7'.x, l'y/o'.x (? cf. I Cor. vu, 3;,
l'j-ç^'X-ùJ.ci, f)jC£:r, v.y.-:y.z-:i'7\j.z:. '/'.LT^zz\jzHy.\. /'.Kjzw/KitzHy.'.., y.zz-j.cv.zy.-bip,

y.cjo"^, y:jcz'.y, \j.i\'thz:, j.ihzoz'.x. [j.zgÔ-ci'/Z'/, ;j.cijpc/.CYta, zâ///;, zapcpY'-^P-^ç,


r.z'K'JTZci'/.ù.z:, -potAziltr/. 7:pz77.yp-:éçr,-7'.:, p'J'i:, a'J\J.\).é-zyz:, a"j;j.7:sA''':"^ç.

-•jvac;j.oA;YEïv, ffuvoiy.coîy.s'v, zJG-ii)[j.z; — Nous n'avons pas cru devoir


mentionner les hapax contenus dans les citations, puisqu'ils n'appar-
tiennent pas proprement au vocabulaire de l'auteur, ni les expres-
sions comme -.y. -/.y-M-ipy. -y. r.^nj\j.y.-v/,y.. r,-;y.-r/^j.i'K:., ï'/.y.y.zizitzz:,

formes spéciales de mots employés à. une autre forme dans le

Nouveau Testament.
y a d'autre part, dans cette lettre, les citations non comprises,
b) Il

quarante-trois mots qui ne se rencontrent pas ailleurs dans les lettres


de saint Paul. En voici la liste : à^vrix, àYpjzvetv (ày.c^Yojv.a-::;

peut être regardé comme citation', 3.'.j.oz-izz'., â'v£;j.;;, àviéva-., âzaç,


à-E'.A-*^, cojpiv. Èy.TropîJSsOa',, ïr.izyzz^y.'.^ iz'^xzioc. zjz-zKx-fyyzc, r^KiyJ.y.,

/.y-y.zz'/à,. y.y.T:'.y.r,Tr;p'.;v, /.zyr-r^, ^.y.7.zy.'i, y.r,/.;r. 'zz'.z-.r,:. Ïttî'cv'v, 30. pas-

'1) J. Brunet, Authenticité de l'épitre aux Ephésiens. Preuves philologiques (Thèse


présentée à la faculté catholique de Lyoni. Lyon, Vitte, 1897. —
Th. Naegeu, Der ^S'ort-
schatz des Apostels Pauh/s. Gôttingen. Vandenhoeck uiid Ru]irecht, 1905.
372 REVUE BIBLIQUE.

sage douteux), cssjç, -avc-Xia. r.i^zv/.zz^ r.y.-.zix, T.ipCiîiyvj'^.i (peut-être


citation dis. xi, 5), 'zXx-ioz. T.ci\).r,y^ r.oli-tiy., ax-pb:;, tjzTXcç, cuvy.aG'^l^s'.v.

C(OT-(^ciov, -Joiiio, •J-£c:zv(o. •j-ooz'.zf)y.<., u'bc:, çpy.^rj.z:. 9piv/;7ir, yy.z'.-.zr/.

yv.zz-z\r-.zz — Celui qui n'admettrait pas lauthenticité des Épitres


Pastorales devrait ajouter à cette liste les mots suivants qui se lisent

seulement dans ces épitres et dans l'épitre aux Éphésiens iXjju. :

àvaXa;j.6âv£'-v, àzocTav, aïWTia, ctâoiAcç, z\jxy^(ZK'.z-r,:, r.yiziî.x. ~:\}.y.v.

c) On pourrait dresser également une liste d'expressions pauii-


niennes favorites qui manquent dans cette lettre (1). Nous nous
abstenons de reproduire une liste analogue, parce qu'il est évident
que l'emploi des termes théologiques doit varier avec la nature des
controverses traitées.
Constatons simplement que les hapax des deux catégories ne
sont pas plus nombreux dans la lettre aux Ephésiens c[ue dans les
autres épitres. Dans lépitre aux Galates qui est à peu près d'égale lon-
gueur, il y en a trente et un de la première catégorie et trente-six de
la seconde. De plus, plusieurs de ces mots (7:pcr/.apTÉpr;aç, y.y.-y.p-<.Q\j.'zq.
hzCv.z) sont des substantifs formés de verbes employés par l'Apôtre,
souvent par des formations qu'il affectionne 'avec a privatif, avec
Enfin la description de l'armature chrétienne [Eph. vi, 10-
7Jv, etc.).

17 en fournit à elle seule une douzaine. Inutile d'insister puisqu'on


1

reconnaît maintenant qu'en général le vocabulaire de l'épitre est


pour le moins rapproché du vocabulaire des épitres pauliniennes. Il
serait aussi facile de dresser une liste d'expressions communes
à l'épitre aux Éphésiens et aux lettres d'une authenticité incon-
testée (2). Et contre ces critiques qui prétendent que le caractère
paulinien de l'épitre aux Éphésiens provient de ce que le faussaire a
imité le vocabulaire de l'épitre aux Colossiens, on fera valoir toute
une série d'expressions communes à l'épitre aux Éphésiens et" aux
lettres incontestées, mais qui ne se rencontrent pas dans l'épitre aux
Colossiens. M. Nâgelii^S) a relevé les suivantes : âV.apzcç, âvaaTpéçsaôa',,
Ttxz-.pzzr,. àvOîs-aTS^'., Ol.^;y.^^ii:jÙT^^^ àvS^xp-zz, àA-/;G£J£'.v, à-s/.TStvs'.v (au
sens métaphorique), xith^^tix, y.i\>.T:-v.v -z y:vj, ciô, ozy.i\j.xÇvy , apy
cjv, àzs-/.3tXû-T£'.v, y-zv.'xKj'bi:. o'.xOy;-/.-/;, cjv3:;j.iç (dans le sens de puis-
sances supraterrcstresi, ÈYy.ay.îîv. ïyjA';tz()x'., ï'/.i';yv.y, hxy.zç,x\x'.zj<j()x<.^

xyiz'.yyi.xz-zz. On pourrait d'ailleurs aisément multiplier ces exemples.


Jusqu'ici donc rien de compromettant.

(1) Cf. Brdnet, l. c, p. 21-52.


(2) L.c, p. 5i.
3) L. c, p. 85.
LES RECENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. :î:3

Comme indices lexicographiques défavorables à l'authenticité de


Tépitre aux Éphésiens on retient surtout oiâSîAo; (iv, 27; vi, 11) au
lieu de jx-ravitç \Rom. xvi, 20; I Cor. v, 5; II Cor. ii, il; xi, li;
I Thés. II, 18; II Thés, ii, 9 ;
la fréquence de l'expression èv -z\z è-cj-
pavîci; (I, 3, 20; II, 6; m, 10; vi, 12) au lieu de èv [tw] sjpxvw (I Cor. viii,

5; ou h {-z'.z) sjpavsïç (II Cor. v, 1; Phil. m, 20; Col. i, 5, 16, 20;


IV, 1; et Eph. i, 10; m, 15; xi. 9j; l'expression -y. -vsjy.3:T'//.à r^ç
-.z'rr^z'.'xz 'v> ~z<.t ï-zjzy.'/.zi', et 7.zr:'j.zv.zy.~.zzz: i
Vl, 12 .

Ces quelques expressions ne sauraient faire de sérieuses difficultés.


Et d'abord pour ce qui regarde l'emploi de z'.y.zz'/.zz, nous constatons

que plusieurs écrivains du Nouveau Testament se servent tantôt de


ce terme, tantôt de ^y-y.rx^. trois Evangélistes. l'auteur des Actes, de
l'Apocalypse. On se demande pourquoi il faudrait exiger pour saint
l*aul un usag-e uniforme. L'on comprend d'autre part que dans une
lettre destinée à une communauté de païens convertis, le terme
hébreu saTavxç ou ay.-y.'i ait été évité. In mot de èv -zlz ï-zjpTfiz'.: et

de -y. r.'nj[j.x-v/.'x -f,; r.zTr,z'.y.z /.. t. "a. Les adjectifs au pluriel neutre,
pour désigner soit des personnes, soit des objets, sont tout à fait dans
le style de saint Paul. p. ex. I Cor. i, 27, -y \).h)z'y -zX) /.Ô7[j.cj ;

-y. y^Hvrr, —
-à l'yjjzx, pour désigner les personnes insensées, faibles,
fortes. Ce même pluriel neutre désigne encore plus souvent les
objets ; Ro}n. ii, 16; I Cor. iv, 5; xvi, 25; II Cor. iv, 2. Blass fait

remarquer que c'est une particularité du langage de saint Paul d'em-


ployer le neutre singulier au sens d'un substantif abstrait : Ro7n. i, 19 ;

i Cor. 1, 25; II Cor. iv, 17; viii, 9; P/iil. m, 8; iv, 5; etc. L'expres-
sion -y r.yfjij.y-'.y.'y -:?;ç r.z^n^ziyz h -.z'.z ï-zjzy.v(z'.zne semble pas telle-
ment singulière ; elle parait plutôt dans le genre de Paul les esprits :

méchants du ciel, de l'air. D'autre part l'emploi chez saint Paul des
termes y.zG\).zq et -/.px-iX^i, sa prédilection bien connue pour les mots
composés —
et notez II Cor. vi, 18 -y'nzv.zy-Mz l'assertion, répétée —
chez saint Paul, que le démon est le prince du siècle (-sj alwvcç) ou
du monde, tout cela me semble très facilement expliquer la forma-
tion d'un mot comme y.zzij.zv.py-.hip. Il faut remarquer encore que la
répétition des expressions ziyzz'/.zz. iv -.zXz ï-z-jpy^/iziz n'augmente en
rien la force de l'objection, car c'est un trait propre au vocabulaire
de saint Paul, trait signalé souvent et fort bien mis en lumière par
M. Th. Zahn (1), que la répétition fréquente dans la même lettre de
termes importants une fois choisis, alors même que ces termes ne se
rencontrent jamais ou du moins très rarement dans les autres épitres.

(1) Einleitung..., I, p. 364-365.


374 REVUE BIBLIQLE.

Jusque dans ce petit détail, que très certainement, si Ton en juge


par les procédés des faussaires de l'époque, le faussaire n'aurait ni
remarqué ni intentionnellement imité, le vocabulaire de l'épitre aux
Éphésiens ressemble étonnamment au vocabulaire des lettres qu'on
s'accorde unanimement à attribuer à l'Apôtre.
Après avoir parcouru la lettre aux Éphésiens au point de vue
lexicographique, on se rallie volontiers au jugement compétent de
Nâgeli « Im Ganzen sclieint mir der SYortscbatz dièses Briefes... trotz
:

den Ausfûhrungen von Holtzmann, eher eine Instanz fur als gegen die
Echtheit zu sein (1). » Et Dibelius, un adversaire décidé de l'authen-
ticité, reconnaît nettement que le vocabulaire de la lettre ne fournit

pas d'arguments sérieux contre son origine paulinienne (2). U ne


nous parait pas douteux qu'on reviendra de plus en plus à cette opi-
nion et pour ne plus l'abandonner '3i.
Il faut ajouter ici un mot sur les métaphores dans la lettre aux
Éphésiens. Au jugement d'un auteur récent, M. Albani (V), celles-ci
dénoteraient un écrivain autre que saint Paul. Mais les considéra-
tions et les remarques de M. Albani sont si superficielles et si sub-
jectives qu'elles n'ont trouvé nulle part, et pour cause, un accueil
sympathique.
Au sujet des figures lumière et tihichres, M. Albani remarque que
chez l'Apôtre la « Lumière » comprend l'ensemble des manifestations
qui se rattachent à la vie nouvelle du chrétien, tant dans l'ordre
intellectuel de la foi que dans l'ordre pratique des vertus. Il cite
notamment I Thess. v. 5; II Coi\ iv, 6; vi, 14; xi, IV; Phil. ii,

15 et l'on pourrait aisément multiplier les exemples. Dans l'épitre


aux Éphésiens au contraire les mêmes métaphores seraient réservées

(1) L. C, p, 85.
(2) L. c, 169.

(3) MoflfaU [L c. p. 385-387'. tout en reconnaissant que les données lexicographiquos


laissent le problème ouvert, énumère complaisamment quelques singularités de la lettre
de façon à faire l'impression qu'il y attache de l'importance. Est-il donc si étonnant
que Paul, qui avait connu de prés les périls de la mer et fait trois fois naufraj;e (II Co7\ 2.

23), exhorte ses lecteurs 4, 14) à ne pas se laisser emporter à tout vent de doctrine.' Quelle
idée peut-on avoir de la liberté d'auteur quand on relève la métaphore TTEptÇwwy.ai, cent
fois employée dans l'Ancien Testament et qui était évidemment de mise dans la descrip-
tion de l'armature chrétienne? .\utant vaudrait dire que Paul, pour ne pas avoir donné
une description allégorique de ce genre, dans ses premières lettres, ne pouvait avoir l'ori-
ginalité de l'écrire plus tard. Nous savons bien qu'en principe on une
est loin d'aflîrmer
telle règle, mais en on ne veut pas reconnaître la mobilité du vocabulaire d'un
fait

auteur très original qui a eu une vie très mouvementée et qui s'est trouvé en face d'er-
reurs très divergentes.
(4) Die Metaphern des Epkeserbriefes, Zeil.schrift fur wissenschaftliche Théologie,
1902, p. 420- i4u.
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE ALX KPHESIENS. 37o

uniquement à la connaissance théorique des vérités chrétiennes. Il y


aurait ainsi une différence considérable entre Rom., i, 21 (-/.a: ïc%z-iz(ir^

r, x'j'Ji-z: aJTwv y.apcia) et Eph. iv, 18 ir/.CTo)y.£v:'. -f^ ciavc'a cvtsçi,


f

deux passages qui décrivent la situation des païens avant la prédica-


tion de lEvang-ile. En réalité il n'y a aucune divergence, aucune
nuance diverse. Dans l'épitre aux Éphésiens comme dans les autres
lettres, les métaphores en question désignent la présence ou Fabsence
des connaissances religieuses et des vertus morales qui constituent
l'ensemble de la vie chrétienne. Pour s'en rendre compte dans l'épi-
treaux Éphésiens, il eût suffi de lire la suite de iv, 18 « enténébrés :

qu'ils sontdans leur esprit, rendus étrangers à la vie de Eùeu à cause


de l'ignorance qui est en eux, à cause de l'aveuglement (ou de l'en-
durcissement de leur cœur... » La même signification compréhensive
de swç ressort avec une égale évidence du passage Eph. v, 8-9 :

((Car vous fûtes autrefois ténèbres mais maintenant vous êtes lumière
dans le Seigneur. Vivez comme des enfants de lumière; le fruit de
la lumière, en effet, consiste en toute espèce de bonté, de justice et

de vérité. »

va sans dire que tantôt l'élément moral, tantôt l'élément intellec-


Il

tuel, est plus accentué, comme Eph. i, 18; m, 9. Il en est de même


dans II Cor. iv, G et ailleurs. Il y a d'ailleurs si peu une opposition
quelconque entre Rom. i, 22 et Eph. iv, 18 que Clément de Rome
'XXXVI, 2) déjà combine les deux passages et un texte de la première
épitre de saint Pierre_, ii, 19. Le sens compréhensif des métaphores
;wr et T/.z-'.y. est reconnu et appuyé par de nombreux passages chez
tous les lexicographes.
Un autre exemple. La métaphore juridique àp(p)aco')v se lit II Cor. i,

22; V, 5 QïEph. i, que àpsaSwv désigne la remise d'une


li. L'on sait
somme ou d'un objet servant de preuve juridique d'un contrat de
vente. Ilesychius l'explique par r.zzlz\j.x. v.t. i'y/j.z-^zv don à l'avance, :

iiameçon; Suidas T^ -y.1^ wvaT;; Tit^X twv wvo'jtj.£V(i)v z'.zz\}.i-rr, r.zto-r, v.y-y.-
:

iz'/.Tt ù-ïp àc7A£ia; : « une remise à l'avance dans les achats pour
garantir le contrat ».

On traduit souvent en allemand Angeld, Drauffjeld, Abschlagszah-


lung. Ce n'est pas proprement un gage; le mot arrhe convient le
mieux. Celui qui a reçu l'àpsaiwv a le droit et le moyen juridique de
faire exécuter l'arrangement conclu et celui qui l'a donné s'est engagé
par là même à l'exécuter. Comme bien d'autres expressions juridi-
ques l'Apôtre a appliqué aux réalités surnaturelles la métaphore de
l'zpoxSwv.Le zv£j;j.a, la grâce du Saint-Esprit, donné au fidèle est
làpcacwv de la gloire céleste, en d'autres mots, un don préparatoire
376 REVLE BIBLIQUE.

qui demande et exige la collation du don définitif. Voir II Cor. v. .5.

Quand saint Paul parle donc de l'ispaictov ~vi'j\j.y.-.z:, le génitif est -.zXi

un génitif d'apposition, Farrhe qui consiste dans le r,vvj\3.y.. M. Albani


croit que II Cor. i, 22 la signification est identique. Cette opinion
peut très bien se soutenir : c'est l'Esprit qui sert lui-même d'arrhes (T .

Au contraire Eph. i, li : (-rb TzvEjjjLa) c sstiv àppacwv -r,z, 7.Ar,pcvc;a.i2r

est un génitif de direction, de but l'arrhe qui certifie l'héritage, le


:

bonheur céleste. Mais l'idée est tout à fait identique à II Coi\ v, 5, à


Rom. VIII. 23 où y-.y.zyr, t:j -'ifj\j.y-zz répond à à. t. -. à bien d'au- ;,

tres ftassages de saint Paul. Il est vrai qu'en droit grec il n'y avait
pas proprement lieu à la remise de l'àcpacwv en matière d'héritage.
Mais s'ensuit-il que la métaphore paulinienne yzzyzirt -cj r.^)fj\}.y-zz

est mal appliquée dans l'épitre aux Éphésiens? Il faut être bien
exigeant pour le prétendre et faire valoir cette constatation contre
l'origine paulinienne de la lettre (2).
Profitons de l'occasion pour signaler chez l'Apotre d'autres méta-
phores qui ne sont pas poussées jusqu'au bout, par exemple Vy.-z'/.j- :

par le sang du Christ, sans qu'il soit indiqué ou qu'il doive être
zzixiz'.z

recherché à qui la rançon a été payée (3). Si donc saint Paul dans les
lettres reconnues authentiques par tous les critiques, a pu se servir
de métaphores à portée limitée, on ne voit pas pourquoi un cas ana-
logue dans l'épitre aux Éphésiens prouverait contre l'authenticité de
cette lettre.
Ce n'est pas que nous songions à contester chez l'Aj^ôtre « das sys-
tematische Durchdeuken der Bilder » ; très souvent il pousse ses
métaphores jusqu'au bout pour ainsi dire. La comparai-
et les épuise
son de l'olivier sauvage, l'allégorie des deux épouses d'Abraham et
de leur fils, en sont des exemples connus. Mais l'auteur de l'épitre aux
Ephésiens ne procède pas autrement. Pour le prouver, signalons
simplement la description de l'armature du chrétien vi. 13-17i et
l'union du Christ et de l'Église donnée comme type du mariage
chrétien.
Le style de la lettre aux Éphésiens, bien phis encore que le vocabu-

(1) I Cor. 1. 22 est autrement interprété ]iar quelques commentateurs, p. ex. Cor.\el\.
a. h. 1.

(2 X Das syslematische Duiclidenken der Bilder. das deii Paulus auszeichnel. ist seine
Sache nicht. Er benulzt die selben Bilder. indeni er aber den Zusammenbang bei aller
formellen Verwandt^chalt andert. behalt er oft nur das Gewand und nicht den Inhait •

(p. 440).

(3) Lire ici les vigoureuses pages de P. Pru. S. J.. La Théologie de saint Paul, II.

278-284, où montre clairement linconvénient considérable


il qu'il y aurait à aller jusqu'au
bout dans l'application de la métaphore de rançon.
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE ALX ÉPHÉSIENS. 377

laire, a fourni aux adversaires de l'authenticité toutes sortes de con-


sidérations, assez faibles en elles-mêmes, mais dont on a prétendu
faire une objection globale d'un poids considérable. On relève sur-
tout :

a les phrases démesurément longues surchargées de participes et

d'incidentes sans fin : p. ex. ii, 1-lV, l-')-23 ; ii. 1-7; in, 2-13. 8-12,
li-19; IV, 1-6; 11-16, v, 16-23: vi, 5-8, U-20.
b) les anacoluthes et parenthèses qui coupent la marche régulière
de la phrase : p. éx. ii, 3, 5; m, 2-13; iv, 11-12.
c l'emploi abusif ou tout au moins très abondant de synonymes :

p. ex. I, i, 5, 7, 8, 17, 19, 21 : ii, 1, 19 ; m, 7, 10, 18.

d l'abondance de constructions au génitif : i, 6, 18, 19; ii, 2;


m, 3, 21 ; iv, 7, 12, p. ex. : s'.ç ;j,sTpcv r,\iy.'.ocq tcj ::/,•/; pwjxaT:; -zX>yp'.z-zj.
Ces divers caractères de style seraient sans équivalent dans les let-
tres authentiques et il serait impossible d'en fournir une explication
plausible dans l'hypothèse de l'authenticité de l'épitre 1 1.

a. Les phrases longues et surchargées de propositions incidentes ou


de constructions participiales sont une des caractéristiques de l'épi-
tre aux Éphésiens. Mais il en est de même de l'épitre aux Colos-
siens, qui compte aussi mainte phrase dune longueur considérable :

1. 3-8, 8-20, 21-23. 2i-29; ii, 8-li. On y constate précisément comme


dans l'épitre aux Éphésiens une phrase plus longue dans la partie
dogmatique que dans la partie morale. Nous avons compté pour les
deux épitres le nombre des lignes (dans l'édition de Nestlé), le nom-
bre des points, des points en haut et des points d'interrogation. Voici
les résultats :

Eph. I 1. 54
378 REVUE BIBLIQUE.

aux Éphésiens. Il semlîle donc bien qu'il faille recourir à une cause
spéciale pour l'explication de ce phénomène. Il est possible d'en trou-
ver, et même plus d'une. Si l'on ne veut pas recourir à l'influence de
scribes diflérents auxquels une certaine liberté de rédaction aurait été
laissée, on peut expliquer la phraséologie spéciale de ces deux épitres
de la captivité par les circonstances de composition de ces lettres et
par le tempérament vif et impressionnable de l'Apôtre qui, après une
assez long-ue période de captivité, peut avoir passé par une période
d'abattement dont le style doit forcément se ressentir. C'est l'explica-
tionque développe fort bien M. Sanday (/. c, p. lix") elle est d'autant ;

plus admissible, que dans les lettres antérieures ég-alement se mani-


feste une tendance à la phrase longue et surchargée : Rom. i, 1-6;
II, 16-22; II Cor. viii, 1-6; Gai. ii, 1-5, etc.
b. L'objection basée sur les anacoluthes de l'épitre
aux Éphésiens
est bien autrement facile à réfuter. Les constructions irrégulières et
les parenthèses sont encore une des marques du style de l'Apôtre (1).
Tous les auteurs signalent comme exemples d'anacoluthes dans les
épitres incontestées Gai. ii, 4-6; Rom. ii, 17. Pour autant que cer-
taines parenthèses de l'épitre soient extraordinairement longues, ce
phénomène s'explique par les considérations émises plus haut.
On peut rattacher à cette matière l'usage de participes qui ne sont
pas grammaticalement reliés aux substantifs ou pronoms qui devraient
les régir, et qui sont généralement au nominatif; p. ex. Epti. m,

zaï T£9£[ji£Ài(i)jj.£vct; IV, 2; etc. Mais c'est encore une caractéristique du


style de saint Paul. Cf. Col. i, 20; ii, 2; m, 16; I Cor. ix, 10-11; xii,
13; II Cor. v, 12; vu, 5; viii, 18 etc. Ces constructions irrégulières
sont donc plutôt favorables à l'authenticité de la lettre.
c. La synonymie dans aux Éphésiens, sans être toujours
l'épitre
une qualité du style, ne présente cependant rien d'insolite si l'on
étudie au même point de vue les autres lettres. Parmi les exemples
de synonymie qu'on relève, il y en a de très naturels comme Eph. 1,
5 : x^iouç v.xl à[j.o)i/oj;; il yen a d'autres oîi l'accumulation de mots
synonymes est remarquable : i, 19 : v,y.~k tv;v èvlpysiav tou y.pa-cuç tv;ç
layyoç aÙToD y;v brr^p'rrj.ty. On peut
34 ne dépasse se demander si P/iil. i,

pas de loin tout ce qu'on a reproché à l'épitre aux Éphésiens. Bru-


net i
2) a fait un relevé de passages analogues dans plusieurs lettres

(1) P. Blass, Grammalik des Neutestamentlichen Griechiach. Giittingen, Vandenhoeck.


1896, p. 276-279.
(2) L. c, p. 85-86. II faut reconnaître cependant qu'à ce point de vue il y a une diffé-
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 379

de l'Apôtre, et dans la plupart 1 accumulation de mots synonymes


est fréquente.
Nous sommes donc ici encore en présence d'une propriété caracté-
ristiquedu style de saint Paul, légèrement accentuée peut-être dans
répitre aux Éphésiens.
d. Les constructions génitives sont de fait très fréquentes dans
lépitre aux Éphésiens et les doubles génitifs ne sont pas rares. Mais
le même phénomène se rencontre dans les lettres d'une authenticité
indiscutable. Cf. Rom. i, 23; ii, i, 5: xi, 33; II Cor. iv, i (-bv zl.)-i7\j.ï'/

t;j i-jx-;-'^ziJ.zj -%z sôçy;; t=j 7='.-t:j . 0; Pliil. i, 19; Col. I, 5, 12, 13,

27; II, 11, 12; I Thés, i, On est donc autorisé à dire que
3 etc., etc.
ces constructions génitives articulées quon oljjecte contre lauthen-
ticité de l'épitre aux Éphésiens sont précisément un indice de son
origine paulinienne. Ce nest pas d'hier qu'onl'a remarqué. Brunet (1)

cite lejugement de Lasonder « Obvia maxime est apud Paulum :



hune ergo auctorem in mentem revocat conjunctio duorum triumve —
genitivorum quorum alius alium régit. » Il est frappant de nouveau
que cette particularité est restreinte en grande partie à la section
dogmatique de l'épitre, tout comme d'autres caractéristiques relevées
plus haut. Nous avons déjà essayé d'en donner une explication, si
pas certaine, du moins plausilde.
M. Moffatt (2) signale comme extraordinaire : Epli. 'y.Si:r^ -:j hùâ,-
•j.y-z: II. 11'. Y.px-z: 'f,: Izyùz:; (I, 19). On peut relever comme cons-
tructions analogues : Rom. i, 23 zy.zuoj.y. v:/Jz'izz çOacTCj àvOcw:::j et
i.tzXz -.z\i y.AYjccj Twv x-'J.wi Col. Dans ces exemples l'accumula-
I, 19.
tion des synonymes et les constructions génitives marchent de pair.
Au lieu d'enfaire une objection contre l'authenticité, il faudrait, après
ce qui a été dit de chacun de ces deux points, y reconnaître bien
plutôt une touche paulinienne.
Nous devons donc conclure de l'examen du vocabulaire et du
style de l'épitre aux Ephésiens que rien n'autorise d'y asseoir un
jugement hostile à l'authenticité de cette lettre; bien au contraire,
que les frappantes analogies avec d'autres lettres pauliniennes sont
favorables au témoignage traditionnel et que les quelques particu-
larités qu'on y trouve peuvent s'expliquer assez aisément.

rence notable entre les diverses épitres. Lépitre aux Galates, d'un style, vif présente le
moins de synonymes; 1 épitre aux Colossiens se rapproche ici de nouveau de l'épitre aux
Éphésiens.
i; L. c. p. 87.
',2) L. c. p. 387.
380 REVUE BIBLIQUE.

3. LA DOCTRINE DE LÉPITRE AUX ÉPHÉSIEXS.

Nous avons déjà dit que lareument tiré de la théologie de l'épitre


aux Éphésiens contre l'origine paulinienne de cette lettre est de
plus eu plus abandonné. Des adversaires décidés de rauthenticité,
comme M. Clemen 1) et M. Dibelius (2 reconnaissent que les par- ,

ticularités doctrinales de cette épitre pourraient s'expliquer dans


l'hypothèse traditionnelle. Le premier auteur fait cependant quel-
ques réserves sur ce qu'on a appelé rintellectualisme de cette lettre,

c'est-à-dire sur le relief qu'y prend, dans la vie du chrétien, la


connaissance spéculative des vérités de la foi. Le second estime que
la plus sérieuse, voire l'unique difficulté contre l'origine pauli-
nienne de l'épitre aux Éphésiens git dans la terminologie théolo-
gique : certaines expressions qui se rencontreraient également dans
l'épitre aux Colossiens et dans le même contexte, auraient néan-
moins une signification différente. 11 s'ensuivrait que les deux let-
tres ne pourraient avoir le même auteur. Dès lors, puisque l'au-
thenticité de l'épitre aux Colossiens donne lieu à moins de difficultés,
il faudrait sacrifier la lettre aux Éphésiens. M. Holtzmann (3) reconnaît

que la question d'authenticité de cette dernière lettre dépend en


grande partie de l'opinion qu'on se fait sur le degré de « Entwi-
ckelungsfahigkeit » de saint Paul. D'accord. Mais est-il donc si diffi-

cile de concevoir, dans la longue carrière de l'Apôtre, la genèse

de nouvelles controverses auxquelles il fallait faire face en dévelop-


pant des arguments nouveaux? Si l'on ne veut pas reconnaître que
saint Paul, à la suite de nouvelles erreurs, a pu développer des
doctrines qu'il n'avait fait qu'effleurer dans les grandes épîtres, la

cause de l'épitre aux Éphésiens est perdue. Mais pourquoi refuser à


saint Paul ce qu'on accorde à tout auteur? C'est un fait indéniable
que de l'authenticité de notre épitre renferment, par
les adversaires
un apriorisme intransigeant, le Paulinisme authentique dans des
limites beaucoup trop étroites. En tout cas, il est certain que la
christologie et la sotériologie de l'épitre aux Éphésiens conviennent
parfaitement à la doctrine de saint Paul sur les mêmes sujets. Les

(1) L. c. p. 138.
(2) L. c. p. 174.
''3) Le/irbuch der neutestamentlichen Théologie, p. 7 : « Sollen dieselben die Gefan-
genschaftsbriefe) fiir echt genommen werden.so niûsste der Entwickelungsfahigkeit ihres
Urhebers eine Tragweite zuerkannt werden, wie sie mindestens leicliter denkbar wird auf
deni erweiterten Untergrunde des Bewustseius einer sich an jenen anschliessenden, seine
Gedanken weiter verarbeitenden Génération. »
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 381

quelques réserves qu'on fait sur l'intellectualisme de cette épitre et


sur son ecclésiologie ont été si souvent examinées et réfutées (1)

que nous juaoons superflu de nous y attarder encore.


Nous nous bornons donc, dans ce paragraphe, à examiner les
objections nouvelles récemment mises en avant par M. Dibelius.
L'auteur essaie de prouver que les termes ;j.j7T-r,p'.:v, à-oy.xTaAAxc;-;'.-/.
v.zzxhr,, zAr.sfoy.a ont dans Fépître aux Éphésiens un sens différent

(le celui qu'ils ont dans un contexte identique de l'épître aux Colos-

siens. Vauctor ad Ephesios n'aurait plus compris ou aurait inten-


tionnellement changé la terminologie de l'épître aux Colossiens.
L'objection est nette et précise; voyons si elle est fondée.
Commençons par le terme si important y,jcr-:r,c',:v. Cette expression
se lit dans saint Paul, en comptant le texte douteux de I Cor. ii, 1,
vingt et une fois. Le sens général est bien connu un mystère :

est une doctrine secrète, cachée. Ainsi la résurrection finale est un


mystère (I Cor. xv, 51); l'union du Christ et de l'Église, type du
mariage chrétien, est un autre mystère [Eph. v, 32). Dans certains
passages des lettres qui portent le nom de Paul {Rom. xvi, 25-26;
Col. I, 26-27; Eph. i, 9; m, 34-39), il est question du mystère par
excellence : le plan divin de racheter l'humanité par le Christ. Le
mystère est ainsi décrit, Eph. m, 6 : s^va-. ik 'id^rr, jyv/./,-^psv2;j.x 7.y.\

-Ôv7(j);j.a v.y.l zx/[j.i-:yy. 7?;; i~y.^(^'^ùJ.y.z iv XpijTw 'Ir,7ij : le salut donné


à tous en Christ. Cette définitiondu mystère concorde fort bien,
quant au sens, avec un double énoncé de l'épitre aux Colossiens sur
le même sujet : Xp-sriç h jy.Cv. r^ ï/-.\z t-^ç $:;/;; (i, 27), où il faut

comprendre àv jy.tv non dans le sens de « parmi vous », mais dans


le sens de « unis à vous » (2), et ii, 2, où le Mystère est résumé
en un seul mot Xp-.sTcç. Dans tous ces textes le « Mystère » est « le
:

plan conçu par Dieu dès Téternité, mais révélé seulement dans l'Évan-
uile, de sauver tous les hommes sans distinction de race, en les

(1) Sur l'ecclésiologie de aux Éphésiens dans ses rapports avec le Paulinisme,
l'épitre
lire Tu. Zahn ' Einleitung.... I-, p. 356-357) qui la compare très justement avec l'ecclé-
siologie de l'épitre aux Colossiens et de la première aux Corinthiens. Sur l'intellectua-
lisme voir F. Prat. La Théologie de saint Paul, I, p. 383. Il est facile de s'explitpier
comment docteurs de Colosses devait amener saint Paul à préciser et à
l'hérésie des
développer sa christologie et à insister sur l'élément siiéculatif de sa doctrine.
(2) Bien que plusieurs commentateurs traduisent « parmi vous «, le sens « en vous,
unis à vous » me semble absolument garanti j)ar des textes parallèles : m, 16; Eph.
ni, 17; II Cor. xiii, 5. Dans le passage cité de l'épître aux Ephésiens, l'Apôtre demande
à Dieu « qu'il vous accorde, selon la richesse de sa gloire, d'être affermis avec puissance,
par son Esprit, en l'homme intérieur, que le Christ habite par la foi dans vos cœurs... »
Voir encore Gai. ii, 20.
382 REVUE BIBLIQUE.

identifiant à son Fils bien-aimé dans l'unité du corps mystique » 1).


On demande, après la lecture de ces textes, comment on peut
se
trouver dans l'usage du terme !;.j(jTr;ptov un argument contre l'au-
thenticité de l'épitre aux Éphésiens. Il faut ici rapporter les paroles
mêmes de Dibelius : « Col. i, 26-27; ii, 2 ; iv, 3. l'objet du mystère
est : Christ en vous, V espérance de la gloire. D'après le contexte il

faut comprendre ainsi l'incarnation et la glorifica.tion du Christ


:

donnent aux païens auxquels le Christ est péché le droit à l'héritage


céleste. Dans l'épitre aux Éphésiens (i, 9; m, 3-6, 9-12) le mystère
devient la participation des païens au salut. Ce qui était capital
dans la lettre aux Colossiens, savoir, la glorification du Christ, est
laissé de côté ici et n'est mentionné que transitoirement, i, 21. Il
ne s'agit plus que de la vocation des païens. Le ton est changé à
ce point que l'objet du mystère devient tout autre. Et néanmoins
les deux lettres caractérisent le mystère à peu près dans les mêmes
termes : Col. i, 26-27; Epli. m, 5, 9 (2) ». Il est évident que M. Di-
belius n'a pas compris l'idée fondamentale de la théologie pau-
linienne, le salut en union avec le Christ, et que le sens de Col. i,
27 lui a complètement échappé. Toute son objection contre l'authen-
ticité de l'épitre aux Éphésiens croule par la base.

M. H. von Soden, qui reprend l'argumentation de Dibelius, est ce-


pendant plus réservé. Il ne s'agirait plus que de diverses nuances
dans la signification du « Mystère », mais ces nuances excluraient
cependant la possibilité de l'identité d'auteur (3). Dans l'épitre aux
Colossiens saint Paul, en parlant de la vocation des païens au salut
promis en Christ, insisterait plus sur la promesse que sur la voca-
tion des païens; l'auteur de Tépitre aux Éphésiens insisterait au
contraire beaucoup plus sur la vocation des païens. La vérité est tout
autre. Dans les deux lettres, écrites à des communautés de païens
convertis, il est également insisté sur la vocation des païens. Pour
l'épitre aux Éphésiens il est inutile de le prouver; pour l'épitre aux
Colossiens il suffisait de lire, i, 27 : Dieu a voulu manifester quelle est

la richesse de la parmi les Gentils le Christ


gloire de ce mystère :

en vous (gentils), l'espérance de la gloire! La seule différence entre


les deux passages c'est que dans l'épitre aux Éphésiens l'égalité
des promesses entre Juifs et païens est explicitement affirmée. Mais
cette idée se trouve exprimée déjà dans une des premières épîtres

(1) F. Prat, La Théologie de saint Paul, I. p. 433.

(2) L. c, p. 171.
(3) Zeitsclirift fur neutestamentliclie Wissenschaff, 1911. p. 193-194.
LES RÉCENTES ATTAQUES CO.NTKE LÉPITRE AUX EPHÊSIENS. 383

de rApûtre. Gai. m. -27-28. 11 est donc absolument certain que dans

les épitres aux Colossiens et aux Épliésiens la notion du « Mystère » est


identique.
Pour exprimer la réconciliation de Ihoaime pécheur avec Dieu,

saint Paul se sert fréquemment du terme /.x-.-j'ij.t.zzv.-i Dieu se récon- .

cilie le monde en (ou par) .Jésus-Christ : 0£br };> ï-t Xptrtw -/.iTy.:/

/.zraA/.â—wv iajTw II Ténoncé complet de sa doc-


Cor. V. 19 : voilà
trine. Dans les épitres aux Colossiens et aux Ephésiens nous trouvons
trois fois j.-"/.y.-.yj'i.y.zzv:). Rien détonnant à ce léger changement :

Paul aime le verbe composé et la préposition àr: était très apte à


exprimer le retour à un état antérieur avant le péché. Le passage
Eph. II, It) ex})rime donc en langage absolument paulinien l'œuvre
du Christ réconciliant le monde à Dieu par sa croix; la seule parti-
cularité de ce texte cest la mention des deux parties de l'humanité
ramenées par ^œu^Te du Christ en l'unité d'un corps mystique. Mais
cette idée aussi n'est pas neuve et se retrouve dans l'épitre aux Galates
(lu, 28 . Dans l'épitre aux Colossiens i, 22 , l'apùtre expose aussi la
doctrine de la réconciliation de l'humanité par le Christ. Dans ce
passage la passion du Christ est indiquée par les mots èv tw 7w;j.aT'.
T-^r z-xz-Lzz H-j:rj.-.',j et la formation du corps mystique des
aJTCj zvj. t:j
réconciliés est omise mais il est évident qne ces différences avec le
;

texte parallèle de l'épitre aux Ephésiens ne constituent aucune diffi-


culté et n'ont besoin d'aucune exjdication. Que dans les deux textes
cités l'expression iv -Z} zLû\j.y.-: -.f,z zy.z/.'z: et £v vr. zbyj.-j.-.: ait un sens
tout différent, cela est évident par le contexte, mais encore une fois

cela ne préjuge en rien en faveur de la diversité d'auteur. L'autre


texte de Col. où se lit le verbe y-z-/.y-%ùi.7.zzv:i (i, 20 est obscur : -/.al

z'. xj~.z\j y-z7.yL-.-x/'/,y.zy.'. -.y. -yi~.y. v.z ajTiv, v.zr^-tz-z'.r^zxz z'.y. ~zXi 3.'.\}.j.~zz

zzj z-.xjzzj xj-.Zj i:-.i -.y ï-\ -%z_ ';r,z tlzi -.'%
àv -.z\z z^jZX/zIz. M. Dibelius
interprète ce texte d'une réconciliation, au sens propre, des hom-
mes et des anges avec Dieu, pour pouvoir le mettre en opposition
avec Eph. ii, 16. Mais cette interprétation est tendancieuse et en
réalité Col. i, 20 est parallèle, non à Eph. ii, 16, mais à Eph.
I, 10 Ij : il s'agit dans ces textes d'autre chose que d'une réconciUa-
tion avec Dieu, au sens propre du mot. En tout cas, l'emploi et le sens
du verbe Eph. ii, 16 sont couverts par Col. i. 22 et par
y.r.z-f.y-.yîtj.y.zzv.-'i

les passages d'autres lettres où se lit /.y-yi'jrj.zzv.-i. Rom. v, 10 II Cor. :

\. 18-20.

La mention du Christ v.izyj/r, est fréquente dans nos deux lettres.

1 Voir F. Prat, La Théologie de saiiU Paul, II, p. 152-155.


384 REVUE BIBLIQUE.

Le Christ chef des anges [Col. ii, 10) et Tépitre aux Éphésiens,
est

I, 10, parle d'une àva/.ssaAafwïtc des puissances angéliques et des

hommes en Christ. Plus souvent le Christ est dit tête du corps mys-
tique, deTÉglise : Col. i, 18; Eph. i, 22: iv, 15; v, 23. Au texte cité
de Fépitre aux Colossiens il faut sans aucun doute ajouter ii, 19 où
la mention du Christ comme chef de TÉelise est faite avec toute la

clarté désirahle. Il suffit de lire le texte. Et je n"ai pu comprendre


par quelle singuHère méprise M. Dibehus ait interprété Col. ii, 19
des relations des anges à l'égard du Christ v.toj'Kr,. Aucun auteur, que
je sache, n"a eu cette distraction. C'est cependant sur une telle mé-
prise que M. Dibelius base son objection contre l'authenticité de
lépître aux Éphésiens. Et voici comment. Col. ii, 19 et Eph. iv, IG
donnent un parallélisme verbal très étroit. Eph. iv, 16 est évidem-
ment à comprendre de l'Église dont le Clirist est v.içy'hr,: Col. ii, 19
serait à comprendre des anges dont le Christ est v.t^x/à, les mêmes :

expressions, dans un contexte presque identique, auraient une signi-


fication ditïérente. La vérité est tout autre : Col. ii, 19 et Ep/i. iv, IC»

sont absolument parallèles quant à l'expression et quant au sens réel ;

les cjuelques différences verbales prouvent précisément combien l'au-


teur de la lettre aux Éphésiens possédait les doctrines de Paul et avec
quelle maîtrise il savait les exprimer. Bien loin de trouver dans la
comparaison de Col. ii. 19 et Eph. iv, 16 une objection, nous y trou-
vons une confirmation de l'origine paulinienne de l'épitre aux Éphé-
siens.
Reste encore le terme -'/.r,ziô[j.y. qui se trouve mis en rapport avec la
christologie dans cinq passages des épitres aux Colossiens et aux
Éphésiens : Col. i, 19; ii, 9; Eph. i, 23; m, 19: iv, 13. D'après l'épitre
aux Colossiens, dans le Christ habite la plénitude de la divinité iii. 9),

la plénitude des grâces (sens probable de i, 19); et ailleurs il est dit

qu'il remplit de ses dons ceux qui croient en lui in, 10). Eph. iv, 10, 13
exprime absolument la même idée et sans doute aussi m, 19 car ;

dans ces textes il ne semble pas être question d'une action réciproque
du Christ sur l'Église et de l'Église sur le Christ. Il ne reste doue
que le seul texte Eph. i, 23, très obscur et qui a reçu les interpréta-
tions les plus divergentes : ï-/:/j:c,z'.-j. ...r-.\z ïz-h -o T.'Kr,pià[j.x t:j -'y.

r.T^iy. iv -5riv T.Kr,zfj[j.i\z-j. M. Dibelius interprète ce texte en ce sens


que le Christ y serait dit complété par l'Église comme la tète est
complétée par les membres. En faveur de cette exégèse il peut en
appeler au sentiment de plusieurs Pères, entre autres de saint Jean
Chrysostome, et à l'opinion d'exégètes modernes de toutes les écoles.
M. Dibelius a certainement tort d'interpréter dans le même sens les
LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE ALX EPHESIENS. 38r>

autres textes de Tépître aux Éphésiens où le terme -Xr.ccoy.a est


employé. Il n'y a donc pas dans les deux lettres un emploi cons-
tamment différent du terme -/.v^pwy.a. A supposer que, Eph. i, 23,
le sens de -Xr.porj.a soit exceptionnel, je ne verrais pas ce qu'on
pourrait conclure de ce chef contre l'authenticité de cette lettre.
D'ailleurs, je ne pense pas que le texte en question doive être inter-
prété comme le veut Dibelius. Tout le contexte semble plutôt de-
mander l'interprétation suivante : l'Église est le corps du Christ :

elle estremplie par Celui qui remplit tout en tous. Ainsi l'idée de
ce verset obscur coïnciderait parfaitement avec Col. ii, 19-20. Mais
nous ne pouvons songer ici. faute de place, à justifier notre exégèse
de Eph. I, 23.
Quoi qu'il en
soit d'ailleurs de ce dernier point, il est absolument

certain que M. Dibelius s'est mépris sur le sens des termes théolo-
giques dans les deux lettres aux Colossiens et aux Éphésiens, et que
l'objection qu'il en tire contre l'authenticité de l'épitre aux Éphésiens
est sans valeur.

4. LE RAPPORT LITTÉRAIRE AVEC LA l' PETRI.

Les nombreuses ressemblances d'expressions et d'idées entre l'épitre

aux Éphésiens et la I' Pétri ont attiré toujours l'attention des critiques.
Mais on n'est pas tombé d'accord sur l'explication à donner à ces
coïncidences. Faut-il recourir à une dépendance littéraire et dans
cette hypothèse à quelle épitre faut-il accorder la priorité? Ou bien,
les ressemblances peuvent-elles s'expliquer autrement? On est même
allé jusqu'à soutenir l'identité d'auteur de ces deux épitres mais (1 ;

cette solution est absolument indéfendable


ne jouit d'ailleurset

d'aucun crédit. Signalons d'abord quelques concordances verbales.


Les deux épitres commencent, après la suscription, par une formule
doxologique z'jt.z-j,~zz z hiz:... [Eph. i, 3
: I Pet. i, 3,. Mais la
;

seconde épitre aux Corinthiens débute de même ill Cor. i, 3] et la


forme doxologique parait avoir été, chez les Juifs, d'un usage assez
courant dans le commencement d'une épitre. .l'attache encore moins
d'importance à l'expression -z'z y.y.-y.zz'/.r,: y.z-[j.zj Eph. i. i; I Pet.
1, 19-20 qui se lit une dizaine de fois dans le Nouveau Testament et
bien plus souvent encore dans l'Ancien. K'/.r^zz-Kj.ix (Eph. i, li, 18:
V, 5; I Pet. I. i) est une expression consacrée pour signifier l'héri-

(1) Selffert dans la Zeitschrift fur irissenschaftliche Théologie, 1881. p. 179 svv.
soutint jadis cette singulière opinion qui a été reprise de nos jours par R. Scott, l. c.
p. 181 STV.
REVUE BIBLIQUE 1912. — y. S., T. IX. 25
386 REVUE BIBLIQUE.

tage céleste; elle rend une expression hébraïque très commune et


devait se rencontrer très naturellement sous la plume d'auteurs
d'origine juive. On cite encore quelques autres ressemblances ver-
bales, mais qui, de laveu unanime, ne sauraient prouver une dé-
pendance littéraire entre les deux lettres.
Venons maintenant aux ressemblances d'idées. La mention du
Christ établi dans la gloire du ciel à la droite du Père [Eph. i, 20-21 ;

I Pet. III, 22' est aussi une doctrine commune à tous les chrétiens

dès les temps apostoliques, et le parallélisme verbal très étroit entre


les deux lettres peut s'expliquer en partie par la dépendance du
psaume messianique ex, 1. Le paralléKsme le plus frappant, à notre
avis, est la figure de l'édifice chrétien dont le Christ constitue la
pierre angulaire, unissant toutes les parties de l'édifice et leur donnant
la stabilité [Eph. n, 20 sv. ; I Pet. ii. k sv.). Mais ici encore l'idée a
des attaches dans l'Ancien Testament et, comme nous aurons l'occa-

sion de le dire plus loin, le développement de la métaphore n'est


pas le même
dans les deux épitres. Le désir de multiplier les parallé-
lismes entre les deux écrits a amené certains auteurs à des erreurs
d'interprétation considérables. Ainsi, Fauteur de la I' Pétri parle
i, 10 sv.) des prophéties messianiques annoncées par les prophètes
de l'Ancien Testament et réalisées dans le Messie ; l'auteur de l'épitre
aux Éphésiens, parlant du mystère du salut en Christ ni, 5), dit
que les générations passées n'ont qu'imparfaitement connu cette
doctrine, révélée maintenant aux Apôtres et aux prophètes (chrétiens)
et annoncée par eux à tous On le voit, les deux idées
les croyants.

sont absolument différentes. Ce qui n'empêche pas M. Moffatt (1) de


mettre les deux textes en regard l'un de l'autre comme des textes
parallèles et à conclure que Vauctor ad Ephexiox a changé prophètes
de l'Ancien Testament, mentionnés dans la I' Pétri, en prophètes
chrétiens I

Toujours est-il qu'il y a entre la première lettre de saint Pierre


et la lettreaux Éphésiens des analogies d'expression, et d'idées assez
nombreuses et quelquefois assez frappantes. On peut d'ailleurs
suggérer plus d'une hypothèse qui rende suffisamment compte de
ces ressemblances, en dehors de la solution de la dépendance litté-
raire. « Pierre..., dit M. Jacquier (2), s'il a écrit à Rome, a dû
converser avec Paul, qui, en ce moment, préparait son épître aux
Éphésiens, et il s'est ainsi pénétré des idées que l'apùtre des gentils

(1) L. c, p. 382.
(2) Histoire des livres du Nouveau Testament, t. III. p. 255-256.
LES RECENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 387

développait dans sa lettre. U est possible aussi que ces diverses


ressemblances proviennent du fait que Silvain. le secrétaire qui a
écrit première épitre de saint Pierre, fat longtemps le com-
la
pagnon de voyage de Paul et devait connaître à fond la doctrine et
la langue de son maître. » Cette dernière hypothèse semble parti-
culièrement heureuse, car elle est simple et naturelle et expliquerait
suffisamment les ressemblances qu'on peut relever entre les deux
écrits.
Il va de soi que, dans cette opinion, l'authenticité de l'épitre aux

Éphésiens se trouverait plutôt confirmée par les parallélisnies avec


la r Pétri. Il en serait de même, pensons-nous, si l'on croyait devoir
admettre une dépendance littéraire entre les deux écrits. Car, à
notre avis, la priorité de l'épitre aux Éphésiens serait seule admis-
sible. Que l'on compare, par exemple, les textes indiqués plus haut
sur l'édifice chrétien dont le Christ est la pierre angulaire. N'est-il
pas évident que la description de Eph. ii, 20-22 est sobre et jjrécise,
tandis que le texte parallèle de la s'étend en des développe-
I' Pet7'i

ments et des applications accessoires d)? On fait valoir aussi pour


la dépendance littéraire et contre la priorité de l'épitre aux Éphé-
siens, la manière dont Eph. v, 21 les préceptes de morale domes-
tique sont introduits, sans lien avec ce qui précède et énoncés par le
participe uzoTaTTÔy-sv:-.. Cela ne s'expliquerait que par la dépendance
à l'égard de V Pétri, ii, 18. Je pense, au contraire, que tout s'ex-
plique beaucoup plus simplement. Dans Tépître aux Colossiens saint
Paul avait déjà exposé son petit code de morale familiale. Que l'on
compare Col. m, 16-19 et Eph. v. 18-22 et l'on verra que le contexte
est identique. U n'y a pas lieu de recourir à la première épitre de
saint Pierre. Quant à l'emploi du participe pour introduire un pré-
cepte, c'est dans le style de saint Paul : cf. Rom. xii, 9 ss.

n'y a donc pas lieu d'admettre une dépendance littéraire entre


Il

l'épitre aux Éphésiens et la T' Pétri : les ressemblances entre ces deux
écrits ne demandent pas cette solution. Si l'on compare, par exem-
ple, la seconde lettre de saint Pierre et l'épitre de Jude entre —
lesquelles la dépendance littéraire est généralement reconnue
l'on verra combien différents sont les rapports entre ces deux écrits
de ceux que nous avons trouvés entre l'épitre aux Éphésiens et la
I' Pétri.

(1) Cf. Th. Zahn, Einleitung. II, p. 37, qui fait la même remarque : « ilaa kônnte
meinen, ia IPetr. u, 4-8, einen Prediker zii hôren, welclier das in Eph. n, 20-22 als sei-
nein Text ihm dargebotene Bild nacli den verscMedensteu Seiten hin und lier weadet und
verwendet. »
388 REVUE BIBLIQUE.

Remarquons enfin, pour terminer ce paragraphe, que ce serait uni-


quement dans l'hypothèse de la non-authenticité de T' Petri^ qu'on
pourrait faire valoir, contre l'origine pauliuienne de la lettre aux
Éphésiens, les analogies d'idées et de vocabulaire auxquelles nous
avons consacré ces quelques lignes. Or, l'authenticité de la P Pétri
est elle-même assurée par une série de témoignages et de considéra-
tions internes qui excluent tout doute. Quelle que soit donc l'opinion
qu'on croirait devoir adopter sur le rapport de l'épître aux Éphé-
siens avec la première lettre de saint Pierre, il n'est pas possible d'y
baser un argument valable contre l'origine paulinienne du premier
de ces documents.

5. PASSAGES SPÉCIAUX.

Nous serons très bref sur ce sujet. Car tout a été dit sur les
passages qu'on objecte couramment contre l'authenticité de la

lettre aux Éphésiens, et il serait, d'autre part, trop long de relever


les considérations accessoires et souvent très fragiles que certains
critiques se plaisent à relever dans leurs commentaires.
Un mot de Eph. m, 4. On prétend que l'auteur y soumet humble-
ment son enseignement sur le mystère au jugement de ses lec-
teurs (1). On ajoute aussitôt qu'on ne peut imaginer rien d'aussi
contraire au caractère de F Apôtre. Cette dernière remarque est
exacte : l'auteur qui a écrit l'épitre aux Galates enseigne avec auto-
rité etne demande pas une confirmation pour sa doctrine dans l'as-
sentiment de ses lecteurs. Mais, dans le verset cité, il ne s'agit pas
d'une soumission pleine de déférence aux opinions des destinataires,
pas plus qu'il ne s'agit, comme d'autres l'ont opiné, d'une affirma-
tion vaniteuse qui serait tout aussi contraire aux idées de Paul. Non,
le sentiment exprimé dans ce passage est d'une exquise délicatesse,
et il est étrange qu'on s'y soit si souvent trompé. Écrivant à des chré-
tiens qui ne l'ont jamais vu et qu'il sait être instruits dans les véri-
tés fondamentales de la foi, Paul en appelle à l'instruction de ses
lecteurs pour leur faire mieux recevoir une doctrine importante. Il
n'est pas un prédicateur qui n'ait fait cent fois la même chose.
L'on insiste toujours sur Eph. ii, -20; m,
où nous lisons 7) et iv, 11,
l'expression « les Apôtres et prophètes » Paul lui-même a-t-il pu ;

employer cette formule? Ce qui est certain, c'est que dans ses lettres
reconnues authentiques la formule d àTrcjTsXc. n'est pas si rare. L'ex-
pression Eph. IV, 11 trouve son pendant 1 Co7\ xii, 28 y.al cj; :

(1) Clemen, /. c, p. 140-Î41.


LES RECENTES ATTAQUES CONTRE L'ÉPITRE AUX ÉPHÉSIENS. 389

Dès lors, il est difficile de voir pourquoi Eph. ii, 20 et m, 5 consti-


tueraient une objection contre l'origine paulinienne de la lettre.
Remarquons enfin que 5) à une époque où tous
le qualificatif h'^\z\ (m,
les chrétiens indistinctement étaient appelés de ce nom, n'aug-
mente en rien la difficulté (1).
Nous n'en finirions pas s'il fallait tout relever. Ainsi tel auteur
trouve qu'il y a trop peu de citations de l'Ancien Testament dans
cette épître, ce qui s'expliquerait d'ailleurs par la destination de la
lettre autre y compte une trentaine de
à des païens convertis; tel

citations ou d'allusions à des textes de l'Ancien Testament, ce qui


s'expliquerait aussi, et très facilement, par l'éducation juive de l'A-
pôtre.
M. Clemen invoque contre l'authenticité le verset vi, 21
(2) Tva :

oè etû^Ts '/S\ -y. xa-:' ï\i.i... parce que les lecteurs auraient
!J;j.Ef; été
dans l'impossibilité de comprendre, dans ce passage, la valeur de la
conjonction x^L II est possible qu'il y ait là une allusion à la commu-
nauté de Colosses, et c'est ainsi que les défenseurs de l'authenticité
l'entendent souvent. Mais il est possible aussi que Paul songe aux
chrétiens de la ville où il est en captivité, qui connaissent les détails
de sa vie, ses souffrances et sa prédication. De même, quand saint
Paul écrit aux Colossiens (m, 8) : vuv: oà à-iOssO; -/.ai OsjLst;; Ta zavTa...,
il n'est nullement indiqué de penser qu'il a en vue des lecteurs
d'autres lettres auxquels des exhortations analogues ont été faites.
Il peut très bien songer aux chrétiens en général qui doivent éviter
les vices dont il est question dans ce passage. Et c'est précisément
pour avoir appuyé, plus que de raison, sur la particule dans les deux
textes cités, que M. Holtzmann en est arrivé à sa fameuse théorie de
l'alternance de priorité entre les deux épitres, opinion qui est aban-
donnée aujourd'hui. Saint Paul, comme tout auteur, a pu employer
l'une ou l'autre fois cette petite particule, sans que les lecteurs aient
pu en saisir toute l'allusion. Gela n'avait aucune importance et il
serait souverainement imprudent de juger de l'authenticité d'une
épitre d'après d'aussi faibles critères.
On a aussi trouvé étrange l'omission de Timothée dans la suscrip-
tion de cette lettre, alors qu'il se trouve mentionné dans les trois
autres lettres de la captivité, et il est impossible maintenant d'en
indiquer positivement la raison. Au jugement de M. Freitag (3), cette

(1) Cf. Th. Zahn, Einleitung, I, p. 357-358.


(2) X. c, p. 139.
(3) Kritischer Anmerhungen zu deii Pastoralen und zuni Epheser-und zum zweiten
390 KEVUE BIBLIQUE.

omission serait même un critère suffisant pour nier l'origine pauli-

nienne de la lettre aux Éphésiens. Cependant, dans Tépître aux Ro-


mains aussi,aucun compagnon apostolique n'est associé à l'Apôtre
et il sera biendifficile de trouver une raison de cette exception pour

l'épitre aux Romains qui ne puisse pas valoir pour l'épître aux Éphé-
siens.
Mais il est inutile de nous attarder plus longtemps à ces objections
étranges. La conclusion qui découle de l'exposé qu'on vient de lire
peut se résumer en ces quelques mots. Les récentes attaques contre
aux Éphésiens n'ont apporté aucune objec-
l'authenticité de l'épître
tion nouvelle d'un poids considérable. Le retour vers la tradition
s'accentuera vraisemblablement de plus en plus. D'ailleurs l'expres-
sion aiictor ad Ephesios est encore fort peu usitée. Elle n'a aucune
raison d'être. C'est Paidus Apostohis qu'il faut dire sans hési-
tation.

Louviiin.
H. COPPIETERS.

Thessalonicfierbrief, dans Zeitschrifl fiir neutestamentliche Wissenscliaft, 1912,

p. 91-94.
MÉLANGES

L'ÉVANGÉLIAIRE HÉRACLEEN
ET LA TRADITION KARKAPHIEXNE

Dans par Gwilliam (1), en 1901. on trouve


l'édition de la Pshitto
dix-huit notes marginales du manuscrit Add. 12.178 marquant des
diltërences entre cette version et IHéracléenne. « Quatre seulement
nous sont présentées par le texte de White. La conclusion se tire d'elle-
même; au jugement de Gressmann qui a noté ce fait, le texte de
White ne peut pas même être considéré comme un remaniement de
Ihéracléenne d'après le grec ce sont plutôt deux versions différentes
;

(Héracl. et White) d'un même original grec. » Cet arrêt sommaire,


dont le P. Lagrange a fait appel dans un numéro précédent de cette
Revue (2), est de M. Lebon, professeur à l'Université de Louvain; il a
paru dans la Revue d'Histoire ecclésiastique, le 15 juillet 1911 (3).
Les travaux relatifs à la lecture exacte de la Bible syriaque sont
conservés dans plusieurs manuscrits rédigés par des nestoriens ou par
des jacobites, ordinairement sous le titre ; Recueil des shmohé et
QROiOTHO de r Ancien, du Nouveau Testament et des Docteurs
(jLiiûô it^àflL-j» ijiioà;. Selon Jacques d'Édesse, les shmohé sont « les points
quand ils sont unis aux mots » ou, comme nous dirions, les mots
ponctués. Les Qroiotho désignent tantôt les « modes du verbe » et

tantôt les« manières de lire », les « traditions de lecture ». Dans le

Journal asiatique, en 1869, Paulin Martin [h-\ a mis en évidence


l'importance de ces recueils et établi la véritable nature de leur

1) Tetraevangelium sanction juxta sirnplicem Si/rorum versionem... edidit G. H.


Gwilliam. Oxford, 1901.
(2) Revue Biblique, janvier 1912, p. 141.
,'3) J. Leboa, Zfl version pJiiloxénienne de la Bible. Cf. p. 245. — L'ouvrage de White,
fort rare :Sanctorum Evangeliorum rersio sijriaca philoxeniana. Oxford, 1778. —
L'article de Gressmann Studien zum syrischen Tetraevangelium, I. Dans la Zeitschrift
:

fUr die Xeutestamentliclie Wissenschaft..., t. V (1904), p. 248-252.


\, Tradition karkaphienne ou la inassore chez les Syriens.
392 REVUE BIBLIQUE.

contenu : c'est une œuvre de grammaire de lexicographie à


et

laquelle se sont adonnés plus particulièrement les moines du couvent


de Karkaphta (1), d'où le nom de « tradition karkaphienne » adopté
par les Syriens eux-mêmes; on n'y trouve pas le texte entier de la
Bible, mais seulement les versets ou les mots qui présentent quelque
particularité. En marge du texte de l'évangéliaire selon la Pshitto, les
manuscrits jacobites donnent seuls quelques extraits de la version
héracléenne; plus loin, sous une rubrique spéciale, ils contiennent la

tradition relative à cette dernière version. Ily a donc un rapport très


intime entre les mots mis en opposition ;
quand on constate une di-
vergence entre l'édition de White et l'une des notes marginales du
manuscrit Add. 12.178, on doit, avant de porter un jugement,
consulter la « tradition » relative àl'Héracléenne et, si elle est muette,
rechercher l'intention de l'auteur.
Avant la publication de Gvvilliam on avait imprimé quelques extraits
de la « tradition ». Dans cette étude sur la massore chez les Syriens que
je viens de rappeler, P. Martin a dressé le tableau des notes marginales
qui accompagnent le texte relatif à la Pshitto dans le manuscrit
(( syr. 61- » (2) de la Bibliothèque nationale. L'évangéliaire héracléen
y est cité neuf fois et dans quatre cas seulement les versets sont les
mêmes que dans le manuscrit de Londres. Au tableau IV, il transcrit
d'après le même manuscrit et d'après le <( Vatican 152 » toute la
« THéracléenne, de Matt. xiv, 34 à Matt. xvii, 25,
tradition » relative à
comprenant plus de cinquante mots empruntés à dix versets. Huit
exemples tirés de l'Héracléenne ont été insérés par Bar-Hebraeus dans
son grand ouvrage grammatical le Livre des splendeurs (3); dans le
Magasin des Mi/stères, rillustre maphrien suit le texte de la Pshitto,
mais il cite parfois l'Héracléenne (4) nous aurions à tenir compte de
;

ces documents imprimés et nous devrions parcourir aussi le diction-


naire de Bar-Bahloul (5), si nous n'a\dons décidé de limiter actuelle-
ment la discussion aux données de la tradition ». «(

(1) Ce couvent se trouvait à Magdal, sur le Habour, en aval de la ville de Ràs el-'Afn
(Reschaïna).
(2) Ce manuscrit portait alors le n° 142.

(3) Édité par Paulin Martin : Œuvres grammaticales d Aboul-Faradj dit Barfiebrxus.
Paris, 1872.
[i] Le coiamentaire de saint Matthieu a été édité par Spanufh, Gœttingue, 1879. Celui —
de saint Luc, par Steinhart, Berlin, 1895. —
Celui de saint Jean, par Schwartz, Gœttingue,
1878. —
Pour les citations de l'Héracléenne, voir G. H. Berasteia, De charklensi Aovi
Testamend translatione syriaca commentatio, Breslau, 1837.
(5) Édité par Rubens Duval : Lexicon syriacum, auclore Bar Bahlule, Paris, 1888-
1896.
MÉLANGES. 393

Des dix-huit citations faites par le manuscrit Add. 12.178, cinq se


rapportent à des formes verbales différentes dans les deux versions :

2t Matt. TV, 21. ,,^ccio;. Opposition du pael dans l'Héracléenne à


l'aphel dans la Pshitto. White porte ^-xûi^io ^.

i) Matt. XVI, 2. Nny>m Opposition . du paël au peal. White et plusieurs

manuscrits (lïoms, Paris oï, etc. ) portent .rLboQXD l'adjectif de la même


racine. Le paël se trouve dans un manuscritde la Pshitto (Gwilliam, 12).

5) Matt. XIX, 18. !<n^î Po. Opposition de l'aphel au peal. La conjonction


o, usitée dans la Pschitto, ne se trouve ni dans White ni dans les
manuscrits collationnés.
12) Luc XXIII, iï.y^é^M. Opposition du paël à l'aphel.
15) Jean i, 7. ijoi^v "^^ '.o<^î- White, les manuscrits collationnés, la
« » du « Paris 6i » et le Livre des splendeurs (1) ont "^^^œ au
tradition
lieu de "^ employé dans la Pshitto. L'erreur est imputable au rédac-
teur du manuscrit Add. 12.178. D'ailleurs la note n'a été insérée que
pour opposer l'aphel au peal. Dans le Magasin des mystères (2)
Bar-Hebraeus, après avoir constaté que la Pshitto lit «wai (aphel) et
l'Héracléenne \^>y^ (peal), ajoute il y a des codices dans lesquels on :

trouve le contraire, et c'est plus exact, car la Pshitto dit que « Jean fut
témoin (jc^c [Jean i, 15^ sans >', et l'Héracléenne qu'il « porta témoi-
;

gnage (jcvD/) avec ». White donne la leçon usuelle, le peal.


/

Deux notes distinguent des formes différentes d'un même mot :

3) Matt. XIII, 33. -^^v^: opposé à ^i^ de la Pshitto.


9) Luc VI, i8. 1-:^^, opposé à îjiio. White et plusieurs manuscrits
portent iti^; le " Paris 6i » donne p^oo, en marge de la Pshitto et kl»
dans la « tradition » relative à l'Héracléenne.

Deux mots avec suffixes dans la Pshitto sont transcrits de la même


manière à la marge. White et les manuscrits héracléens présentent des
formes simples, sans suffixes; dans le second cas, le seul qu'elle
signale, la tradition du
« Paris 6i » s'accorde avec eux,

7) Marc ii, opposé à <>,ia-iji, est une leçon donnée par plu-
21. »,t.>,xy>,

sieurs manuscrits de la Pshitto. Dans White |La-^j«. :

16) Jean ii, 15. ^oovisîoi. avec ^ ponctué au-dessous, opposé à ^oovi^so^
ponctué à l'intérieur (donc différant seulement par la prononciation
de la lettre ^), n'est par conséquent que la leçon admise dans les
manuscrits de la Pshitto. Dans White iJLsjoi., ponctué à l'intérieur :

du >3 d'après le « Paris 6i »

(1) Édition Martin, p. 117, lig. 23.

(2) Bernstein, op. cit., p. 16.


394 REVUE BIBLIQUE.

Dans six cas, les termes adoptés par rHéracléenne diffèrent de ceux
qu'utilise la Pshitto :

1) Matt. III, i. )^;.' 1-^;. La Pshitto emploie l'adjectif i^; et non le

substantif.
6) Matt. XXVII, i6. -JQ\)-i<^). L'exclamation du Christ en croix, em-
pruntée au psaume xxii, n'est pas transcrite dans la Pshitto, mais
seulement traduite. Les manuscrits liéracléensdifiFèrent l'un de l'autre
et la tradition n'est pas constante pour la transcription des mots qui
ne sont pas syriaques. Onlit-ass. dans « Paris 5i, 56 et 58 » ^^j, dans :

« Paris 52 et 55 » [ce dernier donne -as^ à la marge); enfin, -i-i dans


le texte de Wliite (en marge. -^) et le manuscrit de Homs.
8i Marc xv, 39. oin^qjj Miajo. opposé à ;ksÎ'^ô de la Pshitto. Le « Paris 6i »

reproduit tout le début du verset; comme White il omet la con-


jonction o.

10)Luc XII. -lï. 1^^^^. —


11) Luc xiv. 21. ii^^v^o. Ces deux expressions,
comme l'a remarqué Gwilliam. ne ditlçrent du texte de la Pshitto
que par un point indiquant la prononciation des lettres -^ et Le l.

« Paris 6i » et les évangéliaires coUationnés s'accordent avec White

pour lire tmoï»-. et |.i>QJLi.o.


13) Luc XXIV, 28. yooc^ loo, \a^,:^. Dans White et le « Paris 6i » vooA
n'existe pas. Le scribe se sera laissé influencer par le texte de la
Pshitto; l'opposition est d'ailleurs entre looi i<i-^ et loo, -ômy^ .

li)Luc xxTv, 32. vOs5s= loo) w"^ ^^ '°* ^- -^u lieu de ^-^v lisons ;--û- et
nous aurons sous les yeux une citation de la Pschitto. Entre ces mots
seuls est l'opposition. La tradition du « Paris 6i » porte en effet,
comme texte héracléen, ,e r"^'- ^"lo^l -^ P- Les divers évangéliaires i*»»!

ont le même contexte, avec ou sans un second |ooi après wo,on-/. mais ils
ne s'accordent pas pour la lecture du mot en discussion White et le :

« Paris 5i » ont le verbe au participe ^!, tandis que le manuscrit de

Homs et le « Paris 56 » lisent, par erreur, le participe w^;-

Il reste deux notes à discuter :

17) Jean iv. opposé à -.^^o. Les deux formes se ren-


35. -4^:-
contrent dans les manuscrits de la Pshitto. Rien n'y répond dans
l'Héracléenne, la phrase y est construite tout autrement.
18) Jean xix, 25 est accompagné, d'après le manuscrit Add. 12.178,
du scholion suivant : .ilq-.! pp^» ©v^/ .^q-.;joo ^-y^o .i^f ..slj^cl.o \°>a^i>^

jio-./ ^ïL ^oA --i^^ïM .p:-( V''- '^^^'>' v^^)- Cléophas et Joseph [étaieiit] frères;

Marie et mère du Seigneur, [étaient) sœurs. Or ces deu.r


Marie,
frères épousèrent ces deux sœurs. Ou reproche à White trois divergences
sans aucune importance. D'abord, le nom de Cléophas orthographié
MELANGES. 30;;

i^ai^, sans la mater lectionis ^\ nous constaterons bientôt que la trans-


cription des noms propres dans deux manuscrits de la « tra-
difTère
dition » et l'on ne saurait exiger que White s'accordât avec les deux.
Ensuite, au lieu de ^^=^0=^ le texte imprimé porte ciii=ûj et avec raison,
puisqu'il y a deux sujets; le scribe du manuscrit de Londres a fait la
faute de qm écrirait en français « ils épouse » au lieu de « ils
épousent ». Enfin à r*^!» « celles-ci » il substitue ,^0, celles-là )>. La <(

prononciation de ces deux mots est à peine différente et il est aussi


très facile de les confondre dans l'écriture. Tous les évangéliaires
héracléens ne comportent pas ce scholion. Dans le manuscrit de Homs
on lit v^c^, oim ^Sa-i>uD.
: i,

De l'exposé précédent se dégage une conclusion très nette. Les


àlHéracléenne à la marge de la tradition relative
citations attribiiérs
à la Pshitto, dans le codex Add. 12.178, n'ont pas de valeur pour la
critique textuelle, puisqu'elles s'opposent non seulement au témoi-
gnage de plusieurs évangéliaires. dits héracléens, mais aussi à un
texte de « tradition )i qui s'accorde avec les mêmes évangéliaires, et,

quand le contrôle peut s'exercer, à l'opinion des auteurs syriens.


Si l'on compare les extraits des manuscrits de
tradition » l.")2 du «.

Vatican et 6i de imprimés dans l'étude de


Paris, tels qu'ils sont
P. Martin, on constate que, sur six mots transcrits du grec, cjuatre
présentent des divergences analogues à celles que nous avons remar-
quées entre le manuscrit de Londres et le texte de White. Géné- —
sareth (Matt. xiv, 34) est représenté dans le « Paris 6+ » par li^ii^ii^^

avec addition de i, à la fin, par un lecteur ; à la marge m m..! 14. avec


grattage après le dernier i et addition des voyelles. V. 152 porte
Ii5tm^^^ et le codex Barberini iliv^^^jl^. — Césarée de Philippe
(Matt. XVI, 13) : ^2.:^.^; \^;ssis> dans
dans le Yat. 152.
P. (Ji ;
o-asuCi^^; ^;^xo^D

— Jonas (Matt. dans P. Gi; pq-; dans V. 152.


xvi, 17) : pa- Élie —
(Matt. xvii, 11) p^ dans P. 6V; p^,/ dans V. 152.
: ri£pi-/wpcv —
(Matt. XIV, 35) wrDo;a:i.;^ dans P. 6i; w^oijoa^î^s dans V. 152; ^oja^u;^ dans
:

l'édition de White. Les manuscrits de tradition » présentent donc ((

des variantes, à tout le moins dans la transcription des noms propres


et des mots empruntés au texte grec. Pourcjuoi s'étonnerait-on de

constater des divergences analogues entre les diverses copies


du texte?
Il semble que Thomas d'Héraclée a transcrit servilement, avec les
désinences casuelles, toutes les expressions qu'il ne traduisait pas.
Quand on a utilisé sa version pour la lecture publique à l'église, ces
termes étrangers sonnant mal à l'oreille des Syriens, on a tenté de les
éliminer; souvent on les a remplacés par la forme syriaque, on les
396 REVLE BIBLIQUE.

a transcrits à la marge ou supprimés complètement. Le texte édité par


White présente une disposition plus extraordinaire, du moins dans la
Généalogie selon saint Matthieu où les noms propres sont écrits, la
première fois selon le grec, ensuite selon le syriaque (1).
Aucun texte de shmohé de l'évangéliaire héracléen n'a été publié,
si ce n'est les deux fragments que nous venons de rappeler. Nous allons

transcrire, d'après le manuscrit 66 de Paris (2), ceux qui appartiennent


à l'Évangile de Matthieu fol. 167 r", col. 1, à 168 r^, col. 2]; la colla-
tion avec le texte deWhite établira surabondamment que ce texte est
celui de l'Héracléenne, quelque peu modifié certainement, mais pas
assez cependant pour qu'on se refuse à le reconnaître parmi les
témoins de l'œuvre de Thomas.

:)-^s^û-^).^)o/ (3) -IJ-ioj jiojoVD ).Ju.^x> vQlAJs^o/

.^DV-s/; oiv-s; t-^j; oit-s .) .. . * v> >^aju*9 )^oo(; )-»Kd (I, 1)

(3)^/ ^, );oou (I, 3} — .oaip.! 3) $^\ J\\J:J{ (I, 2^ —


— .^)»il (3) ^S^ ^j v®'J-^ .»J-io)i ^ w)»)>^0 .Jî)-2L^

t\ »/ ^9 yo vi\ m (I, 5) — .^^clI ..,ii.\ iI^/ o);)T« vi\ (I, h)

)j»p/ (I, 6) — .loi^; ^ t^^"^ 1^^^/ jo^ .0)^/9 ^ jrtNo-^N

(4)yav>o\ot.\ ^^^/ 'j •^S nS oôi ^-^o; .jiN V> 061 t-*o^ ^^^/ x^!

(5))^/ il, 8) - .SjS^ ;^\ ^; yiL\jJi (I, 7) — .l^jo/î ^61


^
;^-/ ^|1qI/ (1, 9) — •vjjijQ-'i ^^-1 y>f^^A ..^l-itcxl:^ ^^-/ ^»
.floo^/ (I, 11) - ..^pjjo:^ ^/ ^, (6) vj^)j/ (I, 10) - .j)-^

(1) Dans le manuscrit 54 de Paris, les formes grecques des noms propres sont, pour les

deux généalogies, inscrites à la marge sous la rubrique ^i>>ûv-- lopét» « noms héracléens ».

(2] >'ous supprimons seulement les points des c^aa^,^. Les autres signes qu'il n'a pas
été possible de faire figurer dans la composition sont indiqués en notes.
(3) Voyelles ajoutées par une autre main.
(4) La 1"' voyelle '
a été ajoutée par une autre main. En marge . ^Q-^n\«N po/ . >fo>o/t

yO| VKifmNo )
" ^/^ - '•"V l-oa.. |L(i i v-i\» v>N .^n i )acv« Q,^; yOi ^i >>V-3 ^a y)n\) ii\
^\ )-.ua.>
f^\.
(5) Ce mot est vocalisé avec deux ej; la même voyelle se retrouve quelquefois mais
rarement dans le manuscrit.
(6) La 1" voyelle ' a été ajoutée par une autre main.
MÉUNGES. 397

^, (1 ^^li\Â I. 1:3 - aii.^ v>^')icil^ ,ylS\J>oS. ^l

— .^fiQ-»|o^/ :iooi-^ y^iCLio v£Doj^)j»(j ^j v\>ot y^ (II, 22)

— JV-^;; )-^?o )>M.c> .o«^; )ts rrurin ^^o. j*^' t>o; ^0/0 III, i)

.vXDo( ^) o>
I^J^OOj (i) OÔ! yQ^J^OJLS. .)ji/ ^Vl )j-— IV, 18

.s.«0(aM( > I ..o «"^.o


.6f)^|J9 oôi .00 n\) r\o IV. 21 — vxdJ^^JJo

^ (IV, 25) — .^^;ot^fr>v> ^o .^^^\iSo tS.o :^^ 2i) —


) » ^; )K 1 ,, \^ Jipo j] (V, li — .jL.»^ivlm:i ^ioo Ji-^^
— .j^jQ-^ K_<wJi. J^i*- (V, 15 — .).v> -.g) );a-^ > \^ ^^.^C^j

W i^V-^J ^ ^^^ V. 22 — .\\yJXi ^ o/ Yy^ \^ IV, 18)

)-JL-/ oôi^o (V, il) — .^'^>^ ^JL^^N \ ^\ )o)Kio K-^ooi (V, 25)

^/ Q^ (V, i8 — .^Vi .OiJiCLi. ^J y-^ JLwiO .)~i»)^/ ^ V-^f?

— .vooi^ vOioUi. ^^^^^o( ji (VI, 8) — ..^V-LaLi. Jjlooi ").«:v>.>xHi>,

."^^S^ajo oôi )K-^jsl^ (5) o-v^'i/o '


VII, 25i — .sfljJjcL^jj^o VI, 2i)

-.^Oi^lwC^; JA^^^^ K-.^!? vfi^'ffl; 6 ^K-7 JJ .)-»ViO ;VII1, 8 —


)ojo IX, 18 — .yOAâlKj J-.^^aii; )ioS\v>; ôi^JLs ^VIII, 12, —

\ t » ^N o l^j^ )>--o IX, 23) — .V^/ t^ O^ (8 ^s^ "^


y-^ \^'^l
^D (IX, 32) — .)^»/ ôCîisJL^ ,.-oiai>J^/ vOJ.oi (IX, 31 — . ju^KjLio;

(1 Primitivement, une seule voyelle * écrite sous le i,

(2) Corrigé postérieurement en ;)))()/.

(3) Feuillet 167 r". col. 2.

(4) o&i est écrit deux d'une ligne et au début de


fois, à la lin la ligne suivante.
(5) La voyelle * a été ajoutée par
une autre main.
(6) Les voyelles ont été ajoutées par une autre main.
(7) Feuillet 167 v, col. 1.

(8) La voyelle a été ajoutée par une autre main.


398 REVUE BIBLIQUE.

— (2) .yQ-»jJioo; )4jp! i-^'f=^ (1) <*-^Vr^ )oi »oooi


y * n^l yOJcH

oôi sû»oK^)-ioo )^)olo . scpo) v>o \oi V^O sflOQCy.» \->,<^ (X, 3-'*)

.^Iji sjf-^lli ^^ ^ojJo .»^ qi\) 1^» (3) oôi ocLa^).^o .)nr>'^v>

)
^ Al )Jo (X, 9) — ,\^o^i\.L£0 Ijoouo .pjjcu)^ OÔ! yO^^^oolo

..^1^9pO O^J\.£ûJd\S '.Xff^l ^Ji-Vl 0^ (X, 29) .yOOt^9 ux>)jo>^

u>.-3l\ ^ (XI, 21) — .y>2i>^l )-uîo/ ^Kj? ^ûjl^ (XI, 10) —


(4) loisal»» ).v>..Ao (XII, 4) — JjWj K-^ oo!!^ v-o .. ^H»*^
ji^tN ÔC^ (6) ^o^OiO JjoiD J-JXjJi» (XII, 5) — .^^J>/ (5) \^^
\j2>o.a> \IjQ^\h^ oC^ a^V;^ ^»-oi (XII, 22) — .^/ )K^:^ |l;o

— Joi'M )-Uu.» OQi>jNv^^ y/ .oi-^£o/o .I^V^o JJ/ (XII, 24) —

— .s£OQl^^; )jQi/ V-«^ P^o/ (XH,


otODt.a.a v )ooi ^*oioK-./? 'tO)

— .)-liCLû, )î).l» N^^liOi %r^ )^^/ '^-Lmj ^, oôjl^iXIII, 33)


— *yOOia-s/i )in \ ^ ) vi â jA sojoiilj *> 43)
>>n % ^-•«-«oi ^XIIl,

..Kjuls l-oxi^^^bo ^_ioo .)^:-.:5 KilioîU/; )l^-.jiaS, (XIII, 47)

.)-flLï|j» )lLs^ ^ (7) )* y->N yOAviLio )j>jbo vQjQ-aJ (XIII, 49) ~


fo*^/ >!^:oji )I^j oôus (XIV, 1) — ...Su-w^clI/o (XIII, 55) —
, )IKj/ J.-,©-^/
^^^^^ (XIV, 3) — ..cQ^î)v4)4 oôi

(8) I;)fn,ii)>^» )a»( '^^î^^ ©1/ Ot.:x^ ^oo (XIV, 34) — .w^a-./

)^j ^oj/ )va7îo (XV, 32. — .^09a:L-;3 ô^Vji^b. \^ (XIV, 35) —


— .)-^q_ÏcLj XV, 3i) — .j-MÎoj-s ^ÎKjlj Jjo!^; ,\A )-Sj jl

(1) La voyelle a été ajoutée par une autre main.


Les deux " ajoutés par une autre main.
(2)

(3) En marge ^oiCL^coo ..cDoJltC^o .roo^sp ^rcoa^i^o wjLio.

(4) La^ou>.&D> » Vio.

(5) La voyelle ' a été ajoutée par une autre main.


(6) Le 4, est vocalisé
'^''
an, 1- dans 1'^, comme ' est dans ^ pour la diphtongue * ou.

(7) Feuillet 167 v°, col. 2.

(8) Un lecteur a ajouté } à la tin du mot. A la marge, on lit i|;|m.ii^;, dont le i a été

effacé par un lecteur à qui l'on doit la vocalisation.


MELANGES. 399

PPLoj iié^ijl XVI, 13) - Jts^% J^Q-L^i ) I/o XV, 39)

— ) '^ ^ ^ ^CL^jjbOJL y^ts^l )jJS^Sa^ fXVI, 17) — QâuJ^^^9


— .^t-^.-Xa ^Klioo K-^bot-o ÏU ^ (1) M^/ (^^'ii' 1^'

)
> '=^\.v^ ,^« ^'mt )jô; ^iULlVlj vOJÔi o-s*^ .>oci .. r^gio (XVII, 2i)

^^/ ^io XVll, 25) — Jjoj cJiifl ^^0( yfn'^>avi JJ ••yO'(\ »;

,j.^^^CL^CLX ^/ ^J^ )cO(J (XVIII. 17) — .yOlTt 1 > OO j-roiL^ , - ^'/vm

j_io/; ) fni ^ ^:io; v^ôt (21 om^o-jo/ XIX, 12 — .) fn'^v>o

^ « •> sfloo \ > v>)^» 'oui^/ )K n «.%<=> XIX, 2*1^1 — .)jLûoi o^S^H
.vfiOQ3o*^^^^JJ jjy^V^ Ifio o6i t-^/ (XX 8 — ."^aiu [.^.J^JiO^ l^oV—

J^LaJij J-ioci2> ^; XXI, 16) — .'3 ^lâ K ^\ . (XXI, 1) —


— .).-ULi. K>^\ (XXI, 17; — o-slaI (5) K-Ss-iCLJt (ij )-oai^;o

^^!^oo (XXI, ii) — Jooil <Q) ^l ).><v.>-5 s-^;i[o ""^^^'M/ (XXI. 21)

(XXII 16) — K-.^-a .(8) >5^;KJ jjoi ).3)j) ^^5îO. (7; ^2U; ^
) cn'iV) ^ spnon «,vii yooij^o ^ oî^jjjio (XXII, 35) — .ojjjiio'^/
XXIII, li) — ,Jj;^-^ûI^aS ^j ^Ês-aiô (XXIII, 5 — .^>ô(o .oi^
sâl (XXIII, 32) — .jtJyT.-) j>Ot-o )..>j>Qji; )Iai:S^ ^^7, "^-^
.G.!o);)-»j oiv^ )J.;)ij (XXIII, 35) — ..^aaJoU/; jLi i9) oLji^ ^oKj/

— .Jia—»v---î )lc» °^ «
^ \0)—J^Î ^'^s-ooi ^Kio/ (XXIV, 15, —
^,—»oi (XXV, 31) — 'yO I VI .o«i JJ ,001 Jjooii^js )oi XXIV, 27)

jK^cL ^Vi »ii^-3 (XXVI, 2) — .o|i .. ^^QA; ^cDoioU ^^o. oKl*

(1) Voyelles ajoutées par une autre main.


(2) L'/ est vocalisé ^~ eu. Cf. ci-(ies>us. page 398, note 6. En marge i^^euia^; pd i^aadjoi

(3) Un * a été ajouté à côté de V par une autre main.


(4) En marge : psajoïo.

(5) Voyelles ajoutées par une autre main.


(6) Feuillet 168 r% col. 1.

(7) Le premier '^


a été ajouté par une autre main.

(8j En marge : .v».ij.>i!J.

(9) Le second - a été ajouté par une autre main.


400 REVUE BIBLIQUE.

flhsjl oi^ K^V^ (XXYI, 7) — iÀ\.lU> (XXVI, 3 - .)Ai»)i )ooi

^,^01 (XXVI, 36) — .)A:4 V*^ vo»a:o» \Ksu^^ ôj^ K^;,

— .(1) jia^ioN \^f^ oCSw-; )jl2j ôt-K^/ )N n\>o XXYI, 38

.)^)jx:^ aN:>(-M.vt\ (XXVI, 74) — .otn »io s*.A^; w.^ (XXVI, 49)

(XXVII, 6) — .paiCL^/ oôi sûoo^s^i^^^ ^o-^joâ (XXVII, 2) —


(XXVII, 26) — o)-aL-^;
.(2) V-^ (XXVII, 16) — .^^pjjsîai» K.^

(XXVII, 32) — JJ^—folj; JjoiojSo oN \ o >o-m s*oja-JS^/

oV-^9 )-Jou^ ya>>).^nai oi.^clji9 (3) vxoo «"uio^ ) % i^ ^ o ..'^njo

.^V^/o vOOi-.JL-V ^f-i.^ ^ (5) (XXVII, 39-iO) — (4) .)^o)V)^J-^

.wJK-û-lji JjLic^ ^<S.l dai.; (XXVII, V6) — (6) ooi/o ooi/o

(XXVII, 57) — .jL*; ôiL^ (7) )^ci2LfiD '^^^s^^Do (XXVII, 48) —


pè/ (XXVII, 65) — .vaL»a^/ OfJsûJi; )jioo/» ^ )t-i^ )-"^t-^ W
Nous ne mentionnerons pas les variantes relatives à l'orthographe
des mots empruntés aux originaux grecs sur ce point particulier nous ;

avons reconnu l'existence de divergences entre les manuscrits de


((tradition » et l'on ne peut invoquer leur témoignage contre l'édition
de White.
Quelques formes équivalentes, de même sens, mais différemment
orthographiées ou vocalisées, doivent être signalées bien qu'elles ne
favorisent ni Tune ni l'autre thèse. Ce sont ix, 31 -o,a^M./ (P. 64) et :

woiQ^;; —
XII, 4 \.o^^>^^\ (P. 64) et icl^ouo». xii, 40 u^\ (P. 64) et !-»/-(;
: —
— XV, 34 i^aïaj (P. 64) et j-ao-oj; XXIV, 27 pooi^ (P. 64) et Po)Nj.

(1) » est vocalisé au. Cf. page 398, note 6.


(2) Le second 1 est vocalisé an. Cf. page 398, note 6,

(3) Variante >^n.:,î .îcu.

(4) Le y est vocalisé eu. Cf. page 399, noie 2.

(5) Feuillet 168 r% col. 2.

'6) Corrigé plus tard en ooijô/ oo))ô(.

7) ^ avec point intérieur, corrigé par un lecteur en s avec point au-dessous.


MELANGES. 401

Dans la (Ténéalogie, riléracléeime traduit t"^vnr,zvi dans par S^ï qui,

les évangéliaires, s'écrit le plussouvent a-. White présente l'une et


l'autre de ces manières d'écrire et le scribe du " Paris 6i n'est pas >

plus conséquent, car, au verset 13, il a omisl';. L'addition deJoachim,


au verset 11, est marquée du signe '^ par White et ne se retrouve
pas dans le « Paris 64 ».

dans le recueil de shmohé, dont le texte n'est pas continu, il


Si
inanque un ou plusieurs mots, on ne peut rien conclure. Il est très
difficile d'apprécier l'absence d'une particule, même cjuand elle se lie

au mot suivant. Le cas est plus grave quand un pronom suffixe fait
défaut. — ^; manque plusieurs fois dans la Généalogie du « Paris 6i »,

et IX, 32 '^^r ^]. — vu, 25. au lieu de qui est évidemment une
^^^ajo,

erreur. White a imprimé "^^ po. — ix, 32 après a^va il ajoute ov^. —
XIX, J 2 après v<u»i il ajoute ^^^ : dans le même verset il n'écrit pas )-^;;

mais voovio/; avec le suftlxe de la troisième personne du pluriel. —


XXVII. 27 il préfixeun ^ à v?-j£4ivs et à ©v^^. — xxiii, li il ajoute v.onj/

après vr-'î ^t préfixe ^ à |iaii.io.


Par contre, dans huit cas, le « Paris 6i » contient des mots qui ne
sont pas dans l'édition de White : xxi, ïï ^. — xxiii, 35 le suffixe,
dans ovi-uo. — Six fois la conjonction 21 ^=i^^\o (erreur du scribe,
o : iv,

d'aj)rès le contexte); ix, 18 )oio: x, 3 ^^ooilo, ^o^^^o: \. i ^q^oooao: xxvii,


32 0"i«fo.

Des variantes d'ordre grammatical, trois concernent des formes


verbales : v, H i^i? (pe^l) dans le « Paris 6i » et la Pshitto ; i-4u;

(ethpaafi dans White. — xxvi, 49 ©v^jujo (peali dans le « Paris 64 » et


la Pshitto; o^i^o paëli dans White. — ix, 18 ^-.^œ (parfait) dans le
« Paris 64 » et la Pshitto; imparfait par addition de loo, dans W^hite.
Trois se rapportent au nombre ou à l'état des substantifs : xvii, 25
i
m-Tvi (pluriel^ dans le « Paris 64 » ;
|m -.
.:o- singulier! dans White et la
Pshitto. — X, 29 v»sj (état absolu I
dans le « Paris 64 » et la Pshitto;
i;^j l'emphatique dans White. — xiii, 33 \i\^^ emphatique) dans le
« Paris 64 »; v^»^ ' absolu dans White. Un changement de pronom
i
:

XVII, 25 r-^! indéfini dans le « Paris 64 »; a^io 'interrogatif' dans


White. Trois particules différentes : x:, 10 ^njj P. 6i ;
^njo
(White). — xiv, 34 uW-u^,. P. 64 ;
u).œ.^ov^ (White). — xxiii. 5
^î(P. 64V, -^ (White).
On remarque en outre une inversion : xxvi, 36 vpooo^ ^ojl. ^^P. 64)
^cjL. ^oowieLi. White,. — Enfin, viii, 12 le « Paris 64 » porte iioj^^; oul=
;

u^>eL*;, tandis que dans lédition de White on lit iLaa:^.^, ^! ^o^. White
lia pas Uiû^;, il intercale ,:•» avant iioaioe» et emploie m^, la forme sans
suffixe.
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 26
402 HEVUE BIBLIQLE.

L'ensemble des divergences relevées entre ce recueil de shmo/ié et


l'cdition de AYliite présente un caractère de faible importance; le>^
variantes sont de celles que Ion constate dans la collation des manus-
crits les plus soigneusement copiés par des scribes attentifs. Le texte
de White n'est donc pas une version différente de IHéracléenne on ;

ne doit même pas le considérer comme un remaniement important de


l'œuvre de Thomas; c'est bien la version héracléenne elle-même
d'après des copies assez bonnes, qui présentent quelques retouches
d'intérêt secondaire. Cette édition, devenue rarissime, sera remplacée
par un texte coUationné sur une trentaine d'évangéliaires et une
dizaine de manuscrits de « tradition ». Dès l'an prochain, je l'espère,
l'évangile de saint Matthieu sera réimprimé dans la Patrologic
Orientale.

Clamart, 29 février 1912.


L.-J. Delaporte,

II

EXPLORATION DE LA VALLÉE DU JOURDAIN

VI. DE SAMAKH A BEISAX.

A sa sortie du lac de Tibériade, le Jourdain a toutes les allures


d'une jolie rivière, claire, chantante, avec des ilôts ornés d'arbustes
et des rives arrondies couvertes de gazon. Ses eaux, roulant sur une

largeur de 25 mètres et une profondeur moyenne de 2 à 3 mètres,


viennent bientôt se heurter avec fracas aux piles d'un pont ruiné qui,
au temps romain, mettait Gadara en communication directe avec Ti-
bériade (1). Le nom très banal, qu'il porte aujourd'hui, à'Oumm
el-Qanâtir, « la mère aux arches », n'est d'aucune utilité pour son

histoire. Cependant, il a été le théâtre d'une terrible déconfiture


inflieée aux Occidentaux par le sultan de Mossoul, Maudoud, venu au
secours des Arabes de Syrie aux prises avec les hommes de la première
Croisade. Ceci eut lieu en 1113; le pont s'appelait alors Djisr es-Sin-
nabra (2), du nom de la localité située sur la sortie du Jourdain.

(1) Voir la figure 1 tirée de la carie de Peulinger.

Extraits du Mirât ez-zemàn, an. 506. Rec. des hisior. des Croisades, Orient., III.
(2)

p. 546 : 2,.Jl>a3) >.>. o> . Guili.. de Tïr, XI, 19: Tybcriadem prcctereiintes {Turca) circa
poncem sub quoJordanis définit, castrametati sunt.
I
I. — Pont (lu Jouithuii. Djiîr el-Muudjdmi'

riiut. lia p. Ja

Pont du Yaraiouk. DJisr es-Sag/tir nu Sijftàier. Au secoml plan le pont du cheuiin de fer.
MELANGES. 403

ancienne résidence d'hiver dos califes Ommîades. Ce fut encore près du


pont « où le cours du Jourdain se sépare de la mer > que se concen-
trèrent les troupes franques avant de marcher sur Bosra, en 11 1.6, et

quand coururent assister, en 1158, l'une de leurs forteresses du


elles
Djolan, menacée parXoureddîn T). Ainsi, au xii^ siècle, ce point était
un centre important de mobilisation. Depuis, le pont a été coupé.
Dieu sait quand et à quelle occasion. En tout cas, il est loin d'être
rétabli. Pourtant, s'il était permis de se bercer d'illusions ou de rêver
des excès de civilisation, il est possible que les générations à venir
voient ce pont restauré servir aux voitures qui feront le service entre
Tibériade et la eare de Samakh. A moins d'un kilomètre de là en
aval, se trouve un autre pont également en ruines, qui s'appelle Djisr
es-Sidd, d'une bâtisse plus négligée que celle d'Oumm el-Qanâtir.
Mais la tradition du passage en cet endroit est maintenue par un gué
qui longe les débris de piles émergeant du fleuve.
Au-dessous du Djisr es-Sidd jusqu'au confluent du Yarmouk, le

\yiey\.a\
^^^^^f^;:^,^^^

Fig. 1. — La vallée du Jourdain, d'après la carte de Peutinger.

Jourdain se montre déjà le plus capricieux des cours d'eau : tantôt il

se resserre et bondit en cataractes, formant des rapides et des tour-


billons, tantôt, comme pour reprendre haleine, il s'étend majestueu-
sement entre des rives que sépare une distance supérieure à 60 mètres,
se faisant alors guéable à l'instar des plus tranquilles rivières de
plaine. Sur quelques-unes des buttes qu'il enserre dans ses boucles
se dressent de petits villages dont les cabanes serrées en grappes font
un effet pittoresque. Ce sont Oiimm-Djoimieh, el-'Abedieh^ ed-Delhe-
mîeh. Autrement prosaïque est la colonie juive à' el-Melhamteh fondée
sur le chemin de la rive droite, là où les montagnes de Galilée ser-
rent d'assez près le cours du Jourdain. Jadis, sur ce parcours, l'eau

(Ij tam dominus rex, qiiam principes omnes, Tyberiadem us-


GiiLL. DE TvR. XVI, 8 :

jue perreniunt ubi circa pontem. unde ex mari Jordanis fluenta se dividunt castra-
:

nietaniur. XVIU, 21 juxia Tyberiudem secus pontem, unde de lacu Genezar Jordanis
:

Jluenta se dividunt, cum exercitu suo castra locat. Quelques voyageurs modernes nom-
ment ce pont Pont de Samakh. Au x' siècle, Moug\DDAsi signale de la sorte ce pont :

« Près de l'extrémité inférieure du lac de Tibériade se trouve un grand pont sur lequel
passe la route qui vient de Damas » (Le StFx.vnc.k, Palest. vnd theMosl.^ p. 3.3:^). Ge n'est
certainement pas le Djisr cl-Mondjômi' , comme l'insinue le traducteur.
404 REVLE BIBLIQUE.

du fleuve était captée en maint endroit pour actionner des moulins;


mais une ruine peut-être plusieurs fois séculaire a afli'ranchi le Jour-
dain de cette servitude. A neuf kilomètres au sud du lac, la grosse
rivière du Yarmouk déverse dans le fleuve les eaux qu'elle amène impé-
tueusement duDjôlan à travers un lit de conglomérats basaltiques qui
lui communiquent un aspect très sauvage 1 Avant de se réunir au ( 1.

Jourdain, le Yarmouk est enjambé par deux ponts parallèles. L'un,


fort ancien, Djisr es-Saghir, construit en blocs de basalte et mesurant
une centaine de mè-
tres de longueur, est
établi sur cinq arca-
des dont trois sont
en plein cintre et
deux en ogive. En
temps ordinaire, la
rivière n'occupe que
l'arche centrale (pi.
•1\. L'autre est un
tablier métallique,
jeté hardiment au-
dessus des deux ri-

ves, en 190i, livrant


passage à la voie fer-
rée de Gaïffa à Da-
mas. Ces deux ouvra-
ges, représentants
de deux âges très
différents, offrent un
violent contraste.
A peu de distance
en aval du confluent,
Croquis (le l'itinéraire. Pour la suite voir RB.. 1911. p. 409.
le Jourdain grossi
des eaux du Yarmouk passe à son tour sous un vieux pont, le Djisr
el-Moudjdmi ;
pi. 1), qui porte comme le Saghir des traces évi-
dentes de restaurations successives. Leur maçonnerie n'est point ho-
mogène. Coupés au cours de certaines guerres dont le détail nous

La rivière du Yarmouk, écrit Abou'l-Fidà en 1321, rejoint le Seri'ah Jourdain) entre


'1)

leLac et el-Qouseir (Le Strance, op. L. p. 53. Cf. RB., 1911. p. 424, sur la position d'el-
Qoiiseir Hieromnx pour les Gréco-Romains, Yarmouk pour les Hébreux et les Arabes du
.

moyen âge, cette rivière n'est plus connue actuellement nue sous le nom de Seri'at el-Me-
nadhiré « abreuvoir de la tribu des Menadhiré ».
MÉLANGES. 405

échappe , ces vénérables constructions ont été réparées de bonne


heure. 11 a fallu qu'elles fussent de toute nécessité pour qu'on ait veillé
ainsi à leur conservation. Le Djisr el-Moudjâmi a cent mètres de long,

y compris la chaussée qui déborde de chaque côté sur la route, et


six mètres de laree en moyenne. Immédiatement au sud, se trouve
le viaduc du chemin de fer. Jusqu'à Tannée 1885, où l'on posa la

passerelle de bois à l'est de Jéricho, le Djisr el-Moudjâmi fut long-


temps le seul pont praticable du Jourdain entre le lac de Tibériade
et la mer iMorte. que de temps immémorial ont passé les
C'est par là
voies qui reliaient Damas
Gadara à Beisàn et à la plaine de Gali-
et

lée (1). Un milliaire sur lequel on ne distingue que les traces d'un
grand chiffre se trouve à proximité du g-roupe de maisons d-'Osma-
nieh qui garde l'entrée du pont à l'ouest (2).
Partis de Samakh à 8 heures moins 20, le 7 février 1910, nous
arrivâmes au Djisr es-Saghir, une heure et quart après. Le Jourdain
était trop gros pour que nous eussions tenté de le passer à gué à la
sortie du lac de Génésareth. Enfin, grâce au Djisr el-Moudjâmi', nous
pûmes finalement atteindre la rive occidentale du fleuve. A l'étiage,
le passage n'offre pas ces difficultés, tandis qu'en hiver, le voyageur,

sans les deux ponts du confluent, courrait risque de se trouver bloqué


par le triangle que forment le lac, le Jourdain et le Yarmouk. Aussi
est-il aisé à comprendre que, malgré leur goût pour les ruines, les

indigènes aient maintenu à tout prix l'existence des deux ponts.


Il est un point dans ces parages qui attire nécessairement les regards

de l'explorateur, c'est le nid d'aigle de Kôkab el-Hawâ perché à près


de 500 mètres au-dessus de la vallée. Très curieux de le visiter et d'y
jouir d'une vue d'ensemble sur la partie supérieure du Ghôr, nous
nous y dirigeâmes sur-le-champ et nous l'atteignîmes au bout d'une
escalade d'une heure. Du côté de la vallée, on a jugé inutile de pro-
téger par un fossé la muraille orientale de la forteresse. Un talus à pic
en garantit suffisamment les abords (fig. 3). Sur les trois autres côtés,

(1) DiMASKi (vers 1300; dit que le YarmouK. venant des sources chaudes de Djadar (Ga-
dara). s'unit au Jourdain au lieu nommé el-Uoiidjàmi' dans le Ghôr (Le Strange, op. l.,
p. 54). El-Moudji'nni' vsignilie l'endroit du rassemblement à cause des deux ponts et des
:

divers chemins qui y aboutissaient, comme aussi à cause de laprésencede l'eau potable, les
caravane devaient camper fréquemment aux alentours. La bâtisse actuelle du pont est arabe,
l'arche principale est une ogive sans clef de voûte. 11 faut remarquer cependant à l'est une culée
d'un pont plus ancien en béton et blocage de galets qui n'est pas dans l'axe du Moudjàmi'
actuel et n'a pas été utilisée dans la construction arabe. L'Itinéraire d'Antonin, Reland.
Palestina, p. i20, met Gadara en relation avec ScUhopolis, et 16 milles entre ces deux villes.
(2) C'est d'après l'évaluation du P. Germer-Duranu, RB., 1899, p. 31, le 9' miUe depms
Scythopolis. Cf. Milt. DPV., 1902, p. 20. El-'Osmanieh a succédé à la mvtatio de la voie
entre Scythopolis et Gadara. Voir Abel, Tô''EvvaTov, Or. Christian., N. S., I, pp. 77 s.
406 REVUE BIBLIQUE.

le château est entouré de fossés taillés dans


le roc, larges d'une

vingtaine de mètres profonds d'une dizaine. Le château lui-même


et

forme un rectangle, de 160 mètres sur 120, dont les angles sont
fortifiés par des tours en saillies. Une tour également flanque le milieu

de chaque face du quadrilatère (1), La base en glacis de ces ouvrages

de défense se rapproche beaucoup des débris d'enceinte que l'on re-


marque à Sôba, sommet voisin d'Abou Ghos. Campée sur l'éperon des
montagnes de la Galilée du sud-est, que délimitent les profondes
coupures des ouâdys el-Bireh et el-'Esse, la forteresse de Kôkab était

Phot. Jaussen.

Fig. 3. — Base d'une tour d'angle à Kôkab.

comme une sentinelle avancée dominant la route où les Arabes de


Test devaient nécessairement s'engager pour récupérer le Ghôr et la
Palestine centrale. Jacques de Vitry la met au rang des citadelles très
fortes et inexpugnables que les Croisés bâtirent sur les confins de
leur royaume pour en défendre l'entrée (2).
C'est évidemment une création des Occidentaux. Le titre seul de

(1) Cf. Surveij of VF. Pal., Memolrs, 11, p. 117. Gikrin, Galilée, I, pp. 129 ss. Rev, Les
colonies franqiies de Syrie, p. 437.

(2) Jacques de Vitry, '«9 : Cum igitur civitates memoratas... nostri subjugare non
passent, in extremilatibus terras su;v, ut fines suos dcfcnderent, castra munitissima et
inexpugnahilia inter ipsos et hostes extruxervut, scilicel Montem Regalem, et Petram
Deserti, ctijus modernum nomcn est Crac, ultra Jordanem; Sapheth et Belvoir, cum
MÉLA.\GES. 407

château neuf, castrum novum, que lui donne Guillaume de Tyr, suffi-
rait à leprouver. Auparavant, toutefois, une petite localité du nom
de Kôkab occupait ce sommet très probablement, et c'est de là que
vient le nom de Cocquet sous lequel le château fut d'abord désigné.
Quand, en 1168. les Hospitaliers l'eurent acquis, il reçut le vocable
très approprié de Belvoir (li. Pour nombrer les méandres du Jour-

dain et les replis du plateau de Galaad, on y est aux premières loges.


Après l'occupation franque, les Arabes dun village voisin, nommé
Deir el-Hawà, étant venus habiter les ruines du castel, accolèrent au
nom de Kôkab celui de leur lieu d'origine. A moins qu'on ne veuille voir
dans cette addition la conservation du vocable franc Belvoir trans-
formé suivant la phonétique arabe. C'est pourquoi, de nos jours, les
quelques gourbis entassés dans les ruines de l'enceinte médiévale
s'appellent A'oX:«ô el-Haicd, l'étoile du vent. L'âpre bise qui, en hiver,
cingle le vieux manoir, aussi bien que l'altitude de son piédestal qui,
du Ghôr, semble se perdre dans la nue, justifient ce double vocable.
Nous arrivâmes, dit un narrateur des prouesses de Saladin. devant
Kobab. Elle nous parut aussi haute qu'une étoile on aurait dit le ;

nid de Vanka, la station de la constellation Bootès, habitée par


des chiens aboyants et des loups affamés qui se disputaient entre
eux i'I). »
Belvoir releva de la princée de Galilée jusqu'en 1168, année où il

fut vendu aux Hospitaliers Si. Il n'était pas inutile de confier cette
place importante à des hommes aguerris. En 1182, Saladin tenta de
l'enlever: mais il ne fut pas plus heureux dans cette affaire qu'il ne
l'avait été contre la citadelle de Beisân. Des troupes franques, parmi
lesquelles sept cents chevaliers, étant accourues de Tibériade, dispersè-
rent les vingt mille Orientaux réunis autour de Belvoir (4). Saladin
prit sa revanche en janvier 1189, alors que tout le reste de la

aliis munitionibus, citra Jordanem... Belvoir vero non longe a monte Thabor, juxta
civitatem quondam egregiam et populosayn Jezraël, inter Scytliopolim et Tiberiadem.
situm est in loco sublimi.

(1) Variantes : Belveir. Belvear, Biauvoir.


(2) Le Livre des deux Jardins, Rec. des hist. des Croisades, Orientaux, IV, p. 387.
3) Rey. l. l. RoEHRicHT, Studien zur mittelaller Geogr. ZDPV., X, p. 254. Blrcuard,
Laurent, p. 48 Castrum Belveir quod fuit hospitale sancti Johannis. THÉonoRic, To-
:

bler, p. 98 hospitarii forlissimum castrum constituerunt.


:

ik) GuiLL. DE Tyu, XXII. 16 resistentihus viriliter oppidanis, videntes quod non. profi-
:

lèrent, versus castrum novum, cui nomen est hodie Belveir, inter prœdictam urbem
Bethsan] et Tiberiadem in 7nontibus situm. ut nostris occurrerent, acies direxerunt.
Sostri vero Jordanis fluenta secuti. ubi ad prxdictum perrenerunt locum, deserentes
vallem, ascenderunt in montes, multa tamen immensi caloris, qui supra modutn profi-
riscentibus incubuerat, incommoditate fatigati...
408 REVUE BIBLIQUE.

Palestine était tombé en son pouvoir. Les chevaliers de l'Hôpital,


laissés à eux-mêmes, lui opposèrent une résistance énergique que
secondaient les intempéries de la saison. Les assiégés se disaient :

« Ne resterait-il qu'un seul d'entre nous, il défendra la maison

de l'Hôpital et la préservera dune honte éternelle. Les Francs re-


viendront certainement dans ces contrées; tenons ferme et atten-
dons. » Cependant le sultan fixait son camp sur le plateau de la
montagne et rangeait ses troupes autour de la place. « Le temps était
mauvais, écrit el-'Imad, la pluie tombait à flots, les torrents s'en-
boues s'amoncelaient, les nuages noirs déversaient comme
flaient, les
un déluge de larmes, les tentes plongeaient dans la terre détrempée.
Nous étions fort occupés à redresser les piquets arrachés, tandis que
nos pieds s'enfonçaient comme des pieux, à réparer les cordages qui
se rompaient et les tentes qui tombaient; l'eau s'y infiltrait comme à
travers un tamis... Le sultan fit alors transporter sa tente dans le
voisinage de la ville... et on bâtit pour lui un abri en pierre faisant
office de parapet. Le gros matériel et les tentes furent transportés
dans le Ghôr, au-dessous de la montagne {i\ » Cette ténacité fut
couronnée de succès. Une brèche ayant été pratiquée dans la muraille,
les assiégés capitulèrent. Aussitôt, Saladin s'empressa de faire expé-
dier à Seif el-Islam dans l'Yémen le bulletin suivant « Le plus récent :

événement ici est la prise de Kôkab, capitale des Hospitaliers, séjour


de ces impies, résidence de leur chef, dépôt de leurs armes et de leurs
vivres. Cette place située à la jonction des routes, ce poste d'observa-
tion qui se dresse à la rencontre des voies de communication étant
ouvert maintenant, les pays que nous avons conquis demeurent dé-
sormais fermés à l'ennemi... Nous avons assiégé Kôkab après avoir
enlevé Safed aux Templiers. Nous avons conquis Kérak et ses forte-
resses, — Quand nous sommes arrivés devant Kôkab, la constellation
qui préside à l'hiver se montrait escortée de son cortège de pluies,
les neiges déroulaient largement leurs tapis sur les montagnes.,. Nous
avons affronté ces fatigues, nous et nos vaillants soldats; nous avons
bravé l'ennemi et la saison avec un mépris qui assure le succès. Dieu
connaît les bonnes intentions et en facilite l'accomplissement, il lit
dans les cœurs sincères et en favorise les efforts. Nous avons séjourné
sur des cimes de montagnes où il était plus difficile de demeurer qu'il
ne le serait de les soulever (2). » Malgré la beauté du point de vue,
Belvoir est un séjour fort triste. Nous n'avons pas été les seuls à

éprouver cette impression, car tous ceux à qui Saladin en offrit le

(!) Le livre des deux Jaidins, p. 387.


(2) Op. /., pp. 388 s.
MÉLANGES. 409

commandement le refusèrent à l'exception de Kaïmaz en-Nedjmi. qui


lui-même ne l'accepta qu'à contre-cœur (1). Aussi le sultan eut-il
en 1192 la pensée de démanteler la forteresse (2). Ce projet n'eut pas
de suite, car en 1198 on trouve Yzz ed-Din Sâmah gouverneur de
Kùkab '3j. Bientôt abandonné, le château tombe en ruine dès le

xui^ siècle (V). Aujourd'hui ses substructions abritent une centaine de


fellahs très misérables.
Après une courte visite à un bassinet d'eau trouble, situé au-des-
sous de la forteresse, vers le sud, et qui porte le nom de ' A'in-He-
loueli, nous nous dirigeons sur Beisàn par le chemin que suivit jadis
Saladin à plusieurs reprises. A une demi-heure de Kôkab nous traver-
sons le hameau de Djabboid qui compte ving;t-cinq maisons. Personne
sur le chemin; seules, des oies errent le bec au vent. Mais en Pales-
tine, il n'est pas de localité, si infime soit-elle, qui n'ait une histoire.
Djabboul a l'honneur de plusieurs mentions dans les chartes du Saint-
Sépulcre, Casai concédé au chapitre du Saint-Sépulcre, en 1132, par
Guillaume de Buris, pour le bien de son âme et de ses parents, il est
l'objet d'une réclamation d'un certain Gui, qui est débouté de sa
plainte par le prince de Galilée, Gautier. Celui-ci reconnaît encore,
en 1165, la donation de son prédécesseur Guillaume de Buris. Dans
ces divers contrats, les délimitations données au casai de Gebul sont
les points suivants Hubelet, Dorsoet, Derlauha et Kafra à l'occident;
:

au nord Cocquet; au midi une vallée qui sépare le district de Beisân


de celui de Tibériade jusqu'à une grotte proche du canal de Huxenia ;

à l'orient le Jourdain (5).

VII. — BEISAN.
De Djabboul à Beisàn nous mettons une heure et demie. La cou-
pure de l'ouâdy pl-'Esse au fond de laquelle coule un filet d'eau
allonge nécessairement la route. Le site incomparable de Beisân
explique l'histoire mouvementée de cette localité. Non pas qu'on y
jouisse d'un horizon étendu et splendidement varié comme à Gadara;
bien qu'un coup d œil sur le Ghôr du haut du tell, où se trouve ense-
velie la ville primitive, ne soit pas à dédaigner. Mais au point de vue
(1) Le Livre des deux Jardins, p. 388 s.

(2) Op. L, Rec. des hisl. des Croisades, Orient., V, p. 87.


(3) P. 125.
Yaoout, IV. 328
(4) « Kokab domine toute la province du Jourdain. Pris par Saladin,
:

iltomba en ruines après ses jours » (Le Stuange, op. L, p. 483j.


{'j] De Rozii;p.E, Cartulaire du Saint- Sépulcre, pp. 149, 220-229, 289. Hubelet se recon-
naît dans le Kh. Veblà, Kafra dans le Kh. Kefrah, Cocquet dans Kôkab. Derlauha déguise
un Deir el-Hawa maintenant disparu.
410 REVUE BIBLIQUE.

économique et stratégique, sa situation est vraiment hors de pair.


Élevée sur une terrasse d'une centaine de mètres au-dessus du bas-
fond où serpente le Jourdain, et distante de celui-ci de sept kilomètres
environ, Beisân est garantie des ardeurs tropicales qui régnent aux
abords de ce fleuve. Le courant d'air établi entre la vallée et la
plaine d'Esdrelon y maintient une température fort agréable. Une
eau abondante et saine, issue du massif de Gelboé, lui arrive par une
nmltitude de canaux et surtout par le gros cours de Djàloùd qui à lui
seul suffirait aux besoins d'une cité. Peu de travail avait suffi jadis

Tell el-Hoxn et emplacement de rancienne Scythopolis.

pour adapter le système hydraulique à la défense du tertre où se


dressait la vieille Beth-San, dont la position à l'entrée du passage
reliant la région jordanienne à la Galilée inférieure et à la Méditer-
ranée en faisait une place très importante et en conséquence très
disputée.
Des fouilles pratiquées dans le Tell el-tlom (fig. 4), où l'antique
cité gît comme dans un tombeau, pourraient jeter quelque lumière
sur les origines lointaines de Beth-San. En attendant ces travaux que
nous souhaitons vivement voir entreprendre au plus tôt par quelque
société archéologique, contentons-nous de prendre l'histoire de Beisàn
au xiv^ siècle avant notre ère. A cette époque, le prince cananéen
« Tâgi est maître du pays de Gintikirmil, et des gens de Ginti sont
MÉLANGES. iH

en garnison à Bit-saani (1) ». Bien quil manifeste assez d'indépen-


dance vis-à-^ds de son suzerain le roi d'Egypte, Tàgi est en bons
termes avec lui. Il conduit les caravanes du roi, qui à son tour lui
envoie de beaux présents. Si donc il a préposé des habitants d'un
village du Carmel à la garde de Bît-Saani, c'est que Bît-Saani.
tient la clef du passage des caravanes allant de Megiddo à Damas.
Le gouverneur de Jérusalem, Arta-hepa, essaie de noircir les in-
tentions de Tàgi dans cette affaire en le dénonçant au roi comme
un révolté usurpateur. Il ne semble pas que le suzerain ait prêté
attention au rapport malveillant. Les Cananéens, qui avaient une
préférence marquée pour les probablement ins-
pays plats, s'étaient
tallés sur les rives du Djaloud dès les premiers temps de leur arrivée
sur la côte méditerranéenne. A l'époque de leur pénétration en
Canaan, les Israélites trouvèrent les gens de Beth-San si bien armés
et tellement implantés dans le pays qu'ils renoncèrent à les dé-
loger ;2 .

Des gens comme les Bethsanites qui avaient su se garder des attein-
tes des nomades Habiru. et plus tard du clan envahissant de Manassé,
ne sombrèrent pas. non plus, dans grande invasion des Madianites
la
et des Amalécites au temps des Juges
(3 Il semble pourtant qu'au .

xi^ siècle les Philistins occupèrent quelque temps Beth-San ou du


moins qu'ils s'allièrent aux habitants de cette ville. Ne voyons-nous
pas en effet, après le désastre des Israélites sur les monts Gelboé, les
Philistins apporter en trophée à Beth-San les corps de Saûl et de ses
fils qui demeurèrent suspendus aux murs de la ville jusqu'à ce que les

gens de Jabès en Galaad vinssent les enlever + ?


Lorsque, avec Salomon, la domination Israélite se fut solidement
établie dans le pays, les Cananéens de Beth-San se ^irent quelque
temps soumis à ce prince et tirent partie, de concert avec Ta annak
et Megiddo, d un district gouverné par l'intendant Ba'ana 5 .

Que devint Beth-San à l'époque de la scission du royaume salomo-


nien"? L'histoire est muette là-dessus; cependant cette ville était trop
rapprochée de Jizréel, résidence favorite d'Aohab et de Joram, pour
avoir essayé de s'affranchir complètement de la tutelle israélite. On
se représente aisément les rois d'Israël passant par la trouée de Beisàn

. \] Kmtzon, Die el-Amarna Tafeln, p. 875. Dhorme, Les pays bibliques au temps d'El-
Amarna, RB., 1908, p. 518; 1909, p. 381.
2, Josué. 17, 11, 16. Juf)., 1. 27.

(3) Jug., 7, 12, 24. Lagrange, Le livre des Juges, p. lîl.


(4) I Sam., 31, 10 ss. Dhorme, Les livres de Samuel, p. 260. Cf. II Sam.. 21, 12.

(5) I Reg., 4, 12. I Chron., 7, 29. Cf. Josué. 17, 18.


412 REVUE BIBLIQUE.

pour aller guerroyer contre Ramotli en Galaad. Aucune cité, en tout


cas. ne leur fait obstacle dans leurs allées et venues entre Jizréel et la
Transjordane. De plus, un gouvernement tel que celui de Jézabel
n'était point de nature à contrarier la religion cananéenne des
Bethsanites. Mais au vii^ siècle, un grave événement imprime un cours
tout nouveau aux destinées de leur ville. Des bandes scythes, profi-
tant de l'agonie du grand empire assyrien, se répandent sur la Méso-
potamie et la Syrie, saccageant les campagnes, ravissant les troupeaux,
captivant ou massacrant les gens qui n'ont point eu la précaution de
se réfugier derrière les murailles des villes. Ces barbares sortis du
Caucase finissent par atteindre la frontière d'Egypte, où les marais du
delta et les présents du roi Psammétique arrêtent leur marche vers le
sud et les contraignent de reprendre dans la direction du nord le cours
de leurs ravages. Devant ce fléau tout l'Orient est dans la stupeur. Les
annales du temps ont gardé un souvenir terrifiant de ces Scythes con-
nus sous les différentes formes de leur nom Askonza chez les :

Assyriens, Askenaz chez les Juifs, Saka chez les Perses. Sy.JÔat chez
les Grecs (1). Les sculpteurs grecs nous ont conservé leur physionomie,
« Des hommes de haute taille, au visage farouche, à la barbe inculte,

aux longs cheveux désordonnés, encapuchonnés du bonnet national de


feutre pointu, la kyi'basis, vêtus de pantalons et dune blouse en peau
brodée, serrée à la taille par une ceinture étroite, armés de la lance,
de l'arc et de la hache. Ils montaient à cru des chevaux presque sau-
vages dont les troupeaux escortaient leur bande dans les déplace-
ments (2). » Le prophète Jérémie suit leur marche avec anxiété Au :

bruit des cavaliers et des archers, on fuit dans les bois et sur les cimes
rocheuses, le Carmel est un désert. « Et voici, parole de .ïahweh, je
fais venir de loin une nation contre vous, maison d'Israël; c'est une
nation forte, un peuple ancien, une nation dont tu ne connais
c'est

pas la langue dont tu ne comprendras pas les paroles. Son carquois


et
est comme un sépulcre ouvert; ce sont tous des géants. Nation qui dé-
vorera ta moisson et ton pain, tes fils et tes filles, tes brebis et tes
bœufs, ta vigne et ton figuier (3). » Et encore : « Voici, un peuple
vient du pays du nord, une grande nation se lève des extrémités de
la terre. Ils portent l'arc et le javelot : ils sont cruels, sans miséricorde ;

(1) Dhorme, Les Aryens avant Cyrus, Confér. de S. -Etienne, 1910-11. pp. 88 ss. Lin;
cursion des Scythes est racontée par HÉRonoTE, L 105 : ol oï ixOôai ttjv 'ATir^v ni<scL\ ènéax,o-i.
'EvOcVJxsv ôè r.iffoiv i::" A n;u-TOv y.ai k-ti-c. èyÉvovto cv -r, na).ai(TT;vr, I-jpî^... Jérémie, 51, 'Î7 :

(2) Maspero. Histoire ancienne des peuples de l'Orient. III, p. 472.

(3) Jérémie, 5, 15 ss. Cf. Sophonie,12.


MELANGES. 413

leur voix musit comme la mer; ils sont montés sur des chevaux,
prêts à combattre comme un seul homme (1. »
Après avoir terrorisé la Palestine, nos Scythes reprennent la route
du septentrion où ils vont aider aux Babyloniens à détruire Ninive (607 .

Ilssèment sur leur passage un grand nombre d'entre eux, les uns
abattus par un climat auquel ils ne sont point accoutumés, ou par
des maladies contractées à la suite de leurs excès, les autres sinstal-
lantdans des régions qui leur plaisent. Un groupe a trouvé la plaine
de Beth-San fort agréable avec ses tapis de verdure et sa constante
irrigation et très propre à Félevage des chevaux. Il est tout naturel
qu'il s'empare de la ville pour occuper désormais son territoire en
propriétaire incontesté. « Les Scythes, dit la chronique du Syncelle
vers l'époque où Jérémie commença à prophétiser, firent des incur-
sions en Palestine et prirent Beisàn qui fut appelée à cause d'eux
ScythopoHs (2 . » Rien ne rappelle mieux cette situation, vingt-
sept siècles après ces événements, que les Circassiens faisant paitre
leurs troupeaux de cavales dans le Ghôr, en face de Beisàn. L'identité
de Beth-San et de la ville des Scythes, H/.jQôiv -c/.-.ç, est affirmée par la
Bible grecque, les auteurs profanes et les documents épigraphiques (3).
Tandis que le nom sémitique se conservera toujours parmi les indi-
gènes, quoiqu'en s'auioUissant, Beth-San devenant Baisôn, Basân,
Beisàn — le vocable Scythopolis deviendra officiel dans le monde
hellénique et gréco-romain depuis Alexandre jusqu'à l'invasion arabe
du vii« siècle de notre ère iï). Une cité demeurée constamment fidèle
au paganisme telle que Beth-San ne pouvait qu'accueillir favorable-
ment la civilisation grecque qui envahissait le monde oriental à la
suite des conquêtes du grand Macédonien. Par dévotion à Dionysos, la

1 1) Jérémie, 6, 23 ss.
(2) Chronique d'Eusèbe, Schoene, 11, p. 88 : SxûOai -iy na),ai(ïT{vr,v y.n.ziZç.a.ii.o-i v.at Tr,v

Ba<7àv xaTÉcyov Tr,v iç aOtûv v.'/rfiv.aoL-j Xv.u9Ô7to)iv.


,'3) LXX, Jug., 1, 27 : oO/. iB,OL. Mav!7.(T<r^ zr,y paiô^àv, r, sot-. ïy.-jîcôv r.on:;. I Macc, 5, 52 :

cuor,iav TÔv 'los&âvr,v... -/.axà Tzpô^ojTiov BatO-riv. 11 Macc, 12, 29 : ûparicav ïn\ i;/.y6tl)v7td>.tv,
ces deux passages se rapportent au même tait. Josèphe, Antiq., VI, 14, 8 : if,;, Br.Oaàv
Ttô),Ew;, r, vCv Z/.'j%nol'.; xaXîlTa-.. De même Antiq., V, 1, 22; Xll, 8, 5. Onomasticon :

Br,8o«v. AÛTTrj ÈcTi yiv.'jbôr.oMç... Les inscriptions bilingues des ossuaires trouvés dans l'éta-

blissement Schneller à Jérusalem en 1905 portent n''j*iyin .Tî/^X 'Au.u.îa Ix-jOoTroXÎTKTTa,

''IkTin yZn 'X'A-i Iv.-jfior.rAtivr,;. LinzBARSRi, Ephemeris, II, p. 195. Un inilliaire trouvé par
le P. Gehmer-Dlrand, RB.. 1899, p. 30, sur la voie de Beisàn au Jourdain a ce texte : à-b

(4) Texte ma>sor. '^NU' P^Z et mieux "IVJ r\''2. A côté de cette forme laMichna emploie
VÙj^Z qui semble bien avoir été la forme en usage dès le i" siècle de notre ère. Le gentilis

dans les inscriptions de cette époque et dans le Talmud est "iJU/'^ et "îJ^^'I^, ce qui expli-
que naturellement le passage à l'arabe J,.»»,^
^ ••••
414 REVUE BIBLIQUE.

ville adopta le nom mythique de Nysa que la légende donnait au pays


où ce dieu était né et où il avait été nourri par les Nymphes. On finit
même par croire que Bacchus ayant enseveli à Beth-San l'une de ses
nourrices, la nymphe Nysa, avait confié la garde de son tombeau aux
Scythes qui faisaient partie de son escorte (1). Grâce à cet expédient,
les colons grecs s'expliquaient la présence des Scythes à Beth-San. La
nature des lieux fait aussi comprendre pourquoi ces colons ont vénéré
ici Bacchus ou Dionysos de préférence à toute autre divinité. Bacchus
n'est pas seulement le dieu du vin, et le héros préféré d'Alexandre qui
prétendait renouveler ses exploits. « Il est le dieu de l'humidité chaude
qui développe la vie et la végétation à la surface de la terre. C'est ce
qu'expriment les Hyades données pour ses nourrices, et le nom à'Hye
appliqué à sa mère Séniélé. Lui-même est qualifié de Hyes et Hyeus,
Il est aussi le dieu dont on place volontiers les temples dans les marais,

iv Ai[;.vaic, qui y réside, Limnaios, etquiy nait, Limnagenes. C'est ainsi

que dans plusieurs endroits on voit des sources consacrées à Bac-


chus (2). » Nysa, que l'on regarde comme la patrie de Dionysos,
comme aussi sa nourrice, désigne un lieu humide et verdoyant, arrosé
de nombreuses sources. Beisân, avec ses cours d'eau multiples créant
aux abords du Jourdain des marécages étendus après avoir fécondé
la terrasse occidentale de la vallée, Beisân répondait donc au mieux à
l'idéal que l'imagination hellénique s'était forgé de l'humide Nysa.
Plus tard, quand un géographe byzantin voudra qualifier cette noble
cité, c'est à cette définition qu'il s'arrêtera « Scythopolis, ville de
:

Palestine, ou Nysa de la Syrie Creuse, ville des Scythes, appelée jadis


Beisân par les Barbares (3). » Sur les monnaies de la ville à l'époque
impériale, figurent soit le Jourdain personnifié, soit Astarté debout, le
pied posé sur le fleuve à mi-corps, soit Nysa assise dans un temple di-
style et allaitant Bacchus, et ces divers motifs sont accompagnés de
l'exergue Nysa-Scythopolis (NYCA-CKYOOTTOAIC 'souvent abrégée (4).
Parmi les vestiges de la culture hellénique à Scythopolis, il faut
signaler un théâtre, privé maintenant de ses gradins, et qui jadis pou-
vait se transformer en naumachie, un hippodrome ruiné, des por-
tiques renversés, de belles colonnes de granit utilisées dans la cons-
truction d'un ancien khân situé près de la gare, Khân el-Ahmar. Les
chercheurs clandestins d'antiquités, qui sont légion à Beisân, ont
mis à découvert un certain nombre d'objets qu'ils brocantent de côté

(1) Pline, V, 18, 74. Solinus, c. 36. Cf. Schurer, Geschichte des Jûd. Volkes, II, p. 171.

(2) F. Lenoiîmant, Bacchus, Dictionnaire des Antiquités.^. 615.


(3) ETIENNE DE ByZANCE, S. V.
(4) De Sailcy, Xîimismatique de la Terre Sainte, pp. 288 s.
MKLA.NGES. 415

que bustes funéraires, lampes, vases d'albâtre. La collec-


et d'autre, tels
tion de M. d'Ustinow, à Jaffa. possède
une terre cuite provenant de Bei-
sàn représentant un personnage aux traits et au costume scytbes (i'
Scythopolis ne s'est point distinguée par l'acti^-ité littéraire, ni par
les qualités guerrières. Sa population, tirant du sol toute sa richesse,
est banale et pacifiste comme
populations purement agricoles. les
Elle passe et repasse sans sourciller des Lagides aux Séleucides (2 :

un Antiochus ou un Ptoléraée se présente-t-il à ses portes, elle traite


l pour qu'on la laisse aller aux champs. Un trait de plus qui la distingue
(les lyriques et belliqueux Gadaréniens, c'est sa tolérance pour la
colonie juive installée dans ses murs, tolérance cjui lui valut d'être
épargnée par Judas Maccabée. en 103 avant Jésus-Christ, alors que ce
chef était en veine de saccager tout ce qu'il trouvait de syrien sur sa
route (3). Elle se laisse même vendre, vers 107. au roi de Judée, Jean
Hyrcan. par le général des Syriens Épicrate.
et demeure soumise aux
Juifs jusqu'à ceque les généraux romains Pompée et Gabinius vien-
nent lui concéder l'autonomie et restaurer sa culture païenne com-
promise :i Ses ressources naturelles et l'essor donné à son génie
.

pratique mettent Scythopolis au premier rang des cités de la Déca-


pole 5;. En raison de son opulence et de sa position sur la route de
la Méditerranée au Jourdain, les Romains se gardèrent de céder cette
ville à Hérode et à ses successeurs. En 60 de notre ère. au temps où
s'allumait la grande insurrection de la nation juive contre le pouvoir
de Rome, Scythopolis se trouvait exposée aux ravages que les insurgés
exerçaient un peu partout sur les territoires des v-illes hellénisées.
.Mais les Juifs du pays se souvenant de la bienveillance dont les Scvtho-
politains avaient usé jusqu'ici à leur égard, et mettant leur propre
conservation au-dessus de leur communauté d'origine avec les insurgés,
prêtèrent main-forte aux citoyens de l'endroit et l'ennemi fut re-
poussé. Ils en furent toutefois récompensés par la plus noire ingra-
titude. Leur ardeur dans la lutte avait fait concevoir aux Scythopoli-
tains la crainte que leurs alliés d'aujourd'hui pourraient bien, sentant

(1) RB., 19Û5, p. 93; 1908, p. 411!.

(2) JostPHE. Aniiq., XII, 4, Polybe, V. 10 Anliochus lil (218) passe par Philoleria sur
5. :

le bord du lac de Génésareth, /.iavTjv, eî; f,v à xa>oJaîvo; 'Jopoivr;; TtOTaaô: îlffoâ/.Àwv ilirn:
-à'/.'.v î'.: Ta -lôîa -% ~-o\ Tr,v i;7.u9wv ttôaiv TtpoçayopE-joixïvï;'/. Fr/ôaivo: ôî -/.a6' ôiio/.oyiav
i--/-3arr,; à|i5otîpwv TÙiv 7;po-'.pr,u.É-,wv -o'/.£w/... Cf. Bolcdé-Leclerco, Les Lagides, I.

pp. 307, 3G'2.


(3i n Macc. 12, 19-31.
;4) Antiq., Mil, 10, 3. ou prendre sans beaucoup de résistance d'après Bell. Jud.. I. 2. 7.
C'est pourquoi elle est comptée dans les possessions d Alexandre Jannée, Antiq.. XIII.
15, 4; XIV, 4, 4; 5. 3.
(5) Bell. .Jud.. m. 9, 7 : f, li li-.: aE-iT-rr, ri^; Asy.aro/twr.
416 REVUE BIBLIQUE.

leur force, se retourner demain contre eux. dans un de ces moments


d" effervescence si fréquents à cette époque tendue où, sur le moindre
prétexte, Juifs et Syriens se massacraient dans toutes les localités
palestiniennes. De plus, pensaient-ils, ce loyalisme était peut-être
feint et de nature à donner le change sur leur véritable sentiment qui
devait être de livrer de nuit la ville aux insurgés et de faire cause
commune avec eux. Aussi, sous prétexte d'éprouver la fidélité de la
colonie juive, les citoyens la prièrent de se retirer quelque temps
dans un bois des environs. Cependant les appréhensions croissaient
d'heure en heure la défiance en vint au point que la troisième nuit
;

après ces événements, les Scythopolitains surprirent les Juifs endormis


dans au nombre de treize mille [1). Malgré ce
le bois et les tuèrent
méfait, des Juifs ne tardèrent pas à venir reprendre à Beisàn la place
de leurs compatriotes. La nouvelle colonie, qui parait avoir été assez
restreinte, a laissé quelques traces dans la littérature talmudique.
Rabbi Méù' y vante la fécondité extraordinaire de la région, mais son
enthousiasme est dépassé par celui de Rabbi Siméon ben Laqich, qui
déclare que si le paradis se trouve en Palestine, la porte en est à
Beth-San. Cette ville possédait une maison d études où Rabbi Siméon
ben Éléazar donna quelques conférences, et une synagogue qui fut
renouvelée vers 300 2 A cette époque, en effet, les Beisanites deman-
.

dèrent à Ptabbi Ammi s'il était permis de prendre les pierres dune
synagogue ruinée pour en construire une autre. La réponse du rabbi
fut négative (3). C'est à la synagogue de Beisàn que Rabbi Berakhia
défenidt à un simple particulier de faire ses ablutions avec l'eau de
Tamphore placée à l'entrée, réservant ce droit aux sages et à leurs
élèves (4 Le sabbat était scrupuleusement observé à Scythopolis. On
.

racontait que des Juifs de Beisàn n'avaient point voulu entreprendre


le voyage de Tyr à Sidon un vendredi, de crainte d'enfreindre la loi

du repos sabbatique '5). Néanmoins, les Beisanites n'étaient pas plus


admis que les Juifs de Haifa à lalecture publique du sema' parce qu'ils
prononçaient la lettre - comme n et le comme x. Pour jouir de ce •;•

privilège, il pour donner un son correct (6


fallait qu'ils fissent effort .

Les rapports entre Juifs et Scythopolitains ont donné Heu à deux déci-
sions du traité Aboda zara. « S'il y a une fête d'idole dans une ville,
'

(1) Bell. Jud., II, 18, 3-4.


(2) Jehuda I und die griechisch-rômischen Stadte ralilstinas. Jew Quart.
BL'CHLER, R.
Review, p. 710. Cf. Nelbavgr, La r/éograpliie du Talmud, p. 174 s.
(3) Talmud de Jérusalem, MegiUa, III, 73', 22. Schwab, VI, p. 235.

(4) III, 74% 67. ScawAB, VI, p. 240.

(5) Talmud de Babylone, Pesahim, 50'.


(6) Talmud de Jérusalim, Berahhoth, II, 4'. 48. Schwap., p. 40.
MELANGES. 417

dont boutiques sont les unes ornées de couronnes et d'autres ne le


les
sont pas, cas qui est survenu à Beth-San, les docteurs disent que dans
les boutiques ornées on ne devra pas aller; mais il est permis d'aller

dans celles qui ne le sont pas. » L'autre décision concerne l'usage du

vin acheté à un païen mais pas encore payé (1). Le caractère païen de
la ville était si marqué et les Juifs étaient demeurés si étrangers à la
vie de la cité que les rabbis la considérèrent parfois comme en dehors
do la Palestine (2).
L'église de Scythopolis eut l'honneur de fournir à la persécution de
Dioclétien et de Maximien en Palestine sa première victime, le martyr
Procope. Originaire d'.Elia, Procope remplissait à Scythopolis, où il

était fixé, les fonctions de lecteur, d'exorciste et d'interprète. Là comme


à Jérusalem, le bas peuple ne sachant que l'araméen avait besoin
qu'on lui traduisit à mesure le grec de la liturgie et de la prédication.
Saisi et emmené à Césarée, Procope refusa de sacrifier aux divinités
en déclarant qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, créateur de toutes choses.
Quand le préfet Flavien voulut lui faire brûler de l'encens aux quatre
souverains de l'empire, augustes et césars, il répondit en souriant par
ce vers de l'Iliade : « Il n'est pas bon qu'il y ait tant de chefs; il suffit
d'un seul chef, d'un seul roi. » Procope fut décapité comme rebelle le
7 juillet 303.Au cours de cette persécution et au même lieu fut sup-
pliciée une vierge de Scythopolis, nommée Ennathas, après avoir été
promenée demi-nue à travers les rues de Césarée par un tribun du
voisinage, le fanatique Maxys (3). Moins honorable pour l'église scy-
thopolitaine est la mémoire de son premier évèque connu, Patrophile,
protecteur d'Arius, ennemi d'Athanase et persécuteur d'Eusèbe de Ver-
ceil, que l'empereur Constance avait relégué à Beisân après le concile

de Milan (355) (4). Saint Eusèbe fut quelque temps hébergé par le comte
Joseph, fameux juif converti, qui, en butte à l'hostilité de ses anciens
coreligionnaires à Tibériade, s'était bâti une somptueuse résidence à
Scythopolis, où il se montrait un partisan décidé du catholicisme au
milieu d'une église gagnée presque tout entière à l'arianisme. Mais
Joseph étant mort peu après la venue de l'évêque de Verceil, celui-ci
demeura à la discrétion du brutal Patrophile dont il répugne de
(1) 'Abndazara, I, 4; IV, 12. Schwab, XI, pp. 184, 232. Au traitt- Gi////;,!, 5, Schwab, VIII,
p. 262, ilquestion de contrat rédigé àBelh-Sanet contresigné par des témoins non juifs.
est

(2) Demai, II, 1; Schwab, H, p. 142. Aussi R. Mélry aurait pris des légumes sans payer
de redevance.
(3) EusiiEE, De martyr. PaLrstinx, I, 1 ;
IX, 6, 7. La recension développée dans Violet,
Die palàst. Martyrer, pp. 4-6, 68.
(4) SozoMÈNE, I, 15. Théodoret, I, G. Palropiiiie apposa toutefois par crainte sa signa-
ture au concile de Nicée : IlaTpoiùo; Ix-j^otioXeco;. — Sozomiîne, II, 20; I, 19. Théodoret, I,

20; V, 6.

REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 27


418 REVUE BIBLIQUE.

décrire l'odieuse conduite. La visite de saint Épiphane, de Gaudence


de Novare, du diacre Syr et de l'exorciste Victorin, chargés des lettres
et des aumônes de quelques églises d'Italie, la traduction en latin du
commentaire d'Eusèbe de Césarée sur les psaumes furent un dérivatif
aux soufTrances du proscrit (1). Gagner à l'Église les nombreux adhé-
rents du paganisme qui se trouvaient encore à Scythopolis, on n'était
pas en droit de l'attendre d'un prélat tel que Patrophile. La réaction
antichrétienne dont Julien l'Apostat fut l'instigateur (301) trouva dans
les païens de la ville des instruments dociles. Au cours d'une émeute
contre les chrétiens, la sépulture de Patrophile, mort depuis deux ans
à peine, fut profanée. De son tombeau brisé, les païens exhumèrent
ses restes qu'ils dispersèrent et, prenant son crâne, ils le suspendirent
comme une lanterne (2).

Métropole de la Palestine seconde qui comprenait une partie de la

Galilée et le de l'ancienne Décapote, Scythopolis était la


territoire
résidence d'un gouverneur en même temps qu'un siège épiscopal
important (3). Sous l'empereur Anastase (491-518), comme nous
l'apprend une inscription qui se trouve chez le moudir de Beisân, les
remparts de la ville furent restaurés sur la demande d'un illustre,

Flavius Arsenius. ('i.) En 518, le patriarche de Jérusalem, Jean, remit


à saint Sabas et à quelques autres higoumènes le soin de proclamer
à Césarée et à Scythopolis les décrets portés par l'empereur Justin, à
son avènement, sur le rappel des orthodoxes bannis et l'insertion des
quatre conciles dans les diptyques de l'Église, Confiée à ces hommes
considérés, la proclamation ne souleva aucun trouble. Au contraire,
à l'approche de Sabas, tous les citoyens de Scythopolis avec le mé-

(I) TiLLEMONT, Mémoires..., Vil, |)p. 534 ss., 551 ss.

Chronic. Pascli., P. G. ,92, 740. Parmi les autres évêques de Scythopolis on signale
(•2)

outre les ariens Patrophile, Philippe et Athanase, 318-380, les orUiodoxes Saturnin (381),
Théodose (404), Acace (431), Sévérien (451), Olynipius (466), Cosmas (466-496) disciple de
S. Euthynie, ancien stavrophylax à Jérusalem, [Lt^âloiç âv t^, ôeutÉpa twv naXaiaxtvwv
Cyr. de Scythop., Vie fie S. Euthynie, 103; Jean (avant 518),
i7iapyjaôtàXa(i.'^£ xaTopOtôfiaorc.

Théodose (518-544).
(3) Hterocles, Synecdemns, Parthey, p. 44 'ETrapyj» IlaXaiuTivri; p', uTtô yjycfxôva 7iô>,£tç
:

la' l.ilxyÔÔTroXt;...Georges de CuvpnE, Descriptin orhis Bomani. Gelzer, p. 52 'ETiap/ia :

ITaXaKïTtvri; B'. ixuQÔTto).!; [j.r,TpÔT:o).'.;.

(4) Le R. P. Geumer-Dukand a publié dans les Échos d Orient, 1911, p. 208,


l'estampage
de cette inscription que nous n'avions pu relever qu'à la hâte, par suite de circonstances
peu favorables. Ce texte avait d'ailleurs été déjà publié par le même savant dans
Échos d'Orient, 1901, p. 75. Le P. G.-D. s'arrête à cette lecture 'Kx -r^; Soôeicrr,; Osiaç :

9i),0Tt[j.îa;, xaTa a'îirimv <I>),ao'JÎoy Apcevîou xoù èv8o|oTâTO-j, xb Tiapbv epyov xoy Ter/ou; àvevewôr,
BaTiXsw; <I>/.aoutou 'Avaa-aji'o'j, (aïivo; àp^ovro; ÈvaToy, ivôixTitovo; y etou; ff'. Sous
£v ypô'/co ,

Anastase, la 3" indiction se rencontre en 494-495 et en 509-510. Le chifl're de l'année est


incertain. Si on le lisait, ^ç, 6.000, il indiquerait l'ère de CP, de la création du monde, usi-
tée par Cyrille de Scythopolis, mais l'an 6.000 tombe en 49'2-493, qui est la 1"= indiction.
MELANGES. 41 1»

tropolitc Théodore vinrent à sa rencontre sur la route de Césarée


juscjuà Tégiise de Tapôtre saint Thomas — -l oc-z--oXXov -z'j y.';(zj

0o)y.z. Puis, au chant des psaumes, les higoumènes furent amenés à


la vieille église où Ton céléljra la synaxe et où le divin décret fut
porté à la connaissance des fidèles (1). Sahas se trouvait à Tévêché —
èv Tw k-'.T/.z-z'.(') —
quand un avocat du nom de Jean vint l'instruire
des embûches tendues aux chrétiens par le Samaritain Silvanus, un
puissant dignitaire de l'Empire. Désarme pour linstant contre cet
ennemi, le saint se contenta de prédire sa fin tragique. Deux autres
faits se rattachent au premier séjour de saint Sabas dans cette localité.

Traversant un jour la ville pour rendre N-isite à un anachorète rési-


dant au monastère (TEnthenanet/i, dans le quartier ou près de l'église
Saint-Jean — kv -z'.: -zz'. -rbv -x-;'.zv 'Io)âvvr,v -ri-c.r — le saint rencontra
et guérit une hémorroïsse gisant sous le portique occidental àv -:o> —
c-j-'.Y.M ï\j.oi'/.(<> —
d'une rue ou d'une place, près de Yapsis dite de
Saint-Jean (2). Au même monastère d'Enthenaneth, saint Sabas déli-
vra avec de l'huile de la croix une jeune fille possédée du diable (3).
Les expressions de l'hagiographe n'autorisent pas à placer loin de
Beisàn monastère en question. 'Ain et-Tineh située au fond d'un
le

ampliithéâtre naturel immédiatement en dehors de la ligne de l'an-


cienne enceinte, non loin âuDjisr el-Maqtou' qui enjambait le Dja-
loud à sa sortie de la ville, répondrait assez bien à la byzantine En-
thenaneth.
En 529 éclate l'insurrection des Samaritains qui commettent à Xa-
plouse toutes sortes d'horreurs. Redoutant les mêmes excès, les Scy-
thopolitains se saisissent du puissant Silvanus et le brûlent au milieu
de la ^'ille (i). Mais Silvanus avait un fils très influent à la cour de
Byzance, auprès de Justinien et de Théodora; c'était Arsénius, peut-

être le personnage qui avait contriljué au relèvement de l'enceinte


de la Arsénius réussit à indisposer les souverains contre les chré-
ville.

tiens de Scythopolis. Saint Sabas fut dépêché à Constantinople pour


détourner le coup qui les menaçait et pour obtenir la dispense de
l'impôt en faveur de la première et de la deuxième Palestine très
éprouvées par les dévastations samaritaines. Le délégué des Palestines

(1) Cyrille de Scythopolis, Vie de s. Sabas, 61 âv tig àp/.a:a iyla, èy.v.lr,aia. Voir si-
:

tuation analogue à Gaza, Marc Diacre, Vie de s. Porphyre, pp. 16-18. Confér. de S.-
Étienne, 1909-10, pp. 250 s.
(2} Vie de s. Sabas, 62 -/aTà: -rriv /.EYoïiivr.v à'I/îoa -où àyîou 'loûiwo'j. Cette w^/iç peut dé-
signerune fontaine monumentale, un pont, un arc triomphal. Rien ne permet de se pro-
noncer pour l'une de ces hypothèses.
(3 Op. laitd., 63.

(4) Cvrille de ScvTiiopoLis, Vie de s. Sabas, 70. Procope de Césarée, flisf. arcane, 27.
420 REVUE BIBLIQUE.

vit sa mission couronnée de succès. Arsénius, malsTé le baptême


qu'il avait demandé par crainte, fut livré au bourreau 1). A son re-
tour à Scythopolis, en 532, Sabas fut reçu avec le même enthousiasme
que la première fois, et prit logement à 1 évêclié, dans la maison du
saint martyr Procope — sv tw sy.sïjs ciV.u t:j àviou yApTjpsç Hzf/.z-izj —
puis s'en alla faire visite à l'abbé Procope qui menait la vie solitaire
près du sanctuaire de Saint-Thomas 2 \ C'est au cours de ce second
voyage que Sabas bénit le jeune Cyrille qui devait illustrer le nom
de sa ville natale par ses ouvrages hagiogTaphic[ues si précieux pour
l'histoire religieuse de la Palestine des V et vr siècles (3).
En récapitulant les divers monuments signalés dans les récits pré-
cédents, on s'aperçoit que la chrétienté de Scythopolis possède un
évêché où se trouve la chapelle ou la maison de saint Procope, le
martyr de 303, une vieille église à l'intérieur de la ville, une église
dédiée à saint Jean où il s'opère beaucoup de miracles (4), et un sanc-
tuaire à l'apôtre Thomas, Les deux derniers édifices se trouvant dans
labanlieue sont deux centres de réunions liturgiques pour les ana -
chorètes répandus dans la campagne, où l'abondance des palmiers
leur fournit la matière première de leurs travaux de vannerie. Au
concile de Constantinople, en 536. figure un Stratégios, diacre et
moine du monastère du bienheureux Jean, qui signe les actes syno-
daux au nom de tous les moines qui sont autour de Scythopolis (5 .

Les ruines d'une église (absides visibles, chapiteau ionique du


V'> siècle' au nord-ouest du tracé de l'enceinte, à l'occident de Djisr
el-Khàn, sont vraisemblablement les restes de ïapostolion de Saint-
Thomas, sur la route de Césarée. La mosquée el-Arba'ln Ghazâwi
au nord-est du village moderne s'élève sur l'emplacement d'une
église dont l'abside orientée se voit encore (6). Dans le jardin des
fonctionnaires turcs, nous avons vu de très beaux chapiteaux corin-

(1) Vie de s. Sabas. 71-74. Histoire arcane, ibid.

(2) Vie des. Sabas, 75 : zl- to-j; -ïoI tôv ôcyiov Hwaàv -6r.o-j;; ce sanctuaire est Vapostolioii
nommé au eh. 61. Donc l'expression âv toTç tteoI -ôv àY'.ov 'Iwâwrjv -zôr.o'.z du cli. 62 implique
l'existence d'une église Saint-Jean à Scythopolis.
(3) Ibid. Saint Sabas avait déjà fait connaissance des parents de Cyrille de Scythopoli'^
lors de son premier voyage, cli. 63. Celui-ci quitta sa famille pour embrasser la vie cénobi-
tique dans le désert de Juda, en 543. Cf. P. Gé.vier. Avant-propos de la Vie de s. Eutlnjm<
leGrand, xii ss.
Anonyme de Pi.ajs.inxe, Geyer, p. Ifii venimus in civitale metropoH Gafilax, qiuv
(4) :

vocatur Scitopolis, in monte posita (100 mètres au-dessus du Jourdain) ubi sa7ic(iis Johan-
nes militas virtutes operatur. Theodosils, eod. op., p. 137, place à Scythopolis le mar-
tyre d'un domnus Basiliiis.
(5) -ipatriViOî S'.xy.ovo; -/.al [xovayô; [iOvf;; toû (j.axav!o-j 'Iwàvvo-j CiTràp Trivitov tôiv Oîto IxuOo-
iTo).iv [lova/cùv. REL\.\n. Pah-estiiia.T^. 996. Cf. Sozomlne, VIII. 13.

(6) Voir le plan du Survey of West. Palest.. Memoirs, II. p. 102.


MÉLA^GES. 421

thiens en marbre blanc, des colonnes et des bases ég-alement en


marbre. Des colonnes et des chapiteaux très artistiques ont été aussi
«mplovés à décorer la façade d'une hôtellerie de la moderne Beisân.
A la sombre époque de l'invasion arabe, Beisân fut choisie comme
point de concentration des troupes byzantines après leur déroute en
Judée, à Djennabataïn. Leur but était de préserver la seconde Pales-
tine des ravages exercés par les Arabes dans les Palestines première
et troisième. Mais les impériaux ne furent pas plus heureux sur le
Jourdain qu'ils ne l'avaient été dans les campagnes de Jérusalem.
Le -23 janvier 635, les Arabes vinrent leur offrir la bataille dans les
plaines inondées qui s'étendent entre Scythopolis et le Jourdain. Ce
fut une échauffourée où l'on pataugea beaucoup et qui se termina
de l'autre côté du fleuve sous les murs de Fahil (1). Beisân ne devait
pourtant tomber aux mains des envahisseurs que l'année suivante
(janvier 636) et ne devenir leur possession définitive qu'en 637, après
la défaite des armées d'Héraclius sur le Yarmouk et la seconde prise

de Damas. Le conquérant de Scythopolis, de Tibériade, de Séphoris,


d'Acre et de Tyr futSourahbil, qui fonda ainsi le district du Jourdain,
djund el-Ourdounn^ dont il devient le premier gouverneur (2). Ce
district comprenait les villes de la seconde Palestine plus Ptolémaïs et
Tyr. Tibériade fut désignée comme capitale au lieu de Scythopolis (3)
qui dès lors à déchoir, malgré sa fertilité proverbiale. Au
commença
x*' Mouqaddasi en parle pour vanter ses palmeraies et ses
siècle,
rizières, mais pour déprécier son eau, d'une digestion, parait-il,
malaisée. « La mosquée, ajoute-t-il, se trouve sur la place du
marché et des musulmans d'une grande piété se sont établis dans
cette ville (4). » Cette mosquée est peut-être le Djami' el-Arbahi
Ghazdici où M. Tyrwhitt Drake a lu la date de 190 de l'hégire dans
l'inscription du mihrâb (5).
Sous la domination franque, le titre épiscopal de Scythopolis fut
transféré à Nazareth (6'. Mais la viUe et ses environs formèrent la
baronnie du Bessan dont Adam de Béthune, qui prit part à la première
'Croisade, fut le premier seigneur (7). Il installa son castel sur le ter-

(1) Voir les divers récits de cette bataille et leur critique dans Caetani, Annali deli Is-
.lam, 13' année de l'hégire, § 207 ss.

(2) Op. l, 15« année de l'hég., § 8; 16" année, § 319. Cï.RB., 1911, pp. il7,42l.
(3) Le Stkange, Palestine under Ike Moslems, pp. 30, 39.
(4) P. 411.
(5) Survey of VV. P., Memoirs, II, p. 105.
G) Guillaume de Tyr, VIII, 4 Bethsan sive Scythopolis, cujus hodie dighilatem obti-
:

net Nazarea ecclesia.


(7) Sur la lignée de ses successeurs voir Rey, Les familles d'outre-mer de Du Cange,
pp. 248 ss.
REVUE BIBLIQUE.

tre qui recouvre la ville primitive, Tell el-IJos?i, où l'on en voit en-
core les restes.A cause des guerres incessantes qui marquèrent la
seconde moitié du xif siècle, Beisân s'étant vidée peu à peu de ses ha-
bitants, se trouvait réduite aux proportions d'un modeste ^illage
quand Saladin vint l'attaquer en 1182 (1). Les villageois massés dans
le eastel,que Guillaume de Tyr appelle un humble fortin situé au
milieu des marais (2), opposèrent à l'assaillant une telle résistance
que celui-ci dut abandonner la partie.
Mais l'année suivante, à la nouvelle du retour de Saladin à ia tête
d'une armée fort nom-
breuse et très bien équipée,
les Beisanites , peu confiants
dans la force de leur châ-
teau, se retirèrent à Tibé-
riade, laissant armes et
bagages à la merci de
l'ennemi (3). La première
opération de Saladin en pé-
nétrant dans la vallée du
Djâloùd fut naturellement
de livrer au pillage et au
feu tout ce qui restait de
la ville des Scythes et do
Plantation de coton dans la moderne Beisân. renverser le fortin de Bei-
sân (4). Quand le fameux
sultan eut toute la Palestine en sa main, il trouva bon de le restaurer
en 1192, et quelques années plus tard on trouve Beisân gouvernée par
le seigneur deKôkab,Yzz ed-Din Samah(5). Le village s'est alors re-

levé de ses ruines, car en 1217 le roi de Hongrie, poussant une pointe
vers le Djùlân, envahit Beisân, fait main basse sur tout le blé et le
bétail qu'il trouve sur le marcljé de la localité et y bivouaque pen-

(1) GuiLL. DE TvR, XXII, 16 : Urbs piwdicta raro Jiodie incolilur habitatore, ad instar
modici redacta oppidi.
(2) Ibid. : prxsidium modicum, quodibi est in paliidibus silum. Les ruines, toutefois,
dénotent l'ancienne splendeur de la cité : Scijthopolis aulem, ut sœpe diclum est, ea est
qux hodie dicitur Bethsan, olim universse melropolis GalilcVn : cujus nobilitatis argu-
menta, ex xdificioriim ruina prislinorum, et multo marmorc, quod in effracHs xdificiis.
nunc rero ad nihilum redacta, raro incotitur habitatore, solo
invenitur, est colligere;
oppidulo, quod in paludibus situm est, paticorum liabitationi reservato. Cap. 26.
(3) XXII, 26.
(4) Vie du sultan Youssof, Rec. des histor. des Croisades, Orientaux, III, pp. 74-76 :

• 1 ."î '^ • ^^ Livre des deux Jardins, Orientaux. IV, p. 24'i.


^(5) V, pp. 87, 125.
MÉLANGES. 423

dant trois jours i). Yaqoiit qui la visite vers 1225 lui consacre cette
notice une ville de l'Ourdounn dans le Ghôr. On l'appelle
: '( C'est
Lisdn cl-A/'d, langue de terre... Près de là est 'Aïn Fouloùs, qui
vient du paradis, quoique l'eau en soit un peu saumàtre.., Beisàn
souffre de la peste et d'une extrême chaleur. Les habitants sont bron-
zés et crépus à cause de l'ardeur du climat. Beisàn a été célébrée
pour ses nombreux palmiers, mais moi, Yaqoùt, qui y suis allé plu-
sieurs fois, je nai plus vu que deux palmiers (2). » A maintes repri-
ses, le sultan Beibars établit son quartier à Beisàn, dans ses cam-

pagnes contre les restes du royaume latin et les Mongols (3). Moins
pessimiste que le géographe arabe, Burchard, en 1283, trouve l'en-
droit très agréable [ï).
A partir du xiv^ siècle, Beisàn végète dans une obscurité profonde
et son histoire est close. Toujours lanterne magique où défilèrent
Cananéens, Philistins, Scythes, Grecs, Syriens, Samaritains, Arabes,
Francs, Mamlouks, elle abrite à l'aurore du xix" siècle, sous ses vingt
huttes de roseaux, des Égyptiens, des fellahs arabes et des bédouins.
En 1806, le cheikh du village appartient aux Souhour du Ghôr (5).
En 1812, on constate un certain développement : compte
le village

de soixante-dix à quatre-vingts maisons ; ses habitants sont dans une


constamment exposés aux déprédations
situation fort misérable, étant
des bédouins du Ghôr auxquels ils paient un lourd tribut (6). Robin-
son, en 1852, évalue la population, qu'il dit d'origine égyptienne, à
cinq cents âmes environ (7). Aujourd'hui, grâce au chemin de fer de
Caïfa à Damas, Beisàn est appelée à une renaissance qui se manifeste
déjà par le chiffre de sa population (3.000 hab.), le grade de son
gouverneur, un moudir, et par la présence de quelques soldats et

dun officier.
Fr. F. -M. Abel.

(t) P. 162. L'estoire de Héraclès, Occidentaux, II, p. 3.!3 : Li oz. chevauchèrent tant que
il vindrent a Bessati.
(2) Le Stuange, op. f., p. 411.
(3) RôHKicHT, Études sur les derniers temps du roij. de Jérusolem, Archiv. de V Orient
latin, II, pp. 372, 377, s. ann. 1263-65.
(4) VII, 8 : mine ah omnibus Bethsan appeUalur. Et est locus rJelicalus multum.
(5) Seetzex, Reisendurch Syi-ien. II, p. 163.
^0 BuRCKHARDT, Truvcls iu Sijria and tJiefiotij land. p. 343.

;7) Later biblkal researches, p. 332.


CHRONIQUE

LES RECENTES FOUILLES D OPHEL.

4. Le tunnel-aqueduc de Siloé {.mite) (1).

Les mesures partent de l'extrême bord du canal de roc, sans tenir


compte de Téchancrure infligée au tunnel, quand on érigea sur son
orifice la basilique byzantine découverte naguère par MM. Bliss et
Dickie (2). Après un cheminement graduel de NE. en E. sur 66 mètres,
la galerie se trouve sous l'arête faîtière de la colline (station vi). Elle

s'oriente un moment à peu près en plein E. (de vi à vu), non sans une
tendance de fléchissement vers le S., tendance qui s'accentue bientôt
(de VII à xii) assezpour ramener le tunnel, en 65 mètres de parcours,
presque dans l'axe E.-O. de son embouchure. Un retour franc à l'E.
pendant 15 mètres (xii-xiii) conduit, à travers un banc calcaire de mau-
vaise qualité, à peu près à l'épiderme rocheux sur la déclivité orien-
tale du coteau quelques mètres de plus et la galerie déboucherait à la
:

surface, à moins de changer son niveau. Elle se replie très prudemment


au NE. (xiii-xv) et en i5 mètres revient (xv"") un peu plus haut que l'axe
atteint déjà à la station vi et, derechef, à fleur de roche. De xvi à xxiv,
environ 100 mètres, la direction est pratiquement S.-N., avec oscilla-
lions plus ou moins prononcées k VO. ou à l'E. Entre xxiv et xxxv se

(1) Cf. Jérusalem sons IV et V. Malgré la reproduction de ma signa-


terre, p. 20 ss., pi.
ture au bas de la pi. un calque trop peu (idéle de mon dessin pour que j'en
IV, ce plan est
accepte la responsabilité. On le corrigera d'après la pi. X ci-jointe. Dans un compte -rendu,
par ailleurs extrêmement bienveillant, du volume anglais, le Quart. Stat. (1912, p. 4G) voit
dans la pi. V une simple « reproduction » des relevés exécutés jadis par Warren et déplore
que je n'en aie pas averti, ni inarqué la part des devanciers. Je croyais n'avoir pas mar-
chandé mon les courageux travaux pratiqués avant la mission de 1909-1011.
admiration pour
Quant en question (ci-après pi. XI), elle n'a de commun avec celle que je con-
à la planche
nais de M. Warren que de concerner le même tunnel. Inutile de détailler combien elle en
diffère pour tout le reste, à commencer par une pente de 2", 18 où M. Warren marquait
néant... Il m'est arrivé souvent d'emprunter des documents; jamais encore d'omettre d'en
avertir. Sur les imputations de M. Warren lui-même, dans la diatribe insérée au QS. d'avril,
on trouvera des explications dans le n" de juillet de la même revue. [H. V.]
(2j Excavations at Jérusalem, p. 178 ss. ;
cf. BB., 1897, p. 302 ss.
CHRONIQUE. 423

sont produits des tâtonnements dans la direction des deux équipes


qui se cherchaient (1, ; nous reviendrons sur cette section. Au delà de
XXXV le tunnel, un moment orienté par NE. dans la direction de la
fontaine, dévie bientôt (xxxvh-xlih en NO. sur un parcours de 75 mè-
tres, se redresse 5 mètres seulement au N.
xliii et se décide en-
fin à marcher vers par un circuit plus haut en NE. (xliv-
la source
XLvii; qu'il ne paraîtrait nécessaire. Des observations à développer
plus loin, ont fait considérer comme exacte entrée du tunnel-aqueduc
son ouverture sur la galerie VI.
La longueur totale enregistrée est de .^lâ^^-ïO. Le contrôle que
lui apporte la mesure renouvelée une seconde fois dans le nivellement
parait fournir à ce chiffre un appui solide (2). Si l'on ajoute les 20"", 60
qui représentent la longueur v-s, c'est-à-dire la section des galeries
anciennes remaniée pour mettre le tunnel en communication immé-
diate avec la source, on aboutit au total de 533™, 10. Le souci que les
savants se sont mainte fois infligé pour utiliser la longueur de cet aque-
duc dans une détermination théorique de la coudée juive 3) donnait
quelque opportunité à la vérification attentive de cette longueur. Le
chiflre obtenu coïncide si étroitement avec les meilleurs chiffres anté-

f 1) On que la percée avait été entreprise par les deux extrémités en raèrne temps.
sait

2) Danspremière opération, avec un décamètre à ruban vérifié et manié par les PP.
la
Savignac et Carrière qui en ont la plus grande habitude, tout l'effort se concentrait sur l'exac-
titude de longueur et le total de 512™, 50 ne semblait comporter — sauf erreur de lecture
ou d'inscription d'un chiffre —
que l'erreur minime et inévitable dans le repérage le plus
attentif d'environ 60 sections. Au cours du nivellement, la longueur avait été mesurée avec
une règle graduée, mais sans très spéciales précautions. A l'étude ultérieure, le total se
trouva être 514"', 45, soit l'",95 de plus que précédemment. La revision des chiffres détail-
lés m'a inspiré des soupçons sur deux cotes stat. r et z. La première enregistre 29 mètres
:

dans la feuille directe, et je suis porté à lire maintenant « 28 ». La cote suivante est en effet
1 mètre juste c'est le point de jonction dans la percée. J'ai dû faire prolonger d'abord la
:

mesure jusque-là et inscrire» 29 mètres» pour fixer ensuite le point où devient sensible l'ex-
;

haussement du plafond dans la section méridionale, on aura rétrogradé de « 1 mètre » et j'au-


rai inscrit inintelligiblement cette cote qui s'est trouvée ainsi deux fois reportée. Elle sup-
primée, sur cette solide présomption, il reste un écart de 0'",95, très admissible en soi, mais

trop voisin du chiffre rond


mètre » pour ne pas suggérer quelque bévue analogue. Entre les
« 1

stat. ^ et a il y a eu interruption de deux jours dans le nivellement. Les longueurs ont été

mesurées en sens inverse et raccordées sur une marque inscrite à la stat. z. La cote est
ici » 2.3 mètres » elle pourrait bien être " 22 ». Le chiffre suivant n 10 » est ferme, car il a été
;

choisi comme point d'arrêt sur un chiffre rond pour la mesure antérieure de la section a--;.
Dans le raccord ultérieur, la marque avait été légèrement dépassée, ^"y aurait-il pas eu er-
reur de lecture quand on ramena la règle en arrière pour constater la fraction exacte? Il est
assez simple que cette erreur soit de « 1 mètre», ou même justement cette fraction 0°\95 qui
représente maintenant l'écart: la première hypothèse a le plus de vraisemblance. Comme il
ne restait plus dès lors entre les deux tableaux qu'une différence de 0"\05 j'ai cédé à la
sotte vanité de les unifier en faussant la dernière cote 2'", 50 pour 2", 45.
:

(3) V. g. Beswick, QS., 1881, p. 295 s. 1884, p. 255 ss. Condeh, QS., 1882, p. 127. Perrot et
:

Guipiez, Hist., Judre, p. 420, n. 1.


426 REVUE BIBLIQUE.

rieurs (1), qu'on peut apparemment


tabler sur un total de 533 ou 531
mètres comme terme
de la précision réalisable dans le cas.
L'examen de la colonne du tableau B qui indique les hauteurs va-
riables du tunnel, causera peu de surprise depuis qu'on connaît le dé-
blaiement récent. On retrouve en effet tout le long, du moins en gros,
les hauteurs déjà familières, majorées seulement d'une moyenne uni-
forme de 1 mètre. Avec le niveau, c'est tout autre chose, et les cotes

détaillées introduisent un élément tout à fait nouveau dans l'explica-


tion technique. S'il est un fait sur lequel on se soit cru jusqu'ici bien
en droit d'insister, c'est le défaut de pente dans ce canal. Les cartes
du Survey inscrivent le même chiffre de 2.08T pieds au plan d'eau de
la fontaine etau débouché du tunnel dans la piscine. Mêmes cotes dans
les plans spéciaux que M. Clermont-Ganneau (2) emprunte à M. War-

ren. M. Couder (3) précise, il est vrai, en indiquant une intention de


pente, à tout le moins une différence de niveau entre les deux extré-
mités; mais il insiste sur son « extraordinaire » insignifiance « un
:

pied seulement », sur la longueur qu'on sait. Ce n'est plus « un pied »


mais sept pieds et deux pouces, ou mieux 2", 18 qu'on devra dire, si
nous avons nivelé à peu près exactement ce radier, entre les points
extrêmes bien nettement indiqués sur la coupe (pi. XI). Ce serait donc
en principe une pente de 4 millimètres par mètre assez satisfaisante
en elle-même. Dans la pratique, on voit que l'ingénieur ancien n'a pas
établi son tracé sur cette base, soit qu'il n'en ait pas eu la faculté,

(1) Robinson par exemple a compté 1.750 pieds {Biblic. Res., I, 338); à raison de 0'",305 le
pied c'est un total de 533'", 7.5, aussi voisin que possible du total vérifié. M. Clermont-Ganneau
écrivait naguère {Rcc. d'arch. orient., II, 269) le chiffre rond
« 533 mètres ». qui parait dériver

des ingénieurs militaires anglais. Or il n'est pas sansquelque difficulté, faute de repères assez
précis dans les graphiques, d'en fixer l'évaluation comparative en mètres. A lire M. Warien
directement, dans ifecofoy..., p. 242, on a l'impres.sion qu'il attribue au tunnel « 1.658 pieds»
seulement et compte ensuite « 50 pieds jusqu'à la fontaine de la Vierge » : soit un total de
1.708 pieds = 520'",94. D'après M. Couder au contraire (Q.S., 1882, p. 122), cette longueur
de 1.708 pieds avait été obtenue par M.Warren « entre l'embouchure du tunnel de Siloé et

le point où il entre dans la galerie vers la fontaine ». Cette même longueur est cotée « 1.70(1
pieds 8 pouces » par M. Conder. Dans le vol. des Memoirs, Jerus., p. 357, publié deux ans
plus tard en collaboration par MM. Warren et Conder, cette même interprétation desmesu-
res de Warren est maintenue. Faut-il y voir une correction tacite du texte de Recovenj en
1871"? Le total approximatif de MM. Warren et Conder entre Siloé et la source aboutità 1.758
pieds ou 536"\20 avec un certain flottement de l'un à l'autre, sans parler de la nuance que
peut introduire une évaluation du pied plus forte ou plus faible que la moyenne 0'",305.
(2) Mission en Palestine... en 1881 : Cinquicme rapport, pi. VII et la note p. 135, n" 124 -,

cf. Rec. arch. or., II, p. 262, n. 1, 268 et la pi. afférente.


(3) 3Iem. Jerus., p. 363. ou QS.,1882, p. 128 s. L'élégante analyse du monument fournie
par MM. Perrot et Chipiez (Hist. de l'art..., IV, Judée, p. 418 ss.) dépend exclusivement
des relevés de MM. Warren et Conder. Il n'y a donc pas à être surpris d'y voir relever
aussi (p. 423), parmi « les traits curieux... la régularité et la faiblesse de la pente ».
CHROMQLE. 427

soitque l'habileté nécessaire lui ait fait défaut, soit enfin que Texécu-
tion ait déformé son plan. La déformation par la main-dœuvre est
vraisemblable dans une certaine mesure on la saisira sur le fait au ;

cours de l'examen ultérieur, toutefois restreinte en de certaines limites,


bien en deçà de ce que représente la section [j.-z avec ses deux pentes
inverses y.-rpremière abaissant le niveau de 2°, 07 à 1™,61 ;
et :-c, la i

la seconde le relevant de T ,65 'c à 2°', 21 1 dans la même direction

().-E. Avant de taxer les mineurs de maladresse ou l'ingénieur d'inca-

pacité, il s'impose de considérer de plus près cette allure des pentes et


d'essayer d'en pénétrer quelque raison. Un premier fait ressort de
l'examen le plus superficiel des cotes : la régularité de pente normale,
quoique variable, dans la section as, c'est-à-dire entre la piscine et le
point de jonction des équipes de mine, sur une longueur de 299 mètres.
Cette régularité est absolue entre l'embouchure et la stat. ??i, où le ra-
dier atteint déjà 1"',39 en 160 mètres de développement soit une :

pente théorique de 8 millimètres par mètre, mais qui se comporte en


réalité tout différemment, puisqu'on la trouve réduite à 3 millimètres
par mètre de h à g. haussée au contraire à IT millimètres entre a et
l'orifice. De m à s les oscillations sont relativement minimes, quoique

étranges chute de O'",08 st. n], relèvement continu de i'^^'Sl à


;

^,17 entre pour retomber encore à 1",66 au point de jonction.


7i-q,

L'allure change clans la section septentrionale. Elle est d'abord


correctement ascendante de s à z, passant de r',66 à 2"V18 en 128 mè-
tres de long., donc avec la faculté dune pente suivie de ï millimètres
par mètre, réduite en pratique presque à 2"™ 1/2 (st. ^, ou portée au-
dessus de T millimètres par mètre ..z). Au delà, voici une brusque
pente inverse de 8 millimètres par mètre entre z et a, où le niveau est
retombé à 2'", 10. Dans les T3 mètres qui suivent, de 6 à y., le niveau
se déplace en plus ou en moins au hasard d'une assise de roche peu
saine, et il est facile de se rendre compte que ces oscillations, très
'aibles au surplus, sont accidentelles dans un niveau horizontal de
2'",0T en moyenne. A l'entrée, le radier tombe littéralement dans la

galerie VI, où le niveau se comporte ainsi qu'on l'a vu déjà. A quoi


bon faire observer qu'un ingénieur capable de régler parfaitement
une pente sur 160 mètres, et presque sur 300 mètres, n'est pas allé
ensuite à l'aveuglette dans le reste de son tunnel?
Un autre fait digne de remarque est la relation entre les hauteurs
si variables de la galerie et les pentes (pi. XI: cf. X, 3). Les deux ex-
trémités présentent, sur des longueurs très inégales, les maximums
(1) CeUe cote initiale ç) est rnème haussée à 2™, 34 par le gradin qui fait le -euil de
l'ouverture (:i) au fond de la chambre d'eau.
428 REVUE BIBLIQUE.

de hauteur, soumise à une allure qui la rend d'abord plus anormale


encore. Aussi bien s'attendrait-on à ce que le tunnel attaqué avec

une ampleur superbe, s'humilie à mesure qu'il pénètre plus avant au


cœur de la roche et c'est le contraire qui se produit. Au ^'ord on
;

débute avec l^,9i de hauteur, et à 50 mètres de distance, bien que


le niveau du radier soit sensiblement relevé, le plafond est à S'^.IO

(s) et ne se rapprochera de sa hauteur initiale que vers le point où

s'inaugure la pente normale de l'aqueduc ri; mais jusqu'à la jonc-


tion aucune section n'atteindra une hauteur supérieure à l^jSO.
.îT,

Plus saisissante encore est la liaison entre pente et hauteur à l'extré-


mité Sud. La mutilation opérée par les Byzantins ne laisse plus
de^-iner l'exacte hauteur à l'embouchure; il reste cependant la preuve
indubitable que le plafond s'abaissait vers l'extérieur. En effet, au
premier point où il peut encore être mesuré, sa hauteur n'est que de
S'^jOe, bientôt portée à i, puis à 5 mètres et au maximum de 5"', 08
parfaitement singulier pour un aqueduc dont la moyenne est infé-
rieure à 2 mètres, l'\80 eu chiffre rond, dans la partie centrale de
son tracé, sur plus de 300 mètres de longueur. Or précisément cette
moyenne est recouvrée vers le point où commence, dans la section
méridionale, la plus complète régularité de pente. Au delà, on ne
retrouve des cotes de 2 mètres qu'en approchant de la jonction, à
partir de la station r. C'est assez donner à entendre que cette exa-
gération de hauteur en quelques sections déterminées semble bien
avoir pour cause un ravalement du radier; puisque telle est une des
causes évidentes de la hauteur croissante sur 29 mètres de long au
Sud de la jonction. Une cause seulement, car il en faut supposer
une autre pour expliquer le relèvement du plafond dans la direction
opposée à la direction normale de pente du radier.
Une dernière observation non sans utilité pour résoudre ce pro-
blème de structure concerne le dressage des parois. 11 est diverse-
ment fin selon les zones rocheuses, mais toujours correct dans les
parties hautes, tandis qu'il demeure fruste parfois au dernier "degré
vers la base et précisément surtout dans ces mêmes sections a-in,
q-s, 7-v, sûrement retouchées après la première ouverture
le plus
du tunnel. La taille, pratiquée au ciseau et au pic de mine, présente
tous les caractères observés à satiété dans les galeries IV et V; et
comme s'il ne suffisait pas de cette physionomie si tranchée pour
faire de ces galeries et du grand tunnel un même système exécuté
dans un style identique et par les mêmes ouvriers, voici, en trois ou
quatre sections échelonnées presque d'un bout à l'autre du tunnel,
la ligne horizontale, la curieuse ligne amorcée au cartouche vide de
CHRON'IQUE. 429

la chambre ronde développée sur une paroi de la galerie IV. J'ai


et
vainement cherché, en étudiant la relation des niveaux entre les sec-
tions conservées de cette ligne et le radier, à ressaisir la trace du
nivellement primitif trop d'intervalle sépare les vestiges observés
:

de ce précieux repère, et son allure dans la galerie IV laisse supposer,


à travers le grand tunnel, une série de décrochements à tout jamais
effacés peut-être, qui du moins ont échappé à notre examen.
Avec ces éléments la percée, d'abord si étrange, du canal paraît
assez intelligible. Laissons pour le moment de côté la question du
tracé, la question aussi du vrai point de départ de l'équipe du Nord,
pour placer tout de suite les mineurs à l'embranchement sur la
galerie VI et à Siloé.
La paroi est attaquée avec entrain, sur une hauteur qu'on peut,
selon toute vraisemblance, évaluer à i'°,SO en moyenne et une lar-
geur flottante de 0",58 à 0"\65, sans parler des entrées, qui mesurent
environ 0'",75, ni des élargissements accidentels causés par une

fausse direction abandonnée. Dans le premier feu de leur ardeur, les


mineurs dévorent la tâche, sans s'apercevoir probablement qu'ils
cèdent trop à la tendance normale de leur procédé de sape et relèvent
rapidement leur galerie. Peut-être au surplus se laissent-ils attirer
par les couches supérieures plus molles, où la trouée progresse plus
rapidement. Passé le premier enthousiasme, ou l'œuvre rectifiée par
quelque intervention de l'ingénieur, à partir de g au Sud et de
z au Nord, les équipes cheminent avec une régularité remarquable

de hauteur moyenne celle du Nord sous un plafond un peu plus


:

bas et beaucoup plus uni, parce quelle opère dans une roche plus
saine, celle du Sud avec une galerie quelque peu surélevée et une
fermeté de ligne beaucoup moindre dans son plafond, parce que les
tissures et cavités naturelles y occasionnent de fréquentes oscillations.
Vers la jonction, la hâte nerveuse provoque un relèvement nouveau
des deux galeries, plus sensible aujourd'hui dans la section méri-
dionale, mais é\àdent aussi sur i à 5 mètres au nord de s. Une telle
situation, grâce aux nuances des parois, rend en quelque sorte tan-
gible l'explication proposée. Dès que les mineurs se sentent voisins,
il n'y a plus aucun souci de niveau qui tienne, ni même de rectifi-

cation des galeries ; creuser plus avant, creuser plus vite et se ren-
contrer! Aussitôt, les galeries remontent. Elles débouchent enfin
l'une sur l'autre, celle du S. à un niveau moyen sensiblement plus
élevé que celle du N.
Dans les 10 derniers mètres avant et après la jonction, la hâte ne
se trahit pas seulement par les secousses infligées à l'axe du tunnel ;
430 REVUE BIBLIQUE.

elle se lit sur les parois, où Ton chercherait en vain les retouches
fines et par endroits presque élégantes des sections achevées à loisir,
du moins avec patience. On y lit une autre indication encore, que
concrétise le diagramme (pi. X, 2). La ligne r' s' représente le radier
actuel sur 10 mètres de longueur, avec le point de jonction s, au
milieu. Le tracé plus fin s'-x-x établit une démarcation aussi appro-
chée que possible entre les deux zones d'aspect nettement distinct
dans les parois au-dessus, la taille vigoureuse mais correcte usuelle
:

à peu près tout le long- du canal, facile à observer en tout cas sur la
hauteur entière à peu de distance au sud de r et immédiatement au
nord de s au-dessous, une exécution violente à larges balafres,
\

dont l'équivalent tout à fait exact se rencontre 1° à la tète de sape :

des galeries V et VII inachevées; 2° dans les entailles abandonnées,


au flanc de la galerie IV; 3° dans l'amorce de coupe vers l'extrémité
de la galerie VI près de la source i" dans le chenal qui traverse le
;

sol de la chambre d'eau; mais et surtout 5° dans le tunnel lui-même,


sur une hauteur variable à la base des parois, aux deux extrémités.
La solution saute aux yeux la zone fruste représente le travail de
:

seconde main exigé par le relèvement inconsidéré des galeries


inverses. L'équipe septentrionale, qui se jnontre plus fiévreuse et
bouscule son axe à droite et à gauche, arrive avec un niveau de
trente centimètres plus bas que celle du Sud, plus calme et plus ferme
dans son cheminement. Dès qu'est enfoncée la dernière cloison et
quon sest touché par une lucarne quelconque, au point x, la tâche
est simple de corriger l'erreur et l'on y met plus d'empressement
que de soin, car le travail reste grossier et dans la précipitation à
frayer le chemin des eaux, on ravale presque plus que de raison (1 !.

L'élévation démesurée de l'extrémité méridionale devient ainsi pas-


sablement simple, en ajoutant à l'ascension graduelle du plafond
signalée tout à l'heure dans la percée l'abaissement inverse du radier
quand Aucune observation ne demeure possible
la trouée est finie.
immédiat trop bouleversé; mais à partir d'une dizaine de
à l'orifice
mètres, à tout le moins depuis la station h, le ravalement parait
assez accusé par la nuance d'exécution et le rétrécissement pro-
gressif du canal vers la base, au point même de déplacer notable-
ment l'axe général. J'estime qu'à la stat. b la hauteur ravalée est
d'à peu près l'",iO, quoique, sur des parois polies à l'excès par le
frottement et couvertes d'une patine luisante, la démarcation précise
ne puisse être aussi bien saisie qu'ailleurs, stat. q par exemple, où

(1) Deux centimètres de Irop au point précis de jondion.


CHRONIQUE. 431

elle n'est plus qu'à vingt centimètres du niveau moyen du radier.


Déduits de la hauteur totale à ce point, ces vingt centimètres ramè-
nent la galerie primitive à (2°', 05 — 0"',20 =) 1",85, c'est-à-dire bien
près de la moyenne intentionnelle suggérée par l'examen des cotes
hors des zones extrêmes et suggérée aussi par le tunnel délaissé,
galerie IV. Dans cette même galerie, on constate un relèvement de
1"',65 surune longueur un peu inférieure à 10 mètres; c'est prati-
quement la même pente qu'à l'embouchure de l'aqueduc, où ne
peut être saisie aucune trace de ravalement. A une trentaine de
mètres du point de départ, on s'est aperçu sans doute qu'on s'élevait
Ijeaucoup trop vite; le plafond a été aussitôt rabaissé avec mie pro-
gression inverse, et 40 à 50 mètres plus loin il a été fixé à la hauteur
projetée pour le tunnel. Seuls les accidents de stratification géolo-
gique lui infligeront encore çà et là quelques oscillations.
A l'extrémité septentrionale l'état de choses n'est plus tout à fait le
même. Il y a bien aussi une ascension du plafond dans le sens de la
percée v-A, mais sur6à7mètres seulement. Dans les 35 mètres suivants
dérangée que par des mutations d'assises, et brus-
l'horizontalité n'est
quement, quelques mètres à peine en avant de s, la retombée en plan
incliné diminue la galerie de l^^S, tandis que le radier se maintient
horizontal et va même se relever d'environ 12 centimètres de 5 kz. Là
aussi le sol primitif du tunnel a néanmoins pas avec la
été rabaissé,
même énergie qu'à l'extrémité opposée. Dans une roche beaucoup plus
dure la trouée avait été plus modérée et non seulement on n'avait
pas à exagérer ici la hauteur en créant après coup une pente bien
prononcée vers Siloé, il fallait combiner au contraire, avec la hauteur
voulue pour assurer l'écoulement facile vers la piscine, le raccord
avec la source à travers une galerie préexistante VI") et d'un niveau
plus bas. Au lieu donc de corriger le plan incliné primordial a-v
dans le sens opposé, l'ingénieur se contenta du ravalement néces-
saire pour obtenir un radier tellement quellement horizontal en cet
endroit. Un remblai en béton haussa le sol de la galerie YI et de
l'entrée v au niveau pour assurer l'introduction de l'eau. Ce
utile
dispositif offrait encore l'avantage de créer au début de Taqueduc
une longue zone où stationnerait toujours un certain volume d'eau :

10 à 12 centimètres de profondeur moyenne; à chaque montée de


Ja source cette eau se renouvelait et le jaillissement nouveau, cou-

lant avec une certaine lenteur sur cette dépression, pouvait se cla-
rifier avant de franchir le petit seuil du point r pour se précipiter

ensuite d'un élan plus accéléré jusqu'à Siloé sans envaser trop rapi-
dement le tunnel. A ce point de vue et malgré la première appa-
432 REVUE BIBLIQUE.

rence de caprice ou d'exécution au petit bonheur, le tunnel est donc


une œuvre ingénieusement conçue et convenablement réalisée.
L'analyse du tracé même est loin d'être aussi facile. Cet S bizarre
couché sous la colline entre le bassin de Siloé et la fontaine de la
Vierge est demeuré longtemps une agaçante énigme ; car il était
vraiment malaisé de considérer comme une solution, par exemple,
l'a^ds de M. le capitaine Gonder (1) qui passait tout au compte de la

maladresse des ingénieurs antiques. Mieux valait donner sa langue


au chat bien avant que des leçons très précises données par les
et
fouilles contemporaines aient contraint à déchanter de cette gra-
tuite imputation d'incompétence, M. Clermont-Ganneau (2) faisait la
preuve qu'elle n'était pas fondée. Pour lui, tout au contraire que ce
tracé résulte de tâtonnements ignares, il avait été établi, par des
moyens un peu simplistes sans doute, mais déjà pratiques, avec une
très remarquable précision. Décompte fait de quelques erreurs de
main-d'œuvre (3), c'est tout à fait intentionnellement qu'on a che-
miné ainsi par deux courbes immenses, au point d'augmenter de
plus d'un tiers la longueur de tunnel en roche vive. Et la pénétrante
sagacité du savant français découvrait de l'énigme une solution que
nul ne pouvait manquer d'estimer heureuse pour qu'elle fût défini- ;

tiv^e, il y fallait seulement quelques vérifications les unes par des :

sondages peu à la portée du premier venu, les autres par un examen


renouvelé du tunnel. Telle était en raccourci cette solution I, la :

courbe méridionale a eu pour motif la nécessité de contourner par le


Sud et l'Est les hypogées royaux qu'on s'exposait à éventrer dans
un trajet direct entre la piscine et la source ; II, la boucle plus courte,
au Nord, a pour but d'amener l'eau sous un puits ou des puits —
— permettant de puiser en sécurité du sommet de la ville; proba-
blement aussi le désir de recueillir sur le parcours certaine source
secondaire a motivé encore cette direction ik). Aujourd'hui la néces-
sité parait inéluctable de chercher quelque autre explication à cette

boucle. Il nous a été impossible de constater aucun orifice de puits


sur tout son développement, et s'il existe une ouverture quelconque
dans cette section du tunnel, j'avoue qu'elle doit être bien herméti-

(1) QS., 1882, p. 128; Mem. Jerus., p. 362.


(2) Recueil d'archcol. orient., II, p. 269, 275 s., etc.

(3) Inévitables en tout travail de mine, mais particulièrement fréquentes quand la galerie

souterraine est percée par des ouvriers inexpérimentés. La constatation n'en a été que trop
facile au cours des récentes fouilles à Ophel, et il en doit être de même partout. Voir par

exemple l'observation très catégorique d'un expert non moindre que M. J. de Morgvn,
Fouilles à Dahcliour, 1895, p. vin.
(4) Op. l., pp. 271 s., 281 ss.
CHRO.MQLE. 433

quement scellée pour s'être soustraite à la recherche. De source, en


tout cas, il n'en existe point, c'est très sûr. La fissure il) où l'on avait
cru percevoir un bruissement d'eaux est demeurée béante, au milieu
de la paroi dél)layt''e. pendant plus de trois semaines. Cette fissure,
étroitement localisée, ne porte pas la moindre trace caractéristique
d'un ruissellement; dès avant le curage, un examen plus prolongé
que les anciens explorateur n'avaient eu la facilité de le faire, don-
nait la certitude qu'il existait là tout bonnement une de ces cavités
innombrables, tapissées de concrétions calcaires par des suintements
fréquents ainsi qu'il s'en produit sur toute l'étendue de la colline. Cette
anfractuosité était d'ailleurs remplie, plus haut que le niveau de boue
séculaire dans le canal, d'une boue très fine, refoulée à l'intérieur par
le remous du courant et qui s'égouttait lentement à eau basse mais :

n'est-ilpas évident que le moindre jaillissement d'eau par cette cre-


vasse eût à l'instant repoussé toute cette boue dans le canal? Le bruit
d'eau courante signalé par divers observateurs s'explique s'il a été
perçu pendant l'activité de la fontaine.
produit alors, dans la Il se
chambre d'eau, un bouillonnement bruyant dont la sonorité augmente
à travers le tunnel à mesure que le courant s'y précipite. Onde sonore
et courant d'eau viennent se briser contre un tournant tout voisin de
la crevasse et y tourbillonnent. Dans les accalmies de la source, par
une atmosphère extérieure tout à fait tranquille, on ne perçoit pas
plus de bruit devant ce trou que devant n'importe quelle paroi saine
de la galerie; qu'un peu de vent souffle, au contraire, et voilà le
courant d'air plus ou moins violent rétabli dans le tunnel, rétabli
aussi le bruissement plus ténu dans la crevasse de plus en plus sèche.
Le motif allégué pour rendre compte de la boucle méridionale
demeure jusqu'à ce jour intact à l'heure où paraissent sur le point
:

d'être réalisées enfin les vérifications souhaitées par M. Clermont-Gan-


neau lui-même, on perdrait le temps à remuer des mots pour ou
contre la localisation de l'hypogée davidique. C'est le sol qu'il est
maintenant utile de remuer dans cette région avec le soin et la dili-
gence que M. A. continue de mettre dans l'exploration de la courbe
septentrionale. L'examen du tunnel a cependant fourni un très menu
détail que M. Clermont-Ganneau eût probablement exploité à l'appui
de son argumentation s'il en avait eu connaissance. Il a fait état de

deux cavités, mentionnées dans les descriptions insuffisantes du


passé, pour émettre l'hypothèse de sondages jjratiqués par le vieil
ingénieur du tunnel en vue de s'assurer qu'il ne compromettait

(l) L dans la coupe, pi. .\I.

REVUE BIBLIQUE 1912. — X. S., T. IS. 28


434 REVUE BIBLIQUE.

point la sécurité ni la paix des tombes royales, quoiqa'en les ser-


rant de très près. Ces cavités n'ont pas été méthodiquement dé-
blayées et leur déAeloppement précis nous est encore inconnu;
mais en l'état actuel il est impossible de voir là autre chose que des
cavernes naturelles à la base de l'assise géolog-ique du mezzy
doux. Des cavernes toutBS semblables, aux dimensions près, se sont
rencontrées sur l'axe même du tunnel, créant au plafond ces enfon-
cements irréguliers, pris assez souvent pour des puits en communica-
tion avec la surface. En pratique, du reste, la constatation de ces
cavernes, frôlées au passage de la galerie, fournissait à l'ingénieur
une information au moins équivalente à ce qu'il eût pu obtenir par
des sondages. Et pour remplacer les sondages artificiels comme
trace de spéciale précaution dans la marche en cet endroit, il faut
signaler deux cartouches ébauchés dans la même paroi et précisé-
ment aux abords de ce que M. Clermont-Ganneau a nommé la « zone
dangereuse ». Ébauchés seulement, hâtons-nous d'y pour pré- insister

venir toute imagination d'écriture à découvrir moyennant une inves-


tigation plus minutieuse que nous ne l'aurions faite. Le tableau n'a
été que légèrement ravalé et jamais poli, ni même layé avec le soin
utile pour qu'une inscription y puisse être gravée; mais le p mneau
est là, bien nettement délimité et de tout autre touche que le reste
des parois (1). Nulle part ailleurs, dans le tunnel, nous n'avons pu
observer rien d'analogue. Bien qu'on ait pu, à la rigueur, rêver de
quelque texte commémoratif aux abords immédiats de la jonction,
on n'a rien gravé, rien préparé même pour la gravure en cet endroit
et la moindre réflexion rend cela infiniment naturel. A pr 'xiniité de
l'embouchure, où la galerie très haute permettait une assoz facile
circulation, des inscriptions même situées aussi avant que A et Z>
demeuraient accessibles. Vers le milieu du tunnel, dans un passage
incommode et ténébreux, à quoi bon écrire la mémoire d'un triomphe
que personne n'oserait venir lire, sinon de loin en loin peut-être un
surveillant du canal? Et le triomphe contemplé à ce point précis
n'allait pas sans quelque petite entorse en face des parois massacrées
et à la suite de sinuosités trop capables de trahir les hésitations

(1) La relation manifeste entre le cartouche A —


déformé accidentellement dans un angle
— et ladernière section observée de la « ligne de nivellement primitif » ne sugj-ere-t-elle
point l'intention de commémorer par un texte le succès de ce nivellement ? Bien entendu
le texte eût gardé autant d'aisance pour se taire sur les peines qu'on avait eues à lixer ce

niveau que l'inscription gravée un peu plus loin sur les vicissitudes inquiétantes d'une
percée qu'elle représente menée tout droit au point voulu. Il est impossible d'ima^jiner la

nature du document projeté pour le cartouche D, plus grand et de forme dift'érenle;

mais sans doute on n'eût pas voulu s'y vanter de n'avoir point troué l'hypogée royal...
CHRONIQUE. 435

cruelles d'une marche qu'il était mieux de laisser supposer droite


et sûre d'elle-même. Combien mieux choisie fut la situation de l'ins-
cription triomphale, assez avant dans le tunnel pour être soustraite
aux dégradations, assez proche toutefois pour être bien à la portée
des visiteurs auxquels on ne devait pas manquer de la signaler en
leur contant l'histoire de « la percée » !

n a pas semblé utile de reprendre en détail un problème étudié


Il

naguère avec soin par MM. les officiers Gonder et Mantell (1) celui :

des petites cavités artificielles ou simples encoches, triangulaires ou


carrées et de la valeur qu'elles pourraient avoir comme repères des
mesures calculées par l'ingénieur du tunnel. On s'aperçoit vite en
effet que non seulement leur répartition capricieuse exclut toute

idée de symétrie, mais qu'en outre leurs intervalles déconcertent


les plus patients essais de réduction, même sommaire, à quelque
système métrologique ancien ou moderne. Leur forme même, au sur-
plus, n'est déjà guère propre à suggérer l'idée de marques de men-
suration pourquoi des triangles aussi creux, au lieu de la simple
:

fête de flèche très spontanée et usuelle de nos jours en cette fonc-


tion? et si la profondeur donnée à rentaille triangulaire pouvait
avoir encore un semblant d'explication, pourquoi les carrés de trois
et demi à quatre centimètres de côté, par conséquent aussi impropres

que possible à fournir le repère précis que l'on pouvait obtenir avec
une simple ligne? Sans compter que la succession fantaisiste des
carrés et des triangles déroute absolument toute classification et que
leur situation tantôt sur des tournants, tantôt en des sections assez
droites, mais toujours relativement près du plafond, ne sont pas plus
propices pour des mesures. Cette situation générale peut, il est vrai,
devenir un indice de tout autre nature. Dans certaines sections
hautes où Von peut apercevoir des encoches presque sous le plafond,
tandis que la base des parois se révèle fruste et irrégulière, il semble
bien que leur présence confirme l'idée d'une galerie primitive ou-
verte d'abord avec une hauteur moindre et dont le sol a été ravalé
après coup jusqu'à un niveau qui rend parfois les encoches plus
étranges en les élevant beaucoup plus que la portée de la main.
A première vue les cavités triangulaires évoquent l'idée de niches
à lampes,comme les hypogées des époques les plus variées en pré-
sentent un assez grand nombre.
suffît pourtant d'observer ici
Il

l'exiguïté constante et le défaut de profondeur pour se convaincre


que jamais lampe utile d'aucune forme ne put être insérée là de-

(1) QS., p. 127 et 131; Mcm. Jenis., p. 362, 365.


436 REVUE BIBLIQUE.

dans. Le hasard d'une observation faite au cours du déblaiement


fournit peut-être de ces trous l'explication la plus simple. J'avais
maintes fois remarqué, en d'autres tunnels, la dextérité des ouvriers

dans rinstallation de leur luminaire, par exemple, ou de petites sus-


pensions pour quelques bardes dun coup de marteau bien calculé :

ils faisaient sauter un éclat de roche au niveau utile et la chandelle,

empâtée dans une pincée de boue, était campée sur cette anfractuo-
sité ; ailleurs un coup de pic élargissait les
/.\V-^.'\.>.jVv
lèvres d'une fissure et le premier bout de
bois venu se transformait en cheville au
bout de laquelle on pendait un vêtement
et parfois la précieuse gargoulette d'eau
fraîche. Dans l'aqueduc, l'éclairage avait
y:- été assuré par des lanternes pendues à des
traverses fixées sous le plafond. Un accident
arrache un jour sous mes yeux une de ces
traverses; l'ouvrier le plus voisin décroche
f-. la lanterne, une des en-
avise justement
tailles triangulaires et d'un tour demain y
it-' '>^^^- a fait tenir le lumignon au moyen de deux
éclats de bois cassés avec sa pioche dans la
traverse tombée (fîg. 12). En quelques coups
Fig. 12. — Rôle encoches
lies
mineur antique se créait pro-
de ciseau le
dans les parois du tunnel.
bablement
un support de lampe et ainsi
l'on conçoit qu'en bon professionnel il ait mis une certaine coquet-
terie à faire ses trous corrects, ne pouvant se satisfaire, comme les
terrassiei-s modernes de Siloé d'une échancrure brutale dans la
,

paroi.
Essayons enfin, pour aboutir maintenant à une idée d'ensemble de
ce singulier monument, de le parcourir en suivant successivement
lesdeux équipes parties des extrémités opposées. D'abord celle qui
débute à la fontaine 1 On la trouve tout de suite aux prises avec
: .

deux difficultés énormes se garantir contre l'envahissement des


;

êâux mesure qu'elle progressera plus sinueusement au


et s'aérer à
cœur de la montagne. Contre la source on s'est défendu très habile-
ment, par le simple choLx d'un point de départ isolé, quoique à
proximité immédiate ce que nous avons appelé la u chambre ronde »
:

et le tunnel V. Sans doute, quand on s'est ravisé et que cette pre-

(li Pour éviter de créer un brouillamini avec des indications de points cardinaux, on
l'appellera, le cas échéant, équipe .1; l'autre, équipe B.
CHRONIQUE. 43*

mière direction théoriquement si bonne est abandonnée, on se jette


un moment dans un état archaïque de la galerie VI, au risque d'être
inondé par le courant que cette galerie convoyait sous le puits ver-
tical d'Opliel; mais il n'avait certainement pas été malaisé d'en
bloquer l'orifice sur la chambre d'eau pour l'assécher tout a fait en
refoulant le déliit intégral de la fontaine dans les canaux extérieurs,
galeries I et II. Hestait le danger d'accumulation momentanée par
des suintements; on pouvait se prémunir de ce côté par l'évacuation
artificielle et peut-être avait-on ajouté à cette ressource la précaution
d'accentuer le relèvement de la galerie nouvelle amorcée sur un point
convenable du vieux conduit. C'est là en réalité que débute la sec-
tion septentrionale du tunnel-aqueduc. Grâce à la communication
désormais établie entre la « chambre ronde » et le « tunnel vertical »
d'Ophel, un courant d'air permanent et intense circule devant l'ori-
fice du tumiel horizontal et peut s'y engouffrer si l'on a eu la pré-

caution de ménag-er le plus simple écran dans la galerie VI. L'aéra-


tion est donc amplement assurée, aussi longtemps du moins que
l'équipe Nord cheminera en ligne à peu près droite. Après le coude
énorme qui la rejette vers le Sud (station xliv) et à mesure que la
galerie rétrécie va se tordre davantage, il est incontestable que la
difficulté d'aération ira croissant. A quelle limite exacte elle devien-
dra radicalement insuffisante ou nulle, peut-être quelque habile
ingénieur des mines saurait-il approximativement le déterminer, en
tenant compte de la situation réelle do cette galerie dans le roc. Et
qui dira en toute assurance aujourd'hui si les mineurs qui creusèrent

cette galerie ne connaissaient aucun artifice plus ou moins rudimen-


taire pour refouler de l'air à une certaine distance? Si quelque jour
enfin un explorateur plus heureux découvrait l'existence d'un puits
sur le parcours, tout serait simplifié il).

A du point qui lui a été assigné pour commencer l'incli-


partir
naison normale de sa galerie vers le Sud, l'équipe A, qui opère dans
la roche la plus rebelle, mezzy rouge, —
tend à restreindre sa —
trouée, maintenue à une hauteur moyenne de l"',6ô. Il se peut que

(1) L'extrême difficulté qu'on a eue dans les travaux récents pour aérer à partir de
60 mètres la galerie II, ne peut être alléguée au sujet du tunnel. D abord l'ouverture de
cette galerie sur l'escalier de la source était aussi défavorable que possible à la circulation
de l'air. En second lieu la nature des décombres ajoutait à la pénurie d'air un dégagement
de miasmes plus néfaste encore. Entin ce n'est pas seulement une très petite équipe un —
mineur et quelques aides —
mais jusqu'à 25 ou 30 ouvriers qui évoluaient jour et nuit là
dedans. Depuis que le travail a cessé, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de constater que l'air
parvient de la source jusqu'à la tète du déblaiement en quantité suffisante pour que les
bougies brûlent et qu'on respire très à l'aise.
438 REVUE BIBLIQUE.

la hâte de courir au but ou quelque émulation d'équipe à équipe (l)

soit cause de la diminution extrême à 1^,52. Quand on examine


la
très attentivement les sections ainsi diminuées, on est enclin à dé-
charger la probité des mineurs de cette tricherie; tricherie d'ailleurs
bien inolFensive, puisque les minimums enregistrés, l'",58 (o), l",52(ar),
ont encore toute l'ampleur utile pour une exécution très normale
par des hommes
ni plus ni moins favorisés de taille que ceux de nos
jours. semble en effet qu'en tous ces endroits on ait laissé le
Il

plafond suivre à peu près exactement une assise géologique régula-


risée vaille que vaille; et comme le radier ne pouvait être baissé à
volonté, la galerie s'est trouvée momentanément réduite. Dès qu'ils
en ont la facilité, grâce au relèvement de l'assise, nos honnêtes mi-
neurs augmentent leur tâche en faisant leur galerie plus haute.
Quittons-les à la stat. xxxv pour du Sud.
aller rejoindre l'équipe
marché bon train, celle-là, dans des couches beaucoup plus
Elle a
molles où la fréquence de cavernes naturelles accélère d'autant son
cheminement, d'autre part beaucoup plus facile à diriger grâce au
puits ouvert entre les stations xiii et xiv. Elle n'ignore très proba-
blement pas que son niveau est trop élevé, mais elle s'y tient long-
temps; il sera beaucoup plus simple en effet de régler la pente après
l'ouverture (|u'il ne pourrait l'être de la calculer avant et de la
maintenir pendant l'exécution. Passé le puits et la direction générale
reprise sur celle de l'équipe A, la galerie progresse avec fermeté.
Si dans l'ensemble elle est d'une moyenne plus élevée, avec un pla-
fond plus accidenté, cela tient uniquement à sa situation dans un
banc de roche moins compacte. Cependant les fissures se font plus
rares ; la dernière qui ait laissé sa trace a produit dans le plafond
une sorte de coupole fruste (2) qui déborde même un peu les parois.

(1) Encore une hypothèse de M. Condor, Q.S'., 1882, p. 128. Il en déduisait celte con-
clusion trop confiante que les mineurs devaient «^tre d'une taille inférieure à la moyenne
aujourd'hui courante en Palestine. Un sondage quelconque eût éliminé avec fruit celte spé-
culation anthropologique de mauvais aloi, reproduite du reste dans Mou. Jerus., p. 362.
(2) Vue à la dérobée, par des explorateuis contraints de se hâter et pourvus peut-être
d'un insuffisant éclairage, cette cavité a été signalée comme un second puits. Déjà M. Conder
(QS., 1882, p. 130 et Mem. Jerus., p. 364) notait correctement que ce « puits « avait « un
plafond de roc » et c'est sans doute son expression mal choisie « second shaft » inscrite
dans la coupe du tunnel qui a fait passer son observation inaperçue. Ignorant du reste la
vraie profondeur du radier, il voyait en ce trou un refuge où le mineur harassé de son
travail supposé à plat ventre ou démesurément courbé viendrait par intervalles se détendre
l'échiné ou s'abriterait contre une crue subite des eaux. D'où serait venue l'eau en cet en-
droit pendant la percée'/ MM. Perrot et Chipiez (Hist., IV, Judce, p. 421) font état de l'in-
formation fournie par M. Conder sur le « puits » inachevé, mais pas M. Clermonl-Ganneau
beaucoup plus tard {Uec, II. 275).
CHRONIQUE. 439

Le passage momentané dans couche de mezzy dur provoque une


la

réduction très prononcée de hauteur, mais la marche demeure


la
ferme, ou commence à peine à osciller quand on atteint la sta-
tion XXII. On n'est guère plus qu'à une cinquantaine de mètres les
uns des autres en droite ligne de faciles contrôles des mesures dans
;

les galeries et par lextérieur ont pu indiquer ce voisinage, peut-être

même l'exagérer (1). Aucune inquiétude ne se trahit encore dans le


progrès par chaque voie; on a seulement modifié quelque peu les
directions sur des indices qui nous échappent et dans un sens opposé.
De XXXV à XXXIV, l'équipe .4 cesse de courir ce qui était pourtant —
assez bon — en plein Sud et se jette énergiquement vers l'Ouest;
l'équipe B décrit vers l'Est un mouvement qui. à tout prendre, n'est
pas inexact. Elle touche à peu près le point que nous avons noté
station xxii quand l'autre est à xxxui. A trente mètres maintenant
tout au plus, dans une roche sonore comme le malaky. on a dû s'en-
tendre et chercher à se repérer au moyen de signaux convenus. Entente
incorrecte et néfaste, à coup sûr, puisque voilà les mineurs en route
vers l'Ouest :ceux du N. avec une résolution déconcertante de xxxiii
à XXXII, ceux du S. plus pondérés, à leur habitude, de xxin à xxiv

(pi. X, 2). On ne tarde pas trop à se reprendre et ce repentir est gravé


nettement des deux côtés par les fausses coupes (2). L'équipe B n'hé-
sitemême pas à rétrograder pour reprendre, un mètre environ en
arrière, l'axe de sa galerie quelle replie franchement à l'Est, tandis

(1) esl curieux à ce point de vue de rappeler l'anxiété momentanée de Robinson. Il


II

avait mesuré une première dislance de 800 pieds à partir de la piscine. Éprouvant trop de
difficulté vers le centre du tunnel envasé, il rétrograde et reprend l'exploration quelques
jours plus tard par l'extrémité opposée, non sans avoir eu la précaution préalable de me-
surer la « dislance extérieure » présumée de 1.200 pieds. Tandis qu'il rampe ensuite et que
les centaines de pieds se multiplient dans cette zone septentrionale, il lui vient le soupçon
qu'il est engagé dans un autre passage. A la fin pourtant, il rejoint son point d'arrêt anté-
rieur, additionne ses chiiTres et constate un total de 1.750 pieds où il en escomptait 1.200.
Il ne peut retenir l'exclamation quelque peu étonnante pour nous : « résultat à peine con-
cevable quoique le passage soit très sinueux » [Bihl. lies., I, 339MI est juste de l'observer,

au du lecteur qui n'aurait aucune expérience de la difficulté d'orientement dans un


profit
boyau de roc dépourvu de tout rept-re à moins de contrôle précis et ininterrompu sur le
:

cadran d'une boussole, on ne saurait croire, en parcourant le tunnel, à la réalité des sinuo-
sités étranges qui font rêver sur un plan. A la longue, certains détails des parois localisaient
pour nous les principaux coudes. Une expérience pittoresque nous a prouvé qu'un visiteur
très averti pouvait être promené entre les stations v-xni et xl-l sans savoir marquer où se
prononçait la courbe. Connaissant au contraire la situation théorique du puits, il savait aisé-
ment indiquer, entre xiii-xiv, le retour d'axe vers un autre point cardinal. Ce phénomène
très naturel n'entrerait-il pour rien dans la marche réalisée par les mineurs?

2) La nature de ces deux enfoncements avait déjà été bien devinée par M. Clermont-
Ganneau [Rec. Il, p. 279). Quelques ingénieurs anglais (cf. Mem.
Jerus.. p. 360) y voyaient
des garages permettant de se croiser dans la traversée du tunnel. Pourquoi ces deux seuls
et si rapprochés'.' On peut d'ailleurs se croiser tout le long.
4i0 REVUE BIBLIQUE.

que l'équipe A prolonge son tâtonnement par le Sud, de x-xxii à xxxi.


Les têtes de sape divergent donc à nouveau et cela doit se constater
assez vite. A xxv l'équipe Sud a, pour la seconde fois, le courage de
changer en plein sa direction pendant que léquipe Nord s'oriente
convenablement à sa recherche. Aux stations xxvi etxxx
enfin assez
de part et d'autre la distance horizontale est réduite à 5 ou 6 mètres
environ, mais le danger devient plus imminent de se dépasser sans
se toucher. Le calcul se fait de plus en plus vig-ilant et la marche est
enfin convergente. A xxvii pour B et xxix pour .4, au lieu de pour-
suivre des directions excellentes, on se laisse déconcerter par quelque
fausse résonance et la déviation soudaine deB sur l'Ouest menace-
rait de tout compromettre sans un fléchissement de l'autre équipe
vers le Sud. Graduellement on se rapproche, mais l'équipe A trahit
décidément une excessive nervosité et saccage les parois de sa galerie
en les poussant de droite et de gauche d'un moment à l'autre sui-
vant les sons qu'elle croit percevoir d'ici ou de là. On n'est plus
qu' « à trois coudées » et les « appels réciproques » mentionnés par
l'inscription sont désormais très distincts. A xxix enfin, c'est la ren-
contre et l'enthousiasme du succès.
Succès bien humble, à notre moderne estimation, et cependant in-
déniable, à une époque où l'on n'était pas en familiarité avec les per-
foratrices à vapeur, les trépans percement des mon-
mécaniques et le
tagnes. On avait troué de part en part une
montagne, petite si l'on
veut, mais montagne tout de même, et changé de place une source.
L'eau ne coulait pas encore et tout de suite, quoi que puisse en dire
l'inscription emphatique, dans les tronçons du tunnel qu'on venait
de raccorder; elle coulerait néanmoins bientôt, ce n'était plus qu'une
affaire de jours, de peu de jours (1) en comparaison du labeur énorme
si heureusement réalisé. Déjà on s'est fiévreusement repris au tra-

vail. Sans plus aucun souci de dressage correct, on creuse la galerie


aux points et de la quantité voulus, cependant qu'ailleurs on rec-
tifie au moyen d'entailles latérales des saillies par trop ridicules et

des ondulations d'axe exagérées au delà de toute mesure. On établit


à l'entrée un épais et long remblai de béton dans la galerie VI qu'on
vient d'élever normalement jusqu'à la chambre d'eau; toutes les

(1) Un calcul trop minutieux pour être détaillé ici, me porte à croire que les 650 mètres
cubes de pierre représentés par le forage complet ont pu être débités, dans les conditions
où un intervalle maximum de 250 jours. Examinée par une autre voie, plus
l'on opérait, en
serrée en ce qu'elle tient mieux compte des roches diverses —1/3 dans le mezzy dur et
2/3 malaky ou mezzy doux — mais moins sûre parce qu'elle table sur des observations
faites dans des circonstances très variées et avec l'outillage des carriers palestiniens mo-
dernes, l'opération aurait pu être réalisée en 180 à 200 jours.
CHRONIQUE. 4ii

galeries latérales sont obturées par un Ijcton identique et un cré-


pissage imperméable revêt sur les deux tiers de la hauteur les parois
du tunnel surtout dans les zones de roche plus fissurée. Et cette fois
enfin « les eaux coulent depuis leur issue naturelle jusqu'à la piscine,
sur 1.200 coudées »: les mineurs ont su frayer leur voie avec
u 100 coudées de hauteur du roc au-dessus de leur tête )>. Des esprits

rebelles à Tenthousiasme et prompts au dénigrement ont inculpé


ici encore la sincérité du pauvre texte officiel comment 100 cou- :

dées, alors que sur les 3 i de son parcours le tunnel n'est pas à plus
•le iO ou ôO coudées sous la surface C'est brutalement exact, mais
I

l'inscription commémorative est-elle vraiment si mensongère d'avoir


osé généraliser à tout le tunnel une indication rigoureusement vraie
sur 1 30^ longueur?
au moins de sa
Pour de ne pas trouver excessives les cri-
le reste, force est bien
tiques des ingénieurs contemporains, qui voient dans cet aqueiluc
l'œuvre d'ingénieurs primitifs et sans la moindre pratique de n'im-
<(

porte quels instruments précis, ou méthodes de mesure (1 Aucun y> .

graphique, si expert et si détaillé (piil puisse être, ne saurait pré-


tendre reproduire avec une minutie rigoureuse les oscillations du
tracé et surtout les plissements invraisemblables des parois, même
dans les sections les plus finies. Mieux que tonte description, la pho-
tographie pi. XII donnera quelque idée de sa nature au point le
plus réellement émouvant la fameuse jonction qui coûta des anxiétés
:

si cruelles.
Aussitôt les relevés finis et contrôlés, des ouvriers cimentèrent en
hâte les fissures. Le 11 octobre M. A. renvoya dans le tunnel la source
dont le débit était à peu près doublé par les réparations au bassin.
En quelques instants les eaux avaient rempli toutes les dépressions
du radier le flot arrivait, limpide et impétueux, à la piscine et le
:

bruit de la fête qui salua son retour et son augmentation résonnera


longtemps à mon oreille comme un écho des premières et ardentes
acclamations au jour lointain de « la percée ».

5. — A. Les cavernes funéraires et hijpogées artificiels.

Un autre non le moins attrayant puisqu'il inté-


résultat, et certes
resse directement le problème fameux de Sion, demeure réservé. Au
moment où se clôt la campagne actuelle, les explorateurs sont sur la
trace de la fortification primitive au sommet du coteau. Ils sont déjà
en possession de vestiges cananéens archaïques bien caractérisés,

(1) CoNDER, Mem. Jenis., y. 36i.


-4?/ caver

de ''^"^^
plaie. - forint SiwèrieiLre la. CoUtcrLC />V^

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= counod. JE.

Fig. t3. — Plan <i'enseml)le de la zone centrale des touilles.


CHRONIQUE. 443

surtout dans une immense caverne funéraire dont l'exploration mé-


thodique seulement inaugurée. Enfin ils ont mis la main sur une
est

sépulture ét;yptisante très remarquable, dont la céramique mer-


veilleusement intacte comprend les plus belles pièces jus(|u'ici dé-
couvertes en Palestine, et recule d'un bon millénaire avant Abdkhiba
le développement de la civilisation sur le mamelon où fut campée
Jérusalem aux origines.
Ces brillantes découvertes doivent attendre des recherches futures
les précisions qu'on entrevoit, mais qu'on n'a pas eu le loisir de réa-
liser encore. Tel est néanmoins Texceptionnel intérêt de ces informa-
tions, qu'il a paru nécessaire de les insérer dans ce compte rendu
provisoire, au moins sous forme de simple énoncé, remettant à plus
tard le commentaire technique et les descriptions détaillées. Le dia-
gramme fig. 13) fixe la situation des principales galeries de fouilles
et permettra de localiser tout le détail archéologique à passer briève-
ment en revue 1 . La galerie 1 de
a suivi les sinuosités d'une paroi
roc irrégulièrement évidée de très vieille date par érosion. Grâce aux
bizarreries de texture géologique, le banc rocheux exposé naguère à
air libre a pris l'aspect d'une longue caverne auxanfractuositésplusou
moins profondes et sensiblement parallèle au sentier moderne. Dans
chacune de ces anfractuosités durent être jadis aménagées des sé-
pultures et il en est providentiellement demeuré quelques-unes assez
intactes pour fournir une très utile documentation archéologique. Le
groupe le plus important parait occuper en grande partie une ca-
verne latérale fort spacieuse, 1, développée sous la plate-forme
d'Ophel. Une assez singulière cheminée assurait une communication
telle quelle entre l'esplanade extérieure et la caverne. 11 ne paraît
pas que cet archaïque hypogée ait été intentionnellement boule-
versé ; néanmoins quelques éboulements du plafond disloqué et sur-
tout l'infiltration séculaire des eaux hivernales, l'infiltration plus né-
faste encore du drainage de la ville moderne ont été fatales aux
humbles sépultures. Le déblaiement très délicat n'aurait pu être
poursuivi avec fruit que moyennant évacuation de tous les décombres
par une tranchée ouverte devant la caverne. Les seules tombes dont
on ait déjà recouvré les vestiges avec une réelle précision, étaient
constituées par de petits enclos de pierres brutes alignés contre les
parois. Leur physionomie rappelle beaucoup les sépultures de la ca-

(1) A la publication qui suivra l'achèvement des fouilles sont réservés les plans,
coupes et croquis plus détaillés des cavernes et des tombes, ainsi que les coupes arcuéolo-
giques et les profils exprimant la superposition des débris et le relief du roleau en cet en-
droit le plus important de tous, à cause de la relation entre la fontaine et la ville antique.
444 REVUE BIBLIQUE.

verne de Gézer dans le stage qui succéda aux incinérations primor-


diales. Il ne s'y est pourtant rencontré aucun tesson encore, ni au-
cune trace de mobilier et dans cette cendre humaine il serait chimé-
rique de vouloir reconnaître la position donnée au cadavre.
Une tombe unique, non loin de lentrée sur la galerie I, a livré
quelques grossiers tessons d'une poterie modelée à la main et un
débris notable de fémur d'ailleurs bientc)t réduit en poussière. Un
peu plus haut dans la couche de décombres, à ce même endroit,
gisaient d'autres restes humains, entassés à peu près pêle-mêle dans
un petit cadre de pierres auquel il serait bien prétentieux de donner
le nom de ciste, quoique certainement artificiel. Plusieurs morts
avaient dû être déposés là dedans avec un simulacre de mobilier, dont
il subsistait des fragments de poterie de basse époque cananéenne, des

balles de fronde, un petit lingot informe de bronze, le tout mêlé à


quelques ossements animaux qui suggèrent des offrandes funéraires.
Détail plus remarquable la plupart de ces ossements humains of-
:

fraient, au moment delà découverte, une coloration ocre rouge très


foncée qu'on n'observait point sur les casseaux céramiques, ni surtout
sur les os d'animaux pourtant presque mêlés à eux. Ce détail ne ré-
sout assurément pas le problème épineux depuis longtemps posé par
cette fameuse coloration rouge des ossements constatée sur tant de
points et en des périodes si diverses; il est cependant bien de nature à
corroborer la théorie — trop décriée peut-être — qui estime cette co-
loration intentionnelle, impliquant un décharnement artificiel et sans
doute quelque portée symbolique. Dans le cas d'Ophel, il m'a été im-
possible de saisir le moindre indice d un suintement coloré par des
dépôts d'ocre naturelle. Et d'ailleurs comment imaginer qu'une telle
coloration ne se soit produite que sur les ossements humains et pas
les autres, si elle était le fait d'infiltrations naturelles?
Tout proche, mais déjà hors l'entrée de cette caverne latérale, la
tombe 2, blottie sous une puissante saillie de la paroi, conservait
assez intacte sa disposition première. A peine les ouvriers en avaient
ils fait apparaître le bord que, pour être bien sûrs de n'omettre abso-
lument aucune observation utile, nous nous en sommes réservé la
fouille, M. Y. et moi. L'humble et lugubre amas de terre et de cailloux
a été tout entier trié et déblayé à la main et chaque détail noté au fur
et à mesure qu'il apparaissait. Le petit banc rocheux où l'on voulait
déposer le cadavre avait été nivelé avec un certain soin au moyen
d'un béton en terre glaise énergiquement battue. Sur cette ban-
quette semble avoir été semé un lit de cendre et de débris calcinés ;

c'est là dedans qu'ont été retrouvés les menus morceaux d'osse-


CHRONIQLE. ^45

ments : un vestige de la calotte crânienne, a fig. li;, quatre ou


cinq anneaux de colonne vertébrale, ô, deux fragments de côtes, c.

quelques phalanges de doigts, d, le haut d'un fémur, e, et quelques


autres pièces impossibles à caractériser, du moins avec mes notions
sommaires d'anthropolosie. Le vestige du crâne avait été renversé
ou par le passage des rats ou par l'affaissement du môle de galets et
de terre qui couvrait la sépulture il gisait tout à côté d'un petit
;

fond de jarre qui avait dû être placé là tel quel, puisque aucun tesson
du même vase n"a été recueilli dans la fouille. Dans l'état des consta-
tations il serait téméraire de spéculer beaucoup sur la position du ca-
davre. On est toutefois enclin à le supposer étendu sur le côté gauche,

'
L t
I cenhyrtiCrej

14. — Plan de la toml;e 2 dans la paierie I.

tèteau sud-ouest et peut-être les genoux légèrement repliés. Une ca-


vité naturelle dans la paroi avait fait fonction de niche à offrandes.
Nous y avons recueilli, noyés dans une terre fine et compacte tassée
par lintiltration, une demi-douzaine de tessons exigus et informes,
plusieurs os d'oiseau et d'agneau, une très fine dent d'agneau ou de
chevreau, enfin d'assez larges éclats d'une coquille d'œuf. Tous les
débris de poterie sont d'une pâte rouge foncé, presque noirâtre, avec
un fort alliage de parcelles calcaires et de vagues empreintes du mode-
lase; aucune cuisson, mais sur l'un ou l'autre fragment quelque ves-
ti,£-e d'un enduit noir et sras. ou d'un polissage sommaire. Par chacun
de ces menus di'-tails cette sépulture se classe dans la catégorie dé-
sormais bien connue en Palestine des inhumations de la toute pre-
mière époque sémitique ép. énéolithique .

A défaut de pièces plus nettement caractérisées, il serait difficile


sans doute de faire la preuve solide d'une date aussi reculée. Mais ce
446 REVUE BIBLIQUE.

que n'a point fourni la lomlDe 2 s'était trouvé, par fortune, -dans la
tombe 3, découverte quelques jours plus tôt. Si je ne l'ai pas prise
pour type de description, c est que je n'avais pas assisté moi-même
à la fouille directe. D'après les inforaiations dues à l'obligeance de
MM. A. et Y., sa disposition était aussi semblable que possible à ce
que nous devions constater par la suite dans la tombe *2. Rien n'a-
vait pu être enregistré de la situation des ossements pulvérisés. En
compensation, une chance inouïe avait sauvé une admirable série de
vases cachés au bord de la tombe sous une corniche de roc et
protégés par un affaissement du petit mur en pierres sèches délimi-
tant la sépulture; à peine l'un ou l'autre avait-il été ébréché; les
pièces en ont été retrouvées et le patient labeur de M. Y. les a pres-
que toutes rajustées. Ces
vases seront rapidement
décrits plus loin et servi-
ront à dater la sépulture,
dont la conservation, ex-
lux et de traordinaire à première
vue, s'explique néan-
moins.
Pour fermer la caverne
probablement aussi pour
niche à. ^-andes-
ManoutUe junira.Lrtii'"''-^'' ^°'^
en soutenir partiellement
Fig. 15. — Coupe transversale de la tombe 2.
le plafond, les premiers
habitants du coteau qui
l'utilisèrent comme hypogée avaient construit une forte jetée en moel-
lons bruts. Beaucoup plus tard, les nouveaux occupants modifièrent
la destination de la caverne, du moins son aménagement. Il paraît
clair que long couloir
le au nord de la tombe 2 fut remblayé; rem-
blayée aussi l'extrémité méridionale de la caverne, où se trouve la
tombe 3 demeurée alors inaperçue. Pour consolider peut-être le pla-
fond rocheux, en vue de quelque édifice à ériger dans la ville au-
dessus, on substitua au vieux mur cananéen une mui-aille en solide
blocage dont une section a été sauvée. Une ouverture étroite y était
pratiquée, 4; on la élargie pour étudier la structure du mur et en
faire l'amorce d'une galerie d'exploration, II.

On ne s'attardera pas à décrire les sépultures de diverses époques,


isolées ou en groupes, sur le parcours de la plupart des galeries;
mais ilfaut signaler la double série de cavernes et d'hypogées arti-
ficiels mis à jour sur la rampe du coteau. Quand, du sommet d'O-

phel, on jette un regard sur l'escarpement oriental du Cédron,


CHRONIQUE. 447

aujourd'hui couvert par le village de Siloé, on voit bâiller à chaque


étage rocheux une multitude d'ouvertures quadrangulaires qui sont
des entrées de caveaux. Çà et là demeure béante une caverne natu-
relle plus spacieuse. Des considérations géologiques fort
simples
donnaient l'impression que des cavernes analogues devaient exister
sur la pente d'Ophel. Depuis les travaux de la mission de 1909-1911
l'exisience de ces cavernes est un fait auquel s'ajoutent d'intéressantes
constatations archéologiques.
A mi-hautour environ sur la pente, un décrochement des assises
rocheuses que l'épaisseur du remblai de décombres ne laissait plus
guère soupçonner a été révélé par la galerie XVIII et déjà en par-
tie exploré par la galerie XIX. On y peut escompter un assez grand

nombre de tombes les seules qui aient été complètement vidées


:

forment un groupe, G, H, I, à l'intersection des deux galeries. On


dirait leur installation inachevée.Le procédé de taille et la finesse
du dressage des parois les rendent exactement comparables aux plus
jolis caveaux de la colline d'en face; or on sait maintenant que ces

caveaux sont à peu près contemporains de la monarchie Israélite.


En avant de ce qui est aujourd'hui la chambre G, on avait aplani
tant bien que mal une certaine surface et ce travail de carrière a
laissé su trace dans des entailles assez caractéristiques, n" 15 par
exemple. Contre la paroi méridionale de chambre G un petit pi-
la
lastre, 12, —
interrompu à 0'^,iO au-dessus du sol et surmonté d'une
cavité ronde peu profonde, —
avait été réservé dans l'é vide ment du
roc. La chambre mesure 3"^ x 2™, 50 en chiffres ronds. Dans l'angle
S.-O., une porte, 11, devait la mettre en communication avec des
chambres projetées plus avant dans les entrailles de la colline. Par
quelque maladresse de l'architecte, peu au fait du sol sur lequel il
devait opérer, la galerie de forage trop haute déboucha tout à coup
sur un canal dans le roc, 10; l'excavation fut abandonnée, le petit
couloir 11 fut bloqué et pour agrandir la tombe à utiliser telle
quelle on pratiqua le réduit latéral H. L'espèce de niche / contre la
paroi extérieure, avec sa cavité ronde, 14, en manière de pressoir
dans le sol rocheux, demeure énigmatique si elle n'a pas quelque
rôle rituel dans l'aménagement prévu pour cette sépulture.
Tout le groupe dut être pillé avant le remblai à basse époque is-
raélite. Aucun vestige funéraire bien net n'a été retrouvé, hormis
deux de ces pots à long col et à une seule anse si fréquents dans les
du ix^-viif siècle et une lampe à bec pincé mais
sépultures Israélites
munie d'un pied, par conséquent de période à peu près identique.
Un mur, 13, en matériaux de remploi, où d'énormes pierres brutes
448 REVUE BIBLIQUE.

s'alliaient à de jolis blocs à refend archaïque, fermait l'entrée et


se développe peut-être plus loin au S. Il est certainement trop mas-
sif, trop soig"né aussi pour n'avoir eu d'autre rôle que d'obturer la

vieille tombe abandonnée ; il s'expliquerait mieux comme base de


quelque construction érigée sur cette terrasse.
Au point noté 16 semble exister un autre caveau qui reste à dé-
blayer.
Le développement de la galerie XVIII a donné l'exacte hauteur
de la terrasse inférieure d'Ophel, assez considérable celle-là pour
n'avoir pas été totalement dissimulée malgré l'entassement des débris
et la coulée des terres. Dans cette splendide paroi, haute en moyenne
de T mètres dans les endroits où elle a été le mieux dressée par la
nature, des tombes s'alignent à peu près sans interruption à divers
niveaux. A l'étage le plus élevé s'ouvrent les cavernes naturelles,
laissées plusou moins intactes par ceux qui les utilisèrent provisoi-
rement comme habitations aux origines lointaines de la cité. Il va
sans dire qu'on y chercherait en vain les vestiges de cette archaï-
que civilisation; trop de bouleversements se sont produits là, au
cours des siècles, pour que les humbles habitations troglodytiques
aient pu sauver leur pauvre et généralement fragile mobilier. C'est
à cet étage qu'appartiennent les cavernes E, F, Q (= K, L, de la M
planche V) utilisées dans le percement du passage secret entre l'es-
planade d'Ophel et la fontaine de la Vierge.
Au-dessous la roche malakij, plus saine et plus douce au ciseau, a
fourni toute commodité pour l'aménagement de spacieux hypogées.
Ils semblent avoir été d'un type assez uniforme et familier dans les

nécropoles de Jérusalem un atrium à ciel ouvert, une chambre inté-


:

rieure avec arcosolia couvrant des banquettes plates, sous lesquelles


ont été creusés parfois encore des koldin ou fours à cercueils.
Dans l'un ou l'autre des hypogées une chambre plus intérieure est
substituée à l'un des arcosolia icf. 21 dans le tombeau K).
On était assez enclin jusqu'ici à dater ces monuments composites
d'une époque relativement basse que l'usage
et il est incontestable
s'en est conservé au moins jusqu au temps du Christ (1). Or il nest
pas douteux ici que la première installation ne remonte jusqu'au
ou vil'' siècle avant notre ère. Ainsi qu'il fallait s'y attendre, en des
VI''

tombes qui ont dû être librement accessibles et si bien en évidence


avant l'accumulation des débris, tout y avait été saccagé. La poterie
fort abondante présentait d'abord cette anomalie bizarre de juxta-

(1) Dans plusieurs hypogées de ce type ont été découverts des ossuaires à graflites en
iiébreu carré, au mont des Oliviers en particulier.
4 r'^ H î

Planciik X.

PLAN DL
Pi ANCHE XI.

E TUNNEL-AQUEDUC DE SILOÉ
E LONGITLUINALE SLR LAXK Dl lUN.NEE

Echei'e : 1 : 100'

# 3
'
2 10 IV 'i,i^

mëXre^

't""o
h

sol actuel,

crele du roc.

llilm"'^

'Tiw.vviir-^-wi

^è^U^iVl^i^.^ylfi.':kt-.ii,l<.>.'\'.iJ,^~'.Je€:^,;£.i^' "^ — '


coupe longitudinale
^
,^;..;f»Kr>^^, t7^Ar<fT^T»y^f y*rf sur laxc du tuntiel.

-jn.
LE TUNNEL-AQUEDUC DE SILOE

'X'î
le. Sa-.
-
,,?-j./VW=S'^*^"'

^i'i^iyarfùsXA>i.A%»*.^-i^lv h^t-vy^i^/'-*^J^'-J--liij__^jy,
V"

tf
Planchk XII.

Le point de jonction des deux équipes dans le tunnel de Siloé. Vue prise du <ud.
Plaxche XIII.

CÉriAMit'L'E INDIGÈNE. N»' 1-0 particularités du modelage et de l'ornementation. >''" 10-15 formes initiales d'anses.
Planche XI \'.

CÉRAMIQCE INDIGÈNE ET CANANÉENNE.


CHRONIQUE. 440

poser quelques vases plus ou moins intacts, de formes tardives, —


quelques-unes très certainement d'époque hérodienne, — à des tes-
sons innombrables d'époque Israélite et à beaucoup de lampes de
même date mais invariablement ébréchées. A côté des vestiges cé-
ramiques se trouvaient aussi, dans les tombes transformées, quel-
ques auges de pierre, des poids, des supports de vases, des mor-
ceaux de métal, enfin des traces de foyer, cest-à-dire tout ce qui est
de nature à évoquer l'idée d'hajjitation humaine la découverte des ;

hypogées L et .1/ devait lever les derniers doutes sur cette transfor-
mation à l'usage des vivants. Pour se donner plus de large, les nou-
veaux occupants avaient fait sauter les cloisons des arcosolia, sup-
primé ou rétréci les banquettes funéraires, réuni plusieurs salles en
une seule, consolidant ensuite par des maçonneries de fortune cer-
taines sections du plafond rocheux trop imprudemment dégagé. On
ne s'était pas, du reste, imposé la tâche de dissimuler cette adapta-
tion et l'évidement brutal des parties neuves contraste avec le dres-
sage soigné de quelques parties sauves des anciennes parois. Là
dedans ont été ramassés des lampes rondes, des marmites à feu,
des fragments de poterie vernissée et une infinité de tessons, bords
moulurés, anses, goulots de poterie hellénistique ou de basse époque
juive. Ces débris foisonnaient surtout vers l'ouverture orientale, 20,
de la caverne.]/ et tout le long de la paroi de roc jusque vers l'en-
trée dans la galerie XXII. La découverte du long' couloir N devait
fournir la solution de cette petite énigme, en montrant qu'il s'agis-
sait d'un passage ayant dû être fréquenté assez assidûment pour
atteindre le canal ( =
II du plan général pi. I cf. X). L'amorce de ce
;

couloir est à la porte, 26, de la caverne la transformationM: malgré


et le revêtement de maçonnerie, on peut facilement encore se faire
la conviction que cette entrée fut jadis très semblable à celle, de-
meurée intacte, de la caverne voisine, 2.3. Deux murs en blocage
solide et relativement soigné sont plaqués d'abord contre des parois
de rocher; comme la roche disparait bientôt en avançant par
E.-E.-S., les murs deviennent plus épais, s'élèvent pour racheter la
pente et divergent avec régularité. A
rencontre du canal 0, la la
largeur du passage est de i mètres. La paroi méridionale se replie
de l mètre environ pour rétrécir l'ouverture. L'abondance des tes-
sons, les traces de frottement contre les parois attestent la circulation
prolongée à travers cette singulière descente à l'eau ; car on est très
enclin à voir là un passage vers le canal.
Pour en définir la date on n'a encore que les indices de la maçonnerie
et ceux de la poterie. Ces derniers ne sauraient être bien précis,
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. I.\. 29
450 REVUE BIBLIQUE.

puisque tous les tessons recueillis là dedans avaient été mêlés à


plaisir et que les plus tardifs — ceux de Tépoque hérodienne pré- —
dominaient. Le fait néanmoins qu'il se soit rencontré des fragments
grecs, des lampes séleucides et diverses pièces tout à fait caracté-
ristiques de la poterie de basse époque Israélite ou judéo-hellénique,
autorise l'induction que le couloir a dû être en usage dès le
VII— vf siècle avant notre ère, sinon même dès le viii*' siècle, A l'ap-
pui de cette donnée un peu ténue vient aussi la nature des murailles
du couloir; à l'enduit près, — car il n'y avait pas besoin de les ren-
dre étanches, — elles sont de tous points comparables au / mur
établi comme barrage dans le bassin // à la fontaine de la Vierge.
On y a employé des matériaux de toute provenance, à côté de sim-
ples moellons à peine épannelés. On essayera plus loin de détermi-
ner la date assez précise du barrage /; disons tout de suite que le
couloir A^ bâti probablement à la même époque en vue d'utiliser
encore l'eau qui circulait par le canal II avant la captation totale
de la source par le tunnel de Siloé, à dû rester en usage bien des
siècles après. Il se peut en effet qu'aux heures où la source montait
avec plus d'abondance un peu d'eau ait filtré à travers le remblai
artificiel dans la seclion initiale du canal II (= 0); ou bien n'utili-
sait-on le couloir N et la section méridionale du canal qu'en
manière de passage plus ou moins secret?.,.

5. — B. Séries crramiqiies.

Il eût fallu prodiguer outre mesure l'illustration de ce compte


rendu préliminaire pour mettre sous les yeux du lecteur la docu-
mentation complète à ce sujet. Plutôt que de multiplier la reproduc-
tion de types analogues ou identiques, recueillis sur les points les
plus divers de la zone explorée, on a estimé beaucoup plus simple
et plus expressif pour l'ensemble des lecteurs de grouper provisoire-
ment quelques pièces spécifiques des plus importantes et des plus
archaïques périodes. Il sera facile aux spécialistes de voir cjue ces
périodes ont été littéralement révélées par les magnifiques travaux
de 1909-1911 et qu'on chercherait en vain, dans toutes les publica-
tions de fouilles antérieures, à Jérusalem, l'équivalent des récentes
découvertes (1).
Ainsi qu'on l'a fait observer quelque part déjà au début de ces

(1) 11 nest même aucunement hasardé de dire que des séries telles que les représentent
les planches en couleurs dans Jérusalem sous terre (pl. IX-Xl) demeurent, jusqu'à ce jour,
sans rivales en toutes les fouilles palestiniennes.
CHRO.MQLE. 4ol

notes, la classification de la poterie, la terminologie et les dates sont


conformes aux principes exposés naguère dans la Revue (1 Il serait .

donc superflu de reprendre la description technique de chaque caté-


gorie. On éhminera même
documentation des époques « romaine,
la

juive, hellénistique, et Israélite », pour s'en tenir


judéo-helléuique
aux seules époques « cananéenne » et « indigène », c'est-à-dire au
développement archéologique contemporain du dernier état néoli-
thique et prolongé jusqu'au déclin de Tàge du hronze.

Planche XIII : c'ramique indigène. —


Les n°M à 9 montrent quelques-unes des
modelage et d'ornementation. 1 provient de la grande ca-
particularités saillantes de
verne funéraire fig. 13, 1). C'est un fond de vase grossier en boue grisâtre à gros
grains micacés: la natte sur laquelle on l'avait posé pour le pétrir et le durcir au
y a laissé l'empreinte parfaite de son tissu. Il reste juste assez des bords elTrités,
soleil

r, pour qu'on puisse avoir une idée de la forme générale apparemment une petite :

amphore. —
La pièce analogue, 3, prise dans la galerie III, montre un tissu de natte
quelque peu varié. Une empreinte de ce genre, mais beaucoup moins franche, figurait
parmi les tessons observés dans le bassin primitif de la fontaine de la Vierge (L, de
la pi. I>. — 2, décor par empreinte à la pointe de silex, sur une surface lissée à la
main ;
galerie IV. vers le puits A. Même procédé sur 6, par touches notablement plus
régulières et plus fines, ornant une applique en saillie sur la paroi du vase; pièces
identiques dans les galeries I-IV, XIV, dans la caverne F. dans le bassin H pi. I),

à la source. — 4 et 7, empreintes à la pointe de roseau (? ; des pièces de ce type


proviennent de la caverne funéraire 1, de la tombe 3, des galeries I et III. — 5 n'est
classé qu'avec hésitation à la même période, quoique recueilli dans la galerie
mais I,

à un niveau un peu plus élevé que les sépultures archaïques. Le tesson est aussi sem-
blable que possible, comme texture et coloration rougeàtre, aux n 4 et 7, cependant -

d'un polissage plus fini, avec un rudiment d'ornementation moulurée qui le rapproche
également de 'j. Je ne sais comment interpréter le grand signe vertical incisé assez

profondément dans l'argile fraîche marque peut-être, plutôt que motif de décora-
:

tion; trouvé dans la caverne funéraire. —


8, empreintes au doigt sur une bande en
sailUe; galerie I. — 9, décor a peigné B,avec intention de zones symétriques, sur un
fond poli au silex; provenance incertaine: je crois pourtant galerie IV.
Les n"' 10-1.5 figurent les plus naïfs essais d'attacher une anse au flanc des premiers
vases. 10. U
et 14 viennent de la galerie I: des exemplaires sensiblement identiques
à 10 et à 14 ont été trouvés dans le bassin de la source, dans la galerie XV et dans la
caverne funéraire: Il au contraire n'a aucune réplique exacte, en ce sens que l'oreil-

uue loupe appUquée après coup sur la paroi encore humide mais de nom-
lette est ici ;

breux types similaires, dans la caverne 1, les galeries I-IV et à la source, ont été exé-
cutés par une pincée dans le modelage direct et font ainsi mieux corps avec le vase.
— au voisinage de la tombe 2, est un spécimen déjà très pratiquement
12, recueilli
évolué de l'anse ondulée, à forte saillie avec ourlet sur le bord pour affermir la prise.
— 13, avec son énergique empreinte d'un pouce au milieu de l'anse étroite et peu
pratique malgré son affectation d'élégance, provient de la galerie III. — 15, galerie!,
vers la caverne funéraire, a presque l'aspect d'une coquille. Des pièces analogues,

1 Cf. RB., 1906, p. 55. ou Canaan, ch. v : « La céramique ».


452 REVUE BIBLIQUE.

mais bien plus petites parfois avec une perforation, se sont trouvées dans d'autres
galeries; je n'ai pu les situer exactement.
Planche XIV Formes spécifiques des périodes « indigène» et « cananéenne » (!}.
: —
1, bol en argile jaunâtre, d'exécution correcte mais lourde; tombe 8, à côté des splen-

dides pièces à décor peint. — 2, minuscule tasse en terre grise mal séchée, avec une
anse en pastillage, des parois relativement minces et un essai de goulot.
Il y a quelque

chose de touchant dans cet effort encore si gauche et si dénué d'expérience pour
réaliser une forme aussi simple. La tasse a dû faire partie de quelque très humble
mobilier funéraire, car elle gisait non loin de la tombe 3, dans la galerie I, parmi
d'autres débris bouleversés. — 3, bol en argile claire de même galbe que 1, auquel
il est toutefois bien supérieur pour la finesse et l'homogénéité de pâte, la correction et
la solidité. RecueiUi, avec .5 et 9, vers l'entrée de la caverne funéraire. — 4, moitié de
bol trouvée, avec 8 et 10, dans la galerie I. Argile jaune-ocre, pâte homogène et com-
pacte, paroi fine et fond épais; couverte blanchâtre à l'extérieur, décor intérieur
peint en terre de Sienne brûlée à reflets métalliques. Cette pièce est une réplique à
peu près parfaite — à quelques nuances de coloration près — d'un bol trouvé dans la

tombe 3 ; si elle était apparemment plus riche que l'ensemble des autres, cette sépul-
ture n'était donc pas la seule pourvue de vases quelque peu luxueux parmi la vaisselle

banale constituant le fond principal du mobilier des morts. — 5, baptisé « l'aiguière »

parce qu'il était associé au bol offre le contraste d'un galbe très déformé dans le
3.

modelage avec de un goulot pas trop mal exécuté.


fines parois et 6, amphorette à —
fond plat, panse globulaire munie sur le haut de deux petites anses massives avec
perforation pour l'insertion de cordelettes, pas de col et un large orifice (2) tombe 3. ;

— 7, élégant flacon en argile fine à


ton de brique sèche; le galbe est
bon, malgré les inégalités fatales tant
qu'il s"agit de vaisselle montée à la
main et durcie — plutôt que cuite
— à un feu mal dirigé. L'anse, cor-
recte et assez bien prise, est munie,
près du goulot, d'un bouton qui fixe
très pratiquement le doigt. Ce type
a persévéré jusqu'en des époques fort
basses ; un exemplaire plus grand et
naturellement de technique tout autre
a été exhumé dans la galerie XXII,
parmi des vases hellénistiques et

judéo-romains. Celui-ci vient de la

galerie I. — 8, du même lieu et à


peu de distance, remarqua-
est déjà
ble par la rectitude ferme de son
goulot, la finesse des parois et l'at-
Pj„ ^Q
tache de son anse. — 9, gobelet en
argile rouge, avec quelques vestiges de polissage. — 10. pot en terre noire, pâte bien

(1) Pour abréger le dessin et donner en même temps une plus complète notion des formes,
chaque vase est dessiné mi-partie en élévation mi-partie en coupe. Quelques types plus ori-
ginaux sont en outre vus de dessus (2, 4, 5. 7) ou de face (2, 5, 8). Voir les phot. pi. XV.
(2) M. Flinders Pétrie a donné, si je ne me trompe, à ce genre d'oritices le nom de « hole-

mouth ».
CHRONIQUE. ,
453

malaxée, lustrée Onement à rexlérieur. L'anse a été pastillée après coup et n'offre
qu'une solidité problématique, sans parler de son inélégance. —
11 et 12 appartien-

nent au mobilier de la tombe 3 et sont tous deux en argile claire passée au rouge
mat sous le brunissoir. L'un et l'autre sont intéressants surtout par leurs anses :

dans 11, un double cordon réservé dans le modelage de la panse et replié sur l'éva-

sement intérieur du col qui a été étiré de son côté pour faciliter l'adhérence; un li-
gament d'arïïile consolide (?) la soudure; même procédé dans 12, mais sans ligament,
avec un seul cordon et un développement beaucoup plus hardi de l'anse (tig. 16).
Un exemplaire heureusement intact (pi. XV, iy), recueilli à côté, ne laisse aucun
doute sur la restauration de cette anse.

Les gens du métier n'auront pas grand'peine à constituer, pour chacun de ces
types, uue famille plus ou moins vaste déjà dans les séries palestiniennes, surtout les
riches séries que M. Macalister a exhumées du tertre et des hypogées de Gézer. On
n'abordera pas pour le moment ces comparaisons qui relèvent du mémoire final.

(La fin au prochr/in numéro.)


H. VixcEî^T, O. p.
RECENSIONS

The old Testament in greek... edited by A. E. Brooke and N. Mac Leax, vol. I,

part 3, pp. 40.-674, IXumbers aud Deuteronomy. Canibridiie. 1911, 15 sh. net.
La grande Bible grecque de Cambridge progresse régulièrement, sinon très rapi-
dement. Voici, en cinq ans. terminée la publication du Pentateuque 674 pages de :

format in quarto, d'une impression serrée. Les éditeurs peuvent être fiers de leur
œuvre.
Quiconque a utilisé, pour des travaux critiques, la monumentale édition de Holmes
et Parsons. sait quelle n'est pas exempte de défauts : les collations, confiées parfois à
des mains inhabiles, sont incomplètes, et la physionomie de certains manuscrits est,
de ce chef, méconnaissable. La nouvelle édition repose sur des collations soignées;
des voix autorisées ont dit combien elle était supérieure à son aînée.
Le fascicule troisième est conforme au plan des deux premiers. Le nombre des
autorités s'est accru : pour le Deutéronome, c'est un manuscrit de première valeur,
6 ou ^y<lshillgtonens^s. le précieux codex acheté il y a quelques années par M. Freer.
Les éditeurs ont noté dans la préface quelle était son importance il démontre l'anti- :

quité du texte contenu dans les deux cursifs g n (54 et 75 de HoP). D'ailleurs, le carac-
tère de 6 avait été mis en lumière par la dissertation de M. Sanders: il n'y a pas
lieu d'y revenir. Deux autres manuscrits onciaux sont cités, qui n'étaient pas connus
au temps de l'édition d'Oxford, ce sont les fragments palimpsestes de Saint-Péters-
bourg et Leipzig, publiés par ïischendorf, et désignés par les majuscules H et K (1).
Deux petits fragments U(i et A;, l'un de papyrus, et l'autre de vélin, ne donnent que
quelques versets. La liste des manuscrits de Holmes, cités à l'occasion dans l'apparat
critique, s'est augmentée de deux unités, -28 et 46. Enfin, un manuscrit bohaïrique,
le Vatican copte 1, a été collationné pour le Deutéronome (2).
En dehors des onciaux t)HK. et Mac Lean ne sont
les autorités de MM. Brooke
guère dilTérentes de celles utilisées par les critiques d'Oxford, mais nous avons dit
que la qualité des collations était toute autre. De plus, il est un point sur lequel il
est bon d'attirer lattention; la nouvelle édition ajoute aux Hexaplonun quae super-
sunt de Field un précieux supplément. Voici, pour un seul chapitre, le premier du
Deutéronome, un relevé de ce que les études hexaplaires gagnent à la présente
édition.
Il y a des leçons nouvelles : v. 8 w;jL03a] wiioa^v -/.joio; o' À (3) v; — 12 tov xonov] a'

(I) Les variantes de K pour le Deutéronome ont été oubliées dans la rédaction des notes; les
auteurs ont réi>aré cette omission dans la note préliminaire, p. vi.
(-2) Ajoutons que les diverses publications des fragments palestiniens ont été distinguées par
des sigles spéciaux. Quelques fragments de Gen. ou Es. sur papyrus, publiés depuis l'apparition
des précédents fascicules, ont été examinés; les résultats de la collation sont consignés, p. v
et vu.
(3) o' ). signifie : Septante, rccension lucianique; et' <?' = Aquila, Symmaque. Une leçon niar-
RECENSIONS. 45:j

07/.r,T'.v h: — 13 i:t Ta; suÀa:] ut Ta — 15


ay.r.rr:p(a) F*"; za- Ypau.aaTOE'.-aYojv£..; (1)
•juwv] a' xa'. r:a;oîJTa; -ai; çuXat; u;jhov b — 17 ojx
; ïniyvwTr,] ov» f.ar,... F'^ ;
— uno
jTctXr,] cVTpar:... F^ : a' xpjir,; <i' 6; — 22 £3o8£J3aToj7av]
ooXiîuTr,; y.ataïXîiovTa'. F'' 6
(pr. '.va pro zx'-) ;
— "^'^
T*"'^
(' ] ^vaxta M; — 23 xata
xasTa çjX/;v] (jxT,rTp'ov) F'^ ;

28 a-£7Tr;3av] o' sÇ^Xu^av />; TîTîtyiT;jLsvat... ou^avo-j' ô'.r,vj.£vat £V ojpavto 6.

Des leçons données par Field sont corrigées d'autres reçoivent une attribution .

différente: quelques-unes perdent l'anonymat où certains copistes les avaient lais-


sées au V. 2G la leçon ::ap£-'.xpava-E to aTo;j.a xjç-.oj donnée à Théodotion dans Field
:

sur la loi de 8-5 (Br. z) est cette fois attribuée à Syramaque conformémeut à s HoP :

130); — 31 l'expression d'Aquila w; apa: tsoso; tov uiov doit être tenue pour authen-
tique sur la recommandation de e ^= 52} j (= 57); Field l'avait rejetée comme
une reconstruction très peu probable de Nobilius; 38 il faut lire dans M iwToua —
et non pas ir;joua; —
39 E'.KaTï dans M au lieu de t\-i-i: 41 av£Çr,T£ est placé, —
d'après s. sous les noms de Symmaque et Théodotion au lieu de l'anonyme TaXo;.
Vétilles, dira-ton: mais lorsqu'il s'agit des Hexaples. il n'y a pas de miettes négli-
geables. Les éditeurs n'en ont pas fait mystère, il n'y a rien de sensationnel dans les
notes hexaplaires qu'ils ont publiées-, il reste néanmoins, dans l'état fragmentaire où
est notre connaissance du grand travail d'Origène, qu'ils auront apporté à une future
édition des Hexfiplorum quaesupermnt une importante contribution. La documen-
VAmbrosianus F^, dont Field n'avait
tation nouvelle vient surtout d'un correcteur de
eu connaissance que par des collations incomplètes de Ceriani; les marges du ms. b
(HoP : 108 ont également fourni beaucoup de leçons inédites, l'usage qui a été
fait de ce codex depuis le deuxième fascicule fera regretter davantage qu'il ait été
négligé pour le premier.
Puissions-nous voir bientôt paraître la quatrième et dernière partie du premier
volume! L'apparat critique très surchargé des listes géographiques dans Jdsué, et la
double recension du livre des Juges seraient des excuses pour en faire traîner la
publication, mais les éditeurs savent notre impatience. Remercions-les du travail
déjà fait, et attendons...
Jérusalem.
Eug. TiSSERAM.

I. Où en est l'histoire des religions? par J. Bricoit, directeur de la « Revue


du clergé français, x. deux vol. in-8'^ de 456 et 589 pp.. Paris, Letouzey et Ané.
éditeurs, 1911 et 1912 2).

II. Christus, Manuel d'histoire des religions, par Joseph Hubv, professeur au
scolasticatd'Ore place, Hastings, in-16 dexx-1036 pp., Paris, Beauchesne, 1912 (3K
Il faudrait beaucoup d'assurance pour entreprendre la critique détaillée de ces

giuale lucianique n'est pas à proprement parler une leçon hexaplaire. nous avons enregistré
celle-ci comme les variantes non précédées d'un des sigles a' h' t' à l'exemple de Field.
1^ Les éditeurs citent xai 8» —
•ju.wv, il aurait peut-être été plus simple d'écrire le second mot
en abrégé xai ypaa. •jaw, pour ne pas obliger le lecteur à compter jusqu'à huit.
i'î] Sommaire Tome I. Introduction J. Bncout I. La religion des primitifs i,A. Bros). II. La
: .

religion égyptienne [J.Capart). III. Les Sémites (P. D/ior»ne). IX. Iraniens et Perses J. Labourt).
V. Religions de l'Inde (L. de la Vallée Poussin). VI. Le confucianisme et le shinto i^Cordier'. VII. Les
Grecs (Rabert,. VIll.La religion romaine André BaudrtHarf. IX. Celtes. Germains. .Slaves [Bros et
llabert X. L'Islamisme Carra de Vaux Tome II. XI. La religion d'Israël •/. Tou.zard XII. Les ori-
. . .

gines chrétiennes (L. Venardi. XIII. Le christianisme et le monde antii|ue. de la Qd du premier


siècle au concile de Nicée (.V^^ P. Batiff'oV. Xiv. Les divers schismes d'orient (./. Bousquet. XV.
L'Église latine du iv« au xv« siècle [E. Vacandard,. XVi. Le christianisme de la Réforme à nos
jours protestantisme, rationalisme, catholicisme (J. Bricout). Conclusion [J. Bricout
: .

Sommaire I. L'étude des religions L.de Grandmaison]. il. Les populations de culture in-
(-•}, :
456 REVUE BIBLIQUE.
deux ouvrages. La plus élémentaire modestie commande de ne point porter un juge-
ment sur des objets si divers, traités par des personnes compétentes. Le premier
mouvement est de se dispenser de lire, en disant d'avance. Et vitula tu dignus es
et hic.

Ce serait succomber à une fâcheuse tentation, car toutes ces études méritent d'être
lues. Et c'est un phénomène vraiment curieux que des écrivains professant la même
foi, poursuivant le même but, traitant les mêmes sujets, aient pu les aborder d'une
façon si originale que les deux ouvrages se ressemblent si peu. Le dirai-je cepen-
dant.' La probité intellectuelle si évidente des auteurs invite la critique à user de la
même franchise. II est fâcheux deux manuels soient extérieurement coulés
que les
dans le même moule. On nous
Christiis était déjà sur le métier quand a
dit (1) que
paru VO/^heus deM. Salomon Reinach. C'est cependant celui des deux qui a le plus
l'air d'une réponse indirecte, surtout par sa forme extérieure. Or on peut douter que

le plan imposé par M. Reinach soit le meilleur, ou du moins le seul qu'il convînt

d'exécuter. S'il était très opportun de faire suivre un aperçu des religions d'une vue
d'ensemble de la religion catholique, le désavantage était forcé et sensible de se bor-
ner à des esquisses. A côté de VOrphem, et fort au-dessus de lui, comme valeur scien-
tifique, il y avait le Manuel de Chantepie de la Saussaye dont les deux volumes ne
contiennent rieu sur la religion chrétienne. C'est à cet ouvrage aussi qu'on pouvait
songer pour une réplique catholique. En laissant de côté l'Église, on ne la sacrifiait

pas; n'est-elle pas plutôt un peu sacrifiée, quand on doit traiter en un seul volume ou
en un demi-volume des origines chrétiennes, c'est-à-dire de tout le Nouveau Testa-
ment, et de toute l'histoire de l'Église, y compris ses démêlés avec le schisme et l'hé-
résie? Au reproche d'avoir été trop court et d'avoir ainsi été réduit à des généralités,
il était facile de répondre si l'on n'avait fait ([u'un ouvrage pour remplacer la came-
lote de VOrpIteiix par des marchandises de bon aloi. Mais, puisque taut de forces
étaient mises en mouvement, n'aurait-il pas mieux valu s'entendre et produire deux
ouvrages d'allure dilTérente ?

une réplique catholique. >'ous pouvons être fiers de constater avec quelle
J'ai dit

facilité on a trouvé dans nos rangs des spécialistes aussi distingués. On perdra son

temps à leur reprocher d'avoir manqué de justice. Ils ont pu traiter certaines parties
de la religion catholique dans un esprit d'apologie, sans pour cela parler des autres
religions dans un esprit de dénigrement. L'amour filial envers une mère a pu con-
duire à taire certaines taches, non à les dissimuler par le mensonge. Et puis, on est
toujours homme. On s'attache à ce qu'on étudie. Tel spécialiste a évidemment un
faiblepour une religion qu'il est presque seul à connaître bien. Aussi ne peut-on lire
lesdeux ouvrages, parfaitement égaux en cela, sans se sentir dans la compagnie
d'honnêtes gens qui ne diront que la vérité. Et puisqu'il eût été par trop répugnant de
peindre des mœurs religieuses qui sont une honte pour l'humanité, n'était-il pas légi-

time de glisser aussi sur les abus qui se sont introduits dans l'Église? Les auteurs

férieure Al. Le Roy


(.l/t"^ III. La religion des Chinois
. L. Wiener). IV. Les religions du Japon
(J. Dahlmann). V. La religion des Perses avec une introduction sur la religion des indo-Euro-
péens(.4. Car«0!/). VI. Bouddliisnie et religions de l'Inde (L. de la Vallée Poussin). VHI. La religion
des Grecs (-7. Huby). VIII. La religion des Romains (Cyril Martindale). IX. La religion des Celtes
(J. Mac Neill).\. La religion des anciens Germains [E. Ëômiyîghaiis\ .XI. La religion des Egyptiens
(A. Mallon). XII. La religion des Babyloniens et des Assyriens [A. Condamin). XIII. L'Islam (E.
Poiver]. XIV. La religion d'Israël (J. Nikel}. XV. La religion chrétienne Le Nouveau Tesl:iment, :

le christianisme et l'àme antique, le christianisme du moyen âge (P. Rousselot et J. HHby)\\e


christianisme de la Renaissance à la Révolution (A. Brou et P. Rousselot); la religion catholique
au xis* siècle [L.de Grandmaisoa et P. Rousselot
(1) Cela parait indiqué dans les Eludes, 1912, p. SOO.
RECENSIONS. 437

voient de haut et ne sont pas comme certaines mouches qui aiment à se poser sur

certains objets. Ce qu'il fallait mettre en lumière avant tout, c'étaient les principes
religieux eux-mêmes, les usages qui ea étaient découlés, et plutôt les attraits de
la vérité que les déviations du vrai. L'accord des deux ouvrages et l'on sait déjà —
qu'il n'y avait pas d'enteute — est une preuve très significative de l'esprit très large

ettrès élevé qui anime désormais les représentants les plus qualifiés des bonnes études
dans l'Église. Le domaine de l'histoire des religions, sur lequel la libre pensée se
promettait tant de triomphes, est peut-être celui qui est le plus favorable à la grande
Église, tant il est évident qu'elle renferme tout ce que les diverses religions con-
tiennent de meilleur, et sous une forme sociale religieuse, la plus étroitement une. et
la seule qui n'ait d'autre lien que le libre amour de Dieu, sous la conduite d'une au-
torité qui le représente.
Les deux manuels ont encore en commun la préférence donnée à la méthode his-
torique. N'est-il pas étrange que tous deux aient indiqué, à propos des diverses reli-
gions, leurs principales croyances, et que tous deux s'en soient abstenus à propos du
christianisme? Serait-ce qu'ils ont craint que leur exposé ne fût une simple répéti-
tion du catéchisme? ou ont-ils reculé devant le discernement si délicat de ce qui
s'impose à notre foi? ou ont-ils simplement emboîté le pas à M. Reinach? Toujours
est-il que c'est l'histoire de l'Église, non ses dogmes qu'ils présentent. Cette histoire

est si belle Entrez et croyez. Mais il y


qu'une conclusion s'en dégage d'elle-même :

aura toujours des esprits qui n'entreront pas sans savoir d'avance ce qu'ils auront à
croire. Même s'ils sont accusés d'orgueil pour cela, ils ne se sentiront pas dispensés
de ce qu'ils estiment un devoir envers leur iatelligeace. Si on les renvoie aux ouvrages
dogmatiques, ils peuvent trouver ailleurs aussi des histoires de l'Église. Aussi est-ce

peut-être une supériorité de Christus d'avoir esquissé seulement le développement


de la faits. D'autre part le manuel de M. Bricout
pensée chrétienne sans s'arrêter aux
•est plus complet montre ce que sont devenues les Eglises séparées.
(1), et

Si l'on devait juger par cette partie de Tensemble des deux ouvrages, on dirait
peut-être que l'un est plus facile à lire, l'autre plus utile à consulter; l'un plus bril-
lant d'allure, l'autre plus technique; l'un plus préoccupé de son lecteur, l'autre plus
absorbé par les réalités; l'un escomptant la finesse du public, l'autre exigeant sa stu-
dieuse collaboration.
Des noms étrangers donnent à l'un un cachet légèrement exotique qui s'accorde
bien avec la variété des religions; dans l'autre ce ne sont que des noms de Français
ou de Belges, dont l'autorité nous est familière. Mais des deux parts c'est le même
amour du vrai, confondu avec l'attachement à l'Église, le même désir de n'écarter
personne, sans rien sacrifier de la vérité, la même sympathie pour notre temps, la
même ardeur à profiter de ses avantages, le même tact dans l'exposition des faits. Et
si certains articles me plaisent davantage, c'est peut-être affaire de goût, et il y en a

dans les deux manuels, .fe dirai pourtant, estimant qu'il n'y a point en cela d'imper-
tinence, que le même sujet n'est pas toujours traité deux fois avec une égale supé-
riorité.

Ne pouvant parler de tous les thèmes sans sortir à la fois et du cadre de cette
Revue et des limites encore plus étroites de ma compétence, je voudrais indiquer
l'intérêt spécial des travaux qui m'ont paru le plus caractéristiques, la religion d'Is-
raël de M. Touzard et la rehgion chrétienne dans Christus pour laquelle M. Rousse-
lot a eu divers collaborateurs, MM. Huby, Brou et de Grandmaison.
Cela est assez naturel, puisqu'il conlient environ un tiers en plus de caractères d'impri-
(1)
merie. Aussi a-t-il fait une place au préhistorique, aux Cananéens, aux Phéniciens et aux Slaves.
438 REVUE BIBLIQUE.

L'étude de M. Touzard sur la religion d'Israël occupe environ cent cinquante pages.
Tout V d'une extrême densité. Aucun fait important n'est omis, et tous sont
est
justifiés par des citations qui permettent au lecteur de juger par lui-même. Mais ce

qui donne à ce labeur considérable un attrait particulier, c'est qu'il est le premier
parmi nous d'écrire l'histoire de la religion d'Israël en tenant compte du
essai tenté
développement des idées, du culte, de la religion elle-même. Le principe de ce dé-
veloppement avait été posé par saint Thomas, mais, en fait, aucun écrivain catholique
n'avait tenté de montrer en quoi la foi des patriarches pouvait se distinguer de celle
de Moïse, des prophètes ou d'Esdras. Sommes-nous assez avancés dans la critique
littéraire de l'Ancien Testament pour procéder avec sûreté à une reconstitution de
cette marche vers la lumière, grandissante à mesure qu'on approche du Christ?
Quelques critiques se sont crus assez assurés de leurs prolégomènes pour écrire une
histoire d'Israël à l'encontre de toutes les données de sa tradition. Mais déjà l'édifice

nouveau est fort ébranlé. M. Touzard, ne voulant pas dirimer les querelles litté-

raires, ni attendre qu'elles soient réglées définitivementpour tracer une esquisse his-
torique de la religion d'Israël, a adopté un procédé qui n'a évidemment qu'une valeur
transitoire, mais qui permet de marcher un peu, ainsi qu'on dit en géométrie, en
supposant le problème résolu.
Au début, il éclaire toute sa voie par la distinction lumineuse et nécessaire de la
religion des hommes de Dieu, instruments et organes de la révélation, et de la re-

ligion du peuple, trop souvent rebelle à leurs enseignements. Déçus dans le présent,

les hommes de lEsprit se tournaient vers l'avenir, et souvent ce n'était qu'après un


temps très long que leur action, transmise par leurs paroles, devenait féconde.
C'est, semble-t-il, sur ce principe, que Fauteur a assis sa méthode. Le développement
religieux ne s'étant produit qu'au moment où l'influence était exercée, il a pu traiter

du Deutéronome, découvert sous Josias, au moment où cette découverte frayait la

voie à la réforme de ce prince, sans dissimuler d'ailleurs que « le code que le secré-
taire de Josias lui apporta était, par son contenu même, la consécration de l'œuvre
des prophètes » p. 89) (I s C'est ainsi encore que la seconde partie dTsaïe (et on
aurait pu y ajouter quelques autres chapitres), qui s'adresse si évidemment aux
Israélites peu avant le retour de la captivité, est expliquée à cette époque, la fin
d'Isaïe (Lvi-Lxvi) après le retour ; les principaux passages de Daniel sont encadrés
dans l'époque d'Antiochus Épiphane. à la(iuelle ils font allusion 2), le psautier

dans la période du second Temple où il devint le livre de la prière publique (3).

C'est dans le même esprit, conciliant le respect de la tradition et de l'autorité avec


la nécessité de constater certaines évidences, que M. Touzard a indiqué le caractère

;i) c'est bien aussi ce qu'insinue M. Nikel dans Christtts. [p. (i-2(i), en posant comme princijie
général :• Il est certain que les lois promulguées par Moïse au Sinaï et pendant les pérégrina-

tions au désert ne sont, pmir ainsi dire, que le noyau d'où, par une évolution organique, toute
la législation du Pentateuque a grandi. = Et cependant cela même
n'a pas paru sutlisant
à M. Burdo qui écrit dans les Études ,-20 mars 191-2, p. 814) « M. Nikel nous a seulement paru
:

trop peu préoccupé des problèmes liistoriques et littéraires relatifs aux livres de l'.incien Tes-
tament; il va prendre ses traits dans tous un peu indistinctement: et, par suite, son tableau
raanque lorcément de contours nets et ne nous donne qu'une idée imparfaite du progrès de la
Hévélation. »
« k condition qu'on dut la
^2) Un lit dans le Dictionnaire de théologie calliuUque, v» Daniel :

dépouiller de toute nuance rationaliste et de tout caractère d'hostilité à la véracité de l'auteur


sacré, l'interprétation critique pourrait être acceptée par le catholique le plus sincère, soit que
celui-ci considérât l'oracle des seiiiaines comme une véritable prophétie, soit qu'il le voulût
composé au temps d'Antiochus. •
(3) C'est par une légère dérogation à la méthode historique que la solution eschatologique
de
l'EccIésiaste est rappelée dés la page 51. avant l'époque des prophètes.
RECENSIONS. 459

primitif des fêtes religieuses d'Israël, sans méconnaître que « ces fêtes ont d'autres signi-

commémorent de grands souvenirs^) (p. 61}. Il aurait pu montrer, par


fications, elles
un exemple irrécusable, comment l'aspect historique a pu recouvrir l'aspect agricole :

aucun document de l'Ancien Testament ne qualifie la fête des semaines de fête de la

Pentecôte, et nos prédicateurs ne connaissent guère la Pentecôte ancienne (}ue

comme la fête de la promulgation de la Loi.

Mais tout s'efface devant cette question que pensait-on de Dieu dans l'ancien :

Israël? Son Dieu national était-il le Dieu du clan d'Abraham? Est-ce le Dieu des chré-
tiens ? Si l'on prend la Bible au sérieux, comme un document qui reflète des croyances
vécues, et non point comme un tissu de métaphores exprimant sous le voile des
anthropomorphismes nos conceptions des attributs de Dieu, c'est le point qui préoc-
cupe le plus des âmes fort droites. Elles trouveront, je pense, satisfaction eu lisant
comment Dieu s'est vraiment révélé à Abraham, vivant au sein de l'idolâtrie, comment
^^la révélation divine fut peut-être plus explicite pour ce qu'elle affirmait que dans

ce qu'elle pouvait exclure - (p. 14), c'est-à-dire que Dieu se fit connaître et aimer
avant que les Israélites aient compris à quel point il avait seul droit aux hommages
de tous les hommes (1). Le mosaïsme fut le moment décisif où une foi si supérieure
à celle des païens fut imposée à un peuple par des bienfaits miraculeux, marquée
par la transcendance d'un Dieu qui ne voulait pas d'images, et qui, consentant une
alliance, exigeait la fidélité à la loi morale. Aussi bien, le Dieu des Israélites était le
créateur du ciel et de la terre, son action s'étendait partout, et si on ne le louait pas
dans le Chéol, du moins le souverain.
il en était
Au temps d'Amos, au moment du retour de la captivité, le Dieu des armées d'Is-
raël devient le Dieu des armées célestes sa puissance, sa majesté incomparable, sa;

royauté sur le monde sont mieux comprises, et cette fois la lumière pénètre même
les ténèbres où se cachaient les faux dieux. « Le monde se divise désormais en deux
camps », etc. (p. 117). Tout le passage est à lire et à relire ; rien de plus utile pour
discerner parmi les psaumes ceux qui sont postérieurs au retour de la captivité. En
même temps la prophétie cède la place aux premières apocalypses, et le judaïsme se

constitue autour de la thora (2), assez solidement pour résister au nom et en la vertu
du Dieu très-haut, contre les séductions de l'hellénisme.
Assurément l'œuvre de M. Touzard n'est point écrite de verve. Savant conscien-
cieux, très soucieux de ne pas affirmer plus qu'il ne sait, il n"a point cédé à la ten-
tation de dessiner l'évolution par des contrastes. Ce sont bien, comme disait le pro-
phète (Is. VIII, 6) : « les eaux de Slloé qui coulent doucement », et que les Israélites

étaient tentés de mépriser en les comparant aux eaux de l'Euphrate, bruyantes et


profondes. L'on regrette parfois le burin qui aurait détaché la figure d'un JMoïse ou
d'un Jonas dans le style de Michel-Ange. Mais ce n'est pas le moment, surtout quand
il s'agit de l'Ancien Testament, de sacrifier la précision et la nuance à l'éclat des
images. M. Touzard demande simplement une place sur la table de travail; il est juste

qu'on ne le lise que la Bible à la main. Ses lecteurs préférés seront ceux qui sauront
trouver à chaque page, et parfois à chaque ligne, la solution longtemps cherchée d'un
problème ardu.
Un pareil ouvrage, s'il eût paru séparément, eût été fort incomplet, car il est trop

(1 y a peut-être quelque impropriété à écrire, p. 18


II « Dieu figuré en quelque manière par :

la pierre sacrée ». Je dirais tout au plus Dieu dont le souvenir est rappelé en quelque ma-
:

nière par la pierre sacrée de même que depuis il a pu habiter un temple.


;

2) P. li20 « de l'exil, le prètre-scribe rapportait une loi de Moïse à ])eu près pareille à celle de
:

notre Pentateuque ». Voir à la p. 123 une note très suggestive sur l'évolution du sens de thora.
460 REVUE BIBLIQUE.

renfermé dans les limites d'Israël. Ici l'auteur avait le droit de renvoyer à ses voisins
pour la description du dehors. C'est sans doute pour cela qu'il n'a pas même posé la

question de l'influence des Perses. Plus d'une fois déjà le recenseur a été pris à
partie par M. Bousset, et non sans brutalité, pour ne pas en faire assez de cas. Il est
clair pourtant que la réaction s'accentue contre le paniranisme. M. Labourt. dans
le Manuel de M. Bricout, M. de Baudissin. M. Kœnig, ne jugent guère autre-
ment. Aussi altendais-je avec impatience l'étude de M. Carnoy dans Christus.
M. Carnoy attribue les parties les plus anciennes de l'Avesta au vie siècle avant
J.-C. Sans songer le moins du monde à dissimuler mon ignorance complète de la
langue de l'Avesta, je croirais manquer de gratitude envers les spécialistes qui nous
donnent des raisons accessibles à tous, si je ne m'efforçais de les comprendre. Elles ne
me paraissent pas décisives. Je ne vois pas qu'on puisse placer les Gàthâs avant
Alexandre, parce qu'ils sont le manifeste d'une réaction, mais je l'ai indiquée possible
et probable dès 1.50 av. J.-C. ;
je ne puis donc être très impressionné de l'envahisse-
ment du pehievi au i"" siècle de notre ère (1). Il me sufût que. d'après M. Carnoy,
la religion de l'Avesta soit « un peu une réforme contre un culte existant, dont les
dieux lui apparaissent comme des ennemis » {fhn'slus, p. 198 note ,
pour que je ne
puisse l'identifier avec la religion des Achéménides, relativement élevée, mais qui
n'a rien de lallure combative des Gâthàs et qui fait une place à Mithra. De Mithra,
M. Carnoy écrit que son « absence dans les Gàthâs est due à une exclusion systé-

matique que le mazdéisme n'a pu maintenir » (p. 205\ N'est-ce pas reconnaître le
caractère très particulier d'une réforme philosophico-religieuse? Faut-il placer l'ex-
clusion de Mithra avant les Acheménides. et aussi sous les Arsacides et lesSassanides,
puisque enfin la seule rédaction officielle de l'Avesta date de ce temps ? Évidemment la

plupart des objections que j'ai risquées disparaîtraient si l'Avesta avait pris naissance
et s'était perpétué par une fidèle tradition dans un coin perdu dela Bactriane: mais

alors il beaucoup son influence. En fait l'influence des Perses


faudrait restreindre
s'est exercée par Mithra, réduit par l'Avesta à un rôle insignifiant.

Aussi bien, sur le point qui me touche le plus, M. Carnoy s'exprime avec une ré-
serve dont M. Bousset pourrait faire son profit Sur l'existence d'influences réci-
: '<

proques à une date ancienne, il convient de se montrer très prudent, tant sont
grandes les incertitudes qui entourent les origines et la date des écrits zoroastriens;...
à serrer de près les rapprochements proposés par quelques auteurs, on aboutit à les

trouver moins frappants, et dus à des coïncidences plutôt qu'à des emprunts »

(p. iMo;.

L'œuvre que j'attribue pour abréger à M. Rousselot est merveilleuse d'entrain,


d'originalité, de pénétration, de sens théologique et mystique. Moins appliqué que
M. Venard à retracer la genèse de la littérature évangélique, moins en état sans
doute que M?"" Batiffol de marquer les étapes de l'Eglise naissante dans l'État qui la

méconnaît ou la persécute, l'auteur est un intellectuel qui va droit aux idées, en saisit
les nuances avec finesse, en suit l'enchaînement, et les exprime avec décision et
clarté. Il a écritune véritable histoire de la pensée chrétienne, envisagée comme
source de vie, avec un penchant décidé pour les choses de l'esprit. La vie de
Jésus est d'abord résumée en traits exquis, avec une chaleur convaincue, un charme
d'expressions qui sont comme un écho des évangiles, et une preuve de leur ascen-
dant souverain sur des âmes très modernes. La difficulté était de concilier les deux

(1) On sait que les Juifs ont écrit en liébreu bien longtemps après que laraméen l'eut retuplacé
dans l'usage courant.
RECENSIONS. 40

conceptions, morale et eschatologique : «Aussi bien, les plus sages des historiens du
Christ s'accordent à reconnaître que la religion qu'il prêcha était tout ensemble et
une bonne voie et un grand secret ou une bonne nouvelle (1^ » (p. 690;. Puis c'est
l'effet produit par cette personnalité incomparable, reflété par les Actes, rendu en
formules théologiques par saint Paul, résumé dans Jean par la doctrine du
saint
Logos. Saint Jean « donne une réponse aux âmes grecques... il fait con-
désirs des
verger vers un être réel toutes ces tendances hésitantes, et décuple du même coup la
force de pénétration du christianisme, en montrant son afflnité profonde avec tout
ce que le monde antique cherchait de noble et de beau » (p. 742). S'il y a dans ces
expressions quelque vestige de romantisme (cf. p. 9G8), le jugement sur les apolo-

gistes, en particulier sur saint Justin, montre combien l'auteur a goûté la saveur
Hiystique de saint Jean. « Il suflit de rapprocher du quatrième Evangile les écrits de

ces nouveaux fervents du Verbe pour se rendre comp te de leur moindre « intelli-

gence du mystère du Christ » (p. 775). Il est sévère, mais juste, d écrire de Justin :

« Ce un penseur profond, ni un grand écrivain » (p. 77G); Origène, le type


n'est ni

de r « intellectuel », alliait une admirable largeur d'esprit à une science très étendue
et à une surprenante puissance de travail (p. 784), mais en somme, «dans la moisson

d'idées des apologistes, beaucoup d'ivraie se mêlait au bon grain » (p. 789). On ne
saurait évidemment parler ainsi de saint Augustin. Encore est-il que les auteurs font
des réserves sur le triomphe trop exclusif de sa doctrine « Peut-être une con- :

naissance plus répandue des Pères grecs, un contact plus permanent avec leur franc
optimisme, eussent-ils atténué les dangers de cet augustinisme exclusif, dont certains
excès de langage et de doctrine ne devaient pas être sans influence sur la naissance
et le succès du luthéranisme, du calvinisme et du jansénisme (2) » (p. 819). Le jansé-
nisme ne pouvait être sympathique aux auteurs; ils n'en ont parlé qu'avec la plus
parfaite convenance, et l'on sent qu'ils sont moins animés con tre lui par d'anciennes
rancunes de corps que par leur joyeux et confiant progressisme. Ce n'est point par
hasard qu'un alinéa est intitulé -.Défaite des archaïsants (p. 921), et par là on entend
« les archaïsants les plus orthodoxes ", un Petau. un Bossuet, un Thomassin, qui

s'avisaient d'être des fixisOs. et refusaient de reconnaître le progrès du dogme 3). On


pouvait s'attendre après cela à un jugement très favorable sur le Cardinal Newman .

Mais le ferme intellectualisme que les auteurs tiennent sans doute de leur admiration
pour saint Thomas ne pouvait s'accommoder des répugnances de Newmanà l'endroit
delà raison. Aussi n'ont-ils pas hésité à reproduire les griefs allégués contre le grand
théologien anglais, entre autres : " un respect contraint, mêlé de méfiance et de dé -

dain secret, à l'endroit de l'apologétique et de la théologie traditionnelle •>


(p. 979 .

Pourtant eux-mêmes partagent ce peu d'estime, du moins pour l'apologétique et


la théologie du commencement du xix« siècle, dont ils ont eu le courage de signaler
les lacunes : « Peut-être convient-il de dire... que si cette brillante aurore (du début du
xix.^ sièclej ne fut pas suivie d'un beau jour, la cause principale en fut, non seulement

(1) Il est vraiment peu en harmonie avec l'excellente méthode de tout ce chapitre de pré-
tendre que la formule de s. Marc sur la confessioa de s. Pierre contient au moins implicitement
celle de s. Matthieu (p. "-20 note). Nous voilà bien loin de l'exégèse historique. Que le Fils de
Dieu soit implicitement le Messie, on peut le laisser passer, mais que le Messie soit implicite-
ment le Fils de Dieu au sens propre, in concreto, ratione Itujus personae, c. ; ci verborum et con-
eeptus historici, n.
(2) Voir aussi p. 920 « Or en le condamnant (le jansénisme),
: ils (les Papes) atteignirent par
contre-coup quelques conceptions augustiuiennes, exclusives et reserrantes, sur la vie de la
grâce 1, etc.
(3) Et la légitimité duprobabilisme. Les Dominicains sont rangés en bloc parmi ses ennemis.
J'ai entendu dire souvent qu'il avait pour père Barthélémy de Médina.
462 REVUE BIBLIQUE.

en France, mais partout (i;, dans le caractère superficiel des études philosophiques
et théologiques... On ne songea pas à confronter la pensée moderne avec la théologie

traditionnelle que les maîtres d'alors connaissaient peu, ou connaissaient mal »

^p. 966 . Si >"e\vman s'est montré trop inquiet des exigences, ou plutôt des besoins
des âmes modernes, il est encore plus certain qu'autour de lui on ne s'en préoccupait
pas assez, et, pour le dire sans méchanceté, les auteurs de C/wisius s'inspirent beau-
coup plus de la méthode historique chère à Newman que de celle des Cardinaux
Perrone et Franzelin, à ne citer que des morts parmi ceux qui les touchent de plus
près (2). L'exil, comme il arrive souvent, leur a permis de mieux connaître cette église

d'Angleterre, dont Bossuet admirait déjà le goût pour l'antiquité chrétienne, et ils

ont profité de ses travaux, sans que leur loyalisme cathohque en ait souffert au-
cune atteinte, comme le prouve la dcvotion an Pape (p. 990) dont ils sont pénétrés.
Il serait à souhaiter que cette brillante étude fût détachée de son cadre, pour être
plus facilement lue et relue. Ceux qui auraient appréhendé de ne trouver dans un
manuel qu'un écho banal des idées courantes auront été agréablement surpris; rien
de plus personnel que ces vues directes des individus et des choses, de plus vivant
que ce style, parfois piquant (3), plus souvent grave et juste, de plus humain et de
plus chrétien que cette légèreté de main qui a su toucher à des controverses ré-
centes, même entre catholiques, sans irriter les plaies. Cette dextérité charitable les
guérirait, si des blessures intellectuelles pouvaient être fermées avant que le temps
son oeuvre de discernement.
ait fait
Décidément, nos deux manuels font honneur aux bonnes études catholiques. Et
pourtant on nous affirme que ce n'est qu'un début et qu'on se propose désormais
d'instituer des semaines d'ethnologie religieuse, afin de populariser les principes qui

doivent présider à l'histoire des religions. Si ce n'était un peu solennel, on serait


tenté de dire une fois de plus, oportet ho'rescs esse. Or c'est à peine si les deux ou-
vrages cités ont quelque part une allusion fugitive à VOrpheus de M. Salomon
fait

Reinach. Il n'y avait vraiment pas à y revenir, depuis que 'SI. Loisy s'est chargé de
Texécution (4).

Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagraxge.
1^1 J'aurais bien envie de souligner ce partout.
(-2) On se rappelle qu'à propos de larticle du K. P. Rousselot, « Les yeui de la foi », dans les
Recherches.... la Civiltà rattoUca (11 août 1911, p. 333) disait que lo studio del Rousselot per riu-
srire soddisfaceiite s'ha da ricostruire su altra basi mena nuove c mena geniali forse, ma in
compensa assai piit sicure. N'est-ce pas un peu le repmche qu'où faisait à Newman ?

(3) y est-il pas piquant que la dévotion au .Sacré-Cœur soit présentée comme un remède au do-
cétisme? Le péril est-il aussi grave de nos jours que du temps de saint Ignace, évéque d'Antioclie?
Assez piquante aussi cette formule « sur l'heure, la condamnation de Galilée confirma dans
:

leur quiétude beaucoup d'àmes que troublait la perspective d'une brusque adaiitation à des
cadres nouveaux. Pourtant cet avantage immédiat ne compensait pas de plus lointains déGcits »
(p. 896). « Pie IX dit plus volontiers Sous avons absolu ment droit à votre hommage. Léon XIII
:

(lit plus volontiers Vous avez absolument besoin de nous. Mais ne suffit-il pas de rapprocher
:

ces deux assertions pour faire voir que ce sont là deux aspects d'une vérité identique, et donc,
qu'au sens théologique du mot, l'un des Pontifes n'est pas plus « libéral » que l'autre ? (p. 930;. -

Y a-t-il donc un sens théologique du mot « libéral " S'il était mieux connu, que de confusions
"/

seraient évitées: A le prendre dans un sens trop fâcheux, les auteurs ne pouvaient l'appliquer
à Lacordaire, qui pourtant aimait à s'en parer, et ils l'estompent par la gentille expression
d' « illusions romantiques », accolée à de Falloux. à Cochin, à A. Dechamps, au duc .\lbert de
Brogîie, à M'^'^ Dupanloup... Illusion romantique de profiter très politiquement de ce qu'on jjou-
vait tirer des circonstances, de soutenir par exemple la loi Falloux contre le tout ou rien de
l'Univers, et de se tenir en garde contre les avances de l'absolutisme impérial?
CO A propos de l'histoire des religions, Paris, Nourry, 1911.
BULLETIN

Nouveau Testament. — Lesqualrnévrinyilcs et les Actes des apôtres (i) sont les
livres historiques du N. ï. M. Mader, professeur à Coire, a pensé qu'il était opportun
de les traduire de nouveau en allemand et de les commenter pour cette partie du
public lettré qui ne se soucie pas de suivre les discussions de trop près. Le texte
traduit est le texte grec, celui qu'on regarde aujourd'hui comme le meilleur. M. Mader
ne se croit nullement astreint à traduire la Vulgate, parce que le décret d'authen-
ticité visait moins le texte, qui n'était pas alors établi, que son contenu religieux.

Les variantes de la Vulgate sont cependant indiquées, soit dans le texte, soit dans les
notes. Il est fâcheux que nous ne sachions pas plus précisément quel est le texte choisi;
le traducteur a dû fixer lui-même ses leçons, car il a préféré, dans Luc. 2, 1-J, un

texte qui n'est ni celui de la \ulgate, ni celui des éditions critiques. La traduction
est plutôt littérale qu'élégante, s'attachant à rendre le même mot grec par le même
mot allemand. S'adressant à des lecteurs instruits, M. Mader a tenu à les mettre an
courant des controverses et à leur dire nettement ce qu'il en pense. Il a distingué,
comme de raison, canonicité et authenticité. C'est ainsi quede Marc (16,
la finale

9-20), certainement canonique, n'est très vraisemblablement pas de la plume de


Marc, n'a pas pu être écrite par Marc pour compléter un ouvrage longtemps inter-
rompu. De même l'histoire canonique de la femme adultère (Jo. 7, .53-8, 11 est dans j

saint Jean un bloc erratique qui a été introduit dans le quatrième évangile, mais
qui émanait d'abord de l'un des disciples du Seigneur. Dans saint Jean encore,
les vv. 5, 3'^ et 4 ne sont pas authentiques, et cette on s'abstient de dire qu'ils
fois

sont canoniques. Un aussi petit fragment n'a point en effet été prévu par le Concile
de Trente. Tandis que M. Mader
montre assez enclin à adopter sur ces points les
se
opinions régnantes dans il suit une voie très personnelle à propos de la
la critique,

question synoptique. Il lui répugne absolument qu'un évangéliste se soit servi d'un
autre évangéliste. Les ressemblances des synoptiquess'expliquent donc soit par la tradi-
tion orale, soit par l'emploi de sources écrites. Tous trois auraient écrit vers le même
temps, de 60 à 70 après Jésus-Christ. Car il n'est pas clair du tout pour M. Mader que
les Actes ont été publiés au moment où ils se terminent; il demande seulement qu'ils
soient antérieurs à 70.
Encore plus personnelle, —
on dira presque assez étrange, est la solution du —
problème de Quirinius, qui entraîne l'auteur à une chronologie nouvelle de la vie de
Jésus. Quirinius aurait été gouverneur de Syrie en 746 de Rome, huit ans avant Jésus-
Christ, et le Sauveur serait né cette même année. Quoiqu'on ne donne qu'une année
au ministère public de Jésus, il ne pouvait tout de même pas avoir trente ans la
quinzième année du règne de Tibère (29 ap. J.-C), si bien qu'il faut lire trente-six

(1) Die heiligen vier Evangelien und die Apostelgescltichte, ùbersetzt und erklart von Dr. Jo-
hann Madeu, Prof, der Theol. in Cluir, in-8'^ de xliii-797 pp. Einsiedeln... Benzigor, 1911. .\vec
'imprimatur de M^' l'évèque de Coire.
464 REVUE BIBLIQUE.

ans dans Luc. 3, '2^. Assurément une erreur de copiste n'est pas impossible, mais
combien peu vraisemblable, et cela explique-t-il mieux les faits? Comme jour de
la mort de Jésus on indique le 7 avril de l'an 30 les Juifs auraient différé la Pâque
;

d'un jour. Notons encore quelques particularités l'étoile des mages n'était point un
:

astre, mais une apparition lumineuse semblable aune étoile; le titre de Fils de
l'homme indiquait l'infirmité voulue de la nature humaine de Jésus; il faut distinguer
là pécheresse de Luc, Marie Magdeleine, et Marie sœur de Lazare, la généalogie de

Luc est celle de Marie, Emmaiis est à 160 stades, etc.


Le commentaire est rédigé avec le plus grand soin, très clair et très rempli de
faits sans aucun étalage d'érudition. L'exécution typographique est excellente.

On a continué d'écrire beaucoup sur les Odes de Salomon. A prendre les choses où
les ont laissées la magistrale publication de Ms"" Batiftol et de M. Labourt, et dont nos
lecteurs ont eu la primeur (1), on signalera les vues de MM. Grimme, Frankenberg,
Newbold, Conybeare, Fries, Stôlteu, Connolly, Burkitt.

M. Grimme est le seul qui se rattache au système de M. Harnack : écrit juif inter-

polé. Il lui aurait même donné un appui décisif, s'il avait réussi dans sa tentative har-
die de prouver que le texte original était l'hébreu, et que ce texte, rétabli par lui,
constitue une série de poèmes où les interpolations ne sont pas moins reconuaissables
par la forme métrique que par l'idée (2). Ce serait, au nom de la philologie et de la
métrique, la plus brillante confirmation de l'hypothèse d'Harnack, déduite du désac-
cord des idées. Et déjà l'énoncé de l'entreprise indique combien elle est aléatoire ;

d'un autre que M. Grimme on dirait téméraire. Son tact philologique lui a permis de
réaliser un vrai tour de force, qui impose l'admiration et risque de séduire. Mais il
faut voir les choses de près. M. Grimme a deux thèses il veut prouver que les odes
:

ont été écrites en hébreu, et aussi qu'elles n'ont pas d'unité, étant mi-parties juives,
et mi-parties chrétiennes. Ces thèses sont à la rigueur indépendantes l'une de l'autre ;

puisque, d'après G., un iuterpolateur chrétien a écrit en hébreu, presque aussi bien
que l'auteur juif, des compléments considérables, il eût pu écrire le tout et de même ;

un juif a pu écrire en grec. Cependant, si le tout a été écrit en grec, il y a comme


une présomption pour l'origine chrétienne.
Voyons les preuves de la première thèse. Sur 42 odes, les 33 premières seraient
acrostiches en hébreu. On devrait conclure qu'elles ont été écrites en cette langue.
Mais le fait est-il bien établi ? Notons, pour ceux qui n'auraient pas lu l'ouvrage,
qu'il ne s'agit point d'un ordre alphabétique pour chaque vers d'une ode, mais d'une
disposition des 33 premières odes de x à ^. L'ode 1 est restituée d'après le copte,

l'ode 3 manque, le début de l'ode 4 manque aussi. Il faut supposer que ces cinq odes
commençaient par X. Après cela, les odes se suivraient selon l'ordre alphabétique de
leur premier mot, 3, 2, etc. G. concède que neuf lettres ne sont pas représentées
(1, 1, ~, n, l:, s, y, n), tandis que d'autres se présentent deux fois ou plus (3
"î,

jusqu'à sept fois), mais toujours dans l'ordre de l'alphabet. Dans ces conditions, l'or-

dre ne peut avoir été combiné par l'auteur, qui aurait mieux fait les choses il serait ;

l'œuvre de Tinterpolateur, mais travaillant, comme on le voit, sur une matière hébraï-
que puisque le syriaque (ni le grec) ne peut pas donner ce résultat. Oui, mais il fau-
drait pour cela que la traduction de G. fût la seule possible, et non seulement ce n'est
pas le cas, mais plusieurs fois elle est assez arbitrairement choisie. Pour obtenir
le 2, il faut traduire -jw par niail suivi d'un verbe, ce qui est peu naturel et
sans au-

(1)Les Odes de Salomon, Paris. Gabalda, 1911. d'après RB. octobre 1910, janvier elavril 19H.
(2)Die Odeii Salomos, sjTiscli-hebraisch-deutscii. Ein liriUscher Versucli von Hubert GniMME, o
ô. Professor an derUniversitiit Mïinstcr i. W., in-8» de iv-liS pp. Heidelberg, Winter, 1911.

h
BILLETLN 465

torité dans la Bible. Pour avoir ; il faut traduire ^~^'E par "iS;, qui est possible à la
rii^ueur, mais moins bon que"!-?: (cf. 13, 1, d'après l'auteur!). Le début deTode 12
est une traduction forcée, celui de 13 ne s'impose pas. Le début de 14 prouve l'arbi-
traire de 6 et 7. La traduction de 17 n'est pas iieureuse. A 18 un - interrompt la
série desi. 19 et 20 sont certains, mais la même lettre se trouve les deux fois en
syriaque; c'est donc peut-être d'après le syriaque que ces deux odes ont été rappro-
chées, comme 6 et 7. 8 et 9. La place du premier mot pour 22 n'est pas indiquée
par le syriaque. 23^ est seulement possible est coupée ;i ,
23"^ suppose qu'une ode
en deux, et supprime la copule. 24
une transposition. 26 est factice, 28 n'est
exiu:e
pas la traduction la plus naturelle, ni 29, ni 31. ni 33; 32 suppose une inversion,
comme 29. Pour les neuf derniers numéros, M. Grimme renonce. Il a merveilleuse-
ment réussi à mettre les premières odes dans un ordre alphabétique; il n'a point
prouvé qu'elles y aient jamais été avant lui.
Un autre argument pour l'origine hébraïque est tiré des difficultés qui seraient
expliquées si un texte hébreu que le traducteur aurait mal compris.
l'on supposait
C'est encore un terrain propice aux conjectures brillantes. Mais pour procéder avec
quelque sûreté, il faudrait que le sens actuel fût inadmissible, et que le sens postulé
s'imposât. On admettra par exemple que""^; en hébreu signifie a vie » ou " monde ».
Dans l'ode 33. 10. le syriaque a compris " monde » ; G. préfère mais on ne
« vie »,

saurait lui donner raison. G. imagine aussi que le traducteur n'a pas compris la vraie
portée du parfait avec ïcaiv: au lieu de mettre le futur, il a traduit littéralement et
mal par leMais dans le cas de 22, 8-12, il est avec le copte qui traduisait du
passé.
grec, et dans 24. l ss., on n'hésiterait pas à lui donner raison. Et précisément le
copte ayant prouvé l'existence d'un texte grec qui lui servait d'original, il est vrai-
semblable que c'est aussi ce texte qu'a suivi le syriaque, comme a fait le traducteur
des psaumes de Salomon. Ou comprendra que nous ne puissions poursuivre cet exa-
men en détail. Les conjectures de G. lui font honneur, mais comme il est certain que
le texte syriaque est assez fautif, comment s'appuyer sur lui pour un travail aussi dé-
licat?
D'ailleurs Grimme c'est que. une fois sa traduction
l'argument principal de M.
exécutée, reconnu que son texte hébreu était rédigé selon la loi de la poésie
il a
hébraïque, quant au mètre, au rythme, à la strophique. Or, d'après lui, une strophe
comprend toujours le même nombre de vers, et une poésie est toujours conçue sur le
même mètre. Chaque vers comprenant de trois à cinq mesures, une poésie originale
ne comporte aucun mélange.
La réussite était donc particulièrement difficile pour Grimme, et on est surpris que
cette prose syriaque se soit transformée, par le simple fait de la traduction en hé-
breu, en une série de poésies parfaitement régulières. En fait pourtant, M. Grimme
constate de nombreux mélanges, seulement il les explique par l'intervention de Tin-
terpolateur.
Le premier recueil d'odes était écrit en vers hébreux. L'interpolateur avait ce texte
sous les yeux, et il savait lui aussi se servir des mêmes mètres. Seulement il n'a
pas
été assez adroit pour ne pas mêler des vers de cinq mesures à des vers de quatre ou
de trois, ou réciproquement. De plus il s'est permis d'augmenter ou de diminuer les
strophes, sans parler de petites additions prosaïques.
Et c'est ici que pourrait bien être le faible de la théorie. L'auteur joue à quitte
ou
double. S'il prouve que les changements de mètre coïncident avec des chan^^ements

(1) Le même mot est traduit autrement sur 32 pour avoir une autre lettre.
REVUE BIBLIQCE 1912. — X. S., T. IX. 30
466 REVUE BIBLIQUE.

dans les idées, il a gagné sa gageure. Sinon, il n'a pas réussi à nous offrir ce qu'il
avait promis, des poésies originales régulières. Et n'est-ce pas une gageure que Tin-
terpolateur n'ait pas su faire plus souvent ses vers ni ses strophes à la mesure exigée,
quoiqu'il y ait très bien réussi quand il voulait, et que M. Grimme soit arrivé, lui. à

réécrire les odes dans les différents mètres, et sans s'en douter !

Quoi qu'il en soit, il faut examiner si les modifications de mètre et d'idées coïnci-

dent.
G. a noté comaie tout le monde, que l'auteur dit tantôt « je » et tantôt « nous »,
quoique moins souvent ; de plus, que la personnalité du « je » est tantôt une person-
nalité humaine, qui éprouve
la faiblesse de l'humanité et tend à s'unir à Dieu par la

grâce, tantôt est une personnalité venue de Dieu qui après des épreuves quitte la
terre. En d'autres termes. « je » est tantôt un individu ordinaire et tantôt le Christ.
Tout ce qui est chrétien sera regardé comme interpolé. Il ne reste plus qu'à faire la
contre-épreuve. Dans un tableau synoptique, M. Grimme met sur sept colonnes les
passages raccourcis, les changements de mètre, les strophes surchargées, les addi-
tions prosaïques; puis les « nous ». les « je » qui sont le Christ, les « je » qui sont
l'interpolateur... et il se trouve... qu'il y a coÏQcidence dans six cas (6. 5 s.; 14,
9; 17, 15: 28, 8 ss. : 41; 42, 4-26\ et il ajoute : la même chose se trouve
encore cinq fois dans le 18: 27: 39;, mais pas au
cadre de la même ode » i3: 7 :

même endroit Vraiment le résultat est plus que chétif. Le changement de « je en


!
>>

« nous » serait encore appréciable s'il y avait vraiment changement. Mais dans l'ode

4 par exemple. « nous » paraît au v. 9 sans avoir été précédé de « je ». Et quoi de


plus naturel que cette alternance.' car le poète n'est pas un isolé, il appartient à un
groupe, au moins en théorie. Quant à la double personnalité du poète, c'est l'énigme
du recueil, parfaitement insoluble par l'hypothèse de petites interpolations, d'autant
qu'elle est posée en principe : « parce que je l'aime lui. le Fils, je deviendrai Fils »

(3, 9). Comme on pourrait être séduit malgré tout par la hardiesse de la thèse de
M. Grimme, et en tirer argument en faveur de celle de M, Harnack, il faut constater
que précisément les cas que ce dernier avait regardés comme les plus révélateurs
d'un original juif ne font aucune impression sur le premier. On pense aus-
sitôt à la double allusion au Temple (Odes 4 et 6). le principal argument pour l'ori-

guie juive des odes, qui laisse M. Grimme tout à fait froid (p. 135). Et on se demande
vainement quel argument a pu le décider pour l'origine juive du recueil. Nommer
juif tout ce qui n'a pas la marque spécifique du christianisme est vraiment trop aisé !

Ce qu'il nous faudrait comme indice distinctif, c'est un « je v juif, distinct du « je »

qui est le Christ et du « je » qui est chrétien. Or G. n'essaie même pas de le mettre
en vedette.
A supposer que le mètre prouve des interpolations (l\ elles ne sauraient donc
s'opposer au gros de ^ou^Tage comme la correction chrétienne d'un ouvrage juif.
Et il serait encore plus fantaisiste, le mètre étant le même, de découper tout ce qui

est évidemment chrétien. A supposer que M. Grimme ait prouvé que les odes étaient
écrites en hébreu, il n'aurait donc pas prouvé quelles étaient d'origine juive, d'autant

que lui-même regarde les trois cantiques de s. Luc, le Magnificat, le Benedictus et le


yuncdimittis comme des traductions de l'hébreu. Tout cela fait le plus grand honneur
à sa virtuosité philologique, mais n'atteint d'aucune manière la thèse de l'unité et de
l'origine chrétienne, si soHdemeut établie par Ms'" Batiffol.
Au surplus, c'est bien dans le monde chrétien que l'on cherche de plus en plus le

(1) On peut très bien regarder comme telles les tloxologies, comme par exemple 11, 21'; 16,
ao"-, etc.
HLLLETIN. 4C7

foyer de cette singulière littérature. M. Frankenberg 1) la rattache à l'école exégé-


tique d'Alex;indrie. Il ne regarde pas les odes comme un résultat des grands travaux
d'Origène, par exemple; ce serait les placer beaucoup trop tard. Mais l'exégèse allé-
gorique était dans l'air à Alexandrie avant les exégètes. et a pu s'exprimer dans une
composition poétique imitée de l'A. T. L'auteur des odes se serait largement inspiré
des expressions des psaumes, et, d'une façon générale, de la Bible ancienne, en dé-
crivant le Christ ou le /o'/c-v dans Tàme humaine sous les traits du juste souffrant et
enfin glorifié, tandis que le Christ historique ne paraît pas. Ce serait donc un tableau
de l'àme et de ses expériences religieuses, l'âme étant à la fois le cosmos et l'église,
ainsi que l'exprima plus tard Macaire : 'Ey./.Àr,aîa âv oj3\ r.zoïio-o'.z w-H-x:, -îô ou^TvaaTi
Tôjv -'.aTÔJv, y.aX tw 3-jy/.p!}iaTt t^ç '^'•''/^^z (P. G., XXXIV, 7ô6\
Afin de rendre plus sensible le rapport entre les odes et les conceptions alexan-
drines, M. Frankenberg les a traduites en grec, très littéralement, d'après le .syria-

que, mais en proposant des corrections dont quelques-unes sont très heureuses (2).
Puis l'auteur commente les odes en commençant par celles qui lui paraissent fournir

la clef des autres, 17. 42, 18, 24, Et aussitôt il nous paraît qu'il a donné dans
etc.
l'inconvénient qu'il fallait prévoir; il poussé trop loin l'explication du détail allégo-
a
rique. On peut estimer aussi qu'il a été trop logique dans son système, refusant de re-
connaître aucune allusion à personne réelle du Christ. On comprend bien son mé-
la

pris pour une littérature qui serait si complètement artificielle; mais est-ce bien l'esprit
de l'auteur, qui paraît au contraire si pénétré de ses rapports avec Dieu.? Sur un point
capital cependant, F. paraît avoir touché tout à fait juste. Il s'agit de l'ode 19, G-10.
J'avais d'abord été très séduit par la brillante conjecture de M?" Batiffol sur le texte :

<> Comme un homme elle enfanta volontairement », c'est-à-dire elle enfanta un fils

qui avait apparence d'homme. On se souvient que c'est un de ses principaux argu-
ments pour prouver le docétisme des odes. M. Grimme qui a eu aussi l'idée de mettre
« comme un homme à l'accusatif, a traduit
>' « elle enfanta la grâce, comme si :

c'était un être masculin », mais on ne voit pas bien comment cette étrange concep-

tion se rattache à son système. Dans la manière de 'SI. Frankenberg, tout est suffi-
samment clair. Si l'auteur eût voulu parler de la conception surnaturelle de ^larie, il
eut commencé au v. 6 un nouveau thème. Ce serait bien le cas de parler d'interpo-
lation Mais la vierge n'est autre que l'àme qui engendre le logos : en le concevant,
!

elle agit comme un homme, être raisonnable qui agit par raison et par volonté :

n;''2ï2 est traduit xaTx tzooxIoz'jvi et F. a aussitôt cité s. Grégoire de Nysse : àÀÀ' h.
T:;;oaip£73io; 6 to'.outo; tÔxoç... Èv tôS to'.o'jtoj çr/jA xtJ; ^Z'r^r^ot'x)^ f.;o='.. f,; f, ~ooxlcî7:z Tr v

(iôîva aa'.sÛETai... [P. G. XLIX, 328) et Origène (3) : Mulier j^rdcgnans dicitur anima,
quae nuper Dei concepit verbam... Qai ergo conciphint, et stalim pariant, isti nec
malieres aestimandi sant. sed viri et perfecti viii... Verum ne tibi novum videatar.
qaod viras parère diximii.>i... L'étrange expression : « Comme un homme elle enfanta
volontairement», eut donc paru toute naturelle à Origène; elle datait sans doute de
loin. Suit le couplet : « elle l'jenfanta en exemple, elle ~\e~ posséda en grande
puissance, et 1' aima en salut, et ^le] garda dans la suavité, et le] montra dans la

(1) Dos VersUlndnis (1er Oden Salornos, von Lie. tlieol. Wilhelui Fr.vsKExnERi,. pfarrer iu Zie-
genhain, in-8'^ de 103 pp. Giessen, Tôpelmann, 19H.
(2) EDlre autres celle-ci, indice que l'original du traducteur était bien le grec, to vajjia au lieu

de To ovoiAa (30, 5) • C'est une source sortie du cœur du Seigneur » au lieu de l'incompréhen-
:

sible « et du cœur du Seigneur elle tire son nom ». M. Grimme suppose ici dans l'hébreu le
nom
de laliu : ce serait très bien pour l'origine hébraïque, mais cela est sans fondement.
(3) P. G. XII, 371, hom. in Ex. x.
468 REVUE BIBLIQUE.

grandeur (l) », qu'on pourrait comparera celui de s. Bernard Quaerit anima ver- :

bum cui consentiat ad correptlonem, quo illuminetur ad cognitlonem, cui innitalur ad


virtutem. quo reformetur ad sapientiam. cui conformetur addecorem. cui maritetur
ad fecunditatem. quo fraatur ad jacunditatem [In cantica. 85). Piiilon a consacré
tout un traité à la conception spiriluelle des vertus (2).
M. Frankenberg a souvent cité Tégyptien Macaire et Origène, dont s. Grégoire de
Nvsse dépend nous venons de rappeler Philon. La pistis Sophia a connu et employé
-.

les odes. C'est donc bien l'Egypte qui dut être leur patrie.

MM. Convbeare (3) et Fries (4) ont pensé en même temps à la Phrygie; les odes
seraient montanisles. Le temple de l'ode 4, qui ne peut être changé de place, serait
la nouvelle Jérusalem de Pepouza. On ne voit pas que ni l'un ni l'autre aient allégué

des traits vraiment caractéristiques de Montan ou de ses prophétesses.


M. W. M. Romaine Newbold (b) avait le même droit de dire que l'ode 4 était

une protestation contre les prétentions de Pepouza. Mais ces précisions historiques
ne paraissent pas s'accorder avec l'allégorisrae intense des odes. M. >îewbold les
a comparées à ce que nous avons de Bardesane; les ressemblances sont vraiment

fugitives, et les odes sont moins gnostiques que le Gnostique qui l'était le moins.
L'opinion de Ms'" Batiflol qui réduisait leur saveur d'hérésie au docétisme a été
contestée par M. d'Alès (6;. M. Venard (7) a insisté sur ce que la sotériologie des
odes « se ramenait à l'illumination par la connaissance ^8' » on n'y prend donc ;

pas très à cœur l'Incarnation et la Rédemption, et cela ressortit encore, quoique


très largement, au docétisme, mais à un docétisme moins accentué selon nous que
celui que combattait s. Ignace d'Antioche.

M Stôlten a eu l'excellente idée de chercher des parallèles gnostiques aux Odes


de Salomoni9\ Pour lui aussi, les Odes sont d'origine chrétienne, nom de et si le

Jésus n'est jamais prononcé, il est toujours au fond de tout. Stôlten a donc mis sur
deux colonnes les passages qui lui ont paru se rapprocher, soit dans les Odes, soit
dans les actes apostoliques apocryphes, et dans les citations des gnostiques ou de la
religion mandéenne. Les analogies sont assez lointaines, ou, lorsque le rapport est
d'un lieu commun ou d'une idée courante dans la Bible. On
étroit, c'est qu'il s'agit

remarquera cependant l'appui que donne à l'interprétation mystique de l'Ode 19 un


passage de la prédication des Nausséraius, cité par Reitzenstein dans son Poimandres
(p .96, note G d'après les Philosophoumena d'Hippolyte aCtr, yap ï-j-n -asOivoç Iv : fj f,

yaoTol r/ojaa za'i a-jA/,a;a.6àvou(7a xa"; -'./.-ryj'jT. j'.ôv, oj jjy./.ov, o-j atjju.aT'./.6v, à/.).à u.a/-j'.àov

Aiwva Atwvwv. La comparaison des deucc textes sur ce point est assez typique. Très
ordinairement les expressions des Odes qui nous paraissent cependant manquer telle-

I) M. Labourt a-t-il raison de suppléer le pronom? Son absence s'explique très bien dans le

système de M. F., puisque ce qui est né n'est pas un enlant, objet très concret, mais une cliose
.le l'ordre psychologique.

(2 De rongre$SH eruditionis gratia,dés\e début T.àpsTir,... w; {iriSè [laieyTty.^; Tc/vt);... ç6àv£i


:

yàp àTioTÎ/.Toyjx... ôîïcôat. et plus loin la vertu enfante à Dieu en demeurant vierge tô) ty-jV :

àîinapôÉvov [j.r,Tpav... àvoiHavTi.


(3) The Odes of Salomon Montanisl, dans la Zeilschrift fur die neuteslar/ientliche Wissen-
H'hafl. dîill, p. 70--O.
Die Oden Salomos. Montanistisciie Lieder aus dem ajalirhundert, même revue, 1911, 108-125..
,i)

Bardaisan and (he Odes of Salomon, dans Journal of Bihlical Literalure, 1911, 161-2(Ù
(ri,

L'auteur lit infoumatis est utérus virginis, au lieu de infirmants dans le texte de Laclance, sur
l'Ode 19, ti.

(ti) Éludes, 20 déc. 1911, 765 ss.


(7) Revue du Clergé français. 1" avril 1912, 38-46.
(8) Les Odes de Salomon. p. 121.
(9) Zeilschrift fur neuttstamenlliche Wissenschaft..,, 1912, p. 29-.'>8.
BULLETIN. 460

ment de simplicité, sont moins techniques, moins recherchées que les passages
gnostiques correspondants. M. Stolten a raison de les comparer à la piété populaire

des Actes apocryphes des Apôtres.


L'étude du Rev. R. H. Connolly est spécialement dirigée contre l'argumentation
de M. Harnack(l}. montre que les éléments chrétiens, reconnus dans les « inter-
Il

polations chrétiennes » du savant de Berlin, se retrouvent ailleurs, dans les parties


qu'il tient pour juives, et (jue le tout forme un réseau dont on ne peut rien détacher.

Il note spécialement plusieurs allusions à la Desr.enti^ du Christ aux Enfei's assez

semblahles à des traits de l'Evangile de Nicodème, de sorte qu'il ne consentirait pas


à dater toute la collection avant le milieu du second siècle.
Ceux qui se sont occupés des Odes n'ont pas manqué de déplorer qu'on ne possé-
dât qu'un ms. en syriaque. Aussi M. Burkitt fut-il très étonné de découvrir un second
ms. syriaque, provenant de la iVitrie, installe depuis soixante-dix ans et dûment
catalogué depuis quarante ans au British Muséum (2). Le ms. contenait les Odes et les
Psaumes de Salomon sous une seule numérotation. Il reste des Odes depuis 17, 7
jusqu'à la fln et des psaumes 1, 1-3, 5 et 10, 4-18, 5, la dernière section étant fort
endommagée. M. Burkitt a fait le relevé des variantes de ce ms. qu'il estime antérieur
au x*^ siècle, par rapport au ms. de M. Harris. Cette collation est en faveur du ms.
connu, car les variantes sont peu nombreuses et sans grande importance. M. Burkitt
apporte Tappui de son verdict si autorisé à l'origine chrétienne. Il insiste sur l'obscu-
rité nécessaire d'un apocryphe portant en tête le nom de Salomon. En pareil cas
l'auteur présumé était censé connaître prophétiquement les faits et les doctrines de
l'avenir, mais il ne disait pas les noms propres pour sauvegarder du moins en gros
les apparences de l'époque où il avait vécu. Dans les psaumes de Salomon, comme

il est fait allusion à des événements, la date réelle de la composition est plus aisée à

découvrir; les Odes, qui ont trait aux doctrines, offrent des points de repère moins
précis, mais il faut les entendre à demi-mot, et reconnaître par exemple le iiaptême
et l'eucharistie sous des termes nécessairement vagues puisqu'ils étaient placés dans
la bouche de Salomon.

Pays voisins. — La magnifique collection des cylindres et cachets orientaux


exposés sous du musée de la Bibliothèque Nationale, est maintenant
les vitrines

accessible à tous les savants. Dans une publication à la fois scientifique et artistique
M. Delaporle a pris la peine de les classer méthodiquement et de les étudier un à
un (3). Un album de 40 planches reproduit les documents et permet de contrôler la
description de l'auteur par la vue de l'objet décrit. L'ordre adopté dans le classe-
ment est à la fois le plus simple et le plus rationnel. D'abord les cylindres répartis

en diverses sections d'après la provenance, la date et le sujet représenté. Puis vien-


nent les cachets assyro-babyloniens, perses, syro-cappadociens, dont les représenta-
tions complètent celles des cylindres. De la sorte on se rend compte de l'évolution
de la glyptique orientale. Les cylindres les plus variés, en même temps que les plus
anciens, sont ceux de l'époque appelée suméro-akkadienne. On les divise en quatre
groupes principaux, suivant quils appartiennent à la période présargonique, ou à

(1) The Odes of Solomon Jewish or Christian? par le R. R. H. c.o.nnoi.ly, 0. S B., dans Tha
:

Journal of theological Sludies, janv. 1912, p. 298-309.


(2) A new ms of the Odes of Solomon, par F. C. Burkitt, dans The Journal of theological Sludies,
avril 191-2, 372-385.
(3) Catalogue des cylindres orientaux et des cachets assyro-babyloniens. iwrses et syro-cappa-
dociens de la Bibliothèque Nationale par Loiis Delaporte. In-i" de n -+- 384 pp., avec un album
de 40 planches. Paris, Leroux, 1910.
470 REVUE BIBLIQUE.
l'une des dominations successives d'Agadé, d'Our, de Babvione (1). Les scènes
sont d'abord des plus simples : un épisode de la vie champêtre, personnages et ani-
maux qui travaillent ensemble ou luttent les uns contre les autres. Puis les person-
nages prennent une signification précise. C'est le héros Gilgamès et son frère d'ar-
mes Eabani, moitié homme, moitié tam'eau. Les représentations illustrent sur le vif
les exploits de l'Hercule babylonien tels- que nous les connaissons par la geste de
Gilgamès. Bientôt le cylindre n'est plus un simple objet destiné à parapher la signa-
ture du propriétaire. C'est un hommage ou une invocation à la divinité. Dieux et
déesses y figurent à tour de rôle ou en compagnie. Des scènes religieuses, spéciale-
ment la présentation de l'homme au dieu par une divinité intermédiaire, l'offrande
d'un chevreau ou la libation sacrée, se substituent aux scènes profanes. Et l'on
devine combien ces sujets sont intéressants pour comprendre la nature des dieux ou
les principes du culte dans la religion babylonienne archaïque. Au temps de la

domination assyrienne, de même que sous la dynastie néo-babylonienae, la plupart


des sujets persistent, mais il s'en ajoute de nouveaux. Par exemple l'arbre sacré,
« parfois un palmier, le plus souvent plante stylisée difficile à déterminer » (p. 209 ,

le dieu-poissoQ qui se retrouve chez les Perses. Dans l'étude des cylindres syro-cap-
padociens, M. Delaporte met en relief les influences venues de l'Egypte ou de la
Babylonie, influences qui aboutissent à une glyptiiiue assez composite, mais quand
même originale. Nous n'en finirions pas de relever les données de premier ordre que
peut trouver l'historien de l'art ou de la religion dans l'ouvrage que nous avons
sous les yeux. L'introduction est une véritable synthèse de tout ce qu'on peut
affirmer avec certitude sur les origines et les développements de la glyptique en
Orient. M. Delaporte ne néglige rien pour faire de sou exposé un tout complet.
Avec une modestie du meilleur aloi, il a compulsé ce que ses devanciers et ils —
sont nombreux — ont publié sur la matière. Afin de fournir les jalons de sa réparti-
tion chronologique, il dresse une table des cylindres royaux et des empreintes datées
que l'on connaît jusqu'à ce jour (p. xxiv ss.). Les noms propres mentionnés dans
les légendes des sceaux (noms de divinités, de rois, de personnes privées) sont
classés alphabétiquement à la fin du volume. Eufiu un index des matières principa-
les, très ingénieux et très complet, permet de retrouver sans eftort les sujets traités

aux diverses époques. Tout le monde saura gré à l'auteur d'avoir facilité ainsi
l'utilisation de ce catalogue, l'un des plus précieux de toute la glyptique orientale.
Cette reconnaissance rejaillira sur l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. C'est
grâce à cette société et à la fondation Eugène Piot que l'ouvrage a pu paraître avec
toute l'illustration désirable.

Sans prétendre rivaliser avec les musées nationaux, la collection privée de


M. Louis Cugniu renferme bien des cylindres intéressants. Les soixante et onze nu-
méros qu'elle comprend s'échelonnent depuis l'époque sumérienne jusqu'à l'époque
perse. Dans la description qu'il en donne (2), M. Léon Legrain s'est inspiré des
mêmes principes que M. Delaporte dans le catalogue signalé ci-dessus. Il a analysé
surtout, avec beaucoup de pénétration, les scènes religieuses et les représentations
de divinités. On remarquera la page consacrée au dieu des Amorrhéens, le dieu
Martu ou Amurrù (p. 26 s.), et la description du n° 14, où l'on trouve une triple
lutte dieu contre dieu, Gilgamès contre le taureau, lion contre lion. Les réflexions
:

(1) Les cylindres de style kassite se raUachent à l'école babylonienne.


Catalogue des cylindres orientaux de la collection Louis Cugnin par Léon Legr ain. In-i
'

(2)
de II + 54 pp. 6 pi. hors texte. Paris, Champion, 19H.
+
BULLETIN. 471

(le M. Legiain sur l'art et les idées religieuses de la Chaldée attestent une pro-
fonde connaissance des textes et des monuments.

Des fouilles clandestines pratiquées à Dréhem, non loin de Nippour. ont amené
sur le marché d'antiquités un grand nombre de tablettes de comptabilité, datant
de la dynastie d'Our vers 2400 av. J.-C.;. Naturellement les musées d'Europe ont
prélevé les plus intéressantes de ces tablettes. Quebiues-unes se sont arrêtées en
route à Jérusalem et paraîtront prochainement dans la Reçue d'Ass)/ri<jlo^/ie. M. de
Genouillac a publié successivement celles qui ont été acquises par le Louvre {1} et

un choix d'entre au musée de Constantinople et au musée du


celles qui se trouvent
Cinquantenaire à Bruxelles (2). Le premier ouvrage est un catalogue succinct, avec
l'index des noms propres. Cinquante et une planches reproduisent les textes en une
autographie impeccable. Dans le second ouvrage, une étude collective sur les
tablettes de Dréhem publiées par l'auteur lui-même i3), par Langdon 4) et par De-
laporte (ôi, met à même d'apprécier les données nouvelles que ces textes ajoutent à
la connaissance de l'histoire et de la géographie chaldéennes à l'époque d'Our. Rien
n'est à négliger dans la reconstitution de la chronoloiiie et de la politique de ceux
qui, avant Babylone, présidèrent aux destinées de Suraer et d'Akkad. Malheureuse-
ment M. de Genouillac n'a pas insisté suffisamment sur l'intérêt religieux que pré-
sentent ces modestes tablettes. Simples relevés de comptes d'un parc aux bestiaux,
ellesindiquent la destination des diflérentes « sorties » d'animaux. Presque toujours,
les agneaux ou chevreaux, brebis, chèvres, veaux ou génisses, qui sont emmenés du
parc, sont destinés aux sacriflces. On indique le jour, le mois, l'occasion de ces
sacrifices, qu'il s'agisse néoménie ou de quelque autre fête. J'ai même constaté,
de la

sur les tanlettes de Jérusalem, que souvent le nombre d'animaux immolés corres-

pondait au jour du mois; par exemple onze agneaux pour l'onzième jour, douze pour
le douzième, etc. Les victimes allaient en augmentant avec la croissance de la lune :

le dieu grandissant devait être sustenté par une nourriture plus abondante. Bien
d'autres observations sur ces textes pourraient faire toucher du doigt combien leur
étude éclaire le culte de l'ancienne Chaldée. Aussi doit-on être reconnaissant à
M. Langdon d'avoir édité les tablettes de la collection d'Oxford 1 . Mais que les
autographies sont peu soignées! L'auteur a copié rapidement ce qu'il lisait sur l'ori-
ginal, sans chercher à laisser à sa copie la physionomie de l'original lui-même. Il a
eu le mérite de faire précéder les textes d'une bonne traduction et d'une étude sur
les noms de mois sumériens. On consultera avec profit cette reconstitution du plus
ancien calendrier connu. La hste dans laquelle l'auteur met en parallèle l'année
présargonique avec l'année de Laga- et de Nippour complète heureusement celle du
P. Kugler (7.

On n'étudiera jamais trop l'astronomie babylonienne. Fille de l'astrologie, cette


science avait été poussée par les Mages de Chaldée à un degré de précision qui nous

(I) Tablettes de Dréhem, publiées avec inventaire et tables par H. de Gexoullac. Petit in-fol.
de 21 pp. + LI pi. Paris, Geuthner. 1911.
2; L<i trouvaille de Dréhem par H. de Gesoullac. Grand in-8 de -20 pp. -^ 20 pi. Paris, Geuth-
ner, 1911.
3; Dans les ouvrages ci-dessus.
4 Cf. inf.
:j) Collection Bessonneau dans la Revue d'Assyriologie, VIII, n i.
•3 Tatilets froin the Archives of Dréhem, by Stephen LAMiDOX. shillito reader of assyriology
and comparative semitic philology, Oxlord. Grand in-8° deiï pp. XXIII pi. Paris, Geuthner —
l'iu.
") Sternkunde iind Sterndienst in Babel, II, I, p. 181.
472 REVUE BIBLIQUE.

déconcerte. Aussi les assyriologues sont-ils souvent arrêtés par les termes techni-
ques dont fourmillent les textes. M. Weidner se livre depuis plusieurs années au
travail ingrat de donner les équivalents exacts des mots et des formules qui rendent
si souvent obscures les observations astrologiques du Tigre et de FEuphrate (1).
Dans les Beitrâge zur Assyriologie (viii, 4} il s'attache à fixer le sens des expres-
sions « route d'Anou (dieu du ciel) », « route d'En-lil (dieu de l'atmosphère et de la

terre) », « route d'Èa (dieu des eaux) », qui désignent diverses régions du ciel. Grâce
au texte fondamental de la bibliothèque d'Asourbanipal (publié dans /// R., 51,9 =
K. 480), comparé avec d'autres rapports astronomiques, M. Weidner prouve d'abord
que les trois expressions servent à désigner trois arcs du zodiaque. Déjà Hommel
avait reconnu qu'il s'agissait du zoziade, mais il partageait le cercle en trois par-
ties égales. Selon Weidner, cette répartition n'est pas exacte. En réalité, la route
d'En-lil comprenait six^ constellations du zodiaque, tandis que la route d'Éa et celle
d'Anou comprenaient les six autres. Ainsi le soleil parcourait la route d'En-lil quand
il allait des Gémeaux au Scorpion, celle d'Êa quand il passait du Sagittaire à l'Am-
phore, celle d'Anou des Poissons au Taureau. C'est principalement en utiUsant les
données des astrologues sur la position des planètes aux divers mois de l'année que
M. Weidner a pu aboutir à préciser ainsi les domaines respectifs des trois sommités
du panthéon babylonien. Il cherche ensuite à fixer le sens du terme technique agù
<( couronne » qui apparaît fréquemment dans les rapports météorologiques concer-
nant la lune et les planètes. Il propose une triple signification lumière cendrée, :

pleine lune (quand le terme est agu tasrihti « couronne d'éclat »), cercle de vapeur
qui entoure la lune. Cette élasticité du terme agù est assez déconcertante. Peut-être
l'auteur finira-t-il par trouver une désignation unique qu'on pourra appUquer à tous
les cas. Par contre, il semble bien être dans le vrai quand il reconnaît dans azqaru
« faucille, croissant » l'aspect de la lune durant les stades d'une éclipse totale. Nous

ne pouvons insister sur les autres dissertations contenues dans le même fascicule et
qui ont trait aux observations de la lune. L'auteur y commente un long texte de
143 lignes, publié par Virolleaud dans son « astrologie chaldéenne ». Les remarques
sont instructives et fixent plusieurs points du vocabulaire astronomique. Un index des
mots et une carte du ciel babylonien (vers 4500 av. J.-C.) rendent plus accessibles
les renseignements un peu éparpillés à travers l'ouvrage.

MM. Bezold et Bollne se sont pas contentés de chercher dans l'astrologie grecque
des échos plus ou moins affaiblis de l'enseignement qu'on donnait aux écoles
de Babylone, de Sippar ou d'Eridou (2). En comparant un texte assyrien relatif
aux tremblements de terre (3) et un texte grec édité par BoU dans le Catalogue
de Cumont (VII, p. 167 ss.), ils que l'astronome grec avait suivi
se sont aperçus
très fidèlement l'original chaldéen. La traduction du texte cunéiforme juxtaposée
au texte grec rend indéniable l'influence du premier sur le second. Cette consta-
tation est bien faite pour confirmer l'idée traditionnelle que les Babyloniens furent
les initiateurs non seulement de TOrient, mais encore de l'Occident, lorsqu'il s'est
agi d'étudier les astres ou les météores. Comment se fit cette pénétration.' Il serait
prématuré de résoudre cette question. Mais il ne faut pas oublier que la culture
babylonienne, grâce à Bérose et à Abydène, ne fut pas ignorée des Grecs. Même

(1) cf. les articles Zur babylonischen Astronomie tlans Dabyloniaca, V-VI: Beilrâge zur Erklii-
rung der astronomischen Reilschrifttexte dans Orient. Liller. Zeilung, 1912. 3, etc.
(2) Réflexe astrologischer Keilinschriften bel griechischen -SchriftsteUern, dans les Comptes
rendus de l'Université de Heidelberg (1911, fascicule ").
(3) Virolleaud, Adad, n° XX.
BULLETIN. 4T3

au V siècle de notre ère. le dernier des Platoniciens, Damascius, connaissait très


exactement les antiques légendes de la Cbaldée sur les origines du monde i .

L'étude de MM. Bezold et Boll complète la très intéressante conférence que le

premier des deux auteurs donnait le 3 décembre 1910 sur l'astronomie des Baby-
loniens i2 .

Les lettres assyriennes et babyloniennes retrouvées dans la bibliothèque de


Koyoundjik fournissent une matière inépuisable aux dissertations assyriologiques.
L'éditeur, M. Harper, ne se lasse pas de produire des documents nouveaux i3;.
Fidèle au plan qu'il a indiqué dès le début de son Corpus, il ne se hasarde pas
à donner l'interprétation des textes avant que soient publiés tous les matériaux.
Mais déjà bien des travaux dapproche ont été faits de divers côtés. Après John-
ston 4 , Behrens (.5i, Klauber 6), Zeitlin (7). Godbey (8 , Toiïteen 9), Streck (1 0),
voici encore deux études sur cette correspondance, l'une due à M. Figulia ill\
l'autre à M. Ylvisaker '12;. Elles ne font pas double emploi. M. FiguUa glane
dans les lettres du temps d'A-ourbanipal quelques renseignements historiques sur
cette époque. Il réunit les missives de Bél-ibni. Tun des principaux officiers du roi.

et cherche à les ordonner chronologiquement. Le butin historique est assez maigre,


car n est évident que les détails contenus dans ces lettres n'ajoutent que peu
de chose à ce que nous connaissons, par les inscriptions officielles, des campagnes
du roi en Élam et en Babylonie. Sur les vmgt-six lettres étudiées par M. Figulia.
dix-neuf sont de Bèl-ibni au roi, six du roi à Bél-ibni, une d'un officier à Bêl-ibni.
On saisit sur le fait la manière dont les commandants des troupes assyriennes restaient
en relation avec gouvernement central pour recevoir des instructions ou rendre
le

compte des opérations militaires. Alors que les lettres de l'officier débutent par
de longues salutations, les ordres royaux sont introduits par une formule plus
sèche Parole du roi à Bél-ibni. Je vais bien, que ton cœur soit heureux! Au
: '(

sujet de telle ou telle allaire, etc. » Un autre intérêt de ces lettres est de montrer
comment A-ourbanipal pouvait rester dans son palais et s'attribuer les honneurs
de la campagne, puisque les principaux mouvements des troupes étaient soumis
à sa décision et à son contrôle ,13). On ne peut que remercier M. Figulia d'avoir

groupé en un tout et d'avoir soumis à une nouvelle étude cette partie si intéres-
sante de la chancellerie ninivite. Le travail de M. Ylvisaker est d'ordre, bien
diflférent. On pourrait le comparer à ceux de M. Bohl 14) et de M.- Ebeliug 15)
sur la langue des lettres d'el-Amarna. Avec une admirable patience et un sens
philologique très sur, l'auteur a compilé toutes les formes grammaticales qui se

(!• Cf. notre Choix de textes..., p. 3 ss. dans les notes).


(2 Publiée dans les Comptes rendus de lUniversité de Heidelberg (1911, fascicule 2) sous
le titre Astronomie, Himmetschau und Aslrallehre bei den Babyloniern.
(3 Cf. RB.. 1910, p. 313.
(ij Journal of the american oriental Society. XVIII et XIX.
[ô] Cf. RB., 1907. p. 4G3.
(6 Ibid., 1911, p. 311.
(7) Le style administratif chez les Assyriens (Vhtis. Geulhner, 1910;.
Americ. -Journal of semilic languages, XXI, p. Go ss,
(8i

(9) Ibid., XXI, p. 83 ss. XXni, p. .3-23. Sur la géograpliie.


;

10) Ibid.. XXII. p. -207 ss. Complète et corrige les listes géographiques de Tofifteen.
11 Der Brieficechsel BèlibnCs, Historische Urkunden ans der Zeit Asurbinipals. von Hl"go
HEi>r;iCH FiGiLLA, dans MDVG., 1912, l. In-S° de 104 pp. f^eipzig, Hinrichs.
12 Zur babylonischen und assyrischen Grammatik. etc., von Dr. Phil. Skuro C. Ylvisaker,
dans Leipziger semitistische Studien. V, 6. Petit in-S" de iv -^ 88 pp. Leipzig, Hinrichs, 1912.
(13 Cf. Les pays bibliques et l'Assyrie, p. Kni et p. 121. n. 2.
(14) RB.. 1910, p. 471 s.

(15) Ibid., 1911. p. 317.


474 REVUE BIBLIQUE.
rencontrent dans les lettres de l'époque des Sargonides. Il a eu le mérite de
distinguer soigneusement les caractéristiques de la phonétique babylonienne et
assyrienne à cette époque. Ainsi tandis qu'aux formes iftc'al et ifta'al l'assyrien
change la lettre t en t après un q, le babylonien conserve le t. Une autre règle,
presque constante, est que l'assyrien conserve la lettre s devant la dentale, tandis
que le babjionien la transforme en 1. Pour la morphologie, M. Ylvisaker se contente
d'aligner sous leurs diverses rubriques les exemples rencontrés. Il fournit ainsi des
matériaux de premier ordre non seulement à ceux qui s'occupent de grammaire
assyrienne, mais encore à ceux qui s'intéressent aux langues sémitiques comparées.

M. Sina Schiffer, jr., a eu l'heureuse idée de réunir en un petit volume les


informations historiques ou géographiques que nous fournissent sur les Araméens
leurs propres inscriptions et les textes cunéiformes (1). Il commence par recueillir
les données relatives à ce peuple, telles qu'on les trouve éparses dans les annales
des rois d'Assyrie et dans l'Ancien Testament. Après quoi il passe aux inscriptions

araméennes, non sans avoir traité d'abord la question de leur langue et de sa


diffusion. Tout un chapitre est consacré aux diverses stations des Araméens dans
l'Asie occidentale. C'est la partie la plus personnelle du travail de iM. Schiffer,
car les textes cunéiformes dans lesquels sont mentionnées des tribus araméennes ont
main de maître par M. Streck (2). Ou lira avec profit les articles
déjà été traités de
courts mais substantiels, consacrés à
Aram-Naharaim. Bît-Adini, Beth-Rehob, etc.
A propos de l'expression Diin^DlN « Aram des deux fleuves », M. Schiffer par-
tage l'avis de Meyer et de Barth qui voient dans le duel de niinj une sorte de
locatif et interprètent l'expression complète par ï;u^(a ::ora[jiwv au lieu de Supi'a
yj M£ao7:oTa;j.faç. C'est aussi l'interprétation qui est adoptée dans le dictionnaire
Gesenius-Blhl, s. V. n'in;. « Aram des fleuves « voudrait dire le pays bien
arrosé, ce qui nedonne aucune indication sur la situation géographique. Par contre,
l'ancienne traduction < Aram des deux fleuves » permet de retrouver en Mésopo-
tamie le pays en question. Il ne faut pas oublier que, pour les classiques, le mot
MEaozoTafX'a voulait dire « entre les fleuves », c'est-à-dire entre le Tigre et l'Eu-
phrate. De
sorte que le mot Diinj niN signifie simplement l'Aram mésopotamien,
opposé l'Aram de Damas, de Sôbâ, de Beth-Rehôb, etc. Dans une note de la
à

p. 61, l'auteur insiste sur le fait que le roi de Bit-Adini (':'7y-n''2), à savoir
Ahouni, est appelé « fils d'Adini » dans les inscriptions de Salmanasar II. Par
cette désignation l'annaliste ne prétend pas, comme le croit M. Schiffer, voir dans
Adini le nom d'un chef de dynastie. C'est une façon de caractériser les habitants
d'un pays, qui a pour premier élément le mot BU « maison » et pour second élément
un nom d'individu. C'est ainsi que Salmanasar II appellera Jéhu « fils d'Omrî

{Hu-um-ri-i) » pour signifier simplement que ce roi est de Bit-Hiunrî ("i"iQ"~ri''2),

c'est-à-dire du pays de Samarie. L'identification, désormais incontestable, du pays


de Ja-u-dl (3) avec •~n'! des inscriptions de Sendjirli est bien mise en relief par
M. Schiffer. Il eût pu en déduire une prononciation iôdi {== iddi) qui serait intéres-
sante à constater pour l'histoire de la vocalisation araméenne. Le pays araméen
de Sùhu ne devrait pas être identifié à nV^T de la Bible cf. le gentilice iwé dans
le livre de Job). Fried. Delitzsch qui avait proposé cette identification l'a combattue
dans son récent commentaire sur Job. Et, en effet, le pays de Sùhu (entre le Balih

(1) Die Aramaer, Historisch-geographische Untersuchungen von Dr. Sika Schiffer jun., In-8" de
XII + 207 Leipzig, Hiniichs, Util.
pi>.
(•2) Dans Klio, VI, -2 et surtout Mitth. dvr oordcras. Gesellschaft, 190»;, 3.
(3) Dans Téglatli-plialasar III cf. Les pays bibliques et l'Assyrie, p. 33,
:
BULLETIN. 47.;

et le Habour. affluents de ;:;auche de l'Euphrate est beaucoup trop éloigné de


l'habitat de Job et de ses amis il). On remarquera surtout que Souh, dans Gen.,
25, 2. est oncle de Sebâ et de Dedan. Or Dedan est à localiser à el-'Ela dans
l'Arabie nord-occidentale '2). Sebà du côté du ouady es-Sabâ sur le territoire de
Médine. Le pays biblique de ~"*w' est donc certainement à distinguer de SùIik. Il

y aurait bien des additions à faire aux remarques réunies à la fin du volume sous
la rubrique Glossen und Materialien. L'auteur n'a pas suffisamment mis en parallèle

l'itinéraire d'Asour-na>ir-apIa 3 et la liste des alliés du roi de làdî contre Téglath-


phalasar III T. Il eût pu situer la montagne de Sarpùa p. 189 au Silpius mons j

d'Antioche, celle de laraqu au <lj. ol-Aqrn' au sud d'Antioche , et reconnaître


dans rmù
Siannu p. 189) de Téglatb-phalasar III, Usanat et Si/ma de Salma-
et
nasar II. .Mais M. Scbitfer complétera certainement son étude. Il n'a pas la pré-
tention d'avoir du premier coup résolu les problèmes que soulèvent l'histoire et
la géographie du pays d'Aram. Sa préface dénote un très grand souci de mettre

au point les solutions qu'il propose.

Les membres de l'expédition Cornell en Asie Mineure et en Mésopotamie com-


mencent à publier les résultats de leur voyage. Afin de n'être pas devancés par
d'autres explorateurs, ils n'ont pas hésité à donner d'abord le 2- fascicule du
l""" volume [ô Ce sont les inscriptions hittites. Des trois auteurs. MM. Olmstead.
.

Charles, Wrench. c'est M. Charles qui a le mérite d'avoir le plus contribué à relever
les inscriptions. La plupart sont connues déjà. Elles figurent dans le Corpus inscrip-
tionum Eettiticarum de Messerschmidt {Mitt. der vorderas. Gesellschaft, 1900, 1902,
1906 L'expédition américaine a pu confronter les copies avec les originaux et faire
.

quelques corrections. De nouveaux documents s'ajoutent aux anciens. M. Charles


espère pouvoir un jour donner un essai de déchiffrement. Nous attendrons ce
moment pour apprécier la contribution apportée à l'histoire par ces textes. Pour le

moment, remercions les voyageurs d'en fournir de bonnes photographies et des


copies très minutieuses.
P. Dhorme.

Palestine. — Un élégant opuscule de Son Altesse Royale le prince Jean-Georges.


duc de Saxe, traite du Co'/i'é/if de Sainte-Catherine au Sinai. 6 . L'illustre savant, qui
avait déjà Uvré en des revues spéciales ^7 quelques épis de sa féconde moisson de
documents, a eu l'heureuse pensée de la mettre tout entière en œuvre dans une mo-
nographie complète. Six chapitres, écrits d'une plume sobre et limpide, résument
l'histoire et l'organisation du monastère, décrivent la basilique justinienne et ses
transformations, la chapelle du buisson ardent, le trésor, la bibliothèque et les cha-
pelles secondaires. Tout ce qui pouvait être de quelque intérêt au point de vue ar-
chéologique, iconographique et artistique a été observé et enregistré.Le mérite de
l'avoir rassemblé est accru par le mérite de l'avoir commenté avec la compétence
dès longtemps reconnue par les spécialistes à M?" le duc de Saxe. Douze planches

I Revue Biblique, lîill. p. 102 ss.


i Ibid., p. 104.
3; Les pays bibliques et l'Assyrie, p. C s.
:4 Ibid., p. 34.
yo) Travels and -Sludies in the nearer east by .4. T. ÛLMsTEiD, B. B. Cuaklf.s, J. E. Wbexch.
volume I. part ii, Hittite inscriptions. ln-4 de 4t» pp. et XWII pi. Uhaca, Xew-York, 1911.
(6) Katharinenkloster arn Sinai. Librairie Teubaer, 191-2.
l'as
(; En particulier la 2ei7.sc/i>-i7< fur christliche Kunst 1911 et 1912. Le n" 1 de 191-2 contient
aussi une remarquable série de documents artistiques recueillis par Son .Utesse Royale, dans les
monastères de Jérusalem.
476 REVUE BIBLIQUE.

groupent les reproductions de 43 photographies constituant un trésor aussi agréable


que fructueux à étudier.

M. l'architecte C. Mauss a publié la monographie de divers éléments architecturaux


dans le groupe monumental du Saint-Sépulcre ili. Il étudie surtout les deux portes

occidentales murées : celle qui donnait accès à la galerie intermédiaire, dans l'axe
même de la rotonde, et celle dont l'arcade est visible encore sur la rue des Chré-
tiens (anc. rue du Patriarche), dans l'axe de la chapelle Sainte-Marie. Chemin fai-

sant, il expose ses vues sur les annexes de la rotonde. La chapelle Sainte-Marie, au
Nord, lui parait antérieure au vu'- siècle : la chapelle des Patriarches i2), à l'Ouest, et
le palais patriarcal en son ensemble pourraient remonter au xr' siècle; les chapelles
méridionales et l'atrium ne reçoivent aucune attribution chronologique précise, mais
sont seulement classés ainsi en ordre de succession : 1 '
les chapelles ;
2° l'enceinte du
parvis avec les arcades dont il reste l'amorce occidentale et quelques bases; 3'^ la
façade actuelle, antérieure aux Croisés; 4'^ le clocher des Croisades. Et M. Mauss
conclut : pour une détermination plus précise de date «il faudrait faire, sur place, une
étude longue et minutieuse que nos occupations d'autrefois ne nous ont pas permis de
faire ip. 21). Elle a été poursuivie de longues années durant à l'Ecole et les résultats

ne tarderont plus trop à La façade méridionale nous a semblé comme le


paraître.
clocher, comme la porte Sainte-Marie, une œuvre médiévale; dans le groupe des
Sud quelques éléments,
chapelles du le gros-œuvre du baptistère en particulier, re-
montent apparemment à la première installation du sanctuaire et c'est de là que pro-
vient la cuve baptismale byzantine aujourd'hui reléguée dans le capharnaum de l'im-
passe Sainte-Marie, où M. Mauss lui a cherché un agencement ingénieux, mais qui
ne fut jamais réalisé. Naturellement la justification archéologique et historique de
telles attributions M. INlauss a de sévères mais infini-
ne saurait trouver place ici.

ment justes paroles pour le maître maçon Komninos, responsable à tout jamais
d'avoir saccagé la physionomie artistique de la rotonde, sans parler d'autres mé-
faits, dans la restauration de 1810.
La détermination métrologique de la mesure ouvrière de la rotonde et les con-
séquences déduites de cette mesure sont d'une érudition technique admirable.

Sous le titre (3). M. l'architecte G. Jeffery


Cégh'se du Saint Sépulcre à Jérusalem
a résumé du monument, la description des vestiges de l'édifice primitif et
l'histoire

celle des constructions actuelles. La monographie, bien illustrée, utilise ce que l'œil
d'ua homme du métier peut observer actuellement et sera lue avec le plus profond
intérêt. Le monument médiéval est particulièrement bien exprimé.

latin, XII (1909-11), n^'^ 3-4.


Revue de l'Orient M. A. C. Clark, Achard d'Ar- —
rouaise Poème sur le temple de Salomon, fragment inédit de cette paraphrase bibli-
:

que. —
M. d'Albon, Charte concernant le prieuré des FF. Prêcheurs de Modon. 1367,
et La mort d'Odon de Saint-Amand, grand-maitre du Temple, 1179, d'après des

bulles inédites d'Alexandre III. — M. H. Hagenmeyer, Chronologie de l'hist. du


roytiume de Jérusalem; règne de Baudouin F"" (suite), va du 3 avril 1104 au mois de

(1) Église du Saint-Séjiulcre à Jérusalem. I. —


Les deux portes occidentales et la cliapelle
Sainte-Marie; II. Recherche de la mesure ouvrii-re du Saint-Sépulcre. Gr. in-8» de 61 pp. Paris.
Leroux, 1911.
(2) La comiue absidale de cette chapelle orne toujours le parvis de Sainte-Anne, au lieu où
M. Mauss l'a transportée ;p. -21).
i3) The Church of the Holy Sepulchre. Jérusalem, par M. G. Jeffery, conservateur des Monu-
ments historiques à Chypre. Extrait du Journ.ofthe roy. Instit. ofBrit. Airhitects.Ul, xvii, 1910,
n"" 18 ss. ; 02 pp. in-i\
BULLETIN. 477

septembre lIOô. — M. E. Bloeliet, Rel-ilion du voyage m Orient de Carlicr de


PinoH, lj7y (suitei. — Bibliographie.

Dans un pavement en mosaïque découvert à « Saint-Pierre en Gallicante ». un mé-


daillon central « portait une inscription circulaire » parfaitement interprétée par
le R. P. Germer-Durand ;I :
'ï-;.': vot r,ptï; Maji'a;. C'est la commémoraison d'une
bienfaitrice et il « n'est pas sans intérêt » de la rencontrer < dans les dépendances de
l'ancienne église Saint-Pierre ». Le P. Germer publie en même temps la photogra-
phie d'une bague en bronze provenant des mêmes fouilles et < dont le chaton
représente un coq ».

Bas heilige Land. 1912, n' '2. —Par une pensée à la fois libérale et scientiflque, les

PP. Bénédictios du Mont-Siou vont livrer progressiveoieut à l'étude leurs riches col-
lections archéologiques. Le R. P. H. Hàasier publie déjà les documents cunéifor-
mes : cylindres babyloniens à représentations mythologiques et textes commentés
avec beaucoup d'érudition. —
M. l'abbé Heidet, Li^ dernier aolitai/e de Palestine
(suite), raconte la fondation de la Trappe d'Amwâs. Die visite en Galib'e et aux —
l'coles du « allemand de Terre Sainte.
Verein » Pour le Jubilé des Saurs de —
Saint-Charles Borromée à Jérusalem. La maison de saint Jean (Dormition de —
Marie") au mont Sion : interprétation de divers textes de saint Jean. Nouvelles —
politiques, religieuses, économiques, littéraires et archéologiques de Terre Sainte
(R. P. E. Schmitz). —
Industrie et commerce en Galilée. Écoles. Bibliographie. —
Zeitschrift des D. P. Vereins, XXXV", 1912, no2. — M. le pasteur E. Rottermund, La
Jérusalem de Burchard du Mont-Sion un). — M. le prof. Steuernagel, Les papyrus
judéo-araméens et les ostraca d'ÉlépIiantine et leur valeur pour la connaissance des
relations palestiniennes. — M. le comte de Mùlinen, Poisson rôti et rayon de miel.
— M. le prof. Xestle, Rhinokolura. — Bibliographie.

Mittheilungen... des D. P. Vereins, 1912, n° 2. — M. le past. J. Reil. L'Église de


VÉléona. — M. le rabbin S. Klein, Kh. Ghurdbe et Aphairema. maintient contre
M. Guthe icf. fiB.. 1912, p. 1.59) l'identité de Glniràbe avec 2^; talmudique et

cherche Aphairema plus au nord que Tayebeh, son équivalent onomastique.

Dans ÏAnzeiger de l'Institut archéol. impérial allemand (1912, col. 46 et 47-52),

MM. Friedliinder et Trendelenburg traitent d'une représentation de l'époque justi-


nienne, d'après une paraphrase poétique de Jean de Gaza (vi<^s.). Le poète décri-
une vaste composition qui aurait été exécutée vers 335 pour orner une coupole ou
une conque monumentale à Gaza et qui représentait l'Univers dominé par la Croix
Si technique est la paraphrase que M. Friediaader a tenté de reconstituer icono-
graphiqueuient le sujet. Cette curieuse découverte est un précieux appoint à l'inter-
prétation que le P. Lagrange proposait naguère dune inscription de Bersabée (fiB.,

1910, p. 633 s.).

Une ingénieuse hypothèse, d'ailleurs très solidement raisonnée, de M. le professeur


R. Briinno^v i2, résoudrait élégamment problème artistique de Mechatta, le château
le

fameux des steppes de Moab. Il le suppose fondé au cours du vr siècle par un prince
ghassanide qui employait des constructeurs byzantins et leur faisait imiter les mo-
numents Iakemides d'el-Hira. L'oeuvre demeurée inachevée aurait été reprise au
cours du vii« siècle sous la domination momentanée des Perses et continuée enOn

(i Épigraphie de Jérusalem dans Echos d'Or., XV, 191-2. p. 3S s.


2) Zurneueslen Entwickeluny der MeschetiaFrage, dans Zeitschr. fur Assyrioî.... XXVli,ioi-2.
pp. 129 ss.
478 REVUE BIBLIQUE.

tous les Omyades, sans aboutir jamais à terme. Une comparaison très attentive de
Mechatta avec les autres châteaux du désert arabe, le jour où une documentation
graphique assez précise aura été publiée, permettra peut-être de revenir pratiquement
sur ce difficile sujet.
PalâstinajaJn'buch, VII, 1911 (1). —
M. le professeur Dalman rend compte du fonc-
tionnement et des travaux de l'Institut évangélique durant l'exercice 1910-11. M. P. —
Mickley, Jérusalem au temps du Christ : dissertation diligente, mais quelque peu
aphoristique et çà et là sans critique. —
M. le D'" Briickner, Nazareth comme patrie
de Jésus. — M. le D'" P. Kahle, La nature des sancttiaires musuhnans en Palestine-

excellente monographie sur la forme et l'aspect de ces installations, leurs desser

vants, les superstitions qui s'y rattachent et les rites qui s'y accomplissent. — M. le

pasteur Siegesmund, Une chevauch''e printaniére ù la « mer extérieure », récit de


voyage le long de la côte méditerranéenne.
PE Fund. Quart Stat., avr. 1912. — M. P. Baldensperger, Vimmuahle Orient
J.

(suite), décrit les habitations. — M. W. E. Jennings-Bramley, Les Ijédouins de pé- la

ninsule sinaïtique (suite) : excursion de Nakhel au Yéledj durant la fin de mars et

mauvais mois, au Sinaï ».


avril, « les —
M. le prof. R. A. St. Macalister, Topo-
tographie du tombeau de Racket rattaché aux monuments mégalithiques de JJizmeh
{RB., 1901, pp. 287 ss.). Le même savant publie, avec annotations, sept phot. d'i»s-
ruments paléolithiques palestiniens choisis dans la remarquable collection de M. H.
Clark à Jérusalem. —
Rév. D. L. Pitcairn, JJne inscription gr. de la Décapote : ràvo;
'loûÀ'.oç Icjîûwpoç lauTw iT:oîïiasv, « en relief » sur le linteau d'une tombe d'époque ro-

maine à Bt'fïEàs-Capitolias. M. E. K. Bisht, Observations météoi^ologiques àTibériade,


1910. —
M. l'archidiacre Dowling, Notessur les monnaies de Gaza. Bibliographie. —
Question de fait. — La Vie de Ms^ d'Hulst par Mr tome P' Baudrillart, dans son

parledeux fois de la Revue biblique. Le premier passage (p. 477) n'appelle aucun
commentaire. On pourra trouver nos textes relatifs aux débuts de M. Loisy dans la
Reçue bUAique de 1892. p. 149 s., p. 305 s., p. 474, p. 47.5; 1893, p. 159 s. Chacun
pourra juger s'il y a dans les critiques trop de vivacité.
Dans un second passage ip. 479 "SW Baudrillart s'exprime ainsi
, : « Le bruit cou-
rait, en effet, que l'abbé Loisy avait été secrètement déféré à l'Index, et l'on affirmait,

à tort ou à raison, que les auteurs de cette dénonciation étaient les Pères Dominicains

de la Revue biblique ». Ce qui pourrait accréditer cette hypothèse auprès des lecteurs
de l'éminent Recteur de l'Institut catholique de Paris, c'est une lettre de M. Captier,
procureur deSaint-Sulpice à Rome, datée du 6 janvier 1893, où il disait du Rév. Père
Lepidi « Il m'a promis de faire, si cela peut être utile, des démarches auprès du
:

nouveau général des Dominicains pour tempérer le zèle des Pères de la Revue biblique ».
A lire cette phrase isolément on serait tenté de croire que le P. Lepidi était informé
de son côté. Le contexte prouve qu'il n'en était rien. Il a simplement répondu à la ma-
nière romaine, iuxtapetila. Un homme de l'autorité de 31. Captier lui parle d'une dé-
marche émanée des Dominicains; il se place aussitôt sur ce terrain, et promet d'inter-

venir. Mais il suffit de lire la fin de la lettre de M. Captier, et la suivante, pour se rendre
compte que le P. Lepidi ne savait rien d'une dénonciation des Pères de la Revue bibli-

que. et il y avait pour cela une bonne raison, c'est que cette dénonciation n'existait pas.
Jérusalem, -2 juin 191-2.
Fr. M.-J. Lagrange.
(1) In-S» de 11-154 pp., a planches. Berlin, Millier et fils, 1911.
ÉCOLE PRATIQUE D ETUDES BIBLIQUES

AU COUVENT DOMINICAIN DE SAINT-ÉTIENNE, A JÉRUSALEM

PROGRAMME DE L'ANNEE SCOLAIRE 1912-1913 (octobre à juillet].

Exégèse du N. T. — L'Évau'jile aclon saint Luc. iMardi et jeudi, à 10 h. ni.

R. P. Marie- Joseph Lagraxge.

Exégèse de l'A. T. — Le livre de Job. Samedi, à 10 h. m.

R. P. Paul Dhorme.

Géographie des Pays bibliques. — Vitinéraire des Hébreux de VÉgyple à


Jéricho par le Si^iaï, Lundi à 10 h. m.

R. P. Bertrand Carrière.

Géographie documentaire de Terre Sainte. — Le Livre de JoswJ. Mercredi, à


à 10 h. m.
R. P. Raphaël Savigxac.

Topographie de Jérusalem. — Jérusaleni dans le N. T. — Vendredi, à 10 h. m.

R. P. Marie Abel.

Archéologie biblique et orientale. — Législation et usages des Arabes. Ven-


dredi, à 9 h. ni.
R. P. Antonin Jaussex.

Épigraphie sabéenne. — Mercredi, à 9 h. m.

R. P. Antonin Jaussen.

Langue hébraïque. — Lundi et vendredi, à 3 h. 1/4 s.

R. P. Bertrand Carrière.

Langue arabe. — Mercredi et samedi, à 3 h. 1/4 s.

R. P. Antonin Jaussex.

Langue araméenne. — Grammaire et inscriptions. Mercredi et samedi, à


4 h. 3/4 s.
R. P. Raphaël Savigxac.
Langue assyrienne. — (
Cours supérieur. Lundi, à -J li. 3 4 s.

( Cours élémentaire. Vendredi, à 4 h. 3/4 s.

R. P. Paul Dhorme.

Langue copte. — Lundi, à 3 h. 1,4 s.

R. P. Marie Abel.

Langue grecque. — Grammaire du X T. et des papyrus. Mercredi, à 10 h. m.


R. P. Marie Abel.

Promenade archéologique, le mardi soir de chaque semaine.


Excursion de la journée entière, ime fois par mois.

Voyages :

1. Du 16 au 23 octobre. — Fouilles de Beil-Chémès. le pays de Sarason, Socho,


Beit-Djébrin, Lachis. Gaza, Ascalon. Azot. Accarou, Gézer, Emmmaiis.
IL Vo\age au Sinaï. — Suez, mines de Magharah, ouâdy Feiràn, djebel Serbal,
Siuaï .3 jours), 'Aqabah. Ma'àn Petra 3 jours', Chôbak. Kérak, Màdabà, Jéricho, Jéru-
salem.
On partira de Suez le 5 février 1913. Le voyage durera environ 40 jours; il n'aura
pas lieu si di.\ inscriptions ne sont pas définitivement arrêtées le 1" décembre 1912.
Pour plus amples renseignements, s'adresser au directeur de lÉcole Biblique, à

Jérusalem.

Le Gérant : J. Gab.^lda.

Typographie Firmin-Didot et C. — Paris.


.•i lUi

<^<*,

T^â

Ijrr^-T/'Y' -"^"K-Wr-oiv -roiooy^ll'^oïc- Mmiè: ,

'•iC*.

Cod. s. Croix, n" o6, Fol. 185' Job, xi, 11-14


UN MANUSCRIT PALDIPSESTE DE JOB (^)

Le manuscrit n" 30 du fonds de Sainte-GroLx, à la bibliothèque


du patriarcat orthodoxe de Jérusalem, est un volume complètement
palimpseste, qui mesure, en son état actuel, 28 centimètres sur 20.
Dans les 215 feuillets qui en restent, après que les premiers et der-
niers cahiers ont été arrachés, sont conservées, en écriture supé-
rieure, diverses œuvres de saint Basile, homélies ou lettres (2).
Le parchemin utilisé pour la seconde fois aux xii^-xm" siècles
par nn moine de Saint-Sabas provient de deux volumes démembrés,
écrits l'un et lautre en une onciale penchée de bon aspect, que
M. Papadopoulos-Kerameus assigne au viii" siècle. L'apparence des
deux manuscrits anciens est assez différente pour qu'on distingue les
feuillets de l'une ou l'autre provenance sans trop de difficultés dune :

part, divers ouvrages de saint Jean Chrysostome écrits à ligne en-


tière, et, d'autre part, une copie du livre de Job avec chaîne mar-
ginale, qui fait le sujet de cette notice.
Ce manuscrit n'avait pas échappé à l'investigation de plusieurs sa-
vants qui ont fréquenté avec profit l'importante bibliothèque hié-
rosolymitaine. Lorsqu'il était encore au monastère du llav-'.;j.icj
1-y.'jpzj, le volume avait passe entre les mains de Tischendorf, mais
je crois que le célèljre chercheur de manuscrits bibliques n'a examiné
qu'une partie du volume, et justement la partie patristique.

(1, En publiant cette étude, il m'est particulièrement agréable d'exprimer publiquement


ma reconnaissance envers ceux qui m'y ont aidé, de «luelque façon que ce soit au :

Révérend Diacre Hippolyte, bibliothécaire du Patriarcat orthodoxe, qui m'a libérale-


ment autorisé à étudier les trésors de la riche collection dont il a le soin et m'a permis
plusieurs photographies; à M. J. Rendel Ilarris, qui m'a gracieusement communiqué
son exemplaire de Haverford Collège Studies, n° 1, dont il m'au-rait été impossible
sans cela de connaître le contenu; à M^' Mercati, qui ma prêté une copie de scolies
faite par lui à la Bibliothèque Ambrosienne,
sans laquelle plusieurs notes marginales
et

seraient restées incomprises, ou du moins incomplètes; au Très Révérend Père Lagrange,


et à ses religieux, qui m'ont obtenu l'accès de la Bibliothèque, m'ont procuré les photo-
graphies nécessaires, et par-dessus tout m'ont pendant les heures trop courtes
fait jouir,

passées à Saint-Etienne, d'une hospitalité bien capable de faire oublier les fatigues du
déchiffrement; enfin, à l'Œuvre pour l encouragement des études supérieures daiis
le clergé, et en général à tous ceux dont la bonté m'a permis pour la deuxième fois de
séjourner en Orient.
(2) Cf. Papadopoulos-Kerameus, 'l£po(7o)-juiiTiy.r, p'.S/.ioO/./.r;, III. 83 sq.
RIÎVLE DIBLIQIE 1912. — N. S., T. IX. 31
482 REVUE BIBLIQIE.

Un, au moins, des deux passages qu'il a cités en 1861, dans la


deuxième édition de ses Anecdota sacra et profana ,1 provient ,

d'une des pages à longue ligne qui forment la plus grande partie
du manuscrit actuel c'est la deuxième citation, qui commente Job.
:

II, 8 : r, y.zr.ziT. r, r.yM-.zz Opcvcu |ix7'.A'//.;-j zi[VK-.izy.' xr.z ;j.cv 72: tcj fipz^KU

^a''.A5'.v.:J :-JC3v ... v.zzzz: x/'/.x -zzzy.y.<.zz: -tz'l'.: cf. P. G., 6i, 552\
Ces lignes proviennent du f.
89''' particulièrement facile à lire, et où
j'avais noté, bien que cette partie du manuscrit ne m'intéressât pas,
les mots -y. Tpajy.a-ra tcj zv/.y\zj {êà. -.x -zu zv/.t.zj -.pxj\j.-j.-.j.) qui pré-
cèdent immédiatement le passage lu par Tischendorf, et les mots
ôpovcj ^atJiAî'.y-oj, qui se trouvent deux fois dans sa citation.
L'autre ligne rapportée dans les Anecdota : -c/./.a/.'.; --.; -.va ;j.y;

£iç cs9aA;j.:v Aacr, Tr.v -'/.r^-;r^^^ -:i;j.',:v \i.ù.zz ztyj.-x'. ztz\J.x jt.iz..- pourrait
se rapporter à Job, cipsxaTcç, mais les mots que
11, i : zip'^x -j-ïp

Tischendorf a lus ne se trouvent pas dans le fragment de chaîne

publié par .Migne. Il est probable que ce passage, comme celui exa-
miné précédemment, vient des pages écrites à longue ligne et non
de la partie scripturaire à chaîne marginale dont la nature n'eût
pas échappé à l'œil exercé de Tischendorf.
C'est à M. Rendel Harris (^2) que revient l'honneur d'avoir vu
J.

dans le manuscrit de Sainte-Croix qu'il y avait un texte de Job. 11


a transcrit et publié une des pages les meilleures, le f. 198', qui
contient Job xii, 6-9; il a déterminé la nature de la chaîne, qui est
celle d'Olympiodore-Polychronius i^cf. Migne, P. G., 93, 13-i69), et
signalé la présence, à la marge, de notes hexaplaires.
M. Papadopoulos-Kerameus a indiqué dans son catalogue 3) Ic^
publications de Tischendorf et Rendel Harris; une reproduction
photographique du f. 155 est adjointe à la description.

État primilif du manuscrit. Le manuscrit de Job mesurait, —


avant d'être démembré, au moins 3i centimètres sur 26; dans la
plupart des feuillets, une ou deux lignes de la chaîne, soit en haut,
soiten bas, ont été rognées; à la marge extérieure, la perte s'élève
jusqu'à douze lettres.
Voici la liste des feuillets reconnus comme appartenant à ce ma-

(1; P. 225.
(2) Haverford Collège Studies. I, pp. lî-i;

(3) Op. cit., p. 83 sq.

^
1

II
484 REVUE BIBLIQUE.

au f. J60, 11. 9,10 c cixizKzz tw ^ s-.-sv (il, 4); f. 198, 1. 1 u-:Xa5a)v


C3 lojs A£7£i (xii, 1). Les notes hexaplaires, y en a, sont quand il

écrites dans la même écriture que la chaîne. Également en onciale


droite sont les lettres qui servent à indiquer les chapitres, comme
aux fl\ 172% 1. 10 (il, 11); 163^ 1. 1 (ix, 2); 178% 1. 1 (ix, 13).

Le texte. — Le manuscrit de Jérusalem ressemble en général à


YAlexandririKS, qui est, comme on sait, passablement éloigné pour
le livre de Job, et du Vaticanus,
et de l'ensemble des manuscrits.

Je ne veux pas entrer dans une discussion tant soit peu complète
ici

de la question textuelle, et m'abstiendrai de toute comparaison avec


les Pères. La raison en est que je veux laisser intact à M. l'Abbé Dieu

un sujet dont il s'occupe depuis quelque temps V AIexandnnu<i de :

Job et ses attaches littéraires. Que le lecteur veuille bien ne voir dans
les réflexions qui suivent que des indications sommaires!
Le palimpseste ne dépend pas directement de V Alexandrinus , en
voici pour preuve une liste des leçons fautives de ce manuscrit qui
lui sont inconnues omission de itoo 3° (i, 5) où A se trouve seul;
:

addition de r.iziù.Hiù-i t-^v y-/;v y.ai sv7:£p'.-arr,7aç tt^v ut:' z-j^x-iz^i (l, 6)
empruntée par A et '249 à la fin du v. 7 et qui n'est justifiée par rien:
addition de ii, 11 t;j r.7.zy.-/.y.\zzy.'. 7,y.<. r.zziz7.fjy.'^)y.'. xj-m qui est elle aussi
la répétition abusive dune phrase dont la place véritable est à la fin
du même verset; £jXx;s;j.r,v pour
(m, 25) qui n'est proba-
tozzz-j^:ç)

blement pas une correction voulue; bourde avec dittographie de


VI, 20 où il est manifeste que le scribe a été distrait lorsqu'il a écrit

Geî77;j.a-:cç (sic) p-/;;j.aToç ^r^'j-y-zz au lieu de o^t^c^.x p-/;;j.aTo;; non-sens de

a\z-;ziz *au Jieu de \z';z'.q (xi, 12); omission de l'article y.i })ar haplo-
graphie dans /.ai a-. x)z\v.y.'. (xiii, 23); faute de lecture, yiù.tMv pour
yO.iby^ iix, 3: TM T^'-N, erreur qui se trouve d'ailleurs dans beaucoup
de manuscrits et en particulier dans le texte lu par Olympiodore;
Yap cpYuo'js'.v au lieu de r.xpzp';i.Zz'jz'^j (xii, 1).

Les autres divergences textuelles que nous avons relevées entre


X Alexandrinus et le manuscrit de Jérusalem, abstraction .faite de
quelques fautes manifestes de ce dernier, sont au nombre de 60,
qui se décomposent de la façon suivante ;

6 omissions, dont deux paraissent le fait du scribe, tandis que les


autres se rencontrent dans plusieurs manuscrits ; ii, 1 xjtojv (6*^^ ''249

adv. TM)J add. t/aGev ~-J.pyz-r^-^yLl vrx/-<. /m A n, 10 -asiv sol.j add.


"iz A rell. 12 ^r^v] add. s-l -a; -/.ssaXac ajTojv A 13 sAaXr^jsvJ add.
T.zzz, y.j-z'i \z-;zv A III, 2 asyojv] y.xi azsy.p-.Oï; uo5 A, '249 XII, 5 'jr.z

yX/M'/\ jz' y/Xziz ziv.zjz te [j.zj tv.-zp()i'.z(iy: -jt.z 3:v:;xo)v .4 (l'omission


parait due à l'homoioteleuton a/./,wv = avsy.o^v).
UN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOR. 48;;

6 transpositions : i, 5 r.tpi auTtov Ous'.a;] Ojsiaç t.ici a'JTO)v A sol. ii,

4 -M y.yp'.o) £'.-£V ,'>.7, ':249] E'.-£v Toj y.'jpui) yt 10 'ps? auTîv îy.iOjy.xssvj

tr. A sol. III, 2i v;x£i [j,c'.j tr. .4, i^/.9 vi, 30 sv Y'^^'^'i ;J-='J 3:^./.2v]

asi/.ov £v 'f/MZGT, [j.o'j A


début du verset dans A* était différent de
(le

ce qu'il est maintenant, car il n'y a pas moins de quatorze lettres

grattées en avant de £7t'.v par le correcteur A% du moins le texte


primitif était pour les mots qui nous occupent identique à l'actuel).
XIV, 2 £V V.pi[J.X-'. £17£A6£IV £7:t CS'J ZIZOIT^GX^ SoL] £-Cl-/;caÇ £V y.pV^.Xll £'.7£A6£!.V

£771 JS'J ^.
variations dans l'emploi des particules qui s'expliquent peut-
24-

êtrepar le fait que les scribes en prennent à leur aise avec ces infi-
niment petits de la critique (1) i, 5 /.ai -po<7>£Ç)£psv] 7:poïs?£p£v -t :

A sol. II, 2 £t7:£v oî] -o-t £tz£V A 3 y.ai £'-£v] ti-Vf oz A r,Ç)ZGZG-/j.q

68, i249] add. ojv A 10 Ta... Ta] Ta ;7.£v... Ta ot A sol. 11 trwsap] pr.
y.at ^ 12 pf,;avT£ç] add. c£ A sol. III, 1 ;A£Ta es SoL] /.ai [X£Ta ^, 1?-^P

5 zT.z'kOoi] pr. /.ai /l, t^5^ 11 v^p sol.] c£ yl 16 /.ai sol.] 75 A 17


£X£i] add. av A IV, k -e] ot A ix, 13 om. os ^ 15 £av vap] eav t£ Yap
A 16 'rrTOYjOï;^/;] pr. \).t, A* sol,, expunxit A'' xii, 4 oi/.aioç os 5///{
ciy.aicç Yap .4 5 ypovov sol.j add, y^P A 7 z£T£iva ot] -ûîTSiva t£ .4 soi.

Tiç] pr. oTi A, 249 xiii, 18 sioa se sol.] om. o£ A 19 sti vjvJ iva vjv .4

sol. 22 y.ai e\'M] zyb) os A, XIV, 5 y^povo^/] add. Ya? A sol. '249
8 variations de forme qui sont ou de simples variantes orthogra-
phiques, ou des corrections grammaticales : i, 5 a::£7Ts"AA£v] az£7T£iA£v
A II, 11 7:ap£Y£V£To (devant £/.a7Toç) sol.j -rrapEY^vovTO A rell. 12 -rrapô-

y.aOuav] -ap£y,aOY;vT5 A sol. (Trapsy.aÔiuSVTO '249) III, 8 '/£tpîU(79ai| yzipou-


tiasOai A IX, 9 Taixisia] Ta;j.ia A (le manuscrit de Jérusalem a conservé
l'ancienne orthographe qui est d'ailleurs la plus fréquente dans
VAlerandriniis où elle a été conservée par tradition ou restituée par
un copiste, cf. H. Thackeray, A grammar ofthe Old Testament in greek,
p. 63-65) 13 cpY-^v]cpY'0 A
sol. Ey.ajj.oôr^Œav] ey.ay.çiOY] (y.r,T-^ comme
sujet) A sol. XIII, 19 y.ojsEUw sol.j y.oJSEUJW A 22 jTTay.S'jffcjxaij j-ay.sjo)
A sol.

Enfin 15 variantes de traduction dont les unes supposent identité du


texte à traduire, tandis que les autres apparaissent comme des tentati-
ves plus ou moins habiles pour se rapprocher du texte massorétique :

1, 6 £vavTi;v (EvavTi 68) sol.J vm-'ryt A rell. 8 y.jpic; (TM : T\-.r^'^)] Oso;
A sol. II, 3 cia6:Asv] GX-y.-iy:) A, '249 10 y.ai :jy. £$wy.£v aspocruv^/ to)

(1) Les variations de particules s'expliqueraieat surtout si le texte biblique du manuscrit


de Jérusalem avait été extrait d'une chaîne où texte et scolies sont enclievètrés, la rupture
du texte par l'insertion d'une scolie provoque facilement l'introduction ou le changement
d'une particule.
486 KËVUE BIBLIQUE.

()iM soi.] EvavT'.:v -::j Gecj A rell. (les deux leçons n'ont rien qui leur
corresponde dans TM, elles sont juxtaposées dans les deux mss.
fd7 et '254 ) 11 y^oipx; (TM : mpî2)] ttoaswç A, '249 III, 1 TOUTo]

txuTa i4^ 5^^9 21 Q-/;c7aupcuç] ô-^o-aupov yl, 5-/t9 IV, 4 t'-çJ sti cuBc? A sol.

VI, 28 7:p=atoz=v 25i, '253, 261] -p:ŒO)zx°(= TiM) A rell. vu, 1 .j.iîe-.cj

(=r TM)] [xtïôc'j ^, /(M\ 261 IX, 8 GaXaajYjv sol.] 6aXa-(7-^ç ^ rell. xi,

y.^f^or^ (al. avsS-^) Tapa soi.] •irapsS'r; «•r::; A 14 ei sffT'.v avo;j.ia il*,

i?/^] c'. oL^iZ'^.z^) Tf. S7TIV .4' a'jtov A* (peut-être auTr^v dans notre manus-
crit et aussi dans A* où il me semble que le fac-similé donne tort

à Swete)] au-o ^'' XIII, 24 a-' t[j.z'j y.p'jzrr/ \j.i arc/.puT-:r, A sol. 27
•/.o)A'j^.a-:i] •/.J7.Aw[J.a':i .4 soi.

jLe* marges; notes hexaplaires. — Les marges du manuscrit de


Jérusalem sont très surchargées : la chaîne d'Olympiodore-Polychro-
nius, etc. (1) en occupe la majeure partie, généralement les marges
supérieure et inférieure. La marge extérieure, qui était beaucoup
plus grande qu'elle ne Test aujourd'hui, est, elle aussi, occupée par
le commentaire lorsqu'il est particulièrement abondant, par exemple
aux ff. 155, 160, 180, 183'', 198; au f. 155' il arrive même qu'une
uote explicative de douze lignes occupe la marge intérieure. Au f. 1^

il n'y a que cinq lignes de texte biblique, tant Olympiodore s'est

étendu dans la marge supérieure; par contre, au f. 185, la marge


inférieure est inoccupée.
A côté de la chaîne, il y a dans les marges latérales quelques scholia
isolés et des notes hexaplaires. Laissant de côté la chaîne, qui de-
manderait une étude spéciale, nous avons reproduit avec la dispo-
sition du manuscrit ces documents si curieux; parfois, il est vrai,
notre copie ne présentait qu'une suite inintelligible de lettres, nous
avons cru bon, même dans ce cas, de publier ce que nous avons ob-
tenu, persuadé (jue quelque savant plus habile pourra y reconnaître
la vraie leçon.
Lorsque la note est déjà connue, nous l'avons signalé, en relevant
les variantes, s'il y a lieu le renvoi à l'ouvrage magistral de Field
;

est fait simplement par les lettres Fi., l'indication de la page est
inutile, lorsqu il ne s'agit pas de VAuclarium, publié en appendice
au second volume. L'absence d'indications veut dire que nous n'avons
pas rencontré ailleurs la note du manuscrit de Jérusalem; voici
d'ailleurs la liste des notes hexaplaires, complètement lues, que

(1) PaUick Youug a édité ceUe chaîne, reproduite dans Migne, P. G., 93, 13-469; mais
le texte ùe l'édition est assez différent de celui qu'on trouve le plus fréquemment dans
les manuscrits.
l N MANLSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 487

nous croyons nouvelles, soit comme texte, soit comme attribution :

I, 6 (j'.c'.) c. /.:--:'. au lieu de a"/,/,:; m, T az:c£'.-vr,T5-:o> i^?i ;j.E;j.:vtoy.£VY;

VI, 26 aX/.a y.a'. -p;; a<v£;x:v> ... '/.0','0j: 27 violWolzHz 7.a<'- 5'./-X'.>.v

zxE'.ixa-^OTE^ 29 a-:7.p'.vaT0-<s>- 7o)C'.ç x;'.y.-<'.3:;> IX, 2 ci Xoi-c


'.—/upo) 9 t' îvîîTZTa y^?*
-y.\v.y. v:t;j... XI 13 e-.Oe

Cette description du manuscrit de Saiute-Croix n'est certes pas aussi


complète que nous l'aurions désiré les heures que nous avons passées ;

à Jérusalem en février-mars, entre un tour de Mésopotamie et une


excursion aux châteaux de la Transjordane, ont été l)ien ^^te écou-
lées nous n'avons guère eu qu'une quinzaine de séances, de deux
:

heures et demie chacune, à la bibliothèque du Patriarcat. Que les

amateurs de textes anciens nous pardonnent de leur présenter un


travail aussi défectueux et Dieu fasse que nous puissions achever
un jour le déchiffrement comj)let d'un manuscrit où il y aurait
à gagner pour les futures éditions des Septante autant que pour

les études hexaplaires.

Rome, le 31 mai 1912.

Eugène Tisserant.

Post-scriptum. — L'identification de la phrase lue par Tischen-


dorf au avec un passage des fragmenta in lob n'est pas exacte;
f. 89""

l'examen d'une photographie de ce folio que je dois encore à l'obli-


geance du P. Savignac me permet de rectifier les mots y.:-p'.x... : y;

appartiennent en réalité à la cinquième homélie sur les statues


prononcée à Antioche (P. G., 'i-9, 67). La tirade sur Job ii, 8 par
laquelle débute cette homélie a été insérée ensuite dans les frag-
menta, où j'avais d'abord retrouvé la phrase en question, n'ayant
pas sous les yeux son contexte.

Nancy, le 30 juillet.

E. T.
488 REVUE BIBLIQUE.

f. iôô^ Job. I, 5
'"'
KaL coç av ovvsTsXsaÔrjGav
ai '^f.lSQttL TOV nOTOV
{4nsOTsXXsv ïio6' xat ey.a

daQi^sv avTOVç
5 AvLOTUf-lSVOÇ TO nçwL
Kai TlQOSCf'SQSV nSQL dvTMV
Ovaiaç xara tov uqi
Ojiior uvTioy
Kui ^loo/ov sva nsQt a/nuQTiaç
10 vnsQ rtov \pvywv uvtwv
EXsysv yuQ ï(x)6 f.uj nors oi viov {sic)

f-iov ev TTj y.uçâia avrior y.u

y.a ti'SvorjOur nçoç tov dr


OvTWç enoisi ^ïw6 naoaç r«ç
15 rj/iisçaç avrcov

f. 155 Job, I, 6-8

Kai sysrsTO wç i] rj/iisoa uvtt]

Km tjXBov 01 ayysXot tov Ov na


QuoTijvai svavTiov tov y.v

Km âiu6oXoç r^XOev /.ist uvrwv


ô ' Kui einev 6 y.ç ttqoç tov ôia

§oXov noBsv nuQU


ysyoraç
Kai anoxQiHsiç o ôia6oXoç
tÔ) xw itnsv
10 IJsçieXSo)}' Tt]i' yrjv yai 6/.i

7iSQi7iaTT]Ouç Triv vn ov
Quvov nuosiui
^ Kai iïnev dvtà o y.ç

riooaso/sç Tï] ôiavoia oov


15 y.uTu TOV Haoa

'
Fi. a).).o:' utoi
UN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 489

r. 160'^ Job, II, 1-3

Kui âtaSoXoç £j.ijiisau)

UVXfJÙV
Kai Unav o /.ç no ôiuOoXio
noOsv ov tQ/i]
5 ^Einsv ôa o âiuOoXog evavxi xv

/JianoQEvBsiç ttji' vn ovqu


vov y.m iunsQinarr^Gaç
rriv yrjv naçsif-ii
^ Kui sinav 6 xç nçoç toV âia
10 [ioXov
TlQoaaayaq no Bsqutiovtl
l-iov ^ft)6'

On ovx aanv x«r' uvrov


nov ani rrjç yr^ç uvoç

15 vuoioç uvrco

f. 160 Job, II, 3-i'

yïuaf.iTi'coç, dixaioç uXtj


divoç fiaooaÔTjÇ

yinayouavot; ano nuvToç


y.ay.ov

5 En 6a ayaxai ay.ay.iai;

^v âa ainaç ta vnaQ/ovxa
avrov unoXaouL ôia
y.avrjÇ
''

vnoXaSiOv os o oia

10 ^0\0C, -.M X(0 EtTiev -/pwTa -j

Tlîp -/pw
/laoLia inao ÔeouaTOç
To; x(ai) Tiav
Kai navra ooa vnaoyat Ta osa £X£'-

TW av(x) ôwosi vn6Q jtpor,(7£T(at)


•jTtep TT,;
TTjç yjvyrjç

15 UVTOV auTOu '

f. 172^ Job, II, 10-11

yvvaixwv ovtcùç aXuXtjaaç


El TU ayadu ada^uf-iada
ay. yaiooç y.v '
ra y.uy.a

Qvy i'noloouav
f. 172"^, 1. 2 nota quani non legimus.

-Fi.
490 REVUE BIBLIQUE.

5 El' TOVTOtç naair oiuthUrj

y.oOLV dvTiZ ovy r^aaoxBV ï(o6


Ovôe av Toiç '/eù.saiv airov

Kai ovy. sôtoy.sr dffooov


vr]r TW Bio.

10 / *' Ay.ovoavrsç Ôe oi rosiç qi

KOI avvov
Ta xaxa navra tu arreX

Sovra uvTOJ.
IIuoayarsTo ayuarog ax xr^z

15 ÏÔiuq yùjoa; nooç uvrov.

f. 172 Job, II. 11-1-2

daiuaiiov ^
EXi(fa^
' eaiiiav.tr,;
^aaîXsvç.
'
covoy; Jtépi
Balâao ouvyaiMv xv a -

6'
ourroç.
aoH-rnç-^
5 2co(fuo i.iaivaim' jSaaiXsvç

Kai naosysvovTO nooz av vwjxaô-.

xov ouodvfiaôor. "*i; ''S'I^a


Ô'.Tïi;
Tov naçaxaXsoui y.ui àni
oy.siUaoBai uvxor.

10 ^'-ïdorxaz ôa avxor rroQoiodsv


ovy. anaynoour
Kai [jor^aarraç, q,iofrj /iiaya

Xtj txXuvoav
Pifiavxa; a/.uoxog xrjr a

15 avTOv (TroÂTjr

f. 1 Job, II, 12-III, 2

K.ai y.uxanaoausvoi )'?;»'

^^ nuQaxuHiaai' avno
anxa r^usgaç
Kai anxà iv/.TUÇ
5 Kai ovâaiç avxwr ê[Xa]
Xrioar.
'EwQWv yaç xr^v tt). r] yrji'

f. 172% 1. 5 -auiv vid. eras. 1. 7 £v Tid. eras. t". 1, 1. 2 a-jTw vid. eras.

't Fi., aut forsitan 6' ut in Field. II. auctarium, i>.


5 -Forsitan r.zp: to atva Oiym-
piodore, Migne P. G. 93, 45 ^'Fi. ^Fi. : 6 vwiia... ffvajia...
UN MANUSCRIT PALIMPSESTK DE JOB. 491

deii'>,y ovoui' -/.ai us


yaXrjv affôâou
10 III 'ilifT« as TOVTO rjroi.

ziv ïiofj' To ordua


dlTOV
Kui y.uTr^ououTO Trj y
rjusouv uvvoi
15 /.£ywv

f. 1 Joh, III, 3-i

^^71 OKO iTO rj riusoa tv Tj &

y[svv]7jdriv
Kui rj vv ç fj' r^ siner idov
uoosy
5 ^H] r^usou e/.aivTj sirj o-/.OTog

ï. 180^ Job, III, ï-1

Kui ut] uvu^rjTTjOai uv


txr, avT'.-o'.r.çI aito
rrjv xç uviubsr'
[iir, Yî''Oi":o îv y.a-a/
JMrjd's sXdoi SI g avrr^v
V(0 VjXTWV -'

ffsyyo;.
' Ey./.u6oi ds aiTr^v oxotoç
y.ut oy.iu Huruxov
Ens'/.hoi STi «iTîjr yvoffoz
ay/y; -
KuTuçaSsiT] Tjiisça £y.sivTj
''
Kai 1] vi;| ixsivt} ansvsyy.oi y.aTaçayO E'.r,
'

avaTî'./.r, .. tr. %'j


iU TO uvrrjv oy.oroç
•:r;i (Txoto; >
jyirj siTi SIC r^iisçug sviuvTtot

3Irjds aoidurjfisirj sig r^us 6'


oaq u7]i(>Ji'

'
jIum ^ vi'i sy.sivri sirj
|xovou.£vr, •

15 oèvvroa <r' ex6Xr,T0Ç''^

f. 1'. 1. 5 r,;j.£5a corr. ex vj; prima manu.

Fi. - (at; vevo'.to-vjxtwv sub 6' Fi. -^ Ki. ^Fi. ^ Fi. : Si;;";, yp' avatE'./a: ït: a-jTr.v

T/.oTo; ; in ms. vid avaT£'./r, aut avaTîO.Et "^Fi. s' tjLr]5$ (Tviva^Ocir,. 'Fi. o =êpo(io:* ueulo-
viiju.£vr, ' Fi.
492 REVUE BIBLIQUE.

f. 180 Job, III, 7-10

K.ai f.17]
sXSoi en avvrj £v

(fçoovvi] /.iTjâs /aç


<7av auTYiv s
jilOVTj 7ti/.aTapw!Ji£

^^kXa xaraçaouiTO avzrjv vot r,[iepav '

xuraQWiui'oç ttjv i]

/.leçav sxsii'Tjv
Xewtaôav -

'O fxsXkwv xo [.isyu xi]toç

ysiQOvoSai (j'

itpoffSoxo'.
^ ^itOTioSsiT] ra aarça T-rjç
Get»! çcoç
10 vvxToç sxsivrjç y.(ai) \i.-q siYi

Yno/iisivai xat /^ir] sXHoi av uTTOfiei


vai £v CTXO
XUl /.IT] (fWTtOUt. TO) '
JKt] as idoi. s(jûO(fOQOv ava
TSXXOVTU a Tf) VTjÇ

15 '""^Ort ov ovrsxXsiosv nvXaç

f. 183\ Job, III, 10-li

yaOTQOÇ f^irjTQOÇ uov.


'^nrjXXater yùp uv xonov «
710 6(p8aXucuv 1.10V
^ '
ZÎia ri yàç sv xoilia ovx sxs
XSVTTJOU
Ex yaoTQoç as i'^^XHov xut
ovx svOvç unwXojLirjr
'^
Kai iva ri ovrrjvrr^osi- t^ioi

yovara
10 Iva XL âè /Liaoxovç êfirjXaau /liçç f-i-Çov}
'
'
Nvv dv xoif.irjHsiç i]av/aoa
Ynvwoaç âè dvsnuvoufirjv
^''
JKsxu ^aoiXéiov xai ^ovXsv
xwv yrjç

15 Oi Tjyavçuoi'xo Ini 'S,iq:eaiv

Fi. •^Fi. Fi. ora. av


IN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 493

f. 183 Job, lu, 15-18

'' Kui (xaTa uo/oiTwy U)v

TioXvç /Qvaoç
oiy.0 ioo!J.r,(yavru)v uv
Oi snXrjOui' tovç or/.ovg

Tior uçyvoiov
^''
Kai toanso sy.roojua ey.nooev
xatop-j
OLievoï' s/. uTjToug
ur^Toog
6 H cùonsQ rriTiioi oi oiy. et

âov ffojç
10
^' E/.ei uoa6aiç snutaav Hv
îTta'jT^avTO y.Xovria-ca): '

iiov ooyriç

a Ey.6i ènuvouvTO y.uTuy.o


2[;.a] Oî'jfi.'.o; syfir,
noi ocoauTi
^'^Of.ioHvf.iaÔov èe Ôi

15 uiojvog

f. 6 Job. m, 18-22
Ovy.eri j//.ovoui' ffcoPTjV
ffooo'/.oyov
^'^
Miy.oog y.ai usyaz s/.st aoTiv
Kai dsQunojv ov ÔsâoL
5 y.(.og roi' y.voiov

UVTOV
'-"
Ira zi yao ôiôorcKt rdîg

niy.oia ipv/r^g (fwç

Zfiorj ôë ruig sv oôvvatg


iO
-'Ot OI-IBIQOVVUI

AvOQ
Tiso hrjauvoovg
15 "" riêoi/aosig âa ayevovTO

'6'
1
Fi. -Fi. :
'
Fi. ipi. "-Fi. : h' ''Yï. : a Fi. Fi.
i94 REVUE BIBLIQLE.

f. 6^ Job. III, 2-2-26

auv y.aTaTV/cooir Hu.vhxoi


"-•'
QuruTOQ yuo arôoi ara
nuvoiç
jv.aTa-j Ov iq oâoç unsxQvSrj

5 r uiTOv
ozi £'.; îîooffwîtojv ap-ou -^ Uço yuo Tojr CiTior ItOl OTS
i
•^o: CT£vaYfi]o; ùz-j<yzz[:^ij
vayuog ry/.ai /iioi

zJay.ovio Ô6 syio oirs/oue


10 rog ffo6co
->>
0o6og yao or B'foV>oiu7]y
r^/.Ssv uoi
K.ai ov eâsôoiy.str ovrri'
Jo.ov ),EY

JoijLr.v
rr^oev uoi
15 '-''OvT£ iiorjraioa oira r/ji/aou

f. 175^ .Tob, III, 20 -IV, i

otrs aranavoaur^r
TOV..[
^HXf^ai' ôa itoi ooyrj

IV '
ii-oÀaêcov 0£ Û.vsiOlZ'
'
a
Ôîu.av'.Tr,ç Àsysi -/./ovriT'.;

.") - iU;j 7io'û.a.y.iz ooi /.a'/.u/.rjTui

9'
ai- y.OTiM
'' >^.'J'Ol^£^[« >a^r.<7a-.
lo/iv êa ôruaxon- OOV
-po; (7£ x07ïi^x(7£i;
T/ç vnoioai
^'Ei yag ov avovHavt^oaz
10 Tioklovç
Eav ava/a êwjxev Xovov
Kai /aioaç uoHavoivvMv ito/Or.ffe-.; '

Tiaoa/.uKaoag
" ^oOsrovvTaç as szavs
ovr^oaç OTjuaGtr '7;a).îVTa;

15 rovaaiv xa uâipuxovair
f. 175^. 1. :} vid. lE in jprinc. lin.

'Fi. : a -Fi. •Fi. -Fi. ^ Fi.


IN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. Wi

f. 17.") .I..b. IV, V-S

EvSci; aTTJop'.'i/ai [xr,


nsoisdr^/.aç Huoaoz
OdJV auTov '
'NvVt as Tjy.ël 6711 os 710V0Ç
y.ai rjXpuTO oov ov as
aanoiduy.uç

*' rioTSQOl' Oiy ifoBoZ oov SOT IV


sv uffooovrri
r, "j -OjAOVï] jffou •/.(ai r, x-).o Kai >] iXniç oov /.ui }//.('.y.ia

rrjÇ oô'ov oov


'
3Iyr^ofirjTi ovr ziq y.uduooç
j'.ot; -ro-j xpv 10 wi' unojkero
H TioTS akrjHiyoi o'/.ooouoi

UTIWAOI'TO
^ KuB ov TQOTIOV Slàov TOVÇ
UOOTOICOVTUÇ TU UTOTIU

Oi âs onsioovTSg uvva oôv

f. 168' Job, VI, 26-29


-^ Ovâ û.syyoç, tueur ru orjuu
TU arj nuvoei
Ovôs rfdsyua or^uurog ï a/./.a /.at :tto; %

uwv uvi-iouui
-'
Ukr^v OTi ooffavo). sttitti

TITSTS
eva).),s<78£ •/.a[
EvaXXso^s de tm rfi/.(o
À'.av a-/_E'.u.a-iï[ ^
vf-iùiv.
-^ Nvvi âs sudXsWu; SIC 7100

10 ooJTiov vt-uor

ov xpsvoouui.
-'^
KuOiouTS Ôj] ..itj y.ui uï]

udiy.ov sv y.oiosi
a-o/.0'.va(j9[£
Kui TiuXiv Tio ôty.uiio ov yopt; ao'.x['.ot;

15 vSQ/soHa

f. 175, 1. 11 vid. o),opoHÎo'. 1. 14 apo quod oblitus erat add. scriba ipse. f. 168'. 1. V>

forsitan itr, eras. et repet. in fine lin.

1
Fi. nota ad loc. : scliol. ex Colb. et ins. 255. -Fi ; a. •\id. Ttieod. ad inentein
Vulg. et in venium verba proferlis, forsitan restituend. ' £va//.E(j5£ xa; i-./iav c/r.aa-
vX,i-t. Sed notand. \erbum T/r^xoi-.'.lzw LXX alienuiu.
490 REVUE BIBLIQUE.

f. 168 Job. VI. 30 -MI. -2

^"Ov yao aoTiv sv y/.waoi] uov


udr/.or

Ov/j as y.ai o Xaovy^ uov


atvsan' iisXstu.
5 VII '
UoTSooi' ov/i nsiçarr^otoy
aOTii' .jioç urov
éni TTiÇ yrjç
Kai coonsQ j.aaSiov uidr^
/ilSOll'OV 7j ^lOT]

10 UVTOV
-H cooneo Ssountov ôsôoi
y.coç roi' y.voiov

UVTOV y.ui xe
Tv/iy.wç
15 oxiaç

f. 16:V Job, IX. '2-ï

KT- En uXrifisiuç oiôa OTi ov


x(ai) aôiy.r,(T4'. x.J.

Tio; aaviv

Uuiç yao aOTM âixaioç ^oo


roc, naoa y.io
0'. ). tffX'jpio
^ Eur yao ^SovKr^rai xoi

êrivat fiST UVTOV ov iiî]

vnay.ovori uvro).
Iva f.irj avrsinri nçoç ôiiî
Yp*
oyo^o'j [ir,-

ira Aoyov uvrov

10 sy. y^iXiwv.
'
— o(/)oç yuQ sari ôiavoiu Tr, Siavoia .[

y.oa<Cj:ar>o~ ra y.ui fiayuç.

Tiç oy.Xr^ooç yavofiaroç a

'
vuvriov uvrov
5ieTE),£

(ï£V 15 vTiauaivav

Fi. - Fi.
L'N MAM'SCKIT PALIMPSESTE DE JOB. 49"

1".
163 Job, IX, 5-8

'
O TiuAuuoi' oijrj y.ui ov

X oiduaiv
O XUTaOTQ£(/lOl' UVTU
tv OQyrj
*'
O OSLWV T1]l' vn Oi'QUfUl'

fx 6£fia}uior.
irepiTpaTfo
Oi as OTvXoi uvTïjç ou ffovtat '

Xevovxui
]v6.a<j
].SCTl cV 'O Xeyiov TCO ?]Xuo f.irj diu
Jx^-zat GO 10 TsXXsiv xui ov/. uvaxèXXii
JvevauTc
IwffïV.
KaTu ôs aovQioi' /.axa
OffçuyiLat
^'O Tui'vau^ xov ovQarov
/.lOVOÇ Tov oyvov
'

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Kut ntoinaxiov ani da'Kaa tOff£t

f. 178 .lob, IX, 8-13

Oïjv wç sn sâuffovç.
'•'
O nouov nXsiaâa y.ai lonkoov
TOt(i£ia VOTO-J *
/.ai aQ/.xovoov y.ui xa
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^" O nouov jii£yaXa /.ai uvs^i '
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Evâo'^a x£ y.ai sS,aiaiu tov ov

y. 80XLV uoiOiLtog Tauta o£ 7rot£i[

^^Eav vnuQGri us ov /iirj ïôco

10 K.ai sav naQsX6rj urj ovâ loç

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^'-Euv unuXXu'^1] xiç «710
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15 ^^ AvTOç, yao ansoxQUJixui oçy/ji' (); oy avauoclipETiTOC

'Fi. : 01 XoiTtoi. -Cf. Ps. cm, 2. ^ Schol. ap. Mercati ovo(xaTa aoxpwv svSo-raTa.
^Schol. ap. Mercati tauTa zat o e^i^ai^ 7ipo£ipr,y.£v ^Fi. ''Fi. : a»,o; ; ap. Mercali a
'Fi. --Fi.

REVUE BIBLIQUE 1912. N. S., T. IX. 32


498 REVUE BIBLIQUE.

f. 178^ Job. IX. 13-lT

]5ta TT); op^T,; KA Ytt avxov ô's ay.auqtltj

l£5r,),W.(7£V oav y.r^TT] xa vn ov


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*^ Ear âa uov sioay.oior^ i] ôiu
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fol. 185 Job, \i, 0-10

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'^^H iia:<ooxaoa uaxçior yï]ç ani
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Ear ôà y.ui xaxaOTQSipr}
avTl TO'J ou[vo'j
T« narxa
15 Ttç eoai uiTio XI a-noir^oaç

f 178'. 1. 5 xpt vid. add. in [irinc. line» pr. nian.

'Fi. : 6 0(j-i; ei Siy.aiw9r|i70u.a'. o-jy a-oxpt6T)C£Tat jxo". Fi. Fi.


LN MANLSCRIT PALIMPSESTE OE JOB. 499

f. 185^ Job, XI. 11-li

"^tToç yun oiÔsv eoycf.

ItVOUf'll'

Miov Ô£ dxonov ov rr«

oo\l'£xai

O'.a -/.l'ir,', Opac'jvîTai ^-Aïoç d'f a).Xioç vrj/srai

Xoyoïg
Bqotoç Ô£ ysvyrjvoç yv
]ôia TO avj
]xat Tr.v 7:po;
vurAOÇ ïou divj £orjf.iiTTj

]6ixa(7ri; oi Ji/s ' ^ El yao ov -AaBaoav iSov £'.6î


Y'?
]tov oîrw; ; 10 rrjv y.uodiai' oov
YnTiaoag as tuç y^ioag

a]7tX(o<7£i; npo; oov 7T00Ç aVTOl'


*''Ei sorti' urouia sv yso
oir oov 71000(0 not-rjoov
15 avTOv uTco oov

f. 187 Job, \1. li-18

'yldixta as si Ôiuirr^ oov ur]


avKioSr^xoj
' OvTCûç yao avaXauxpsi zd
TlQOOOiTlOV oov lUOTTSO i'

âcoo y.uSaoor
^Exâvorj as ovnor y.ui ov
(.iri ffoSrfiriç
'^ Kai Tiov y.omov oov snû.r^ori
ojOTTSo y.vt-iu 7Tuoe)Moi'
10 y.ui ov Tivorfir^ori
' '
'iî as sv/rj oov (oOTiso hoo
6'
ffOQOÇ
'Ex as asor^uHQiuç uiars
0'. y.O".

KSI ooi L(orj.

crr i: ^^ risTioidcog TS sorj.

f. 185". 1. 15 vid a-jToov et o 1° eras. f. 187, 1. 11 spat. litt. uniu.s vac.

6'
'Fi. r;- - Fi r;- 3 Fi. a' sed ms. 250 sub ^Fi.
500 REVUE BIBLIQUE.

f. 187^' Job. XI, 18-20

]t£ov c'jv ovl eoriv ooi sXtiiç


''^
"Ex Ô£ usoiurrjÇ y.ai qoor
Tiâoç (xruquirs
Tui a 01 aiçip'Tj

]a'j-wv aTTo 5 ^'^'^Hov/UQSiç y.ai oix Êanv

noÀsiiiwv oa
o?6a),][xo'. aTîSuv 3IsTa()aXXo/iisvov as noX
'
£/.),En!/OV(Ttlv
Xoi oov âsTjdrjOovTUi
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Kai oionjoia uvrovç uno
iO Xsixjjei

'^H yuQ èkniç ('.vriov unoXei cl'


6' a'

0(f6akjiot, as aasS(>)v
Taxrjooi'Tai
15 TJao avvio yao oorfiu -/.(at) âvi'uuiç

f. 198 Job, XII, 1-6

XII '
YTToXaêojv 0£ ïojê XsyEi
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" Ml] vf.i£iç taxe avot, f-iovoi

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£iç yXsvuouot'
10 'Eiç /Qovov Tuy.Tor ?]Toi/Lia

OTO nsosiv lie vno aXXojv.


^ Ov tLirjt' as uXXa (.ir^ôsiq tts

jioidtTio novriQoç iov ufiio

oç £otadai
15 Oaoi nuQOQyiÇuvotv rov y.v

f. 187% 1. 7 spat. lilt. duarum vac.

'Fi. : 6 osôaXtjLOi 8e aaeêwv... -Fi. : sed <|'^xr,; in mss. ubi legitur a7tw),Eia pro a-o-
XstTai " Fi. ona. oy jx.sTaêatvo-v[A£vr,;
UiN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. 501

f. 198^ Job, XII. 6-9

]touTo y-fiTiv Oç ovyi yai sraoïç uv


xwv aozui
^
'
yïk'ka â)] éneoioTTÎaov ra

ç<oTi]a£-. rje y,;at) Oïl


Toanoâa iav aoi
)xo'7=\. ffoi] - o einri '.

[IsxHva ât ovvov iav aoi


•'
•/.ai aTraYYSÀoJucnv rrot
o.vayySÛ.ri.
^ Ey.âiTJyrjOui as yrj iav
r] o(j,i>.r,(70v] r/) v^l >t(a'-) (TOt (fQUOrj.
''

tj.rivu(7£i (70'.] 10 X«t iljjyTjOovrul ooi ot

AÛoariç,
]ew;"' " Tfç dvy. iyno ev nàaiv
TOVTOIÇ
15 "Ot( p^é/o Kv inoirjOSP

f. 197 Job, XIII, 18-22

^^lâov eyco ayyvç si/m rov


HQii-iaxoq /.l'w
"Oïâa es ayio ô'zi âi/.aioç d
vacfuvovfiui
5 *^ Ttç yuQ aoTir ô y.Qi8)]00

(.isvoq f.101

"On vvv y.io(paiw /.ai ay.Xsi


"^^
Tpw ôvsiv 6à /.tôt, /oaiu
Tora uno xov tiqoowtiov oov
10 ov y.çi6rloo/tui.
-' Ti]v ysÏQoi oov dnoo/ov
un E/iov.
Kui 6 (fo6oÇ oov /ITj lis

y.axanXaoosxio
15 -- Eixa y.aXaoaiç^ ayio âa oot

f. 197, 1. 13 <roy ex aytou prima manu. I. .5, 11-12 vid. in mg. dext. nolae quas légère
nequivimus.

^ Schol. ap. Mercati : ly\i[o'i) Y(a&) tou:o cpr,aiv Se w[XOaoyou|XEvov -'


Fi. : a' xai swiias
(7£. (j' xai Sr|),w(7ei az ''Fi. Auctarium p. 7 ^ Fi. : a' ^ vid. xpEoj; ex v. 10, Fi. : o
b02 REVUE BIBLIQUE.

f. 197^ Job, XIII, 22-26

vnay.ovooi.iai
yïuXi^aeiç xut eyoj ooi âcj
0(x) anoy.Qioiv
-^ Ilooai eioiv di u/^iaçTiat ^tov
5 Kal âi dvojLiiai [.lov rlrsç ii

OLv âiôa'Sov f.ie.

-^ Z/ia Ti an ifiov XQvnrrj


Hyrjoui as (.is loonsQ vnt
vavxiov oov,
10 -'^'iî wonso cfvXXov y.tvov
f.ievov i'no avsf.iov

evXa6rjd9]OT]
'H lOÇ yOQXOV (fjSO0f.lSV0V

vno nvç
15 ^^PTiy.siTui de f.iOi '-*' un yars

f. 192 Job, XIII, 26 -XIV, 1

YQurpuç xaz éf.ioà xaxa


avasïv £i[j.i

Kai nsçiadî]xaç fioi vsorrj


TOC, at-iaQXiag
^' Edov as iiov Tov noôa if
.o'jvoxa'.aç
5 xcoXv/ÂUTi
Kai i(pvXa'^aç f.iov nav 6'

ta TU SQya ev 6aXat7ta)[pta '

Eiç ôs Qi^ug noâwv fiov xai ota T0[

affiy.ov w; To-j ori[

^^ va/.ov
10 Oi naXuiovvrai loa ao/.w
To'j 0[jLOt(i)[; ariTtE&ovi
H lôonsç ïuaTiov or^ro
..

7ïa),aiou[A£v[o-j -

Pqojtov
XIV '
Bqotoç yaQ ysi'ifrjToç yv
vaiy.oç oXiyoSioç y.ai
•"
TtXripy)? x[/ov/)(7£(o,
15 nXrjor^ç OQytjÇ

197', 1. 10 in mg. siii. adest nota «iiiam non legiinus. f. 192, 1. 10 TtaXaiouvTai
vid. eras.

1 Fi. Fi. a xou o[j.ota);. •'


Fi. : a'
UN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. o03

f. 192 Job. XIV. 2-5

- '-/î woneo avBo:; uvSri

ouv ézsneosv
^Ansèça 06 cùoneo o/.ia
/.ai ov urj ozrj
5 ^Ov/i y.ai toitoi Xoyov
snotTjOw
K.ai TOVTOv sr xoiua
ri siaa'/.Bsiv sni oov
enoir^oaz
iO -•
Tiz ;'«p soTui y.uSuooç uno
Qinoi ovÔc sig
ita6apov
^' Euv y.ai uiu r^ucou ya
CtTZO'J.tU.l

vritai ^log uiTov


£7Ti Tr,; yr^ç

15 Aoihiir^riji Ôe ur\vbç,

f. 167- Job. XV, 12-15

'- Ti on r^roKLir^asv ri y.uodïa aov n av. .


i

H Ti ïnaveyyuy oï ô<çhcù.

iioi oov
'^ On Bvuov ennr^az sruv
5 Tt y.v

ESrjyaysç ôs ey. otouutoz


or^uara roiaira ç^

'^ Tiz yci.0 wv iSooToz iovui -•. vs-'.-/ a vo;


3 .... lat îa'jTO
UUSUTITOZ
10 H ('jz sooueioz ôi/.aioz ysv
vr^xo; yvvaiy.o; yj,j,,:_ o-i o .•/.«-. w :6r.a£T .-.
i

^-^
El y.uTu uyuov ov nioxavsi c'
'^°'" ""''''''' "''
-' *^"-^>'
Ovoavoz ôs ov y.aBaooz svav
riov avxov ^^ .^, "

15 Aorna êc oiy ausunTC. t:o(tw aaX/.ov [ava; •'

f. 192". 1. 10 not. oofjz: in ras. nis. xa6y.ov vid. pro xa^asov. 1. 12 a-.a; r.aspa; scrip-

serat pr. man. deinde ex eras. f. 167", 1. 5 nota quam non legimus. 1. 15 man. rec.

add. in ang. paginae siv os èoo[£>.yY[i£vo; -/.a-. a/.a6apTo: a-r.p 7:îvtov àoi ...

1
Fi. - vid. restituend. sec. Fi. : tt avîg/£'!/av o; 026a/;j.ci (to.. aut sec. schol. ap
Mercati ov. t-no/vl^i 6w -^
Cf. Pitra, Analecta sp. Solesm., par. III, p. 556 -i scrrtv av
6pw7To; w; n-j îxjtov vou-'.ti'.; : ap. Mercati : ...w: •îa-jTo;... *Fi. =Fi.
JESUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS
ET PAR PLUSIEURS FEMMES?

OPINIONS DES ANCIENS ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES

[Luc, VII, 36-50; Matthieu, xxvi, 6-13; iMarc, xiv, 3-9; Jean, xii, 1-8;
cf. Jean, xi, 2).

Veius et rancida controvcrsia..., dit un annotateur d'Oiigène. Ques-


tion très ranceen n'a pas été renouvelée depuis le temps
efiet, si elle

où l'on disputait si chaudement en France, non seulement en écri-


vant des livres et des mémoires, mais encore en instituant des fêtes
nouvelles. En que la pécheresse de
ce temps-là, ceux qui soutenaient
Luc n'est point Marie de Béthanie faisaient jQgure de novateurs et de
révolutionnaires. La « tradition » exigeait qu'il n'y eût qu'une sainte
qui lût à la fois Marie Magdeleine, Marie de Béthanie et la pécheresse.
Mon intention est de n'aborder par aucun côté l'histoire de la litur-
gie, domaine que je ne saurais envahir sans un excès de témérité.
Knabenbauer (1) rappelle d'ailleurs après Salmeron que la liturgie et
l'office ecclésiastique ne peuvent fournir un argument absolument

certain et indiscutable.
Aussi bien, si la controverse a excité tant d'acrimonie, et si elle est

devenue rance, c'est précisément parce qu'on prétendait, de part et


d'autre, aboutir à une solution pratique, et se servir des textes des
Pères comme d'arguments, pour convaincre ou désarmer des adver-
saires. Mon but n'est point du tout de conclure au fond, même spécu-
lativement, et je n'ouvre les Pères que pour savoir ce qu'on a pensé
dans leurs différentes écoles, et démêler, s'il se peut, les raisons de
leurs opinions. De plus, je mets complètement à part Marie de Mag-
dala. Saint Luc, saint Matthieu, saint Marc et saint Jean ont raconté
comment une femme oignit Notre-Seigneur. N'y eut-il qu'une onction^

(1) Sur Luc, p. 269.


JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLISIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? oOo

fut-ce la même femme? ou plutôt qu"ont pensé les anciens écrivains


ecclésiastiques de ces points? C'est toute la question (Ij.

Les données évangéliques.

Les textes de iÉ\ angile sont parmi les plus touchants de nos saints
Livres, aussi sont-ils bien connus, même des simples fidèles.
Je rappelle seulement en gros les raisons qu'il y avait de n'admettre
qu'une onction ou d'en distinguer plusieurs.
Matthieu et Marc sont si semblables que c'est à peine si l'on a songé
hypothétiquement qu'ils ne racontaient pas le Une femme même fait.

innomée pénètre dans la salle où Jésus prend son repas, chez Simon
le Lépreux. On esta Béthanie, et, à ce qu'il semble, deux jours avant
la Passion. La femme porte un alabastron ou fiole d'une huile parfu-
mée qu'elle répand sur la tête du Sauveur. Quelques-uns (Me), ou les
disciples ( Mt.) s'émeuvent, mais Jésus prend la défense de la femme
qui la oint d'avance, avant sa mort et sa sépulture.
Dans Jean, la femme est Marie de Béthanie, Marthe sert, Lazare est
parmi les convives; on n'est donc pas chez lui, mais cependant à
Béthanie, six jours avant la Pàque. Marie porte une livre de parfum,
oint les pieds de Jésus et les essuie de ses cheveux. Judas s'indigne,
mais Jésus donne raison à Marie.
Ainsi, trois ditférences. La femme de Matthieu (avec Marc) oint la
tète, Marie de Jean oint les pieds. On est à deux jours ou à six jours de

la Pàque. Les disciples s'indignent, ou Judas.


Mais en revanche on est à Béthanie, peu avant la passion, et la scène
est la même. 11 était fort aisé de supposer que Jean avait nommé Judas
comme le principal des réclamants, et même que l'onction des pieds
avait précédé celle de la tête. Et si l'on n'était pas lié par un critère

trop étroit sur la composition inspirée des Évangiles, on pouvait


admettre que Jean avait précisé la donnée chronologique un peu
vague des deux synoptiques; ceux-ci ont sans doute rapproché l'avant-
dernière cène connue de celle qui fut la dernière.
Tout change quand on lit Luc. A en juger par la situation du mor-
ceau dans le troisième évangile, nous sommes à peine au milieu de la
prédication de Jésus, et en Galilée. Le bon Maître est à table chez
Simon le Pharisien, quand une femme, pécheresse connue pour telle
dans la ville, se présente avec un alabastron d'huile parfumée. Elle se

(1) Pour l'unité on peut citer un ouvrage qui a été célèbre en son terni:s. Monuments iné-
dits sur l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence, etc., par M. Faillon. delà
société de Saint-Sul[iice. Paris. 18i8.
506 REWE BIBLIQUE.

jetteaux pieds de Jésus, les arrose de ses larmes, les essuie de ses
cheveux, les oint de son parfum. Le Pharisien s'étonne intérieurement
de la condescendance de Jésus; il préférerait le taxer d'ignorance.
Mais Lui, comparant l'élan généreux de la pécheresse à l'attitude à
peine polie du Pharisien, donne raison à cette femme et la renvoie
pardonnée.
y a encore là une
Les dififérences sautent aux yeux. Cependant il

femme, avec son vase de parfums, dont Jésus prend la défense et fait
l'éloge. Le maître de la maison se nomme Simon, comme le lépreux
de Bétbanie. Ni le temps ne sont déterminés avec une pré-
lieu, ni le

cision qui interdirait toute harmonie. Mais avec qui? Avec Matthieu et
Marc, si l'on tient compte du nom de Simon avec Jean, si l'on estime
;

que la pécheresse ne devait pas quitter son humble posture aux pieds
du Sauveur. Si l'on harmonise Luc avec Jean, la pécheresse est donc
Marie de Béthanie? Si l'on harmonise Luc avec Matthieu et Marc, elle

a donc été admise aussitôt à oindre la tète?


au contraire on conserve à l'épisode de Luc son caractère distinct,
Si

serait-ce que la même femme, reparaissant dans Matthieu et Marc, n'a


pas été nommée précisément à cause de ses antécédents fâcheux? Mais
alors il faudra supposer, ou que Matthieu et Marc sont plus différents
de Jean qu'on ne l'avait imaginé, ou que Jean s'est décidé à dévoiler
l'anonyme. Ce serait donc encore identifier la pécheresse et Marie de
Béthanie. Mais combien de raisons de ne pas le faire! L'une est connue
pour ses désordres, en Galilée, semble-t-il ;
l'autre réside avec sa sœur
à Béthanie, près de Jérusalem, avec leur frère Lazare, et cette famille
estimée de ce qu'il y avait de plus respecté parmi les obser-
était fort

vateurs de la Loi (Jo. xi, 19 ss.). Marie de Bétbanie aimait, elle aussi,
à se mettre aux pieds de Jésus, mais pour l'écouter, tandis qu'il rece-
vait chez les siensune honorable hospitalité (Le. x, 38 ss. ). Et à sup-
poser que ces raisons ne soient pas absolument décisives, on n'en peut
poser aucune pour l'unité de la femme aussitôt que l'on suppose que
l'épisode de la pécheresse n'est pas le même que l'onction de Bétha-
nie, car Jean (xi, i] a bien pu parler au passé de l'onction de Marie
de Béthanie, puisqu'elle appartenait en effet à l'histoire, sans faire

allusion à la scène de Luc.


VoUà donc en quels termes la question se posait pour les anciens.

Elle se pose de la même façon pour les modernes. Mais, — et c'est ce

qui en fait l'intérêt nouveau, — ce sont aujourd'hui les plus ortho-


doxes qui distinguent les que les critiques radicaux
onctions, tandis
reviennent volontiers à l'unité. C'est ainsi que le P. Knabenbauer,
M. Fillion, M. Belser, qui peuvent passer pour les plus résolus parmi
JÉSUS A-T-IL ETE OLM PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? o07

les conservateurs, fusionnent les cènes de Béthanie, mais regardent


l'épisode de Luc comme tout à fait distinct. Sur Funité de la femme,
M. Fillion nous dit que la tradition n'a rien de sûr. Le Père Knaben-
Jaauer voyait dans Jean xi, -2 un indice que la sœur de Lazare est la
pécheresse, sans cependant conclure ouvertement à l'unité (1). D'après
Belscr (2), comme d'après Knabenbauer, Marie de Béthanie est certai-
nement distincte de Marie de Magdala, et de plus c'est cette dernière
qui est la pécheresse.
Chez les critiques radicaux, la tendance est en sens inverse. Il n'y
eut jamais qu'une onction, celle de Béthanie. S'il parait difficile de
placer à Béthanie la conversion et le pardon, et si par conséquent le
fond de Luc est distinct, tout ce qui regarde l'onction dans Luc a été
ajouté d'après l'onction de Béthanie. Ne voulant pas la raconter en dé-
tail, il l'a bloquée avec du pardon. Jean, en parlant de l'onc-
le récit

tion des pieds et du rôle des cheveux, aurait pour ainsi dire revendiqué
pour la cène de Béthanie les détails que Luc en avait détachés pour
les arrangera sa manière.
C'est vers une solution de ce genre que tendent MM. Wellhausen,
Merx, Loisy, même Holtzmann.
Ainsi sont-ils obligés de conclure qu'il n'y eut qu'une myrophore (3),
et ce renversement des alliances eût à coup sûr étonné M. Faillon et
lui eût donné à réfléchir.
C'est une raison, et à tout le moins un prétexte pour relire les textes
des anciens, d'autant qu'on peut en indiquer d'assez importants,
récemment découverts, qui n'ont pu figurer dans les anciennes contro-
verses.
Je n'ai d'ailleurs aucune prétention à être complet, tenant plutôt
à indiquer les tendances générales. Aussi ne suivrai-je d'autre
classification que d'après les principales régions.

Les Alexandrins.

Clément d'Alexandrie s'est interdit d'expliquer sainement les onc-


tions, parce qu'il a abordé le thème avec un parti pris. Il condamne
l'usage des parfums. Mais aussitôt se présente l'objection tirée de
l'évangile. « Je sais que la femme ayant apporté un alabastron de
parfum au saint repas, oignait les pieds du Seigneur, et le contenta...

Sur Mallh., II, p. 399 ss.


(1)
Sur saint Jean, p. 338, et Einleitung..., p. 299, 333 et 336.
(2)

(3) J'emploie te mot pour abréger, sans ignorer que les myrophores chez les Grecs sont les
fcmrnos qui ont porté les parfums destinés à embaumer le Sauveur.
508 REVUE BIBLIQUE.

Mais la femme n'était pas participante du Verbe (car elle était encore
pécheresse); elle a honoré le maître au moyen du parfum, ce qu'elle
croyait posséder de plus précieux; ce fut aussi par l'ornement de
son corps, ses propres cheveux, qu elle essuya ce qui restait du
parfum, offrant au Seigneur des larmes de pénitence voilà pour- :

quoi ses péchés lui sont remis (1; ».


c(

On dirait que Clément ne s'occupe que de Luc; pourtant « la sainte


cène indique déjà la proximité de la passion; l'huile essuyée avec
»

les cheveux est un trait de saint Jean. D'ailleurs, s'il y avait eu une
autre onction, de la part d'une femme qui ne fût pas ou ne fût plus
pécheresse, que devenait l'argument contre les parfums?
y a donc chez Clément plus qu'une confusion de certaines cir-
Il

constances; il ne connaît qu'une onction. Et aussitôt il se jette dans

les sens allégoriques; cette scène est un symbole de l'enseignement


de Jésus ou de sa passion, les pieds sont les apôtres,... l'huile c'est
le Seigneur..., le parfum c'est Judas, trait qui nous ramène encore à
Jean. En somme, tout ce qui s'est passé dans ce repas, qui précède
la passion, est justifié par le sens allégorique. Il n'était point inutile
de le constater avant de parler d'Origène.
Origène est-il pour ou contre la distinction? On a cité de lui des
textes fort divers. Tantôt, dit-on, il n'a admis qu'une onction, tantôt
il en a admis trois, avec trois femmes, presque quatre, tantôt deux
onctions et deux femmes, mais selon deux combinaisons différentes,
tantôt Luc et Jean sont d'un côté, Matthieu et Marc de l'autre; tantôt
Luc parle d'une pécheresse, les trois autres d'une sainte que Jean
nomme Marie. Autant dire qu'il s'est contredit.
Peut-on dire de ce grand homme
que sa mémoire lui a fait défaut?
ou qu'il a brouillé les circonstances? ou qu'il a embrassé des opinions
successives? Userait plus juste de dire qu'il a examiné tous les aspects
de la question, et qu'il n'est point arrivé à une conclusion définitive. Ce
qui lui importait le plus, c'était l'enseignement spirituel ou même
allégorique, qui paraissait le plus satisfaisant si l'on admettait une
pécheresse devenue pénitente et sainte, et passant ainsi, pour le dire
en gros, de l'onction des pieds à celle de la tête.
Cela parait être en effet le terme d'une longue discussion, dans le

(1) Paedag., II. viii : oio' on « à/àoadtpov (xûpou » Trapà xô ôatTrvo-; ib écytov v.o\j.iaix'jCi. f, ywr)
Tovç TtôSaç ^),£iç£v TO-j xyptou xa'. r,c/£v aÙTÔv-.. 'A/,),' tj (xàv yiivr, jinoéîiw toO )6yo-j [XôTaXaooOaa
(Iti yàp 'çv (ifjLapTwXô;), ÔTtsp T,y£ÏTo to y.âXXiffTov eîvai irap' ay-Yj, xo [Ji'jpov, toûtw T£TiLi.Tiy.£ tôv
ôâanÔTriV àixéXei xai Ttô xôcfio) toO ca^nafo;, Taî; 6pt|l xaî; layi»;;, àTiiiiàTo xô itEpixtôv xoO
(Hjpoy, £îi'.!77t£vi&u(ja xw x-jptw (Aexavoîaç ôâ/pya. ôià xoyxo « àçéwvxai aùxrj; al à[iapTiat ». Éd.
Stâhlin: la référence est indiquée très judicieusement : cf. Luc. 7. 37 (ioh. 12, 3;
Mt. 26,. 7; Me. 14, 3 j.
JÉSLS AT IL ETE OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? o09

commentaire sur saint Matthieu que nous ne possédons quen latin 1). ;

D'après M. Bardentiewer (2), la traduction est attribuée par conjec-


ture à mi certain Bellator, ami de Cassiodore, dans un temps où l'on
avait meilleure grâce à contredire Origène, qu'à le traduire fidèle-
ment. J'ai donc pensé d'abord que le traducteur avait été infidèle, et

qu il fallait lui attribuer la dissertation sur les trois, voire les quatre
myrophores, que Faillon jugeait peu digne du génie d'Origène ^3;.
Mais j'estime plutôt, toute réflexion faite, qu'Origène lui-même
s'est complu à soutenir plusieurs systèmes, avec l'incomparable sou-

plesse de son esprit, pour se réfugier sans conclure trop nettement


dans le clair-obscm' de l'allégorie.
11 semble bien que l'opinion commune d'Alexandrie ne connaissait

alors qu'une myrophore ii Multi quidam existimant de una eadem-


:

que muliere quatuoi' evangelistas exposuisse, quia conscripserunt


taie aliquid de muliere, et omnes similiter alabastrum unguenti nomi-
naveruat. Suit l'exposé, fort habile, des raisons pour l'unité de la
femme qui supposent l'unité de la scène de l'onction. Elles sont très
frappantes : MuUa ergo similitudo et cognatio quaedam de muliere
apud quatuor evangelistas.
Mais aussitôt — et c'est cette partie qu'on pourrait être tenté d'at-
tribuer à un autre — Urigène se fait un jeu de montrer qu'elles ne
tiennent pas, si l'on suppose, comme on le doit, que les évangélistes,

animés du même Esprit, n'ont pu se contredire. Comment admettre


en effet qu'il n'y eut qu'une onction, quand Luc et Jean parlent des
pieds, Matthieu et Marc de la tête? Comment n'y eut-il qu'une femme,
quand Luc parle d'une pécheresse, et Jean de Marie qui avait choisi
la meilleure part? Plutôt faudrait-il admettre c[uatre femmes. Mais
(>rigène fait grâce à ses adversaires présumés de la quatrième,
Matthieu et Marc s'accordant assez: du moins il faut nécessairement
trois femmes, puisqu'il s'agit de trois scènes dont le thème et les
acteurs sont différents. Origène répète que sans cela il faudra ac-
cuser les évangélistes de mensonge, ce qui serait de l'impiété. Et
voilà pourquoi on l'a cité avec tant de complaisance pour la distinc-
tion des trois myrophores.
A-t-il dit toute sa pensée? Non, car il continue. Et peut-être n'a-t-il
poussé si vivement sa pointe que pour amener les partisans de l'unité
à le suivre dans son exégèse ce qui n'est pas possible au sens littéral.
;

(1) /« Matthaeum commentariorum séries, P. G., XIIL


;2, B4RDE>HE«ER. Gescliichte..., t. II. p. 113.
(-3) Faillon, Monuments..., c. 75.
[i) Les textes qui suivent sont du Comm. séries, P. G., XIIL 1721-1724.
SIO REVUE BIBLIQUE.

n'est point exclu si l'on recourt à l'allégorie ! Dicet autem aliquis paulo
audacior; Forsitaii secundum liistoriam una quaedam midier fuit
quae taie aliquid fecit. Cet audacieux, c'est lui-mrine, n'en cloutons
pas. Mais que devient la brillante argumentation de tout à l'heure,
s'il n'y a qu'une femme selon l'histoire? Elle ne tiendrait évidemment
pas, si les détails qu'Origène a opposés les uns aux autres, et comme
entrechoqués, n'étaient que des circonstances arrangées en vue d'un
enseignement mystique. Qu'importe alors le nombre des figurantes?
Pone avtem et alteram, si vis, et tertiam, tamen et principaliter evan-
gelistanim propositum fuit respiciens ad mysteria, non satis ctirave-
et

l'unt ut secundum veritatem curarent historiae, sed ut rerum myste-


ria, quae ex historia nascebantur, exponerent, etc. L'allégorie est
donc la carte forcée pour les unitaires, auxquels Origène semble
maintenant donner raison. D'ailleurs il renvoie à ses traités sur l'É-
vangile de saint Jean, où il a reconnu pour semblable et apparenté ce
qui paraissait contraire De his autem quae apiid quatuor exponuntur
:

evangelistas causa mulierumy vel unius mulieris^ sicut existimant


multi, diligentius tractavimus exponentes Evangeliion secundum
Joa?inem, quae videbantur nobis, cum similia essent et cognata, quasi
contraria et distantia. Origène se serait-il contredit en se citant lui-
même? Or nous témoignage des traités sur saint Jean.
entendrons le
Il en résume brièvement » les développements. Chaque évangéliste
<(

a choisi les circonstances qui convenaient à son but. La pécheresse


oint les pieds, celle qui n'est pas pécheresse oint la tète. Mais celle de
Jean oint les pieds? oui, mais l'odeur du parfum se répand dans toute
la maison. Et sur cette division, non plus de trois personnes réelles,

mais de trois ligures, Origène bâtit son sens mystique. Si les termes
employés suggèrent trois onctions, nous devons expliquer tout le pas-
sage avec la clef qu'il nous a fournie. Aussi bien il n'insiste pas tant
sur l'aspect concret des faits, que sur leur groupement rationnel.
Rationabiliter ergo Lucas, cum de peccatrice muliere loqueretur , intro-
duxit eam flentem abundantius, ut etiam Jesu pedes lavaret. Théori-
quement la même femme suffit à ces différents aspects. Mais il est difh-
cile de les restreindre à un seul épisode. Bon gré. mal gré, il faut du

temps pour que la pécheresse devienne une sainte. La pécheresse


n'était pas digne de figurer à Béthanie, qui signifie maison d'obéis-
sance, mais on devait l'y retrouver plus tard Adliuc enimminus ha- :

bebat, ut postmodum inveniretur in domo obedientiae facta, ut jam


consummata, neque pjeccatrix diceretur, nec lacrymans et lavans
Domini pedes, sed et ipsa effundens unguenlum super caput ipsius.
Et plus loin Apud Lucam... ad/iuc enim habere non poterat un-
:

m
JÉSLS AT IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? 511

giicnta huiusmodi . . . De sorte que si l'exégèse littérale exige trois


onctions, d'où l'on pourrait conclure à trois femmes, l'exégèse mys-
tique large n'exige qu'une femme, mais à la condition qu'on lui
laisse letemps de devenir une sainte. Gela n"est pas dit expressément,
mais c'est ce qui ressort naturellement du texte il y a la pécheresse :

et la sainte; si c'est la même personne, ce n'est pas du moins la


même ne donne pas la même leçon.
figure, parce qu'elle
C'est bien aussi ce qui résulte des homélies sur le Cantique, tra-
duites par saint Jérôme. Dans un premier passage (1), on ne sait pas
s'il s'agit réellement d'une femme ou de deux, et l'on conclurait
qu'il n'y a qu'une cène. Je cite les textes in extenso, avec quelques
gloses : In evangeiio quoque muiier habens alabastnim tinguenti
nardi pistici pretiosi (Me), caput Jesu (.Me. Mt.i pedesque jjerfudit
(Le. et Jo.). — C'est donc une même femme, et par conséquent la
distinction qui suit est de l'allégorie (2 .
— Observa diligenter guœ de
diiobus (!) super caput effuderit Salvatoris; siquidem peccatrix (Le.
mais non Jo.)super pedes (Le. et Jo.), et ea quœ dicitur non fuisse
peccatrix (Mt. Me.) — plutôt : ea quae non dicitur fuisse peccatrix —
super caput eius fudisse monstratiir (Me. Mt.). Observa, inquam, et in-
venics in evangelica lectione, non fabulas et naiTationes ab evan-
gelistis, sed mystcria esse conscripta. — Donc, ici encore, Origène
s'oppose l'objection que les évangélistes se sont contredits, mais il

répond qu'ils ont eu l'intention d'exposer des mystères, fût-ce au


moyen de traits diiférents. —
Impleta est utique odore unguenti
domus (Jo.). Si quid peccatrix habuit, ad pedes référendum est, et si

quid ea quae non peccatrix, ad caput.


Donc le parfum se répandit, trait emprunté à Jean, et en cela la
part des pieds ressortit à la pécheresse, la part de la tête à celle
qui n'est pas pécheresse, ce qui veut dire qu'il n'y a qu'une onction,
racontée différemment, puisque la pécheresse, qui ne figure que
dans Luc, a sa part de ce qui se passe dans Jean, aussi bien que
celle qui oint la tête, d'après Matthieu et Marc.
Origène continue : Nec mirum domum fuisse odore completam,
cum hoc ordine mundus coinpletus sit. Scribitur in eodeni loco de
Simone leproso et domo eius (Matthieu, Marc). Au même endroit —
que l'odeur répandue dans Jean! Ego puto leprosum mundi istius —
esse principem, et hune leprosum Simonem nuncupari, cuius domus

(1) p. G., XIIÏ, 41.


(2) H ne faut pas en effet perdre de vue la méthode d'Origène. Quelques lignes plus
haut (col. 39j ou lit : haec nisi spiritaliter inteUiganlur, nonne fabutae sunt? II s'agit de
prouver que le Cantique est allégorique.
512 REVUE BIBLIQUE.

ad adventum Chris ti suavi odore compléta sit (Jo.), poenitentiam


agente peccatrice (Le.) et sancta caput Jesu unguenti odoribus per-
fundente (Mt. Me). Il est impossible de pousser plus loin la confusion,
à moins qu'on ne soit persuadé, comme l'était Origène, qu'il s'agit
dun Mais ici nous avons
seul fait, raconté de différentes manières.
rencontré une expression bien étrange eodem loco Si encore : in !

Origène avait écrit dans la même occasion; mais in eodem loco!


:

dans le même passage de l'évangile! Origène possédait-il donc une


concordance ou une harmonie qui bloquait les quatre récils évangé-
liques ?
Cependant, dans laseconde homélie, les deux femmes sont plus
nettement distinctes. Ne serait-ce pas qu'une glose s'est introduite
dans le texte, du fait du traducteur? Je l'indique par des crochets (11 :

Loquitur evangelium, quia venit millier habens alabaslrum unguenti


nardi pistici pretiosi (Me), [non illa peccatrix, sed sancta, de qua
nunc mihi sermo est. Scio quippe Lucam de peccatrice, Matthaeum
vero et Joannem et Marcum non de peccatrice illa dixisse. Venit ergo
non peccatrix, sed sancta, cuius nomen quoque Joannes inseruit.
Maria quippe erat habens alabastrum unguenti nardi pistici pretiosi]
et effudit super caput Jesu. Je me refuse à attribuer à Origène cette
digression érudite dans une homélie sur le Cantique; elle est en
opposition avec ce que nous avons lu dans l'homélie précédente ;

on aura remarqué que la parenthèse se termine exactement par les


mots qui la précèdent, comme si l'on avait voulu opérer une
soudure qu'il faut probablement attribuer au traducteur Jérôme.
Enfin la distinction, telle que la propose ma parenthèse, est con-
traii'e à ce que nous savons des traités sur saint Jean.

Malheureusement nous ne possédons plus les développements


auxquels nous renvoyait Origène, mais les chaînes nous ont conservé
un passage que M. Preusehen reconnaît comme authentique (2 } :

« Que Marie soit la même que celle qui dans Luc oignit le Seigneur

d'un parfum, cela est évident. Mais celui-ci a tu son nom; tandis que
Jean a complété ce que celui-ci avait omis. « Puis il continue à parler
de la pécheresse; Marie est le symbole de la gentilité, Marthe des
circoncis. On ne croira pas volontiers qu'un pareil symbolisme soit
sorti ensuite de la pensée d'Origène. Aussi le retrouvons-nous à
propos de la pécheresse, dans un second texte grec.

(1) p. G., t. XIIL coL 48.

(2)Sur Jo. 11, 2, édition des traités sur S. Jean, p. 544: on Mapia t] aOtri ï<rz\. xac Jtapà

Tw Aoyxà r| à),EtiJ/a(ja tôv xûpiov jiûpto ô^Xov. à).V êxsTvo; (lèv a-jiyjç àTtsciwmTJEv ToOvo(ia,
'Iwâvvr,î ôà y.aX tô èy.ïivœ 7;apa).Eiç6èv àvîTtXr.ptoffev.
JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? 513

Tandis que les Juifs deviennent une nation adultère, les gentils

sont comparés à des femmes converties, à Rahab. d'abord ;


puis, insen-
siblement, Raliab devient la pécheresse il, « qui après cela ne se
prostitua mais qui vint aux pieds de Jésus, et les arrosa des
plus,
larmes de la pénitence, et les oignit de l'odeur parfumée d'une
sainte vie, à cause de laquelle Mésus^ lit à Simon le lépreux, repré-
sentant le peuple ancien, les reproches qu'on lit ».
Origène identifie donc Simon le pharisien de Luc et Simon le
lépreux de Marc et de Matthieu; il le nomme lépreux, plutôt que
pharisien, parce que cela convient à son allégorie, mais ne l'au- il

rait pas fait s'il eût distingué les scènes aussi soigneusement que
ceux qui ne voulaient pas recourir à l'allésorie.
semble donc bien qu'Oris^ène n'admettait qu'une seule onction
Il

et une seule femme, et il allait du premier coup à l'identification la


plus difficile, celle de la pécheresse de Luc et de Marie de Béthanie
Jo.), à cause du symbolisme des pieis, mentionnés dans Luc et dans

Jean. Mais la mention dune pécheresse et d'une femme qui n'avait


pas péché lui imposait en quelque sorte de distinguer la femme de
Matthieu et de Marc et celle de Luc, et cette distinction prenait corps
en histoire, d'autant que Luc ne situait sa sc^^ne ni si tard que les
deux autres synoptiques, ni comme eux à Béthanie. Ceux qui ne se
souciaient pas de demeurer dans l'imprécision ont compris qu'Ori-
gène distinguait deux femmes. C'est ce que rapporte Victor d'An-
tioche, s'il est bien l'auteur du commentaire qui figure comme
chaîne sur saint Marc De son côté, Origène dit que c'est une autre
: «

femme qui répandit du parfum sur la tête dans la maison de Simonie


lépreux, d'après Matthieu et Mire, et une autre que Luc décrit comme
une pécheresse qui répandit le parfum sur les pieds dans la maison
du Pharisien (2). «
Et c'était bien en somme ce qui ressortait de plus clair des déve-
loppements en sens divers où Origène seul pouvait se complaire
sans crain Ire que la trame de l'histoire ne fit défaut.
Incidemment Origène a paru renvoyer à un texte où les quatre
évangélistes racontaient la même onction. Aussitôt on pense à Am-
monius (vers 220). Malheureusement nous ne savons de lui rien de

(1 Comment, in Mattli.. P. G.. XIII, 984 s. : [it-k tovto (ir,y.£T'. nopvE-jo-Jsa à),X' èWoûaa
Tapi Toô; toO 'Ir.TOj TTÔôa;, xai 3pr/o"jTx aCxov; tq;"; T»i; ixîTxvoia; ôâxpudi, xai àXîtso'Jda t^
Tï); ày.a: 7T0>.'.T={a; t'ôv [xjpwv sùtooia, o.' r,v lîiAuvt tw XîîîpùJ tw -poTÉpw ).acô ôvîioi^wv I/.ïvîv ô^x
•/évpanTa'..

(2< Gr\mer, t. II. p. 418 : 'Qp'.vÉvr,; oà TTiXtv â/./.r.v [iî'v çr,(7'. ttiv Trap» MaTÔaitp xal Môpxtp
Èx/Hoy/rav zfii x£5a),ïi; xh [i-jpov èv olxia S'uluvo; toO Xeitpoy, â\\r\-/ 5e Tr,v ttapà tw Aouxà
vEYpaiJLiicVTiv àjjLopTtû/.ôv xaTEXî'raffav twv tioÔwv aJTOÛ to [i-jpov Èv tî] oîzîaTOÙ $aoi(7a{o*j.
RKVL'K BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX, 33
514 REVLE BIBLIQUE.

plus que ce qu'en dit Eusèbe, qu'il était d'Alexandrie, et qu'il avait
laissé un évangile où
il prenait pour base saint Matthieu, en
y ajou'ant
les péricopes semblables des autres évangélistes (l). Les derniers
étaient donc un peu sacrifiés. On sait quEusèbe, bien décidé à leur
conserver leur intégrité native, inventa ses canons afin de permettre
aux lecteurs de l'évangile de trouver aussitôt les passages parallè es.
ou, pour parler comme lui, ceux où les évangélistes « avaient été
amenés à parler des mêmes choses, avec sincérité (2) », expression
affaiblie à dessein par saint Jérôme lorsqu'il traduisait vel eadem, vel
similia.
Cependant la pensée d'Eusèbe n'était ])as d'interdire toute recherche
exégéti-jue ten'Iant à distinguer les faits et les personnes. Il eût plutôt
entendu taciliter les discussions. C'est ainsi que lui-mcine regarde
comme parallèles Mt. xxvui, 1 et Jo. xx, 1 ; mais quand il s'agit de
concilier la contradiction apparente, il offre au choix deux solutions,
l'une qui admet deux Marie
l'identité des faits, l'autre qui distingue
Magdeleine, par suite deux incidents (3).
et

Sa pensée est donc que si les circonstances diverses pt^uvent s'ex-


pliquer par l'unité sans détriment pour la véracité des évangélistes
(oiXxAY^Owç), il laut s'en tenir là. On n'userait de la ressource de dis-
tinguer, que si cela était absolument nécessaire. Et c'est encore la
pensée de tous ceux qui font des synopses évangéliques. S'ils met-
taient sur quatre colonnes la scène de l'onction, c'est qu'ils n'y ver-
raient que le même épisode. Or c'est précisément ce qu'a lait Eu-
sèbe. Toute la péricope de Luc sur la pécheresse (n° 5i) est de celles
où les quatre évangélistes traitent, du moins dans le sens large, du
même sujet (Mt. n" 276, 6; Me. n^ 158, 3; Jo. n" 98, 1;.

Nous venons de dire en passant dans quelle mesure Eusèbe s'est


prononcé; on aurait tort de trop insister sur son témoignage indi-
rect. Mais il n'est guère douteux qu'il ait ainsi noté en alirégé l'har-
monie d'Ammonius. Si sa méthode était différente, le but était le
même. Quoique évêque de Césarée en Palestine il dépend ici des ,

Alexandrins.
D'ailleurs nous ne possédons plus l'évangile d'Ammonius, nous
si

avons dans Codex Fullensis une harmonie qui n'a pas été im-
le

provisée. On estime aujourd'hui qu'elle a été composée vers l'an 500,


en latin. Mais Victor de Capoue qui l'a adoptée et transcrite jugeait

(1) Lettre à Carpianos, P. G., XXII, 1276 : tô oià TeercrâpW' ri[iîv -/.aTa).é).oi7t£v iJavyïX'.ov, tw
xa-à Ma-6atQv -rà; ôjioswvo'j; twv Xo'.irwv t\)X-'-ytna'ù)y Trep'.xûTtà; sapaôeî;.

(2) 'Ev oi; y.oL-ÔL "twv aO-tôv çO.aXi^Ow; il-£Îv.

(3; Quaestiones ad Marinum.


JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? olo

avec raison qu'elle s'était inspirée d'une harmonie antérieure Tatien :

ou Âmmonius? Il ne connaissait ni l'un ni l'autre. Mais il savait par


Eusèbe que le texte d'Ammonius était avant tout celui de saint Matthieu,
et le sien commençait par le prologue de saint Luc! Alors il songeait à

Tatien, et ce qu'en disait Eusèbe lui paraissait convenir davantage à


ce qu'il avait sous les yeux. En somme il hésitait : licet ex maximà
parte evangelio sancti Matlhei reiiquoruin trium dicta coniunxerit
ut iwe ambigi possit Ammonii an Tatiani inventio eiusdem operis de-
beat exthnari \\\.
Or le Codex Fuldensis ne connaît qu'une onction le chapitre cxxxviii ;

est intitulé Ubi Maria fudit alabaslrum ungenti in capite Ihesu, et


:

increpat pharisaeo; tandis que le Diatessaron de Tatien distingue


soigneusement deux onctions comme nous le verrons plus loin. Il est
donc tout à fait probable que l'harmonie de Victor de Capoue sui-
vait ici du moins celle d'Ammonius.
On peut placer avec les Alexandrins Apollinaire, évèque de Lao-
dicée de Syrie (mort vers 392). Son père était né à Alexandrie, et
l'on sait que, lorsqu'il tomba dans l'hérésie, ce fut en exagérant la
doctrine de saint Athanase sur l'unité du Christ. Le commentaire de
Victor d'Antioche le cite sur la question des myrophores après Ghry-
sostome et Origène : « Apollinaire et Théodore disent que c'est une
seule femme qui figure dans tous les évangélistes , mais que Jean
a exposé l'histoire plus exactement (2). » Théodore est probable-
ment Théodore d'Héraclée (mort vers 358), cité dans les chaînes,
quoiqu'il eût été arien, car nous verrons que ce ne peut être
Théodore de Mopsueste, comme le pensait Faillon.
Ces deux évèques, si opposés comme théologiens, n'admettaient
donc qu'une onction pour les quatre évangélistes. Mais peut-on dire
que Jean a précisé ce qu'il y a dans Luc? On lirait plus volontiers
« dans trois » évangélistes que « dans tous » les évangélistes.

Mais si nous hésitons à changer le texte, nous ne pouvons du moins


faire cas des autres arguments que Faillon cherche dans Apollinaire
en faveur de l'unité. Le texte de la chaîne sur saint Jean où Apollinaire
piirle de l'amour de Marie de Béthanie (3 n'a aucun rapport avec la

pécheresse, et celui où il aurait confondu Marie de Béthanie et Marie


Magdeleine, cité d'après la chaîne de Cordier (4), ne se trouve pas
dans celle de Cramer.
(1) Ed. Ranke, p. 2.
(2j CiiAMER, 1, 418 'AîToXtvâpio: ôà
: y.aX ©ôdowpoç [AÎav/.ai ir,-i aÙTriv z'xn: Ttapà Tràd-. toï;

EùaYYS/.iffTaï;, àxpiêécTîpov oï ib'J 'IwâvvTiv Tr.v tcTopiav iy.ÇsSwy.iVat.

(3) Cramer, II, 317.

(4) Faillon, I, 148.


516 REVUE BIBLIQUE.

du moins en majorité, ne voient


Ainsi, à l'origine, les Alexandrins,
dans rÉvansile quune onction. C'est la pensée de Clément, et, très
probablement, Ammonius la rendit sensible dans une concordance.
Elle dominait au temps d'Origène. L'illustre exégète n'a pas voulu
dissimuler les difficultés insurmontables que présentait le sens littéral
des textes, mais il offrait d'en triompher au moyen de l'allégorie. Ses
allégories étaient peu claires et son accord trop large devint suspect.
Ce qu'on retint de lui, ce fut sa discussion des divergences évangéliques.
On estima que, par une sorte de cote mal taillée, il distinguait deux
femmes, mettant d'un côté Matthieu et Marc l'onction de la tète, —
— de l'autre Luc et Jean —
l'onction des pieds. C'était confondre
à tout le moins Marie de Béthanie et la pécheresse, confusion qui
parut si choquante aux Syriens. Même en Egypte elle ne passait
point pour acquise.
On s'accorde aujourd'hui à regarder comme authentiques les ho-
mélies de Macaire l'égyptien [i] lué vers 300); il distinguait Marie (de
Béthanie I et la pécheresse de Luc (2).

Saint Cyrille d'Alexandrie, dans ses homélies sur saint Luc, que nous
ne possédons qu'en syriaque, ne parle que de la pécheresse et dans ,

son Commentaire sur saint Jean il ne parle que de Marie de Béthanie.


Le passage de Jean (xi, 2) qui peut paraître renvoyer à Luc est laissé
dans un vague qui est peut-être intentionnel (3 Bien ne fait soup- .

çonner de la pécheresse qu'elle deviendra la sainte de Béthanie,


encore moins de la sainte de Béthanie qu'elle soit tombée dans la
moindre faute. Comme sa sœur Marthe, c'est une personne très res-

pectée, parce que très pieuse (i).


Nonnus. de Panopolis (vers ilO), qui commenta saint Jean en vers,

ajouta l'onction de la tète à celle des pieds, ce qui veut dire qu'il
harmonisait Matthieu, Marc et Jean dans la scène de Béthanie (5). On
ne peut conclure rien de plus.
Mais si les exégètes sont devenus plus prudents, il est probable
qu'en Egypte comme ailleurs la piété populaire ne connut qu'une

(1) Bardenhewer, Patiologie. 246.

(2) P. G. XX.XIV, c. 568 : noau» (là/Àov 6 Kûpto; oie è).(x)>ei Àoyov -rri Mapia. r, Tt^ Zaxyaitp, r, zr,

àiJ.apT(i>Xb>, r,Ti; ).'.7iâva<ja Ta; Tp-yaç, à'7zé[La(j(jS tov; no'jx; toC Kopio'j.

(3) P. G., LXXIV, 37 : « il parle du parfum, non par hasard, niais pour montrer que
Marie avait une telle soif relativement au Sauveur, qu'elle essuya ses pieds avec ses propres
cheveux, cherchant à exprimer la bénédiction spirituelle de sa sainte chair», et non àob- —
tcnir son |)ardon.
(4) Marthe et Marie sont nommées 6-i r.aav w; 6EO(7îoEt;. Il est vrai que Marie
È7f!(7r,u.o'.

est comparée à 1 Église venue de la genlilité, mais parce qu'elle offre une hostie spirituelle
et une foi de bonne odeur.

(5) P. G., XLIII, 840.


JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS tT PAR PLUSIEURS FEMMES? -617

myrophore. D'après un ms. arabe jacobite dont Assemani a donné


un extrait, on croyait dans un monastère de Scété posséder le corps de
saint Jean-Baptiste, et « des cheveux de Marie la pécheresse, qui oignit
les pieds du Seigneur de parfums, et les essuya des cheveux de sa
tête (1) ». Marie la pécheresse était-elle Marie de Béthanie ou Marie
de Magdala? C'est plus probablement la première, puis(iu"elle figu-
rait dans Jean comme ayant oint les pieds du Seigneur qu'elle essuya
de ses cheveux.

Les Latins.

Au début, dans Tertullien, comme en Egypte chez Clément, c'est la

confusion des scènes évaugéliques. L'africain, qui a déjà rompu avec


l'Église, imagine qu'on lui objectera tel trait du Sauveur : ut cum

peccatrici feminae etiam corporis sni contactinn permiltlt lavanti


lacrimis pedes eius et crinibus detergenti Le), et iinguenlo sepultu-
ram ipsius inauguranii 2). Le dernier trait est un résumé de ce qu'on
lit dans Matthieu ou dans Marc, se rapprochant surtout de Marc :

praeveiiit ungere corpus meum in sepulturam [Vg. Mais on ne saurait .

prétendre que Jean n'est pas dans la perspective de Tertullien. Il a


simplement confondu le repas de Luc avec celui de Béthanie.
Maison sait que l'exégèse d'Origène a eu beaucoup plus d'influence
en Occident que les traits qu'on aurait pu emprunter à Tertullien.
S. Hilaire que la question a été traitée, et il a
(mort en 368i sait

son opinion; on dirait bien que c'est celle que Victor d'.Vntioche
attribuait àOrigène In his autem mulierihus quae ungentes dominuin
:

typum Ecclesiae in Evangelio praeiulerunt, ita docemw, quod una


caput, alla pedes unxerit : per quod quaeque earum significatur in
parle corporis omne corpus unxisse 3). C'est un trait en passant dans
les notes sur les Psaumes dans le Commentaire de saint Matthieu,
;

Hilaire suit son texte sans aucune tentative de concordance ou de dis-


tinction.
Grégoire d'Elvire (mort après 392), l'auteur des Tractatus publiés
par M*"' nom d'Origène, ne parait pas soupçonner que
Batiffol sous le
la pécheresse ait reparu dans l'évangile sous le nom de Marie de Bé-
thanie. Il traite de Rahab, la prosiituée de Jéricho, qu'il compare à
celle de l'évangile. Rahab est devenue vierge. Quelle bonne occasion
de dire que la pécheresse est l'Église des gentils Or, au lieu de la !

(1) AssEMAM, Blbliolh. Orient., II, 6'i.

(2) De Pudicifia, II, 8.

(3) P. L., l.\, 748.


518 REVUE BIBLIQUE.

faire passer de ronction des pieds à celle de la tète, Grégoire la fait

approcher de la bouche du Seisrneur, sans sortir du thème de Luc (1 ).

Saint Ambroise. dans son Commentaire sur saint Luc, est le premier
des latins qui aborde la question directement, et il le fait presque
dans les mêmes termes qu'Origène.
Faut-il supposer que les évangélistes ne sont pas d"accord? Suppo-
sition à laquelle on ne peut s'arrêter. Est-on donc obligé de renoncer
à l'unité ou bien suffit-il de recourir à l'allégorie? On se le demandait
; :

Hoc loco plevique patividentur scrupulum,€t serere quaestiones, îitnmi-


nam videantur Evangelistae duo discordasse de fkle; an vero aliquam
in dicl.orum diversitate divershatem signare voilasse mysterii? (2).
Ces deux évangélistes sont Matthieu et Luc. Ambroise semble
essayer d'abord de l'allégorie, puisque la femme de Matthieu est une
pécheresse, quoiqu'il ne l'ait pas nommée pécheresse parce que (d'après
Luc) la pécheresse ne pouvait répandre le parfum que sur les pieds
A cet endroit, la divergence parait décidément trop forte. Potesi. ergo
non eadem ne sibi contrarium evangelistae dixisse videantur. Sa
esse,

solution, on le voit, est proposée avec modestie, ce n'est peut-être pas


la même femme! car les évangélistes ne sont certainement pas en op-
position. Mais en même temps Ambroise songe à une solution, qui se
trouvait comme les autres dans Origène, mais qu'on pouvait mettre
davantage en relief : Potest etiam quaestio meriti et temporis diversi-
tate dissolvi, ut adhuc illa peccatrix sit, Jani istaperfectior. En sé[)a-
rant les deux onctions, celle de Luc et celle de Matthieu, on peut
conserver l'unité de la personne, car peut-être est-ce la même qui
aura fait des progrès dans la vertu (3).

C'était la solution de l'avenir, mais elle ne devait point encore pré-


valoir, et Ambroise lui-même laisse l'option: Altéra est illavelpersona
vel profectu, quae propinqua nohis est... ou deux femmes, ou une
péchei'esse devenue une sainte.
On a allégué saint Jérôme pour et contre lunité la vérité est ;

qu'il oscille entre les trois voies ouvertes par saint Ambroise. Depuis la
discussion si serrée d'Origène, l'unité d'onction ne sera plus de mise
que lorsqu'on traitera le sujet de loin, et non sans préoccupations allé-

(1) Tractatvs Origenis, p. 132 sub hac itaqxie figura et in evongelio mulier mère-
:

trix, vt iom dixi (p. 129), lacrimis suis pedes Doniini Invit... ul dum perles Domini
osculatur, proficeret ad oris accessuin, et, uum pi-aemissis vatibus crédit, eliam viva
voce domini fruerelur, etc.
(2) P. L., XV, 1671.

(3) On le voit, la seule difficulté qui arrête Ambroise. c'est la difficulté mystique des pieds
et ne la tèle. Il n'a donc eu aucune réjiugnance à unir Luc et Jean. 11 suit Origène, en
insistant sur la iliflerence de deux personnes exigée par le temps.
JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? ol9

goriques. C'est ce qu'on est fort étonné de rencontrer dans Jérôme, à


une date aussi tardive que iOC (1), dans le prologue d'Osée Haec est :

millier meretrix et aduliera, quae in evangelio pedes domini lacrijmis


lavil, crine detersit, et conjessionis suae honoravit unguento (Luc),m-
digiiantibusque discipulis (Matthieu), et maxime proditore {ied^n) quod ,

non fuissei. venditmn et pretium illiiis in alimenta paiiperum distri-


bulum, Dominus respondit : « Quid molesti estis mulieri ? » (2) (Mat-
thieu), etc.
C'est la confusion des onctions dans le styJe d'Origène la péche- :

resse est la femme adultère d'Osée, elle-même figure allégoiique.


Mais quand il explique les textes, Jérôme distingue la pécheresse et
la sainte, d'après les deux sortes d'onctions. Voici d'abord un texte
des homélies sur saint Marc publiées récemment par dom Germain
Morin {^) :

Millier ista, quae frégit alabastrum, ipswn unguenlum fudit super


et

caput non est ipsa, deqiia in alio evangelio diciiiir, quod pedes domini
laverit. llla, quasi meretrix et peccatrix, adhiic pedes tenet : isla,

quasi sancta, caput tenet. llla, quasi meretrix, lacrimis suis pedes rigat
Salvatoris et crinibus tergit : videlur quidem pedes lavare lacrimis
Salvatori, sedmagis lavât peccata sua.
En disant que la pécheresse tient (( encore » les pieds, Jérôme sug-
gère-t-il qu'elle sera plus tard admise à oindre la tète? Peut-être,
car il dit à ses auditeurs : Avant le baptême, lavez les pieds, après
vous pai viendrez à la tête... Même insinuation assez vague dans le

commentairede saint Matthieu. C'est d'abord une affirmation assez for-


melle Nemo putet eanulem esse quae super cajiiit effuditunguen-
(4) :

tum, quae super pedes. llla enim et lacrimis lavât, et crine tergit,
et

et manifeste meretrix appellatur, de hac autem nihil taie scriptum. est.

Ce sont donc deux personnes. Mais aussitôt Nec enim poterat statim :

capite domini meretrix digna fieri... La courtisane pouvait donc par-


venir à la tête, mais combien de temps lui fallait il pour en être jugée
digne?
Jérôfne ne le dit pas, et lui-même parait bien tenir pour la distinction
de deux femmes, sans rejeter l'opinion contraire qu'il connaît (5) Hic :

jam quaeritur incorpore, qui fjedibus Christi dignus sit, qui capite:
qui ociilus eius sit, qui manus. Quod et duae mulieres in Evangelio,

. (!) GRiiTZMVCHER, HI. 102.


(2) p. L., X\V, 817.
(3) Anecdota Maredsolana, III, ii, p. 367.
(4; P. A., XXVI, 191, écrit en 398.
(5) Adv. Jovin., II, 29; P. L.. XXIII, 326, écrit en 392.
320 REVUE BIBLIQUE.

poenitens et sancta, significant: quarum altéra pedes, altéra caput


tenet. Tametsi nonnulli existimant unam esse, et qiiae primiim coepit
a pedibus, eam gradalim ad verticem pervertisse
S. Jérôme est donc, oa peu s'en faut, au même point que S. Am-
broise ou même qu'Origène. Par ailleurs toute son évolution est allée
de l'exégèse allégorique à l'exégèse critique. On ne peut donc regarder
l'allusiondu prologue d'Osée comme le fruit d'une réflexion arrêtée.
Mais s'il ne s'est pas refusé à traiter à l'occasion les onctions comme

une scène unique, on ne s'étonnera pas que saint Paulin de Noie (mort
en 431) en ait fait autant. On s'étonnerait qu'il eût procédé ainsi sans
aucune préoccupation allégorique, mais de fait ses longs développe-
ments ne sont qu'un thème symbolique, dont le fond est emprunté
à tous 1<'S évangélistes on y voit figurer la pécheresse comme ligure
;

principale, mais elle faitaussi l'onction de la tète, Judas estprésent,et


la maison se remplit de l'odeur du parfum. Quoi d'étonnant ?ima^e do
l'Église vonue de la gentil ité, cette femme devait opérer tout ce qui
regarde le mystère du salut, le chrême, la pénitence, l'eucharistie (1).
Ces spéculations n'ont rien de commun ni avec une tradition histori-
que, ni avec l'exégèse des textes; elles prouvent seulement que l'unité
d'onction conservait droit de cité dans la théologie chrétienne, du
moins quand il s'agissait d'édification et d'allégorie.
C'est aussi dans ses Conférences spirituelles que Cassien (mort
vers 435) regarde Marie de Béthanie comme la convertie ... et Maria :

spiritali tantummodo intenta docirinae lesu pedibus inhaereret un-


guenlo, praefertur tamen a domino (2).
Il est difficile de dire si Cassien suivait l'influence de saint Am-

broise ou celle d'Origène, mais il faut noter la manière toute siujple


dont la pécheresse est nommée Marie. Il y avait donc comme une
poussée générale dans ce sens. Et cela est très naturel. Hilaire, Am-
broise, Jérôme, distinguaient la femme qui oignit les pieds de celle
qui oignit la tête; mais Ambroise et Jérôme s'étaient déjà demandé
si ce n'était pas la même personne. Et ne s'était-on pas aperçu que
Marie de Béthanie avait oint les pieds (Jean)? Pourquoi alurs ne pas
nommer la pécheresse Marie? Saint Augustin dégagea très nettement
cette conclusion.
L'évêque dllippone avait une occasion d'examiner les choses de

(1) Episl. XXIII, ad Sever. P. L., XLI, 277-280 : et quia vocaodae de genlibus Ecclesiae
iraaginem praeferebat, omnia in semetipsa rayslerii saliilaris insignia gessil (col. 277)... ut
autem etiam in lyjjo congrueret ecclesia capiti suo. bene formam ijeccalrlcis acceperat

(278).
(2) Conlnt. I, vm, éd. de Vienne.
JÉSUS A-T-IL ETE OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? b21

très près dans son livre sur l'accord des évangélistes. La divergence
de date entre Jean d'une part et Matthieu et Marc de l'autre pst tran-

chée en faveur de Jean; l'intention des deux synoptiques était de re-


venir en arrière; la cène de Béthanie a donc eu lieu six jours avant
la Pàque. Quant à Luc, il n'eu a pas. parlé. Donc une seule onction à
Béthanie i^Mt. Simon le pharisien
Me. Jo.i, et une autre oncti(jn chez
qui porte le même nom
que Simon le lépreux, mais qui nest pas la
même personne, et dans un lieu autre que Béthanie (Luc). Tout
étant différent, on s'attendrait à distinguer aussi deux myrophores.
Mais déjà en Occident la situation n'était plus une table rase. Aussi
Augustin incline vers l'unité : nihil itaqiie aliud inlellegendiun ar-
bitror nisi non quidern aliam fuisse tune muUerem, quae peccatrix
accessit ad pedes lesu... sed eandeni Mariam bis hoc fecisse.
Avec une extrême perspicacité il découvre l'argument scripturaire,
plus ou moins solide, mais enfin le seul qu'on puisse alléguer en fa-
veur de l'unité, le texte où saint Jean semble renvoyer le lecteur à
une onction antécédente (Jo. xi, 2) hoc dicens loliannes adtestatur
:

Lîicae, qui hoc in domo Pharisaei cuiusdam Simonis factum esse


narravit —
iani itaque hoc Maria fecerat, quod autcm in Be- —
thania rursus fecit, aiiud est, quod ad Lucae narrationem non perti-
net, sed pariter narratur a tribus, lohanne scilicet, Mattheo et
Marco (1).
Voilà ce qu'écrivait Augustin vers l'an iOO. Mais il ne lui échappa
pas que la raison tirée de Jean n'est pas décisive, car il pouvait faire
allusion aussi bien à l'onction déjà connue des chrétiens parle récit de
Matthieu et de Marc (2) qu'à celle de Luc. ou plutôt il indiquait d'a-
vance l'onction qu'il allait raconter 3 . Jean ne dit pas en effet que
Marie mouilla les pieds de ses larmes, les essuya de ses cheveux et les
oignit iLuc . mais qu'elle oignit les pieds et les essuya de ses cheveux,
ce qui est exactement ce qu'on trouve plus loin dans son texte (xii, 3).
Dans ses traités sur saint Jean, écrits vers il6, Augustin est donc beau-
coup moins ferme sur l'identité de la pécheresse et de Marie, qu'il
semble même laisser eu suspens ecce ipsa soror Lazari [si tamen
:

ipsa est quae pedes Domini unxitunguento, et tersit capiliis suis quos
lavarat lacrimis) melius susciiata est quam frater eius : de magna
malae consuetudinis mole est liberaïa. ErcU enim jamosa peccatrix :
et de illa die t uni est : « Dimitluntur ei peceata multa, quoniam dilexit

(1) De cous, ev., IL 78, éd. de Vienne [Weihrich).


(2) S\.4ernede' M. lielser et de M. Zahn.

(3) Théodore de Mopsuesle, etc.


b22 REVUE BIBLIQUE.

multiim (1). » Dans un sermon, même réserve, sinon plus accentuée :

viia vero iniqua aberat ah illa domo, nec cmn Mart/ia erat, nec cum
Maria; et si aliquando fuit, Domino intrante fugit (2).
De consensu evangelistarum ne s'imposa pas
Aussi la solution du
à saint Pierre Chrysologue (mort avant iôl).Un de ses sermons est
intitulé De conversione Magdalenae (3); mais les éditeurs ont soin
:

de nous dire que d'autres éditions portent De eaqiiae unxit domi- :

num unguento, ce qui est évidemment le titre le plus ancien, car le


nom de Mag-deleine nest pas prononcé dans
le sermon. Il s'attache

très purement au compromission ni confusion; il


texte de Luc, sans
n'y a qu'une allusion aune autre onction mullerem siiper capiit Do- :

mini fiidisse oleiim alio evangelista referenie, cognovimus; non ergo


quod facit haec millier mollis et carnalis obsequii. Saint Pierre Chryso-
logue excuse donc — on dirait contre Clément d'Alexandrie — ce que !

lit cette femme, celle dont il a parlé, par l'exemple de ce que fera
plus tard une (autre) femme qui répandit son parl'um sur la tt^te du
Sauveur. C'est toujours la distinction, chère aux Latins, entre l'onction
des pieds et celle de la tète (Hilaire, Jérôme), mais qui n'est pas ici

réduite par l'unité de la femme.


Néanmoins Ambroise avait admis que l'unité était possible, et Au-
gustin avait penché de ce côté dans un passage très en vue et dans
une discussion très soignée. C'en était assez pour entraîner l'opinion.
Saint Grégoii e le Grand i) regarde Marie de Béthanie comme la
convertie de Luc et l'identifie même avec Marie de Magdala. Désor-
mais cette position sera celle de tout le monde en Occident, (|uoique
saint Thomas ait constaté la liberté de l'exégèse en présence du dis-
sentiment des Pères : de hac aiilem Maria diversitas qiiaedam est inter
sanctos (5).

Les Syriens.

Comme les Alexandrins, les Latins étaient partis de l'unité d'onction,


ou, si l'on néglige le texte de Teitullien, de la dualité factice des
femmes issue de rallégorisrae d'Origène. Je la nomme factice, car
elle devait nécessairement se résoudre à l'unité. Si l'on distinguait

deux femmes d'après les onctions des pieds et de la tête, on n'avait

(1) p. L., XXXV. 1748.


(2) p. L., XXXVIII. p. 618.
(3) P. L., LU, 460.
(4) Homil. in evang., lib. II. 25. n •
10. etc.

(5) Commentaire sur Jo. 11. 2.


JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? 523

qu'une myrophore pour Luc et pour Jean : c'était identifier la péche-


resse et Marie de Béthanie. Ce pas frcinchi, il n'y avait plus quù re-
connaître l'identité dos cènes de Béthanie, et, si^ l'on persistait à
mettre à part celle de Luc, du moins la pécheresse repentie ou Marie

de Béthanie de Jean devenait tout naturellement la femme de .Marc


etde Matthieu. La conclusion de saint Augustin était donc le terme
normal du point de départ fourni par Origène.
Tout autre est le processus des Syriens, parce qu'ils ont traité di-
rectement les textes évangéliques sans aucune notion antécédente
dunité.
Tandis que Iharnionie d'Ammonius fondait très probablement les
quatre récits en un seul, celle de Tatien témoigne d'un état d'esprit
tout différent.
Sans attribuer trop d'importance à la race, on peut dire que sur
ce domaine, comme sur celui de l'Incarnation, les Syriens ont incliné
vers la distinction des personnes.
Le Diatessaron de Tatien est d'ailleurs le document le plus ancien
qu'on puisse produire sur la question, puisqu'il ne peut être posté-
rieur à 175. A vrai dire, aujourd'hui encore nous ne le possédons que
dans le texte arabe publié par le Cardinal Ciasca; ce texte, comme
]a. Pescàittd, mais si
texte, a été revisé d'après éloigné qu'il soit de
celui de Tatien,ne peut être récusé quant à la disposition de
il

l'Harmonie. A tout le moins est-il certain, comme on le verra, sur le


point qui nous occupe.
Or le diatessaron arahe, s'il harmonise d'une façon très adroite les
récits de Matthieu, de Marc et de Jean, laisse complètement à part
l'onction de Luc. Il y a plus. Il place l'entretien de Jésus avec les
deux sœurs, Marthe et Marie Le. x, 38-1-2, au chapitre xiii du Diates-
saron ,avant l'onction par la pécheresse (ch. xiv et xv Il est diffi- .

cile de dire pourquoi l'ordre de Luc a été rompu de telle sorte, mais
il résulte avec évidence de cette trans[)Osition que Marie de Béthanie
n'est pas la pécheresse. Comment celle qui avait choisi la meilleure
part, qui ne lui serait point ôtée, serait-elle tombée après dans un
désordre tel qu'elle figurât comme une pécheresse anonyme mal
notée de toute une ville ?

Or tel étnit bien l'ordre du Diatessaron syriaque, puisque c'est


dans cet ordre que saint Éphrem a commenté les faits dans son expo-
sition que l'on ne possède plus qu'en arménien 1). Et c'est aussi de
cette manière cpi'il les comprend. A propos de Marthe et de Marie, il

1) Evanrjelii concordnntis exposido, facta a sancto EpHr.vEMO. doctore syrv. Trad.


de l'arménien par Alchek, revue par Moesingee.
524 REVUE BIBLIQUE.

distingue LMarie de la pécheresse, quoiqu'il revienne involontRirement


à l'ordre de Luc : Venit Maria et sedit ad pedes Jesii, i. e. tanquam
in solida terra ad pedes ejiis sedit, qui et mulieri peccatrici veniam
dederat peccatorumii). Quand il arrive à la scène de la pécheresse,
il fait à peine allusion à ronction, car il a compris que c'est avant tout
une scène de pardon. Beaucoup plus loin, avant la passion, le com-
mentaire t'ait allusion à l'onction de Bétlianie, surtout d'après Jean,
mais en empruntant des aux deux synoptiques, Matthieu et
traits

Marc Qiium enim e sepulcro eum (Lazarum) vocasset, et cum eo


:

mensae accumberet, ipse sepultas est per sj/mholum olei, quod Maria
in caput e/us (Mt. Me. effudit (2). On est chez Simon le lépreux, qui
)

paraît avoir été guéri dans cette circonstance Pro sua hospitalitatf :

mercedem accepit piirificationem (3 et qui n'est donc pas Simon le ,

pharisien. L'avarice de Judas (Jo.) est dûment réprouvée.


Il est demeuré une trace de concordance dans la version syria-
cette
que du Sinaï(Jo. xii, 3i [\) Marie répand son parfum sur la tête de
:

Jésus, avant d'oindre ses pieds. Ce trait aide à comprendre pourquoi


tant d'auteurs distinguent seulement l'onction des pieds i^Lc.) et celle de

la tête (Mt. Me ), sans s'arrêter au texte de Jean qui ne parle à Bétha-


nie que des pieds du Sauveur. Cette particularité dispar lissait dans
la concordance, si facile à établir, entre Jean et Matthieu avec Marc il ;

n'était même pas nécessaire que la concordance lût exprimée. La


dernière onction était celle de la tète Jean n'avait fait que com-
;

pléter en parlant des pieds.


Donc, quant à la dualité des onctions, Tatien avait indiqué dès le
11^ siècle la solution à laquelle s'arrêtera ensuite saint Augustin, et que

suivent encore tous les auteurs catholiques avec bon nombre de cri-
tiques indépendants. Mais il avait exclu d'avance rhypothè^e de
saint Ambroise, d'une pécheresse devenne Marie de Béthanie. en situant
les relationsde Jésus avec les deux sœurs avant l'épisode de la péche-
resse. Et liphrem, commentateur, l'avait suivi.
Cependant Faillon s'appuie surtout sur le grand docteur syrien du
IV'' siècle, qui n'aurait admis qu'une onction et par conséquent qu'une
seule femme, confondue par surcroit avec Marie-Magdeleine. il cite

(1) MoES., p. 98.


(2) MoES., p. 203.
(3| MoES., p. 205.
(4) Le ms. syriaque du Sinai a pour Jo. w, 2 « C'est celle Marie qui lava les pieds [de
:

Jésus], son Irère était ce Lazare qui élait malade », d'après le texte reclilié de Mrs Lewis
(1910). Le mol « lava » (ni'l'wN) semblerait mi.ux convenir à la scène de Luc. Cciiendantce
n'est jias le mot em[>loyé à cet endroit (Le. vu, 38 n"2À'). H semble donc ([ue la version
est simplement trop libre, comme au v. Il
JÉSIS AT IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAU PLUSIEURS FEMMES? 52-;

lin long sermon syriaque sur ce sujet 1). Je ne puis contrôler ce


dire. JeTaccepte volontiers. Voilà encore un cas où Tunité se trouve
dans une œuvre oratoire. Très souvent nous devons ranger les ora-
teurs ou les allégoristes dans un autre camp que les exégètes. Ici

c'est saint Éphrem qui se combat lui-même. Qu'il n'ait parlé dans un
sermon que d'une onction, et qu'il ait confondu Marie de Béthanie et
la pécheresse, on peut l'admettre d'autant plus aisément que, à
propos de la purification de Marie, il a confondu la très Sainte Mère de
Dieu avec Marie Magdeleine : C'est à Marie, sa Mère, nommée Marie
Magd^-leine, quaufait apparu le Sauveur ressuscité (2j ! Or cette
bizarrerie nuit à son autorité.
Quoi qu'il en soit du fait personnel de S. Éphrem, la tradition exé-

gétique ancienne qui se rattache à la Syrie n"a jamais hésité à distin-


guer deux onctions, et, comme
ne connaissait aucune tradition elle
d'unité, elle ne s'est jamais avisée de maintenir au moins l'unité
dans la personne de la myrophore.
Faillon a cité pour l'unité Théodore de Mopsueste (7 vers i^O)
d'après une chaîne qui nomme un Théodore avec Apollinaire. Nous
avons que ce Théodore est probablement l'évêque arien d'Héraclée
dit

en Thrace. Quant à Théodore de Mopsueste, nous pouvons aujour-


d'hui savoir quelque chose de ses idées par son commentaire sur
S. Jean dont la traduction syriaque a été publiée par M. Chabot (3 .

Cet ouvrage n'ayant pas été traduit, je cite en note (i) un passage
assez long et diffus d'où il ressort cependant clairement que Théodore
voyait dans Jean xi, 2 non pas une allusion à la pécheresse de Luc,
mais une anticipation de ce que Jean allait raconter. C'était marquer

(1) CoL 87 et coL 1^6, citant S. Ephrem sijriace. t. III, P- 408, que je n'ai pas sous la
main.
(21 MOES., p. 28; cf. p. 269.
(3) Commenlarius Theodori mopsuesteni in evangelium I). Johannis, versio syriaca...
Paris, 1897.

(4) P. 247 : « et après cela il nous apprend que cette Marie est celle qui oignit d'un parfum
les pieds de Jésus et les essuya de sa chevelure, montrant clairement qn'il veut indiquer
sominairemeut le mérite des femmes (Marthe et Marie}; c'est pour cela qu'il a raconté cet
acte de Marie une preuve de son amour immense dont [elle] est remplie envers
qui est
Noire-Seigneur. Si donc elle l'oignit avec un parfum précieux et essuya ses pieds avec sa

chevelure, c'est qu'elle a choisi de se soumettre tout entière à ce qui était agréable (?, à
N.-S. Or cette action fut accomplie plus tard, après ce qui est relatif à Lazaie, et c'est ce
que nous apprend l'évangèliste par ce qu'il nous dit après. Car l'évangéliste é-rivit après
l'événement, et il devait attester le fait dans l'ordre où il s'était produit, et encore plus
devait-il éclairer l'histoire et faire connaître qu'elle est la femme dont il est écrit ici;
il commence donc à dire que c'est cette femme qui a agi ainsi, et que c'était cellMà même
qui était citée en ce moment dans la parente de Lazare. Car si cette adjonction n'avait pas
eu lieu, il eût été possible de se tromper sur les appellations des noms au sujet des femmes,
comme il arrive souvent parmi les hommes ».
S26 REVUE BIBLIQUE.

clairement qu'il ne confondait pas, comme Aug"ustin, Marie et la péche-


resse. Lorsqu'il en est au chapitre xii'' de Jean, il le concilie avec
Matthieu et Marc; Jean a voulu compléter et a ajouté l'onction des
pieds (1). donc dans la tradition de Tatien.
Théodore est

On peut regretter que saint Jean Chrysostome ne s'en soit pas tenu à
cette unité des onctions de Béthanie. Ce qu'il avait surtout à cœur,
c'était de ne pas imputer à la vertueuse Marie de Béthanie les fautes

de la pécheresse. Et avec un sens très avisé, il a reconnu qu'il était


plus aisé d'identifier celle-ci avec la femme de Matthieu et de Luc,
dont rien ne garantit la vertu et dont l'anonymat lui a paru suspect.
Aussi préférait-il, en dépit du symbolisme origénien, faire une seule
femme d'après Luc, Marc et Matthieu, que d'exposer Marie à être con-
fondue avec la pécheresse. C'est le système du commentaire de saint
Matthieu, en un passage reproduitdans la chaîne de Victor d'Antioche :

« Dans les trois (Mt., Me, Le), elle me paraît être la même, mais dans

Jean, il une autre femme admirable, la sœur


n'en est plus ainsi ; c'est

de Lazfire Doù » (2). que Matthieu et Marc) lui aussi a


sa conviction
parlé d'une prostituée, et, s'il est décidément impossible d'identifier
une cène à Béthanie avec le repas de Luc chez Simonie pharisien, on
en sera quitte pour distinguer trois femmes. C'est ce que lait Chryso-
stome, dans le commentaire sur saint Jean « Tout d'abord il faut savoir :

que celle-ci Marie de Béthanie) n'est pas la prostituée qui figure dans
!

Matthieu, ni celle de Luc ; c'est une autre personne. Celles-là étaient


des prostituées quelconques, et remplies de maux, tandis que celle-ci
était une personne respectable et vertueuse (3) ».
La distinction entre la pécheresse et Marie de Béthanie est donc
toujours une loi pour l'exégèse d'Antioche, transportée à Constanti-
nople; elle le sera pour tous ceux qui relèveront du grand exégète
orateur toutes les combinaisons seront tentées, sauf celle qui con-
:

fondrait ces deux personnes.


Désormais l'e.xégèse oscille entre deux et plusieurs femmes. Ceux
qui arrangent les choses largement mettent ensemble .Matthieu, Marc
et Jean.Ceux qui prétendent opérer avec plus de précision distinguent
Luc, Jean, Matthieu avec .Marc quelques-uns même Matthieu et Marc. ;

Nous ne savons pas ce qu'en pensait Titus de Bosra (mort vers 371 .

(1) P. 266.

(2) Homil. 80 inMatlh. P. G., LVII-LVIII, 723 : à).),à itapà [làv xoïç rpiaî, [lIol irt; sTvaC [lo:

ÔOKSÏ xal r, aOty), uapà ôk 'Itûâvvyi, oOxëxi, à).),' ÉTspa Tt; ba.\)[La.af!), f( foù Aa^àpou àoû.tfr,...

(3) HoDi. in loli. 62, P. G., LIX, 341 (cette liomélie a éle attribuée au pseuiio-Basile de
Séleucie, et Paillon la cite sous son nom) : TrpwTov piv ou« èxeïvo àvaY/.aïov piaôsiv, on oCy
aûtri èff-rlv rj TïopvYi r] Èv tm MaxOai'w, o'jSïr, Èv Ttô Aouxâ" à).Xr) yàp aûiv]. 'Ex.sTva'. (xàv yàp îTÔpva'.

cri 'ï'VEç y]a(xy xai 7to),),wv yélJ.O'jffai xaxwv auxY) oà xat GE[i.^/i] y.al ffjto-joata.
JÉSUS A-T-IL ETE OLNT PLUSIEURS FOIS Eï PAR PLUSIEURS FEMMES? r.2T

D'après les études attentives de M. Jos. Sickeiiberger il), la chaîne sur


Luc qui se rattache à lui ne contient aucun fragment authentique à
propos de la pécheresse. Il est même malaisé de savoir ce que tenait le
pseudo-Titus du vi" siècle/, puisqu'il a été exploité selon deux recen-
sions différentes. D'après Tune il y a deux femmes (2), celle de Luc
et celle de Béthanie d'après la seconde, il y en a quatre (3). Je donne
;

en note ces textes dont le premier est publié pour la première fois par
M. Sickenberger. Ce doit bien être cette recension qui correspond au
texte du pseudo-Titus, et peut-être même à la pensée du viai Titus de
Dosra. L'auteur définitif de la chaîne fem- x" siècle) s'en tient à trois
mes, et il beaucoup de précision,
faut reconnaître qu'il raisonne avec
dans l'hypothèseoù chaque détail du textesacré doit correspondre à un
fait historique distinct «J'estime, dit-il. qu'il y a trois femmes, et de
:

la qualité des personnes, et du mode de l'action, et de la différence du


temps (il. » C'est d'abord Marie, louée et pieuse, dont Jean a annoncé
l'onction par anticipation, quoique le verbe soit au passé Jo. xi, 2 ,

comme Marc avait dit de Judas au moment de son élection qui le :

trahit » (Me. m. 19 .
— 11 est inutile d'insister sur le détail. Dans ce genre
d'exégèse, on ne pouvait faire onctions mieux qu'Origène. Une fois les
distinguées, l'idée ne vient à personne d'en attribuer deux ou trois à
la même femme. Ou plutôt cette solution simpliste n'est pas envisagée,
parce que personne ne veut se risquera confondre celle qui rencontre
Jésus dans une petite ville de Galilée, d'après le contexte de Luc, avec
Marie de Béthanie, près de Jérusalem, la pécheresse avec la sainte, etc.

Hésychius de Jérusalem (mort en 609 distingue le sermon de Matthieu


sur la montagne du sermon de Luc en plaine. A plus forte raison
compte-t-il trois onctions et trois femmes '5 .

Théophylacte vers lOTT hésite entre deux et trois femmes, et se


décide enfin pour trois, mais Marie de Béthanie est toujours à part.
Toute la question est de savoir s'il faut distinguer la cène de Jean de
celle de Marc et de Matthieu 6 .

(1) Titus von Boslra, Studien zu dessen Lukasbomilien. von Joseph Sickenberger.
Texte und l'ntersuchungen, N. F. VI, 1, l9ol.
'2) Page 64, d'après un ins. du xni-xiv' siècle oiv. l'y-', oà ocjty; r, r.n^T. to;: i),>o'.; £Ùavv£-
:

/.frcaî;, àX).' i-içT. l'.z. Èxaivr, (aîv y*? "P'J? a'J"';> ~'''} r.rthz: -oOto i~'j:r,r;vi . a-jTr, oà r.z-S: -.b. 'xî'Ta
—o'j toO £ÙaYY=X'0'J '; "''-«' 'îpô toCtom.
(3) Cramf.r, II, p. 60 : oùx Icm 5è aû-r, oOtî r, zapà tm MaTOatw o'jtî t| rapà tw Màpy.w
o-j-îr, T:api -£ 'Iwivvr; }i.v7;[iovc'joa£vr.. à).).' â-éoa ti;. M. Sickenberger ajoute ici avec
rai-
son la variante de Cramer p. 423, ligne 27 à 29.
(4j Cramer, II, 60 : TOct; cTvai -zn; yjvaty-Oî ).oy-;^oaai- -/.ai it. tï;; twv TrpoTwîTwv TTo-.ÔTrTo-
y.al È^avToù toù rpÔTîO-j tï;; TTpatïcw;. xai âx Tfjç oiasopà; toO /.atpoû.

(5) P. G., XCIli, I39T.


(6j Sur Mt., P. C, CXXIIl, 43G s.: sur Me. col. G45:surLc.,. coL 793; surJo.. P. ç.
CXXIV, coL 88. comme Chrysostonie.
528 REVUE BIBLIQUE.

Euthymius (vers 1116) est plus franchement pour les trois onctions et
les trois femmes (1). C'est le triomphe de Texégèse du détail dans
l'église byzantine.
Je n'ai point voulu séparer Chrysostome de ses disciples. Mais pen-
dant que Texég-èse demeurait fidèle à ses principes, André, moine de
Jérusalem, né à Damas et devenu archevêque en Crète (vers 850, ou
vers 650?), mêlait toutes les onctions dans une suite d'allégories (2).
La cène de Lazare est le théâtre de la pénitence de la pécheresse, ce
qui n'empêche pas Judas d'intervenir (3 Comme l'orateur avait parlé .

auparavant ['*) delà vie vertueuse de Marthe et de Marie, on ne sait


comment il eut débrouillé cette confusion, l'Évangile à la main.

Et cependant, chez les Syriens parlant le syriaque, l'unité de la


myrophore tendait à prévaloir, même dans l'exégèse.
Tout comme saint Grégoire à Home, Isho'dad de Merv (vers 850 ap.
J.-C.) attribuait les onctions à une seule femme, et cette femme était

à la fois Marie de Béthanie et Marie de Magdala! Voici comment il


s'exprime sur Mt. xxvi, 6, d'après la publication toute récente et la
traduction de Mrs Gibson (5) Dans l'affaire de cette femme, on
: <(

prétend que les évangélistes se contredisent; d'autant plus que Luc


dit qu'elle était pécheresse et que c'était dans la maison de Simon

le Pharisien, et dans la cité de Naïm: mais Matthieu dit que ce fut à

Béthanie, et dans la maison de Simon le Lépreux, sans la nommer


ni dire qui elle était, tandis que Jean dit nettement que c'était Marie.
Quelques-uns disent qu'il y en eut deux, à cause du changement des
lieux; d'autres disent que ce fut la même, et qu'elle oignit deux fois
Notre-Seigneur, et que c'était la sœur de Lazare, elle qui fut aussi
nommée la Magdeleine, et que la première fois qu'elle oignit ce fut
dans la maison de Simon le Pharisien, et que quand la passion fut
proche, elle l'oignit de nouveau pour le mystère de ses funérailles.
Mais Jean mentionne l'onction de ses pieds, parce que cela avait été
omis par Matthieu, car c'était une coutume générale d'oindre les
pieds à cause du travail et de la fatigue. D'autres disent que Simon
le Pharisien était Simon le Lépreux, le père de Lazare et de Marthe
et de Marie... « Plus loin, Isho'dad dit simplement « la Magde-
leine ».
A propos de Jean xii, 2 ss., il se contente d'accorder Jean avec

(1) p. <:., CXXIX, 646.


(2) P. G.,XCV11, col. 984 ss.

(3) L. l, col. 1009-1012.

(4) L. /., col. 969.

(5) Horae semiHcae, n° V, The Commenlaries of IslioMad of Merv, bishop of Hadatha...

Cambridge, 1911.
JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSH-LTiS FoIS ET PAU PLUSIEURS FEMMES? 520

Matthieu et Marc. Comme l'évêque nestorien aime à citer saint Kphrem,


c'estvraisemblablement de ses homélies qu'il s'est inspiré pour ad-
raettie Funité;mais il y adhère si simplement que c'était sans doute
l'opinion commune dans son entouraee.

Asie Mineure.

Saint Irénée. pour rehausser la valeur de l'évangile de saint Luc, énu-


mère les points qui lui sont particuliers. Ce ne sont point toujours des
histoires entières, mais entîn ce sont des traits qui n'appartiennent
qu'à lui. A la façon dont il parle de l'épisode de la pécheresse, on
ne peut juger avec certitude s'il le tenait pour complètement dis-
tinct Et quoniam ouquomodo) apiid Phai'isaeum recumbente eo,
:

peccatrix mulier osculahatur pedes eius, unguento ungebat, et quae-


cumque propAer eam dixit ad Simonem domimis de duobus debito-
ribus.
A défaut d Irénée, on a essayé de citer quelques-uns des grands
docteurs de l'Asie Mineure, saint Basile et son ami saint Amphiloque.
Mais les ouvrages allégués ne sont point authentiques. Dans le traité
de la Virginité véritable, du pseudo-Basile, qui probablement de est
la fin du ive s., on lit : du Seigneur, ne les
« Marie, baisant les pieds
baisait pas comme ceux d'un homme, mais comme ceux du Sei-
gneur (i; )>, allusion ass-^z équivoque à la pécheresse de Luc qui
serait nommée Marie; mais Marie de Béthanie, ou Marie de Magdala?
Le contexte indique plutôt une personne très vertueuse ; est-on sûr
que ce n'est pas un développement de Luc x, 39?
Je ne saurais dire de quand date Ihomélie du pseudo-Amphi-
loque sur la femme pécheresse (2j. Après avoir tenu son thème pen-
dant quelque temps, l'orateur se transporte à Béthanie en comparant
Simon le Pharisien à Judas. Puis c'est Judas qui reproche sa lar-
gesse à la pénitente, et qui s'attriste du salut de cette ànie. La con-
fusion des lieux scènes est complète, mais on se demande ce qu'il
faut attribuer à l'entraînement de l'éloquence.

MORALITÉ EXÉGÉTIQUE.

La première conclusion (ju'on peut de ce rapide examen des


tirer
écrivains ecclésiastiques, c'est qu'il n'existe pas sur l'unité oulaplura-

(1) p. G., XXX, 776 ; l~t: y.r: r, MapiaToO; -ôoa; toO K'jsio'j st/ov^a, o\)y^ ti; àvôpo; -ôoa;
à),).' (Ij; Kupîo-J iz'O.ii.

(2) P. G., XXXIX, surtout col. si et ss.

REVUE BIliLIOLE 1912. — >'. S., T. IX. 34


530 REVUE BIBLIQUE.

lité ou des myropliores ce qu'on pourrait nommer une tradition


de la
exégétique des Pères. Us ne sont point d'accord, et presque aucun
n'est très affîrmatif.
Ce qui est plus étrange, c'est qu'aucun d'eux, aucun, n'ait fait appel
à un souvenir traditionnel, qu'on aurait conservé ici ou là de la ou des

myrophores. Gomme la question a été discutée d'assez bonne heure,


si l'on n'a pas eu recours à cet argument décisif, c'est que personne

ne savait rien. Il n'existe donc pas plus chez les Pères de tradition
historique que de tradition exégétique.
Partout on a raisonné ou simplement parlé d'après l'Évangile.
A l'origine, du moins à Alexandrie (aussi Tertullien), on a été très
frappé de la ressemblance des onctions; leur unité admise, celle de
la myrophore ne se posait même pas. Et aujourd'hui comme alors,
le seul moyen efficace de n'admettre qu'une femme, c'est de n'ad-
mettre qu'une onction. Paillon l'avait très bien compris; il s'en
tenait là, sans se douter qu'il préludait au renouveau, en des mains
fort peu croyantes, d'un système abandonné par l'exégèse chrétienne.
En effet, aussitôt que les termes des problèmes furent nettement
posés, on comprit qu'une exégèse littérale soucieuse de sauvegarder
la véracité des évangélistes devait admettre deux onctions, sinon trois.
Origène l'a montré clairement, et depuis, aucun écrivain, faisant
œuvre d'exégète, sauf peut-être Apollinaire et Théodore (d'Héraclée),
n'a soutenu théoriquement l'unité des onctions. Mais ce système com-
mode est demeuré celui des allégoristes (Origène, Paulin de Noie) et
des prédicateurs (Éphrem, pseudo-Amphiloque, André de Crète) ou
des auteurs spirituels (Cassien, pseudo-Basile).
Origène lui-même ne se tint pas rigoureusement à l'unité et des-
sina, ou laissa entrevoir deux femmes ou deux figures de femmes,
l'une qui oint les pieds du Sauveur, l'autre qui est digne de répandre
le parfum sur sa tète.
détourner l'attention delà vraie solution critique. Au lieu de
C'était
distinguer le cas de la pécheresse (Le.) du cas de Béthanie (Mt. Me.
Jo.), Origène identifiait ainsi la pécheresse et Marie de Béthanie, sauf
à la distinguer plus ou moins nettement de la femme innomée de
Matihieu de Marc.
et

Après divers tâtonnements des Latins, Augustin replaça le débat sur


ses vraies bases, inclinant assez vers une des positions d'Origène pour
que tout parût désormais en ordre deux onctions et une seule femme.
:

Cette solution eût été irréprochable, s'il ne se fût agi que des trois

grands textes y en avait d'autres qui don-


qu'il fallait concilier. Mais il

naient à Marie de Béthanie une physionomie qui n'avait rien d'une


JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLLSIELRS FOIS ET PAR PLUSIEURS FEMMES? 531

pécheresse, même repentante, sans parler de la difficulté de la sup-


poser connue pour ses désordres dans une ville qui paraissait appar-
tenir à la Galilée, peu avant le moment où elle devait recevoir le
Sauveur dans sa résidence près de Jérusalem.
Aussi finalement Augustin hésita.
Les Grecs et les Syriens de l'école dAntioche n'avaient point à re-
noncer à une première opinion exégétique sur l'unité des onctions.
Le grand harmoniste de l'Orient, Tatien, avait très heureusement uni
Matthieu. Marc et Jean sur la cène de Béthanie, mais il avait disting-ué
la scène de la pécheresse, et coupé court à toute identification de la
pécheresse avec Marie en plaçant les relations du Sauveur avec Marie
avant la conversion de la pécheresse. Aussi, dans tout l'Orient, aucun
exégète ne confondit la pécheresse et Marie de Béthanie. On disputait
seulement sur l'identité de la cène de Matthieu ;et Marc^ avec celle de
Jean.
Ainsi les exégètes, ou ne concluent pas,
ou concluent que la péche-
resse n'est pas Marie de Béthanie, tandisque tous les prédicateurs,
même ceux qui pensaient autrement comme exégètes 'Iphrem.
Jérôme comme allég-oriste), n'ont pas cessé de supposer l'unité.
Et c'est eux qui l'ont emporté.
Dès le temps de saint Grégoire le Grand en Occident, et au fond de
l'Orient nestorien, au moins dès le ix^ siècle, on parait d'accord sur
l'unité de la myrophore, en lui donnant ce nom de Magdeleine auquel
personne n'avait d'abord songé.
C'est là probablement un de ces cas où l'instinct populaire a
triomphé des précisions des savants. Cette femme aimante, portant à
la main le vase de parfum, le répandant si généreusement sur les

pieds et sur la tête de Jésus, c'était toujours la même, la même


image, le même geste, le même amour. Et si cet amour est
d'abord un amour repentant, qui arrose les pieds de Jésus de ses
larmes, et qui les essuie de ses cheveux, pourquoi cet amour, con-
sommé parla pénitence, n"aurait-il pas été jugé digne d'oindre la
tète de Jésus? Bien n'égale la beauté du pardon, si ce n'est la bonté
mélancolique qui défend encore une fois la pauvre femme à la veille
de la Passion. Elle est toujours la même, et II est toujours le même
pour elle. Déchirez cette unité, dites-nous que vous ne savez ce qu'est
devenue la pécheresse, qu'on ne la trouve plus suivant la trace des
pieds di%'ins quelle a baignés de ses larmes, et que vous ne savez pas
non plus dans quel souvenir reconnaissant Marie de Béthanie a puisé
l'inspiration de lavant-dernière cène. L'exégète approuvera cette
réserve. Mais le peuple chrétien pouvait-il renoncer à l'admirable
332 REVUE BIBLIQUE.

figure de la pardonnée devenue l'amie, le plus aimable objet de la


miséricorde, l'image de la Gentilité ramenée à Dieu, la brebis lassée
que le bon Pasteur a prise sur ses épaules? Et les prédicateurs
auraient-ils eu le courage de discuter froidement les textes au lieu de
ramasser dans une seule personne toutes les raisons de croire à la
bonté de Dieu et de revenir à Lui?
Ce sont là des raisons de sentiment, si l'on veut, mais d'un senti-
ment qui devait tout emporter. Elles expliquent suffisamment com-
ment l'unité a toujours été l'opinion la plus populaire, la seule
populaire. Comment cette unité a-t-elle englobé Marie Magdeleine ?
ou encore Marie Magdeleine n'a-t-elle pas favorisé l'unité en servant
de trait d'union entre la pécheresse et Marie de Béthanie? C'est une
autre question.
Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagrange.
MÉLANGES
I

TEXTE COMPLET DE L INSCRIPTION D'ABILA RELATIVE


A LYSANIAS

Au mois d'avril dernier, pendant que je séjournais à Ihùpital


français de Damas en compagnie du Père Jaussen, M. Gayraud, prê-
tre de la Mission, professeur au collège des Pères Lazaristes, voulut
bien nous communiquer la copie d'une inscription grecque que
venait de lui envoyer M. Albisseti, directeur de l'usine électrique
destinée à éclairer !a ville de Damas et à faire marcher les tramways.
La mention de plusieurs augustes à la première ligne de cette ins-
cription et celle d'un affranchi du tétrarque Lysanias à la quatrième
me remirent de suite en mémoire un texte assez célèbre (1), trouvé,
comme celui-ci, dans les environs de Souq ouâdy Baradà, qui repré-
sente, on le sait, le site d'Abila, la capitale de l'ancienne tétrarchie
d'Abilène. On pouvait se demander si ce n'était pas là une copie
de l'inscription déjà connue qui avait disparu et qu'on aurait décou-
verte une seconde fois. De retour à Jérusalem, je m'empressai de
confronter les textes et j'eus la satisfaction de constater qu'on avait
affaire réellement à deux inscriptions disant toutes les deux la
même chose, mais dont la seconde venait heureusement compléter
et corriger la lecture de la première, la seule connue jusqu'à ce jour.
M. Albisseti, informé de l'importance de sa copie, eu a gracieu-
sement autorisé la publication. De son côté M. Gayraud, secondé
par plusieurs de ses confrères, a eu l'amabilité d'aller contrôler
sur place la lecture de cette copie et de fournir avec un croquis de
localisation (fig. 1) plusieurs détails fort intéressants (2). Que tous ceux

(1) Corp. Inscr. Graec, n" 4521 {Addenda, p. 1174).



Renan, Mémoires de l'Acad.
des Inscr. et Bel.-Let., XXVI, 2, p. 67. L'édition de Dittenberger (Oneniis graed inscrip.
tiones... n° 606 n'est point en progrès.

(2)Depuis l'excursion des Pères Lazaristes à Ahil. M. Albisseti ayant fait dresser à ses
fraisun échafaudage en avant de l'inscription, a réussi à en faire un calque dont il a bien
voulu nous communiquer la photographie par l'entremise de M. Gayraud. Nous repro-
duisons ce document de préférence à la copie (fig. 2). — A leur tour, les PP. Abel et
Dhorme, traversant Damas au mois de juillet dernier, sont allés contrôler ce teste et le
P. Abel a pris les deux croquis reproduits ici (tig. 3 et 4).
534 REVUE BIBLIQUE.

qui nous ainsi grandement obligés veuillent bien agréer ici nos
plus sincères remerciements.
Ce nouveau texte fut découvert il y a environ un an par un cer-

Pîœj _
[CAJTHWCKAiroTtrMnANTÔCA T T OÔ]
IjcCYNTM^AIOCA BIM E or E M
^TCANlOYTrrPAPXoTAnAEeEfOE;
HN0ls.«NmCACEnOH(:ENMIT0N
lAONOI »t0fc>OMHCENNAlTA C+'T TEI
inACACE+TTETCENEKTOJNHLii
NA N A\ CO/A ATCJUNf: PONOûffi-f
!

>AITHnATPiyfïCE6riACXAPiN
Fi?r. 1. Nouvelle inscription grecque d'.4bila.

tain Youseph Sa'ïd, propriétaire du terrain sur lequel se dresse


le sanctuaire de Néby Abil, en face de Souj ouâdy Baradâ, à vingt-
neuf kilomètres par la voie ferrée, au nord-ouest de Damas (fîg. 2).

S'imaginant que cette inscription allait lui révéler Texistence d'un


trésor, il cacha sa trouvaille pendant quelque temps. Enfin il se
décida à en parler à M. Albisseti.
espérant recueillir de cet ingé-
j^ nieur quelque indication pré-
ua*YjW^ I
cieuse au suiet du fameux trésor.
M. Albisseti se hâta de relever le
monument et en transmit la copie
aux Pères Lazaristes de Damas qui
nous la communiquèrent dans
Fig. 2. — Emplacement de l'ancienne Abila les circonstances indiquées plus
haut.
L'inscription est gravée sur la paroi de la montagne, au bord
Souq ouàdy Baradà.
d'un ancien sentier, semble-t-il. qui, partant de
aurait conduit directement au temple dont on voit « les ruines en

haut, sur le bord du rocher et dominant la vallée, en face de


trois villages Kafra Aouàmid un peu à droite, Bourhélyà au
:

milieu et S«>uq ouâdy Baradà un peu à gauche » (fîg. 2, 3, 4). « On


peut, continue M. Gayraud, aboutir assez facilement, quoique en
descendant rapidement le long du rocher, jusqu'à l'inscription. Après
se trouvent des éboulis le long du rocher, mais à la rigueur on
MÉLANGES. 535

pourrait descendre encore jusqu'au fond <lc la vallée. L'n peu plus
Jjas, témoignase du
d'après le

propriétaire du tombeau d'Abel,


il y a, à trois endroits différents, w^^v
V »

des traces d'escaliers taillés dans


le roc. » Vraisemblablement ce
sont là les vestiges du chemin
que Nymphaios se vante d'avoir '\

par lequel on devait


y "'
\ \

créé et '

monter d'Abila au sanctuaire de


Kronos bâti sur la hauteur. No-
tre inscription avait été gravée
le long de la voie et une autre,
déjà Connue, avait été encastrée
dans les murs du temple (1 afin %
que les pieux pèlerins ne pussent |~%^
ignorer ni oublier le nom du bien-
faiteur.
Celle que nous publions fig. 1 '

comprend neuf lignes toutes


^'S- 3.- Abila. Le s.te de la nouvelle inscription.
complètes et bien conservées.
Elle mesure en^'iron 1 m. de lons" sur 0".60 de haut. Les lettres ont

Fig. 4. - Abila. Localisation des restes du sanctuaire de Kronos.

1) L'inscription publiée dans le Corpus et découverte par Pococke « faisait partie d'un
petit temple dorique situé sur la hauteur et aujourd'hui à peu près détruit i
Renax,
Mémoires de l'Âcad. des Inscr. et B.-L., t. XXVL partie 2% p. 66i.
536 REVUE BIBLIQUE.

une hauteur moyenne de 0™,10; elles sont très nettes et jie présen-
tent aucune difficulté de lecture. Le gTaveur devait être un ouvrier
syrien possédant très médiocrement la langue grecque, sil la con-
naissait tant soit peu. On voit qu'il s'est a{)pliqué à dessiner et àgraver
les signes, mais il en a oublié quelques-uns et dénaturé certains
autres (1 .

Voici la transcription de ce texte ; nous avons mis entre crochets


les lettres suppléées et entre parenthèses celles qu'il faut évidem-
ment corriger.

1. Vzàp T'^ç TÔJv y.'jcttov 2iIî6a7TÔJv

2. G(ji-T,p[(]y.q y.ai Tci cjy.zavTCç (a)j':cov


3. c'ixou, N'j;j.5aîo? A6t[ji.jJLEou(ç)

4. Aj7avtcy '.t-.pxpyo'j à'::[t]'kt\ù]Btpo{q)

6. vabv ol'/.ooz'^.TfGtv v.x'. -àç çuTst-


7. a? Tii^xq ès'JTîUŒîv kv. -rwv. ('.)ot

8. (i)v i:vfaA)(.):J.XTWV. Kcîvw y.'jcûo

9. y.a'. ty; TaTp'.s', £j7£C£'.aç yxpiv.

Pour le salut des seigiieiirs Augustes et de toute leur maison, Nym-


phaios fils d' Abimmeos , affranchi du tétrdrque Lysanias, ayant créé
la voie l'a faite, et a bîtt le temple et planté toutes les plantations
à ses propres frais. Au seigneur Kronos et à la patrie, en témoignage
de piété.

Pour faciliter l'intelligence des remarques qui vont suivre, nous


donnons ici la seconde inscription telle qu'elle a été copiée par
Pococke, d'après la reproduction du Corpus des inscriptions grec-
ques (2).

(1) M. Gayraud ajoute à la description du monument un détail qui mérite d'être signalé.
« On voit, dit-il, au bas et à droite de l'inscription, mais en dehors du cadre, les trois

lettres ONO accompagnées de six flèches ONO: . De plus, en dessous et au milieu,


./
*-
I

Y
v-<

toujours en dehors du cadre de l'inscription, se trouve une pierre en relief en forme de carré
de 15 à 20 centimètres de côté ». — De l'enseinble de ces observations on est assez tenté
de conclure à Texistence de quelque relief détruit, qui aurait représenté [KPjONG[C]
accompagné du foudre symbolique.
(2) Nous restituons à cette copie les sigma carrés, car dans cette inscription comme
dans la nôtre, les sigma avaient certainement la forme carrée ainsi qu'il est facile de s'en
convaincre d'après la confusion faite par le copiste à la i)remière ligne fHE pour THC-
MELANGES. 537

I. YnEPrHETGONKYPIGONCE
2. cgothpiackaitoycymi
3. aytgonoikoynym4)AIOi:ae
4. AYCANlOYTETPAPXOYAnEAE....
5. THNOAONKTICACACTEnOI
6. TON NAONOIKO.(t)AAH
7. (})YTEIAi:nACACE4)Y
8. ...OONIAIGONANAA
9. KPONGOKYPIGOKA
10- EYCEBIAFYXH

Malgré quelques erreurs de copie, il nest guère douteux que ce


texte,que nous appellerons B, reproduisait mot à mot le texte pré-
cédent (A). Néanmoins les deux inscriptions sont sûrement distinc-
tes, puisque B a été copié dans les ruines du temple sur une pierre,
tandis que A est gravé un peu plus bas sur le rocher. La disposi-
tion des lignes n'est pas non plus tout à fait la môme et il y a en
outre quelques petites variantes pour l'orthographe.
L. 1 et 2. —A confirme pleinement les restitutions proposées pour
B et qui du reste paraissaient s'imposer. A noter l'écriture CCOTHPAC
pour CGOTHPIAC et AYTGÛN pour AYTCON-
L. 3. —
« Il y a sûrement sur l'inscription ABIMMEOYE >s m'écrit

M. Gayraud que j'avais prié de vouloir bien vérifier ce mot. La pho-


tographie en t'ait foi elle aussi; mais le dernier signe ici comme à la
tin de la ligne suivante doit être un c et non un E. H va donc falloir
restituer aussi le même nom dans B, où le dernier signe lu E doit
être un B. — Kii\j.\j.io-jq trahit une origine sémitique. La première
partie correspond au mot i2X « père » qui entre comme premier

élément dans beaucoup de noms propres; l'équivalent de la seconde


partie est moins facile à déterminer; on pourrait songer à quelque
chose comme py^z.
L. 4. —
Il n'y aura plus lieu à aucune hésitation pour compléter

le dernier mot de cette ligne dans B, malgré l'orthographe de A qui

porte AnAEGEPOE pour AnEAEYGEPOC.


L. 5. — Vers le milieu de la ligne, les deux copies présentent une
variante assez notable. Après B porte ACTETTOI... fl^e le Cor-
y.Ticaç,

pus a interprété par jugeant fautive la reproduction des


i/.z-J zm-z^/] (1),

quatre dernières lettres. Nous croyons que la faute se trouve au con-


traire dans les trois premières lettres qu'il faut retrancher purement
et simplement en s'appuyant sur A. aC sera une dittographie due à

(1; Dittenl)erger : i/.'jiz[i.]Ti[i]o['i pour aciiTitov, « inaccessible ».


538 REVUE BIBLIQUE.

une distraction du ou du graveur, sans doute le même que ce-


copiste
lui qui a tracé l'autre texte, A. La présence du T s'explique moins

facilement, mais la copie est si fautive! et d'autre part nous savons


maintenant que l'artiste était capable de commettre de pareilles bé-
vues! Après avoir Ju le texte complet, personne n'hésitera plus en
effet à interpréter EFFOI par àzc'//;7£v ou âzir^j^v, à supposer que soit I

non pas un mais la première barre d'un H. La forme ï-ôr,Gzy était


très courante dans la y.oi^/r, et figure dans d'autres inscriptions de
Syrie; à la rigueur, il ne serait donc pas nécessaire de supposer qu'il
manque un | dans A. — Venait ensuite, sans doute, la conjonction

h. 6. — Lire dans B, à la fin de la ligne, zly.zlz[j:r,'7v/ x-xl -i:. Le tem-


ple dont il est question ne peut être que celui dont nous avons men-
tionné les ruines ci-dessus. Il serait intéressant d'avoir un plan com-
plet de ce monument; le relevé de Pococke n'inspire qu'une confiance
très limitée.
LL. 7 et 8. — La nouvelle inscription appuie les restitutions déjà
proposées pourB. On remarquera l'orthographe y^sîwv dans A et tct'wv
dans B, ANMCOMATCON dans A est évidemment pour ANAACOMATGJN.
Dans modèle donné au graveur on avait dû trop rapprocher les deux
le

lettres et celui-ci aura lu un M.


AA —
Les plantations faites par Nym-
phaios devaient constituer une sorte de bois sacré dans les abords du
sanctuaire. Encore aujourd'hui, « on trouve çà et là le long' du rocher
des chênes verts qui sont considérés coynme sacrés et auxquels il est
défendu de toucher » (1). Sans prétendre nullement que ces chênes
sont des survivants de ceux que planta Nymphaios ou bien des reje-
tons, comme s'exprime d'ordinaire la tradition ou la légende en
pareille circonstance, il est intéressant de noter à cet endroit l'exis-

tence d'arbres sacrés.


L. 9. — On complétera maintenant sans difficulté cette ligne dans
B : x[ai Tfi
— Ainsi que
T.(x-.^'',zi]. l'avait déjà supposé Renan, il faut
renoncer définitivement à voir figurer dans B, 1. 10, une femme du
nom d'Eusébie; la formule 8C7£j(s){aç /ip'.v est obligée (2).
Rappelons brièvement l'extrême intérêt historique de ces inscrip-

(1) D'après une leUre de M. Gayraud. — On sait qu'en Palestine il y a très fréquem-
ment à côté des ouélys un ou plusieurs arbres sacrés auxquels il est défendu de toucher.
(2) On ne pourra donc plus sappuyer sur ce texte pour établir qu'il a existé dès le pre-

mier siècle de notre ère des noms propres sur le type Eùcreêîa. Eùaiêto;, ©ôoc/éêtoi;, etc..
quoi qu'il en soit de l'existence de ces sortes de noms (cf. Clermont-Ganneau dans le Flo-
rilegiuin dédié à M. le Marquis de Vogl'ié, p. 117 s.;.
MELANGES. 539

tions, tel qu'il avait été dégagé par Renan (1) et par Schûrer (2, d'a-
près des restitutions qui sont désormais garanties.
S. Luc (m. 1) faisait coïncider la 15'' année de Tibère (28/29 ap.
J. -G.) avec le gouvernement de Lysanias, tétrarque d'Abilène. Gomme

l'histoire ne connaissait qu'un Lysanias, roi des Ituréens, mis à mort


par Antoine en l'an 3ï av. J.-G., on accusait l'évangéliste d'avoir
commis une erreur de date de plus de soixante ans.
Mais était-ce de ce personnage (pie Luc entendait parler? La chose
était d'autant moins proliable que l'ancien Lysanias gouvernait un
grand royaume dont la tétrarchie d'Abilène n'était qu'une |)artie. Et
précisément cette partie portait le nom de Lysanias lorsqu'elle fut
donnée par Caligula à Agrippa P' en l'an 37 ap. J.-C., donation con-
firmée par Glande en l'an il (Josèphe, A?it. XIX, v, 1 "ASf/.av -r,-* :

\j7yMo'j y.ai i-;7a èv to) A'.Sâvw ipz:. Cf. Be/l. IL XI, 5 et A7it. XX, vu,
1 . On devait donc supposer que depuis Lysanias, roi des Ituréens, il
avait existé un Lysanias tétrarque de la seule Abilène. et que c'est
à ce dernier que Luc avait fait allusion.
Or les inscriptions d'Abila ont prouvé son existence. Quoiqu'elles ne
soient pas datées avec piécision, l'indication twv Kjcuov ZEcaiTwv est
précieuse. D'apt-ès Dittenberger (3) cette expression, qu'on sait main-
tenant relativement fréquente en Syrie, peut désigner l'empereur
avec toute sa famille. Ge ne peut cependant être le sens dans une
inscription qui ajoutait, comme nous le savons maintenant de la

notre : -/.a-, tij rj;j.-avTcr ajTwv cî/.oj. Il faut donc revenir aux termes
du problème tels qu'ils se posaient pour Renan et Schûrer, c'est-à-
dire chercher un temps où
y deux Augustes. Agrippine et
il avait
Xéron, à plus forte raison ceux qui sont venus plus tard, sont exclus,
puisque dès Tan 37 la tétrarcliie avait cessé d'exister. Il s'agit donc
de Livie et de Tibère. Livie, déclarée Augusta après la mort d'Au-
guste, mourut en l'an 29. Notre inscription date donc de ce temps. De
plus, Xymphaios en se disant affranchi du tétrarque Lysanias ne pou-
vait rappeler le souvenir roi des Luréens. Tout porte à
du vieux
croire qu'il parlait du souverain régnant ou d'un prince mort depuis
peu. Le Lysanias de saint Luc était ce prince.
Le terrain de l'histoire religieuse est beaucoup moins solide et l'on
n'ose s'y aventurer.
Le mot Kjz'.z; n'est ajouté à Kzzk; que dans notre cas. D'ordinaire

(1) Mémoire sur la di/nastie des Lysanias d Abilène. dans les Mémoires de l'Acad.
des Inscr. et B.-L., t. XXVI. partie 2% p. 49 ss.
'4' éd.).
(2) Geschichfe des Jiid. Yolhes, I, p. 718 s.

(3j Orientis greeci..., n- 606, note 1.


540 REVUE BIBLIQUE.

il est nom propre divia et prend du moins l'article


placé avant le
(sauf au vocatif). Ne serait-ce pas ici une sorte de traduction d'un
substantif sémitique accolé au nom du dieu? Kronos chez les Phéni-
ciens représentait Elos ou El d'après Philon de Byblos (1). Mais El-
Baal n'est pas connu. Si on reg-arde Kronos comme un équivalent du
mystérieux mLK, on peut songer au cananéen Malakba'al ou à l'ara-
méen Malakbel. Ce dernier avait un caractère solaire, mais on a
reconnu aussi à maintes reprises ce môme caractère à El-Kronos (2).
Quoi qu'il en soit, il s'agit bien ici d'une divinité sémitique.
Dans leur récente excursion au Néby Abil, Messieurs les Professeurs
du collège des R. P. Lazaristes de Damas ont découvert un fragment
d'une troisième inscription poitant encore le nom de Nymphaios.
Voici ce fragment d'après la copie du P. Abel :

l!KAl[rA/\
NTMtAlo[
Le second nom on ne peut guère douter qu'il ne
est très clair et

s'agisse du même personnage que dans les inscriptions précédentes.


Néanmoins d'après la première ligne il semble bien que la teneur de
ce nouveau texte différait de celle des deux autres. Il n'en serait que
plus intéressant de retrouver le reste del'insciption. Nous faisons des
vœux pour qu'aux prochaines vacances nos intrépides professeurs
puissent le découvrir. La pierre sur laquelle sont gravés ces deux
fragments de lignes et qu'on venait de déterrer au mois de mai fai-

sait partie de l'enceinte encore visible de l'ancien temple.


Jérusalem, juin 1912.
Fr. M. Raph. Savignac.

(1) Fragm. II, 14; cf. Lacrange, Études sur les religions sémitiques, T éd., p. 422.

(21 R. DussADD, Notes de mythologie syrienne, ]). l'J, 41, 63, 76.
MÉLANGES. 541

II

TROIS NOTES EXÉGÉTIQUES

SUR MATH. XIX, 28 ET LIT. XXII. 30.

Jésus annonce à ses apùtres qu'ils seront sur des trônes


et j useront

lesdouze tribus d'Israël.


Dans le Testament d' Abraham, larchistratèse Michel révèle au
patriarche ce que sera le jour du jugement. Abel sera le juge univer-
sel, il jugera « toute créature », les justes et les pécheurs. Il y aura
un dernii-r jugement réservé au « Seigneur Dieu ». Entre les deux,
un jugement encore, où « tout souffle et toute créature sera jugé par
les douze tribus d'Israël », Testam. Abraham. 13 (éd. J.vmes, p. 92/ :

Ka'. èv TY] sî'JTspa rrasijcoz v.z'.Hr^'Z'i-.y.'. j-b twv îojss/.x sjawv tij l-car,/,

•/.a: ràca zvcy; v.yX r.x^x v.-'.z'.z.

Peut-être va-t-il une indication les douze tribus jug-eront l'uni-


ici :

vers. Si donc douze apôtres jugent les douze tribus, le sens du


les

logion évangélique serait, —


non pas que la mission des apôtres est
limitée aux douze tribus d'Israël, mais qu'elle leur donne une —
grandeur supérieure même à celle des douze tribus.

SUR Ll'C. XVI, If).

Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane, II, 20 ;trad. Chassa^g,


P."0):
'( Les Indiens d'une condition élevée ont des vêtements de bysse;
le bysse vient d'un arbre dont la partie inférieure ressemble à celle
du peuplier, et les feuilles à celles du saule. Apollonius \"it avec
plaisir le bysse, parce que sa couleur rousse était celle de la robe
qu'il portait. Le bysse est porté en Egypte, où l'on s'en sert pour
plusieurs costumes sacrés. )^

Voici le grec (éd. Kavser, 1870, t. I, p. 61 : ... -/.y}. (iJ^-w lï -zj:;

çavESwrâTS'jç aÙTWv saT'.v i--i'Kf)x'.. -çi zï 3'j~":v ç JEjOai zivzzz-j ça-lv 6;j.;(c'j

\j.v» Tf, AEjy.y; ty;v '^xz<:/, r.y.zy-'/.r,z<.ZJ zï ty; '-ix zx r.i-.xi.y. Kxi r,-hf,'^y\ ty;

^•J770j ^r,7'./ z ÀTTOAAwv'.cr, ^~^'?Jf^ iz'.v.z zy.Zi -zizw^'.. Kaî ï: Aîyj-t:v zï èr

'Ivcwv âç tzz'/Skx twv hzCy/ ?-'•"? ''1


h'-^'':?-

Ce texte commentera assez bien Luc. xvi. 19 : l^izizJT/.—z -zzz-jzyy

•/.ai 2'j77;v.
342 REVUE BIBLIQUE.
SUR 1 COR. IX, 29.

Philostrate. Vie d'Apollonius de Tyane, V, 43 i^trad. Chassang,


p. 228) :

Apollonius va quitter Alexandrie pour visiter les Gymnosophistes


en Ethiopie. Il assemble ses disciples et leur adresse ces paroles :

« Mes amis, j'ai à vous faire une allocution comme on en fait aux

lutteurs qui doivent concourir dans les jeux olympiques. Quand le


temps des jeux est arrivé, les Eléens font faire dans TÉlide même des
exercices à trente athlètes; et comme à l'époque des jeux pythiqucs,
les Delphiens, et à l'époque des jeux isthuiiques, les Cormihiens, ils

rassemblent les athlètes et leur disent : Entrez dam le stade et faites


en sorte d'être vainqueurs, de même les Eléens... » En grec : \-t ïz

-l G-xzizv -/.a-, 7r;v£70£ à'vcpsç zhi v.y.Sv 'éd. Kayser, p. 203).


On pourra rapprocher cette indication sur les jeux du stade de la
phrase de saint Paul (I Cor. ix, 2i) : « Dans les courses du stade,
tous courent, mais un seul remporte le prix : courez de telle sorte
que vous le remportiez •', oJtwç -ziyi-t r/x y.x-xAxzr,-t.

Pierre Batiffol.

III

ISAiE, \XXIV, 1.-)

"i27'2P'i 7*£p ni-p n'ZXL'

-Si'2 n-ia-i T}'j]:2'

Il serait inutile d'énumérer les différentes t^ ductions et correc-


tions qui ont été proposées pour ce vers. L'interprétation qu'on va
lire semble se recommander par sa simplicité :

Là (1) le serpent fait son nid et pond.

•ûS*2 semble bien pouvoir signifier pondre des nnifs; comparez


Is. Lxvi, 7. Les critiques sont assez d'accord sur ce point.
Le stique suivant est plus difficile, nyp^ et m:- sont des verbes,
mais les Septante ont traduit : /.y). ïziùztv y; 7-^ -.x -x'.zlx tj-t^z \j.z-x

xzzx'Kiixz. Donc ils n'ont lu le i, ni devant ,-;•;;:;. ni devant mi^ et


ensuite ils onttraiité n^;- comme un substantif ou un infinitif avec suf-
fixe. Si l'on part de ces données on pourrait faire de --';-7 le sujet de
1. Là, c'est-à-dire dans les ruines d'Edom.
MÉLANGES. B43

~'jp- et prendre 'j~:z clans son sens primitif de fendre, donc fendre
l'œuf, t'clore; comparez lïi verbe rapproché par Gesenius-Buhl, qui
peut signifier écaler, ouvrir une noir. Alors on pourrait traduire
presque sans modification du texte :

« Et sa couvée (cf. -a'-sia) cclôt dans son ombre (c.-à-d. ruines). »

La seule correction qu'il y ait à faire est l'omission du *;; encore


est-elle fondée sur (i. Les autres traducteurs lisent presque tous
n^ïs au lieu de ,-->ï2, c'est une lecture qui n'a aucun appui dans les

anciennes versions. A noter encore qu'il est très difficile dans cette
supposition de bien traduire les trois verbes -.i-^z "p2 et i:- (1).

Culemborg Hollande,.
W. VAX KOEVERDEX.
1. Condamia p. e. traduit : « nichera et pondra, couvera et fera éclore{ses œufs) ».

Duhm : « niche et pond, couve et entasse ses aufs ».


CHRONIQUE

LES RÉCENTES FOUILLES DOPHEL (1).

5. — B. Séries céramiques (suite).

Planche XVI : Céramique peinte de la tombe 3. — 1, Sorte de marmite à parois


fort épaisses, fond plat et oreillettes horizontales vers le haut de la panse très rebon-
die. Décoration rouge presque lie de vin sur un engobe jaune très clair à nuances
roses, —2, amphorette à panse rebondie, fond très légèremeraent concave; pâte
homoEîène spongieuse. Décor jaune indien deux nuances sur un engobe blanc mat.
à

2 a correspond à pi. XIV, 2 et hasard dans cette photographie. -


se trouve par

3, bol en argile claire, finement pétrie. Lavage blanc crème à l'intérieur et à l'exté-
rieur, devenu un peu rosé à la cuisson. Deux trous au bord de la lèvre pour les
cordelettes de suspension. Décor brun rouge foncé. Conservation suffisante pour
qu'on ait l'idée complète de l'ornementation intérieure et de la forme. — 4-6, ampho-
rettes à panse globulaire, col bien détaché et double oreillette à perforation horizon-
tale. Elles se distinguent par de très minimes nuances de galbe et les inévitables
irrégularités du modelageà la main. Plus saillantes sont les nuances d'ornementa-
tion, malgré la similitude de procédés et l'analogie des motifs. 7, gobelet en —
argile rouge soumis à un lavage pourpre avant le polissage qui en a fait une pièce
élégante dans sa simplicité. —
8 et 9 se distinguent seulement par quelques particu-
larités de galbe et par nuance de l'engobe sur lequel on a pratiqué le polissage
la :

l'un est brun-rouge, l'autre marron. A la même série s'ajoutent deux vases gemellés
{w de la pi. XV, 3) réunis par une bélière; argile jaune, pâte fine. Décor rouge
foncé sur une couverte rose. Cassure dans une panse; un goulot manque.
Enfin les fragments d'une écuel-
le, fig. 17, sont peut-être le plus
important détail de cet admirable
lot, parce qu'ils fournissent la meil-
leure base d'attribution chronolo-
gique. Par sa forme, par la na-
ture de son enduit intérieur lustré
et imperméable, par sa coloration
extérieure orange très foncé pas-
sant au rouge, avec bande en noir
mat sur la lèvre, cette pièce tranche sur toutes les séries connues jusqu'à ce jour en

(1) Fin. Voir RB., 1911, p. oGG ss.; 191-2, p. 8(i ss.; p. 42i ss. La céramique peinte de la pi. XVI
ci-dessous, et quelques autres pièces ont été reproduites en chromotypographie dans Jérusalem
sous terre, pi. IX-XI.
CHROMQLE. 54b

Palestine et se classe à une série égyptienne aussi riche que biea déterminée. Il est
sorti de beaucoup de en Egypte, quand
ont atteint des livpogées ou des
fouilles elles
kjôJikeiimoeddings archaïques, à el-Amrah. Toukh, Khattarah, etc., de ces vases
rouges à bords noirs. Les types les plus excellerament caractérisés, les mieu.x datés
dans lenseaible, les mieu.x connus aussi grâce aux magnifiques aquarelles chromo
M. J. de Morgan
lithographiées de ;i, sont ceux de Toukh et d'el-Ararah, probable,
ment d'époque néolithique, à tout moins contemporains du tombeau roval de
le

Xegadah. Il importe assez peu pour notre but que la date initiale de la période de
Négadah demeure quelque peu incertaine entre spécialistes d'histoire et d'archéolo-
gie égyptiennes. Que toute cette civilisation soit pré-dynastique ou contemporaine
des premiers pharaons historiques, demeure certain pour tout le monde que le
il

style de poterie en question a disparu à peu près radicalement quand s'inausure, en


Egypte, la culture des dynasties VI et suivantes, par conséquent entre :3(>00 et 2500
avant notre ère. au plus bas mot. Si étroite est la similitude entre le vase d'Ophel et
les vases rouges à bords noirs du type égyptien apparem- dit de >égadah. qu'il est
ment nécessaire d'admettre son importation directe. J'ai même été quelque temps
incliné à supposer la série complète des vases de la tombe 3 importée d'É^vpte, on
eût facilement imaginé par exemple la sépulture spéciale de quelque noble vovageur
égyptien surpris par la mort dans la petite cité jébuséenne ou l'aurait amené le
hasard de ses affaires ou de sa curiosité (2 .

Après meilleur examen l'opinion paraît devoir être modifiée. En effet, s'il s'agis-
sait de la sépulture de quelque égyptien de condition, puisque son mobilier com-
prenait des pièces de vaisselle aussi peu communes, il aurait vraisemblablement dû
comprendre aussi quelques autres objets précieux, bijoux
ou bibelots familiers tels
qu'en renfermait la tombe analogue découverte à Gézer par exemple. D'autre part,
on n'eût sans doute pas associé à la somptueuse céramique du riche égyptien les
très modestes vases de fabrique locale trouvés aussi dans cette tombe. Enfin malgré
les rapprochements très suggestifs que fournit la céramique égyptienne archaïque,
les pièces de Jérusalem gardent assez d'originalité pour que la provenance immé-

diate de la vallée du MI ne s'impose pas d'une façon absolue,


si ce n'est pour

l'écuelle rouge à bord noir, peut-être aussi


amphorettes au polissage mauve pour les

marron et rouge foncé et pour les bols à décor intérieur chevronné. Tout le reste a
des points de contact plus ou moins positifs avec la vieille céramique de la Susiane
et du Moussian. de Troie primitive et des premières périodes historiques en Crète.

D'ailleurs il s'est trouvé quelques débris d'un autre bol rouge à bord noir dans la
caverne funéraire l et on a signalé plus haut une moitié de bol à décor intérieur
dans la galerie I. en des contextes archéologiques tout cananéens.
Cananéenne par conséquent aussi doit donc être en fin de compte la tombe 3, qui
se conçoit dès lors ainsi A une époque où la mode était, en Palestine, aux curieux
:

vases égyptiens du style de >'égadah, quelque notable de Jébus en avait associé à


ses collections sur les étagères de sa hutte. Quand il mourut, les siens l'ensevelirent
à la mode du pays, donnant seulement à sa tombe une place de choix et des soins
un peu plus attentifs; la vaisselle étrangère rejoignit, dans la sépulture, la vaisselle
nationale plus modeste du petit seigneur cananéen : seule et suprême attestation de
cette grandeur évanouie. En ce sens tout devient intelligible de cette singulière et
précieuse tombe : sa situation sous un abri rocheux reculé et bien protégé, sa struc-

1 Recherches sur les orig. de l'Egypte, I, jil. I; cf. ûg. 461-480.


-2 inulile de rappeler que des sépultures de ce genre ont été découvertes presque dans tous
les sites palestiniens déjà fouillés.
REVUE BIBUQLE 1912. — N. S., T. IX. 35
546 REVUE BIBLIQL'E.

ture un peu plus solide et moins mesquine, enfla cette sorte de contraste d'opulence
et de pauvreté, d'exotisme et de civilisation locale. Ce n'est plus une sépulture
égyptienne de hasard, mais la sépulture très cananéenne d'un personnage qui dut
être bien eu vue dans la modeste Jérusalem du III' millénaire avant J.-C, où il
introduisit peut-être par son rang ou par sa fortune, où il seconda du moins par son
goût la mode d' « égyptiser ».

Mais puisque la vaisselle égyptienne alors en faveur sur le marché de Jérusalem


comprenait ces bols familiers en Egypte aux derniers temps prédynastiques et dis-
parus vers le temps de la IV^ dynastie pharaonique, de la VP au plus tard, on ne
saurait évidemment reculer beaucoup plus bas l'époque de leur importation. C'est
donc entre 3000 et 2500 avant notre ère, comme limites extrêmes, qu'il faut situer
chronologiquement la tombe 3, à peu près sûrement aussi la tombe 2 et les sépul-
tures analogues dans la première utilisation de la caverne funéraire 1. L'importance
de ce fait pour l'histoire de Jérusalem ne saurait échapper ù personne et cette décou-
verte superbe rémunère déjà largement l'effort de la mission de 1909-1911.

5. — C. Trouvailles accessoires.

Sous cette rubrique on réunira seulement un très petit choix de


trouvailles originales, dans le but de donner quelque aperçu des
surprises archéologiques de la fouille.
L'attention des spécialistes ne manquera pas de se porter tout d'a-
bord sur les diverses constructions qu'enregistre le plan d'ensemble,
fig. 13. La double ligne de murailles massives coupée par la galerie III,

vers la crête du coteau, appartient évidemment à la fortification pri-


mitive et devrait être l'objet d'une description très soigneuse s'il

n'était dès maintenant certain que le développement de l'exploration


révélera d'autres parties de ces remparts.
Mais de tout ce qui est construction cananéenne, la plus provocante
et la plus énigmatique est sans contredit ce bloc énorme de maçon-
nerie cyclopéenne, 17, au fond de la galerie XIX. On sera frappé par
la relation de ce môle avec les cavernes inférieures et le puits verti-
cal au bout du tunnel d'Ophel et on peut se persuader que M. A.
n'entend pas laisser sur ce point la recherche en suspens.
Plus facilement intelligible sans doute est la porte 6, à l'entrée de
la galerie III, avec ses splendides montants monolithes hauts de 1"',8'2,

épais et larges de 0",50 en moyenne, n'ayant qu'un écartement de


O'^jS^. Ellesemble pratiquée à la base d'une tour qui se projetterait à
l'orient du rempart extérieur. Le dernier état de cet édifice offre les
caractères de la haute époque Israélite, mais semble bien n'être qu'un
remaniement. Il suffit d'observer la relation topographique entre
cette porte et l'angle de l'escalier 8, dans la galerie XIV, pour avoir
l'impression qu'il s'agit d'une poterne aboutissant au passage secret
vers la fontaine.
CHRONIQUE. 547

Je ne saurais au contraire émettre encore aucun avis sur l'élég-ante


construction appareillée et de basse époque israélite — ix^-viii" siè-

cle — découverte et explorée par les galeries IX-XII. Une maison


arabe moderne, que les ingénieurs de la mission avaient mise en
quelque sorte sur pilotis pendant quelques semaines, a du reste
achevé de ruiner les superstructures de cet édifice.
Dans les galeries avoisinantes on a trouvé en quantité considérable
des matériaux de construction en éboulis. la plupart d'excellent tra-
vail. Vers ce même point et non loin du site choisi pour le grand puits

de dégagement à Tintersection des galeries IV et V, les paysans de


Siloé ouvrirent, il y a quelques années, une véritable carrière de
blocs d'appareil prêts à écouler sur les chantiers de constructions
modernes. Dans cet amas se trouvaient de jolies pièces d'architecture
et nous y avions photog-raphié des bases et un chapiteau d'ordre
ionique un peu archaïsant mais de bon profil et d'exécution cor-
recte (1).
Des fragments analog-ues ont encore été mis à jour ainsi que des
coffrets en pierre malaky, un support de colonnette ou de candéla-
bre un pied de table en porphyre, divers frag'ments moulurés en
(?i,

marbres rares, les débris d'une grande jardinière en bronze, trouvés


à peu près dans la même zone. Ils concourent tous à donner la même
impression dépaves dun mobilier particulièrement luxueux.
A titre d'originalité encore une mention est due à certaine marque,
9, en forme de V renversé, profondément incisée dans le roc sur une

petite escarpe naturelle dans la galerie XV. Un groupe de trois mar-


ques toutes semblables fut signalé naguère par MM. Bliss et .Macalis-
ter (2j dans leur exploration de Tell cs-S^/fi/ et j'en ai relevé une
autre près de louély de cheikh Àjnbaj^ au flanc oriental du mont
des Oliviers. L'origine et le rôle de ces incisions demeurent obscurs :

le plus probable est qu'elles durent servir de repères en des tracés de


limites oupour quelque placement d'édifice.
On s'étonnera peut-être qu'à travers cette description de recherches
prolongées dans les plus anciens strates de décombres il n'ait pas
encore été fait mention de silex taillés et d'outils spécifiques des der-

niers âges de la pierre. Et il est vrai que les trouvailles en instruments


de silex demeurent jusqu'à ce jour extrêmement rares; il y en a
cependant quelques fragments, juste assez pour ajouter cet indice aux
autres dans le classement des couches archéologiques. Gomme échan-

(1) RB., 190i, p. 98.

(2) Excavations in Palestine, p. 198, lîg. 74.


>48 REVUE BIBLIQUE.

tillon unique en cette matière, voici l'un des deux fragments de lame
recueillispar M. B. dans la galerie III, sous le rempart. La silhouette
gravée sur une face a tout l'air d'une de ces représentations schéma-
tiques d'antilopes ou de
cerfs si favorites à la po-
pulation primitive de Gé-
zer que M. Macalister pro-
posait naguère d'y voir le
totem de la tribu. Le cou
et la tête ont été emportés
h'ig. 18. — Silex gravé d'Ophel.

par la cassure (fîg. 18).


Sur la seconde lame un signe que je n'ai pas dessiné pourrait n'être
qu'une marque conventionnelle, tout au plus quelque rudimentaire
motif floral.

Çà quelques échantillons de ces figurines animales, chiens,


et là
béliers ou bovidés, [que les potiers cananéens modelaient avec une
naïveté pas toujours dépourvue d'un certain bonheur d'expression.
La plus archa'ique représentation humaine est un magot féminin
mutilé trouvé dans la galerie III, Deux tètes d'exécution bien plus
poussée, toutefois sans aucun caractère artistique, appartiennent à la
série familière des plaquettes dites « reliefs d'Astarté », qui durent
que de véritables idoles dans le cours
faire fonction d'amulettes plutôt
de la période canaéenne jusque très avant dans les temps israélites.
et

D'après quelques caractères de leur technique, surtout par le con-


texte archéologique, ces deux figurines peuvent être contemporaines
d'Abdkhiba et leur physionomie égyptisante n'est pas pour contre-
dire une telle date.
Évoquer le nom du roitelet Abdkhiba, c'est faire miroiter l'image
de tablettes à inscriptions cunéiformes. J'ai hâte de dire que je n'ai
eu connaissance d'aucune trouvaille de cette nature. En matière d'é-
pigraphie de quelque langue que ce soit, tout se réduite des estam-
pilles et à de simples lettres empreintes sur des anses de vases.
Les estampilles rhodiennes sont relativement
nombreuses, à peu près invariablement mu-
tilées ou illisibles. Un seul exemplaire re-
produit avec clarté l'estampille fréquente du
magistrat Archilaidas, avec le nom du mois
Fig. 19.
Agrianios (fig. 19).

Parmi les milliers danses de jarres israé-


lites examinées dans les galeries, au cours des longs mois de fouille,
il s'en est trouvé à peine jusqu à ce jour une demi-douzaine gar-
CHROMOUE. )49

dant quelque vestige des fameuses « estampilles royales » : une seule


était assez conservée pour que la lecture en ait été possible après un
nettoyage délicat et la plus persévérante étude. M. A. ayant eu la très
complaisante amabilité de me confier la pièce, j'ai eu pendant une
huitaine de jours, à l'École, toute facilité d'en reprendre à vingt fois
l'examen par les lumières les plus variées, avec des loupes à fort
grossissement et avec le con-
trôle obligeant de quelques-
uns de mes confrères. L'hum-
ble document ne vaudrait,
certes, point tout ce temps et

ce labeur s'il

ne posait un
curieux petit
problème épi-
graphique
(fig. 20).

La trouvail-
le même, au
voisinage de
la porte 6,
dans l'étage
supérieur de
la galerie III,
avait déjà
l'intérêt de
corroborer de
la façon la
plus oppor-
tune un clas-
sement ar-
chéologique
établi exclu- Fis:. 20. — Anses à estampille israélite.

sivement sur
les données de la poterie. Par fortune aussi un débris de paroi
suffisant pour donner une notion approximative de la grandeur du
vase adhérait cette fois à l'anse. Dès le premier instant les grandes
hastes initiales, visibles tant bien que mal, parurent une énigme :

elles occupaient, par rapport au symbole familier, la place où l'on


eût attendu le mot -^'2^. Bientôt se révélèrent les lettres finales nu?,
remettant en mémoire l'estampille analogue découverte naguère par
boO REVUE BIBLIQUE.

M. Warren à Tangle S.-E. du Temple et interprétée en ce temps-là (1) :

[Le Mé]Lek SaT. On sait que les trouvailles plus récentes en d'autres
sites ont fait modifier cette lecture on a lu tout bonnement un nom
;

de ville riw'Z'Z Memsat, d'ailleurs pas tellement facile à idcmti-


:

fier (2). L'interprétation la plus simple du toponymique Memsat était,

à coup sur, d'y voir la désignation d'une ville biblique très connue,
Moréset, sur les dernières rampes des montagnes de Judée vers le
S.-O., aux confins de la Philistie. La prétendue substitution du. mem
au res dans l'orthographe pouvait relever d'un phénomène d'assi-
milation assez fréquent en hébreu.
Par un hasard malencontreux, beaucoup des exemplaires déjà
publiés de cette estampille ne semblent pas d'une conservation tout à
fait satisfaisante. Sur le vu des dessins toujours si attentifs de M. iMaca-
lister, je m'étais demandé si la lecture MeMsat ne modi- serait pas à
fier réellement en MoRéset (3). Le nouvel exemplaire d'Ophel ne
résout peut-être pas totalement l'énigme; on avouera néanmoins
qu'ilne favorise guère la lecture devenue courante.
Le croquis s'efforce de traduire ces nuances, compliquées encore
par un néfaste écrasement au bord supérieur de l'empreinte. Ce qui
saute aux yeux tout de suite, c'est la divergence accentuée dans le
mouvement général la première lettre est couchée, les dents de sa
:

haste horizontale se raccourcissent et se serrent, tandis que sa lon-


gue hampe s'arrondit avec souplesse par le pied, comme il est très
naturel dans une graphie exercée et cursive i) la seconde au con- ; ;

traire parait rigide et peu sûre d'elle-même, avec des crochets diver-
gents dans la haste supérieure de ce prétendu />/em et un petit ape.r
bien marqué, et fort inexplicable dans l'hypothèse du me?n, au
sommet de la haste verticale. Quant au développement du pied, s'il
eût été prévu pour un 77iem, rien n'était plus simple que de lui
assurer tout l'espace utile en repliant la haste juste au-dessus de
Yuraeus. Il y a du reste une assez nette solution de continuité entre
les deux crochets supérieurs, qui seraient vraisemblablement plus ou
moins parallèles si l'on eût voulu écrire un mem ainsi anguleux et
bien peu semblable au précédent. Enfin on constate, quand on a la
pièce en mains, que le haut de la lettre a été endommagé par l'écra-

(1) Dans VS'arren, Recovery of Jérusalem, p. 474.

(2) Cf. RB., 1900, p. 608.


(31 Cf. surtout Bliss and Macauster. Excavations in Palestine, pi. 5(1. M. Macalister a
bien voulu m'écrire que sur quelques exemplaires de Gézer Mem.sat était très clair.

(4) Comparer la même lettre dans l'inscription du tunnel de Siloé et dans le « calendrier
agricole » de Gézer.
CHRONIQUE. 55 1

sèment partiel qui a supprimé la fermeture du triangle dans l'em-


preinte encore fraîche.
Tout serait simple si l'on pouvait supposer l'empreinte produite
avec un timbre pour chaque lettre; le res serait admis sans la moindre
hésitation et le crochet quelque peu détaché en avant de la boucle
supérieure serait un simple glissement du timbre. En l'état actuel
c'est la lecture MoRéSeT qui garde encore, du point de vue paléo-
graphique, les meilleures chances. Peut-être une re vision très minu-
tieuse des autres exemplaires connus autorisera-t-elle un jour ime
conclusion plus ferme (1).
L'exemplaire dOphel n'aura pas au surplus cet unique intérêt de
faire reviser utilement cette série de pièces et de fournir pour la pre-
mière fois, si je ne me trompe, une base telle quelle d'évaluation
pour forme des vases ainsi estampillés; il s'ajoute
le calibre et la
comme un malgré sa ténuité, à l'exemplaire trouvé non
indice, précis
loin de là, au pied du Temple, pour suggérer que les magasins
royaux où aboutissaient les contributions en nature contenues dans
ces jarres n'étaient probablement pas bien distants sur la petite plate-
forme couronnant le coteau. On n'en est plus du reste à d'aussi
minimes suggestions archéologiques pour situer les palais royaux et
Jérusalem primitive.

II. CONCLUSIONS ARCHÉOLOGIQUES ET HISTORIQUES.

A peine quelques lettres de méchante écriture, pas un objet de


haute valeur artistique, de très rares pièces dignes d'être à l'hon-
neur dans une vitrine de musée ou dans les séries exotiques d'un
amateur voilà qui est bien peu, estimera le lecteur inattentif, pour
:

rémunérer dix à douze mois de fouilles pénibles, dangereuses même


à certains moments et qui supposent les plus lourds sacrifices pécu-
niaires.
Des canaux envasés, des tunnels de roc obstrués de décomlDres, des
chambres souterraines meublées exclusivement d'éclats de pierre ou
de tessons : tout cela enchevêtré l'un dans l'autre, tout cela égale-
ment anonyme et muet, tout cela d'apparence identique, livré comme
un amas nouveau de devinettes à l'imagination des archéologues par
le zèle énergique des fouilleurs; ainsi le lecteur patient mais harassé

(1) 11 n'y a plus à expliquer aujourd hui l'absenci' du mot usuel Il ne se lisait
"i''*2"'.
sans doute déjà pas sur l'estampille découverte par Warren. En tout cas, il faisait aussi
certainement défaut sur l'un au moins des types de Gézer {Q.S., 1908, p. 281).
532 REVUE BIBLIOLE.

de détails atomiques conclura peut-être d'abord un examen où ne


lui a été fourni aucune base de comparaison archéologique, aucun
élément de chronologie, aucun essai d'adaptation historique.
Aussi bien a-t-il paru nécessaire de résumer les données des fouilles
à l'état brut, avec toute l'ingénuité des observations au jour le jour,
alors que rien n'était spontanément intelligible et avant que la
réflexion, les rapprochements, le recours à la documentation litté-
raire aient fait naître en l'esprit quelque théorie d'interprétation.
Cette dernière partie de la tâche est abordée maintenant au profit
exclusif du lecteur sans parti pris, à qui manque le loisir de triturer
lui-même cette matière informe, à qui manquent surtout la vue et le
contact directs avec ces faits nouveaux. De ce contact persévérant
résulte au contraire la conviction raisonnée que les travaux de M. A.
etde ses distingués collaborateurs sont d'un intérêt très considérabl e
pour l'histoire de Jérusalem antique.
Le fait essentiel mis en vedette par les récentes fouilles est le rôle
extrêmement important de la fontaine 'Aïn Ownm ed-Daradj. Depuis
l'époque géologique lointaine où elle commença de sourdre sous la
plus basse rampe rocheuse d'Ophel pour s'écouler, sans utilisation
régulière, par le lit du Cédron, elle n'a pas subi moins de trois, peut-
être quatre transformations artificielles. Quatre canaux ou systèmes
de galeries sont désormais connus autour de cette source et chacun
d'eux parait correspondre très normalement à une situation histori-
que fameuse, à un état des lieux suggéré par quelque allusion bibli-
que, à une période enfin de la très longue évolution de la vie humaine
sur ce coteau. Et si délicate qu'on veuille supposer cette tentative de
classification, ^Ue a néanmoins des élémentsprécis que nul ne pré-
tendrait raisonnablement Pour aller du plus au moins
contester.
connu, rappelons d'abord l'exacte relation des divers systèmes hydrau-
liques à la source, en commençant par le tunnel de Siloé qui four-
nit la meilleure base de discussion grâce à un document épigraphi-
que célèbre. Si l'on veut bien se remettre en mémoire le détail de
son installation, il ne paraîtra guère douteux que ce tunnel ne soit le
dernier en date, puisqu'il impliquait l'annulation totale des canaux
extérieurs I et II et nuisait manifestement à l'utilisation du passage
secret de la colline. Par tous les éléments de son exécution il constitue
un groupe de même période avec les galeries obturées IV, Y, VII et
la partie retouchée de la galerie VI. Mais l'exhaussement nécessité
dans le radier de cette galerie entre la source et l'orifice du tunnel
suggère bien — pour ne rien dire de plus en ce moment — que cette
galerie préexistait.
CHRONIQUE. 533

La relation est d'autre part évidente avec le passage secret d'Opbel.


qui communiquait par cette galerie avec la source. Pour retrouver
l'équivalent le plus saisissant de toutes les particularités d'exécution
de en sa section non retouchée, au N. du tunnel-aque-
cette galerie VI
duc, il d'examiner le tronçon de galerie à ciel ouvert, de large
suffît

canal plutôt pi. I, L , mis à jour à l'orient du bassin actuel de la fon-


taine, sous le palier et la première volée de marches. On pourrait
donc de ce premier chef envisager la proljabilité d'une communica-
tion originelle immédiate entre la caverne naturelle de la source
(pi. I, M) et le grand passage secret dans le coteau, mais mieux vaut

remettre à plus tard de fonder cette communication sur des éléments


plus précis.
Dès c{u'on arrive au bassin même de la source il est aisé de s'aper-
cevoir que la galerie I. canal, passage ou quoi qu'elle soit pour le
({uart d'heure, existait avant le tunnel-aqueduc puisqu'elle s'amorce à
un niveau plus bas que le sien et quelle a dû être barrée avec grand
soin quand on a voulu faire refluer l'eau à la piscine de Siloé. En
même temps on reconnaîtra que cette galerie, ayant supprimé toute
raison d'être au canal ancien L, doit donc être postérieure à l'aména-
gement de ce canal, postérieure par conséquent par probabilité —
momentanée à justifier ultérieurement — au passage secret d'Ophel.
Reste la galerie II. que son niveau trop élevé suppose nécessairement
antérieure aussi au tunnel-aqueduc dont tous ses détails techniques
la distinguent en outre le plus nettement possible. Ces mêmes détails
autoriseraient à la comparer à I; mais
de niveau ne
les différences

permettraient pas leur utilisation absolument simultanée et le bar-


rage / établi entre les deux impliquerait à la rigueur une possibilité
de périodes différentes.
La considération seule des niveaux et du fouctionnement des gale-
riespar rapport à la source conduit aussi à ce premier classement en
ordi'ede dates 1'' jaillissement naturel de la source hors de la petite
:

caverne 3/; 2° passage secret aboutissant à la source par le canal


grossièrement ouvert L\ 3" galeries I et II dont la relation réciproque
n'exclut pas la mais qui modifient l'installation
contemporanéité ,

primitive; W' création du tunnel-aqueduc de Siloé qui transforme à


nouveau la communication ancienne entre le sommet du coteau et la
source, exige l'obturation de la galerie I et annule II.
Ce classement, par la simple situation envisagée normalement et
sans faire appel à des subtilités ou à quelque chimérique mécanisme
hydraulique ancien, est corroboré par l'observation archéologique.
C'est le lieu de mettre en œuvre les constatations accumulées par
534 REVUE BIBLIQUE.

bribes tout à l'heure : variété des procédés de forage, traces de rema-


niements, nuances des débris, indices très positifs de la
caractère et
poterie recueillie à foison en la plupart des galeries. Pour ne rap-
peler explicitement que le résultat général le plus ferme de cette
dernière série d'observations, mentionnons 1° la présence exclusive :

de tessons cananéens et Israélites archaïques dans la galerie L et la


caverne M\ 2° la prépondérance de tessons Israélites et de haute
période judéo-hellénique dans la section H' du bassin et dans la
galerie II, qui ne contenaient au contraire aucun vestige de poterie
judéo-hellénique tardive ou hellénistique; 3° l'homogénéité parfaite
des débris céramiques utilisés dans le béton qui éleva le radier de la
galerie VI au niveau du tunnel de Siloé avec ceux recueillis dans le
remblai de la galerie II. C'est donc derechef exactement le même
ordre de succession 1' source dans la vallée, mise en communica-
:

tion secrète avec le sommet du coteau; 'T création puis abandon des
galeries I et II et de la section H du bassin; 3" ouverture du grand
tunnel, contemporain des galeries III-VII, creusées ou remaniées dans
le même temps. Ce dernier état dans la circulation des eaux dure
encore. Essayons d'en déterminer la date initiale, qui fournira la
limite extrême de l'évolution archéologique étudiée.
Tout le monde a en mémoire les éléments extrinsèques de cette
discussion spéciale : récit biblique attribuant au roi Ézéchias le

percement de ce tunnel durant les travaux de défense qu'il exécute


pour abriter sa capitale contre les envahisseurs assyriens; inscription
en hébreu archaïque célébrant avec une emphase un peu naïve le
grand labeur et le succès de la percée concordance tout à fait lim-
;

pide entre les localisations topographiques impliquées par cette iden-


tification et la topographie générale de la ville ancienne. De tout
cela rien sans doute ne comporte l'inéluctable évidence des données
mathématiques; aussi la controverse n'est-elle pas près de s'éteindre
entre polémistes résolus et beaucoup plus excités par le zèle d'une
thèse à prouver que par le souci de ne laisser échapper aucune
parcelle des humbles et délicates informations que les monuments
seuls peuvent produire. Le tunnel-aqueduc serait l'œuvre d'Ézéchias
avec toute certitude si la fontaine de Gihon. qu'il avait pour but de
capter pour en emmagasiner les eaux « à l'occident de la cité de
David » en les faisant traverser par-dessous la montagne (1), était
avec toute certitude identique à la fontaine de la Vierge et de cette :

identité une catégorie d'argumentateurs ne veut pas entendre parler.

(1) II Chron., 32, 30; cf. II Rois, 20, 20, et Eccli., 48, 17 dans le texte liébreu récem-
ment retrouvé.
CHRONIQUE. o5o

Lioscription? elle ne nomme ni Ézéchias, ni qui que ce soit tle ses


contemporains et les argumentateurs décidés n'ont aucune peine à
faire battre ensemble des épigraphistcs dont linégale compétence
leur échappe, afin de conclure, selon l'exigence de leur cause, que ce
texte est plus vieux ou plus jeune que le temps d'Ezéchias.
Cet aspect du problème nayant été modifié d'aucune sorte par les
récentes fouilles, il serait hors de propos d'en reprendre l'examen
approfondi. Mais en ce qui concerne très spécialement l'inscription,
la découverte de nombreux ostraca par M. le D"" Reisner dans ses
fouilles de Samarie va fournir aux épigraphistcs la plus inespérée et
la plus exacte base de comparaison paléographique pour classer l'é-
criture hébraïque de Siloé à l'époque d'Ezéchias. Quand la Revue
insistait naguère sur les motifs pratiques de maintenir cette date en
dépit de certaines apparences cursives dans le texte gravé sur la
paroi de l'aqueduc il), elle était loin de prévoir la démonstration de
fait que devaient produire les documents conquis ces mois derniers

par le savant et heureux explorateur de la capitale Israélite.


Tels sont au surplus l'accord spontané et l'harmonie complète entre
les documents bibliques et les réalités les plus palpables de la topo-
graphie et de l'archéologie, qu'en dehors d'une théorie topographi-
que générale à sauvegarder malgré tout, nul n'hésiterait à les cons-
tater joyeusement. La Bible veut ancrer avec insistance dans la
mémoire de la postérité qu'Ezéchias, parmi d'autres grandes entre-
une canalisation merveilleuse en plein rocher, sous
prises, a pratiqué
une montagne, pour supprimer une source visible à l'orient et en
dehors de la ville de David et en dériver les eaux à l'occident de cette
ville de David incluse maintenant dans une enceinte plus large; on
découvre un monumental tunnel dans le roc disposé de manière à
capter intégralement l'unique source de Jérusalem — la fontaine de
la Vierge — au pied oriental du coteau d'Ophel pour la déverser à
l'occident du même grands bassins aménagés sur le
coteau dans les

cours de la vallée du Tyropœon. La Bible parle avec un enthousiasme


visible de cette œuvre gigantesque; une inscription dans la même
langue étale sur la paroi du tunnel, avec tel mot technique sembla-
ble (2i, l'expression d'un enthousiasme identique. La Bible mentionne
l'obturation soigneuse et prudente des issues anciennes de l'eau;
voici maintenant autour de la source des galeries et des chambres

(1) RB., 1909. p. 266 s.: 1910, p. 159.


(2) Xïl^, pour désigner 1' « issue » des eaux à la source, est employé à la fois par
II Chron., 32, 30 et par le texte du tunnel, 1. 5.
536 REVUE BIBLIQUE.

murées, remblayées, ensevelies à eTand'peine toutes en même temps,


au point d'en effacer pour plusieurs millénaires jusqu'au souvenir. Et
par là nous rentrons dans le domaine des fouilles et dans la partie

vraiment splendide des résultats obtenus par lénergie habile de M. A.


et de ses collaborateurs.

Car l'attribution du tunnel-aqueduc à Ézéchias donne un sens même


aux plus minimes détails d'aspect si chaotique énumérés plus haut
dans la description des monuments découverts. Si la galerie II très
laborieusement remplie de décombres et comme scellée sous des
quartiers de roche dignes du bras héroïque de Poiyphème ne con-
tient à la base que des tessons du ix'^-viir' siècle avant notre ère, tan-
dis qu elle a livré quelques débris du xiT-ix^ siècle beaucoup plus
haut dans le remblai, n'est-ce point qu'elle peut répondre parfaite-
ment à ce « courant d'eau qui ruisselait dans la région (1) » et qu'on
bouche en grande hâte devant l'invasion menaçante de Sennachérib?
Ainsi en va-t-il de la stratitication apparemment si déconcertante des
décombres dans le bassin H' ainsi devient intelligible le barrage qui
;

annule la galerie I et rétrécit presque de moitié le réservoir de la


source; par là devient très suggestive la précaution de barricader
intérieurementles étroites portes de la galerie 111 et de décourager,
par un amoncellement de blocs impossibles à remuer au fond de ce
trou, tout essai de rouvrir la chambre ronde à moins d'y employer le
loisir, les outils et la liberté d'action que des assaillants n'ont pas
d'ordinaire.
Quant aux galeries IV. V, VII et à la partie haute de VI, leur origine
semble évidemment se rattacher à la même entreprise que le grand
aqueduc; il faudra pourtant essayer d'en pénétrer le sens et pour
rendre cette tâche moins difficile cherchons à déterminer préalable-
ment le caractère et l'époque des autres excavations dans le roc. La
plus importante, après le tunnel dÉzéchias, est le passage secret dans
la colline entre le plateau supérieur et la source. Si la documenta-
tion présentée réussit à endonner une idée approximative correcte,
on ne doutera guère qu'il ne s'agisse d'une installation hydraulique
absolument analogue à ce que l'exploration contemporaine révèle
jour après jour dans les vieilles cités cananéennes. A peu près tout
élément extrinsèque de détermination archéologique fait ici défaut,
car les décombres lamentablement stériles accumulés là dedans
avaient été exposés à trop de chances de bouleversement pour
qu'on puisse utiliser avec quelque sécurité leurs rares informations.

(i; II Chron., 32, 4; cf. infrà les remarques au sujet de ce ^nZ.


CHRONIQUE. 557

Il y a bien les particularités spécifiques du forase on a essayé plus :

haut de les mettre en relief, non sans se défier des modifications plus
ou moins profondes accidentellement introduites par des retouches
possibles, en tout cas par l'effritement ou l'érosion; mais ces particu-
larités ne sauraient suffire dans le cas à établir une époque et attes-
tent simplement une variété dans l'outillage de métal.
Le raccord de ce tunnel compliqué avec l'installation artificielle la
plus ancienne autour de la fontaine — agrandissement de la caverne
M, création du canal L et de toute la partie basse de la galerie VI —
autorise déjà une plus grande précision, dans la mesure où il est
justifié; car la nature des débris si nettement cananéens et Israélites
archaïques, à l'exclusion de tout alliage d'éléments ultérieurs, permet
de reporter l'abandon et l'obturation de la caverne et du canal au
moins aux tout premiers siècles de la monarchie israélite, xi--x' siè-
cle avant notre ère. Or tels sont les motifs qui m'ont conduit graduel-
lement à la conviction que ce raccord a existé 1" identité du pro-
:

cédé de forage dans la galerie VI inférieure, dans le canal L, et dans


les puits verticaux du grand passage 2" impossibilité de faire coïn-
;

cider l'utilisation de ces premiers travaux à la fontaine avec n'importe


lequel des autres systèmes de galeries et canaux; 3° nécessité de
faire aboutir le passage secret à une prise d'eau sur la fontaine. Ce
dernier motif parait naturellement tout a priori et sans grande valeur
pour autant: il n'est intervenu dans ma propre enquête que tout à
fait subsidiairement, après que la fouille sur ce point était achevée,
lesobservations archéologiques déjà classées et l'évidence acquise que
l'aménagement des galeries I et II, du tunnel d'Ézéchias ensuite,
excluaient toute mise à profit de l'installation primordiale et en
exigeaient le remblai. C'est alors seulement et pendant Fexamen
raisonné des plans que s'est présentée la pensée de rattacher L, M et
VI inférieur au passage dans Ophel. En se reportant à la coupe xx\
pi. I, on verra promptement la raison d'une telle interprétation.
2)

On a en effet signalé déjà que le tunnel-aqueduc, contemporain


des parties hautes de la galerie VI. était postérieur à sa première
trouée, car on ne se fût point imposé cette trouée, avec un outillas-e
de tout autre sorte, pour le caprice de la remblayer péniblement
ensuite en maçonnerie. certainement postérieur aussi à la
Il est
création du passage secret d'Ophel, puisqu'on a pris soin d'obturer
partiellement l'issue devant l'orifice du tunnel-aqueduc au moment
même où l'on y assurait l'introduction de l'eau par l'exhausse-
ment artificiel du radier de la galerie venant de Ja fontaine; on
n'a pas oublié que ce demi -barrage était fait de même main et
558 REVUE BIBLIQUE.

des mêmes matériaux que le béton de la galerie VI. En son premier


état, cette galerie se rattachait donc au système vertical dans les
entrailles d'Ophel et lui procurait une issue vers la source.
Dans la chambre d'eau uous avons vu que l'amorce de la gale-

rie VI avait été notablement transformée par les mêmes ouvriers


qui creusèrent le tunnel de Siloé création probable, à tout le
:

moins retouche du petit réduit au fond de la chambre et création,


dans le sol de roc primitif de cette chambre, d'un chenal barré
par un gradin de roc à l'orifice de la galerie. La chambre d'eau
préexistait par conséquent et se trouvait associée déjà, quoique
sous une forme sans doute plus fruste, à lan tique installation
d'Ophel. En fait, les suggestions archéologiques directes ne per-
mettent guère de franchir le dernier pas et de relier, par-dessus le
bassin actuel, les galeries d'Ophel au plus vieux canal et à la ca-
verne primitive de jaillissement. Seuls les indices de taille peuvent
ici être allégués et je les reconnais insuffisants à forcer la conviction
de qui voudrait dater le système secret d'Ophel à peu près du même

temps que les installations I et II. Celles-ci toutefois ayant une


époque archéologique assez claire, du x*" au xui" siècle, si le système
secret dOphel leur est seulement contemporain et aboutissait à
l'eau dans le réservoir H actuel, où trouver un sens au débris
d'installation cananéenne manifeste qu'est le conduit L interrompu
par le barrage / et l'orifice maçonné de la galerie I?
Il m'a semblé une obligation de probité d'accentuer fortement

le caractère des observations qui établissent pour moi la liaison


entre la caverne primordiale de la source. M, et la crête de la col-
line, d'accentuer surtout l'hiatus archéologique, si restreint soit-il,
qui subsiste dans cette interprétation. Si ces notes visaient des con-
troversistes, il y aurait lieu de prévenir les fins de non-recevoir
en accumulant le détail des plus minimes observations qui suggè-
Fent dans le réservoir BH un état ancien pouvant correspondre à
l'utilisation de LM et supprimant l'hiatus minime que je viens de
signaler. Le lecteur désintéressé et désireux seulement de faits
solides et d'analyses franches me pardonnera de ne vouloir point
prouver, mais dire ce que j'ai vu, ce que j'en aicompris et ce qui
me ou obscur.
reste incertain
Examinons maintenant si les textes sacrés n'apporteraient pas
le complément de lumière que l'archéologie n'a pas fourni. La
Bible contiendrait-elle une allusion quelconque à un monument du
genre de celui qui nous occupe un passage secret entre la plate-
:

forme supérieure de la colline et la source qui coule au pied orien-


CHRONIQUE. bo9

tal, presque au fond escarpé du Gédron? En toutes les mémoires

remontent aussitôt le récit de la conquête de Jérusalem au temps


de David et ce mystérieux passage qui conduit un soldat de vaillance
et de témérité au cœur de l'imprenable forteresse jébuséenne. Eh
bien oui, le ^innôi' qui introduisit Joab dans Sion. le sinîiàr qui a
tant crucifié les exégètes et tant exercé l'ingéniosité des topographes,
ne serait-il point ce chemin savant, splendide et si parfaitement dis-
simulé dans les entrailles du roc? années qu'on s'en
Il y a bien des
était fait la conviction à lÉcule avec les informations trop incom-
plètes fournies par la première et courageuse exploration de M. War-
ren(l). Les récentes fouilles ont apporté à cette conviction des fon-
dements nouveaux et beaucoup plus précis. Mais afin d'éviter jusqu'à
l'apparence d'un essai de démonstration théorique, discutons briè-
vement plutôt I, si : le tunnel en son ensemble réalise le concept
saisissable du s:i}i)i>jr;
II, l'adaptation possible du récit biblique à ce monument;
III, l'harmonie possible entre la date impliquée par le sinnOr et

celle que comporte le caractère archéologique du monument.


1° L'unique signification un peu justifiée qu'on soit aujourd'hui
en mesure d'attribuer à l'expression biblique -":]; est celle de « pas-
sage en relation avec l'eau ». En attendant qu'une heureuse trou-
vaille philologique éclaircisse définitivement la valeur du radical
!:y et le sens primitif du dérivé nominal -':i:, le sens allégué est le
seul qui résulte de l'usage biblique ultérieur et de l'interprétation
par les versions officielles. « Canal » au sens restreint du néo-hé-
breu ne conviendrait guère dans Ps. xlii, 8. Les « cataractes >
('2'

assez indiquées en cet endroit sont quelque chose de trop défini


pour s'harmoniser sans violence par exemple avec domatum fistulas
de saint Jérôme, ou avec le Acz-xtiz\xzz d'Aquila, dans Samuel. Au
cas où une idée quelconque d'onomatopée imitant le murmure de
l'eau courante ou le bruissement d'une eau souterraine serait à la
base du mot hébreu, ne se conçoit-elle pas de manière satisfaisante
dans l'installation en cause 3 ? Celle-ci répond donc bien à tout ce
que peut représenter ""ly. dans la mesure où ce mot nous est intel-
ligible.

(1) Cf. Canaan..., p. 27 et QS., 1908, p. 225. ou RB., 1908, p. 402.

(2) Voy. Leva, Xeuhebr. und chald. Worterbuch, s. t" """llï.

^3] Pour qui s'est arrêté, un jour ou l'autre, à voir tirer l'eau d'un puits palestinien,
il y aurait même, dans l'installation décrite une réalisation particulièrement
à Ophel,
topique de l'idée. L'eau est puisée parfois aujourd'hui, dans les grands villages, au
moyen d'une caisse de zinc — ordinairement vieille boite à pétrole importée d'Angleterre
560 REVUE BIBLIQUE.

-2° Xa terme obscur ainsi que beaucoup de critiques


lieu d'un
l'ont trouvé, au lieu surtout de quelque expression très banale à
lui substituer par hypothèse, sin/wr est bien le terme spécifique
appliqué par David au passage dissimulé d'Ophel. A la circonstance
fort simple indiquée déjà comme apte à lui en révéler l'exis-
tence, d'autres nombreuses peuvent s'ajouter, toutes faciles à con-
cevoir abaissement du plan d'eau à la source sans écoulement
:

visible et sans qu'on puise à l'extérieur, constatation de l'amorce de


canal en un moment où quelque intermittence prolongée de la fon-
taine devait laisser le bassin presque vide, d'autres possibilités de
môme nature; sans parler de celle, non moins spontanée dans le
milieu oriental, d'une indication explicite fournie par trahison. Le
passage une fois soupçonné et son aboutissement exploré par eau
basse, on pouvait se persuader que la garde n'en serait pas très
vigilante de la part des Jébuséens confiants dans l'impossibilité de
son escalade par un assaillant qui viendrait de la fontaine. En tout
cas, une chance s'oÛrait par là d'aboutir inopinément dans la cita-
delle, quand ce ne serait qu'avec le résultat de créer une alerte
dont on tâcherait de profiter au moyen d'une attaque simultanée
sur d'autres points. A défaut d'accès plus commode, le roi veut
tirer parti de celui-là. Il en indique implicitement lui-même la
difficulté et le péril par la récompense sans marchandage qu'il met
au bout si le coup de main proposé est réalisé avec succès Celui qui :

aura raison de l'insolence des Jébuséens et parviendra dans leurs

ou de Russie —
actionnée par un treuil rudimentaire. Plus communément, on se sert
d un seau de cuir pendu à une corde mue a bout de bras, ou montée sur une poulie.
Durant les révolutions de la caisse de zinc ou du seau de cuir, quand on les remonte
pleins, de larges éclaboussures deau retombent au fond du puits. A 1 orifice même,
tandis qu'on emplit jarres et outres, leau ruisselle fréquemment et retourne au puits
avec un bruit d'autant pdus considérable que le puits est plus profond, ou qu'était plus
grand le volume de la jarre brisée ou de l'outre maladroitement renversée. Qu'on se re-
présente maintenant dans le puits vertical au bout de la galerie VI un groupe de Jébu-
séens ou de Jébuséennes en train de puiser secrètement de l'eau, tandis que David et ses
gçns font le guet devant la fontaine. Il n'est précaution si attentive de la part des pui-
seurs qui empêche des éclaboussures bruyantes. Pour peu que l'eau soit plus basse dans
d'une intermittence un peu prolongée, le bruit augmente de toute la
la galerie, à la suite
sonorité de cette galerie et de la cheminée dans le roc. De l'entrée actuelle dans la
chambre d'eau j'ai plusieurs fois distinctement perçu le bruit des seaux dans le i;rand
puits pendant le dernier déblaiement. Il est vrai qu'on employait des seaux de fer-blanc,

propices au vacarme contre les parois rocheuses, vrai aussi que l'entrée de la chambre
d'eau actuelle me rapi)rochait de quelques mètres: mais par contre, l'ouverture de toutes
les nouvelles galeries diminuait la résonance et à cette diminution s'ajoutait le bruit

étranger et gênant venu de dix points à la fois, oii la fouille battait son plein. On ne
s'étonnera donc pas que David ait été amené par quelque observation de même genre à

soupçonner l'existence du passage secret.


CHRONIQUE. 561

murs par le souterrain qui débouche à la source, celui-là sera fait

prince (1)! A condition seulement d'épier l'heure propice, l'intro-


duction de Joab dans le tunnel n'oflre pas plus de difficulté, elle en
offre plutôt infiniment moins que la récente exploration. Quelques
morceaux de bois convenablement agencés et l'assistance d'un ou
deux compagnons adroits et de sang-froid suffisaient à hisser Joab
au sommet de la cheminée verticale. De là il n'y avait plus qu'à
traverser prudemment le tunnel en se tenant prêt à toute éventualité
d'opposition.
On conçoit que toute reconstruction positive et détaillée de l'aven-
ture demeure gratuite dans le silence absolu du texte après la men-
tiondu chemin extraordinaire qui a été la voie de la conquête. Si
quelqu'un cependant devait décréter invraisemblable la prise de
la forteresse au terme de cette audacieuse équipée, il ne serait pas

bien laborieux de lui en produire des analogies très explicites en


fouillant les histoires de l'antiquité. A qui par exemple est-il néces-
saire de mémoire l'enlèvement du Palladium des
remettre en
Troyens par Ulysse et Diomède qui se faufilent une nuit, eux deux
seuls, à travers des égouts, au cœur même de Troie la bien gardée,
pénètrent dans le temple, chargent sur leurs épaules l'auguste et
encombrante déesse, et ressortent inaperçus (2) Que si l'on estimait !

se débarrasser en souriant d'une élégante légende, rien n'est plus


aisé que d'y substituer quelque grave récit d'historien narrant la
prise d'une ville par la bravoure habile d'un soldat, ou des alertes
émouvantes causées dans une forteresse inattaquable par une poi-
gnée d'hommes résolus et que seconde la fortune (3). Trouvant le
passage libre, Joab avait pu requérir quelque renfort et une mince
escouade très décidée se manifestant soudain, en pleine nuit je
suppose, au milieu de la citadelle, c'est plus qu'il n'en fallait en ce
temps-là pour susciter une panique tumultueuse et irrémédiable.
David et ses troupes n'avaient qu'à tirer profit de l'instant pour

(1) La récompense que dans le récit de I Chron., 11, 6, où


n'est stipulée acluellement
manque le sinnôr. Il mentionnée aussi dans le texte de Samuel
est évident qu'elle était
où la phrase demeure suspendue maintenant dans TM et LXX. Dans la Vulg. Proposuerat
enim David in die illa ^r«emmm... ce dernier mot est une glose qui vise à fournir un
sens complet glose aussi simple que possible, à coup sûr, mais qui nuance l'original. Cf.
:

Dhorme, Samuel, p. .309 s.


(2) Cf. ViRc, .EneicL. II, 166 ss. et le commentaire de Servius.

(3) La RB. a déjà cité naguère U908, p. 402, n. 2) l'analogie que fournit Ammien Mar-
cellin. On trouvera en grand nombre les exemples classiques en relisant le 111= livre des
Stratagèmes de Frontin et faut-il rappeler aux biblistes le cas fameux de Jonathas qui
met en déroute, lui seul avec son écuyer, tout le poste de Philistins établi sur la pas
escarpée de Michmàs 'I Sam., 14, 1 ss.)?
REVUE BIBLIOLE 1912. —
N. S., T. IX. 36
362 REVUE BIBLIQUE.

donner un assaut que nul ne songerait alors à repousser. Tout sim-


plement peut-être —
car il ne faut s'exagérer ici ni la forteresse, ni
la défense, ni l'attaque —
Joab parvint-il à une porte qu'il ouvrit
après avoir à lui tout seul et sans grand effort jugulé une sentinelle
somnolente ou endormie.
On imaginerait sans difficulté d'autres vraisemblances encore;
pas de dépenser une obstination stérile à deviner des
l'essentiel n'est
modalités que le récit biblique a omises, mais bien de pénétrer autant
que possible la portée des détails qu'il fournit. Appliqué à l'installa-
tion secrète d'Ophel, ce détail précieux et trop négligé qu'est le xm-
nôr donne à la narration un sens, de la vie et de la couleur locale, au
lieu du caractère amorphe qu'entraîne sa suppression ou son rempla-
cement par n'importe quoi, n:rwNn2 par exemple (1), suivant la très
plate imagination de quelque scribe tardif. La forteresse jébuséenne,
ou Sion, est reconnue parfaitement imprenable avec les moyens dont
dispose David. Les assiégés, qui se sentent en lieu sur, narguent
insolemment la troupe Israélite. Le si /mur est découvert; c'est une
voie invraisemblable; on l'essaie pourtant et la fortune est au bout.
Les Jébuséens affolés par une attaque à l'improviste, du point où
elle était le moins attendue, sont expulsés, et David est maître de

Sion.
L'histoire môme de Jérusalem fournit, à l'appui du fait ainsi inter-

prété, une analogie vraiment saisissante et qu'on s'étonne de n'avoir


jamais vu utiliser en cette discussion. En 183i, les troupes victo-
rieuses de Méhémet 'Aly avaient pris possession de la ville. Une gar-
nison sûre, cantonijée dans la citadelle, défiait, grâce à quelques
méchants canons, les assauts fougueux mais désordonnés de la horde
arabe. Quelques Bethléémitains vigoureux s'avisèrent d'un expédient
pour pénétrer dans les murs. Le grand égout de la ville débouchait,
alors comme aujourd'hui, vers la porte des Maugrebins. Us se glis-
sèrent là-dedans, remontèrent, au prix de mille efforts et de périls
qu'on peut imaginer, une branche latérale vers le nord-ouest et
émergèrent soudain au milieu d'une habitation à quelques pas de
la citadelle. Avant que l'éveil ait été donné aux Égyptiens, l'égout
avait livré passage à un groupe assez nombreux d'envahisseurs pour
qu'on ait cru un instant la ville en leur pouvoir. Les hardis assail-
lants ne purent néanmoins tenir longtemps devant la fusillade égyp-
tienne. Malgré leur infériorité numérique, secondés par leur déses-
poir, ils eussent peut-être résisté victorieusement à armes égales; ils

(1) Voy. I Chron.. 11, G.


CHRONIQUE. 563

furent exterminés par les canons de la citadelle '


1 . Transposée dune
trentaine de siècles, cette invasion par un égout n'est-elle pas une
curieuse réplique de l'attaque par le sin?ior?
On trouvera que c'est beaucoup s'appesantir sur un rapprochement
facile en lui-même et vraisemblable à souhait. Les interminables
controverses dont le sinnor a fait l'objet rendaient néanmoins utile

une exposition assez développée pour dissiper les équivoques.


3" Sur l'harmonie possible entre la date historique da <innùr et

l'origine d'une installation souterraine en pleine roche comme elle


existe à Ophel, on peut désormais être bref. L'époque de la conquête
de Sion par David, c'est, en gros, l'extrême fin du xi® siècle avant

notre ère, ou l'aurore du x'\ Le ^innur en usage à cette date et


qu'il avait certainement fallu un longtemps pour créer, remonte ainsi
plus ou moins haut dans le xi^ siècle, peut-être beaucoup plus haut
encore en des siècles antérieurs. Parmi toutes les analogies déjà
connues dans les villes cananéennes, la plus étroite et la plus utile,
grâce aux observations très précises et si compétentes de M. Maca-
lister (2j, est celle du tunnel de uézer. Le but est le même descen- ;

dre à 30 mètres au cœur de la colline pour atteindre secrètement, de


l'intérieur du rempart, une source vive. Or le tunnel de Gézer, d'une
exécution presque plus savante encore et d'un effet général plus gran-
diose aussi que le souterrain de Jérusalem, est daté, avec une satis-
faisante approximation, des premiers âges sémitiques palestiniens.
Il ressort en effet de sa situation même et des traces d'outils empreintes
sur les parois que l'excavation a été praticjuée en un temps où ne pré-
valait pas encore l'usage des instruments en métal. Par ailleurs les
trouvailles céra[nif[ues et les bibelots recueillis dans le déblaiement
limitent son utilisation de manière à peu près soudaine à l'arrivée
des Hébreux au pays de Canaan. La période encadrée entre ces
deux termes correspond juste à l'ère cananéenne prise daus son
ensemble.
Il découle de ces faits que vraisemblablement dès le xx" siècle av.
notre ère il se rencontrait parmi la population industrieuse des clans
cananéens quelques ingénieurs capables de concevoir et de faire exé-
cuter des travaux tels que le tunnel de Gézer, en vue de compléter la

1; La mémoire du coup de main tenté par l'égout est conservée encore ici par les con-
teurs de « souvenirs ». Peut-être même le fait est-il enregistré dans quelque chronique
locale écrite, bien que je n'en aie aucune à citer. Cf. cependant Fix.\, The Felhiliheen-of
Palestine, QS.. 1S79, p. 35, où le fait a été raconté aussi avec d insignifiantes nuances,
et sans aucune relation avec l'événement biblique.
2) QS., 1908, pp. 14 ss., 96 ss.
564 REVUE BIBLIQUE.

sécurité d'une ville fortifiée comme on édifiait en ce temps-là des


villes. Et s'il peut subsister sur la date théorique primordiale une
hésitation quelconque, xx% xix% xviii^ siècle, tous les spécialistes

accordent du moins que de Gézer était en usage au


le timnel
xv" siècle c'est quatre siècles encore, au plus bas mot, avant l'é-
:

poque où David guettera le si/mur de Jérusalem. Ce que leurs pareils


réalisaient depuis si longtemps à travers le reste de la contrée, les
Jébuséens établis à Jérusalem n'auraient-ils su le réaliser au flanc de
leur étroite mais solide acropole? Quel que soit dès lors le siècle pré-
cis où le passage souterrain descendant à l'eau fut créé comme com-

plément de défense pour Sion, il devient manifeste que son existence


n'est que fort naturelle au déclin du xi" siècle.
Et à Tappui dune date ainsi déterminée viennent maintenant tous
les indices archéologiques, trop ténus pour l'établir à eux seuls

mais qui la corroborent en s'y adaptant au mieux 1° le procédé de :

taille au ciseau ou à la pointe actionnés par un marteau, au lieu du

pic plus commode et plus pratique tout indiqué si l'on eut été en
plein âge du fer à partir du xii'' siècle environ; 2° les débris céra-
miques nettement cananéens et Israélites primitifs dans la courte sec-
tion initiale du passage, auprès de la source; section qu'un remblai
archaïque avait fort à propos conservée intacte ; enfin 3" la transfor-
mation première infligée à cette vieille installation cananéenne par
d'autres installations hydrauliques autour de la fontaine, celles-là
sans doute créées durant la prospérité des règnes glorieux au début
de la monarchie Israélite à Jérusalem.
Aussi bien est-ce à l'époque des premiers embellissements de la
nouvelle capitale que se rattachent le mieux deux canaux inter-
les

médiaires dont il reste à examiner la date. Disons maintenant canaux,


puisque après la description il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur leur
tracépour reconnaître en ces galeries des travaux destinés à l'irriga-

tion du coteau. En principe leur origine pourrait être reportée jus-


qu'aux Jébuséens qui étaient gens à réaliser fort bien de tels travaux.
Mais si l'on fait état que la création de ces canaux nuisait à la com-
munication secrète avec la source, on sera peu enclin à l'attribuer
aux mêmes auteurs. Du reste l'hypothèse est contre-indiquée par des
nuances assez profondes d'exécution, et l'on a suggéré précédemment
déjà que les premiers siècles de la monarchie Israélite sont l'époque
d'origine la mieux attestée par les données archéologiques. Au lieu
d'un travail patient et soigneux, par des ouvriers qui ont quelque
sens de la ligne et le goût des surfaces harmonieuses, ainsi qu'en
témoigne le vieux tunnel jébuséen, voici une trouée brutale, hâtive,
CHRONIQUE. S6o

aux parois déchiquetées à coups de masse enfonçant des coins de


fer dans la moindre anfractuosité naturelle ou dans quelque coupure
au ciseau; point de rectification correcte du tracé, fi de toute élé-
gance et tant pis si la bizarrerie d'un éclat profond ouvre dans la
paroi une plaie qu'on laissera béante à côté de quelque saillie inver-
sement disgracieuse. L'œuvre est considérable à coup sûr, elle impres-
sionne par son ampleur et sa relative difficulté; mais elle n"a aucun
caractère d'oeuvre artistique et considérée du point de vue technique
elle est même franchement laide. Ce sont des fosses à travers les-
quelles l'eau peut circuler tant bien que mal à divers étages de la
colline et se déverser sur ses flancs. Il est toutefois peu contestable
que le plus novice ingénieur moderne chargé d'une telle installa-
tion devrait s'estimer disqualifié pour longtemps s'il la réalisait de
même sorte. Les hommes du métier se satisfaisaient à moins, à
l'époque de David ou de ses premiers successeurs. Dès qu'on leur
a attribué la création des canaux I et II,on comprend qu'aucun
débris cananéen n'y ait pu être constaté et que tout, dans leurs rem-
blais, se classe entre le x' et le viii'^ siècle avant notre ère.
Rien n'est au surplus mieux en situation qu'une telle œuvre en ce
temps-là pour correspondre aux données implicites des textes bibli-
ques. Jérusalem a cessé d'être l'acropole fortifiée d'un clan cananéen
pour se transformer le plus rapidement possible en capitale du
royaume Israélite unifié. Un temple magnitique succède à l'humble
haut-lieu, un palais prend la place de la sombre forteresse, il con-
vient que des plantations et des jardins égaient désormais la pers-
pective austère du Cédron. La fontaine est là tout à propos pour en
assurer la prospérité, si peu qu'on en veuille diriger les eaux. Plus

tard on entendra parler de ces « jardins royaux » (1) en une situa-


tion passablement définie, vers la pointe méridionale de la colline,
au confluent des divers ^a^•ins, ce qui, loin d'exclure un prolonge-
ment septentrional par le Cédron et la rampe orientale d'Ophel, doit
bien plutôt l'impliquer. La tradition biblique gardait le souvenir de
ces embellissements et n'hésitait point à faire honneur à Salomon de
ces jardins, de ces vergers, de ces réservoirs aménagés pour l'irri-
gation des bosquets (2 destinés à devenir plus tard le théâtre odieux
de la plus révoltante idolâtrie.
Naturellement tout ne fut pas accompli dans un même jour par un
coup de baguette enchantée. Il fallut des années sans doute pour que

(Ij Cf. II Rois, 25, 4; Xéli.. 3, 15.

(2) Cf. EccL, 2, 5 s.


566 REVUE BIBLIQUE.

l'installation fût complète avec ses divers systèmes de prises d'eau,


ses bassins, ses barrages. La discussion intégrale à ce sujet exigerait
la mise en œuvre d'autres éléments que ceux groupés jusqu'ici dans
ces notes et ne relève plus exclusivement de la récente exploration.
C'est néanmoins encore aux splendides travaux de M. A. et de ses col-
laborateurs de 1910 à 1911 que reviendra le mérite d'avoir livré la
clef d'une interprétation totalement impossible à soupçonner jus-
qu'ici.
Le mécanisme de la source elle-même a été sinon tout à fait révélé,
(lu moins notablement éclairci, grâce aux observations précises sur

la constitution géologique du coteau, grâce également à quelques


prudentes et habiles recherches directes autour du point d'émer-
gence désormais bien fixé. Cette partie spéciale des travaux de la
mission pourrait fournir le thème d'une intéressante monographie
technique. Du point de vue beaucoup plus général où nous devons
rester, les observations se résumeraient ainsi. Décompte fait d'une
couche variable de décombres d'époque historique, le coteau d'ed-
Dhoura ou Ophel appartient tout entier aux étages supérieurs du
système crétacé qui marque la fin des formations tertiaires. Il se
compose de trois strates calcaires inclinées à peu près régulièrement
de N. légèrement X.-O. en S.-S.-E. et coupées obliquement à l'E. par
l'érosion antique dans le ravin du Cédron. La plus heureuse coupe
géologique facile à étudier après le déblaiement était le puits ouvert
sous la voûte en maçonnerie dans le passage secret. On y observe
d'abord, en commençant à la surface, un étage de calcaire à colora-
tion rougeâtre ou jaune, épais de 12 mètres environ mais sans aucune
homogénéité, strié de cavernes et sillonné de fissures où des concré-
tions et de véritables petites stalactites attestent le ruissellement
constant d'une eau saturée d'éléments minéraux. A cet étage en suc-
cède un second plus puissant —
15 m. environ —
de roche beau-
coup plus compacte, blanche avec des veines jaunâtres ou une teinte
rosée. Létage se subdivise en lits inégaux mais réguliers entre les-
quels s'intercalent déminées bandes marneuses; plus, ou à peu près
plus de cavernes ni de cavités à stalactites, mais d'assez fréquentes
fissures encore et quelques failles plus importantes, où les traces
d'infiltration s'accentuent. Enfin sous celui-ci un troisième étage à
coloration rouge, à texture extrêmement compacte, dans lequel n'ap-
paraissent plus traces de ruissellement capillaire des eaux, parce
qu'on n'y découvre plus ni cavités ni fissures et que les dislocations
y sont infiniment rares. La marche des eaux en des terrains ainsi cons-
titués a été mainte fois décrite ailleurs par les maîtres en géologie.
CHRONIQLE. 567

Dans la couche supérieure, largement perméable, l'infiltration se pro-


duit sur mille points analogues à des pores d'épiderme animal et l'eau
circule avec rapidité et intensité variables comme les proportions
des fissures qui établissent la communication dune cavité à l'autre.
Ces canaux naturels, coupés et recoupés à l'infini, enchevêtrés,
sinueux, ne livrent passage qu'à un volume d'eau très minime à la
fois, lui imposent les plus capricieux détours et de fréquents ol)s-

tacles. Les crevasses beaucoup moins nmltipliées de l'étage intermé-


diaire compliquent et retardent encore le cheminement des eaux,
qui, ne trouvant à peu près plus de voies d'infiltration dans l'étage
inférieur, s'accumulent dans quelque bassin naturel jusqu'à concen-
tration d'un volume d'une pression suffisants pour les refouler à
et

la surface extérieure en un point d'émergence qui peut être notable-


ment plus élevé que le dernier bassin régulateur. Le principe physi-
que très familier de l'équilibre des bassins communicants achève de
rendre aussi intelligible que possible cette intermittence de la source
d'Ophel qui a tant défrayéle folklore et provoqué d'hypothèses.

Durant quelques jours même, j'ai pensé que la fouille était sur la
voie du bassin proprement dit; les principales galeries étaient déjà
en grande partie déblayées; on pratiquait les sondages dans la
chambre d'eau, quand soudain le régime de la source changea d'une
manière étrange au lieu de sourdre en moyenne toutes les 9 à 10 heu-
:

res et de couler 35 à ïO minutes seulement au maximum, ainsi


qu'elle le faisait depuis plusieurs semaines assez régulièrement, l'eau
inaugura des apparitions fougueuses de 12 à 15 minutes de durée,
qui se succédaient à intervalles de 2 à 3 heures à peine il ,, et four-
nissaient un volume d'eau à peu près double du régime antérieur.
Cet état de choses s'est prolongé avec une très faible atténuation
l'espace d'un mois environ, à ma connaissance. Comme on était en
pleine période sèche, au cours de septembre, et depuis mai sans une
goutte de pluie, une telle augmentation du débit de la source ne
laissait pas d'être surprenante au premier aspect. D'autre part, le pro-
cédé particulièrement prudent de toute l'exploration dans la région
de l'eau excluait l'hypothèse assez spontanée d'une modification de
pression dans le bassin régulateur du siphon souterrain. L'explica-
tion de ce petit phénomène physique est apparemment beaucoup
plus simple. L'orifice et le bassin de la source une fois entièrement

(1) Je dois à l'oblijieance de M. C. plusieurs séries d'observations jirécises à ce sujet. Il

eu résulte que pendant l'espace dune semaine environ la source a jailli en moyenne 5 fois
en 12 heures. Le maximum observé a été 7 fois en 12 heures.
568 REVUE BIBLIQUE.

nettoyés, l'eau y jaillissait avec aisance au lieu d'être contrariée par


l'obstruction des décombres. Ce dégagement plus facile a dû créer
tout à l'extrémité du canal souterrain une sorte de courant dont la
réaction, après s'être exercée sur le dernier bassin intérieur, a pu se
transmettre de poche en poche dans le réseau. Le ruissellement accé-
que les eaux, cessant de rétré-
léré ainsi vers l'extérieur a fait en outre
cir leurscanaux en les revêtant de sédiments, ont opéré plutôt par
érosion en circulant avec plus d'intensité. Il eût été certainement
d'un grand intérêt pratique de pouvoir observer quelle serait l'exacte
durée de cette transformation; mais dès les derniers jours de septem-
bre la source et son bassin devaient être rétablis en l'état nécessaire
pour l'usage des Siloïtes. Presque aussitôt après les intermittences
redevenaient plus prolongées, 3 à 4 heures environ, quoique le volume
d'eau à chaque montée de la source demeure largement double de
ce qu'il était avant les travaux 1). Inutile de dire à quel degré cette
salutaire amélioration a provoqué l'enthousiasme des porteuses deau
et des maraîchères de Siloé, qui trouvent de pittoresques louanges et
de touchants souhaits pour remercier de leur bienfait M. A. et ses
ingénieurs.
Avec moins d'expansion bruyante on leur saura gré tout aussi vive-
ment de la lumière que leurs courageux efforts viennent de jeter sur
tant de points jusqu'alors obscurs dans l'histoire de la fontaine si
intimement liée à l'histoire antique de la ville. Comment ne pas voir
en effet que la vie de Jérusalem a évolué principalement autour de
cet unique point d'eau, si bien connu désormais, pendant une longue
suite de siècles? Tandis que nulle part ailleurs dans le territoire de
la ville —
fouillé à mainte reprise sur des surfaces plus ou moins dé-
veloppées —
on n'a pu retrouver de débris nettement cananéens, en
voici de relativement considérables; voici surtout une suite inespé-
rée de périodes arcbéologiques définies avec une relative précision
et correspondant de la plus saisissante manière à la succession d'évé-
nements historiques enregistrée par la Bible. Résumons donc à grands
traits, pour finir, cette harmonie de l'archéologie et de l'histoire.

Aux jours très reculés où le clan cananéen des Jébuséens fit choix

(1) Il semble que la fonlalne n'ait pas cepenflant repris encore un régime définitif à peu
près régulier. Dans une visite vers la fin de l'après-midi le 7 novembre dernier on m'a
affirmé que la source n'avait pas jailli entre 6 heures du malin et 4 heures du soir. A
4 heures elle était moulée avec un bruit insolite, fournissant durant 3/4 d'heure un ruis-
sellement tout à fait extraordinaire. Deux jours après on mentionnait les 3 à 4 jaillisse-
ments usuels entre les limites extrêmes d'observation : 5 heures du matin et 8 heures du
soir.
CHRONIQUE. 569

du coteau que nous appelons maintenant Ophel pour y camper sa


petite acropole, y fut attiré par l'exceptionnelle situation de cet
il

éperon rocheux hardiment projeté entre des ravins profonds et escar-


pés, facile à défendre, agréable à habiter, enfin bien pourvu d'eau
vive g-râce à la fontaine qui jaillissait au pied du versant oriental.

Riche peut-être encore de quelques réserves des vieux âges géologi-


ques, vierge de toute adaptation artificielle et libre de toute con-
trainte, la source coulaitau gré de son caprice et, échappée de sa
caverne, s'épandait par le lit du Cédron depuis longtemps vide du
torrent qui en avait jadis creusé sauvagement les rives. Dans l'heu-
reuse insouciance des premiers jours, ou tandis qu'on était absorbé
par l'installation de la ville et de son rempart, on se contenta de des-
cendre à l'eau par la rampe de la coUioe et longtemps sans doute
on put voir, sur la piste que représente probablement encore le sen-
tier moderne, les femmes jébuséennes aller et venir, à longueur de
jour, entre la « ville » et la fontaine, le buste cambré sous leurs cru-
ches, ou le dos voûté sous leurs outres. Ainsi voit-on aujourd'hui,
sur l'escarpement opposé, la population féminine de Siloé circuler
presque sans rehàche, avec des vases tout semblables et une physio-
nomie probablement peu différente, du village à la source et de la
source au village.
Le moment vint où cité se préoccupa de compléter sa
la jeune
défense et de s'assurer même
en cas de siège le bénéfice de sa source.
Une des plus sûres précautions contre les périls de la guerre avec les
procédés du temps était de se procurer un approvisionnement d'eau
suffisant pour la durée d'un siège qui ne pouvait jamais être longue-
ment prolongé. Plus une organisation sociale ditférente
tard, dans
et quand les « villes » le problème
eurent pris un autre caractère,
des eaux fut résolu de manière assez simple par la création de citer-
nes privées. A l'époque de la première installation jébuséenne la vie
était beaucoup plus en commun, les ressources individuelles moin-
dres et le soin de pourvoir aux nécessités générales abandonné volon-
tiers au pouvoir central, si le mot n'est pas trop prétentieux pour
désigner une autorité constituée sans doute à la façon moderne chez
les demi-nomades palestiniens. Au surplus, à supposer même que

les citoyens aient pourvu vaille que vaille à une partie de leur con-
sommation au moyen de citernes, c'était cependant toujours une très
sage mesure administrative de s'assurer, quand on le pouvait, la
jouissance d'une source même en cas de blocns. Nous savons mainte-
nant par de multiples exemples que les administrations cananéennes
reculaient peu devant les difficultés les plus ardues pour réaliser ces
370 REVLE BIBLIQUE.

descentes secrètes à des prises d'eau. Les Jébuséeiis se mirent à l'œu-


vre. Un escalier dans le roc probablement dissimulé sous une voûte
construite partit de l'intérieur du rempart, et atteignit le premier
décrochement rocheux par là on abrégeait presque du tiers le forage
;

projeté et Forifice demeurait beaucoup trop haut sur la pente de la


colline, beaucoup trop couvert aussi par le rempart tout proche pour
qu'un ennemi pût songer à en tirer parti. L'intention apparente était
de plonger directement au niveau du plan de jaillissement à la source
connue, soit que l'ingénieur mis à la tête des travaux ait espéré ren-
contrer à ce niveau une nappe d'eau, soit qu'il ait eu en vue un che-
minement horizontal dans la direction de la source dès que son puits
aurait la profondeur voulue,
A travers les deux premiers étages de roc la trouée fut pratiquée
avec une relative aisance et le puits conserva une assez grande régu-
larité. A peine au contraire atteignait-on le banc inférieur que la dif-
compliqua. Malgré l'ampleur initiale de la trouée, l'inévita-
ficulté se
ble tendance du labeur de mine en pleine roche avait réduit la surface
du puits à mesure qu'on descendait; l'évolution des ouvriers et le
maniement des outils devenaient moins aisés au moment même où le
rocher commençait d'offrir une plus sérieuse résistance. 11 semble
bien qu'on ait eu l'intention de parer à ce premier inconvénient en
élargissant quelque peu les parois à cet endroit et le forage pro-
gressa de trois mètres environ plus bas. Quand on examine cette der-

nière section du puits, on est frappé de son irrégularité qui tranche


sur la correction des parties hautes.
A vrai dire la surface des parois demeure proprement taillée, par
morsures de ciseau très fines et très serrées quand on en peut saisir
encore la trace sous la patine et les concrétions qui habillent le rocher;
mais l'axe du puits oscille capricieusement, comme s'il hésitait à con-
tinuer plus avant sa plongée régulière. Tout à coup la tête de mine
prend une forme d'entonnoir, se tord pour suivre, l'espace d'un demi-
mètre encore, une veine moins rebelle à l'outil et se perd enfin dans
le banc compact qu'elle a été impuissante à ouvrir (1). A quelques
mètres seulement au-dessus du niveau désiré on dut abandonner
l'entreprise et se frayer ailleurs une voie à la fontaine.

(1) Les essais pratiqués après le déblaiement ont prouvé l'extrême difTiculté que cette

roche {mezzy rouge marmoréen) opposerait à un forage même pratiqué avec nos modernes
instruments de fer trempé. Le pic de carrière n'avait aucune prise. Le ciseau robuste, à
pointe courte, mordait il est vrai cette opiniâtre roche, mais à la condition que la pointe
fût très acérée et cette pointe éclatait fréquemment. On conçoit que les outils de fer
mal préparé des Jébuséens, si tant est qu'ils naient pas été réduits aux seuls instruments
de bronze, n'aient pu entamer efficacement une telle roche.
CHROMC'LK. 571

En étudiant de la colline, ring-énieur s'aperçut que des


la structure
grottes naturelles ouvertes dans l'un des escarpements inférieurs lui
fourniraient le moyen rapide d'atteindre le joint des deux étages supé-
rieurs du rocher; elles procureraient aussi un dégagement commode
pour l'excavation de la galerie horizontale maintenant projetée entre
ces deux étages. Au bout de cette galerie sous roche, on ouvrirait un
nouveau puits vertical, et cette fois, à plus courte distance de la
source, en tenant compte peut-être aussi de l'inclinaison des assises
géologic]ues, on espérait bien pénétrer à la profondeur voulue pour
atteindre l'eau. Rien de moins malaisé, l'installation finie, que de
murer les cavernes assez parfaitement pour en effacer tout vestige
au dehors et rendre le tunnel de roc absolument secret. De ce point
de vue toutes les particularités du grand tunnel deviennent fort sim-
ples et son tracé judicieusement raisonné. Ce n'est plus un boyau spa-
cieux qui descend, remonte, tourne et se replie, se rétrécit ou se
dilaîe, sans but ni règle; c'est un chemin calculé pour que son exécu-
tion exige le minimum d'effort et présente le maximum de solidité en
même temps que la sécurité la plus entière contre toute tentative
d'invasion. Au bout de une faille verticale parait offrir un
ce tunnel
point propice au nouveau puits; on la suit en l'élargissant. A la ren-
contre du redoutable banc de pierre rouge la trouée paraît soudain
comme étranglée; par bonheur la crevasse pénètre plus bas encore et
à sa suite le puits, coudé, diminué, mais suffisant, vient se perdre
dans une petite caverne qui lui pourra servir de chambre d'eau. Car
on est maintenant plus bas que le niveau de jaillissement de la source;
il ne reste qu'à sommairement que ce soit, une trouée
ouvrir, si

horizontale jusqu'au bassin naturel extérieur pour assurer au fond du


puits l'accumulation permanente des eaux sans interrompre le cours
primitif de la fontaine et sans que le passage soit apparent, à tout le
moins sans qu'il se présente comme une voie praticable pour un
assaillant (lu
La perspicacité de David et l'heureuse audace de .Joab mettent un
jour toutes ces précautions en échec. Le ^-ieux passage entre la for-
teresse jébuséenne et la source, après avoir été le meilleur élément
d'orgueilleuse sécurité, occasionne une irrémédiable ruine. Sion
change de maîtres et va changer d'aspect: mais le passage à la source,

(1) Un seul point reste obscur : la première origine de la chambre d'eau près de la

source. Il déterminer dans cette emiuête sur la relation du monu-


n'importe en rien de le

ment avec l'histoire biblique. Aussi m'abstiendrai-je de développer les considérations trop
minutieuses f|ui mont conduit a l'hypothèse d'un premier état de la chambre contempo-
rain de l'installation jébuséenne.
572 REVUE BIBLIQUE.

lui, garde toute sa raison d'être et sa destination lui est conservée.


Les nouveaux habitants de la forteresse sont d'ailleurs suffisamment
avertis qu'il peut,malgré tout, constituer un péril, pour ne négliger
aucune des mesures aptes à écarter tout danger.
Cependant nous apprenons bientôt que la fontaine est appelée
Gilion, vocable qui serait même particulièrement expressif pour tra-
duire les apparitions capricieuses et bruyantes de la source, à suppo-
ser que son intermittence ait été dès lors comparable à ce que nous
lavoyons aujourd'hui. C'est naturellement le lieu par excellence des
ablutions préalables à tout acte religieux et David, las de régner, y
dépêche Salomon, désigné par le choix de la favorite, pour y recevoir
l'onction royale et se disposer à lui succéder. Toute cette révolution
de palais s'accomplit promptement, tandis qu'un prétendant malheu-
reux complote, — tout près de là, plus bas dans la même vallée et
près aussi de l'eau, — de s'arroger le pouvoir. D'un point facile à
choisir sur la croupe méridionale d'Ophel, avec en mains le livre des
Rois ou simplement son premier chapitre dans la mémoire, ne faut
il

qu'un bien minime effort d'imagination pour avoir sous les yeux
toutes les péripéties dupetit drame pittoresque et mouvementé. Il n'est
subtilité d'exégètes ou argutie de topographes qui vaille la sensation
profonde causée par la pratique familière du site et l'évocation ingé-
nue des faits.
Voici maintenant Salomon à l'œuvre pour donner aux alentours de
sa capitale l'embellissement et le charme qu'autorise son opulence
et que requiert sa grandeur. Le surplus des eaux que n'absorbait point

l'alimentation de la ville se perdait à peu près inutilisé par le lit du


Cédron. Tout au plus peut-être avait-on commencé de créer, au fond
étroit de la vallée, quelques plantations d'utilité plus que d'agré-
ment. La pente orientale de la colline présentait des terrasses natu-
relles qui invitaient en quelque sorte à la culture et promettaient un
facile développement aux vergers dès qu'on s'imposerait l'efPort de
les arroser. Un plan d'irrigation fut conçu On emmagasinerait les
:

eaux de la fontaine dans un réservoir plus ou moins développé; de


grandes galeries ouvertes dans le roc à deux étages de terrasses cons-
titueraient les artères essentielles du système, complété par des bran-
ches latérales, des prises d'eau, des barrages calculés de telle sorte
que l'eau puisse porter haut et le plus loin possible la vie et la
le plus
fécondité. Est-il besoin de montrer de nouveau comment les canaux I
et II répondent au mieux à cette installation, développée sans doute et

modifiée peut-être longtemps encore après Salomon?


Le trait saillant et le plus inexplicable en apparence, commun à ces
CHROMQlfc:. 373

canaux, c'est qu'ils ont été bloqués avec le plus grand soin à une
période presque exactement déterminée puisqu'elle n'est pas posté-
rieure au vil'' siècle avant notre ère et ne saurait être antérieure au
milieu du viii^ siècle. Le canal inférieur, I, a été obturé à l'orifice
même dans le bassin de la fontaine ; l'autre,demeuré ouvert sur ce
bassin, a étéremblayé péniblement et dissimulé en outre sur une lon-
gueur considérable par d'énormes blocs de pierre. Cependant à la
même époque on a creusé au prix d'efforts considérables un réseau de
galeries nouvelles, quitte à en supprimer presque aussitôt ou à modi-
fier lune ou l'autre, à en laisser plusieurs inachevées, pour ouvrir à

la fontaine un débouché lointain de l'autre côté de la montagne. Les


événements bien connus du règne d'Ézéchias résolvent la petite
énigme archéologique; ou plutôt, les données bibliques au sujet de
ces événements s'éclairent d'une précision inattendue à la lumière de
ces faits nouveaux. On se rappelle la relation des galeries III-VII avec
le tunnel-aqueduc de Siloé. L'unique objection de principe un peu

sérieuse, parce que d'ordre pratique, soulevée contre rattril)Ution du


tunnel à Ézéchias était l'impossibilité prétendue de faire exécuter un
aussi gigantesque labeur à la veille de l'invasion assyrienne et presque
sous la menace de Sennachérib. Sans aucune préoccupation d'objec-
tion à résoudre nous avons essayé de fixer en son temps la durée pos-
sible d'exécution du tunnel. Ln minimum de 6 à 7 mois, un maximum
de 8 à 9, disons même de 10 à 11 mois, d'un an à la rigueur, sont des
limites théoriques extrêmes. Pour dissiper d'ailleurs tout malentendu
sur la précipitation imposée aux préparatifs d'Ézéchias contre Senna-
chérib il n'y a plus aujourd'hui qu'à faire appel aux historiens égale-
ment au courant des données bibliques et des annales assyriennes. Ils

établissent clairement (1 que bien longtemps avant son entreprise


directe contre Jérusalem Sennachérib était une menace constante et
un danger pressant pour Ézéchias. De longues années séparent les
deux campagnes du monarque assyrien contre la Palestine, les transes
d'Ézéchias furent donc beaucoup plus prolongées que ne l'exigeait la
réalisation des défenses que nous savons et de bien d'autres encore.
A cette période s'arrêtent les informations nouvelles très explicites
des récentes fouilles. Il ne serait pas sans intérêt d'en poursuivre
l'examen dans Dansée qu'elles ont révélé par exemple du
le détail.

tunnel-aqueduc, on trouverait probablement le plus vivant commen-


taire de tel détail demeuré obscur dans la fameuse inscription. On

'X Voy. Dhorme, RB., 1910. p. 505 ss.


1" campagae de Sennachérib en 701 Ézéchias
: :

sauve sa capitale eu payant tribut; 2' invasion de Sennachérib en 691-690 et envoi de


raessaaers insolents à Ezéchias. mais cette fois encore la ville est sauvée. .
074 REVUE BIBLIQUE.

reconstituerait en particulier la scène émouvante de la rencontre des


deux équipes vers le milieu du tunnel, avec les tâtonnements inquiets
des derniers jours, l'affolement des mineurs qui ne savent plus où
attaquer assez vite une paroi qu'ils sentent désormais très mince,
l'ivresse de la rencontre « pic contre pic et des mains qui s'étrei-
>>

gnent dans la déchirure de la dernière cloison. Ces notes visaient


seulement à résumer les principales informations fournies à ce jour
par la mission de 1910; elles ont donc ici leur terme.
Si elles ont réussi à traduire correctement l'ensemble et le résultat

scientifique des travaux, il n'est plus besoin d'accentuer le bénéfice


considérable réalisé pour l'histoire de Jérusalem antique. Ce n'est
plus aux Jébuséens du yv" siècle avant notre ère, gouvernés par le
roiteletAbdkhiba, que doivent être attribués les premiers essais de
civilisation sur le coteau d'Ophel. La splendide série céramique décou-
verte dans la caverne funéraire au sommet du plateau atteste désor-
mais que la vie était déjà prospère en cet endroit entre le xxx" et le
XXV® siècle avant Jésus-Christ. Il ne reste plus qu'un point à conquérir
pour avoir complété l'évidence absolue d'une esquisse historique
maintenant fondée sur des éléments assez multipliés et assez précis
pour lui assurer l'adhésion raisonnée : découvrir l'hypogée royal.
D'aucuns s'obstineront sans doute à ne rien voir et à ne rien enten-
dre aussi longtemps que n'aura point retenti la nouvelle effarante
qu'on vient de remuer la cendre de David et de sa dynastie, qu'on a
découvert son sceptre — qui sait, même sa lyre peut-être aussi! —
Ceux qui essayent patiemment de suppléer aux trop rares et trop
retentissantes découvertes par l'étude des trouvailles non moins pré-
cises, malgré leur très humble apparence, ceux-là penseront que la

mission de 1910-1911 a eu des résultats vraiment féconds et du plus


haut intérêt biblique. Et je ne puis m'empêcher, ayant suivi jusqu'ici
de très près les phases de cette exploration, de rappeler eucore une
fois l'attention sur l'effort dépensé dans cette très pacifique, très peu
éblouissante et pourtant si importante conquête. Il n'est donc que
juste de rendre un dernier et cordial hommage au courageux dévoù-
ment et à la précision méthodique des recherches qui ont réalisé cette
conquête.
H. Vincent, 0. P.
o
>
•'
g- r -3

o > 2 5-

j = -è s ^
Céramique peinte Hr
Planciik XVI.

llie 3 fer. Bg. 13).


RECENSIONS

Arthur UNONAD,Aramâische Papyrus aus Elephantinejdeine Aussabe unter


Ziigriindeleguni: von Eduard Sdcliau's Erstausgabe. 8'^ de vii-ll9 pp. Leipzig,
Hinrichs, Uni.
M. LiDZBARSKi. recensioii de l'ouvrage de Sacliau. dans la Deutsche Literaturzei-
tung du 25 nov. inil.
Eduard Mever. Der Papyrusfund von Elephantine. 8' de 128 pp. Leipzig,
Hiurichs, 1912.
W. Staerk, Alte und neue aramàische Papyri, petit in-8 de 72 pp. Bonn,
Marciis et Weber, 1912.
W . R. Arnold, The Passover papyrus from Elephantine, dans le Journal of
hihlical Literalure, XXX 1912j. p. 1-33.
C. Steuernagel, Die jiidisch- aramâischen Papyri und Ostraka aus
Elephantine und ihre Bedeutung lùr die Kenntnis palastinensischer Verhaltaisse,
dans la Zdtschrift des D'Ut<cheii Vah'istuvi-yerelas, XXXV. 2 ;i912), p. 8Ô-104.
H. Grimme, Die Jahotriade von Elephantine, dans la Orientalistische Litera-
turzeitunij, Janvier, 1912.
I. LÉvi, Nouveaux papyrus araméens d'Éléphantine. dans la Rcriie des
éhcdes juives, LXIII (l'^'' avril 1912 , p. 101-184.

J. X. Epsteix, Jahu. ASMbëthël und ANTbêthël, dans la Zeitschrift fiw die


alltestamentliche Wissenschaft,XXXII, 2 (1912;, p. 139 ss.

^lon intention n'est pas. en dressant cette liste déjà longue, d'indiquer tous les
travau.x qua suscités la publication de M. Sacbau; il faudrait citer deux ou trois fois
plus de noms, même à s'en tenir aux maîtres. Je n'ai même point indiqué plusieurs
recensions, des plus utiles pour le progrès de l'interprétation, qui se sont appli-
quées au détail. Les études signalées ici ont surtout rapport aux problèmes d'his-
toire religieuse, d'un intérêt si exceptionnel, débattus durant ces derniers mois.
Pour éviter des redites, je m'abstiendrai de présenter des comptes rendus en forme.
11 serait juste cependant de féliciter dès le début de leur heureuse initiative les éditeurs

de l'édition prmcep«.- ils ont presque aussitôt après donné au public une édition
à bon marché qui met à la disposition de chacun les textes transcrits en caractères
carrés, avec des notes fort utiles. M. Ungnad s'est acquitté avec compétence
du soin de vulgariser ainsi les résultats de M. Sachau qu'il n'a que légèrement
mais avantageusement modifiés. Assurément, on regrette l'absence d'une traduction
et d'un glossaire des noms propres; ou a voulu réserver les privilèges de la grande
édition, sans parler des planches qui reproduisent les papyrus, nécessaires à toute
étude directe.
Les explications qu'on voudrait donner ici à la suite des maîtres ont surtout trait
ti76 REVLE BIBLIQUE.

à la reconstruction du temple, à la fête des azymes, à la religion des Juifs d'Élé-


pliantiue. On supposera connus certains faits déjà notés dans cette Revue, en parti-
culier dans la recension de la grande édition (1).

On n'a rien écrit qui éclairât davantage les deux premiers papyrus contenant en
double exemplaire la pétition pour la reconstruction du temple (2\ J'ai proposé
naguère de regarder Bagohi comme un Juif. Cette conjecture est fortifiée par la tra-

duction de la ligne 27-28, telle qu'elle a été rétablie par M. Bruston {RB., 1912,
p. 130}. M. Ed. Meyer se demande ironiquement si Bagohi pouvait être bien sensible
aux faveurs spirituelles que lui promettaient les Juifs. Pourquoi non. s'il était lui-
même de race Israélite? L'intervention des Samaritains n'a pas été expliquée de
façon satisfaisante. Il me vient à la pensée que c'était l'autorité perse elle-même

qui avait exigé leur consentement. Il s'agirait d'une sorte d'enquête de commodo et

incommodo. Dans l'Eglise, lorsqu'un ordre religieux désire s'établir dans un lieu, le

droit canon requiert, outre la permission de l'évêque, une sorte d'avis conforme des
religieux déjà iustallés. Les Perses avaient autorisé la reconstruction du temple de
Jérusalem par un firman spécial, qui équivalait à un privilège; dans des circons-
tances qui nous sont moins connues, ils avaient sans doute autorisé aussi le temple
du Garizim. Ces deux sanctuaires possédaient le monopole du culte de lahvé. Tant
que le temple d'Élephantine fut debout, il jouissait, lui aussi, d'une possession de
fait, à laquelle font allusion les pétitionnaires en rappelant que Cambyse ne lavait

pas détruit.
Mais pouvait-on le relever sans le consentement des deux communautés rivales
de Samarie et de Jérusalem? Les pétitionnaires demandent à Bagohi son appui, mais

il répond avec le représentant de Samarie par une véritable autorisation. Il ne fallait


pas compter sur celle du grand-prêtre de Jérusalem. Les deux fonctionnaires ne sont
pas strictement fidèles à la loi de l'unité du sanctuaire, reconnue au mont Garizim
comme à Jérusalem, mais du moins ils excluent les sacrifices sanglants, et alîectent
de nommer le temple d'Elephantine, non pas la maison de Dieu, mais la maison de
l'autel du Dieu du ciel. Tout le monde est d'accord aujourd'hui pour reconnaître le

caractère très intentionnel de celte restriction.


En revanche on est beaucoup moins fixé sur l'accueil que firent les Juifs d'Ele-
phantine à cette diminution de leur culte traditionnel. J'avais indiqué le sens du
papvrus 5 d'après M. Sachau qui y voyait une réclamation des principaux de la
communauté (Rt!., 1912, p. 130\ MM. Meyer, Steuernagel, Lévi, supposent au
contraire que les Juifs ont fait la part du feu,ou plus exactement renoncé à la part
du feu. ?s'espérant pas obtenir la permission de faire des holocaustes, ils auraient
modéré leur demande, soit avant {Steuernagel), soit après (Leyj) la réception du
mémorandum limitatif. Voici la traduction de M. Lévi :

1) Tes serviteurs, Yedoniah, etc., 7, sexpriment ainsi : Si notre seigneur [le trouve
bon] 8) etque le temple du dieu Yahou [qui a été détruit] 9) à Éléphanline la forteresse

soit rebâti comme


il était avant, 10 et qu il n'y soit pas fait de combustion d'oiseaux, de

taureaux de chèvres, 11) sinon d'encens et de farine... 12) et que notre seigneur lasse...
ni

13) nous donnerons pour la maison de notre seigneur... 14i mille artabes dorge...

En dépit des autorités de premier ordre qui soutiennent ce sens, je ne puis le


regarder comme acquis. Les Juifs ont pu consentir à la suppression du principal de

(1) RD.. 191-2, 1^7-137; cf. 1908, 3-25-349.


(2; L'hypothèse de roradc (RB., 1912, 1-29; païaît n'avoir eu aucun succès.
RECENSIONS. oll

leurs actes religieux, mais ils n'ont pas dû rédiger leur consentement de cette façon.
On dirait vraiment qu'ils promettent la forte somme si on les dépouille de leur
privilège le plus sacré; ils tiennent à être dépouillés! Ils auraient pu écrire : si le

temple qu'on y puisse faire au moins des encensements, etc. Bref, ils
est rebâti et

avaient mille manières d'exprimer leur adhésion humiliée, mais celle-là ne saurait en
être une.
Les lignes 10 et 11 sont ainsi conçues :

n'2n -r^T.i n[-] iSp^ ~:y nn ]p


nn;a njizS ]nS
jp litt. « nid » pour « oiseaux » d'après Sachau, est regardé par plusieurs savants
comme une forme araméenne ancieane pour ai'j (hébreu ^lï), " petit bétail ». Dans
ce cas lin signiQerait « taureau » et non « tourterelle ». Cela n'importe pas au sens
religieux ; il s'agit, de toutes façons, d'hosties animales.
Mais la négation est incertaine. La première lettre après la coupure des papyrus

est lue N, et cette lecture serait certaine si l'on devait tenir compte de ce qui paraît
être une trace d'écriture à droite eu haut, tout à fait sur la déchirure. Mais si c'est
une illusion, on devrait lire "i, car aucun x de cette page na une base aussi large.
Dans ce cas on pourrait songer à l'Z qu'il faudrait interpréter « semblablement »

(cf. 36, 4 : « de cette façon »;. Mais en supposant qu'il faille lire N, il serait encore
possible de supposer qu'il manque deux lettres; elles seraient un peu serrées, mais
•1^ serait une conjecture possible. Comme on incline de plus en plus à donner à
*l")p'3 le sens de combustion frac, ri^p), le sens serait assez bon agneaux, taureaux,
:

chèvres, combustion totale (ou holocauste). On s'étonnerait cependant que N"'^ fût
déterminé et "hpfD l'on prend xS^ pour un génitif, que Vp'Z ne
indéterminé, ou, si

soit pas à La première irrégularité serait peut-être la


l'état construit (mSp:2).
moindre. Dans ce cas nSd T^pQ serait un hal par rapport à T^yni comme dans
rh^'DD y-ZI (1, 10). Le verbe T2V à lui seul sufQt d'ailleurs à exprimer l'idée d'offrir
en sacriflce comme le prouve 1. 22.
On pourrait aussi songer à lire N*2, au lieu de N"'. Xî2 pour r!*2 se trouve dans
Esdr. 6, 8. Le sens serait : quelque combustion qui soit offerte ^cf. Xum. 23, 3 . De
ce chef l'état construit nibp"2 serait plus régulier. Mais en somme il s'agit d'un mot
inconnu et d'un état de la langue encore mal connu...
La demande des cinq notables serait ainsi en parfaite harmonie avec celle des papy-
rus 1 et 2 ce serait une tentative subsidiaire pour arriver au même résultat.
;

Seulement comment expliquer ":"") de la ligne suivante? Ungnad, Meyer, etc., l'en-
tendent dans le sens de Dan. 2, 30 « non pas des sacrifices sanglants, mais bien :

de l'encens », etc. C'est précisément cette opposition, rejetant délibérément les


sacrifices sanglants, qui m'a paru trop forte. Or, ce sens d'opposition ou de restric-
tion n'est pas le seul possible. Dans Ruth, 1, 13, le sens est <' pour cela ». Dans ce
cas "j"'^ serait comme unon traduirait, « et consequemment ».
;,; renforcé (I). Ici

Quoi qu'il en soit, s'il ne paraît pas trop étrange que les principaux de Syène aient
renoncé aux sacrifices sanglants, et qu'ils aient pour ainsi dire provoqué cette sup-
pression pour aller plus vite eu besogne, il faudra se garder de supposer que le maz-
déisme soit pour quelque chose dans la restriction tacite du mémorandum. M. Meyer

et M. Lévi ont imaginé que le respect des mazdéens pour le feu ne leur permettait
pas de tolérer que le feu de l'autel consumât les sacriQces. Mais pourquoi interdire
en Egypte ce qu'on tolérait à Jérusalem? Il serait peu prudent d'expliquer un point

(I) Marti, Grammaire, § 96 d; cf. KiCTZSCH, Die Aramâismen in A. T., p. 46.


REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 37
578 REVUE BIBLIQUE.

obscur par la situation d'esprit des mazdéens — à supposer que Bagohi et Delaiah
fussent des mazdéens — c'est-à-dire obscurum per obsmrius.
Beaucoup plus important encore est le papyrus 6 sur la fête des azymes.
M. Sachau me pardonnera, j'en suis sûr, de reproduire le texte araméen.

[^nx Sn] 1

... ]n\-iSn ^nx nhx! [n>]3:n D^inx x'îiinL*! vh^]T\ nmjji n');[-i] 2
... [•^nx S" niS'ki? NjSa p3 Nj'^atnmii- || ||1 n:u7 x"? KnrùJ n"3i s
... ]2nN 1JD p nnax nVD xn [ ]4
... ]S I
2 mi -y llllh D^^ pmf ]5
... ]x n-''2!; nmTNT ^^r^ "jt3-[ ]6
... ]N lien n uv-^zu Sdi in-^-n Sn[ ]7
... "jlDljS I
2 ainj" N'il-Dîy 21î?)2[ ]8
... liaTi l'^z lonm DjI:"!?!! iSî;-[- ]9
N[ ]10.

La ligne 11 est l'adresse : A mon frère ledoniah et sa compagnie, l'armée des


Juifs, votre frère Hananiah.
On voit dans quel état se trouve ce papyrus. A juger d'après le mot Sku?'' ou
lSxt;i qui terminait sans doute la première ligne, il ne manque guère que quatre ou
cinq lettres à gauche. Mais à droite il en manque environ vingt-cinq à la ligne 4, et

les lignes suivantes ne sont moins incomplètes que de deux ou trois lettres.

Trop souvent on a traité les lacunes comme négligeables, et raisonné sur le


document comme s'il n'y manquait rien d'essentiel.
I. 2 Hananiah se dit le frère, non le serviteur de l'ethnarque des Juifs et de la
communauté. Il est donc Israélite, mais d'un rang très élevé. Il salue ses frères au
nom de »smSn. Meyer, etc., d'après l'opinion qu'ils ont de Hananiah voient ici un
équivalent de l'hébreu oTiSn, « Dieu ». Ce n'est pas impossible, mais dans les
autres salutations N''n"'X est bien au pluriel; cf. 12, 1; 44, 1, et, d'après Ungnad,
13, 1, cas typique où N"i[nSN] est suivi de n^j, « tous les dieux ». Si Hananiah était
si strictement monothéiste, que n'a-t-il employé la formule de 14, 1 le dieu du :

ciel, et le verbe au singulier! La lacune nous dérobe le verbe Sx'U?'' ou iSx'w^- :

En tout cas Hananiah avait le choix entre deux formules usitées, et je n'admettrais
pas volontiers qu'il ait employé la formule polythéiste comme indifférente. Elle ne
lui était pas imposée par l'usage, à moins que ce ne fût par l'usage de la chancel-

lerie persane.
1. 3 T\"Z^ non pas « etc. » [Lévi], mais une sorte d'indication que la lettre va com-
mencer. Lidzbarski a rendu : cette année est la cinquième de Darius. Mais pour-
quoi cette déclaration? Donc : cette année, qui est la cinquième de Darius.

Wh^' a été interprété comme s'appliquant à une chose « un ordre, une lettre...:

a été envoyée de la part du roi à Arsam M. Arnold prétend que ce participe doit
».

s'entendre de Hananiah lui-même : il complète ayant été envoyé par le roi à Arsam,
:

j'ai visité la ville de Jérusalem etc. Ce savant cite Nni^^c? qui signifie envoyé, apôtre,
et Esdr. 7, 14-17 où n'^'^'C s'entend d'une personne. Dès lors tout serait changé.
Il ne serait plus question d'un ordre du roi de Perse, mais d'une commission du
sacerdoce de Jérusalem. Ou bien, dit M. Arnold, le gouvernement fait tout, ou il ne
fait rien. Or il ne fait pas tout, puisque Hananiah parle en son nom personnel; on

n'aura donc pas le droit de conclure de l'immixtion des Perses en cette affaire à
l'authenticité des documents royaux du livre d'Esdras.
— Mais ce dilemme est évidemment outré. Quand bien même Hananiah n'aurait
RECENSIONS. oT9

pas eu en mains un ordre du roi, il n'a pu se prévaloir d'une commission de Jéru-


salem pour les Juifs d'Egypte sans une permission du gouvernement. Et s'il était
envoyé Arsam, c'était bien pour quelque chose. II est d'ailleurs étonnant que
à
M. Arnold ne s'en soit pas aperçu dans le papyrus 11 qu'il a traduit à nouveau, :

(T'U* est employé expressément à propos d'une lettre envoyée 1. 10 PliN mu.'; cf.
1. 9). Il n'y a donc pas lieu de renoncer au sens très bien vu par M. Sachau :

Hananiah transmet à ses compatriotes un ordre royal. Il se peut que lui-même l'ait
apporté, mais il ne le dit pas.

l. 6 "j^i" « purs » lu par M. Sachau. a été accepté par tout le monde. La déchi-
rure qui précède le T (ou "i) pénètre en pointe ; si le mot est incomplet, on ne peut
supposer qu'un " .1). 'rt^l" « soyez rangés >< donnerait un sens acceptable à la
rigueur, mais la scriptio plena au pluriel est le cas le moins ordinaire dans les
verbes trilittères, tandis qu'elle est très naturelle avec N^"7. Donc « soyez purs ».

Or M. Lévi a fait remarquer que la pureté n'était exigée que pour l'immolation et la
manducation de l'agneau pascal (II Chron. 30, 18).
M. Lévi se scandalise de la traduction de M. Sachau, suivi par M. Lagrange, et
qui sépare 1"i~~7XT de ce qui suit. Cependant personne n'a songé à la modifier,
pas même M. Strack. M. Lévi préfère « et prenez soin de ne faire aucun travail ».
:

L'ethp. de "!n7 dans le Targ. d'Ez. 33, 4 signifie se mettre en garde à la suite d'un
avertissement. Il n'est pas clair que ce sens réflexe se construise plus aisément avec
ce qui suit que si l'on met un arrêt après le verbe. « Prendre soin » est en tout cas
trop vague;, il faudrait traduire « soyez avertis ».

1. 7. Suppléer ^ZZ'^ avant 'nwTl Sx. La fête de Pâques n'exclut pas le vin;
d"après la Michna au repas pascal on vidait quatre coupes, mais les boissons faites
avec des céréales fermentées sont exclues (Pesahim 3, 1), en particulier le fermenté
des Mèdes et le zythos ou la bière d'Egypte. Notre document complète donc déjà la
Bible sur ce point!
I. 9. Le mot VJ n'est pas complet: il y avait devant une lettre qu'on ne peut
reconnaître avec certitude, mais qui paraît être un :. Si on lisait *")": on postulerait
pour l'araméen ancien le sens
verrouiller » ce mot serait en harmonie
de l'hébreu (( ;

avec V2nn, « peu près certain, avec un léger doute sur la pre-
scellez », qui est à
mière lettre. D'abord on avait joint T2nn à ce qui suit, mais sans obtenir de sens
raisonnable. Le complément de ces verbes pouvait fort bien être avant.
M. Barth iOrie7italistische LitcraturzeitKug, 1912, 10) suivi par xMeyer, Lévi, a pro-
posé de suppléer T'J'J} bx iVzn ""7:a 'lz\ « et ne faites entrer (dans vos
''"t

maisons) rien de fermenté». Mais d'abord c'est répéter, dans un texte bien court,
des mots qui ont déjà paru, et surtout c'est une expression bien faible pour rendre
l'ordre exprès de faire disparaître le levain (Ex. 13, 7: Dt. 16, 4 et Ex. 12. l.5j;

on sait quelle importance a déjà dans la Michna la recherche du levain qu'il faut
absolument faire disparaître. Ce ne serait pas assez de le mettre sous clef, il faut le

brûler, le jeter à la mer, etc.


M. Arnold propose : enlevez (T>>"~ hanphel de ^S'Jj et mettez sous clef (Tzrn
d.upa'il], par exemple des marchandises traînant dans la rue... mais quel rapport
avec la Pàque?
Je pense toujours que ce sont les Juifs eux-mêmes qui doivent se fermer chez
eux. C'est le commandement de l'Exode (12, 22) : « et que nul de vous ne fran-
chisse le seuil de sa maison jusqu'au matin», commandement qui avait sa raison

(I; Ce qui exclut •r'i^-'i* « soyez en repos », proposé par M. Perles. Orient. Lî7.-Ze(7., 1911, 498.
580 REVUE BIBLIQUE.

d'être en Egypte, aussi bien à Éléphantine au v° siècle qu'à Tanis du temps de


Moïse, s'il de l'immolation de l'agneau. Mais je conviens que, dans l'état
s'agissait

du texte, ce ne peut être qu'une conjecture.


]1DT' M. Lévi (comme pis aller) « dans l'iotervalle » pendant les jours
'î'';^, d'après :
,

de la fête. Peut-être M. Lidzbarski a-t-il touché juste en proposant NiaTi 1"'2


comme un équivalent du rabbinique n'IuD;:; "jln, « au demi-jour », qui peut être
« au crépuscule )>. Serait-ce une allusion au moment où l'on devait manger la
Pâque, niSl" ^12?
Lorsque ce document désormais célèbre a été publié par M. Sachau, il lui donna
pour titre « Missive au sujet de la Pâque ». C'était plus qu'on ne pouvait affirmer,
puisque le texte ne parle pas de l'agneau pascal. Aussi n'a-t-on pas manqué de pro-
tester qu'il n'y est question que de la fête des azymes. Mais la réaction a été exa-
gérée quand on a prétendu que la Pàque proprement dite n'a pas pu figurer dans le

texte. M. Lévi prétend même que, dans l'esprit du document, « la fête de Maççot doit
évincer et remplacer la fête pascale» (1). Depuis la promulgation du Deutéronome,

on ne pouvait immoler pâque qu'à Jérusalem. Les Juifs d'Éléphantine ne s'étaient


la

pas jusqu'alors souciés de cette défense « c'est aux laïques qu'on recommande,
:

avec l'appui du pouvoir séculier, de rentrer dans le giron de l'orthodoxie, en renon-


çant au sacrifice pascal pour ne célébrer que la fête des Maççot (2) ». Cette théorie
ne tient pas assez compte d'un fait. La lettre de Hananiah est antérieure de neuf ans
à la destruction du temple (3). Et cependant nous savons par la pétition de ce
même ledoniah auquel est adressée la lettre de Hananiah, qu'on n'a pas cessé
d'offrir des holocaustes dans le temple d'Éléphantine, et qu'on tenait beaucoup à
en célébrer de nouveau après son rétablissement (1, 2.5;. Si l'autorité des Perses était
décidée, dès l'an V de Darius, à faire rentrer les Juifs dans le giron de l'ortho-
doxie, elle s'y est appliquée bien mollement; et comment ledoniah eiït-il osé faire
une pétition si contraire à des ordres aussi précis?
Il faut aussi tenir compte d'une possibilité, c'est qu'il ait été question de la Pâque
dans les lacunes. C'est au simple titre de possibilité, non de probabilité, qu'on pour-
rait proposer une hypothèse qui donnerait ce sens :

« 3 Et donc. Cette année, qui est cinquième de Darius, de la part du roi a


la été
envoyée à Arsam [une lettre ''
relative à la Pâque pour l'armée des Juifs],
Donc comptez ainsi quat[^orze jours. Et le quatorzième jour vous ferez la
Pâque], et du quinzième jour jusqu'au vingt et unième jour de ["^ JVisan. vous ferez
la fête des Azymes]. Soyez purs et soyez avertis. Aucun travail ne [" faites le pre-
mier et le dernier jour (4). De buvez pas et tout ce qui contient du fer-
bière] ne
menté P faites disparaître de vos maisons. Vous mangerez des azymes depuis le
quatorzième jour] au coucher du soleil jusqu'au vingt et unième jour de nisan [^ et
le quatorzième jour] enfermez-vous dans vos chambres intérieures et scellez. Entre
les deux jours ['" vous immolerez et vous mangerez la Pâque] ».
J'avoue qu'il serait étrange que l'ordre d'immoler la Pâque ne se trouvât qu'à
la fin; mais pu figurer déjà à la ligne 4. On ne doit pas oublier que le règlement
il a
sur les Azymes est encadré dans l'Exode 12, 15-20) entre deux règlements sur
,

l'agneau pascal (12, 1-14 et 21-28).


D'ailleurs je ne songe pas, je le répète, à donner cette conjecture comme probable.

(1) L.I., p. 170.


(2) Eod. loc.
(3) Elle est de la cinquième année, la destruction de la quatorzième année de Darius II.
(4) Ou le dernier jour seulement.
RECENSIONS. 581

C'est une possibilité cependant dont les commentaires doivent tenir compte. Dans
la partie conservée, la recoramandation dètre purs, et peut-être aussi la ligne 0, in-
clineraient vers ce sens.
Il faut aussi faire état de l'ostracon publié d'abord par M. Lidzbarski (1 et repro-
duit par M. Sachau ,'dans Ungnad n'^ 77). Quoiqu'il échappe encore à l'interpréta-
tion, on y lit très nettement (extérieur 1. .5; Nr;r£2. « dans la Pàque ». Cet ostrakon
provient vraisemblablement d'Klépliantiue, et paraît appartenir à la même époque
que les papyrus.
Il faut au contraire renoncer à l'interprétation donnée par M. Sayce de l'ostrakon
qu'il a publié dans les Proceedings of tlie Society of bihllcal archacolog;/, XXXIII,
183.
En laissant de côté la question de du moins que les pres-
la Pàque, il est certain

criptions du papyrus 6 sont relatives Azymes, qui se célébrait, d'après


à la fête des
Ex. 12, 18, le quatorzième jour au soir du premier mois, ou mois de nisan. et (jui
se continuait jusqu'au vingt et unième jour de ce mois. Mais pourquoi ces prescrip-
tions? et de quelle autorité émanaient-elles? On a déjà vu dans les notes sur le texte
que, d'après M. Arnold, les ordres sont venus directement de Jérusalem, et de la

part des Juifs les plus fidèles à la Loi : il faudra désormais pratiquer la fête comme
on le fait à Jérusalem.
L'influence de Jérusalem est indéniable, mais la pensée des Juifs de la métropole
a du moins été formulée et promulguée par le grand roi, et elle a dû subir l'em-
preinte de préoccupations administratives, désireuses de tout accorder, plutôt que
de faire prévaloir une doctrine. J'ai exagéré dans ce sens {RB., 1912, 131 s.); et

M. Lidzbarski bien davantage, en soutenant que l'administration s'occupait surtout


du chômage du point de vue des exercices militaires, comme pourrait le faire le mi-
nistère de la guerre prussien, accordant un congé pour une fête religieuse. La disci-
pline à Éléphantine n'était pas sans doute aussi stricte que dans les régiments alle-
naands Toutefois, si le rescrit émane vraiment du roi. encore que suggéré par des
!

Juifs de Palestine, il sera peu indiqué d'y voir une tentative de faire rentrer ceux
d'Egypte dans le giron de l'orthodoxie hiernsolymitaine. D'après ce que nous révèle
le mémorandum, les Samaritains étaient aussi orthodoxes que les Juifs de Jérusalem
aux yeux des Perses. Ils Pentateuque, se contentant d'une
acceptaient d'ailleurs le

toute petite modification qui égalait le Garizim à Jérusalem. Pourquoi le pouvoir


se serait-il montré plus exigeant pour Éléphantine ? Ce qu'on peut attendre d'un
pouvoir civil en pareil cas, tolérant sans abdiquer, c'est qu'il se prête à l'unification

(les usages religieux parmi ses sujets. Or tel paraît bien être le but du rescrit. Mais
il reste à en déterminer la portée spéciale.
Faut-il dire avec M. Steuernagel que ce qui est eu cause ici, c'est l'institution même
des Azymes ?
D'après ce savant, la fête des Azymes n'était pas seulement à l'origine distincte de
l'immolation de la Pàque; elle fut pendant longtemps propre au royaume du Nord.
Les Judéens ne l'acceptèrent que sur le papier, en s'appropriant l'Elohiste (Ex. 23,
1-5 ,

;
promulgation du Code Sacerdotal en 444, la fête des Azymes
enfin, avec la
devint pour eux une réalité, et ils s'efforcèrent de la faire adopter en Egypte, où elle

était inconnue. Steuernagel voit donc dans la découverte d'Éléphantine la confirma-

tion de la théorie documentaire la plus radicale.


D'après M. Arnold au contraire, la Pàque apparaît pour la première fois dans le

;1 Kphemeris, II, 229 ss.


o82 REVUE BIBLIQUE.

Deutéronome. et les textes où l'on en fait mention ne parlaient d'abord que des
Azymes !

Ce sont deux exagérations en sens contraire. Une critique intempérante n'ébran-


lera jamais, selon moi, la tradition très ferme qui rattache très anciennement la
Pâque aux Azymes. Ce qui était flottant et ne fut rattaché à la Pàque et aux
Azymes que plus tard et non sans difliculté, c'est l'offrande de la gerbe qui inaugure
les cinquante jours de la Pentecôte. Et, pour le dire en passant, je ne regarde point
la fête des Azymes comme une fête agricole, adoptée par les Hébreux au pays de

Canaan. Mais il serait trop long d'entrer ici dans le détail. Tout en tenant ferme-
ment pour la tradition, on doit co nstater comme un fait que la législation s'est dé-
veloppée et précisée. Non que je veuille trancher d'après ce seul cas la question
littéraire du Pentateuque; j'use de la liberté accordée pour des cas particuliers. Il
suffit de lire les textes. Quelques-uns ne parlent que de sept jours d'azymes au mois
d'Abib. Ce sont : Ex. 23, 15 (E); Ex. 34, J8 J) et Dt. 16, 1. Il y a là deux indices
d'antiquité : d'abord le nom de Abib, ou mois des épis, l'ancien nom, probablement
cananéen (1), supplanté par mois ou de mois de nisan;
la qualification de premier
ensuite le vague de l'expression. Dans le Deutéronome (16, s; le dernier jour seul
est chômé, et l'immolation de la Pâque ne peut avoir lieu qu'à Jérusalem.
Au contraire, dans la législation dite du Code Sacerdotal (Ex. 12, 16-18^, et dans
celle dite du Code de Sainteté Lev. 23, 4-8' et indépendamment de toute qualifica-
tion de ce genre, on reconnaît une législation postérieure, soit au nom de « premier
mois >, intermédiaire entre les anciens noms cananéens et l'adoption du calendrier
babylonien, soit à la précision des dates du 14 au 21 et à l'augmentation du nom- 1

bre des jours chômés. Je sais que le législateur peut aussi en réduire le nombre,
mais ils vont d'abord en augmentant, et la législation qui prescrit deux jours, non
seulement est demeurée en vigueur, mais a été dépassée par l'usage des Juifs qui
chôment aujourd'hui quatre jours sinon huit.
Ces faits rappelés, on est tout naturellement conduit à conclure avec M. Ed.
Meyer, que c'est la dernière législation du Pentateuque sur les azymes que le

papyrus 6 introduit à Éléphantine. C'est quelque chose comme la fixation de la


date de la Pàque chrétienne par un concile, homologuée par une autorité comme
eut été celle de Constantin ou de Charlemagne. M. Arnold a essayé d'examiner si le

rescrit d'Eléphantine se rattachait de plus près au Code Sacerdotal ou à ce qu'on


a nommé le Code de Sainteté. Il pencherait pour le Code de Sainteté. Tous deux

prescrivent le chômage du premier et du dernier jour de la fête. Notre rescrit est


muet sur la désignation des jours, à cause des lacunes. Mais le Code Sacerdotal
est le seul qui prescrive de faire disparaître le levain, et notre texte possède sûre-
ment cette disposition. On peut donc conclure en toute assurance que la législa-
tion du Pentateuque existait dès lors comme nous la connaissons. Mais nous sommes
en 419 av. J.-C.
... Et, s'il a fallu promulguer la date précise de la fête des
azymes, donc qu'elle n'était pas encore connue ou acceptée? De sorte que
c'était

si notre document ne confirme nullement, comme le prétend Steuernagel, une


critique radicale de l'histoire des institutions juives, il paraît favoriser cette théorie
du développement et des modifications législatives qui est admise aujourd'hui par
quelques exégètes catholiques.
De toute façon il reste l'intervention du roi des rois dans les affaires des Juifs,
ce grand fait, constaté si énergiquement par Ed. Meyer « La tradition historique
:

1} Eludes sur les religions sémitiques, 2« éd.. p. 27".


RECENSIONS. o83

du livre d'Esdras-Néhémie et les vues historiques fondées sur cette tradition ne


pouvaient recevoir une confirmation plus que celle que lui a apportée
brillante
cette lettre pascale de Darius II de Tan 41U av. J.-C. » ^l^
Le rôle du parti dirigeant de Jérusalem nous serait mieux connu, si nous savions
qui était ce Hananiah qui joue le rôle d'intermédiaire entre les Juifs et le gouver-
nement du roi. Serait-ce le frère de Néliémie, Hanaui (Neh. 1, 2: 7,2;? Alors on
dirait avec moins d'hésitation qu'il est venu renouer les liens de la ville sainte
avec une colonie importante, ou plutôt faire prévaloir à Eléphantine la réforme
de Néhéniie et d'Esdras, Mais le nom n'est pas tout à fait le même, et l'on ne
peut conclure dans le vide. Il est très probablement question du même Hananiah
dans le papyrus 11, où un personnage important porte le même nom, mais tout
ce qu'on peut tirer du papyrus avec certitude, c'est qu'il était en É;:ypte depuis
peu. Celte pièce semble avoir été mal comprise par MM. Sachau, Ungnad, Staerk...
Ils y voient un avis de se tenir en garde contre deux Egyptiens. M. Arnold me

parait avoir prouvé que ces deux Egyptiens avaient rendu un service signalé à
l'auteur de la lettre, qui est une lettre de recommandation (2). Mais M. Sachau
n'avait pas tort de penser que cette recommandation envoyée d'avance et non —
pas remise aux bénéficiaires —
renfermait des sous-entendus. Les Juifs recouraient
à l'occasion à des Egyptiens pour se défendre des entreprises de Widarnag (3)
leur ennemi, et devaient aussi leur témoigner de la gratitude. .Alais les Égyptiens
étaient toujours des ennemis possibles, et il fallait se garder même des meilleurs.
Ma'ouziah, le notaire désormais bien connu, était allé à Abydos, et avait été
jeté en prison par Widarnag, qui semble l'y avoir poursuivi et inculpé du vol d'une
pierre précieuse. A la fin, deux personnages, qui portent des noms égyptiens,
.Sel.ia (Ta/(,i;?) et Hùr, — grâce aussi àla protection du Dieu du ciel, — l'avaient
sauvé. Ces deux Egyptiens étaient serviteurs {Sachau) ou connaissances (Arnold),
peut-être clients, employés d'Anani ^4). Désirant se rendre à Eléphantine, ils
demandèrent à Ma'ouziah de les présenter d'avance à ses amis par une lettre
commeadatice. Ma'ouziah la donne de la façon la plus large, promettant à ses
amis qu'ils n'y perdront rien, puisque 'Anaui répondra de tout {Arnold;. Les
rapports avec lljnaaiah sont moins clairs. Dans cette partie de la lettre il n'est
guère question que de Hôr .ô). Comment ce personnage, déjà client d"Auani, est-il
encore client de Hananiah? Ce serait précisément une raison de ne pas donner au
mot ni-" le sens de serviteur, car il serait difficile de distinguer deux Hôr. Voici
donc le passage le plus important, malheureusement obscur et rendu plus difficile
à interpréter par l'incertitude de plusieurs lectures.

Donc voilà qu'ils vont là-bas auprès de vous. Veillez sur eux '6) en ce
(à Eléphantine,)
(lulls désirent. Et sur ce que Seha en surcharge Hôr) vous demanderait, tenez-vous en
leur présence ~] de faion qu'ils ne trouvent pas de mauvaise affaire.

i; L. t.. 97.
'•2) C'est aussi Tavisde M. Barth. Oriental. Lileraturzeit.. 191-2, col. 10 s.
,3) Cette prononciation approche de la vérité plus que Waidrang, car le nom doit être celui
que les Grecs ont transcrit 'rSàj-r.;.

ioi A la ligne E le scribe avait écrit Seha et mis le verbe au singulier suivi d'un pronom
au pluriel, et Hôr en surcharge. C'est comme une transition du pluriel (duel) au singu-
écrit
lier.
(6) Dans le bon sens (Arnold).
i") Sachau opposez-vous à eus.
:
584 REVUE BIBLIQL'E.

C'est ici que je vois percer la défiance. Les Juifs devront veiller sur leur con-
duite et sur leurs paroles. Pourquoi?

La fin est claire : « depuis que Hananiah est en Egypte •. Mais le début?
M. Sachau « Le : .... de Ilnoum est contre nous, depuis... », etc.

Q*ljrî serait le dieu Ilnoum. Mais il est écrit 2i:n dans les deux cas (1, 5 et Euting
B, 3) oîi il parait comme Dieu. Il est vrai qu'une femme se nomme mirin (12, 2],
et qu'on trouve aussi Clin (15.1) dans un texte obscur. M. Arnold lit N'^'iri le mot
douteux, et CZ'; 22"^ que Sachau traite comme une dittographie est pour lui
synonyme de « il y a ». Donc : « Vous savez Tafflietion qui. sans raison, pèse sur
nous depuis ». Mais c;n est hébreu, non arameen, le texte est plus que douteux.
.Te crois que le second mot pourrait se lire nV'"* : « vous savez 'il vous est
connu) ce que Hnoum est par rapport à nous, depuis... » il). L'auteur de la lettre
expliquerait pourquoi il importe que les deux Egyptiens, même dépendants ou amis
des .luifs. ne les trouvent pas en défaut : C'est que, depuis que Hananiah est en
Egypte, Hnoum, c'est-à-dire ses prêtres, sont hostiles. Mais alors, au lieu de sup-
primer les sacrifiées sanglants, ce qui ne pouvait que plaire aux Égyptiens, Hana-
niah aurait donc donné une nouvelle impulsion au culte?
On voit quelle réserve s'impose quand tant de données sont incertaines.
Sur la religion des Juifs d'Eiéphautine, les opinions sont toujours très divergentes.
Plusieurs cherchent à les innocenter de tout reproche de polythéisme.
M. Epstein n'est pas embarrassé pour trancher le nœud gordien : tous les préten-
dus noms divins ne seraient que des noms propres. Ainsi, quand le papyrus 18 sem-
main de ledoniah entre lahô, ISMbéthel
ble répartir les contributions trouvées dans la
et ANTbéihel, M. Epstein imagine que les trois derniers sont des personnages impor-
tants qui. au lieu de deux sicles, ont donné des sommes considérables! !

D'autres savants procèdent avec plus d'égards pour les textes.


On a pu voir dans cette Revue (1912, 74, note 1; l'opinion de M. Nauqui distingue
123 Juifs monothéistes de 190 Palestiniens du nord, polythéistes. Sans être aussi
précis, M. Lévi attribue le syncrétisme religieux au syncrétisme social. Il discute
soigneusement toutes les preuves de polythéisme, et ne leur reconnaît aucune
force, du moins par rapport au fidèle noyau groupé autour de ledoniah. La formule
« les dieuK > est stéréotypée: les noms théophores où paraissent des dieux étran-
• gers ne prouvent pas plus que le nom d'Isidore, chez les chrétiens — ou chez les
Juifs. "Anathiahô est une personnalité embarrassante : mais qui sait si ce ne sont
pas les étrangers qui ont formé ce nom en empruntant lahô aux Juifs? Ce n'est
pas un Juif qui jure par fjrmbéthel. c'est un colon non juif qui jure par son dieu.
Quant à la liste des contributions, M. Lévi résout la difficulté exactement comme
je l'avais fait moi-même, en supposant que dans ce cas le kérech contenait vingt
sicles d'argent.

Cette hypothèse est fort hasardée, puisque les documents d'Eléphantine ont
précisément prouvé que le kérech ne vaut que dix sicles. Cependant, dans un cas oiî

il est dit expressément qu'on calcule au poids de Ptah, le kérech vaut vingt sicles (2).

Dans le cas de la souscription, les Juifs auraient compté d'après la manière


égyptienne, non à la persane. La solution n'est pas tout à fait invraisemblable ;

(1) M. ArnoUl interprète la suite avec sagacité « tout ce que vous


: ferez pour l.lDr, vous
le ferez pour vous-mêmes (?]. Hôr est une connaissance de Hananiah •.
(2' teste L; cf. Ed.
Cowi.EY, Meyer, Sitzungsberichte der UOn. preussischen Akademic der
Wissenscltaflen. d9H, 1026 ss.
RECENSIOiNS. 080

mais son efficacité s'évanouit si, au lieu de compter 123 souscripteurs, on arrive
avec M. Meyer au total de 130 (1).
Si donc la somme que ledoniali avait en mains est supérieure à 2G0 sicles —
chaque souscripteur en versant deux, —
ou peut supposer avec le même savant
(|ue ledoniali avait déjà de l'argent en caisse, ou qu'il nous manque des noms.

Le début ne nomme que lahô, mais il pouvait bien partager avec des divinités qui
n'étaient que secondaires, et, pour ainsi dire, nue émanation de sa puissance.
L'affaire de Ilrmbétliel n'est pas plus favorable au monothéisme juif. Rien ne prouve
que le défendeur ne fût pas juif, et en tout cas llrmbéthel est « notre Dieu » (2) par
rapport aux deux personnes en cause. Je ne puis m'empécher de défendre ma pre-
mière interprétation. Il s'agit d'un personnage qui, d'après M. Lévi lui-même, « était
entré par effraction chez iMalkiah, avait battu ou violenté sa femme et s'était emparé
de ses biens » (3). Vous croyez que Malkiah va se plaindre? Pas du tout. D'après
M. Lévi (et déjà M. Meyer), c'est le voleur qui « avait même poussé l'audace jusqu'à
porter plainte contre le Juif ». Porter plaiute! mais de quoi.' assurément l'audace
eût été grande. Elle est absolument invraisemblable. C'est Malkiah qui assigne son
adversaire, et, comme il n'a pas de preuve, il lui défère le serment.
Le nom de 'Anathiahô aurait pu être composé par des Syriens. Mais qui nous
prouve l'existence de Syriens formant un groupe distinct des Juifs? Puisque 'Anath-
béthel partageait avec lahô dans la communauté de ledoniah, 'Anathiahô y avait de
même choque M. Lévi « L'une et l'autre se par-
sa place. C'est précisément ce qui :

tageaient-elles les faveurs de la colonie, ou ne formaient-elles qu'une seule et


même entité? En ce cas, Béthel et laho seraient synonymes. Quelle invraisem-
blance (4)! »
Ce sont, hélas! les questions et les invraisemblances qui se pressent constamment
dans l'étude des religions sémitiques. C'est problème toujours renaissant du poly-
le

théisme à facettes, qui fait parfois rillusion du monothéisme ou plutôt du panthéisme.


Et si les Juifs d'Éléphantine avaient été monothéistes à la façon de ceux de Jéru-
salem, ils auraient tout de même veillé sur le choix des noms qu'ils donnaient à
leurs enfants. On pourra aussi établir plus ou moins solidement que le pluriel N\~Sx
peut être synonyme d'Élohim. Il faudra se rendre dans les cas ou x'M"iN est suivi de
a^Z, c'est-à-dire « tous les dieux » (5).

11 faut donc reconnaître tout simplement le polythéisme des Juifs d'Éléphantine,


un polythéisme très mitigé, qui n'empêchait pas une monolatrie pratique. Si leur
pétition à Bagohi avait donné d'abord l'impression du culte plus exclusif d'une seule
personne divine, ne serait-ce pas parce que dans cette pièce oftieielle ils s'adressaient

au gouverneur de Jérusalem, derrière lequel ils soupçonnaient l'inlluence du grand-


prêtre auquel ils s'étaient adressés tout d'abord?
Ce polythéisme allait-il jusqu'à Tidolàtrie? Ici M. Lévi doit avoir raison de se pro-
noncer pour la négative. Que les Juifs ne parlent pas d'idole détruite dans la péti-
tion, c'est, d'après ce que nous venons de dire, un argument médiocre. Mais enfin
on ne possède aucun indice de cette idolâtrie si ce n'est le nom de Béthel, dont on
fait un étrange abus.

M. Meyer rétracte l'explication —


si évidente pourtant de « maison de Dieu », —
(1) Der Papyrusfund von Elephantine, p. o'i, note.
(2) les dieux », mais
'jn'lX pourrait être le verbe qui suit est au singulier.
(3) Loc. L, p. 180.
(4) L. l., p. 18-2.
(ij) Pap. l'2, avec le pluriel ilu verbe. Cf. pap. 13 d'après la correction nécessaire d'Unguad.
586 REVUE BIBLIOUE.

que naguère encore il donnait au mot Béthel; il ne veut plus y voir l'idée d'un
sanctuaire, mais seulement le nom de la pierre sacrée. Béthel est « un objet de culte
du temple, qui, au fond identique avec lahvé et son symbole, est devenu un être
divin à son service » (1). Béthel serait donc identique à lahvé. de sorte qu'un nom
alternerait avec l'autre, et ce n'eût pas été renoncer à lahvé que d'adorer Béthel, de
même que le culte du Sacré-Cœur n'est pas hostile à celui de Jésus-Christ. Dans le

temple de lahô trônaient avec lui Achimbéthel et Anathbéthel, appartenant au culte


du Dieu principal, à son saint symbole, quoique M. Meyer lui non plus n'ose affirmer
qu'il V ait eu dans le temple d'Éléphantine des représentations sensibles, idoles ou
pierres sacrées.
Or, on ne peut contester, en effet, que les Sémites aient divinisé les objets du

culte. L'autel ;2), le pieu sacréou achéra ,'3), la stèle (salm) (4), le trône (môtab) {ô}
et aussi la pierre sacrée ou la maison de Dieu en raccourci sont devenus des objets
d'adoration, et presque des hypostases. Mais, à l'époque où nous sommes, cette
personuificatiou était accomplie depuis longtemps, au moins pour Béthel. Aujour-
d'hui que les papyrus ont prouvé l'existence d'un dieu Bétliel. on ne peut plus douter
que c'est lui que vise Jérémie (48, 13) :

Moab rougira de Cames, comme la maison d'Israël a rougi de Béthel, sa confiance.

Béthel est ici un dieu comme Camos, et non le sanctuaire de Béthel comme le

croyait encore Duhm, et probablement une entité divine distincte de lahvé, quoique
très voisine de lui 6) et peut-être, à l'origine, un autre aspect de sa physionomie.
M. Meyer, qui n'a pas pris garde à ce texte, a trouvé Achiraat dans Amos ;8, 14). Le
fait est moins clair, car s'il s'agit bien en cet endroit d'une divinité, son nom propre
a pu être dissimulé par un scrupule pré-massorétique sous « le péché de Samarie »,
coumie le ~Tî de Bersabée a été changé en ";"»". L'illustre historien n'avait donc
pas le droit de regarder comme une fiction tendancieuse l'introduction de Achima
par les colons de Hama ;il Reg. 17. 30). Quoi qu'il en soit, Achima était honorée à
Samarie longtemps avant l'époque persane, et c'est elle qu'on a crue unie avec Béthel
dans le nom qu'on lisait dès lors Achimbéthel.
Mais alors il serait plus difficile d'identifier cette divinité, féminine, au dieu syrien
"^xj-îi-'Ao;. Lorsque M. Chapot eut publié l'inscription ^ïiatto /.al S!ja6=tûÀf;) /.al

Aio/Ti 'ii'r.: -aToôoiç. il me parut difficile de contester l'existence du dieu dans le

bétyle, et même de plusieurs dieux dans le même bétyle (7). C'est encore sur quoi
on insiste après avoir reconnu l'identité de la divinité d'Eléphantine avec SuaCiTuXo^.
Les deux divinités, 'Anathbéthel et Achimbéthel, seraient volontiers considérées
comme résidant dans le même béthel que lahvé ainsi que le suggère la théorie de
M. Meyer. du moins pour une époque antérieure. Mais précisément la découverte
d'Eléphantine lait évanouir la chimère des dieux symbétyles! Si ^Nr'"2'2U,*N est le
même que -jj.oétjXo;, comme on n'en peut guère douter, c'est donc que l'étymologie
de la forme grecque ne peut pas être tjv-ostjXoc... Symbétyle est simplement un
dieu quelconque. Mais si le nom araméen éclaire l'étymologie du mot grec, au

J) L. l.. p. ti-2.

(2 Zeus Madbachos. Études sur les religions sémitiques, 2« éd., p. l'Jl.

(3) Eod. loc, p. 17:i ss.


^4) Eod. loc, p. 503 à corriger dans ce sens.
i,o Eod. loc. j). 189.
(tj Cf. '^À*Nlw*'^Nn''2 dans Zacli. 7, 5, où le nom divin Bélliel a clé reconnu par M. Peiser
{Orient. Lit.-Z., 1901, 306 ; Belliel remplace Bel.
(7) Études sur les religions sémitiques, 2« éd., p. 196.
RECENSIONS. 587

moins uégativement, il y a choc en retour, car "'Nn''2'2CN. devenu en grec Syrabé-


tylos,ne se prononçait pas Achimbéthel, mais Ichmbétiiel, de G*»!*, avec alepb
prosthétique qui pourrait tomber, comme je l'avais suggéré {RB., 1912, 135, n. 1),
sans oser m'arrêter à cette explication (1).

C'est celle de M. Grimme. Ichmbéthel, d'après la portée du Nom divin chez les
Juifs, est la manifestation de Béthel, comme l'arche des Hébreux a pu se nommer
n'XZÏ m~i DU (Il Sam. 6, 2, %. Seulement, puisque nous avons constate la pré-
sence de Béthel dans l'Israël du Nord, il sera superflu de recruter les adorateurs

de Ichmbéthel parmi les Syriens, et de comparer ce dieu avec les dieux syriens
'^s'.'j.oi. -t;i.a, Xr,;jiÉa [Lidzbarski). Au de chercher très loin les éléments d'un
lieu

syncrétisme religieux et social, on pourra dire que « la religion des Juifs dEléplian-
tine était concentrée dans un petit cercle, fermé sur les anciens souvenirs religieux
de leur pays d'origine » (3). Seulement, il faudra reconnaîre une certaine iniluence
des Israélites du nord sur les Judéens, ce qui est assez naturel, puisque, après la

prise de Samarie, le royaume de Juda s'était un peu étendu vers le nord, et que de
nombreux Israélites de la Samarie ont du émigrer dans Juda.
Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les Juifs d'Eléphantine soient demeurés au
point où l'on en était en Judée avant la réforme de Josias. Or, on sait que le saint
roi dut expulser du temple une idole d'Astarté (II Reg. 23, 6). Le polythéisme fleu-

rissait encore au temps d'Ézéchiel (8, 14).


Il semble que ce serait faire preuve d'un zèle malavisé que de soutenir le mono-
théisme des Juifs d'Eléphantine. Ne serait-ce pas, en quelque manière, taxer d'exa-
gération Jérémie et Ézéchiel? Ces hommes de l'Esprit avaient reconnu qu'en fait de
monothéisme toute transaction est impossible, et que le monothéisme ne pouvait
donner tous ses fruits, dans l'ordre de la morale et de la religion, si on associait à
lahvé une ou plusieurs compagnes, fussent-elles aussi soumises et effacées que la
plus docile des épouses de l'Orient, ou si les manifestations de l'activité ou de la
présence de lahvé constituaient des personnalités à la fois divines et non divines,
puisqu'elles partageaient les honneurs de lahvé, sans atteindre sa grandeur. Avant
que l'humanité fût admise à distinguer des personnes dans l'imité divine, il fallait

que cette unité fut d'abord isolée dans l'infini de sa nature.


Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagkange.

Neue Fragmente und Untersuchungen zu den Judenchristlichen Evan-


gelien. Ein Beitrag zur Literatur und Geschichte der Judenchristen, von Alfred
ScHMiDTKE, in-8' de viii-302 pp. Leipzig, Hinrichs, 1911,

Les Judéo-chrétiens, leurs évangiles, voilà assurément une des questions les plus
obscures des origines chrétiennes. De nouvelles découvertes seront naturellement les
bien venues si elles contribuent à éclairer le sujet. Rappelons-en les termes reçus
jusqu'à ce jour. On connaissait par Clément d'AI., par Origène, par Eusèbe, par
S.Jérôme, un évangile selon les Hébreux; c'était, d'après Jérôme, le même dont il exis-
tait un exemplaire, en langue syriaque et en caractères hébreux, dans la bibliothèque
de Césarée.
D'autre part, s. Épiphane a fait connaître quelques extraits d'un évangile qu'il

(1) Cf. Gen. 14, 2 1:2X^2'^ lufxooop; Num. 26, 32 'TT'lDU; luiiasp cf. Jos. 17, -2.

(2) Cf. • du nom de Ba'al •, Études sur les rel. sém., 2" éd., p. 48i.
Astarté ^'J'Z DUT,
(3) Le Correspondant, 10 mai 1912. p. 478.
588 REVUE BIBLIQUE.
nomme selon Matthieu ou selon les Hébreux (1), usité par les Ébionites. Assez vo-
lontiers on identifiait cet évangile ébionite avec un évangile selon les douze apôtres,
regardé par Origène comme très ancien.
Quant aux on connaissait donc de l'évangile ébionite ceux de s. Épiphane,
textes,
et de l'évangile selon
les Hébreux les citations de certains Pères, surtout de s. Jé-
rôme, plus quelques scholies, exactement quatre, — attachées à certains —
mss. de s. Matthieu sous la rubrique tô 'louoaVxov. C'est sur ce dernier point
que se placent les découvertes de M. Schmidtke. Il a trouvé dans un monas-
tère du Bunar Dagh (sandjak macédonien de Drama), en plus des anciennes, neuf
nouvelles scholies avec la mention -6 'lojoaVzôv, mêlées à d'autres variantes. Ces
scholies étaient plus nombreuses un certain nombre a été effacé. M. S. croit pou-
;

voir ramener le manuscrit à une recension établie à Antioche, mais par un pèlerin
qui a collationné son ms. à Jérusalem, sur la sainte montagne de Siou, vers l'an
500. De ce que ces recensions sont propres à Mt., soit qu'il s'agisse de -h 'louoaV/.ov.
soit qu'il s'agisse
des variantes tirées d'autres mss., il concUit qu'elles ont été em-
pruntées à un commentaire grec sur s. Matthieu; ce commentaire doit être celui
d'Apollinaire de Laodicée, écrivain considérable, qui savait l'hébreu (2), et natu-
rellement le syriaque, langue de sa patrie. Les variantes nouvelles de l'évangile juif
où l'on avait déjà reconnu l'évangile syriaque de Césarée, ne sont point très considé-
rables. M. S. nous permettra de citer celle-ci, sur Mt. 27, 65 T6 'louoauov xa; :

-apsôtozav auToï; avooaç evo-Xouç, "va xaSir'ovTa; xax' £vav-(ov toj ar.T^\xîo'j -/.où T/ipwiiv
ajTÔv ïi;i.c'pa? xa\ vuxtoç, OÙ l'ou voit Pilate fournir des soldats aux sanhédrites pour
garder le tombeau de Jésus, qualifié de grotte. Mais on peut dire que les petites va-
riantes ont encore plus attiré l'attention de S. si l'on consultait l'cvangile dit juif sur
;

des minuties, à l'instar des autres sources d'informations qui sont les manuscrits, c'est
donc que cet évangile était très semblable au Matthieu grec canonique, et que pro-
bablement on le tenait pour l'original lui-même. Pouvait-on en dire autant de l'é-

vangile selon les Hébreux ?

La question posée, fermement par la négative. L'évangile utilisé


S. l'a résolue très
par les scholies ou plutôt par
commentateur que les scholies ont exploité, était
le
évidemment le même que Jérôme attribue aux Nazaréens, écrit en caractères hé-
breux et en langue syriaque. Avec S. nous le nommerons NE. Mais il n'est pas le
même que l'évangile selon les Hébreux (HE), dont nous avons des citations dans
Clément d'Alexandrie et dans Origène, et dans Jérôme lui-même qui a confondu
les deux ouvrages. Cependant S. ne multiplie pas pour cela le nombre des évangiles

judéo-chrétiens. Car tous les fragments qui désormais seront classés^sous la rubrique
HE, comme distincts de NE, seront aussitôt versés à l'évangile ébionite, c'est-à-
dire placés sous la rubrique EË. En d'autres termes, au lieu d'avoir HE NE, dis- =
tinct de EE; on a NE -f HE, ce dernier désormais confondu avec EE.
Au premier abord, la question ne parait pas très grave. Il existe cinquante-sept
allusions à l'un des évangiles en question, d'après S., et seulement environ trente-six
textes cités. Importe-t-il beaucoup de les ranger sous telle ou telle rubrique ?

Il importe, parce que ces rubriques représentent des sectes diCférentes, et parce que
plusieurs problèmes assez sérieux sont engagés dans cette controverse.
Il est un point que S. suppose résolu, et dont il faut parler ici puisque certaines
personnes s'imaginent encore que la bibliothèque de Césarée a contenu le manuscrit

(1) Plus exactement ce sont les Ébionites eux-mêmes qui lui donnent ce titre, avec peu de
fixité: xa/.oùfft os aùxô xaxà 'Eopaîou; et 'Eêpaixôv ôà -coùxo xaXo-jatv [llaer. 30, 3 et 13).
(-2) Suidas, citant Piiiloslorsius.
RECENSIONS. 589

authentique de l'apôtre s. Matthieu. Si le fait était exact, il faudrait vouer à l'ana-


thème Eusèbe et mêmes. Jérôme, qui ont laissé enfouir, ou peu s'en faut, un pareil
trésor. D'après S., Eusèbe a eu en etf et celte conviction, et Apollinaire de Laodicée,
qui serait l'auteur du commentaire exploité par les scholies, et s. Epiphane, mais
non s. Jérôme. Et il est clair en effet que Jérôme s'est exprimé avec beaucoup de
réserve (I). Mais l'usage de NE par Eusèbe et— supposons-le par Apollinaire, ne —
prouve pas qu'ils l'aient tenu pour l'original de s. Matthieu. Une version de cet ori-
ginal, étant ancienne, n'avait-elle pas qualité pour être entendue ? Epiphane a été
plus crédule, et c'est peut-être a lui que pensait Jérôme quand il écrivait : quod vo-
catio' a plerisquc Matthael authenticum ia Mt. sur 12, 1.3 ; secundum apostolos,
sive Ht pleiique autumant luxta Matthaeiun {Dial. adv. Pelag. m, 2) ; S. sait très
bien que Jérôme emploie le pluriel pour lesiugulier ! Quoi qu'il en soit, l'original de
». Matthieu demeure complètement ignoré.
Qu'est donc NE ? D'après S., une version syrienne assez libre, dans le genre des ïar-

gums, de l'original grec du premier évangile, connu sous le nom d'évangile selon
s. Matthieu. Cette version était usitée, nous le savions par s. Jérôme, chez les Naza-
réens de Bérée (auj. Alep^. Mais qu'étaient ces Nazaréens? A recourir à certains ren-
seignements fournis par s. Epiphane ou par Jérôme lui-même, ils ne sont ni chair ni
poisson, ni juifs ni chrétiens, flottants entre les uns et les autres, mal vus des deux
côtés. D'après S., ces Nazaréens étaient d'origine juive, mais sincèrement convertis
au christianisme; ils avaient la même foi, le même canon que la grande Église. Ils
pratiquaient encore la Loi, parce que, étant juifs, ils croyaient devoir suivre une
coutume nationale (2), mais sans l'imposer aux Gentils, et même sans chercher dans
la loi le salut qui était pour eux aussi en Jésus-Christ. Naturellement ils admettaient
la conception surnaturelle...
L'argumentation de Schmidtke est trop uniquement déduite de l'exégèse des Naza-
réens, telle que Jérôme nous la fait connaître dans son commentaire sur Isaïe(3}.
Il y aurait déjà un moyen de
la conclusion ruiner
ce serait de prétendre que Jérôme :

— ou son garant — complètement illusion. Il est en effet très remarquable


s'est fait

que l'exégèse des Nazaréens, dans quatre cas sur cinq, est une violente diatribe
contre les scribes et les pharisiens, dont les traditions sont exécrées. Nous savons
maintenant qu'une secte juive, établie au pays de Damas, avait la même haine des
traditions pharisiennes (4). Se serait-on imaginé chez les chrétiens que cette haine
était l'effet de leur adhésion à l'évangile? Mais
s'ils n'avaient été que Juifs, ces

Nazaréens n'auraient pas eu même l'évangile qui porte leur nom. Il faut donc tenir
compte des textes du commentaire d'Isaïe, très heureusement mis en œuvre par
M. Schmidtke, qui a, pour la première fois, semble-t-il, dessiné une image aussi sympa-
thique de la communauté de Bérée. Sans le moindre préjugé hérétique, elle a pu
éprouver besoin d'avoir une traduction en syriaque du premier évangile, et l'en-
le

richir de certains traits à la manière des Targums. On peut même se demander si ces
traits, dont quelques-uns sont dignes du Sauveur, ne sont pas des paroles de Jésus
authentiques, comme celle-ci « Ne soyez jamais joyeux, si ce n'est quand vous verrez
:

(1) Surtout sur Mich. 7, G Qui...crediderit evangelio quod secundum Hebraeos edilum nuper
:

transiulimus...
{-2) M^"^ Blyth, évéque anglican en mission à Jérusalem, soutient encore que le seul moyen de
convertir les Juifs au rliristianisme serait de les autoriser à pratiquer la Loi. Mais il ne semble
pas ([u'on ait tait des tentatives sérieuses dans ce sens.
3j PL., XXIV, col. 119, 1-M, I-2j, 330, 357 édition de 1843. Les chiffres indiqués par S. sont un
;

peu différents.
(i) Cf. RS., 191-2, p. 213 ss.. 3-21 SS.
590 REVUE BIBLIQUE.

votre frère en charité (l) » -, ou celle-ci, découverte par S. : « Si vous étiez dans mon
sein, et que vous ne fassiez pas la volonté de mon père qui est au ciel, je vous arra-
cherais de mon sein (2). >-

Toutefois il est difficile d'admettre sans grande raison, contre l'autorité d'Épiphane
et de Jérôme, que communauté d'Alep ait été seule de son espèce, et que ces
la

Nazaréens se soient sentis en communion si étroite avec la grande Eglise. Qu'ils aient
reçu toutle canon duN. T., il est difficile de lecroire surrautoritéd'Épiphane(3), car,
possédant un évangile qui était le leur, il est peu vraisemblable, d'après la psycho-
logie des groupes fermés — j'évite le mot de sectaires qu'ils ne lui aient pas donné —
la préférence. Quand ils citent Paul avec éloge, c'est comme apôtre des Gentils (4),
et il serait surprenant que ces observants de la Loi en aient fait leur lecture favorite.
Jérôme dislingue leur exégèse de celle des Hébreux convertis (5), et, quelle que soit sa
source, il n'a pas dû se tromper en notant leur situation équivoque (6). M. Schmidtke,
qui a un faible pour les situations violentes, me paraît avoir trop confondu les Naza-
réens avec la grande Église pour s'autoriser à retrancher de leur évangile un trait
judéo-chrétien comme la préférence donnée à Jacques, frère du Seigneur. La bonne
méthode parait être au contraire de s'appuyer sur des textes comme celui-là pour
juger des Nazaréens. Nous allons y revenir.
Il est cependant certain que les Nazaréens étaient beaucoup plus catholiques que
les Ébionites. Entre les parties non contestées de NE et EE, il y a une différence con-
sidérable. Dans EE, l'évangile est traité avec une entière indépendance. Il commence
à la vocation des disciples, qui précède le baptême. Il n'est point question de concep-
tion surnaturelle, et nous savons par Epiphane que les Ébionites la rejetaient abso-

lument. Cet évangile a certainement été composé en grec. A quelle communauté


appartenait-il? La question est regardée comme inextricable. M. Schmidtke s'est
efforcé de la résoudre eu soumettant à une analyse critique très serrée les textes du
bon évêque de Salaraine. La tentative était hardie. Voici le résultat. Dans les textes
d'Épiphane, il faut distinguer ce qu'il a pris un peu partout, et mélangé sans discer-
nement, et ce qu'il avait appris lui-même. Or il a vraiment eu connaissance d'une
communauté ébionite, vivant tranquillement vers 377 dans un petit coin de Chypre,
demême ordre qu'une autre communauté établie à Kokaba. Ils regardaient Jésus
comme le de Joseph et de Marie. Ce sont des Juifs qui ont reconnu Jésus comme
fils

le Messie, mais qui ont été récalcitrants aux spéculations de Paul, un apostat; on les
plaignait de cette pauvreté d'esprit, et, relevant le gant, ils ont pris le nom de pau-
vres {Ebionim) (7). Bien différents sont d'autres Ébionites, qui sont, eux, la secte
judéo-gnostique des Elkésaïtes. Ceux-là sont des judéo-chrétiens syncrétistes, vivant

(1) Hier, sur Epli. 5. 4.


(2) Cod. ô ;10 sur Mt. 7,5: Tb 'louSaVy.ov èvtaûOa 0"jtw; ly/A' èàv -/jte ev -zm xôXttw [j.ou y.al to

6£X-/nx.a TO-j IlaTp6;[J.ou toy èv oOpavoï; p.v) xôXtiou |xow ànoçiçi'\ioy ûfxà;.
Tcotvïxe, iy. to'j

(3j Haer. 29, 7, et cepeiulant il


ou
ne sait pas seulement s'ils croient à la divinité du Sauveur
à sa conception surnaturelle !

(4) Voir la note suivante.

(3) PL., XXIV,


1-25 Hebraei credentes in Christum hune lociini ita edisserunl... plus bas
:

Nazaraci, etc. A vrai dire on serait tenté de changer les termes, car l'exégèse des Nazaiéens est
plus chrétienne que celle des Hébreux complètement convertis Puisque Jérôme se trompe si !

facilement! ne sont-ce i)as ces derniers qui ont dit: poHleaciutem perevangeliumapostoli Pauli,
quinoinssimus apostolorum omnium fuit, inyravata est, ici est multiplicata pruedicatio, et in
terminas gentium et viam universi maris Christi eoangelium splenduit. Encore est-il que Paul
est novissimus apostolorum omnium.
(G) Dum
voluntet Judaei esse et Christiani, nec Jmlaei sunt, nec Christiani [ep. 11-2 ad Aug.,
PL., XXII. 9-24 .

^-) Schmidtke ne veut même pas les nommer judéo-chrétiens; il refuse à plus forte raison ce
titre aux Nazaréens cf. p. '248. note.
;
RECENSIONS. 591

en contact avec l'Orient et spécialement la Perse, admettant la conception surnaturelle,


observant à la fois le dimanclie et le sabbat...

Après avoir opéré ce discernement, S. attribue l'évangile des Ebionites aux pre-
miers: c'était un évangile selon Matthieu, puisque Matthieu y est pris à part par
Jésus, as Tov MxTOarov /.aOïlTofj.Evov l-\ toj teX'ovîo'j È/.xÀsaa xai v/.o).oûOr,aâç aoi (EPIPH.
Haer. 30, 13). Or Irénée, lui aussi (I, 26, 2), a parlé d'Ébionites quin'avaient qu'un
évangile selon Matthieu, et rejetaient Paul, l'apostat. 11 connaissait donc EE; c'est

cet évangile qui depuis a été nommé l'évangile selon les Hébreux et que Jérôme a mal
à propos confondu avec celui des Nazaréens.
Je concède volontiers pour ma part que EE était attribué à Matthieu (l), comme
le prouve la phrase alléguée, mais il suffisait d'y jeter un coup d'œil pour constater
à quel point il s'écartait du Matthieu canonique. On l'appellerait à plus juste titre,
d'après ce que nous en possédons, un évangile selon Luc. C'est un conglomérat dont
Zahn avait déjà reconnu la nature '2), et il est étrange que S. ait perdu de vue cet
aspect de la question. Irénée eùt-il pu dire de cet amalgame : Solo autem eo quod est
secundum Matthaeum evangelio utimtur...? De plus, si l'on distingue des Ebionites,
simples Juifs convertis au Messie, et des Ebionites gnostiques, et que l'on demande
lesquels étaient végétariens, on répondra sans hésiter : les gnostiques. Or l'évangile
des Ebionites est très résolument végétarien, même à propos de la Pàque ! Quand les
disciples demandent à Jésus : « Où veux-tu que nous te préparions pour manger la
Pâque? » Jésus répond : " E>t-ee que j'ai désiré manger avec vous cette viande la
pâque? » (Haer. 30, 22). On fait manger à Jean-Baptiste du miel sauvage, qui avait le

goût de manne, w; l^x-pii h IXafto. Et Épiphane (Haer. 30, 13; avait bien marqué
la

que c'était une manière subtile d'éliminer la sauterelle, â/.pEç. Peut-être ces Juifs
auraient-ils écarté les sauterelles comme impures, mais la Pàque! Et une autre parole
de Jésus qu'ils ontconservée déclarait, avant la ruine du Temple « Si vous ne cessez :

de sacrifier, la colère ne s'écartera pas de vous » {Haer. 30. 16 Vraiment je ne .

saurais apercevoir là un groupe de Juifs ayant reconnu Jésus comme le Messie, sans
se croire pour cela dispensés de la Loi. Il y a certainement du gnosticisme dans leur
cas, et par conséquent M. Schmidtke n'a pas réussi à dissiper les épaisses ténèbres
qui couvrent les Ebionites. Je ne l'essaierai pas non plus. Venons à sa thèse princi-
pale dont les termes sont désormais plus clairs. L'évangile des Nazaréens était ortho-
doxe et très semblable à notre premier évangile; celui des Ebionites était héré-
tique. N'y a-t-il pas, dans les fragments attribués au premier, des textes qu'il faut
faire passer dans le second? S. le pense: il attribue d'abord à EE tout ce qui était
attribué à HE, et de plus quelques passages conservés par s. Jérôme qui ne connais-
sait qu'un évangile comprenant NE et HE : en d'autres termes, comme nous l'avons
déjà dit : NE est distinct de HE qui se confond avec EE.
Cela n'a l'air de rien, mais saint Jérôme se trouve sur le chemin du critique, et
mal lui en prend Schmidtke, en effet, ne peut même aborder sa thèse si Jérôme a
eu une connaissance un peu sérieuse de l'évangile appartenant aux Nazaréens, et s'il
a su ce qu'il faisait soit en l'assimilant à l'évangile selon les Hébreux, soit en en tirant
des extraits.
Voici donc ce que propose Schmidtke. Jérôme a vu un exemplaire de NE à la

(1) Et par conséquent que cen'était point révangile des douze Apôtres. C'est aussi l'avis de
M. Amann, qui avait d'ailleurs fait de grandes réserves sur l'ouvrage de M. Schmidtke. dans sa
recension distinguée du Bulletin d'ancienne littérature et d'archéologie chrétiennes, 15 janvier
si
ii)\i. C'est la seule recension qui me soit connue.
{2j Geschichte des Neutestatnentliches Kanons. II, 732 s.
592 REVUE BIBLIQUE.

bibliothèque de Césarée, soit! mais du syriaque pour le tra-


il était trop ignorant
duire aisément. Il s'est proposé de le faire, quand
un auxiliaire compé- il trouverait
tent, et, en attendant, il a annoncé, et à trois reprises, que c'était fait, en grec et
en latin. S'il a dit de plus qu'il avait pu prendre à Bérée une copie pour son usage

personnel {!), il s'est attribué effrontément ce qui avait été le fait d'Apollinaire de
il l'a emprunté
Laodicée. Presque tout ce qu'il a dit des Nazaréens et de leur évangile,
aux commentaires d'Apollinaire sur lesÉphésiens, saint Matthieu et Isaïe. Il a ajouté
quelques textes empruntés à Origène qui parlait de l'évangile selon les Hébreux,
enfin il s'est glosé lui-même. Oui, S. va jusque-là. Jérôme avait dit « quelques-uns
pensent », et cité une opinion exégétique. Plus tard il ne s'est plus compris, a pris
les « quelques-uns » pour les Nazaréens, et l'explication exégétique pour un texte
de leur évangile! Cet homme était capable de toutes les confusions et de tous les
mensonges... par vanité.
De la vanité, il en eut, et des confusions, il s'en rendit coupable. Mais il faudrait
d'autres preuves pour lui attribuer des mensonges de cet acabit. Et en somme,
M. Schmidtke n'aurait même pas besoin de ces gros mots pour établir certains points
qui ne sont pas sans intérêt.
J'admets, pour ma part, sur la parole de Jérôme, qu'il a eu l'occasion de trans-
crire un exemplaire à Bérée, et qu'il l'a en quelque manière traduit pour son usage
personnel, en grec et en latin. Mais cette traduction se borna peut-être aux passages
divergents où les équivalents du syriaque étaient notés par lui en grec et en latin.

Jérôme n'a pas mis ce travail dans le catalogue de ses œuvres, et ce qui prouve
bien qu'il n'a rien publié, c'est que, lorsqu'il fit état, dans la controverse pélagienne,
d'un texte de l'évangile des Nazaréens, Julien d'Éclane et Théodore de Mopsueste
l'accusèrent aussitôt de tabler sur un cinquième évangile. L'accusation aurait
été beaucoup plus précise, si le texte entier avait été livré au public. De plus, nous
ne savons pas ce que Jérôme fit de ces notes dans le cours de ses pérégrinations.
S. a rendu plausible selon moi qu'en fait, quand Jérôme cite l'évangile des Nazaréens
dans ses commentaires, il se réfère à un commentateur antérieur qui est vraisembla-
blement Apollinaire de Laodicée. S'il avait eu sous les yeux une traduction suivie de
NE, il l'aurait exploitée autrement. Je ne puis songer à reproduire les arguments de
S., mais j'avoue qu'ils m'ont paru ingénieux et non sans valeur. La difficulté était

singulière, puisque nous ne possédons plus les commentaires d'Apollinaire, et qu'il


fallait donc argumenter d'une quantité absente, mais ici les scholies grecques appor-
tent un appoint précieux, puisque, comme S. l'a indiqué, elles représentent un com-
mentaire grec.
De plus ilque Jérôme a fait une confusion bien étrange, depuis long-
est certain
temps donnant comme tirée de l'évangile récemment traduit par lui une
relevée, en
phrase de saint Ignace aux Smyrniotes, mélangée à un logion apocryphe du Sau-
veur.
Voici le texte : Ignatius... scripsit... ad Polycarpum,... in qua et de evangelio,
quod nuper a me translatum est, super persona Christi fonit testimonium dicens : ego
rero etpost resurrectionem in carneeum vidi et credo quia sit, et quando venit adPe-
trum et ad eos, qui cum Petro evant. dixit eis : eccepcdpale me et videte, quia non
sum daemonium incorporale, et statim letigerunt eum et crediderunt {Devir.ill. 16).

(1) Porro ipaum hebraicum habelur usque hodie in Caesariensi bibliotheca... mihi quoque a
Nazaracis, qui in Beroea urbe Syriae hoc volumine uluntur, describendi facilitas fuit {De vir.
ill.3j. CeUe lois on dirait que c'est un exemplaire du Matthieu Iiébreu; affirmation bien légère et
qui se concilie mal avoc ce que nous avons vu de l'opinion de saint Jérôme.
RECENSIONS.^ 593

Jérôme a cru que le texte de x\E commençait à ego vem, et il a traduit l'inn vidi,
comme si Mattliieu parlait, tandis que c'était luiKice ()ui parlait encore et disait :

" je sais » (lyoi... oToaj (1). Jérôme a donc cité d'après Ignace, sans consulter le texte
de NE, et par conséquent c'est de mémoire qu'il a attribué à NE la parole ; non
sui/i daemoniiun incorpora le. Or il est très probable que sa mémoire l'a trompé, car
Origène attribuait cette parole à la Pétri doctrina, soit le Kr^pj-j-aa HiTcou (2, et il

avait sans doute raison, puisque Pierre est en scène. Mais voici ce qu'il y a d'étrange.
Dans ce cas où, selon toute vraisemblance, saint Jérôme s'est fié à sa mémoire, dans
ce cas où l'autorité d'Origène est contre lui, S. lui donne raison! Le logion du dnemo-
niinn inco/poralc appartiendra certainement à .NEet servira à prouver i° qu'Eusèbe
:

ne le connaissait pas d'abord, puisqu'il ne sait d'où vient le logion (3); 2° et sur-
tout que le texte de NE sur saint Jacques (]ui lui donne une saveur judéo-chrétienne
si caractéristique ('t). n'appartenait piis en réalité à NE, puisqu'il est inconciliable
avec le logion relatif à Pierre! Oui eût cru que S. ne se défierait pas assez de saint
Jérôme !

Jérôme a donc pu confondre l'évangile selon les Hébreux et celui des Nazaréens?...
Ce Seulement il faudrait que la distinction fût
serait assez grave, possible après tout.
prouvée. Voyons donc les neuf arguments allégués. 0« comprend que nous ne puis-
sions que les esquisser en indiquant dans quelle voie il faut chercher la réponse.
1. HE était un ouvrage grec, NE un ouvrage syriaque qui n'avait pas été traduit,

puisque Jérôme dut faire une traduction pour son compte. Réponse Du grec de — :

HE Clément a cité deu.x fois un logion de Jésus, et de même Origène, deux fois un
logion. Celui de Clément a été retrouvé dans les papyrus d'Oxyrhynque. D'autre
part nous savons qu'Hégésippe a cité des passages de HE. Ne peut-on pas supposer
que Clément et Origène ont puisé dans Hégésippe. ou plutôt dans un recueil de dis-
cours du Seigneur (o) qui aurait exploité Hégésippe en indiquant sa source?
2. Eusèbe et Apollinaire ont regardé NE comme très semblable à Mt., tandis que

HE est un évangile non canonique, dont Origène ne s'est pas servi pour commenter
Mt. —
Réponse Jérôme non plus ne s'est pas servi de NE, et l'a cité seulement
:

pour la curiosité. Nous ne savons pas exactement comment a procédé Apollinaire.


Origène ne pouvait pas le citer souvent, s'il n'était pas traduit en grec autrement que
dans une collection de Logia. Eusebe qui avait NE dans sa bibliothèque ne l'a cité
que deux fois. Tout cela ne prouve pas un traitement différent de deux quantités qui
sont encore à distinguer.
3. Hégésippe les distingue nettement : il a cité de l'évangile selon les Hébreux et

de Tou ïjpia/.oj qui ne peut être que l'évangile des Nazaréens. — Réponse : S. a beau
enfler la voix, il n'a pas prouvé qu'Hégésippe ne pouvait désigner autre chose par -h
-•JO'.ay.ôv.

4. Origène et Eusèbe (première manière) n'ont pas trouvé le dxmonium incorpo-


rcum dans HE; or Jérôme l'a trouvé dans NE, ce n'est donc pas le même ouvrage. —
Nous avons déjà vu que cette fois c'est Jérôme qui s'est trompé.
-j. Après Origène ou ne cite plus HE, au contraire NE est en honneur. S'ils avaient

été le même ouvrage, Théodore de Mopsueste n'aurait pas reproché à Jérôme d'in-

(1) Ad Sinyrn. m.
(2) De i^rinc. prooein.8, PG.,\l, 1191.
(3) H. Eccl. III, 36, M.
(4) Dans Jérôme, De viris illust. i : dominus autem cum dedisset sindonem servo saccrdotis,
ivil ad Jacobum et apparu.il ei, etc.
(5) C'est l'IiypotlR'st; à laquelle S. doit recourir pour expliquer comment un texte de >'E décou-
vert par lui ;i inspiré II Clém. i (p. 298). Toute solution bonne pjur ce cas peut être appliquée
à Clém. d'Aï, et à origène.
lU^VLE BIBLIQIE 1912. — N. S., T. IX. 38
59i REVUE BIBLIQUE.

troduire un cinquième évangile. — Je ne vois pas la force de l'argument. L'attaque


de Théodore était certainement injuste, puisque, enfin, NE existait dans la biblio-

thèque de Césarée. Théodore reproche à Jérôme d'en faire trop de cas, voilà tout.
D'ailleurs si on cesse de parler de HE quand NE vient à la lumière, ce serait plutôt
un indice d'identité. En réalité Jérôme conserve les deux expressions, mais à propos
du même objet.
6. NE est déjà vraisemblablement plus long que Mt. ; s'il faut encore y ajouter ce

qui est dans HE, il serait encore plus considérable. Or la stichométrie de Nicéphore
donne à HE 2.200 stiques au lieu de 2.500 ;d'autres 2.600) à Mt. -, c'est donc plutôt HE
seul = EE. — Réponse Nous ne savons pas
: si NE = HE ne compensait pas ses ad-
ditions par des lacunes, en particulier s'il contenait Mt. 1-2. De plus, est-il certain

que la stichométrie vise un ouvrage connu et n'est pas rédigée ici par à peu près?
Peut-on supposer qu'elle place parmi les ouvrages controversés du N. T. l'évangile
des Ébionites, si parfaitement hérétique? et cela après l'apocalypse de s. Jean, l'apo-
calypse de Pierre, la lettre de Barnabe...
7. HE est l'évangile des Ébionites qui rejetaient s. Paul (Eus., H. Eccl. III, 27, 4) ;

NE est l'évangile d'une communauté « qui ne le cédait à aucun orthodoxe pour la


vénération envers l'Apôtre des Gentils et ses écrits, et qui était irréprochable dans
la question du canon » (p. 163). La prééminence accordée à Jacques n'est pas conci-
liable avec ce caractère catholique. — C'est le meilleur argument de S. Mais il a
vraiment dépeint les Nazaréens sous un jour trop favorable. D'ailleurs, même dans
ce texte, Eusebe suppose que les Ébionites mitigés admettaient les autres évangiles,
quoiqu'ils en fissent moins de cas : twv Xo-.jiwv aiAi/.pbv Iraiouvxo Xôyov, Quant à l'épi-
sode de Jacques, il n'est point précisément contraire à l'orthodoxie-, c'est le morceau
judéo-chrétien par excellence. Où serait-il mieux placé que dans NE?
8. HE un évangile qui avait renoncé à raconter la naissance miraculeuse, les
est

deux premiers actes de l'histoire de la tentation, l'assoupissement des gardes. Sa


marche des femmes au tombeau, leur rencontre avec l'ange et le ressuscité, et qui
avait placé la vocation des Apôtres avant le baptême. Cela est inconciliable avec un
document comme NE qu'Eusèbe et Apollinaire ont pris sans hésiter pour le texte pri-

mitif de Matthieu. — Eiisèbe — sans parler d'Apollinaire — s'est bien gardé de faire
une pareille déclaration 5 il s'est servi de NE comme d'une tradition respectable qui
pouvait aider à l'intelligence de l'évangile canonique. Pour le reste, l'argumentation
de S. repose sur deux textes. Celui de Jacques a bien pu introduire une certaine per-
turbation dans le récit de la résurrection. Mais NE ne s'en faisait pas faute, puisque
Pilate, d'après la scholie découverte par S., accordait les gardes que Mt. refusait. Il ne
faut donc pas être ici trop chatouilleux.
Le second texte, cité par Origène (in Joli,
n, 12; in Jer. xv, 4) est une parole de
Jésus : « Ma mère, le un cheveu et m'a porté sur la grande
Saint-Esprit m'a pris par
montagne du Thabor » (cf. Hier. Comm. in Mich. 7, 6). Cette parole n'exclut pas
les deux premières tentations, selon l'ordre de Mt. elle disait seulement que la ;

grande montagne était le Thabor, et remplaçait le diable par l'Esprit saint. 11 est
vrai que l'Esprit saint est nommé « mère » du Christ. M. Schmidtke ne sait com-
ment concilier cette maternité avec la conception surnaturelle. Mais l'est-elle da-
vantage avec une naissance selon On a depuis longtemps vu
les voies ordinaires?
dans ce sexe féminin du Saint-Esprit la preuve que l'original était sémitique. Ce
seul fait ruine la thèse de S. (1), reposant sur l'antithèse du HE grec et du NE ara-

(1) Aussi a-l-il essayé de parer le coup en disant que l'Esprit-Saint est mère comme égalant la
RECENSIONS. 595

méen. Si un fragment appartient à NE, c'est bien celui-là. D'autant que dans un
fragment que S. laisse à ME, on Ht à propos du baptême i factum est antem, cum :

iisceii'/isset doiiànus de atjuo. descendit fans omnis: spiritus sancti et requievit saper
cum et dixit illi : fili nd. in omnibus prophetis expectaham te, etc.. C'est l'Esprit
(\y\\ dit au Christ : tu es mon fils premier-né... On ne comprend pas que S. se soit

elforcé de dissocier ces deux passages.


9. Ce sont des aiitinoiuies entre HE et NE, trois surtout. Mais si Pierre ne peut
aller avec Jacques dans le récit delà résurrection, c'est Pierre qui doit céder la place;
nous l'avons déjà vu. Le transport de Jésus au Thabor, à supposer qu'il soit question
de la Tentation plutôt que de la Transfiguration, n'est point incompatible avec la
présence de Jésus à Jérusalem dans une tentation antérieure. Si dans NE Pilate a
donné des soldats romains aux sanhédrites pour garder le corps de Jésus, rien n'em-
pêche qu'ils aient été sous le commandement du serviteur du prêtre, qui figure dans
le fragment relatif à Jacques.
Schmidtke n"a donc rien allégué de décisif contre l'autorité de s. Jérôme qui ne
distingue pas HE et ME.
Il y a au contraire contre son système un argument décisif. Si l'évangile selon les
Hébreux s'était confondu avec l'évangile des Ébiouites dÉpiphane, jamais Eusebe ne

l'aurait rangé parmi les livres controversés du Nouveau Testament.


On voit maintenant ce
penser d'une autre thèse de S., mise très en relief
qu'il faut

dans l'avant-propos. Papias aurait eu connaissance de l'évangile des Mazaréens et,


le prenant pour l'original de s. Matthieu, en aurait conclu que Matthieu avait écrit

son évangile en hébreu (ou en araméen) ; la tradition ecclésiastique sur ce point n'au-
rait pas d'autre origine i2 . Mais où S. a-t-il appris que Papias connaissait cette ver-
sion du premier évangile? Cela est plus difficile à prouver pour lui que pour un
autre. Eusèbe ne dit pas que Papias ait connu l'évangile selon les Hébreux, mais, à
supposer qu'il le dise, S. qui distingue HE de ME pourrait-il en conclure quelque
chose par rapport à ME? Et pour continuer l'argumentation ad hominem, esti-
mera-ton probable que la version exécutée en araméen pour une seule commu-
nauté juive ait été connue de Papias (3' ? S'il l'a connue, comment ne l'a-t-il pas
connue pour ce qu'elle était? Et s'il l'a prise pour l'original, n'est-ce pas parce qu'on
disait déjà que Matthieu avait écrit en araméen? Est-il donc si invraisemblable que
l'apôtre ait écrit en araméen? Le premier évangile n'est pas la traduction littérale
d'un te.\te araméen-. soit, mais pourquoi le traducteur grec aurait-il été moins libre
de transformer l'original que plus tard traducteur araméen par rapport au texte
le

grec ? En présence de tant d'incertitudes, on est confondu de l'assurance de Schmidtke.


Je veux cependant m'arrêter sur uu point positif, sur lequel son travail me paraît
avoir fourni plus de lumière, c'est le peu de cas que Jérôme a fait de l'évangile des s.

Mazaréens. Il n'était pas fâché de montrer qu'il connaissait une pièce si rare, mais
il avait constaté qu'elle ne pouvait passer pour l'original du premier évangile, et il
ne s'est pas soucié de mériter le reproche qui lui fut adressé malgré tout, d'introduire
un cinquième évangile et de troubler le quatuor sacré. Il n'était pas non plus sans
intérêt qu'un savant aussi indépendant dissipât le brouillard du prétendu évangile

sagesse, soçia, qui est du léminin, et en proposant de lire <ir. 4. lo s. sans coupure r, jxr,rr,p
<7oy r, <703:a. On lit cet argument vertigineux à la p. l-'JO.

;i) Jérôme sur


11, 2. Is.
2 L'original trouvé aux Indes par Pantène n'est sûrement pas très autlienlique,
mais l'iilsto-
riette prouve que la tradition était enracinée à Alexandrie d'assez bonne heure.
(.1 L'ouvrage de Papias ;p. 41; daterait de 150, ce (jui est plutôt tard; le .NE d'avant 150
(p. 4i),
mais sûrement pas longtemps avant. Alors'?
596 REVUE BIBLIQUE.

primilif, représentant la tradition des premiers jours, et où n'aurait pas figuré la


conception surnaturelle. L'évangile des Ebionites ne la connaissait pas, mais c'est un
conglomérat qui n'a rien de primitif. L'évangile selon les Hébreux, qui est le même
que celui des Nazaréens, si peut-être il n'en contenait pas le récit (1), du moins en
supposait le dogme. Et il est intéressant aussi que Schmidtke ait constaté au nom

de la critique que Papias, en parlant des Logia de Matthieu, employait simplement

un terme en rapport avec le titre de son livre, Àoyfwv xjp;a/.S»v llr^y/iatii et qu'il n'en-
tendait pas parler d'un recueil de discours, mais plutôt du premier évangile.
Enfin, je ne veux pas quitter le sujet sans rendre hommage à la parfaite clarté de
l'auteur. Il indique avec précision quelles sont ses positions et développe ses argu-
ments de façon à constituer un bloc qui fait impression. Les textes sur lesquels roule
la discussion sont bien classés et mis en bonne lumière. On ne peut pas lire un pareil

ouvrage sans en tirer beaucoup de profit.

Jérusalem, 27 avril.
Fr. M.-J. Lagra.nge.

Neue Petra-Forscliungen und der heilige Felsen von Jérusalem, par M. le


prof. G. Dalman. Très gr. in-8" de viii-172 pp. et 84 fig. Leipzig, Hinrichs, 1912.

Pétra garde son énigme », conclut M. D. (p. 58). Du moins ne tiendra-t-il pas à
«

la courageuse énergie du savant directeur de l'Institut évangélique allemand que la


cité mystérieuse n'ait livré tous les éléments aujourd'hui accessibles pour comprendre

mieux son histoire et pénétrer enfin son secret religieux. Depuis le beau livre qu'il lui

consacra en 1908(cf.RB., 1909, pp. 454 ss.), deux visites encore lui ont été l'occasion
de se contrôler, compléter, rectifier. Dans l'intervalle est né le plan d'une collection
intitulée « Recherches palestiniennes d'archéologie et de topographie » (2) ; le nouvel
ouvrage en constitue le t. Il et celui de 1908 devra être considéré comme le t. I'^'".

M. D. a voulu faire de ses observations de 1909-10 un exposé intelligible en lui-

même, traitant de la situation de Pétra, de ses conditions économiques, de son art et


de la religion dont elle fut le centre. Naturellement tout cela en raccourci, puisqu'il
ne fallait pas faire trop double emploi avec le t. I. Les pp. 59-78 sont consacrées au
Khazneh et 79-109 à l'épigraphie. Une monographie de la Roche sacrée à Jérusalem

occupe les pp. 110-151 et des tables, avec les copies d'inscriptions, les pp. 153-172.
Peu de lecteurs estimeront possible de lire avec fruit les 58 pp. de géographie et
d'archéologie sans avoir sous les yeux le volume de 1908. Surtout rien n'eût été plus

opportun qu'un nouveau croquis topographique enregistrant avec clarté les modifica-
tions que M. D. introduit non seulement dans l'onomastique et le relevé de ceux qui
l'ont précédé, mais dans son propre graphique et dans sa propre toponymie. I!
développe le territoire de Pétra, déplace quelques numéros de son répertoire archéolo-
gique, débaptise certaines sections de vallées ou d'autres particularités du relief. C'est

pour le de serrer de plus près la réalité (3)|; toutefois, à défaut


mieux, puisqu'il s'agit

du moindre diagramme, on n'ose se flatter d'avoir pu concrétiser le détail de ces amé-

(1) d'ailleurs admet Sclimidtkc.


Ce que
(2) Palaslinische Forschungen zur Archaeoloçjie und Topographie, éditées par M. le prof.
G. Dalruan.
(3) Il va de soi que sans contrôle explicite je ne saurais prendre le moindre parti dans les cas
nombreux où M. D. critique sévèrement la topographie de ses devanciers p. je suppose, où il : ."i,

parle des » énigmes > poses par M. Jlusil mal renseigné; cf. p. 7,10 et combien d'autres fois!
sans parler des cas où tel détail technique noté par M. iMusil, est éliminé comme « n'existant
pas » (p. '24, ou comme « peu reconnoissable et peu vraisemblable (p. 17, 36^, ni d'autres cas où
l'on déclare les notes de M. Musil « absolument brouillées » et ses indications en contradiction
avec les faits (p. 9, cf. p. 31).
RECENSIONS. 597

liorations parun recours persévérant au plan tel quel du t. I: encore la réédition de


ce graphique au t. II eùt-elle été pour le moins aussi désirable que celle de tel autre

plan où les modilications apportées étaient beaucoup plus faciles à saisir. Peut-être
se réserve-ton de nouveaux contrôles avant de présenter un plan de Pétra ne
vnrii'tvr \ .

A propos de l'art, M. D. semble tenir beaucoup à la rubrique « art pétréen », aussi

exacte à première vue que telle autre courante ailleurs, « art alexandrin », par

exemple. Prise au sens absolu que cet art, originaire de Pétra, aurait ensuite rayonné
de là, ainsi qu'on parait le dire pour certaines façades de tombes et pour le petràische
Kapitàl. elle en exagérerait l'autonomie, du moins, elle fixerait trop vite le classem.ent
chronologique des monuments connus. En parlant d' « art nabatéen », on garde le

bénéfice d'une désignation assez caractéristique, assez souple cependant pour ne rien
préjuger sur la marche évolutive de cet art. Quand les PP. Jaussen et Savignac (2)
ont écrit leurs observations sur les classifications des tombes de Pétra. ils se sont
prudemment abstenus d'en substituer une trop rigide avant qu'ait pu être accomplie
l'exploration complète du domaine nabatéen. Leur expérience de Médàïn Sàleli leur
faisait mettre eu question les « chronologies » antérieures. M. D. (p. 19) observe

qu'ils «auraient dû » en rendre M. de Domaszewski responsable en première ligne »; '

c'est ce qu'ils n'avaient en effet pas omis. En l'état actuel des informations, tout ce
qu'on peut tenter,et le regretté Puchstein l'a fait naguère avec beaucoup de succès (3),
estun essai d'évolution artistique.
Les PP. Jaussen et Savignac avaient écrit (pp. .39-5-7 sur le chapiteau nabatéen des
remarques plus nuancées que celles de M. D. ip. 20 s.; cf. L 267 ss.i. en y distinguant
trois types et en concluant à l'imitation d'un chapiteau corinthien, traitée librement
et conditionnée par cette « architecture de rocher », presque toujours à proportions
énormes. On trouvera que M. D. accentue trop l'autonomie de son « chapiteau
pétrèen » en argumentant contre l'analyse si rationnelle qui le ramène à l'ébauche
d'un chapiteau corinthien '4 1.

(I) que M. D. espère aboutira une loponymie tout à fait déGnitive. Voir ses remar-
si tant est
ques, p. Et sans doute ne faut-il pas trop s'alarmer de cet inconvéuient; cf. RB., 1900. p. 4.56.
7.
n. i. Une fois fixée la nomenclature réalisable avec les précautions que de droit, qu'importent
les variations fatales dans nombre d'appellatifs aussi communs que « ravin, col. plateau, caverne •,
ou des désignalions accidentelles, comme « tombeau à l'urne, trésor de Pharaon ». d'autres à
l'avenanl? Il m'est diflicile de saisir en quoi les voyageurs qui ont entendu el-Khazneh ou
Khaznet Firâ^oun devant le fameux tombeau du Siq ont été nécessairement les dupes de guides
loustics ou ignorants p. »î , le vrai nom devant être • hrâbet eg-gerra » (p. 59;. Cela signiUe • la
grotte rocheuse de la cruche • et le. bénéfice de celte précision onomastique applicable à plu- —
sieurs autres monuments de Pétra —
ne vaut pas tous les mots dépensés à son sujet, même si
el-Khazneh n'avait jamais été connu à Pétra avant drogmans et touristes.
Mission arcliêot. en Arabie. I. 388, n. 3.
2,1

(3) Dit nabatâischen Grabfassaden. dans VAnzeir/er d. k. deut. Arrh. Instit.. 1910,1. col. 3 ss.
4; Ni SI. de Vogiié, ni M. Puchstein, ni M. Kohi, ni personne parmi les hommes du métier
qui partagent cet avis, ne prétendent sans doute que tous les chapiteaux de Pétra sont inachevés.
Puchstein a même pris soin d'écrire expressément le contraire. Réserve faite de quelques cas où
les acautlies corinthiennes auraient pu être prévues en stuc, ces chapiteaux sont bien unis comme
l'artiste nabatéen entendait les finir pour la place qu'il leur destinait. Mais le type qui l'a guidé,
dont il a d'abord copié le galbe général et adiïpté les rapports proportionnels, est le type corin-
thien tel qu'il était conçu et traité aux temps gréco-romains. JI. le prof. Dalman a une tendance
vers les formules un peu généralisées qui sont délicates en archéologie et supposent toujours
une accumulation considérable de comparaisons techniques précises. 11 écrit par exemple (p. 19 :

• le sens esthétique auquel répondait la tombe à créneaux est en réalité loin de la sphère à la-

quelle appartient la tombe à escaliers •. J'avoue ne pas saisir du tout cette diversité de sphère
esthétique pour deux lypps très normalement évolués l'an de l'autre par les exigences intrinsè-
ques d'un même art essentiellement composite comme était l'art hellénistique. M. de Do-
niaszewski (dans Bkùnxow. Pro>-. Arabia. I, 14ti; et les PP. Jaussen et Savignac {Mission..., p. 393
s.) ont succinctement indiqué pourquoi les escaliers ont remplacé les créneaux et fourni déjà
308 REVUE BIBLIQUE.

Le nombre des sanctuaires et installations cultuelles s'est augmenté sans amener


la découverte de types bien nouveaux, ni éclaircir très considérablement le sens re-
ligieux des anciens. M.D. se montre de plus en plus persuadé que les autels nabatéens
étaient surtout des lieux d'immolation, pas des lieux d'holocaustes 'p. 49); et sa con-
viction se fonde principalement sur l'usage conservé jusqu'à nos jours parmi les Ara-
bes, ensuite sur les monuments de Pétra : ce qu'où a pris pour autels à brûler des
parfums, ou quelque partie, ou la totalité des victimes est présenté comme trônes di-
vins (11. Le P. Lagrange du sacrifice chez les Arabes avec des
a traité naguère (2}
nuauces respectant les faits et les textes. Avant d'aboutir (p. 262) à la conclusion
générale que rapelle M. D. (p. .50), « que pour les Arabes l'autel est le lieu de l'immo-
lation, non un foyer ^ il avait discuté un cas fameux (p. 257 s.) où il « est clair que
le sacrifice devait être un holocauste », et les observations de M. D. ont négligé ce

cas. Sur ce sujet aussi on évitera donc de trop généraliser (cf. BB., 1909. p. 459 s.).
Sur le caractère des stèles M. D. a des remarques très circonspectes; tout au plus
serait-on enclin à multiplier les groupes purement votifs. L'existence de thiases naba-
téens, déduite du texte de Strabon, est attestée aujourd'hui par une intéressante dé-
couverte du savant explorateur à Pétra p. 92. n'^ 73 inscr. nab. d'ed-Deir mention- :

nant « le iiKirzrhà d'Obodas-dieu) » (3'; on pourrait leur attribuer avec vraisemblance


quelques séries de stèles, mais M. D. a fait ressortir combien, dans la pratique, la

distinction demeure épineuse. Tel numéro du répertoire des choses sacrées, le « dou-
ble cercle <i n° 509 (I, 282) disparaît (II, 49 comme « simple jeu de nature <>.

La monographie du Khazoeh aboutit à cette conclusion : « monument funéraire


ouHéiôon 76), que son style suggère d'attribuer « au i'"" s. ap. J.-C. »
» (p. ce qui :

du goût de la Rcuie, où l'on sest attaché périodiquement, depuis 1897,


est tout à fait

à parler de tombeau et d'époque d'Hadrien. M. D. émet l'hypothèse concrète d'un


cénotaphe pour Arétas IV ou Rabel II p. 77 s.) elle ne vaut ni plus ni moins que ;

celle de Hittorff, — « cénotaphe » d'un <f chef militaire » ayant coopéré « à la con-
quête et au gouvernement de l'Arabie » 4) sous Trajan et Hadrien. — et nous voici
revenus au point de départ dans l'étude de ce monument. Au lieu d'un dépeçage plus
ou moins artificiel, Hittorff en faisait saisir par une formule limpide l'idée artistique :

superposition d'un temple circulaire à un temple hexastyle pour constituer un temple


funéraire grandiose. Un artiste romain avait réalisé cette combinaison avec une heu-
reuse harmonie dès le milieu du i^'" siècle de notre ère dans la peinture de Pompéi et
dans lédifice réel qu'elle représentait: un architecte romain, peut-être un protégé de
<

quelques analogies qui avaient paru bonnes à M. Puclistein. car il les a développées avec une
érudition vaste et sûre; M. D. ne dit pas pourquoi cela lui i)arait difficilement acceptable >

,p. 19, n. 3). Dans une façade dont toute l'épure se trace sur un module liellenisli(|ue. est-il si
invraisemblable que les motifs augolaires du couronnement dérivent d'un élément hellénis-
tique?
(1 de Zibb 'Atouf avec sa fosse centrale (Savkisac. RB., 1903, p. -28-2 s.) est explique
l.'autel
comme d'une pierre sacrée le rendant identique à l'autel d'el-Me'ésara dont la plate-
le socle
forme offre une protubérance assez irréguliere avec une cupule I, 289 s.. II, 50;. La variété de
formes p;iraît d-nidement plus qu'accidentelle et il semblera diflicile (jue dans deux installatinns
cultuelles iinalngues le principal autel ait et(' ici un bét>le mobile inséré dans une base, là un
rudiment d'omphalos. L'autel betylique central flguré sur le linteau d'el-Oumtd'iyeh voir main-
tenant BLTLF.r.. Ane. Archil., II, A 2, Ug. 68 s.) n'est pas décisif, tout en demeurant impressionnant.
[•Ti Étud. relig. sémil. •. p. 23'» ss.

i3) M. D. reprend à ce propos la (juestion du Mar/.éhâ-Maïoumas syrien, pour éliminer le carac-


tère plus ou moins orgiaque de la fête établi naguère par M. Clerniont-(. anneau et .M. Biichler
(cf. R D.. 190-2. p. l.'iO s. et depuis, Ci.-Gaxxeai. Recueil.... IV, 339 ss.: cf. 380 s.;. Son argumenta-
tion ne parait pas décisive.
(4) Mémoire sur Pompéi ei Pétra. p. 409 s., dans Mém. de f'Acad. Inscr. et B.-L., XXV. n, pp. 377
ss.. surtout 390 ss. (en 18C6.. .A la p. 410 Hittorff parle explicitement encore de ce • tombeau d'un
général • et analyse fort correctement la décoration symbolique de ce cénotaphe ». Sa descrip •
RECENSIONS. 599

Trajau ou d'Adrien » ip. 397), la réalisa en sculpture sur un rocher de Pétra. La date

que HittorfF déduisait avec une vue si juste, malgré la documentatinu insuffisante
dont il dispoî^ait, est bien celle que suggère une étude raisonnée de la structure du
monument ainsi avaient conclu MM. Brunnow et de Domaszewski {op. !.. I, iSfii,
:

ainsi M. Kohi [Kasr Firaun, p. 42 s.:, ainsi M. Thiersch [Jalirbuch d. kais. deul. Ar-
chaeol. Inst., XXV, 1910. p. OG s. 1 pour ne citer que des spécialistes et autant que
possible ceux qui ont été à même de former leur jugement sur place et non sur des
documents imparfaits. En 1908 M. D. disait (I, -17, 1,32) « certainement... hellé- :

nistique, non romain tardif » ; il dit aujourd'hui (II, 77) « plus correctement » le :

« i^' siècle après J.-C. » et semble écarter a le ii*^ siècie ». Espérons qu'il détaillera

les motifs techniques de cette limitation stricte dans un nouveau mémoire qu'il

annonce (p. o9).

L'épigraphie comprend 93 textes nabatéens dont 76 inédits et les autres modifiés et


grecs. Quoique le plus grand nombre
proscynèmes usuels, ils ont cepen-
consiste en
dant leur intérêt religieux linguistique et parfois historique. Les deux textes les plus
remarquables —
après celui qui mentionne le thiase d'Obodas déifié sont lesn"* 90 —
et 92. Ce dernier, découvert par M. le D" Rarge, est malheureusement en fort mau-

vais état. Il est entré dans la collection de l'Institut évangélique et M. D. en a déchiffré


avec la plus heureuse perspicacité tout ce qu'il pouvait livrer. C'est une généalogie de
la famille royale nabatéenne vers la seconde moitié du i^*" siècle de notre ère (2).

La monographie de Jérusalem sera d'autant mieux accueillie qu'elle


la Sakhrah à

est faite avec une précision parfaite au point de vue descriptif et une très peu com-
mune érudition dans le commentaire archéologique où doivent intervenir des sources
juives d'une utilisation très ardue. A cela s'ajoute que les incidents déplorables sus-

cités à l'oci-asion des fouilles de 1911 ont rendu la Roche inaccessible pour de longues
années peut-être (3 . On sera donc particulièrement reconnaissant à M. Dalman de
lavoir étudiée naguère avec la plus persévérante attention et de la faire aujourd'hui
connaître en détail. Il a tiré de cet examen et de la critique des sources apparem-
ment tout ce qu'on en pourra jamais tirer pour retracer les transformations succes-

tion de la fresque de Pompéi et l'interprétation architecturale qu'il en a donnée (pi. vn-viu} au-
raient dû éclairer plus avantageusement sur divers points la nouvelle description du Khazneli.
^1) A la fin de ce mémoire, consacré à la nécropole des rois à Alexandrie. M. Tliiersch écrit do
très importantes remarques sur les influences alexandrines dans le bassin oriental méditerra-
néen. Peut-être les pousse-t-il trop loin dans le détail ; M. Puclistein Anzeiger.... 1910, col. 40
donne une formule mitigée excellente l'art alexandrin est une sorte de ferment qui suscite les
:

nuances des arts locaux. Mais M. Thiersch a une conclusion féconde (p. 9") sur l'origine des tem-
ples funéraires ou heroa hellénistiques; et si M. HittorfF eût connu le • tombeau à urne • de Pé-
tra précédé de son péristyle dont ia façade seule s'est efTondrée avec les substructions qui la
portaient, son commentaire architectural de la fresque de Pompé! eût été plus lumineux encore,
cf. aussi la fresque de Boscoreale reproduite dans Kohi {op. l., p. •40. fig. 3").
(-2) Le commentaire très sobre de cette délicate épigraphie est fort soigné et les lectures réali-
sent toujours au mieux les fac-similés. Tout au plus voudrais-je exprimer un doute sur la lecture
~X2T\ Hania ^p. 84, n° -30). L'idée de voir là le soleil, hammù
p. 2o\ n'est guère appuyée par la
ligure enfantine tracée au-dessous (Og. 12). On y verrait plus volonUers une commémoraison peu
Dattée du pèlerin qui a gravé là son nom; cf. la figure en relation avec des pieds à ^Abdeh {RB..
1905, p. 239 .

M. D. (p. 129) rappelle l'information donnée par le P. Lagrange [RB., 1911, p. 441) que le fa-
(3)
meux puits desàraes devient une pure légende depuis la fouille anglaise et les sondages réitérés
de la commission d'enquête. H lient, lui, du personnage qui dirigea les réparations dans la caverne
que le roc n'aurait été atteint nulle part. Je doute de la compétence ou de la sincérité de cet < on
dit «.L'information livrée par le P. Lagrange dérive des explications fort précises et d'un croquis
obligeamment comn. uniques par M. Macridy-bey. Le savant délégué des musées impériaux était
.-^ans contredit l'homme le plus qualifié de la commission i>our observer des détails archéologi-
ques. Il a ru qu'on avait enlevé le dallage sur plus de la moitié de la surface, il a touché le roc
et viesuré la cavité.'
600 REVUE BIBLIQUE.

sives du Rocher sacré. Mais surtout


il a fait la preuve déBuitive que là-dessus se
trouvait l'autel des holocaustes. Ce point est essentiel pour l'intelligence du Temple
et ce sera le principal mérite du nouveau livre de M. le prof. G. Dalman de l'avoir
établi {{).

Jérusalem.
H. Vincent, 0, P.

li'Ecclésiaste, par E. Podechaed, in-8" de xvii-ôOO pp., Paris, Gabalda, 1912.


Ce volume fera grand honneur à la collection des Études bibliques, dirigée parles
maîtres de l'Ecole dominicaine de Jérusalem.
Je ne connais, pour ma part, aucune étude du Qohéleth qui soutienne la compa-
raison avec celle-ci. Les problèmes d'ensemble que soulève ce livre si singulier sont
repris avec patience, discutés à fond, résolus avec cette modération et ce souci des
nuances qui reposeront les critiques des chevauchées hasardeuses auxquelles tant de
leurs devanciers se sont laissé entraîner. L'auteur scrute avec la même maîtrise les
multiples questions de détail que suscite un texte, parfois malaisé à rétablir à raison
des altérations qu'il a subies, plus souvent épineux à entendre grâce aux assertions, à
première vue déconcertantes, qu'il renferme. Pour le fond, l'œuvre de M. Podechard
prend place parmi celles que les Allemands qualifieraient le plus volontiers de griind-
lich. Mais la forme est éminemment française. Le style n'a rien de ce qui semble
caractériser l'érudil, on pourrait souvent dire le compilateur, d'Outre-Rhin. M. Pode-
chard connaît les principaux auteurs qui ont parlé de l'Ecclésiaste avant lui; il les a

lus, il a patiemment discuté leurs opinions. Mais il s'est fait la sienne en toute indé-
pendance, et c'est pourquoi il l'énonce si nettement. J'ai retrouvé, en le lisant, les

qualités de clarté, de précision, de flnesse me frappaient en lui lorsque, il y a


qui
près de vingt-cinq ans, nous écoutions les mêmes maîtres à l'institut catholique de
Paris.
UEcclrsiasie comprend d'abord une Introductiu)i très développée; il se distingue
ainsi avantageusement de plusieurs volumes des Études bibliques.
La première question concerne la canonicité de l'Ecclésiaste. Le cas du Qohéleth
est, à cet ég;ird, assez particulier, au moins parmi les livres protocanoniques. Dans

une assemblée de docteurs juifs tenue à Jamnio, entre 90 et 100, une décision fut
rendue en faveur de l'inspiration de notre hagiographe. Provoqué, ainsi que nous en
avertit R. Aqiba lui-même, par les négations de plusieurs rabbins, ce décret ne
réussit pas à lever toutes les incertitudes : d'autres documents témoignent que les
doutes subsistaient encore en 130. Quelle était la portée de ces hésitations et des
discussions auxquelles elles donnaient lieu? Les textes rabbiniques eux-mêmes prou-
vent qu'il ne s'agissait pas d'introduire l'Ecclésiaste dans le Canon, mais de l'y con-
server. A cette date, par conséquent, — les témoignages fournis par les littératures

juive et chrétienne le couflrment, — l'hagiographe était pratiquement traité comme


canonique. La discussion relevait des disputes d'école, et l'opposition venait surtout
des disciples de Schammai. Mais la teneur même de la discussion prouve qu'au temps
où elle s'agitait. l'Ecclésiaste était depuis longtemps canonise: les objections sont
exclusivement tirées du contenu du livre, jamais de son admission récente dans le

recueil sacré. Aussi bien, les idées qui sont de premier plan dans le Qohéleth invitent
plutôt à reporter dans un passé déjà lointain son acceptation comme écrit inspiré :

« plus on retarde l'admission de l'Ecclésiaste au rang des Écritures, plus le progrès

(I) La coriccli(H) typograpliique est irrépi-ocliable. A peine pourra-t-on noter des formes comme
beibl (p. 50), ûerzeugte (p. o",i, desen (p. 133 où l'on attendrait desse7i, ûberzeugle, blcibt.
,
RECliNSIONS. 001

des doctrines la rend difflcile à expliquer. » Et M. Podecliard conclut : « LEcclé-


siaste devait donc se trouver dans la collection des livres saints déjà au cours du
i'"" siècle avant Jésus-Christ, et il n'est pas prouve qu'il n'y fût pas auparavant. » On
ne saurait trop louer la sagacité avec laquelle est menée l'analyse des témoignages
rabbiniques, souvent si complexes.
Le second chapitre de Vlniroductiott est consacré à des Xotcs sur l'interprétation
'te VEcdésiastc. Les objections des Schammaïtes contre l'inspiration de notre hagio-
graphe trouvaient leur point de départ dans un certain nombre de passages qui con-
trastaient avec le reste du livre et pouvaient blesser des âmes arrivées à un stade plus
élevé de la pensée religieuse. Ces contrastes n'échappèrent pas aux exégètes juifs des
siècles suivants. Les uns, il est vrai, surent pallier les difficultés en faisant une part
très large à l'allégorie et aux sens spirituels. D'autres distinguèrent deux phases dans
la vie de Salomon, et virent dans l'Ecclésiaste des allusions aux égarements du roi
qui, châtié et même détrôné pour ses crimes, s'était par la suite converti. Un plus
grand nombre, à la suite de .Saadia. entendirent, dans le Qoheleth, l'écho de plu-
sieurs pensées : celle de Salomon. mais aussi celles d'adversaires, supposés ou réels,
des saines croyances; on parla même de dialogue. Peu s'en faut que les exégètes
chrétiens n'aient suivi des voies analogues. L'exégèse moderne devait, avec plus de
méthode, reprendre contact avec ces difficultés. Déjà avant Aben Ezra (milieu du
xii« siècle}, un commentateur juif, frappé des divers courants d'idées qui circulaient
dans l'Ecclésiaste, proposait de traduire Qoheleth par « assemblée », et voyait dans
notre livre l'œuvre d'un groupe de disciples de .Salomon, renfermant les pensées di-
vergentes de chacun d'eux. Luther, en ses Propos de talj'e, aurait à son tour traite
lEcclésiaste comme une œuvre composite. Mais il faut arriver à Grotius (1G44; et
• surtout Eichhorn pour voir prendre corps à l'opinion qui est aujourd'hui celle de la

majorité des critiques. Les variations se manifestèrent aussi touchant l'objet général
du livre. On avait parlé, — c'était ne tenir compte que d'une série de textes — de
Qoheleth comme d'un homme tout pénétré de la vanité des biens du monde et nous
donnant une leçon de détachement total. Luther et d'autres à sa suite, ramenèrent
lanote dominante du livre à celle d'un eudémonisme tranquille, religieux d'ailleurs,
aboutissant à cette maxime qu'il faut jouir des biens présents avec paix, joie et re-
connaissance envers Dieu. C'était encore ne voir qu'une partie des textes. La vraie
formule devait être, aux yeux d'une exégèse plus attentive : vanité de la vie, jouis-
sance modérée, réglée d'ailleurs par la religion. Ce chapitre prépare l'exposé que
M. Podechard nous fera deses propres vuessur la composit'ion du livre ;il esta regret-
ter que ces deux sections de l'Introduction ne soient pas plus rapprochées l'une de
l'autre.
Dans un troisième chapitre est renfermée Vamilyse du livre. Il est ensuite question
de la langue de rEcdésiaste. « E'examen grammaire
soit du vocabulaire, soit de la

de l'Ecclésiaste permet de conclure que sa langue est au dernier terme du dévelop-


pement de l'hébreu biblique. Le vocabulaire de l'Ecclésiaste est en effet caractérisé
par la présence 1' de mots hébreux tardifs, c'est-à-dire qui ne se rencontrent que
:

dans les derniers livres de la Bible hébraïque; 2'' de mots d'importation araméenne;
3'^ de mots néo-hébreux, inconnus au reste de la Bible, mais employés
par la Miehua
Quelques-uns de ses procédés grammaticaux ^morphologie ou syntaxej sont, de
même, propres à l'hébreu tardif, à l'araméen ou au néo-hébreu. La thèse de
^L Podechard est. ce me semble, abondamment prouvée. J'aurais aimé toutefois
plus de nuances dans le développement du premier argument la marge e^t large, :

pour l'appréciation des dates, quand ou groupe dans une même série le mémoire de
602 REVUE BIBLIQUE.

IVéhémie qui est de peu de temps postérieur à 438, celui d'Esdras qui se place sans
doute peu après 398, les parties des livres d'Esdr.-Neli. qui appartiennent au Chroni-
queur et sont de dates notablement plus récentes. M. Podechard termine en étu-
diant la question des grécismes et des latinismes de TEcclésiaste ; il la résout, fort
justement, dans le sens de la négative.
Les chapitres suivants, l' Eccli'siaste et Ben Sira^ VEcclésiaste et le livre de la Sa-
gesse, VEcclésiaste et la littérature apocalyptique, l'Ecclésiaste et la doctrine des Pha-
risiens, des Sadduccens et des Esscnicns, pourraient se grouper sous un titre commun :

L'Ecclésiaste et la pensée juive. Après un judicieux examen des ressemblances


textuelles et des affinités d'idées entre Ben Sira et Qohéleth, M. Podechard conclut,
d'une part que l'on ne saurait attribuer la priorité à Ben Sira sur Qohéleth, d'autre
part, qu'on ne saurait établir une dépendance certaine du premier par rapport au
second ; les coïncidences s'expliqueraient suffisamment par les préoccupations géné-
rales d'une époque ou par la connaissance que Ben Sira témoigne de l'ensemble des
livres du Canon. Il a moins de peine à montrer, contre Schmidt et autres, que la
Sa/jcsse ne se propose pas de corriger les propositious de l'Ecclésiaste qui, mal com-
prises ou à raison des préjugés pharisiens, pourraient sembler scandaleuses. Peut-être
est-ce aller plus loin que de raison que d'exclure de l'Ecclésiaste toute influence de lu
littérature apocalyptique j'ai peine, pour ma part, à bannir l'impression que Qohé-
:

leth essaie de désabuser ceux de ses contemporains qui se laissaient impressionner


par les rêves d'avenir des voyants. La question serait bien plus avancée, il est vrai,
si l'on pouvait marquer, par des dates précises, le point de départ des mouvements
d'idées qui remplissent les derniers siècles du judaïsme préchrétien.
V Eccli'siaste et la philosophie grecque est comme la contrepartie de la section
précédente. Il n'est pas trop malaisé d'établir qu'on l'ait fausse route, à des degrés
divers, en imaginant des rapports directs de l'Ecclésiaste avec l'aristotélisme, le
stoïcisme, le système d'Epicure ou celui d'IIéraclite, avec la culture hellénique. Qo-
héleth est dans cette bonne tradition des Juifs, qui se faisaient un point d'honneur
de ne se mettre à l'école de personne. Mais une question plus générale se pose, que
i\L Podechard résout fort élégamment « Est-ce à dire qu'il faille écarter de l'Ecclé-
:

siaste toute hypothèse d'iulluence hellénique? Le peuple hébreu n'a pas vécu en vase
clos et sa pensée ne s'est pas développée à Tabri de toute action venue du dehors.
L'étude de la sagessse en particulier n'était pas indépendante de certaines relations
étrangères... En en l'adoptant, les Juifs cessaient d'être
s'initiant à l'araméen, puis
un monde fermé, ou plutôt moins que jamais isolés du reste du monde...
ils étaient
L'Ecclésiaste n'est pas entré en contact direct et iumiédiat avec les œuvres des phi-
losophes grecs; mais il n'a pas dû échapper complètement à la diffusion de leurs
méthodes et de leurs idées. »
Au moment est venu
fond, tout ce qui précède n'est que déblaiement de terrain. Le
d'entrer en Le chapitre x sur V Arrière-plan
contact plus intime avec Qohéleth.
historique du litre n'a d'autre but que de montrer les points faibles des systèmes
qui ont voulu établir des rapprochements trop étroits entre les portraits de l'Ecclé-
siaste et tels ou tels personnages de l'histoire juive postexilienne. C'est dans le cha-
pitre suivant que M. Podechard expose ses propres idées sur Fauteur et ht date de
l'Ecclésiaste. Nous lui donnons volontiers la parole.
S'appuyant sur les dires de nombre d'exégètes catholiques, notamment des PP.
Condamin et Joiion parmi les plus récents, il écrit « On peut donc considérer l'ori- :

gine salomonienne de TEcclésiaste comme abandonnée de tous... On a déjà dit que le


livre était écrit dans un hébreu tardif et que les circonstances historiques qu'il reflète
RECENSIONS. 603

ne sont pas celles de l'époque salomonienne. Si. par impossible, on pouvait reporter

le une date si reculée. Salomon serait le dernier des hommes de son temps
livre à
à qui on en pourrait attribuer la composition. On ue conçoit pas un roi si sage faisant

de lui-même, de son règne et son administration la satire la plus cruelle et même, si


l'on s'en rapporte à I Reg. m, iv; ix. 1.5-23; x. la plus cruelle et la plus fausse... La
difGculté n'est pas d'exclure Salomon son époque, mais de tixer d'une faron positive
et

la date de composition du livre. Sa langue, notablement plus tardive que celle de la


prophétie de Malachie, et même que celle des a mémoires » d'Esdras et de Néhémie,
analogue à bien des égards à celle des Chroniques. d'Esdras-Néhémie et d'Esther, ne
permet pas de le faire remonter plus haut que les dernières années de la domination
persane, laquelle prend lin en 33i'. Bien plus, si l'on compare l'Ecclésiaste aux derniers
écrits que l'on vient de nommer, la présence chez lui d'un plus grand nombre de termes
et d'usages araméens et néo-hébreux favorise nettement Thypothèse d'une date encore
plus récente. D'autre part, la nature des rapports textuels entre l'Ecclésiaste et l'Ec-
clésia.stique nous interdit de descendre au delà de 180... Les considérations historiques
peuvent s'interpréter en faveur du m*" siècle.... plus probablement de la seconde
moitié du iii'^ siècle. » L'Ecclésiaste a été écrit à Jérusalem. On ue sait rien de la vie

de l'auteur, et il son portrait d'après son livre, puisqu'il signale,


est malaisé de faire
autant que ses expériences personnelles, les faits qu'il a observés autour de lui. 11
n'était plus jeune quand il écrivit: il avait déjà vu tant de choses! ... Il ne faut pas tou-
tefois lui appliquer le portrait de la décrépitude de l'âge qui figure xii, 2-6. Il n'est

pas sûr que sa vie ait été fort traversée; ce sont surtout les misères courantes de
l'humanité qu'il décrit. Tenons-nous-en à ces notes réservées: dans la suite, AL Pode-

chard en connaîtra davantage, un peu trop peut-être, sur son personnage. C'est par
une fiction transparente que l'auteur s'identifie momentanément avec Salomon.
Quant au titre de « Qohéleth », M. Podechard nous semble l'interpréter fort jus-
tement par « chef d'assemblée » des sages: la forme féminine s'expliquerait comme
celle d'un titre abstrait, analogue à nos Excellence et Majesté.
L'auteur de l'Ecclésiaste? Faut-il parler d'un auteur ou de plusieurs? C'est à

ce problème qu'après une étude sur le styleforme métrique de cet écrit.


et la
M. Podechard répond sous le titre : Composition du livre. Il reprend l'histoire de
son interprétation. Les divers courants d'idées qui se manifestent dans l'Ecclésiaste
devaient nécessairement conduire à l'hypothèse de la pluralité des auteurs. Siegfried
donné sa forme la plus rigoureuse. M. Podechard réexamine le
est le critique qui lui a

problème avec beaucoup d'indépendance et de modération. Il distingue, dans l'Ecclé-


un
siaste, écrit fondamental, d'une réelle unité doctrinale et littéraire, développant le

thème de la vanité de toutes choses et de la jouissance modérée de ce que Dieu met


à la disposition de l'homme. Ce document qui. dès cette date, put paraître hardi,
fut reçu, moins à cause de la fiction salomonienne qu'à raison du prestige de l'au-

teur. Composé pour les sages, dont l'auteur était le président, le livre demeura

d'abord en leurs cercles. A mesure que la mémoire du Qohéleth allait s'éloignant.


l'Ecclésiaste devint un thème à discussion, peut-être un manuel d'ense-ignement, et
l'on ne se fit pas faute d'y toucher. Un disciple ajouta l'épilogue xii, 9-12, consacré
à la louange de l'auteur et des lui-même
sages; il appliquait d'ailleurs à l'auteur
l'épithète de Qohéleth que celui-ci avait attribuée à Salomon. Au cours du livre et
dans des contextes favorables, l'Épiloguiste insera quelques-unes des maximes les
plus familières à son maître que toujours il appelait Qohéleth (i, 2; vu, 27-28:
XII, 8 Dans la suite, des sages, dont la raison collective peut s'e-xprimer par le
.

terme de hâhâm, trouvèrent que la sagesse était un peu malmenée dans ces pages;
604 REVUE BIBLIQUE.

à des dates diverses et souvent dans le style lapidaire de la littérature hagiographique,


ils ajoutèrent des maximes qui constituaient une sorte de plaidoyer pro domo :

IV, 5, 9-12; y, 2, 6-^ vi, 7; \II, 1-12. 18-22; viii, 1-2% 3-4-, ix, 17 - x, 4, 10-14'.
15-20; XI, 1-4, 6, peut-être iv, 13-16; v, 7-8; vu, 18, 21-22; xil, 2-6; peut-être
enfin i. Cependant d'autres habitués du cercle des sages, estimaient certaines
8.

assertions un peu osées; l'un d'eux, un juif pieux que Ion désigne sous le nom de
hâsid. estompa les traits particulièrement durs, et se remit à insister sur cette doc-
trine de la rétribution temporelle que l'auteur paraissait avoir un peu méconnue;
M. Podechard lui attribue ii, 26^''; m, 17; vu, 26"; vin, 2i>, 5-8, 11-13; xi, 9^;
:

XII, 1% 13-14. C'est muni de ces additions que le livre entra dans la circulation
générale et prit place au Canon. M. Podechard le fait remarquer, la pluralité d'au-
teurs ne présente pas pour les livres de sagesse les inconvénients qu'on pourrait
avoir à redouter pour les livres historiques et il n'y a rien non plus d'étrange à ce
qu'un auteur inspiré soit interprété par un autre.
La Doctrine de Qohéleth est résumée dans un exposé très succinct. M. Podechard
examine d'abord ce que l'Ecclésiaste dit du problème de la vie, le point central de
tout le livre; puis de Dieu, de la morale, de la sanction. L'interprétation de i, 4-1 i,

ne serait-elle i)as un peu forcée, et l'Ecclésiaste se préoccupe-t-il vraiment d'exclure


l'hypothèse d'après laquelle les générations accompliraient une œuvre de progrès'?
Le paragraphe consacré à la sanction est particulièrement suggestif. Il est ensuite
question des prétendues erreurs de Qohéleth (scepticismej^incrédulité, négation de
l'immortalité de l'àme. épicurisrae, déterminisme, pessimisme, égoisme) : M. Pode-
chard n"a pas de peine à mettre au point de vieilles objections trop longtemps ressas
sées; le lecteur se repose avec lui eu examinant le rôle de Qohéleth dans le dévelop-
pement de la religion et la valeur permanente de son reuvre. Le dernier chapitre est
consacré aux Texte et Versions.
INous nous sommes trop étendu snr Vlntroductio)! pour parler longuement <hi
commentaire. Le plan en est très simple. L'auteur prend successivement chaque
verset; il examine la leçon massorétique avec ses variantes, passe en revue les don-
nées des versions; le tout aboutit à une traduction très précise du texte actuel ou à
la correction prudente, souvent dubitative, des leçons fautives: l'exposé du sens doc-

trinal du verset complète ce travail. On pourrait dire que M. Podechard entre dans
trop de détails: mais, à mon sens, l'on ne sent jamais la surcharge; tout au plus
estimerais-je assez inutile la mention des tortures que des fabricants de métri(iue
font subir au texte. On pourrait fatalement discuter telles ou telles corrections, telles
ou telles interprétations; mais, au lieu d'insister sur des divergences secondaires et
peut-être critiquables, j'aime mieux redire au lecteur le charme que j'ai éprouvé à lire
ces notes, dans lesquelles acribie et clarté s'unissent si harmonieusement.

•T. TOUZARD.
BULLETIN

Commissio pontificia « de re biblica ». — De auctore. de terapore corapo-


sitionis et de historica veritate evangeliorum seciindum Marcum et secunduni Lucam.
Propof<ltis sequcntlhiis dahiis Pontificia Commissio « de re biblica » ita respon-
dendum deorvit :

I. Utrura luculentum traditionis siifTi-agiiuiî inde ab Ecclesiae primordiis mire


consentiens ac miiltiplici argumento Grmatuiii, nimirum disertis Sanctorum Palrura
et scriptorum ecclesiasticorum testimoniis, citatlouibus et allusionibus in eorumdeni
scriptis occurreiitibiis, veteium liaereticoriim usu, versionibus librorurn Novi Testa-
menti, codicibiis mauuscriptis antiquissimis et pêne universis, atque etiam internis
rationibus ex ipso sacrorum librorurn textu desumptis, certo aflirmare cogat Marcum,
Pétri discipulum et interprétera, Lucam vero medicum, Pauli adiutorem etcoraitem,
rêvera Evangelioruni quae ipsis respective attribuuntur esse auctores ?

R. Affirmative.
II. Utrum rationes, quibus nonnulli criticidemonstrare nituntur postremos duode-

cim versus Evangelii Marci (Marc, xvi, 9-20) non esse ab ipso Marco conscriptos,
sed ab aliéna manu appositos, taies sint, quae lus tribuant affirraandi eosnon esse ut
inspiratos et canonicos recipiendos velsaltem deraonstrent versuum eorumdem Mar-
-,

cum non esse auctorem?


R. Négative ad utramque parteui.

III. Utrum pariter dubitare liceat de inspiratione et canonicitate narrationum


Lucae de infantia Christi ^Luc, i-ii), aut de apparitione Angeli lesum coufortantis
et de sudore sanguineo (Luc, xxii, 43-44) ; vel solidis saltem rationibus ostendi pos-
sit —
quod placuit antiquis haereticis et quibusdara etiam recentioribus criticis arri-
det —
easdem narratioues ad genuinum Lucae Evangelium nonpertinere?
R. jXegative ad utramque partem.
IV. Utrum rarissiraa iîla et prorsus singularia documenta, in quibus Canticum
Magnificat non beatae Virgini Mariae, sed Elisabeth tribuitur. uUo modo praevalere
possint ac debeant contra testiraonium concors omnium fere codicum tum graeci
textus origioalis tum versionum, necnon contra interpretationem quam plane exi-
gunt non minus contextus quam ipsius Virginis animus et constans Ecclesiae tra-
ditio ?
R. Négative.

V. Utrum, quoad ordinem chronologicum Evangeliorum, ab ea sententia recedere


aeque ac constanti traditionis testimonio roborata, post
fas sit, quae, antiquissimo
Matthaeum, qui omnium primus Evangelium suum patiio sermone conscripsit, Mar-
cum ordine secundum et Lucam tertium scripsisse testatur aut buic sententiae adver-
;
606 REVUE BIBLIQUE.

sari vicissim ceosenda sit eoriim opinio, quae asserit Evangelium seoundum et ter-

tium ante graecam piimi Evangelii versionera esse compositum?


R. >"egative ad utramque partera.

VI. Utrum tempus compositionis Evangeliorum Marci et Lucae usque ad ivrbem


ïerusaleni eversara ditfeiTe liceat ; apud Lucam prophetja Domini
vel eo qiiod circa

huius urbis eversionem magis determiQata videatur, ipsius saltem Evangelium obsi-

dione iani inchoata fuisse conscriptuui, sustiaeri possit ?

R. Négative ad utramque partem.


VII. Utrum affirmari debeat Evangelium Lucae praecessisse librum Actuum Apo-
.<toJoriim. (Act.. t, i-2): et quum hic liber, eodem Luca auctore, ad finem captivitatis
Romanae Apostoli fuerit absolutus Ad., n.xviii, 30-31 eiusdem Evangelium non
.

post hoc tempus fuisse composituni?


R. Affirmative.
VIII. Utrum, prae oculis habitis tum traditionis testimoniis, tum argumentis inter-
nis, quoad fontes quibus uterque Evangelista in couscribendo Evangelio usus est. iu
dubium vocari prudenter queat sententia quae tenct Marcum iuxta praedicationem
Pétri. Lucam autem iuxta praedicationem Pauii scripsisse-. simulque asserit iisdem
Evangelistis praesto fuisse alios quoque fontes fide dignos sive orales sive etiam iam
scriptis consignatos ?

R. Négative.
IX. Utrum dicta et gesta, quae y Marco iuxta Pétri praedicationem accurate et
quasi graphice enarrantur, et a Luca, assecuto omnia a principio diligenterper testes
fide plane dignos, quippe qui ab initio ipsi vùlenntt et )/iinistri fuerunt sennonix
'Luc, I, 2-3), sincerissirae exponuntur. plenam sibi eam fidem historicam iure vin-
dicent, quam eisdem semper praestitit Eeclesia an e contrario eadeni facta et gesta
:

censenda sint historica veritate, saltem ex parte, destituta. sive (|uod scriptores non
faerint testes oculares, sive quod apud utrumque Evangelistam defectus ordinis ac
discrepantia in successione factorum haud raro deprehendantur, sive quod, cum tar-

dius venerint et scripserint. necessario conceptiones menti Christi et Apostolorum ex-


îraneas aut facta plus minusve iam imaginatione populi inquinata referre debueriut,
sivedemum quod dogmaticis ideis praeconceptis, quisque pro suo scopo, indulserint?
R. Affirmative ad primam partem, négative ad alteram.

De quaestione synoptica sive de mutais relationibus


inter tria priera Evangelia.

Propositis piiritcr si-quentHius (/«////.< Pontificin Commissio « df re hib/tca » ita

respoiidendum decrevit :

I. Utrum. servatis quae iuxta praecedenter statuta omnino servanda sunt, prae-

sertim de authenticitate et integritate trium Evangeliorum Matthaei, Marci et Lucae,


de identitate substantiali Evangelii graeci Matthaei cum eius original) primitivo, nec-
non de ordine temporum quo eadera scripta fuerunt, ad explicandum eorum ad in-

vicem similitudines aut dissimilitudines, inter tôt varias oppositasque auctcrum sen-
tentias, liceat exegetis libère disputare et ad hypothèses traditionis sive scriptae sive
oralis vel etiam dependentiae unius a praecedenti seu a praecedentibus appellare ?

R. Affirmative.
IL Utrum ea quae superius statuta sunt, iiservare censeri debeaut. qui, nullo fulli
traditionis testiuiooio nec hisloricoargumeuto, facile amplectuntiir hypothesim vulgo
BULLETIN. 607

nimciipatam, quae coinpositioaem Evangelii graeci Matthaei et Evaa-


ifiioruiii fiintiiim

gelii Lueae ex eorura potissimum dependentia ab Evangelio Marci et collectione ;i

sic dicta sermonum Domini contendit explicare; ac proinde eara libère piopugaare
valeant ?

R. Négative ad utramque partem.


Die aiitem 26 lunii aaui 191-2. in audientia utriqiie R'"^ Consultori ab Aetis
bénigne concessa, SS™-^ Dominus Noster Plus Papa \ praedicla responsa rata
habiiit ac publici iuris fieri mandavit.
Romae, diei 26 Innii 1912.

L. J» S. FULCRAXIS VlGOlROUX, Pr. S. Sulp.

Lalrextius Jaxssexs, O. s. B.
Consi'.ltores ab Actis.

Généralités. — Textes. — M"^ LuigiGranimatica, écrivain de la bibliothèque Am-


brosienne, a donné à la Scuola cattolica de Milan d'intéressantes observations sur h'<
l'ditionsde la Vulgate Clémentine (I». Rappelant par quel expédient, « une sorte de
dissimulation », l'édition de Clément VIII fut substituée à celle deSixte V. lui, ne dissi-

mule pas avec quelle hâte et quelle négligence fut conduite Texécution typographique.
C'est en etlét à cette partie pour ainsi dire matérielle que s'en tient l'auteur. Il laisse

aux Bénédictins, chargés de ce soin par S. S. PieX, dapprécier quels changements il

sera opportun de proposer à des reviseurs ofQciels et au S. Père hii-mêrae. Il se de-


mande seulement comment un éditeur de la Vukate Clémentine devrait comprendre
la tâche qui s'imposerait à lui. Vercelloue. Fillion, Hetzenauer sont les auteurs des
éditions les plus connues. Le dernier nommé a cru à propos d'établir son
œuvre sur un blâme assez sévère de ses devanciers. M. Fillion étant tout particuliè-
rement accusé d'un dangereux prurit d'innovation. M'' Grammatica a vengé l'éditeur
français comme l'éditeur italien contre l'archaïsme puéril du très studieux professeur
de l'Apollinaire. Il leur reproche plutôt de n'avoir pas été assez conséquents. Ce ne
serait pas s'écarterdu respect dû aux règles posées par Clément VIII que d'adopter
une orthographe uniforme et plus conforme aux habitudes mieux connues du temps
de saint Jérôme; ce serait aussi faire œuvre utile et respectueuse envers l'Ecriture
que d'employer une ponctuation conforme aux usages d'aujourd'hui. Tout cela est
dit avec beaucoup de nuances, de déférence envers l'autorité et de sens critique 2).
Quand M" Grammatica aura publié son édition d'après les principes qu'il expose,
nul doute qu'elle ne soit accueillie avec le plus grand applaudissement, en attendant
la réforme attendue, qu'on ne peut espérer posséder de si tôt.

M. Bodin, de la Congrégation de la Mission, a terminé la publication de son Nou-


veau Testament gréco-latin 3 . L'anonymat qu'il avait gardé par modestie a été
dévoilé par la lettre très flatteuse que S. E. le Cardinal Merry del Val a daigné lui

adressef- en date du 1-'' avril 1912. Il n'y a rien à ajouter à ces éloges. Un petit

Il Clementina •. 8- de '»" pp. Monza, Vntigianelli. 101-2.


Délie edizioni délia «

2 On peut cependantse demnuder si le latin, langue morte, si la Bible. Uvie éternel, ne de-
vraient pas jouir d'une sorte de privilè^je de stabilité dans l'orthographe. Sommes-nous préparés à
lire hnrena, et en revanche umerits, umor? Le clergé qui lit la Bible n'a le plus souvent aucune
idée des modiflcations introduites depuis trente ans dans les éditions savantes et risquerait
d'être dérouté. Mieux vaudrait peut-être ménager les transitions.
Gabalda. inii;cf. FiB., 1911. p. 1 '.7
3) Paris, s.
608 REVUE BIBLIQUE.

lexique christologique termine le volume. Il y a de plus une page d'addenda et cor-


rigenda (1).

Il est très malaisé de rendre compte parle menu des deux volumes de M. Hoskier
« Au sujet de la ijenèse des du
versions X
Teslament » (2) (évangiles), parce qu'il
déclare lui-même opérer sur des miuutiae, et s'en tenir à des conclusions — on
dirait plutôt à des précautions — négatives, le temps n'étant pas venu d'avancer
des conclusions fermes. L'ensemble du premier volume a surtout trait aux in-
fluences syriennes qui se sont exercées sur l'ancienne version latine. Elles sont de
deux sortes : celles qui viennent de l'ancien original araméen, par exemple dans le cas
de Marc, et des influences plus récentes, mais encore très anciennes, car nous lisons
cette proposition assez étrange (p. 75), que les versions syriennes ont été « pratique-
ment contemporaines des originaux grecs Hâtons-nous de dire que nous ne possé-
».

dons plus des textes aussi vénérables, et que les mss. Lewis et Cureton. d'ailleurs
antérieurs au Diatessaron de Tatien. ne représentent pas très bien l'ancienne version
syriaque, dont on retrouverait des traces plus sûres dans certains mss. latins (a et
k) et même grecs (28). On a compris que le Diatessaron n'est pas responsable de ces
influences syriaques. A l'inverse de ]M. Vogels, M. Hoskier ne lui attribue pratique-
ment aucune influence sur la tradition latine. Mais alors? Alors, il faut recourir à
luie nouvelle explication, celle des mss. polyglottes : gréco-latin, gréco-copte, syro-
grec, syro-latin. et même syro-gréco-latin, peut-être syro-copto-gréco-latin. Le
copiste, ou par distraction, ou pour faire mieux, aurait emprunté ii la colonne voi-

sine au lieu de suivre son texte. Le ms. sinaïtique grec lui-même aurait été très lar-
gement contaminé par ces influences syriennes. Quant au Ynticanvs, on lui fait la
grâce de dire que c'est en somme un bon texte (p. -125), mais M. Ho^^kier est évidem-
ment très indisposé contre l'édition de Hort et Westcott, qui ont fait la part si belle
à ce manuscrit. .Te le répète, il est impossible d'entrer dans le détail. Au gré du
recenseur, l'auteur suppose gratuitement chez les premiers traducteurs et copistes
une préoccupation d'exactitude matérielle dont ils étaient probablement dépourvus, et
une passivité exagérée. Voici un exemple que M. Hoskier estime typique, et qui l'est
en effet. Dans _Mc. 8. 32, le verbe iniT-.uàv qui signifle ici « réprimander » est em-
ployé en parlant de Pierre par rapport à .Tésus. Cela a paru dur à Si/rsin, qui a
tourné la dilliculté : « Simon Pierre, comme s'il avait compassion de lui, dit ». Le
ms. k a traduit obsecrabat. M. Hoskier conclut sans hésiter à une imitation du sy-
riaque par le latin. Il est pourtant évident que tous deux ont résolu, chacun à sa
manière, une difflculté d'ordre moral, et ou le recenseur de k avait d'au-
le copiste

tant moins besoin de s'appuyer passivement sur un autre texte qu'è-iTiuiàv pouvaitma-
tériellement avoir le sens A'obsccrare. Les études de minniiae honorent extrêmement
ceux qui ont le courage de s'y livrer, mais elles ne peuvent prévaloir contre ce fait

incontestable, qu'aux premiers siècles ou y regardait de moins près quant au sens


précis des mots qu'à une époque où on opère avec un parti pris d'acribie. C'est pour-
quoi le secours qu'on cherche dans les versions, comme dans les citations des Pères,
est toujours conditionnel et précaire. Les cas de prétendues influences du syriaque

(1 L'une de ces corrections, très importante, est en partie au rebours des faits. On nous donne
comme leçon de Le. 2, 13 s'JÔox'.a N* B* Sin. Oninis ecclesia giacca. La dernière partie de la
note est juste. mtMne en ce qui regarde Cyrille de Jérusalem, mais Origcne est plutôt pour
£-joo7.ia:. El c'était la leçon primitive de x et de B où le t a été effacé.
(2, Concerning theGer.esis o/'tfie Versions o/'theXcw Tcstame)il (Gospels)... by H. C. Hoskier,
in-
lended as a supplément tj tlie library publication of thc Morgan ms. in-S", London, Quaritcli, ;

vol. I, xiv-lGJ |ip-; vol. Jl, 423 pp.


BULLETLN. 609

sur le latin ne sont le plus souvent que le résultat de la tendance très humaine de
se contenter d'un à peu près, quand la précision est tout à fait inutile à la leçon
morale. Encore un exemple, car il renferme un principe. Dans 18, 12, Luc a écrit
y,Tw;j.a'., « ce que j'ai acquis », comme le prouve l'unanimité des niss. grecs. Si Ori-

gène, Cyrille, Clirysostome ont écrit « ce qui m'appartient » {-x jnap/ovTx), et les
syrr. avec les latt. en plus grand nombre « ce que je possède », M. Hoskier recourt
à un exemplaire polyglotte antérieur à Origène,.-- tandis que les Pères, les traduc-
teurs, les recenseurs ou les copistes n'ont point eu cure de la rf, /,
7 distinction. Si
ont mis adquiro au lieu de jjossideo, c'est par un souci critique de se rapprocher du
grec.
Le second volume de M. Hoskier contient des appendices collation de h sur :

S. Marc, S. Luc et S. Jean, du livre de Dimna sur S. Jean et S. Matthieu, etc. Ici il
n'y a que des actions de grâces à rendre à l'auteur pour son très utile labeur.

Dans un second ouvrage, M. Hoskier s'occupe de la date de la version bohaî-


rique (1), en prenant pour base une comparaison de cette version avec le ms. grec
sinaïtique sur le domaine de l'Apocalypse. Si ce ms. a été influencé par cette version,
elle lui est donc antérieure : ce qui autorise M. Hoskier à remonter jusqu'aux envi-
rons de l'an 200. Et l'auteur poursuit cette comparaison avec beaucoup de soin. Il

ne pouvait cependant pas ignorer que, la parenté des deux traditions établies,
on trouverait plus naturel que la version ait été influencée par le manuscrit... Le phé-
nomène du Codex Bezae, produit encore inexpliqué d'une aberration étrange, ne peut
pourtant pas devenir \i règle. A cela M. Hoskier répond en passant que si la version

copte avait employé le ms. sinaïtique, son influence aurait été beaucoup plus grande !

Plutôt que de recourir à la plus simple des solutions, il imagine de nouveau, et cette

fois avec plus d'assurance, une grande polyglotte gréco-syro-coplo-latine, antérieure


à 350 ou 400. Dans une seconde partie, M. Hoskier cherche à prouver l'antiquité
de la version copte par les citations des auteurs monastiques vivant en Egypte au
IV® siècle.

D'année en année les textes coptes du British Muséum paraissent au grand jour.
Ainsi, grâce à la publication de fragments sahidiques que le Dr. Schleifer com-
mença en 1909 et dans un fascicule daté de 1911, nous possédons
qu'il poursuit

quelques textes bibliques coptes de plus (2'. Un certain nombre en effet de ces
textes sahidiques étaient demeurés jusqu'ici inédits, par exemple une partie du
chap. 32 du Deutéronome, le cantique d'Anne, le premier tiers du cantique d'Ha-
bacuc, plusieurs passages notables d'Isaïe à partir du chap. 40, ainsi que Nom-
bres 26, 27. 7: 31. 47-49: 32. 4-7. D'autres morceaux appartenant au Penta-
.58:

teuque, aux livres prophétiques, à Job. déjà connus par les publications de Maspero
et de Ciasca, ne font guère qu'apporter des variantes orthographiques. Quelques
versets d'Isaïe, de Jérémie et d'Osée sont accompagnés d'une traduction arabe très
littérale. Dans la feuillets, M. Schleifer fut devancé par
publication de certains
M. Winstedt, qui les avait donnés au Journal of theological Studies (3). Mais le
travail de ce dernier avait été mené avec une telle hâte qu'une réédition des mêmes

(1) Concerning the Date of Ihe bohairic version, covering a detailed examination ofthelext
of the Apocalypse and a review of some of ihe writings of the egyptian monks, by H. C. Hoseiek,
in-8" de yii--203 pp. Londres, Quaritch. 1911.
(2) Sahidische Bibel-Fragmente av.s dem British Muséum zu London. In-8°, I, 38 pp.; II, 39
pp. Sitzungsberichte der Kais. Akad. der Wisscusch. in wien. Philos. -Histor. Klasse, 16-2 Band,
H Abliandl. 164 Band, C Abhandl. Vienne. Hôlder, 4909, 19H.
(3 X, -233-2.ji.
REVUE BIBLIQUE 1912. — N. S., T. IX. 39
610 REVUE BIBLIQUE.

textes s'imposait, comme le prouve la liste de ses fausses lectures dressée par son
concurrent. ÎNatLirelleaient, si M. Schleifer n'a point comparé ses fragments de Josué
avec le palimpseste publié par sir H. Thompson (1), c'est, pensons-nous, qu'il a été
dans l'impossibilité de consulter cet ouvrage paru en même temps que son second

fascicule. Comme variantes pour Josué 24, signalons : 3, Th. iineiieitOT, Sch.

uneTiieitoT ; 6, Th. AvncuT, Sch. avhat ; lo, Th. neKiiovTe eqoTK ;

à en juger par une note le texte de Sch. était pareil; pourquoi alors publier riiiovTC
(jqoTiii]? D autre part mise en regard du bohaïrique de Tattam. la version sa-
hidique parait parfois très grécisante. Par exemple Isaïe 5, 22, le sahidique

MAVIJACTHC 6TKvpA unciKepcoii est le calque du grec oî oj/âa-a-. o?

xspavvjvTs; TÔ (ït'xspa, tandis que le bohaïrique iii^Ltopi iiHeTGto uniciKepa


est plus copte. En même temps qu'un appoint pour la critique textuelle, la publi-
cation de M. Schleifer est un secours pour la connaissance intime des diverses ver-
sions coptes.

En attendant une publication intégrale des papyrus qui ont été mis à la disposition
de l'Université de Fribourg-en-Brisgau, M. Heer a donné à la nouvelle série de
YOriens christianus une étude fort bien conduite sur de nouveaux fragments gréco-
sahidiques des évangiles. Le texte grec comprend Le. 24, 3-12: Me. 16, 2-20: Le.
24, 36: le sahidique Le. 24. 1-12; Me. 16, 2-20. Ce dernier passage est le plus
important, car l'édition la plus complète du sahidique, celle de M. Horner, qui vient
de paraître, était lacuneuse en cet endroit. Le nouveau texte donne 16, 2-7 et 13
qui manquaient et complète les versets 10. 12, 14, 19, 20. Le plus intéressant est
que les deux textes, le grec et le sahidique, offrent après 3Ic. 16, 8 la conclusion
courte et la conclusion canonique, toutes deux indiquées comme variantes. M. Heer
conclut de cette situation que la version sahidique primitive ne contenait aucune
linale après16, 8. Il faut donc corriger dans ce sens ce que disait le P. Lagrange
dans son commentaire de s. Marc, trop favorable en ce point à l'origine marcienne
de la finale authentique (p. 429) : semble assez certain que la version sahidique
« il

contenait la finale ». Elle la contenait, en effet, mais sans lien organique, comme l'a
montré le très conservateur M. Heer.

Après le Codex Climaci rescriptus, Mrs Lewis publie un autre manuscrit palim-
pseste en dialecte syriaque palestinien qui a été acquis le premier en Egypte, comme
au mois d'avril 1906 ^2). Cette fois le ms. de la seconde écriture est en arabe, con-
tenant un traité de théologie chrétienne que Mrs Lewis n'a pu identifier (et qui
trahit des tendances ubiquistes, à en juger par une page qu'elle a traduite et pré-
sentée comme spécimen L'arabe étant du commencement du x^ siècle, le texte syria-
.

que peut appartenir au vii^ Il ne saurait être antérieur à l'avènement de Justi-


nien I" (327 après J.-C), auquel il est fait allusion. L'éditrice ne s'est pas fait illu-
sion sur l'intérêt des morceaux en eux-mêmes, l'histoire des quarante martyrs du
désert du Sina'i et le conte d'Eulogios avec un fragment sur Patricia, tous connus en
grec. Mais le texte syriaque est le plus ancien monument de quelque longueur dans
le dialecte qui ressemble le plus à celui qu'a parlé >'.-S. Aussi était-il à propos de

(4) Cf. RB., 1912, pp. 147 s.


(2) Horae SeDiiticae, w
ix. Tlie forty martyrs of the Sinai désert anrt the Story ofEulogios from
a palestinian syriac and arabic palimpsest, transcribed by Agnes Smith Lewis, M. R. A. S. 10-8° de
îi3 et 83 (syriaque,, plus xi pp. Cambridge, at the University Press, 191-2.
BULLETIN. 611

signaler les mots qui ne dans cet euornie répertoire qu'est le The-
se trouvent pas
muru>i Sij/iacus de Payne Snoith. Lewis a donc composé un glossaire compre-
IVIrs

nant aussi le Codex CJimaci rescriptt's. M. Duesing avait soumis cette première pu-
blication à une critique très attentive, refusant d'admettre certains mots. De la critique
de cette critique il résulte qu'elle était parfois mal motivée, d'autres fois juste, imposant
la correction du nos. lui-même. Tout cela est noté avec beaucoup de soin. Selon sa
louable habitude, Mrs Lewis accompagne le texte syriaque d'une excellente traduc-
tion, fort littérale. L'histoire d'Eulogios le tailleur de pierres, qui trouve un trésor
dans une pierre, est encore aujourd'hui le rêve de tous les Orientaux. En vain leur
raconterait-on quEulogios, gâté par sa découverte, ne fut converti qu'en recouvrant...
la pauvreté. Des erreurs relevées par M. Duesing dans le Codex Cliinaci qui est du
Vf' siècle, Mrs Lewis conclut que la version a été composée beaucoup plus tôt, au
IV siècle, tandis que M. Burkitt ne remontait qu'au \V.

On s'est demandé plus d'une fois, surtout à propos de questions topographiques,


quelle était au juste la valeur des versions syriaques dans la transcription des
noms propres. Devait-on leur attribuer une importance de premier ordre ou bien
les négliger comme entachées du plus pur arbitraire? On trouvera maintenant
la véritable orientation à prendre sur ce terrain, dans une lecture de M. Burkitt
sur les formes syriaques des noms propres du >'ouveau Testaaient 1;. Ce travail,
aussi instructif qu'agréable à lire, embrasse les noms de personnes aussi bien que
les noms de lieux. Aotre premier soin sera de nous demander si le nom propre
qui est l'objet de notre étude se retrouve dans l'Ancien Testament. Nous obser-
verons alors que généralement le traducteur néo-testamentaire s'est contenté d'a-
dopter la forme que l'Ancien Testament présente. Ainsi le grec -'.wv est transcrit

par la forme de l'Ancien Testament "jvny, que le traducteur avait sous les yeux
ou dans l'imagination, étant donné que la version syriaque de l'Ancien Testament
est bien antérieure à celle du Nouveau Testament. La forme ""c"! qui transcrit
"Ir;7oj; dans les évangiles est également celle qui traduit Jomé dans l'Ancien Tes-

tament. Les Marcionites de langue syriaque, en se servant de la forme *r\ mon-


traient leur indépendance vis-à-vis de l'Ancien Testament. Il y a pourtant des cas
où le traducteur ne s'est point douté que le nom qu'il transcrivait servilement
d'après le grec, se retrouvait dans l'hébreu. Ainsi Mai'.po?. qui est l'hellénisation
de l\xi (cf. Esther 2. .5 , est devenu dans l'évangile syriaque C^NV, une sorte
de nom théophore, où la simple désinence grecque o: est truitée comme partie
intégrante du radical. Les généalogies fournissent d'autres exemples de ces trans-
criptions erronées, qui sont bonnes tout au plus à faire reconnaître à quelle recen-

sion grecque se rattache telle version syriaque. Dans les Actes et les Épitres,
on remarque de bons équivalents sémitiques, "11 pour A-jôôa, 13" pour IlToÀsaa!;,
NEI'î pour "I6--r,, à côté de pures translittérations de la forme hellénistique, X7;,
Tira; rt^TîN, "Ai^w-o;.
En dehors du rayon d'influence de l'Ancien Testament, nous avons également
des transcriptions serviles. par exemple ,x2''p de Kaia'sa; ou Ka^sa;, et de fort
bonnes traductions ou se révèle le Sémite recoimaissant son bien sous l'écorce
grecque : Kr;çï: redevient nîx;
"Awa;, ^2n: 3aoa€ô3tç. x2x "'2. De
« la pierre »;

même, excellente distinction entre Kx^in-ixlot, x^lip et Xavavaîa HT^^Z'JZZ. Les tra-
ducteurs se montrent aussi assez au courant des termes techniques du juda'isme

(1) Tke Syriac Forms of New Testament propcr Names [from the Proceedings of t/ie
British Academy, vol. V), ia-S", 3-2 pp. Londres, H. Frowde, 1913.
612 REVUE BIBLIQUE.

dans la transcription ou traduction des mots Pharisiens, Sadduci'ens, Osanmi.


Phylactères.
M. Burkitt passe ensuite à l'étude de quelques points particuliers dont le plus
important est la question des rapports entre les versions syriaques et Origène.
A les mettre en parallèle sur les étymologies de Bethabara. Béthanie, Bethphagé,
.Enon. etc., celui-ci diffère complètement de celles-là, bien que de part et d'autre

leurs identifications topographiques soient identiques.


Pour l'introduction de Gergesa et de Bethabara dans le texte sacré, la vieille
version syriaque dépend, non pas d'Origène, qui lui est postérieur, mais d'une
même tradition locale que cet exégète. Dans le style, la manière et le ton, la
vieille syriaque se montre autrement imprégnée de sémitisme que le savant Alexan-

drin. Leur accord ne dépasse pas le domaine topographique. Dès qu'il s'agit de
décomposer un vocable sémitique, Origène est inférieur. « Il n'est pas réellement
un profond linguiste, et son oreille pour les sons sémitiques semble ne pas avoir
été meilleure que celle de la plupart de nos modernes touristes ».
Parfois le syriaque a ses identifications particulières: c'est le cas de Cana trans-
crit Qâtnc. Il aurait aussi contribué à la naissance de théories topographiques
erronées. Ici M. Burkitt se départit de la modération dont il a fait preuve dans

la justification des règles qu'il a énoncées, pour se lancer dans des hypothèses
aventureuses : Bezetha qui viendrait de Nn"'2 « les morceaux coupés » à cause
du terme de Josèphe (B. /., V. 4. 'I à-oTsavôasvo; Sï opjvijLa-: SaO^T; le rapproche-
ment entre Chorozaïn et IN'azareth fondé sur ce que la plupart des consonnes de
Xopa^sfv se retrouvent en sens inverse dans NarapiO. Conjecture désespérée, recon-
naît l'auteur, pour qui lïdentification de la Nazareth de l'évangile, N'aÇaps'O (ima-
ginée d'après l'épithète Naî^wpaïo;, de 117: . ou née d'une erreur littéraire) avec la

moderne Xasâra, en syriaque iT^];: Nasrath, est hérissée des plus grosses difficultés.

On peut voir cependant, en parcourant le troisième appendice où M. Burkitt traite


excellemment de la parenté du zêta grec avec le sadé sémitique, que les fondements

de cette identification sont encore très solides.

Religions. — Le quatrième volume de VEncyclopaedia of Religion and Ethics con-


tient fortpeu de sujets bibliques (l). On peut citer Décalogue, par M. Batten Des- ;

cente aux enfers, par M. Loofs.

Dire que la religion chrétienne est la religion du Christ serait simplement expli-
quer l'étymologie du mot chrétien ; mais cette répétition ne serait point oiseuse, si

elle nous rappelait la place centrale et unique de celui qui est la Voie, la Vérité et la

Vie. Ils en ont conscience, ceux qui, sous couleur d'analyser des faits religieux très
lointains, s'appliquent sournoisement à faire déchoir le Christ. L'histoire, ou la

science des religions, si elle croit pouvoir prendre ce titre, ne les regarde guère que
comme un objet de curiosité. Les statues des fondateurs seront alignées côte à côte,
au plus la place d'Auguste dans la galerie des empereurs
et le Christ y tiendra tout
romains. Le R. P. Albert Valensin (2) a relevé le défi, et a entendu montrer que la
personne du Christ, objet de nos adorations, est aussi notre meilleure défense, à
cause de léclat incomparable de son action, qui est en même temps une chose réelle,
voisine de nous, et tangible. C'est le sujet de cinq conférences données à Lyon,
qu'on ne peut guère regarder que comme un programme, tant le sujet est vaste, et

(1) Conrinnation-Drama. In-4» de xvi-907 pp. Edimbourg, Clark. 1911.


(2; Jésus-Christ et l'étude comparée des religions, conl'érences donuées aux Facultés catiio-
liques de Lyon, in-1-2 de 30-2 pp. Paris, Gabalda, 191-2.
BULLETIN. 613

tant il comporterait de développements. Cependant le conférencier a bien su fixer


son thème, en esquisser l'attrait de la vie par
les grandes lignes, et leur donner
quelques traits bien choisis, un style très alerte d Tout d'abord, avec
le tout dans .

l'abbé de BrogliC;, il a très heureusement borné les exigences soit d'adversaires,


soit de personnes bien intentionnées qui en demandent trop, en iudiquaut ce qu'il

faut entendre par transcendance : « ... Si l'opposition radicale et absolue entre le vrai
et le faux, le bien et le mal, existe dans les principes et au fond des doctrines, elle

se manifeste avec une évidence moins constante dans les faits. Qui dit transcendance,
ne dit pas antithèse radicale et absolue entre ce qui est transcendant et ce qui ne
l'est pas, l'opposition du jour et de la nuit, mais bien supériorité d'espèce > etc..
(p. 22 s.). Puis l'auteur montre que le Christ ne doit rien à Mardouk. ni au Bouddha,
ni à Mithra 2 mais qu'il réalise plutôt les espérances d'Israël, étant seul capable de
.

donner satisfaction à l'âme. Des conférences qui supposent uue culture si étendue ne
font guère moins d'honneur aux auditeurs qu'à celui qui les a prononcées.

Tout est à lire dans le Dictionnaire apologétique de la Foi catholique. Le fasci-

cule VII (3) contient Galilée, par le R. P. Pierre de Vrégille, admirablement com-
pétent quant au point scientifique, mais qui n'a pas assez tenu compte du malaise
moral que les décisions romaines firent peser sur les consciences catholiques. Si ces
décisions n'ont pas empêché le progrès des sciences, comme l'auteur le prétend ,

c'est qu'on n'a pas toujours tenu compte de ce qu'on nommerait aujourd'hui des
« directions » ; n'est-ce point une situation fâcheuse? et ne vaudrait-il pas mieux re-
connaître plus carrément que l'erreur des juges de Galilée est regrettable? Voici qui
est excellent : « les théologiens, dont les consultations furent la base des décrets de
1616 et de 1633, eurent tort de ne pas appliquer au passage discuté le principe for-
mulé par saint Augustin et saint Thomas, à savoir, qu'en ce qui concerne les choses
•le la nature, les données de la Bible ne doivent pas être prises avec une rigueur scien-
tifique (col. 174). Mais est-il juste dajouter
» « L'Église, en condamnant Galilée, :

n'a fait que suivre ses principes ordinaires de conduite » (col. 178)? L'Eglise a un
droit de police doctrinal, cela est incontestable, mais dans l'intérêt de la vérité.
rs'eùt-il pas mieux valu se demander plus sérieusement, à la lumière des principes de

saint Thomas et de saint Augustin, si l'erreur signalée menaçait vraiment la doctrine


dont l'Eglise a la garde? Le P. de Vrégille n'a aucune inquiétude pour les conclu-
sions scientifiques auxquelles l'Église tenterait de barrer le chemin : « Si ces conclu-
sions sont légitimes, elles triompheront d'elles-mêmes, fortes de leur vérité » 'col. 179).
Et en effet ce n'est pas pour la science qu'il y a lieu d'être inquiet, mais on se demande
s'il était à propos de compromettre l'autorité de l'Église hors de son domaine. Plus on
reconnaîtra nettement une erreur du passé, plus on aura chance d'obvier au danger
« qui n'est pas chimérique, celui défaire, momentanément, opposition à des nouveautés
qvd sont en même temps des vérités » ;col. 179).
L'article Gnose est emprunté à l'Histoire ancienne de l'Église, de M=' Duchesne.
parce que, nous dit-on. il était plus facile de le transcrire que de le refaire.
Frères du Seigneur est traite par le R. P. Durand avec un sens ecclésiastique averti,
mais non eflfrayé delà difficulté du sujet; dissertation qui servira de modèle.

(1) Trop alerte! « penser sa foi • p. 13 bis ; « réaliser » —


dans le sens de comprendre —
ce que fut le mouvement religieux... discuter les analogies sur lesquelles se base - etc.
p. 'Jb,.

ii; L'objection est menée si bon train que l'auteur semble accorder un certain nombre de
ressemblances qui ne sont pas disculées ensuite d'assez prés.
(3) Fin justifie les moyens —
Gouvernement ecclésiastique. Beauciiesne, VHi.
'.'
014 REVUE BIBLIQUE.

Le R. P. Creusen S. J. a rais sur des tableaux synoptiques (l) la suite des


Papes i2), des Hérésies, des Conciles, enfin des Écrivains, en indiquant dans quel
volume de Migne se trouvent leurs œuvres. Les orientaux sont distingués des occi-
dentaux, l'école franciscaine de l'école thomiste. On demandera où sont rangés
les écrivains de la Compagnie de Jésus? Mais,
du concile de Trente, nous
à partir
n'avons plus que la liste chronologique des Papes. Ce petit manuel est ingénieux,
pratique, et fera gagner du temps, même à d'autres qu'à des étudiants (3).

Nouveau Testament. — Aux personnes qui désirent lire l'Évangile commenté


avec intelligence et piété on devra conseiller de lire Le discours de Jésus su?- la mon-
tagne par M. l'abbé Stanislas Gamber, docteur es lettres, chanoine titulaire de
(4),

Marseille. Le sermon de saint Matthieu et celui de saint Luc, reconnus pour être le
même, sont traduits, annotés, et leur enseignement présenté pour satisfaire aux
besoins des âmes d'aujourd'hui, sans rien perdre de son intégrité et de sa sainteté.

Onse rappelle l'étrange divergence de vues entre M. Harnack et M. Loisy au


sujet du passage célèbre où Jésus a manifesté le lien qui l'unit à son Père (Mt. 11,
'27; Le. 10, 22). Tandis que le premier reconnaît l'authenticité du Logion, mais lui

donne une forme nouvelle qu'il juge primitive et atténue la portée de son sens,
le second prend le texte dans son sens naturel, mais l'attribue à des chrétiens dog-
matisants dans la manière de saint Jean. Comme M. Harnack avait soutenu sa thèse
avec l'érudition qui on pouvait craindre que ses arguments n'aient
lui est familière,

fait quelque impression. M. H. Schumacher a donc eu une heureuse idée en repre-

nant à fond toute la question, et on peut dire que l'exécution de son dessein n'est pas
moins heureuse (.5). La double tâche qui s'imposait à lui élait d'établir le texte et
d'en dégager le sens. Le contexte historique et la comparaison avec d'autres passages
analogues des synoptiques avaient aussi leur importance et figurent dans l'ouvrage,
mais à une place secondaire, comme de raison. La recherche textuelle ne laisse rien
à désirer. L'édition de la version sahidique était trop récente pour être utilisée. Les
autres documents sont bien groupés, et l'auteur peut déjà s'appuyer sur la classifi-

cation de M. von Soden. C'est un critique de plus, et spécialiste, à ajouter à Tischen-


dorf et à AVestcott-Hort. Car M. Schumacher aboutit à un résultat absolument iden-
tique à celui, par exemple, de Westcott-Hort. C'est, dit-il, le texte traditionnel. C'est
aussi le texte critique, et plus exactement le texte criti(|ue que le textus receptus.
Il est bon de dire ces choses très haut, pour qu'il soit bien entendu que nous
sommes ici d'accord avec ceux qui ont consacré leur vie à la critique textuelle, contre
des théologiens qui l'abordent en amateurs.
On fera cependant remarquer à M. Schumacher que le Diatessaron arabe de Ciasca
ne peut guère être cité comme une autorité textuelle distincte, parce qu'il est avéré
que son original syriaque a été retouché d'après la Peschittâ. Et l'auteur est peut-
un milieu où l'on accorde trop d'importance à Tatien.
être aussi trop influencé par
Comment peut-on écrire: «Tatien témoigne d'après le Diatessaron latin du Codex Ful-

(1) Tabulac fontium tradilionis christianae


[-aA auniim 1563) ()UOS in usuiii scliolarum collegit
Dr. Phil. J. Creusen
Huit tableaux, Fribourg. Herder, 1911.
S. J.
(2) D'après la Gerarchia Catlolica, mais en notant la cinonologie de Duchesne. W
(3) On pourrait en perdre aussi, si l'on n'y prend garde. Ainsi l'auteur a-t-il voulu être à jour
en mentionnant les Odes de Salonion; mais les abréviations H et Bt. renvoient normalement à
des ouvrages de M. Harnack et de M-' BalilTol qui ont paru longtemps avant la découverte des
Odes. A Thomas de Vio ajouter 0. P.; lire Hugo a S. Cliaro et non Clioro (faute d'impression).
(4) In-1"2 de 163 pp., Paris, Lethielleux.
Die SelOsto/fenbarung Jesu bei Mat. 11, 27 (l.uc 10. 22), eine kritiscli-exegetisclie Untersu-
(.'>)

chung, von D"^ Heinrieh Scuu.machek, in-8" devn-223 pp. Herder, Fribourg-en-Iîrisgau, 1912.
BLXLtriN. Glo

ilensis > (p. 94 sait, comme tout le monde, que le ('oubx Fuldemis
? M. Schumacher
est, pour un manuscrit hiéronymien: mais comment sait-il que cette har-
le texte,

monie représente celle de Tatien? Victor de Capoue, en la présentant au public,


n'était point si avancé. Il penchait vers Tatien. mais se demandait s'il ne fallait pas
incliner vers Ammonius... On ne peut pourtant pas attribuer à la fois à Tatien Tordre
du Diatessaron arabe et celui du Codex Fuldenxis.
Dans la discussion de la leçon l-'.-pvwTx:-. ou ëyvoj à propos de Matthieu, lauteur
paraît attribuer trop d'importance à ïyvjj. A la vérité, eu conclusion dernière, è-i-;-.-
vwT/.;-. est la leçon « la plus originale a et le présent repond seul à la pensée de Jésus,
mais il 8-5) des deux leçons, et "r'vj serait de l'état
parle aussi d'une coexistence ip.
primitif (p. 87) deux leçons ont pu naître de deux traductions différentes de l'ori-
-, les

ginal araméen de Mt. C'est même parce que ^ît. canonique est une traduction, qu'il y
a chance que ce soit lui, et non Luc. qui ait les deux variantes. Mais par ailleurs l-çna
a pu naître au cours de la tradition grecque... On ne voit donc aucun avantage à —
recourir à l'hypothèse d'une double traduction. Que veut dire au juste M. Schuma-
cher ? Que le traducteur du Mt. araméen a noté une autre traduction à la marge?
qu'une traduction qui n'était pas devenue canonique s'était conservée et qu'on lui

avait emprunté une variante? >'ous sommes ici dans l'inconnu. Saint Iréiiée attribue
la variante à des préoccupations hérétiques: il a pu se tromper, mais son texte est
clair. M. Schumacher le soumet à un traitement d'une étrange subtilité pour lui faire

dire que « ceux qui se croient plus habiles que les Apôtres » écrivent s'yvo .ce qui est
légitime) et l'interprètent mal. Tout cela parce qu'on ne doit pas supposer qu'lrénée
a condamné une leçon de Clément d'Alexandrie 'p. 82). C'est toujours
Justin et de
le critère de l'érudit moderne. Evidemment Iréuée aurait dû chercher dans une

édition critique quelle leçon avaient suivie Justin son prédécesseur et Clément son con-
temporain Et on lui attribue cette vigilance daos un passage où il se figure que
!

saint Marc
lui aussi possède le Logion !

Peut-être eût-il mieux valu s'appuyer sur cet exemple pour montrer combien fra-
giles sont les arguments tirés des citations des Pères !

On n'insistera pas ici sur la partie exégétique. L'auteur a une tendance avérée à
tirer des textes tout ce qu'ils peuvent donner d'après nos connaissances actuelles,

sans mettre assez en lumière les sens qui pouvaient se présenter à l'esprit des audi-
teurs. A propos de la confession de saint Pierre, le recenseur pense avec lui qu'il s'agit

bien dans saint Matthieu de la filiation divine, mais ce n'est pas une raison pour
donner exactement le même sens aux textes de Marc et de Luc. Chaque texte con-
serve son sens propre. On nous donne comme un principe incontesté que : « un endroit
transmis en soi d'une façon inexacte doit être interprété d'après l'endroit parallèle plus
net et plus clair ,1). Avant d'apphquer ce principe, il faudrait être sûr que tel passage
^'

parallèle n'est pas un conglomérat de paroles prononcées en différentes circonstan-


ces. Et avant de déterminer le sens d'une parole rapportée par plusieurs personnes,
il faudra toujours d'abord examiner le sens précis qu'elle a dans chaque rapporteur.

Mais, en l'étude de M. Schumacher est décisive sur le poiut spécial qu'il


somme,
a traité. Et on ne peut que le féliciter d'avoir l'esprit assez large et le cœur assez
catholique pour ne pas dédaigner de citer des écrivains français. Il est étrange qu'on
soit obligé de lui en faire un éloge, mais c'est ainsi.

Au moment où Jésus a prêché l'évangile on attendait le Messie. Après sa résurrec-

1 p. 195 eine in sich ungenauer ùberlielerte Stelle muss nach


: dem deutliclieren unii klare-
ren Test der Parallelstelle ausgelegt werden.
616 REVUE BIBLIQUE.

tion on Fa reconnu comme le Messie. C'est donc que s'étaient accomplis en lui les
oracles des Propliètes inspirés par Dieu. Ce raisonnement fut certainement celui des
Pères, et avant eux de saint Paul et des évangélistes. surtout de saint iMatthieu et
de saint Jean. Les clirétiens le tiennent encore et voient dans la coïncidence une

preuve de la Providence de Dieu et de la divinité du christianisme. On a souvent


objecté que les coïncidences n'étaient pas assez frappantes. iMais de nombreux criti-
ques ont estimé qu'il y en a encore trop, et les ont attribuées au parti pris plus ou
moius inconscient de de transformer les événements de la vie de Jésus,
la tradition

surtout les miracles, d'après les anciennes histoires ou les prophéties. Ce n'est pas
d'aujourd'hui, c'est surtout depuis Strauss qu'on a prétendu reconnaître dans le Nou-
veau Testament comme un rellet de l'Ancien.
Mais ce qui distingue l'entreprise de M. Edward Carus Selwyn (1), c'est son ou-
trance, vraiment fantastique. Il pense que le Seigneur lui-même n'avait d'autre but
que d'accomplir les prophéties, et cette proposition peut avoir un sens excellent, mais
devient tout autre qu'orthodoxe s'il s'agit d'un accomplissement mécanique pour
devenir le Messie. Le plus curieux est que le Sauveur et ses disciples auraient eu en
vue constamment la Bible grecque, sur laquelle ils se guidaient pour « réaliser » les
prophéties. Il n'est point toujours aisé de distinguer ce qui demeure de réel dans la
vie de Jésus, sous cette transfiguration prophétique. Luc, par exemple, ne se proposait
pas d'écrire l'histoire, mais de montrer que les anciennes prophéties s'étaient réali-
sées parmi nous. Ce serait le sens de son prologue. Ainsi, lorsqu'il parle du recense-
ment de Cyrinus, il parle d'un fait parfaitement réel, le recensement de l'an 6 après Jé-
sus-Christ. Mais pourquoi ce nom et ce point de repère? C'est que Cyrinus, on voit —
maintenant pourquoi il faut écrire ainsi, et non Quirinius, Kupî'voï, est un diminutif —
de Kjo'.o; qui se rapproche de K jsoç. Cyrus était presque le Messie, en tout cas chargé
de permettre la restauration de la maison de Dieu, le triomphe du Seigneur, etc. De
même Cyrinus, qui traversa l'Orient en vainqueur et Ot le recensement de la maison
d'Israël! Voici plus fort. L'esprit de Jésus (Act. 16, 7) signifie l'interprétation pro-
phétique du livre de Josué. Etant en Macédoine, Paul se croyait dans sa tribu de Ben-
jamin. En sortirait-il? Avait-il eu raison d'en sortir? Il se convainquit bien vite qu'il
avait été guidé par Dieu. Il abordait à Abdère près du lac Bistonis, et
il lisait dans
Josué ;18, 12 et non 8, \2) Mabdarctis Bnitlion'.'.l Sans l'usage des Septante, il
eût fallu renoncer à cette admirable coïncidence! Elles ne sont pas toutes aussi réussies
dans l'ouvrage de M. Sel"wyn, et Tonne prétend pas qu'il ne contienne quelques rap-
prochements ingénieux, mais les apôtres, pêcheurs du lac de Galilée, étaient mal
préparés pour cette réalisation d'allégories hellénistiques. L'auteur est si convaincu
qu'on ne songeait pas à autre chose, que le titre que Papias a donné à l'évangile de
saint Matthieu devient sous sa plume : les oracles, c'est-à-dire exposé des prophéties
de l'Ancien Testament réalisées dans le Nouveau. Et c'est presque le titre du livre de
M. Selwyn : les oracles dans le Nouveau Testament.

Le Commentaire des Actes parM. William MordauntFurneaux (2j est destiné au grand
Le texte, c'est-à-dire la version anglaise, est divisé en sections, suivies
public anglais.
de notes plus ou moins longues, quelques-unes traitant l'ensemble d'un sujet. Toute
discussion philologique est exclue, mais il y a quelques indications sur la composition

(1) The oracles in the New Testament, hy Edward Carus Selwyx,D. D. lionorary Canon ofPeter-
borough cathedral, Jormerly Tollow of King's collège, Cambridge. ln-8'' de xxiv-45-2 pp. Hodder
and Stougliton. Londres, New-Vork. Toronto.
(2) The Arts of the Apostles. a Commenlary lor english Readers, by William Mordaunt Fia
NE.Mx, D. I). Dean of Winchester, ln-8 de xiii pp. Oxford at the Clarendon Press. 1912,

BULLETIN. 617

littéraire, l'emploi des sources, les passages qui ont été peut-être ajoutés. Parmi ces
derniers l'auteur compte 1, IS s., ce qui supprimerait une grosse difUculté, car il est
évident pour lui que saint Pierre dans son discours ne suit pas sur la fin de Judas la

même tradition que saint Matthieu (28, o-Si. Il est vrai que dans une doctrine très
stricte de l'inspiration il resterait la ressource dédire quesaint Pierre n'était pas pré-
cisément inspiré en parlant, non plus que saint Etienne, d'après Melchior Cano, et

que Luc n'a fait que reproduire leurs discours.


M. Furneaux n'est d'ailleurs porté ni à accepter une notion très stricte de l'inspi-
ration, ui à regarder les discours de Luc comme des reproductions très exactes des
paroles prononcées. Évidemment il s'en tient à la théorie qui paraît prévaloir dans
l'Eglise anglicane que l'inspiration n'exclut pas l'erreur, mais avec une certaine mo-
dération qui prévaut encore aussi dans ce même milieu. Les discours de Luc ne sont
donc point des inventions de rhétorique, des discours écrits par l'historien pour
éclairer les situations; Luc s'appuya sans doute toujours soit sur des notes écrites,
soit sur des traditions orales. Dans le même esprit qui tient le milieu je n'ai pas —
dit le juste milieu — entre le radicalisme allemand ou français, et l'exégèse catho-
lique, il admet sans difficulté l'existence des anges, mais non point leurs apparitions
sensibles, ce qui n'est guère logique.
L'introduction est conçue dans le même esprit. On a prétendu depuis Baur reculer
la composition des Actes jusqu'au w siècle. Les raisons alléguées sont insuffisantes,
mais ont leur part de vérité. On peut nier les miracles et dater cependant les Actes
d'une haute époque; A plus forte raison si l'on admet les
c'est le cas de Harnack.
miracles; mais ce n'est pas non
une raison pour mettre toutes les parties des
plus
Actes au même rang de valeur historique. 11 y a dans ce livre un parti pris de ra-
conter sur saint Pierre et sur saint Paul des faits égaux et parallèles, et de les
mettre d'accord, quoique cette intention conciliante n'empêche pas Luc d'écrire en
historien consciencieux. 11 faut reconnaître que certains passages ne se concilient pas
avec ce que nous savons par les épîtres de Paul; mais précisément au iP siècle on eut
été plus soucieux d'éviter ces contradictions. Enfin les omissions dans les Actes des
faits importants de la vie de saint Paul ne sont point une preuve de date récente,

d'autant que la principale, le silence sur la mission dans la Galatie du nord, s'exphque
au mieux par la théorie de M. Ramsay saint Paul n'a prêché que dans la Galatie du
:

sud. L'auteur conclut donc que c'est bien saint Luc, le médecin, compagnon de
saint Paul, qui a écrit les Actes peu après l'évangile, c'est-à-dire vers l'an 75.
La liste des auteurs cités comprend plus de cent cinquante noms. Sauf Renan,
Fouard, de Pressensé, Bungener. traduits du français, tous sont anglais, ou allemands
traduits en anglais. Si l'auteur avait lu Steinmann, Der Leserkreis des Galaier-
briefes (1), il n'aurait peut-être pas une confiance aussi entière dans la théorie de
M. Ramsay.

Nous avons une Thi^oloiju' ilc saint Paul (2). Le R. P. Prat nous la fait modestement
espérer pour l'avenir. Nous en acceptons l'augure, si lui-même se dispose déjà à re-
prendre et à développer son oeuvre ; mais nous n'avons qu'à nous tenir pour très satis-

faits de ce nous a déjà donné. Le second volume est


qu'il même supérieur au pre-
mier, et témoigne de plus d'aisance dans le maniement des textes, et de pénétration
dans l'intelligence des doctrines. L'auteur est plus sur de son fait, lorsqu'il suit les

(1) Cf. RB., 1909, p. 313.


(2) La Thcolof/ie de saint Paul. part. Piiat,S. J. Deuxième |)artie. 8° de viii-."i79 pp., Paris. Beau-
chesne. 1912.
618 REVUE BIBLIQUE.
sinuosités de la pensée de l'Apôtre. II lui a fallu du temps pour se convaincre que
Paul « aime à pivoter sur les sens multiples d'un mot, qu'il parcourt fréquemment
toute la gamme des acceptions d'un terme, que... les notions de foi et de loi chan-
gent certainement au cours de la phrase » (p. 349). Mais il n'hésite pas à constater
ces fluctuations verbales d'une pensée qui devait se frayer un chemin entre le ciel et
la'^terre, montrer comment Dieu et l'homme sont désormais unis. C'est dire
quelle
souplesse d'esprit est requise pour discerner la pensée sous son vêtement changeant,
et avec quelle clarté il faut l'exposer pour en fixer les nuances. L'extrême richesse de
la littérature protestante, anglaise et allemande surtout, n'était pas faite pour simpli-
fier la tâche. On ne pouvait négliger cette masse où tant de bonnes observations sont
contenues: on risquait de se perdre dans un dédale plus enchevêtré que celui des
Épîtres. Vraiment le R. P. Prat a suffi à tout. Il s'oriente sans effort à travers les
publications modernes, et sait en profiter sans perdre le fil de la tradition (1). Mais

il n'entend par tradition que consentement des Pères ou l'autorité de l'Église. Son
le
esprit est tout à fait libre vis-à-vis de la routine ou de tentatives risquées d'apologé-
tique, comme lorsqu'il refuse de suivre son confrère, le R. P. Holzmeister, en quête
d'une preuve sur la divinité du Saint-Esprit (p. 22J'.
La méthode est naturellement la même que dans la première partie un texte doc- ;

trinal est accompagné de notes déjà très substantielles, et suivi de notes plus dévelop-
pées qui s'attaquent aux textes et aux questions difficiles. Mais taudis que le pre-
mier volume suivait l'ordre des Epîtres, le second est une synthèse, comprenant six
livres : le paulinisme; la préhistoire de la rédemption; la personne du rédempteur ;

l'œuvre de la rédemption; lescanaux de la rédemption; les fruits de la rédemption.


On n'oserait dire que le plan d'ensemble est le meilleur qu'on pût suivre. L'explica-
tion des épîtres était évidemment exigée, mais elle était antécédente à la théologie
de saint Paul. Si le P. Prat n'était pas résolu à la poursuivre dans le détail, pour-
quoi ne pas se borner à dos notices historiques, et renvoyer les explications théolo-
giques à la seconde partie? que certains points sont traités
Il résulte de sa partition
deux fois ou manquent à l'appel au comme par exemple la
moment de la synthèse,
prédestination dans la seconde partie, quoiqu'on y trouve une note sur la réproba-
tion négative (2). C'est sans doute pour obvier en partie à ce grave inconvénient que
le second volume contient une table générale qui groupe les doctrines des deux sous

le nom de sommaire analytique (p. .541-.558).

Quoi qu'il en soit, nous n'avons à nous occuper que du second volume. On
y retrouve la manière conciliante, soucieuse d'atténuer plutôt que d'accuser da-
vantage ce que les doctrines de saint Paul ont d'un peu âpre pour les idées
modernes. Ce n'est que sagesse d'ailleurs de ne pas pousser à bout les concepts
de substitution (3) et de satisfaction à propos de la mort rédemptrice du Christ,
et de les fondre dans le concept de solidarité. A propos du péché originel, nous tom-

(I) Il est regrettabk' qu'il n'ait pu preiulrc position vis-à-vis de l'important ouvrage de
M. Scliweitzer; la T/x'-olor/ie dr saint Paul du P. Prat aura été achevée assez longtemps avant
d'être comniuni(|UL'e au public.
(•2) Elle est repoussée avec inilignation, et cela est licite; mais les théologiens qui l'ont sou-
tenue n'auraient guère été embarrassés par l'argumentation du Révérend Père.
(3) A la p. 287, note i, le Révérend Père se montre si soucieux d'établir que saint Paul a dit avec
intention ûTtsp et non àvTÎ, qu'on serait tenté de penser que l'emploi de àvTÎ n'eût t)as été
très heureux; lui-même cependant cite Marc, 10, 4,j. Pourquoi dit le R. P.) Paul dit-il toujours
que le Christ est mort pour nous ùtteo ou 7i£pi), jamais qu'il est mort à notre place (âvîi). ce qui.
en bonne logique, nous dispenserait de mourir? ^ El cei)endant le Christ s'est oflert à notre
place, non pas pour nous dispenser de mourir, mais parce que sa mort pouvait o[)érer ce que
la nôtre ne peut faire; c'est tout ce que demande la logique.
BULLETES. 619

bons dans l'inconvénient de la dichotomie signalé plus haut. Le R. P. trouve très


simple qu'une pénalité commune implique une offense commune... Aussi le dogme de
la déchéance originelle ne pouvait causer aucun embarras au\ contemporains de Paul

(p. SI). — Mais alors comment en trouve-t-on si peu de traces soit dans la Bible, soit

dans la théologie judaïque.' LeP.Prat s'est convaincu de plus en plus du « peu d'inté-
rêt qu'offre lacomparaison de la doctrine de saint Paul avec la théologie juive con-
temporaine » p. viii;. C'est un cas où l'on peut regretter qu'il se soit abstenu d).
Xe sont-ce pas précisément les idées de la solidarité dans le Christ qui ont fait mieux
comprendre à Paul la solidarité en Adam.' Une induction dans ce sens n'a-t-elle pas
précédé la déduction qu'il nous propose en sens inverse?
On ne fera aucune réserve sur la théorie de la justification et de la justice de
Dieu. On ne peut vraiment pas concéder aux protestants que la justification soit

toujours purement déclarative, même au sens eschatologique, mais il faut reconnaître


qu'elle l'est '
dans un petit nombre de
Le R. P. Cornely l'avait déjà
cas » p. Soi».
dit. C'est aussi avec raison que le P. Prat dessine les deux aspects de la justice
de Dieu, la justice qui est en Dieu et la justice qui vient de Dieu. Ces points sont
bien développés dans des notes où l'auteur pom-suit dans leurs variations les opi-
nions protestantes. Ce n'est pas sur la justification seulement que le progrès de
l'exégèse incrédule oblige les protestants à revenir à l'interprétation catholique tra-
ditionnelle. Toutes ces notes sont d'ailleurs très bien conçues. La clarté est déci-
dément la qualité maîtresse du P. Prat et lui assurera un grand succès dans notre
pays. Il est peut-être même plus distingué dans l'exégèse que dans la spéculation:
mais que serait la spéculation appliquée à saint Paul sans l'exégèse de ses textes?...
Et ce trait malicieux pour finir serait une bien bonne action, s'il pouvait décider le

R. P. Prat à aborder l'exégèse des Épîtres paulines ex professa.

Le petit livre de M. de Boysson sur la Loi et la Foi (2) peut être cité après l'ou-
vrage du R. P. Prat comme un indice de l'attrait qu'exerce de nouveau la doctrine

de saint Paul. Le sujet avait été traité avec un sens historique très affiné par

le regretté abbé Thomas, professeur à l'Institut catholique de Toulouse, yi. de Boys-


son nous semble avoir gâté la partie historique de son sujet en admettant que l'é-

pître aux Galates est antérieure au concile de Jérusalem, en d'autres termes que
Gai. 2, 1-10 ne parle pas de la réunion visée dans Act. 15, 4-6. Que les Galates
soient les habitants d'Iconium et de Lystres, nous sommes peu disposés à le croire,
mais enfin la chose n'est pas en soi d'aussi grande conséquence. Tandis que sup-
poser l'epître aux Galates antérieure au concile de Jérusalem paraît encore aujour-
d'hui, même après les arguments de MM. AVeber et Belser, une échappatoire apo-
logétique. Heureusement l'étude théologique de la doctrine de saint Paul ne dépend
pas de ce point. M. de Boysson expose correctement ce que l'Apôtre pensait de la
Loi, de la Foi. de la justification, du progrès de la vie surnaturelle, et montre com-
ment cette doctrine se rattache à l'enseignement de Jésus. Ce livre agréable sera utile
à ceux auxquels il s'adresse, les prêtres engagés dans le ministère paroissial et les élèves
des grands séminaires.

L'étude de M. E. C. Dewick est intitulée Eschatolog ie chrétienne primitive {Z]\ cepen-

I, On pourra lire Le péché originel dans les anciennes sources juives, par M. Israël Lévi,
Paris. i90", cité d'ailleurs par le R. P. Prat p. -263\
3 La Loi et la Foi, étude sur saint Paul et les judaïsants. par A. de Boysson, directeur au
Séminaire de Saint-Sulpice. in-16 de viu-339 pp., Paris. Bloud, l'JI-2.
v3 Primitive Christian eschatology. tlie Hulsean prize essay for 1908, by E. C. Dewicjk, M. A.,
in-8' de xx-4i6 pp., Cambridge, at tlie University Press, 19H.
620 REVUE BIBLIQUE.

dant im bon quart consacré à l'ancienne eschatologie des Hébreux et des Juifs, el le
est

terme «primitif comprend Origène. Il était difficile d'être complet dans un volume de
>

-100 pages assez peu denses; on pouvait du moins exposer avec soin les grandes lignes

du tlième. C'est à quoi M. Dewick n'a pas manqué. Le cœur du sujet, c'est de savoir
si Jésus n"a prêché que la fin du monde prochaine, comme le prétend l'école escha-

tologique, ou s'il a mêlé à cette vue d'autres enseignements d'une incalculable portée
morale, surtout en ce qui concerne les fins dernières de chacun ? La conclusion est

modérée, dans les termes qu'on a souvent soutenus dans cette Revue. L'erreur de
l'école eschatologique était d'être trop exclusive, de voir tout sous le même angle,
de ne tenir aucun compte de ce qui gênait sa perspective foudroyante; mais elle a
rendu service en réagissant, au nom de l'histoire, contre le protestantisme libéral qui
moulait un peu trop le Christ à son image. Le point difficile du discours eschatolo-
gique de Jésus est résolu en sacrifiant l'authenticité des rapports évangéliques plus
qu'on ne le ferait parrainons; M. Dewick oflVe comme ressource subsidiaire le carac-
tère conditionnel de toute prédiction par rapport au libre arbitre. L'ouvrage, très bien
composé, et fort agréable à lire, a été couronné par l'Université de Cambridge.

M. G. Michalski, professeur à l'Institut théologique de la Congrégation de la Mis-


sion à Cracovie. nous signale comme
remarquable un ouvrage eu polonais de
très
M. W. IIozakoAvski sur Clément d'Alexandrie et les 70 semaines d'années de Daniel,
étude patrologique et exégétique (1).

« Ce complément d'une étude sur la chronologie du N. T. (2), très


travail est le
appréciée en Allemagne. M. Hozakow^ki regarde Clément comme indépendant de
l'exégèse de Jude, mentionnée parEusèbe (H. E., VI, vu). D'après Clément, les 70 se-
maines d'années de Daniel. 9, 24, sont de simples années, comme aussi les 7 62 se- +
maines du v. 2-5. Les premières étaient parallèles à Jérémie, 25, 11 s.; donc, d'après
Clément, la captivité dura depuis la prise de Jérusalem jusqu'à la deuxième année
de Darius, fils d'Hystaspe 589-519. A partir de ce moment jusqu'à la neuvième
année de ce prince courent les sept semaines du v. 25. Clément pensait comme Flavius
Josèphe {Ant. XI, IV, 7i que la dédicace du second temple a eu lieu la neuvième
année de Darius. Les versets 24 et 25 sont donc interprétés historiquement et ne sau-
raient avoir de signification messianique qu'au sens typique. Les 70 semaines du
V. 26 s'étendent probablement de la mort dAristobule III, noyé par Hérode dans la
piscine de Jéricho, jusqu'à l'année du salut de Luc, 4, 13. La dernière semaine ou
plus précisément six ans et neuf mois, va de la révolte à la prise de Jérusalem par
Titus. M. Hozakowski a discuté en passant les chronologies de TertuUien, d'Hippolyte
et de Jules Africain. Cet excellent ouvrage serait digne d'attirer l'attention des exé-
gètes français. »

M. >"aua couru et il est en train d'exécuter brillamment le dessein de faire connaître


au public français toute l'ancienne littérature de droit canonique telle que les Sy-
riens se l'étaient assimilée et l'avaient traduite en syriaque. L'ensemble de ce Corpu'i
comprendra quatre fascicules. Le premier étant déjà épuisé, la Didascalie des Douze
Apôtres a paru de nouveau (3t. Cette fois M. Nau. le premier traducteur, avait à sa

disposition une édition nouvelle du texte par Mrs Margaret Dunlop Gibson, plusieurs

Klemens z Aleksandryi o 70 tygodniach Daniela proroka, Poznan, I9li.


(1)
De chronologia Novi Testamenti a Clémente Ale.randriae proposita. Monasteri, 1896.
(2)
3) La Didascalie des douze Apôtres traduite du syriaque pour la première fois par F. Nai",

professeur à l'Institut catholique de Paris, deuxième édition, revue et augmentée de la tra-


duction de la Didaché des douze apôtres, de la Didascalie de l'apôtre Addai et des empêche-
ments de mariage (pseudo) apostoliques. in-S" de xxxn ;JGi pp. Paris, Lethielleux.
BULLETIN. 621

traductions en anglais (Mrs Gibson), en allemand J. Flemming), en latin T.-X.


Funk), et commentaires de M. Achelis. Le nis. nouveau utilisé par Mrs Gibson
les

a interpolé dans la Didascalie les Canons des Apôtres rédi;îés par Addaï; M. Nau les
donne en appendice, mais il place en tête de tous ses documents la Didac/tc ou doc-
trine des douze Apôtres quoiqu'on ne la possède qu'en grec, comme le point de
comparaison le plus important à cause de son antiquité. L'introduction donne une
analyse succincte des principaux documents et un essai de classilication.
Dans la première édition, M. Nau semblait croire que la Didascalie ne renfermait
aucune allusion à lévaniiile selon saint Jean. lia évidemment changé d'avis, sans

doute d'après les indications fournies par .Mrs Gibson. Il semble qu'il aurait dû re-
fondre dans ce sens (1) la note d'ailleurs si ingénieuse sur la chronologie de la se-
maine de la Passion. D'après cette note, l'auteur de la Didascalie aurait concilié, sans
y songer, la date du repas de Béthanie d'après saint Jean (six jours avant la Pâque
et d'après saint Matthieu et saint Marc deux jours avant la Pâque). Or cette dé-
monstration supposerait que l'auteur connaissait saint Jean. Aurait-il exécuté ces
tours de force sans un impérieux désir de conciliation? La Didascalie imagine en effet

que Jésus a mangé la Pâque le mardi, avec les princes des Prêtres qui l'avaient anti-
cipée de trois jours. Le vendredi comptant pour deux, le repas de Béthanie pris le
lundi était à la fois deux jours avant la Pâque de fait, et six jours avant la Pâque
légale, la lune, le vendredi soir. Mais il se pourrait bien que
au quatorzième jour de
le symbolisme ait eu une plus grande part à cet étrange comput. La Didascalie
ajoute beaucoup d'importance au texte de l'Ex. 12, 3 et 6 Vous le garderez (l'a- :

gneau pascal^ depuis le dixième jusqu'au quatorzitmie (jour de la lune) et alors tout
Israël sacrifiera la Pâque. Jésus, pris dans la nuit du mardi au mercredi, passant le
mercredi chez Caïphe, le jeudi chez Pilate, réalisait bien cette prédiction, si l'on

faisait dater la capture du paiement de Judas, c'est-à-dire du lundi, comme l'au-

teur le dit assez expressément (2^ (p. 173). Si le vendredi compte pour deux, c'est,

comme la très bien dit M. Nau, afln d'avoir les trois jours avant la résurrec-
tion.
M. Nau n'a point essayé, comme Mrs Gibson, de rattacher les textes scripturaires
de l'évangile aux divers types de traduction syriaque, étant convaincu que ces rap-
prochements peuvent être dus au hasard de références approximatives. Le travail de
la comparaison n'eût pas en eflet efirayé ce travailleur infatigable qui ne recule pas
devant les tâches les plus ardues. Le public, qu'il fait proOter si libéralement de
un gré inûni. Grâce à lui et aussi aux publications parallèles
ses labeurs, lui saura
de M. Chabot, un public médiocrement instruit peut se mouvoir à l'aise dans un
monde qui n'était accessible qu'à quelques personnes de la plus spéciale et excep-
tionnelle érudition.

Ancien Testament. — M. le D-" Ed. Koeuig a tenu à dire lui-même à nos lecteurs
dans quel esprit il a écrit son Histoire critique de la religion de l'Ancien Testament (3).
Il nous reste à souligner l'extrême importance de cet ouvrage où sont discutées les
principales objections de l'école de Wellhausen. Son livre n'est point en effet, comme

(t) p. 172, Didascalie ne songe pas à cette conciliation, car elle parait ignorer lÉ-
note 2. Il I.a
vangile de saint Jean est une plira«e à effacer.
•,...

(2; Ce serait de l'histoire écrite d'après un symbolisme; mais n'est-ce pas dans l'esprit d'un
chrétii'n qui utilise l'Ancien Testament beaucoup plus que le Nouveau? -M. Nau en conclurait vo-
lontiers qu'il était d'origine juive (p. xxu;. Mais ne voit-on pas des pèlerins d'origine non juive
chercher plus ardemment en Terre Sainte les souvenirs de r.\. T. que les vestiges du Sauveur?
(3) Gesrhichte der Altleslamentlichen Religion, kritisch dargestellt von Eduard Konig, in-S" de
vi-608, pp. Giitersloh, Bertelsmann, 1912; d.RB., 1912, p. -259 ss.
622 KEVUE BIBLIQUE.

rétude de M. Touzard '1), une esquisse de l'histoire religieuse d'Israël, ou plutôt


cette esquisse se détache de l'exaraen détaillé des textes défendus pied à pied.
Nous devons aussi avertir nos lecteurs que M. Kœnig n'a pas suivi purement et
simplement les errements de Keil, protestant conservateur. S'il prétend que sa des-
cription des faits est critique, c'est qu'il entend bien pratiquer la critique littéraire.
Il tient beaucoup par exemple à ce qu'on sache qu'il accepte la distinction des
sources du Pentateuque. telle quelle est reçue communément. Entre M. Kœnig et
les savants qu'il attaque si donc sur ce point qu'une quesiion de
résolument, il n'y a
dates. 11 n'hésite pas à regarder certains morceaux comme antérieurs à Moïse, par
exemple telle partie des paroles de Jacob mourant. Le Décalogue et le Code de l'Al-
liance (Ex. 20, 22-23, 33) sont du temps de Moïse, l'Elohiste du temps des Juges,
le Jahviste du temps de David, des morceaux importants d'histoire [U Sam. 9-20

et I Reg. 1 s.i du temps de Salomon. Le corps du Deutéronome ^4, 45-49; 5-26 et

28, 31, 9-13) sauf retouches, daterait de la période qui a suivi la chute de Samarie
(722), sous Ézéchias. En6n, le Pentateuque tout entier, toujours sauf quelques re-
touches, composé par Esdras en réunissant les documents existants, aurait été ap-
porté par le grand Scribe en 4.58 et promulgué en 444. Ce n'est point par une cou-
cession de forme, dafo non concesso, que M. Kœnig se place sur ces positions comme
pour vaincre ses adversaires sur leur propre terrain, — on sait en effet qu'ils n'adhére-
raient point à des dates selon eux trop hautes, — c'est qu'il est vraiment convaincu,
et illui-même apporté dans ses ouvrages antérieurs des arguments qu'il croit dé-
a
cisifspour cet échelonnement historique des différentes parties du Pentateuque. Sous
le bénéfice de ces observations, nous sommes heureux d'enregistrer les éloges du

R. P. Rinieri qui juge l'article de Kœnig dans la Reviu' bUJique « di un valore singo-
lare e di una portata incalcolabile » [La Lifjuria del popolo, 20-21 avril 1912).
>'ous devons ajouter aussi que M. Kœnig admet le principe du développement re-
ligieux. Il ne songe pas à assimiler les conceptions des patriarches à celles d'un doc-
teur de la Loi au temps de Jésus. Voici par exemple comment se dessine l'idée de
Dieu avant les prophètes Moïse a fait prévaloir la Monolatrie, ou l'adoration unique
:

de lahvé. Vainqueur du Panthéon égyptien, lahvé est incomparable et unique. Cette


unicité contient en elle-même le monothéisme pur, mais n'exclut pas l'existence à
côté de lahvé de certaines puissances divines (p. 199 s.). La distinction des sources

du Pentateuque permet M. Kœnig de reconnaître la légitimité de plusieurs


aussi à
lieux de cultes, sans nier la prépondérance du sanctuaire central, et certaines modi-
fications dans la situation réciproque des prêtres et des lévites. Le R. P. Rinieri ne
le suit certainement pas jusque-là.
En revanche on estimera que dans certains cas il se montre trop rêche, et l'on
pourrait sans tant de façons concéder que Jephté a immolé sa fille et que l'éphod
fut quelquefois une idole.
Il est donc arrivé à M. Kionig de se laisser entraîner trop loin par l'habitude de
réfuter, peut-être parce qu'il voyait ses adversaires si retors pour contredire, coûte
que coûte et vaille que vaille. L'érudition extrêmement étendue de l'auteur lui a

permis de passer en revue tout ce qui était allégué contre la Bible, et c'est déjà ré-
pondre en bloc que de mettre en présence et en conflit des hypothèses qui sont assez
souvent contradictoires. Comme il le disait très bien dans cette Revue, on n'a eu re-
cours à tant d'artifices que pour ranger sous les lois communes de l'évolution la
seule histoire qui ne puisse pas s'y plier.

(1) cf. ici même. p. 45S ss.


BULLETIN. 623

La conclusion religieuse d'Israrl est, comme on Taccorde, unique dans les annales
ds riiumanité; on devrait accorder aussi qu'elle était contenue dans les prémisses;
et, précisément parce que son développement se produit sur une même ligne, on re-
connaîtra que le point de départ pour mettre ce principe en
était très élevé. C'est
relief que l'ouvrage est divisé en deux parties l'origine, puis le développement de
:

la religion d'Israël. Cette division, très rationnelle, est un peu en opposition avec la

méthode chronologique, en ce sens que la première partie empiète parfois sur la


seconde. Par religion d'Israël, Koenig entend la religion légitime, professée par les
hommes de Dieu, qui ne fut pas toujours celle de la majorité, mais qui était cepen-
dant de droit celle de tout Israël. Par un coup d'audace auquel on ne peut qu'applau-
dir, il a reporté à Abraham la naissance du véritable prophétisme, car le prophète

est celui qui parle de la part de Dieu, le chef religieux, et non le membre d'une
congrégation de derviches. Et certes le prophétisme d'Israël n'est pas né au pays de
Canaan, mais peut-être pourrait-on concéder qu'il y a pris un caractère spécial, du
moÎDS à une certaine époque (li. Quoi qu'il en soit, les patriarches, Abraham à leur
tête, sont bien les ancêtres religieux d'Israël; leur foi ne dérive ni du totémisme, ni
du culte des ancêtres, ni du fétichisme; eux-mêmes ne représentent ni des héros, ni
des dieux, ce sont des personnages historiques. C'est leur Dieu que Moïse propose à
l'adoration d'Israël sous le nom nouveau de lahvé 2 1

,
jusqu'alors inconnu, et qui ne
put être emprunté ni aux Babyloniens, ni aux Cananéens, ni aux Qénites.
lahvé est celui qui fidèle. Dès lors la religion d'Israël était fondée
demeure, éternel,
comme le Dieu personnel, moral, qu'on devait adorer seul et sans images.
culte d'un
Les prophètes n'ont fait que développer ce concept déjà transcendant.
Nous ne saurions suivre M. Kcenig dans le détail de ses thèses, ni, on le comprend
aussi, adhérer à toutes ses explications. Mais il n'est pas contestable qu'il connaît
bien les difficultés, et qu'il apporte à les résoudre les connaissances très précises d'un
hébraïsant hors pair, d'un sémitisant bien informé, et un bon sens exégétique très
sur. Disons-le sans ambages : quand on lit Stade ou "Wellhausen ou Marti, on se
sent entraîné vers leurs conclusions par une pente très douce. Et il suffit souvent
de reprendre l'argument tiré du texte, de
pour reconnaître
le serrer de très près,
qu'il n'est séduisant que lorsqu'on manière de certains théologiens an-
l'isole, à la
ciens, et qu'il prend une autre physionomie si on le met dans l'ambiance des autres
textes et de la vie de l'ancien Orient. C'est ce que M. Koenig a fait très souvent,
avec la maîtrise que lui donne une longue familiarité avec la Bible. Il eût pu tirer
plus de lumières des civihsations orientales voisines, mais il a du moins compris que
c'était là qu'il fallait chercher.

Isaïe a toujours eu l'attraitde la beauté: il a encore, pour beaucoup de critiques,


celui du mystère. Lorsqu'on regarde le livre, qui porte en tête son nom. comme un
recueil des pièces les plus diverses, depuis le viii'= siècle jusqu'au i^'' siècle av. J.-C..
on n'est guère en meilleure situation pour assigner
chacune son époque que s'il s'a- à

gissait du psautier, et cependant il paraît plus urgent de se décider puisque les dis-
cours ont quelque chose de moins impersonnel que la poésie. La tâche a paru si lourde
que dans The intpru'itlonal critkal Commenta nj, M. G. Buchanan Grav ne s'est
chargé que des trente-neuf premiers chapitres, le reste étant réservé à M. A. S. Peake.
Le premier volume, qui vient de paraître, comprend l'introduction et 1-27, par

(1) On pourrait à cette occasim l'aire état du papyrus Golenischeff; cf. RB., 1899, p. 481.
(2) L'auteur concède l'existence antérieure de lau, et ne s'explique pas sur le rapport
des deux
noms. Il y a déjà longtemps {RB.. 1803, p. 346 que le P. Lagrange, sous le pseudonyme transpa-
rent de Barns, a supposé que Moïse a changé laii en lahvé.
624 REVUE BIBLIQUE.

M. Buclianan Gray (l). Les deux auteurs sont assez d'accord sur les idées générales
pour que l'introduction du tout ait été confiée à l'un d'entre eux. 11 peut donc dé-
clarer déjà que les chapitres 40-66 ne sont pas d'Isaïe, non qu'il les regarde comme
des prophéties post evenlum, mais en vertu de ce principe qu'une prophétie doit être
antérieure à l'événement qu'elle annonce, mais postérieuie à celui qu'elle présuppose.
Or, d'après JM. Gray, les chapitres 40-55 présupposent que Cyrus est déjà entré
dans sa carrière, mais qu'il n'a point encore conquis Babyione, tandis que les der-

niers chapitres présupposent sa complète victoire, et même, probahlemenl, la situa-

tion qui a dominé un siècle plus tard. M. Gray pose même en principe que tout le

recueil isaïen étant de date récente, la vraie méthode ne consiste pas à regarder
comme d'Isaïe tout ce qu'on ne peut pas démontrer non authentique; en réalité,
chaque pièce se présente sans titre, et il faut avoir des preuves pour lui assigner une
date, sans quoi il n'y a qu'à confesser qu'on ne sait rien (2). Cependant il est peu dis-

posé à descendre trop bas, à cause du texte de l'Ecclésiastique dont il a bien fait,

ressortir la valeur (Sir.48, 22-25). Loin d'attribuer avec M. Kennett (3) une bonne
partie d'Isaïe aux temps macchabéens, il ne croit pas qu'il ait reçu après 180 des
additions importantes, si ce n'est peut-être 19, 17-2.5 et, moins probablement, 24-27.
Sur ces derniers chapitres, l'apocalypse d'Isaïe, M. Gray affirme seulement qu'ils
sont postérieurs à l'exil, mais il renonce à indiquer quelles circonstances ont inspiré

l'auteur. donc beaucoup moins dogmatique que M. Duhm. et cette nuance se


11 est
retrouve dans la manière dont il traite du mètre. Isaïe est un recueil de poésies,
c'est entendu, et la traduction doit le faire comprendre. Mais si nous ne coupons
pas en lignes égales une traduction de Virgile dont le mètre est connu, combien plus
devons-nous nous abstenir de couper le texte hébreu d'après un mètre que nous ne
pouvons que soupçonner! La règle dominante doit toujours être le parallélisme, ce qui
n'empêche pas de percevoir des vers égaux qui se répondent, ou dont le second
semble faire écho au premier (4). Le sentiment du mètre peut rendre des services,
mais ne doit pas imposer des corrections. Et il en est de même des strophes, qu'on
perçoit parfois très bien, mais dont on ne saurait dire qu'elles sont toujours égales.
Quand il s'agit de la première partie d'Isaïe, on court d'instinct à la prophétie de
l'Emmanuel. L'interprétation de M. Gray est froidement rationaliste Isaïe a annoncé :

à Achaz que Juda serait délivré d'Ephraïm et de la Syrie dans l'intervalle de deux ou
trois ans, et lui promet comme signe qu'une jeune mère nommera son enfant Em-
manuel. Rien de plus. On ne voit vraiment pas en quoi consiste l'efficacité du signe.
Il est très vrai que, d'après la Bible, le signe n'est point miraculeux de sa nature; il

peut même être reçu après coup, comme une preuve que tel événement était spécia-

lement voulu de Dieu. Mais il faut du moins qu'il y ait dans la coïncidence quelque
chose d'inattendu. Le nom d'Emmanuel est un nom de bon augure, comme tant
d'autres, et, puisqu'il devait être donné après la prophétie, il eût été facile à beau-
coup de mères de la réaliser. D'ailleurs, dans la situation concrète, Isaïe a proposé
un signe miraculeux, M. Gray le concède; se peut-il que, ce signe étant refusé par
Achaz, Dieu lui donne raison en proposant lui-même un signe aussi anodin ? Évidem-
ment Dieu ne doit pas se laisser vaincre; il donnera à la maison de David un signe

;i) ln-8°de pp., Edinhiirgli, Clark, imû.


CI-4--2
Ci) M. r.ray ajoute très justement qu'en pareil cas l'épitliète de non authentique ne dimi-
nue pas l'autorité d'un morceau. Ce n'est plus une question d'authenticité (|ui se pose, mais
d'attril/ution.
RB., 1911, p. fr2t S.
(3) Cl.
L'expression est assez heureuse pour désigner levers que les Allemands ont
(i) nommé qinah
et qui n'est pas propre à l'élégie.
lU l.l.CllN. 621i

tout extraordinaire. C'est ce à quoi M. Gray ne veut pas entendre. Non seule-
.1 lait

ment mère de l'enfant n'est pas une \ ier_'e. mais l'enfant lui-même ne fera rien
la

d'étonnant. Pour obtenir ce résultat, il faut 1 supposer que la prophétie s'arrête à : «

7, 16, et que ce qui suit est un oracle tout ditîérent; 2 ne pas voir l'Emmanuel dans i

8, S; 3 ) n'admettre aucun lien entre l'Emmanuel et l'enfant de 9, ô, ce à quoi se


décide M. Gray, mais on ne voit pas qu'il ait donné la moindre preuve; 4"^ ne pas
tenir compte de l'interprétation de Michée (5. 2;. D'ailleurs Gray traduit très bien
les épithètes de 5, 9 Conseiller admirable, Dieu puissant », et il les applique à
:

l'enfant, à vrai dire dans ce sens que le Messie agira commr le Dieu puissant lui-

même. On ne saurait refuser à Isaïe cette prédiction .ch. 9^ ; mais, à supposer même
qu'elle soit d'un autre, cet autre, comme Michée 'l), pensait au Messie et le rattachait
à la prédiction de l'Emmanuel. Ces interprètes d'Isaïe n'étaient-iis pas à même de
comprendre sa pensée? Aussi bien M. Gray semble se rendre compte que l'interpré-
tation qu'il nomme mythologique irague du terrain, au profit de lancienne interpré-
tation. un peu la méthode. Au lieu d'insister avant
>"ous devons seulement modifier
tout sur le caractère virginal de la mère post partnm comme étant le signe donné
par le prophète 2\ nous pouvons prouver très nettement que l'enfant doit être un
sauveur, et un enfant divin. Le voile qui couvre le nom de son père, le soin qu'a le
prophète, très bien compris par Michée, de ne parler que de la mère, suggèrent une
conception surnaturelle, qui se concilie très bien avec le mot de Aima. On peut en
effet concéder à M. Gray que si le signe avait été la virginité, il eût été plus clair
d'écrire bethoula. Le signe est l'Enfant, avec un tel l'ère et une telle Mère.
Un autre thème passionnant, c'est celui de l'apocalypse d'Isaïe 24 27 . .Mtlheu
reuseraent on ne peut pas dire que l'accord se fasse et qu'on soit même près de la
solution. Taudis que Duhm et Marti étaient très fermes sur l'origine macchabéenne.
et entrevoyaient des allusions à la prise de Samarie par .Tean Hyrcau, et aux campagnes
d'Alexandre Jannée contre Moab, M. Gray place l'ensemble aux environs de l'an 400.
Il regarde les cantiques comme faisant si peu corps avec le reste qu'il traduit d'abord

le texte en les laissant de côté.


On voudra bien me permettre ici une parenthèse personnelle. Plusieurs personnes
m'ont demandé si je maintenais les conclusions d'une note qui a paru dans cette
hnur 1894. p. 200-231) sur l'Apocalypse d'Isaïe. Je leur ai avoué que non. La
principale cause de mon erreur était que je n'avais point assez compris alors avec
quelle aisance les anciens, et en particulier les prophètes, mettaient eu branle l'ap
pareil d'un jugement général à propos d'un événement particulier :> . .Je pense au-
jourd'lnii qu'il faut attribuer plus d'unité à ces quatre chapitres, et, au lieu de dis-
tinguer : 1 une apocalypse faisant abstraction de toute situation précise, 2 ) une
allusion historique déterminée, — j'estime que
prophète avait en vue un événement
le
historique qu'il envisageait dans la perspective d'un jugement exercé sur le monde,
un peu comme dans Isaïe, 13, 9-13. Or cet événement auquel l'auteur revient comme
par manière de refrain 24. 10. 25, 2; 26, .5; 27, lOi, c'est la chute d'une ::rande
ville, signal de délivrance pour les Juifs dispersés à l'Orient, mais aussi dans les iles
(24. 13-16;, c'est-à-dire à l'Occident de la Palestine. J'avais été séduit par Duhm qui
voyait dans cette ville Samarie. Comme il est fort question de vin dans la désolation
qui suivit (24, 9-11 , et que M. Reissuer a précisément trouve à .Samarie des indices

I M. Grav a soutenu dans The Expositor, avril i'Jll. que Micbée fait allusion à 9. 5 plutôt qu'à
7, H semble bien en elTet que Michée a connu 9, o. mais il met la mère en scène comme 7. It.
It.
c'est dire qu'il a compris la relation des deux passages.
•2; D'après M. van Hoonackcr RB.. iWi. [>. iSfi le signe, c est l'invasion du roi d'Assur. .

Voir Le Messianisme..., p. il ss.


.'i'

RKVIE Rir.LIOLE 1912. — >". S., T. li. .'.„


626 REVUE BIBLIQUE.

très évidents du goût des habitants pour le bon vin, on pourrait estimer cette indi-
cation très juste. Mais la prise de Samarie par les Assyriens n'a point été le signal de
la délivrance pour les dispersés d'Israël. Quant à la prise de Sanaarie par Jean
Hvrcan, outre que la date est trop basse, le prophète n'aurait pas manqué de célé-
brer l'action propre des Juifs dans cet exploit. Or on voit seulement qu'après la
ruine, les pieux fidèles peuvent fouler de leurs pieds les ruines de l'orgueilleuse cité
(26, 6).

l'analogie avec Isaïe 13, 9-13 ne nous trompe pas, cette ville du chaos est
Si
Babylone, et dès lors tout s'explique ass°z aisément. La chute de Babvlone devait
avoir précisément pour résultat de faire réf{ner lahvé à Sion (Is. 52, 7 Mich. 7,
10). Ce point acquis, il n'y a aucune raison sérieuse de renvoyer l'oracle aux envi-
rons de l'an -100 comme fait M. Gray; il est au contraire tout indiqué de le rappro-
cher de la chute de Babylone. s'il ne lui est antérieur, c'est-à-dire si la chute de Ba-
bylone n'est pas prophétisée. Je me rétracte donc, mais je crois devoir maintenir ce
que j'ai dit de notre ignorance des origines de l'eschatologie apocalyptique. Peut-être
le grand ébranlement mondial causé par l'entrée en scène de Cyrus a-t-il rendu plus
naturel ce style grandiose. Le règne de lahvé à Sion est fort ancien. Il était tout
simple d'ajouter que son inauguration serait accompagnée d'un banquet (25. 6), à
l'instar de la royauté nationale (I Sam. 11, 14 s.). L'universalisme d'Is. 24-27 est

celui d'Is. 40-55. On trouve dans la petite apocalypse des traits qui reviendront dans
Hénoch et dans les Jubilés; mais ces ouvrages ont puisé à des sources assez anciennes.
Le Léviathan de 27, 1 est une entité beaucoup moins évoluée que celui de IV Esdr. 6,
49. 52, qui doit servir de nourriture aux élus. Mais ce serait abuser que d'entrer
dans le détail. On dirait que M. Gray a été surtout engagé à une date assez basse
par le cantique (26, 1-19) qui fait allusion à la résurrection des morts. Cela encore
n'est point décisif; au surplus cette pièce est écrite dans un style particulier et a pu
être ajoutée, couime le petit passage sur Moab (25, 9-12). M. Gray n'a pas même
mentionné la transposhion effectuée par le P. Condamin de 25, 1-5 entre 26, 6 et
26, 7. Peut-être en effet n'est-elle qu'ingénieuse. Le contexte ainsi obtenu est sa-
tisfaisant, mais le P. Condamin est d'ordinaire plus exigeant sur le rvthme, et au
lieu de bloquer les passages où l'auteur parle de la ruine de la cité ennemie, il

faut plutôt reconnaître qu'il y revient comme à plaisir; c'est le leitmotiv de toute
la pièce. J'en ai assez dit pour indiquer l'intérêt des commentaires de M. Grav.
Comme critique littéraire il représente incontestablement une réaction contre les
exagérations de Duhm, de Marti, de Kennelt. La réaction ira-t-elle beaucoup plus
loin parmi les critiques indépendants? il est difficile de le prévoir. Et l'on pourra
consulter utilement pour les explications philologiques cette œuvre moins person-
nelle, mais aussi moins systématique que celle de Duhm (L.).

On s'est étonné que M. van Hoonacker ait consacré aux douze petits prophètes
un gros volume très dense de 759 pages. Ce sont trois volumes très serrés qui leur
sont attribués dans The international critical Commentary. M. W. R. Harper, qui en
était temps de publier qu'Amoset Osée. Depuis sa mort, les savants
chargé, n'a eu le

américains se sont partagé ce qui restait à faire. Dans le second volume qui vient de

paraître, Michée, Sophonie, Nahum sont traités par M. J. M. Powis Smith, Habacuc
par M. W. Hayes Ward, Abdias et Joël par M. Julius A. Bewer (1). A la différence
de M. van Hoonacker, M. Smith renvoie au commentaire pour la discussion des
problèmes de critique littéraire, et ne donne dans les introductions qu'un aperçu his-

(Ij Ce sout trois volumes en un seul, de xix-303; 28; 146 pp. Edinburgh, Clark, 1912.
BULLETIN. «2T

torique des systèmes et l'indication de ses conclusions. Il est moins conservateur que
notre collaborateur. C'est ainsi que M. van FI. a cru pouvoir maintenir l'unité de
Miellée, tandis que M. Smilh ne lui accorde que 1-3. La section 4 à 5 ;sauf peut-
être 4, 14 et 5, 9-12) lui paraît être un conglomérat de fragments qui décèlent une
eschatologie plus récente, et il en est à peu près de même de 6 à 7, sauf que 6,
9-16 et 7, 1-6 peuvent appartenir à Michée. Pour cette dernière partie, van H. avait
concédé que la ville dont il est question était déjà en ruines, mais il pensait que
cette ville était Samarie, et voyait dans l'ensemble une trilogie. D'ailleurs van H.
est loin de méconnaître que les prophètes, aussi bien que les livres historiques, ou
législatifs, ou sapientiaux, onl, pu être complétés après la mort de leurs auteurs,
par des écrivains inspirés cela va sans dire. Ceux qui en doutent pourront s'en
convaincre en étudiant Nahum; l'écrivain qui a fait précéder le texte du prophète
d'un psaume traitant d'un autre sujet que la ruine de Ninive, a pris soin de souligner
son intervention en faisant un psaume acrostiche. Cette fois c'est M. Smith qui
trouve M. van H. trop hardi dans son essai de restituer la suite alphabétique de 1,
11 à 2, 3. Mais pour ce qui est de 1, 2-10, les critiques sont d'accord. Et cependant
personne n'avait douté de l'unité de Nahum jusqu'en 1893, moment où parut
l'article de Gunkel (l).

On ne manquera pas de dire que Nahum a pu composer im psaume, mais on prou-


vera difflcilement qu'il ait composé ce psaume dont le caractère général et eschatolo-
gique est si différent de sa prophétie, admirée de tous pour la vue immédiate qu'il

a d'un événement que pense M. Smith, et quand P. Haupt pro-


distinct. C'est aussi ce
pose de tout bouleverser pour former quatre poèmes, deux appartenant au temps des
Macchabées et deux au temps qui a précédé la ruine de Ninive, on lui demande
autre chose qu'un ipse dixit cour être convaincu. Dans Sophonie, l'unité de l'ensemble
est maintenue, mais M. Smith admet des additions assez considérables.
M. W. Hayes Ward n'a cherché qu'assez mollement à résoudre les énigmes du
texte d'Habacuc (2). Et cela est peut-être sagesse, mais ne renseigne pas beaucoup
le lecteur, qui voudrait du moins être informé plus au long des raisons pour ou
contre. •
Abdias n'offre guère moins de difGculté. M. Vigouroux {Manuel biblique) en fait le
plus ancien des prophètes dont les écrits nous aient été conservés.M. van Hoonacker
le datait des environs de l'an -500, et croyait pouvoir sauvegarder l'unité par cette
date un peu basse. Abdias aurait imité Jérémie, et une glose tirée d'Abdias aurait
aussi pénétré dans Jérémie. M. Bewer admet résolument, contre l'opinion générale,
déjà battue en brèche comme on le voit par van H., qu' Abdias est l'imitateur de
Jérémie. Cependant il aurait écrit avant l'exil. En revanche les vv. 1.5 à 18 seraient
un peu antérieurs à Joël, vers l'an 400, et les vv. 19-21 à peu près du même temps.
M. Bewer refuse très nettement de les placer au temps des Macchabées. Mais c'est
affaiblir beaucoup l'argument qui distingue les vv. 15 ss. du reste de la prophétie.

S'il en est ainsi, autant vaut-il soutenir l'unité autour de l'an 500 avec van Hoo-
nacker.
L'unité de Joël passait pour si assurée que van H. ne l'a même point discutée ex
professa; elle est constituée par la menace du jour de lahvé qui domine les chapitres

(1) Dans la ZATW.


(2) « The third chapter is and mayor may net beby one of the authors
a separate production...
to wliora we owe 1, i-2 2, 20 Encore lallait-il dire
• (p. 6). » l'auteur ou l'un des auteurs •, car
:

M. Ward ne s'est pas non plus prononcé sur l'unité ou la multiplicité d'auteurs pour lesdeux pre-
miers cliapitres.
628 lîEVlE BIBLIQUE.

1 et 2 comme Set 4. M. Bewer a tenté de la rompre eu regardant comme des inter-


polations 1, 15; 2. 1''. 2. G. 10. 11. 27, et cependant il n'ose refuser à Joël 3, 1-4^; 4.
2'. 9-1 4\ Le fléau des sauterelles est un phénomène naturel. — L'ensemble devient
dès lors assez incohérent. En regardant les sauterelles comme des bêtes d'apocalypse,
M. van H. donne au livre un sens beaucoup plus satisfaisant. Quant à la date,
M. Bewer indique les environs de l'an 400. Aucun critique ne songe plus à placer
Joèl avant l'exil.

A chercher dans ces solutions de critique littéraire un principe directif, on s'aper-


çoit que le principal critérium adopté est celui de l'eschatologie et de l'apocalyptique.
C'est un mouvant. Car on ne peut d'autre part dessiner le développement de
sol très
ces idées sans supposer résolus plusieurs problèmes liitéraires...
Les distingués commentateurs n'ont pu faire abstriction des questions de métrique.
Ils ont eu cependant le bon
de reconnaître qu'aucun système ne s'impose, et
esprit
qu'il serait peu sage de prendre
métrique pour base de changements textuels ou
la

de bouleversements. Les textes sont presque toujours traduits sous forme métrique,
mais il eût été bien utile d'indiquer les versets fl. Le commentaire est soigné; les
textes grecs sont souvent le point d'appui d'une correction.

M. Bernhard Duhm a fait paraitreenl910une traduction des petits prophètes repro-


duisant autant que possible leur rythme. Il l'a fait suivre depuis de notes qui
expliquent le mètre, les corrections adoptées et contiennent quelques indications
d'analyse littéraire 2). En les rapprochant de celles des auteurs américains, on cons-
tatera combien on est encore loin de s'entendre. Par exemple M. Duhm, qui attribue
tant de morceaux à l'époque macchabéenne, ne fait pas difficulté de placer Michée
6, 1-7. 7 sous Manassé, le prophète Michée étant peut-être l'auteur de ce morceau.
D'autre part Michée 4-5 serait du second siècle, et 5, 2 serait une glose encore pos-
térieure, visant Isaïe 7. 13 dans un mystère d'apocalypse. Joël, 2, 18-4, 21 est
ss.

en prose, et bien postérieur au reste. ?*ous venons de rappeler combien il est diffi-
cile de reconstituer l'alphabet du psaume placé en tête de >'ahum. La solution de
M. Duhm est ingénieuse et hardie à son ordinaire. Le copiste qui aurait ajouté ce
psaume se serait trompé sur le nombre de lignes que pouvait contenir le blauc pré-
cédant la prophétie de iNahum. Il n'aurait eu de place que pour seize lettres (donc
V/7/j compris', encore en faisant des interlignes avec le texte ancien. Ce procédé cor-
rigé et aggravé par d'autres copistes aurait amené la confusion actuelle entre 1. 10
et 2. 3. Il était difficile d'en sortir. Quoi qu'on puisse penser de ces théories géné-
rales, les corrections de .M. Duhm sont parfois tout à fait heureuses, très souvent
ingénieuses, toujours philologiquement sures. !1 admire beaucoup Jonas à cause de
sa tolérance, la moins aisée de toutes Car et c'est son dernier mot
: << —
la tolé- —
rance est beaucoup plus difficile contre des adversaires théologiques que contre des
païens et des Turcs " p. iKi M. Duhm l'a sans doute éprouvé lui-même, car pour
.

punir les recenseurs qui n'ont pas admis qu'llabacuc avdit écrit au temps d'Alexandre,
il n'a pas dit un mot de ce prophète. Et cette mauvaise humeur rappelle celle de
.Tonas — d'assez loin.

M. Strack a dej;i publié plusieurs traités de la Michna. Le traité P'^Sf/ltim 3 des

;lj .\l)cliasestseuleaientrésuiiié;les versets ne sont indi(|Ut'S à la Irmluction cjuo dans llahacuc


Cl Joël.
AnntevJcuugen zu den zvyilf Propheten yoa 0. Bernli. Dulini, in-8' de dli! pp.. (Wessen. Tô-
(2)
pelmann, I9H.
3\ P'sahim, der .Misnatraklat Passafest, mil BerQcksicliligung des neiien Testaments und der
BULLETIN. 620

ugueaux de la Pàque est certes un de ceux que les biblistes catholiques doivent le

mieux conoaitre. Et M. Strack leur a rendu cette connaissance très aisée. Le texte,
soigneusement revu d'après les meilleurs manuscrits, est ponctué, traduit, com-
menté et accompagné d'un lexique des mots un peu difliciles. Au texte canonique, si
Ion peut ainsi parler, l'auteur a joint des détails sur la façon dont les Juifs célèbrent
encore la Pàque, avec des exemples d'homélies ou explications pieuses qui accom-
pagnent le rite. Les notes sont des éclaircissements du texte, mais aussi des rensei-
gnements sur les usages et des renvois aux livres rabbiniques qui supposent un la-
beur vraiment considérable sous un si petit volume. Sans entrer dans la discussion
(les leçons adoptées avec un certain éclectisme, on peut constater qu'elles ont eu gé-

néralement l'approbation des spécialistes. Dans l'introduction, M. .Strack se demande


(juel jour le Seigneur a été crueiGé. et il répond que ce ne peut être que la veille de

la Pàque offlcielle. Jésus aurait donc devancé la Pà(|ue, ce qu'on s'explique très bien

dans l'incertitude de fait ou l'on pouvait être sur le quantième de la lune. C'est la
solution qu'avait adoptée le P. Lagrange dans son commentaire sur saint Marc.
M. Strack a lu quelque part que Jech. Lichtenstein, de Leipzig, avait proposé cette
solution. Il serait intéressant desavoir où, quand et comment. L'ouvrage de M. Strack
a pu profiter de la publication des papvrus de M. Sachau.

Palestine. — Pour écrire une histoire de la civilisation en Palestine telle que


la condensée M. le prof. Macalister (1) dans l'un des élégants manuels scienti-
llques et littéi-aires édités par l'Université de Cambridge, il faut être absolument
maître du sujet. A chaque page de ce charmant petit livre se révèlent avec dis-

crétion l'information, la critique, le sens historique rehaussés du plus judicieux,


on dirait volontiers du plus implacable bon sens. M. Macalister a pratiqué les

textes et il les domine. Il a non moins pratiqué le pays et n'ignore rien de sa


couGguration, de ses particularités, de son influence sur les races actuelles et
sur les races que ses habiles fouilles ont le plus contribué à révéler. Il sait que
l'histoire se construit mieux à la lumière des faits, généralement très petits, qu'à
celle des textes trop souvent emphatiques et imprécis. La trace des premiers
efforts industriels et artistiques humains, les phases et le caractère de l'évolution
sur ce sol qui n'eut jamais de culture originale, l'action du climat, l'influence
délétère des moustiques, de la malaria, du siroco, les conditions de la vie aujour-
d'hui et dans le passé : tout a été observé d'un coup d'oeil juste et se place à son
rang dans celle limpide et vivante évocation de trois à quatre millénaires d'histoire
précédés de longs tâtonnements de culture néolithique et paléolithique esquissés
aussi. Le cœur du Développement de la cons-
livre est le chapitre consacré au «

cience religieuse en Israël » :l'ancien axiome que cette


antithèse radicale de
religion est, dans l'ensemble, un produit en quelque sorte spontané du sol. M. Ma-

calister ne craint pas de l'appeler un miracle » désormais inexplicable pour le


<•

rationalisme le plus convaincu p. 84;. A travers les époques arabe et byzantine


romaine l'esquisse est prolongée jusqu'aux temps modernes. Elle se clôt sur un
tableau saisissant de la stagnation fatale en ce pays énervé par une dégradation
millénaire et somnolent sous la mélopée qui tombé jour et nuit du haut de ses
minarets : Allâhou nkhav!

jetzigen Passafeier der Juden, nach Handschriften und alten Drucken herausgegeben, iibersetzt
und erlautert, von Prof. D. Dr. Herniann L. Strack, in-8^ de 48-40* pp., Leipzig, Hinrichs, lOU.
(I) .1 liislory of civilizalion in Palestine. In-lO de viirl.'îît pp. avec flg. et une carte.
Cambridge, Lniverslly Press, ltM2.
630 REVUE BIBLIQUE.

L'habitation fournit un exemple topique de ce défaut radical de génie artistique


et d'aspiration au perfectionnement. D'une phase à l'autre de l'histoire palesti-
nienne, M. iMacalister la montre aussi rudimentaire et dénuée de confort autant
que d'élégance, telle à peu près, dans les villages contemporains, que la conçurent
les premières populations sémitiques installéesdans la contrée. Cette vue sera
confirmée quand on aura lu la monographie très diligente de M. le D"" K.
à satiété

Jiiger La maison du paysan en Palestine, ctudicc et décrite dans ses rapports


:

avec l'habitalion biblique [l). Il se peut que l'un ou l'autre des rapprochements
institués par le jeune savant ne soit pas assez fondé. Une plus longue familiarité

avec le pays en eût probablement aussi suggéré quelques autres encore. Du point
de vue archéologique enfin, la dissertation eût pu être conçue plus méthodique,
plus serrée, mieux concrétisée surtout par quelques graphiques. Telle que l'a réa-
lisée M. Jiiger, elle dit bien l'aspect général, la structure, la disposition, le mobilier,

les dépendances de la maison du fellah, son caractère, le rôle qu'elle joue dans

la vie populaire, les rites religieux de sa fondation et de son achèvement. Elle sera
donc lue avec intérêt et profit.

Nous ne pouvons que signaler un ouvrage de M. le D"" F. Wieland : Autel et


tombe-autel des églises chrétiennes au IV siècle (2). Cette étude très soignée relève
surtout de l'histoire des origines liturgiques: mais elle touche par beaucoup de
détails à l'archéologie chrétienne de Palestine. M. W. précise dabord la notion

du sacrifice eucharistique en termes que les théologiens pourraient peut-être nuancer


et retrace l'évolution de l'autel : d'abord simple ustensile mobile avant de devenir
graduellement stable et caractéristique de l'église. Jusqu'au iv<^ siècle il n'eut rien

de commun avec la )ncnsa martyrum. Peu à peu, le culte des martyrs s'étant
développé, les chapelles des saints devinrent plus fréquemment le centre des réu-
nions liturgiques. D'abord érigé à côté de la tombe ou sur la tombe, l'autel se
confondit bientôt avec elle; ou plutôt, des préoccupations de symbolisme firent
grouper intimement l'autel et la tombe; le texte à.'Apoc. 6, 9 doit y avoir contri-

bué beaucoup. L'exemple de la basilique de Saint-Etienne à Jérusalem eût fourni

à M. W.
un cas doublement intéressant par la forme de son autel-table
:
1'^'

portée par trois colonnettes sur une dalle de l'",09 >< 0"\64 trouvée en place;

2« par la distinction très nette encore en 460, entre l'autel situé au centre de
l'abside et la confessio creusée en avant. Un peu plus tard les chapelles du mont
des Oliviers ou les églises de Mâdabâ fournissent des exemples très clairs de
l'association d'un reliquaire à l'autel.

M. le D'^ E. V\\ G. Masterman a consacré aux « Fouilles récentes à Jérusalem »

yBiblical World, 1912, pp. 295-306) un article digne d'attention à cause de son
information excellente et de la sérénité parfaite d'appréciation. Il s'agit naturelle-

ment Témoin assidu et discret, M. Masterman ne marchande


des fouilles d'Ophel.
pas son admiration pour la méthode adoptée en ces recherches, malgré la futilité
de leur point de départ. Ses critiques, en particulier sur le procédé de la fouille
au Harara, sont franches, sans amertume et font justice des racontars absurdes
et intéressés concernant la violation et les vols. Il fait bien ressortir le bénéfice

archéologique de cette entreprise.

(1) Dus Bauernhaus in Palaestina, mit Fiûcksicht auf das biblisciie Wolmliaus untersucht
und dargesteUt; 62 pp. in-8" avec 10 fig. Gôttingen, Vandenlioeck uiid Ruprecht, 1912.
(2) Allar und Allargrab der chrisllichen Kirchen in i. Jahrliundert. In-8» de 204 pj). avec
31 fig. LcipzifT. ilinriolis, 1012.
BULLETIN. 631

Bas heilige Land, 1912, n'^ 3 — R. P. H. Hànsler, 0. S. B., Documents écuni-


formes du musée de Sion (fin) : cylindres royaux archaïques, tablettes et cônes
publiés en fac-sinailé, transcription et traduction avec un commentaire historique.
Du même auteur, Contributions à l'tiisloire de la cÀcilisation en Palestinf (suite),
avec un très bon choix de documents céramiques d'après les séries très riches
du musée; les fig. iii-v en particulier et l'assortiment énéolithique de la nécropole
de Yabroud sont d'excellents répondants pour les précieuses collections récem-
ment exhumées sur le coteau d'Ophel. —
M. l'abbé Ileidet. Le dernier solitaire
de Palestine i suite) : histoire d'Emmaùs-'Am)tv;.s et identification de la ville mac-
chabéenne avec la colline qui porte le village d'el-Atliroim iel-Lâtroun, er-Ratloun)
moderne. — Dunkel, La grotte du coton, soi-disant carrières de Salomon,
P. F.
description de ces immenses carrières antiques et résumé des légendes qui s'y
rattachent. —
Une visite en Galilée et aux écoles du Verein catholique allemand.
— R. P. W. Bausch, La population juive de Jérusalem. R. P. E. Schmitz, Vue —
chasse à l'ours en Palestine, à l'Hermon. Nouvelles de T. S. et chronique du mou-
vement scientifique, industriel et religieux.

PEFund, Quart. Stat., juil. 1912. — M. le D"" Mackenzie résume ainsi, d'après

l'état actuel des fouilles, l'histoire de Beth Séraès : Trois périodes: I. indigène et
cananéenne, des origines jusque vers l'époque d'el-Amarna, caractérisée par les

influences venues d'Egypte et de l'archipel égéen; II, philistine, xiV'-xii' siècle,


où la localité est sous la mouvance absolue sinon la domination directe du peuple
qui a pris pied sur tout le littoral; III, Israélite, du xr' au vu" siècle. — M. E. J.
Pilcher, Poids de la Palestine antique : nature, origine, chissifieation métrologique
des poids à sigles ou épigraphes comme ï]ï:, D''S, "p2, etc. Ceux qui soupirent
sur la rareté des textes pojnpeux en feuilletant avec une mélancolie distraite les
comptes rendus de fouilles pourraient apprendre par cette monographie très soignée
quelle est souvent l'utilité pratique des plus humbles bibelots archéologiques pour
l'exégèse et l'histoire (1). — Rév. A. B. Grimaldi, Cénotaphes des patriarches héhri'ux
dans la caverne de Macpélah, notes peu originales mais ornées de six excellentes
du monument médiéval (2).
phot., quelques-unes utiles pour l'étude Le R. P. L. —
Jalabert, Les du temple de Damas, groupe et annote avec
inscriptions grecques
sa haute compétence d'épigraphiste les 12 textes actuellement connus relatifs à
ce temple. —
M. le prof. Macalister, Le pèlerinage de Sgmon Simeonis, francis-
cain irlandais qui visita la Palestine en 1322; le texte de cette originale relation est
seulement annoncé. — M. J. OCford, Un MS. d'Homère à Jérusalem; dans un
fragment de Jules Africain {Oxijrh. papyri, n° 412) on lit l'indication que la colonie
d'Aelia Capitolina possédait un texte de ['Odyssée plus complet que les MSS. usuels.
D'où M. O. conclut qu'Hadrien avait du doter sa colonie d'une bibliothèque assez
remarquable. —
P. Farmer, ?\ote sur myj dCAm. 2 13 un réel et lourd chariot. :

Comme témoins du mouvement scientifique qui se manifeste chez les Grecs de la


ville sainte, plusieurs publications sont a signaler. C'est d'abord le gros recueil
d'Itinéraires et de Guides aux Lieux Saints élaboré par l'archidiacre Cléophas
Ivoikylides et iM. J. Phocylides (3. Traductions en grec des anciennes relations

(1) Article plus succinct du même savant dans Proccedings Soc. Bibl. Arcfi., xxxiv, 191-2,
pp. 114-118 avec deux planches.
(2)Ces pliot. et quelques autres sont en vente ciiez M. G. Kaad à Jérusalem. M. Gervais de
Courtellemont a, si je suis bien informé, photographié naguère l'intérieur du Haram d'Hébron
en clichés chromatiques Lumière.
^3) 'Xù/aXa "/.«-ivixà i'i.'t.r,nY'/. jutit'.z'/. za; voiA/.ixà t.vo 'OSoiitoj;x'>. r, Il^'jiyxj/r-.do:a -r;; âvta; y^î» u'J'.V.E-'ÉvTa,
6Mi REVUE BIBLIQL'E.

latiues, russes et françaises, compilation des pèlerins grecs de jadis, auxquelles vien-
nent s'ajouter des descriptions tirées d'Edrîsi, de Procope de Césarée, du moine
Autiochus et la liste des noms géographiques de la carte de Màdabà tel est le contenu :

de cette collection tiestinée à rendre de réels services aux lecteurs de langue grec-
que. Pour nous, d'ailleurs, elle ne sera point sans utilité puisqu'elle nous rend acces-
si intéressante de Daniel d'Éphèse et divers -&07/.jvr-âv.a du Sinaï
sibles la relation
et des Lieux Saints de Palestine, publiés dans des périodiques russes difficiles à se
procurer. Parmi les ilesiderata qu'on nous permettra de formuler, nous signalons
l'absence de la description du Saint-Sépulcre par Photius et des renseignements
topographiques du Tl/pi'-Oii île l'Anastasit, ainsi que l'oraission de toute indication
bibliographique : il eût été assez facile d'indiquer l'édition à laquelle le texte tra-
duit était emprunté. Il se peut que remède soit apporté à ces défauts, dans une pu-
blication subséquente, car nous voyons M. Pli0('\ lides travailler à une traduction des
Plciopliories de .lean Rufus.
Mais ce qui est à apprécier par-dessus tout dans les travaux des Hagiotaphites
ce sont les publications des textes que recèle leur précieuse bibliothèque. L'éloge du
martyr Théodore par Chrysippe, prêtre de Jérusalem (V siècle), et disciple de
saint Euthyme. édité par M. Phocvlides ne peut être que le bienvenu, étant 1 ,

donné le petit nombre des écrits qui nous restent de cet éloquent personnage dont
les nombreuses productions étaient, au dire de Cyrille de Scythopolis. dignes de toute

faveur, -âir,; à-o5o/T); âÇix. Un passage de la péroraison a son petit intérêt topogra-
phique, surtout pour ce qui est du Cénacle : « Tu fais toi aussi la ronde autour de
Bethléem, tu montes la garde auprès de la plate-forme du Golgotha, tu conduis le
chœur dans la chambre nuptiale de l'Anastasis, tu bondis sur le mont des Oliviers
mais tu es convive dans le Cénacle de Slon. àXÀà Tj-zost-vatç iv tw O-scoko tïj; Zm-i a

(P- 21) (2).

Flora hiblka l'j.dvcald auctorc Joanne Kandler 'Haifa, Palestina\ — M. le doc-


teur Kandler, aumônier de Thôpital allemand de CaifTa, mettait à profit depuis de
longues années les loisirs de son ministère pour étudier à fond la flore de la Pales-
du montCarmel. Il vient de nous donner un premier fruit
tine et en particulier la flore
de ses recherches en inaugurant une publication originale et très instructive, Flora
hUilirti cxsi'Xdiu, qui. nous n'en doutons pas, sera bien accueillie des biblistes. On leur

fournit tout simplemeiU un herbier complet des plantes mentionnées dans la Bible.
Un spécimen sérieux de chacune de ces plantes, choisi avec soin et bien séché, est
livré entre deux feuilles de papier très fort mesurant 0°\42X 0"',2C. Il est ac-
compagné d'une fiche sur laquelle on trouve les renseignements suivants : a) No-
mcii hlbliruiii. nom de la plante en hébreu avec la transcription, et citation des
passages bibliques qui en parlent: b noî/irn mudcrniint, nom scientifique actuel;
c) nomen cuhjarc, nom ou noms arabes écrits en arabe avec la transcription ; d) alia

nomina, dans la Vulgate, les Septante et les auteurs classiques; 6; nota, remarques
de critique textuelle ou notes bibliographiques; f) nom de celui qui a ramassé la

/.'/: x—'xz'^wj'ti.-.oL j-;, K'i.i:-ù. M. Kr^ij'hii'.j xal I. 4'wxj/.:4', j. Il) S". Gll pp. Jérusaleiii, Impiimerie de la
Communauté du Saint-Sépulcre.
(i; \'yj-7l--',-j -j£7gj-:iooj 'hj'-uoVJjjLuv £v/ti;i-.ov û-, -l; «y.'-v ;i'ij-:jj« e^oSwjiv... ni-8»,
^ '-i-J pp. Jcrusalcm,
Imprimerie de la Communauté du Saint-Sépulcre. '

{2) Ajoutons enfin, sortis des mêmes presses en 101 1. quelques lettres et apoplitliegnies de
rat)bé Ammonas et des discours ascétiques de l'abbé Isaîe, publiés par le moine Augustin, qui
charme les loisirs de sa solitude dans les steppes du .lourdain par le déchiiïrcmenl des textes
Inédits laisses par les vieux anachorètes d"antan.
BULLETIN. 63 J

plante avec la date et le lieu de la tueillette. Au lieu d'une reproduction plus ou

moins on pourra donc avoir maintenant sous les yeux la plante elle-même.
fidèle,

Les renseignements qui l'accompagnent pourront paraître à quelques-uns un peu suc-


cincts, mais M. Kandler se propose de les compléter plus tard, dans un volume à part :

Flora biblica illustrata qui accorapaguera sa Flora exsiccata. Le premier fascicule


paru de cette dernière publication comprend div numéros dont plusieurs olTrent dif-
lérentes espèces de la même plante 1).

Voici encore quelques ouvrages envoyés à la rédaction et dont nous regrettons de


n'avoir pu, faute d'espace, faire le compte rendu :

J. n.A.i:.\Ei., I)ic aussenruixo/-etlttxchc)t L'i'bc/rinstinimuntjen zwhcln-n ili-r S^plu'i-


(jinta und der Peschittlia in (1er Genesis. Giessea, Tôpelmann, 1911.
V". Z.4PLETAL, O. P.,Dc jioesi Hehruenrum in V. T. conse/iata in usuin S'Itolarunt :

Editio altéra eminulota. Fribourg (Suisse. Gschwend. 1911.


B. D. Eerdma\s, Df/.N Buch Leviticus (Alttrsiam. Stud., IS , Giessen. Tôpelmann.
1912.
.1. Me Intosu. .1 .s'/(/'i// of .i^f/ustine's icrsion^i of GenesU. Cliicago, Univ.
Press.
A. S. Pj;.\ke, The ctnliirij bible : Jcremiah and Lamerdalion.^. Edimbourg. Jack.
P. Cheminant. Les proplu- lies dÉzt'chiel contrv Tyr. Paris, Letouzey, 1912.
J. Plessis, Le'i prophéties d'Ézcchiel contre l'Egypte. Paris, Letouzey, 1912.
A. Amelli, O. s. B., Liber psalmorum jiixta antiquissimum latinamversionem...
ex Casinensi cud. .5.57 Collectnnen biblica Latina cura et studio rnonachorum S. Bc-
iiedicti, I). Rome, Pustet, 1912.
L.-Cl. Fillio.v, Le nouveau psautier du bréviaire romain. Paris. Gabalda. r.tli'.

E. Balla. Bas Ich der Psalmen. Goltingen, Vaudenhoeck. 1912.


L. Levn Bas buch (Joheleth. Ein Beitraij zur Geschichte des Sadduzaisntus.
.

Leipzig, Hinrichs, 1912.


H. Li.xDEMANX, Florilegium Hebraicum : Loc. sélect, librorum V. T. Fribourg-en-
Brisgau. Herder, 1912.
G. RoTRSTEis, Leitfaden znm Unterricht im A. T. Halle, i:)ll.

D. Blzv. Introduction aux paraboles évangeliques. Paris, Gabalda, 1912.


L. Z.iE.ANTO.\'ELLO. // vangelo deW hifanzia. V'icence, 1912.
R. PERDEL^VITZ, Bic Mysterienreligiou und da.> Vroblein des I Petrusbriefes.
Giessen, Tôpelmann, 1911.
A. Harnack. Veber den privuten Gebrauch der heiligen Schriften in der Allen
Kirche. Leipzig. Hinrichs, 1912.
.\. Detilliela, /:"5^v/i d'Apolo;/''ti'p(f intf'gralc, Bru.velles. 19ii.

.1 propos d'une critique par h- iî. J'. Rinieri du Commentaire de Saint Mare. — Un
auteurne devrait jamais répondre aux critiques. Il devrait plutôt se montrer reconnais-
sant si l'on relève dans son œuvre des défauts, compagnons inséparables de toute œuvre
humaine. Si cependant il était permis de déroger à la règle, ce serait sans doute si les

recensions, au lieu de porter sur des faits caractérisés, mettaient en cause des ten-
dances et suggéraient, plus ou moins ouvertement, que le livre n"est point en harmonie
avecla foi de l'Église ou les directions du Saint-Sièïe. A propos de mou commentaire
sur s. Marc, je pourrais alléguer qu'il est antérieur aux décisions de la Commission
biblique. Mais je n'entends pas seulement exciper de ma bonne foi. je crois pouvoir

I Cliaquc fascicule. ' (t. :>o.


634 REVLE BIBLIQUE.

soutenir que ces décisions sont d'avance respectées dans mon livre. J'indiquerai deux
points : rantériorité de s. Marc par rapport au s. Matthieu canonique, et la finale
de saint Marc.

I. Je ne sache qu'un recenseur qui m'ait reproché l'antériorité de s. Marc, telle

qu'elle vient d'être déflnie, c'est le R. P. Ilario Rinieri. dans la Scuolo cattoUca de
Milan, mars et mai 1912.
Et d'abord le R. P. me reproche de ne l'avoir pas démontrée. — Or je n'en avais
pas la prétention. J'ai dit expressément : « il nous sera permis de l'embrasser, du
moins comme a ivorkinr/ hi/pothesis, ainsi que disent les Anglais, puisque la démonstra-
tion ne peut en être faite que dans une étude détaillée de la question synoptique » (1).

Et ailleurs je disais : « On le prend ici (s. Marc), par hypothèse, pour une tête de
ligne, sinon pour une base »...

Or chacun sait qu'une hypothèse n'est point une conclusion.


Je savais d'ailleurs qu'il y a des hypothèses qu'on ne doit point faire. Et c'est pour
cela que j'ai cité les savants catholiques, chaque jour plus nombreux, qui avaient
admis l'antériorité de Marc, toujours par rapport au texte grec canonique de s. Mat-

thieu. Le R. P. Rinieri me reproche de ne pas avoir cité les textes in extenso, et


prétend que mes autorités ne se sont point exprimées clairement. Il suffitde les
lire. A la liste j'ajouterai M. Belser. qui paraît être pour le R. P. Rinieri une très
haute autorité, et qui est en effet à la tête des conservateurs allemands catholiques.
\oici son texte : <( Si au point de vue delà terminologie on reconnaît un accord étendu
entre Marc et le Matthieu grec, c'est la suite de ce que le traducteur grec du Mat-
thieu hébreu a de son côté utilisé le ]Marc canonique (2) ».

Et en efTet, si l'on admet, comme la Commission biblique le dit si nettement, que


le premier évangile a été écrit dans une langue sémitique et ensuite traduit en grec;
si l'on admet de plus, comme le R. P. Rinieri et M. Belser. que Marc a écrit vers
l'an 44. est-il aisé de supposer que Marc a pu déjà consulter la version grecque de
s, Matthieu ? Sans style de Marc invociuées par
parler des considérations du
M. Belser! On peut mêmeremonter haut l'origine du second
dire que plus on fera
évangile, plus il sera probable qu'il aura précédé la version du premier.
Au surplus les nouvelles décisions de la Commission autorisent expressément cette
position, P'^ partie, n- V. Les critiques du P. Rinieri sont donc périmées 3.
Mais le remarqué que M. Belser, cette très haute autorité du P. Ri-
lecteur aura
nieri, et le monde, admet sans hésiter non seulement que Marc
assurément de tout
est antérieur au Matthieu grec, mais même que le traducteur grec de Matthieu s'est
servi de Marc, et souvent, ce que j'ai seulement regardé provisoirement comme une
hypothèse !

C'est ce que le R. P. Rinieri ne veut point accorder, et réfute par un dilemme :

« De deux choses l'une : ou l'évangile grec de Matthieu est identique à l'original


araméeu. ou il est différent. Dans le premier cas, l'antériorité de Marc sur Matthieu

Évangile selon saint Marc, p. xxxvii.


({)
•i] Einleituug..., l'.KM. p. m : Wenn sicli hiosiclitlirh des Wortschatzes eine weitgelieude leber-
einsfimjiuns zwisctieu Markus uud den griechischen Matthâuszeigt, so ist dies die Foige davoii
dassder griecliisclie Lebersetzlerdes liebraïsclien Matihaas seinerseits dea griecliischen kauoni-
schen Markus verwertet liât. Je remercie d'ailleurs le R. P. Rinieri de m'avoir fait remarquer que
dans l'expression « les auteurs que nous venons de citer » ,p. xxsv,, j'avais le tort de paraître
comprendre M. Belser; il ne s'agissait que des Pérès Cornely et Knabenbauer.
(3) X" V ... -Iw^ huic sententiœ adversari vicissim censenda sil eorum opinio, qux assertt Evan-
:

gelium secundum et terlium aille yreecam prinii Evanqelii vcrsionem esse composilum ? R. Né-
gative.
BULLETIN. 635

est un jeu même une imposture " etc. tmai, p. 21V J'avoue que je saisis mal
puéril,
le lien entre un jeu puéril et une imposture. Il me semble que rien n'est un jeu, ni
puéril, quand il s'agit des évangiles et de la pensée de Notre- Seigneur. Évidemment,
dans la pensée du R. P.. toute la critique textuelle est un jeu puéril. Mais, en dehors
de certains cercles peut-être, on ne raisonne plus de la sorte. Nous sommes certains
que la Vulgate est l'instrument authentique de la parole de Dieu. Elle suffît et
même fait seule autorité dans les discussions dogmatiques. Est-ce néanmoins un
jeu puéril de recourir au texte grec? Et si la critique avait démontré que le tra-
ducteur grec de s. Matthieu a employé telle expression parce qu'il la lisait dans
s. Marc, se serait-elle livrée à un jeu puéril ? sans parler de l'imposture qui est vrai-

ment un bien gros mot.


Dans le second cas, dit le R. P. Rinieri, nous ne posséderions plus l'évangile de
s. "Matthieu, tel en substance qu'il est sorti de la plume de Tauteur, etc.

Il y a là bien des confusions. Une traduction n'est toujours pas l'ouvrage tel qu'il
est sorti de la plume de l'auteur et une traduction peut être Adèle quant à la substance,
sans que cependant la pensée soit toujours strictement la même. Chacun sait que
c'est précisément le cas pour la Vulgate. Au dilemme je répouds simplement : datur
médium !
Le R. P. a la plaisanterie facile en me demandant si j"ai vu le texte original de
s. Matthieu. On le conclurait de mes prémisses!
J'ai seulement dit qu'aucun Père n'a témoigné des rapports qu'il y avait entre l'ori-

ginal sémitique et la version. Le P. Rinieri en conclut que la version était donc


strictement littérale.

Mais la Commission biblique a réservé une conformité plus large. Lorsqu'elle dit
que l'évangile grec est identique à l'original sémitique quoad substantiam, il est im-
possible de penser qu'elle ait employé ce mot à la légère (I). Quand on aflirme l'iden-
tité quant à la substance, on réserve donc la possibilité de divergences quant aux acci-
dents.
Je n'aurai pas l'impertinence de prétendre que la haute Commission m'a emprunté
cette expression, je puis bien du moins rappeler que c'est celle que j'ai proposée dès
1896. Je suis obligé de me citer, puisqu'il s'agit d'une question si grave : « Si les
Logia sont un ouvrage évangélique contenant la vie, les discours, la Passion et la

Résurrection du Sauveur, ouvrage écrit en araméen ou en hébreu par l'apôtre


Matthieu, je ne refuse pas de lui donner, comme Papias, le nom de Lo[iia évangéli-
ques. J'ai concédé, il est vrai, qu'il avait pu subir dans la traduction grecque une
certaine transformation qui avait donné au nouvel ouvrage le caractère d'un écrit
quasi original; mais je ne crois pas que la critique interne prouve que ces change-
ments atteignent LA SUBSTANCE, et, dès lors, elle n'est pas en contradiction avec
l'opinion traditionnelle qui considère à la fois le premier évangile comme un ou-
vrage inspiré, ce qui n'est pas le cas d'une simple version, et comme l'œuvre de
l'apôtre s. Matthieu» (2).

Toute question est donc de savoir jusqu'à quelles modahtés s'étend la confor-
la

mité entre l'original sémitique de s. Matthieu et sa traduction grecque. C'est cette


dernière que j'ai désignée, pour abréger, par le sigle Mt. Si mes censeurs y avaient
pris garde, ils se seraient abstenus de dire que j'admettais l'antériorité absolue de
Marc. J'ai même examiné assez longuement la question des rapports possibles entre

(I) Il revient dans la décision du 26 juin l!»l-2 : île identitate suOstantiali,


^ij Revue biblique, 1896, p. -21 s.
636 REVUE BIBLIQUE.

Marc et l'original sémitique de Matthieu, que j'ai désigné par le sigle O (source),
puisqu'il s'agit d'une discussion très épineuse avec des critiques, et qu'il faut bien
qu'on se serve d'une notation connue si l'on veut discuter. J'ai dit expressément :

« 11 est fort possible d'après les critiques, il est certain d'après la tradition, que la

source Q ou l'original araméen de s. Matthieu a précédé la rédaction de Marc »

(p. cviii). Je me suis d'ailleurs abstenu de concUu-e. Qu'on veuille bien m'excuser si

je cite encore« En présence de ces faits dont l'étude approfondie est subordonnée à
:

une connaissance plus ferme de la source Q qui ne peut être obtenue que par le
commentaire de s. Matthieu et de s. Luc, nos conclusions ne peuvent être que mo-
destes et provisoires » (p. cviii).
Et en cela, il n'y a, je l'affirme, ni réserve politique, ni prudence diplomatique.
En ce qui regarde s. Marc je n'en sais pas plus long, et j'aurais besoin encore de
plusieurs années d'études pour me faire une conviction raisonnée et mettre les choses
au point pour ce qui regarde s. Matthieu. C'est après avoir étudié s. Matthieu à son
tour qu'il serait peut-être possible de préciser les relations d'un évangéliste avec
l'autre. Il ne m'est point aisé, je le confesse, de me faire d'avance des opinions si

absolues; j'en sais déjà cependant assez pour affirmer qu'on ne déterminera jamais
très exactement les accidents de l'original sémitique de s. Matthieu — à moins
qu'on ne le découvre. Qu'on ne me fasse donc pas dire que je prétends le connaître
comme si je l'avais sous les yeux.
Les explications qui précèdent suffisent à montrer que le commentaire de s. INlarc

ne se trouve pas, même après coup, en opposition avec une des décisions de la
Commission biblique du 2fi juin 1912. La Commission refuse le droit de cité parmi
les catholiques à l'hypothèse dite des deux sources ^lais en même temps, elle ad-
met le système de la dépendance : ulrum... liceat exegetis libère disputare et ad
lii/jtothenes traditionis site scriptse sive oralis vel etiam dépendent ix tinius a précé-
dente seii a praecedentibus appellare? R. Affirmative.
Cela est d'une suprême importance quand on songe aux attaques si virulentes des
conservateurs, partisans de la seule catéchèse orale, contre les partisans de la dé-
pendance mutuelle, qu'on empruntée aux rationalistes, et ruinant la saine
disait
doctrine de l'inspiration Mou commentaire sur s. Marc est conçu, je l'avoue,
î

sur cette hypothèse delà dépendance. La décision de la Commission sur ce point lui
donne une base assurée dont je revendique le bénéfice. Mais il résulte bien de cette
position qu'on n'a pas condamné ceux qui diraient qu'un évangéliste se serait servi
de deux autres comme sources, mais bien une hypothèse très déterminée de la cri-
tique indépendante qui fait dépendre le Matthieu ^rec et Luc ah evamjelio Marci et a
collée liotie sic dicta sermonum Domini, c'est-à-dire d'une source qui n'aurait contenu
que des discours, ("e n'est pas ainsi que je conçois l'original sémitique de s. Mat-
thieu, comme je n'ai jamais manqué de le dire dans mes ouvrages, articles et
recensions.

IL On reprocher à mon commentaire de s. ^larc de


pourrait plus justement
n'être point en harmonie avec la seconde partie de la seconde décision de la Commis-
sion biblique donnée le 26 juin. On se demande si les raisons proposées par certains
critiques démontrent que s. Marc n'est pas l'auteur de Me. xvi, 9-20... vel saltem
demonstrciil rersuiiinconimdcm Marcum non ps.-^t' miclorem? R. Ner/alive ad utramque
partem.
Cependant, celte fois encore, il y a intérêt à peser les termes. Dabordia Comuiis-
siondistingue comme je l'ai fait laquestion d'inspiration et de cauonicité de la question
BULLETIN. 6:57

d'origiue littéraire. Le premier point esii^rave. Je me suis ettorcé d'accumuler toutes


les preuves qui justifient la première solution de la Commission qui était la mienne.
Le second point n'a évidemment pas la même gravité. Et, siTon se sert d'un langage
théologique, je ne suis pas eu opposition contradictoire avec la Commission. Elle
estime que les raisons des critiques ne sont point démonstratives. Or j'avais employé
les termes suivants : « Cette opinion est proposée ici cependant sous toutes ré-
serves, comme la plus probable, et avec une restriction sur laquelle il faut insister »

(p. 436). Je suis donc tout prêt à dire, aujourd'hui comme alors, que les raisons des
critiques « ne démontrent pas ».
Fr. M.-J. Lagrange,
dos Fr. Pr.

— t.--<ïvc5Si--a
TABLE DES MATIÈRES

ANNEE 1912

N" 1. — Janvier.
Pages.

I. LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÈTE ET LE CHRISTIANISME.


— R. P. Lagrange 5

IL CYRUS LE GRAND. — R. P. P. Dhorine 22

III. MÉLANGES. — 1" Les destinataires de l'Épître aux Hébreux, Joseph


QuenteL — 2" Ahiqar et les Nau. —
papyrus d'Elépliantine, F.
3 Inscription minét-nne religieuse de Hereibeh, RR. PP. A. Jaussen
et R. Savignac 50

IV. CHRONIQUE. — Les récentes fouilles d'Ophel. — Les récentes fouilles


d'Ain éeras. — Deux inscriptions de nécropole juive de Jaffa, R.
la

P. Vincent 86

V. RECENSIONS. — Graf W. W. Baudissin, Adonis und Esmun. — E. Sa-


chau, A7-amàische Papyrus und Ostraka aus einer jûdischen Militar-
Kolonie zu Eléphant ine (R. P. Lagrangej 117

VI. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. — Peuples


voisins. — Langues. — Palestine 138

N" 2. — Avril.

I. LA COMPOSITION DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. — E. Pode-


chard 161

II. LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE D'ÉPICTÈTE ET LE CHRISTIA-


NISME. — R. P. Lagrange 192

III. LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU PAYS DE


DAJNIAS. — R. P. Lagrange 213
TABLE DES MATIERES. 639
Pages.

IV. MÉLANGES. 1 —
Le titre primitif du livre d'Ézéchiel. A. van Hoo-
"

nacker. —
La nouvelle inscription de Sendjirli. R.P. Lagrange.
2-^

— L'histoire de la religion Israélite et la méthode scientiflque des


recherches historiques, Ed. Kœnig 241

V. CHRONIQUE. — Néby Samouil, RR. PP. Savignac et Abel 2(37

\[. RECENSIONS. — H. Pasquier, Lo solulion du prob/ciue sijiioptique. —


H. J. Vogels, I)ie altsyrischen Evaivjelien in ihrem Verhâltnis zu Ta-
tians Diatessaron R. P. Lagrange
P. Uspenskv et V. Bené- . —
sevic, Catalogue des manascrits grecsdu monastère de Sainte-Caflte-
rine au Sinai (R. P. F. -M. Abel). —
Publications ofthe Princeton
University Arcb. Exp. to Syria. Divis. II —
C. Butler, Anclent Ar- :

c/iitect>ire. Divis. III : E. Littmann, D. Magie, D. R. Stuart, Greek and


Latin ln<cr. — Schumacher, Karte des Ostjordanlandes iR P. H.
Vincent; 280

VIL BULLETIN. — Histoire des religions. — Nouveau Testament. — An-


cien Testament. — Pavs voisins. — Palestine 301

N 3. — Juillet.

I. LA SECTE JUIVE DE LA NOUVELLE ALLIANCE AU P.AYS DE


DAMAS. — R. P. Lagrange 321

IL LES RÉCENTES ATTAQUES CONTRE L'AUTHENTICITÉ DE L'É-


PITRE AUX ÉPHÉSIENS. — H. Coppieters 361

III. MELANGES. — 1- L"évanséliaire héraciéenet la tradition karkaphienue,


L. J. Delaporte. — 2^ Exploration de la vallée du Jourdain. R. P.
Abel 391

IV. CHRONIQUE. — Les récentes fouilles d'Ophel. R. P. H. Vincent 424

V. RECENSIONS. — A. E. Brooke et N. Mac Lean, The uld Testament in


greek (Eug. Tisseranti. — J. Bricout, Oit en est l'histoire des
— Huby. Christ us R. P. Lagrange
religions? J. 454

VI. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. — Pays


— Palestine
voisins. 463

N" 4. — Octobre.

I. UN MANUSCRIT PALIMPSESTE DE JOB. - Eugène Tisserant. . . 481

IL JÉSUS A-T-IL ÉTÉ OINT PLUSIEURS FOIS ET PAR PLUSIEURS


FEMMES ?— R, P. Lagrange .504

IIL MÉLANGES. — Texte complet de l'inscription


1'^ d"Abila relative à Lv-
sanias. R. P. Savignac. —2'^ Trois notes exégétiques, Pierre Ba-
tiffol. — 3° Isaïe, xxxiv, 15, "W. van Koeverden 533

ÏV. CHRONIQUE. — Les récentes fouilles d'Ophel, R. P. H. Vincent. . 544


640 TABLE DES MATIERES.
V. RECENSIONS. — Ouvrages divers sur Éléphantine (R. P. La-
grange). -- Frmjmcnlr und Vnlffsiichungen zuden
Scliraidtke, ISeuc
Judenchristlichen Evanf/elirn '(R. P. Lagrangei. G. Dalman, —
Neue Pctra-Forschunf/cN und der hciligc Ftdsen von Jrnimhiu 'R. P.
H. Vincent). — E. Podechard, L'Ecclrsiaste (J. Touzard) 575

VI. BULLETO. — Commissio pontificia « de re biblica ». — Généralités. —


Ancien Testament. — Pavs voisins. — Palestine ()05

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmlii-Diilot et C". — Paris.


TABLES GÉNÉRALES
DU VOLUME JX (nouvelle série).

1912

TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS

Arnal (A). La personne humaine dans les Évangiles. 146


Arnold (W. U.j. The Passover pai)yrus froni Elepliantine. 575

Bacon (B. W.)- .Jésus, le Fils de Dieu, ou Christologie primitive. 305


Baudissin (W.)- Adonis und Esmun. 117
Baldrillart (M?'' Vie de M-- d'Huist. 478
Balmstark (A.j. Die christlichen Literaturen des Orients. I. Einloi-
tung. 1. Das christlich-ararnaische und das ko-
ptische Schrifttum. 157
2. Das cliristiich-arabische und das athiopische
schrifttum. 157
3. Das christiiche Schrifttum der Armenim- und Geor-
gier. 157
Les citations bibliques grecques et hébraïques dans
le commentaire du Pentateuque d'Isù'adadh. 158

Behm (J.).
Die Handaudegung im Urchristentuni. 308
Benoît (F.).
.Architecture. T. I. Antiquité. 317

Bewer (J. A.).


Abdias et Joéi. G2G
Bezoi.d und Boi.i..
Réflexe astrologi.scher Keilinschriften bei griechischen
Schriftstellern. 472
Bodin. Sancta Jesu Christi Evangelia et Actus Apostolorum. 607
BOVER (P.)- Vie de Jésus-Christ d'après ses contemporains. 145

BOYSSOS (A. DE). La loi et la foi. Étude sur saint Paul et les .Judalsants. 619
Bricolt (J.).
Où en est l'histoire des religions? 455
Brooke and Mac Lean. The Old Testament in Greek. Xumbers and Deutero-
nomy. 454
Brown (C. R.). The et-Tekkîyeh inscriptions. 319
Brunnow (K.j. Zur neuesten Entwickelung der Meschetta-Frage. 477
Blrkitt (F. C.)- A new ms. of the Odes of Solomon. 469
The syriac forms of New Testament proper names. 611
Bctler. Publications of the Princeton L'nivei-sity Arch. E.\p.
to Syria. — Divis. II : Ancient Architecture .sect. A ; :

South. Syria; part II :South. Hauran; part III :

Ummidj-Djimàl. — Divis. III Greek and latin Inser.


: 206

Cellinl Considerazioni esegetico-domniaticlie sul Prologo


deir Evangelo seconde Giovanni. 144
Chabot (J. B.j. Les saints Évangiles. 304
Charles (B. B.). Cf. Olmstead.
connolly (r. ii.). The Odes of Solomon. Jewish or Christian? 469
Conybeare. The Odes of Salomon montanist. 468
revue bidlique.
TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS.
CORNELILS A LaF'IDE. Commentai ia in omnes sancti Pauli epistolas. Éd.
Padovani. 3q7
Creusex. Tabula? fontium traditionis cliristian;v. 614
Clrtis (A.). Ilistory of Credo and Confessions of Failli in Chi-islen-
dom and Beyond. 303

Dai.man (G.). Neue Petra-Forschungon und der heiliire Feisen von


.Jérusalem. 5%
Daressv. Étude sur la route des Hébreux à la sortie d"Égypte. 314
Decloedt {A.). Xumismaiique orientale. 318
Delai'Orte (L.). Catalogue des cylindres orientaux et des cachets as-
.syro-babyloniens, perses et syro-caiipadociens de la
Bibliothèque Nationale. 469
Dewkk (E. C). Priniilive Christian eschatologie. 610
DiNSMORE uncl Daljian. Die Pfla"hzen Palaestinas. 317
DUH.M (B.)- Anmerkungen zu den zwolf Propheten. 628
duaudin (e.). The source of tlie Christian tradition. 312

Eerdman.s (B. D.). The sepulcln-al monument massebah. 318


Epstein (J. N.). Jahu, ASJIbêthël und ANTbêthël. 575

Fer ARES. Une erreur de traduction dans la Bilil(\ 148


F1..1U.A (II. IL). Der Briefwechscl BiMibni's. Historische Urkunden ans
der Zeit Asurbànipals. 173
Franke.nreri; (AV.). Das Verstandnis der Oden Salonios. 467
Friedlandek. D'une représentation de IVpoque justinienne. 477
Pries (C). Studien zur Odyssée. I. Das Zagmukfest auf Scheria.
— IL Odysseus der bhikshu. 152
Fkies. Die Oden Salomos. Jlontanistische Lieder aus dem
II .lahrh. 468
Flrneaux (W. m.). The .4cts of the Apostles. 616

(iAMRER (St.). Le discours de Jésus sur la montagne. 014


(iEMOI.l. (M.). Die Indogermanen im Alten Oi'ient, mythologisch-
historische Fiinde und Fragen. 151
(JENOLII.LAC (IL DE). Tablettes de Dréhem. 471
La trouvaille de Dréhem. 471
(iinsoN (xM. D.). Horœ semiticae (t. V, VI, VII). The commentaries of
Isho'dad of Merv, bishop of Hadatha. 143
(JOBLET d'AlVIELLA. Croyances, rites, institutions. 301
Gkammatica (L.;. Délie edizioni délia Clementina. 607
Gray and Peake. Isaie (Intern. crit. Commentai-y). 623
Gkimme (IL). Die Oden Salomos. 464
Die lahotriade von Elephantine. 575
Guosse-Braick.mann. Der Psaltertext bel Theodoret. 313

IIarper (\V. R.). Amos and Osce (lnt(>rn. crit. Commentary). G26
IIeer. Nouveaux fragments grécc-sahidiques des Évangiles. 610
IIOSKIER (H. C). Concerning the Genesis of the Versions of tiie New
Test. (308

Concerning the date of iho bohairic Version. 609


HozAKowsKi (M. w.). Klemens z Aleksandryi 7<) tygodniach Danieia pro-
'

roka. 620
HlBY (.J.). Christus. 455
IlUMRERT (P.). Le Messie dans le Targum des Prophètes. 149
TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS. lii

Jaoer (K.). Das Bauernhaus in Palaestina mit Riicksicht auf das


biblische Wohnhaus untersucht. 63C»
Janne.u (Ch. G.). Uue dynastie chaldéenne. Les rois d'Ur. 155
Jeffery (G.). The church of tlie Holy Sepulchre. Jérusalem. 476

Kandler (J.). Flora biblica exsiccata. 63-2

Karoe (P.J. Die Resultate der neueren Ausgrabungen und For-


schungen in Palastina. 15'i

Karst (J.). Die Chronik des Eusebius aus dem Armenischen


ijbersetzt. 310
KoïKYLiDES et Phocvi.ides Itinéraires et guides aux Lieux Saints. 0:31

KiiNiG (Ed.). Geschichte der alttestamentlichen Religion. 021


kortleiner (f. x. . De polytheismi origine. 316

Labalche (L. . Leçons de théologie dogmatique : Dogmatique spé-


ciale, t. I. 138
Laxodom (St.). Tablets from Ihe archives of Drehem. 471
Le Bachelet (X. M. . Bellarmin et la Bible sixto-ciémentine. 310
Lebox (J.). La version pliiloxénienne de la Bible. 141
Leoraix (L.). Catalogue des cylindres orientaux de la collection
Louis Cugnin. 47u
Lehmann-IIaiit. Israël. Seine Entwicklung im Rahmen der Welt-
geschichte. 15<j
Lévi (L). Nouveaux papyrus araraéens d'Éléphantine. 575
Lewis (A. Sm.). Hor* semitic*, t. IX. The fortv martyrs of the Sinaï
Désert and the story of Eulogios from a palesti-
nian syriac and arabic palimpsest. 610
LiDZBARSKI (JL I. Aramaische Pap} rus aus Elephantine. 575
Littmann. Cf. Butler.
Llkyn William^. The Epistle of Paul the Apostle to the Galatians. 307

Macalister. A history of civilization in Palestine. 629


Mackenzie. Fouilles à Beth-Sémes. 631
iL\cLe AN. Cf. Brooke.
Mader ;J.). Die heiligen vier Evangelien und die Apostelge-
schichte. 4(33
Margolis iM. L.!. Texte grec de Josué d'après le ms. K. 312
Mariés (L.). Commentaire sur les Psaumes de Diodore de Taree. 310
Mars A Y (E. de . De l'authenticité des livres d'Esther et de Judith. 312
Marti (K.i. Kurzgefasste Grammatik der biblisch-aramaischen
Sprache. 315
Mastzrman (W. g Fouilles récentes à Jérusalem. i>3(;»

Mauss (C). Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Les deuxI.

portes occidentales et la chapelle Sainte-Marie. —


II. Recherche de la mesure ouvrière du Saint-Sé-

pulcre. 476
Meyer (E.). Der Papyrusfund von Elephantine. 575
MONTGOMERY (.J. Al. Some early amuiets from Palestine. 158
Mi'iLLER (D. H.). Neue Wahrnehmungen beziigUch der prophetischen
Kunstform. ll'.<

Die Deutungen der hebraisehen Buchstaben bei Ara-


brosius. 14;»

Xal (F.;. La Didascalie des douze Apôtres. La Didaché des


douze Apôtres. Didascalie de lapùtre Addaï et les
empêchements de mariage apostoliques. 62"
TABLE DES RECENSIONS ET BULLETINS.
Xe\vboi.d fR.). Bardaisan and the Odes of Solonion. 468

Ol.MSTEAD (A. T.). Travols and studies in the nearer east. Vol I, part II.

Hittite inscriptions. 475

Padovam. Cf. Cornélius a Lapide.


Pasquiek (H.). La solution du problème synoptique. 280
Peake. Cf. Gray.
Pfattisch (.1. M.). Die Dauer der Lohrtatigkeit Jesu nacli dem Evange-
lium des lil. Johannes. 130
PllOCYLIDES. Éloge du martyr Théodore par Chrysippe. prêtre de
Jérusalem au y" s. 6.32
PlEPENBRIXO. .lésus et les .Apôtres. 147
PlI.CHER (E. .].). Poids de la Palestine antique. 631
F*ODECHAKri (E. ). L'Ecclésiaste. 600
Prat (p.). Théologie de saint Paul. 617

PiADERMACHER (L. I. Neuteslamentliche Grammatik. Das Griecliiscli des


X. T. im Zusammenhang mit der YoIk.ssprache. 155
RlMERl {].). La Santa Casa di Loreto. 316
A propos du commentaire de saint .Marc par le
R. P. Lagrange. 633
RoBERTi^ON (A.' ami Pi.iM- Commentary on Ihe lirst epistlc of St Paul to the
MER. Corinthians. 140
ROBERTSON. Grammaire grecque du Nouveau Testament.
Trad. Stocks. 157
Trad. Montet. 315
ROLET DE JOIRNEL. Encliiridion patristicum. 310
RiiCKER (A.). Die Lukas-Ilomilien des hl. Cyrill Yon Alexandrien. 30!*

Saciiau fE.). Aramaische Papyrus und Ostraka aus einer judi-


schen Militar-Kolonie zu Elephaniine. 127
Sanday (W. .
Personality in Christ and in ourselves. 146
Saxe {.]. G. dlc deI. Das Katharinenkloster am Sinaï. 175
Schiffer (S.). Die Aramaer, historisch-geographische Untersuchun-
gen. 174
Schi.eifer. Sahidische Bibel-Fragmente aus dem Britisii Muséum
zu London. C>09

SciIMIDT (A.). Gedanken liber die Entwicklung der Religion auf


Grund der babylonischen Quellen. 154
SrHMIDTKE (A.). Neue Fragmente und Untersuchungen zu den .luden-
cliristlichen Evangelien. 587
Schumacher (G.). Karte des Ostjordanlandes. 296
SCHLMACHER (R.). Der Diacon Slephanus. 306
Schumacher (IL). Die Selbstoffenbarung .lesu bei Mat. \i. 27. 614
Selwyn (E. C). The oracles in the New Testament. 616
Six (K.). Das Aposteldekret. 307
Smith (J. M.). Michée, Sophouie et Nahimi (Intern. Crit. Conim.). 626
Staekk (W.). Alte und neue aramaische Papyri. 575
Steinmann (A.). Paulus und die Skiaven zu Korintli. I Cor. yh, 21. 308
Steiernaoel. Die jiidisch-araniaischen Papyri und Ostraka ans
Elephantine. 575
Stoi.ten . Parallèles gnostiques aux Odes de Salomon. 46S
Strack (II. L.). P'sahim. Der Misnatraktat Passafest mit Beriicksich-
tigung des Neuen Testaments und der jetzigen
Passafeier der Juden. G28
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Thouson (H.). A coptic Palimpsest containing Joshua. Juires. Ruth,


Judith and Estlier, in the sahidic dialect. 148

Thomfson (J. m.)- Miracles in the New Testanionj. 147

TiSSERAST (E.). Codex Zuqninensis rescriptus Veteris Testamonti. 312

Aramaische Papyrus aus Elephantine. 57 .0


Unoxad (A.).
l'spensky (p.). Catalogue des manuscrits grecs du monastère de
Sainte-Catherine au Sinaï. i'M

61-2
Valensin (A.V Jésus-Christ et l'étude comparée des religions.
VOGELS (H. J.). Die altsyrischen Evangeîien in ihrem Verhâltnis zu
Tatians Diatessaron. 2^
VOIGT (H. G.)- Die Geschichte Jesu und die Astrologie. :301

Vrégille iP. de). Galilée. 613

Ward iW. H.). Habacuc (Intern. dit. Comm.). 020


Weidner. Zur babylonischen Astronomie. Beitrage zur Erklâ-
rung der astronomischen Reilschriftte.xte.
WlELAND (F.)- Altar und Altargrab der christlichen Kirchon in 4.
lahrliundert. 030
Wrench (J. IL). Cf. Olmstead.

Ylvisaker (S. C). Zur babylonischen und assyrischen Graramatik. 473

Zapletal. Ueber einige Aufgaben der katholischen alttestaraent-


lichen Exégèse. 148
Der Schopfungsbericht der Genesis. 148
ZORELI (F.). Xovi Testament! lexicon grœcum. l:.7

TABLE ALPHABETIQUE
DES MATIÈRES PRINCIPALES
Abdias, 627. de Sendjirly. 2.>3. — Grammaire (Marti),
'Abedîeh (el-). 403. 315. — Histoire, 474.
Abila. Inscription relative à Lysanias, 5:33 s. Archélaïs (El-Bayoudat sur T'Aoudjeh),
Achéménès, 26. 159.
Actes des Apôtres. Saint Etienne, 306. — Ariaramnès. 26.
Décret des Apôtres. 307. Comm. Ma- — Ai-samès, 26.
der, 463. — Comm. Furneaux, 610. 'Asùn (Kh.), 320.
Adonis. 117 s. Assyrie et Babylonie. Sous Cyrus le Grand,
Ahiqaret les papyrus d'Éléphantine, 68 s. 22. —
Littérature religieuse des Babylo-
Ahouramazda, 44 s. niens, 154 s. — Cylindres orientaux. 469.
'.\ïn-Heloueh, 409. — Fouilles de Dréhem. 471. — Astro-
'Aïn-Sems. Fouilles, 111, 031. nomie, 471. — Asourbanipal. 473.
Win et-Tineh. 419. Astarté, 118 s.

Amulettes juives. 158. Astyage. 27 s.


'Anatbéthel. 134, 58L Autel et tombe-autel des églises chrétien-
'Anatialio. 135. 584. nes au IV* siècle. <3oO.
.\phairema (Kh. Ghuràbe), 150. Azymes. Fête à Éléphantine. 578 s.

Araméens. Papyrus araméens d'Éléphan-


tine, «38 s.. 127 s.. 575 s. —
Inscription Baal, 118.
TABLE ALPHABÉTIQLE DES MATIÈRES PRINCIPALE.^

Ba'al Hamùn, 256. avec les anciens évangiles svriaqiie>,


Ba'al Semed, 25G. 284 s.

Babylone. Prise par Cyrus. 539 av. J.-C, Diodore de Tarse. Comm. sur les Psaumes.
40. 310.
Babylonie. Cf. Assyrie. Djabboul, 409.
Bagohi, 130. 576 s. Djami' el-Arba'ïn Ghazâwi. 420.
Balthasar, ;38 s. Djisr el-Maqtou', 419.
Beéroth de Benjamin (Kh. el-Lattàtîni. 320. Djisr el-Moudjàmi\ 404.
Beisàn. Situation et liistoire. lO'.t s. Djisr es-Saghir, 404.
Bellarmin et la Bible sixto-clémentine. 311. Djisr es-Sidd, 403.
Béthel. Xom divin dans les papyrus d"Élé -
Dosithéens, 338.
pliantine, 134 s., 586. Dréhem. Fouilles, 471.
Beth-Sémes. Fouilles, 111, (.31.
Eccli'siaste. Composition du livre, 161 .*.

(Jambyse. 26. — Comm. Podechard. 6(X».


Capliarnaiim (Kh. Minyeh), 319. Echmoun, 117 s.

Clialdée. Les rois d'Ur, 155. Egypte. Roule des Hébreux pour sortir de
Ciiristianisnie (Le) et la pliilosopliie reli. lÉgypte, 314.
gieuse d'Épictète, 5 s., 192 s. Éléphantine. Papyrus. — Aliiqar, 68 s. —
Chronologie. De la vie de Jésus. 139, 463. Papyrus et ostraca araméens d'une colo-
— De saint Paul, 141. —
Naissance de nie militaire juive dÉléphantine, 127s.,
Jésus. 304. — Des soi.\ante-dix semaines 575 s.

de Daniel d'après Clément d'Alexandrie. Éphésiens (Épitre aux). Attaques récentes


620. —
De la semaine de la Passion. 621. contre répitre aux Éphésiens, 361. —
Colossiens {Épitre aux). Relations littérai- Relations littéraires entre l'épître aux
res avec l'épître aux Éphésiens, 368. Éphésiens et l'ép. aux Colossiens, o6s.
Commission biblique. Auteur, époque de — Vocabulaire et style de l'ép. aux
composition et vérité historique des Éphé.siens, 371. —
Doctrine de l'ép. aux
évangiles de Marc et de Luc, 605 s. — Éphésiens. 380. —
Rapport littéraire avec
Question synoptique, 6t^>6. la 1" Pétri. 385. — Pa'^sages spéciaux,
Copte. Palimpseste copte contenant Josué. 388.
les Juges, Ruth, Judith et Esther. 148. — Epictète. Sa philosophie religieuse et le

Date de la version bohaïrique, 609. — christianisme, 5 s., 192 s.

Fragments bibliques sahidiqiies, 609. — Épitres. .\ux Hébreux, destinataires, 50s.


Fragments gréco-sahidiques des Évan- — 1 Cor., Comm.. 140. — aux Galates,
giles. 610. 307. — Comm. Cornélius a Lapide,
Corinthiens [l" Épitre aux). Paul et les es- Éd. Padovani, 307. — I Cor. vu, 21, 308.
claves (vM. 21), 308. — Comm. Robertson — Récentes attaques contre TÉpître aux
and Plummer. 140. — Notes exégétiques. Ephésiens. 361 s.

IX. 29. 512. Eschatologie chrétienne primitive, 019.


Credo. Histoire du Credo et des confes- Esséniens, 344.
sions de foi. 303. Estampilles araméennes, 137.
Crésus, 33 s. Éthérie. Date de la relation, 159.
Cyrille d'Alexandrie. Homélies sur saint Etienne, premier diacre. 306.
Luc, 309. Eusébe. Chronique traduite de l'arménien.
Cyrus le Grand. 22 s. 310.
Eusèbe d'Émèse, 294.
Damas. Secte juive de la Nouvelle Alliance Évangéliaire héracléen et la tradition kar-
au pays de Damas. 213 s., .321 s. kaphienne. 391.
Darius I, 26 s., 128. Évangiles. Durée du ministère de Jésus
David. Piise de Jérusalem, 551 s. d'après saint Jean. 139. — Comm. d'Icho'-
Delhemieh. 403. dad de Merv sur les quatre Évangiles,
Deutéronome. Éd. grecq. de Cambridge, 143. — Considérations exégético-dogma-
454. tiques sur le prologue de saint Jean,'145.
Diatessaron de Tatien dans ses rapports — Évangiles du dimanche. 145. — Solu-
TA15LE ALPHABÉTIQLE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

tion du in-olilènie synoptique, 280 s. — ledoniah, fils de Gemariah, dans les docu-
Anciens évangiles syriaques dans leur ments d'Éléphantine, 133.
rapport avec le Diatessaron de Tatien, Ismbélhel. 134. 584 s.

.J81. — Évangiles, trad. Chabot, 301. — In-seriptions : minéenne de Ijereibeh, 80. —


Homélies de d'Alexandrie sur
Cyrille gréco-juives de Jaffa, 115. — gr. de Ber-
saint Luc, 309. —
Les quatre Évangiles, sabée, U¥). — araméenne de Sendjirly,
Comm. Mader, 463. —
Onction de Jésus 253. — gr. de Beit-Ràs (Capitolias), 478.
dans les Évangiles, 5(i4. Evangiles — — g^r. d'Abila relative à Lysanias, 533 s.

judéo-chrétiens, 587. —
Décision de la Isaïe. Note e.xégétique, xxxiv, 15, 5^42 s.

Commission biblique sur l'auteur, l'épo- — Comm. Gray, 023.


que de composition et la vérité histori- Israël. Histoire, 1.50. — Histoire de la reli-
([ue des évangiles de Marc et de Luc. gion d'Israël et la méthode scientifique
605. des recherches historiques, 259 s. —
É\\ il-Mérodak. 36. Religion d'Israël, 458.
E.xode, xxm, 19, 148. Israélites. Leur route au sortir de l'Egypte,
Ézéchias. Le canal d'Ézéchias, 554 s. 314.
Ézéchiel. Titre primitif du livre d'Ézéchiel.
•241 s. JalTa. Inscr. gréco-juives, 115.
Jérusalem. Prise par les Babyloniens en
Flore biblique. 632. 597 av. J.-C, 36. — Les récentes touilles

Fouilles. D'Ophel, 86 s., 424 s., 544 s., 630.


d'Ophel, 86 s., 424 s., 544 s. — Jérusa-
— d"Aïn-Sems, 111, 631. — de Dréhem, lem, hier et aujourd'hui, 317. — le Saint

471. Sépulcre, 476. — Saint Pierre eu Galli-


cante, 477. — La roche sacrée du Tem-
ple, 596.
fiadda (Kh. es-Samrà), 299.
Jésus. Durée de son ministère d'après
Comm..
Cndates (Ép. aux). 307.
saint .Jean, 139.— Vie, 145. — Personna-
146. — Jésus et les Apôtres, 147. —
Cienèse. Récit de la Création, 148.
lité.

l'astrologie, 304. —
(iergésa (Koui'si). 319.
L'histoire de Jésus et
Grec. Grammaire néo -testamentaire de
Jésus et la christologie primitive, 305
Radermacher, 155. —
de Robertson, 156,
— Jésus par
3L5. —
Lexique de Zorell, 157. Cata- — plusieure
a-t-il été oint plusieurs
femmes? Opinions des anciens
l'ois

logue des mss. grecs du monastère de


écrivains ecclésiastiques, 504 s. - Mani-
Sainte-Catherine au Sinaï, 294. Codex — festation du lien qui l'unit à son Père,
Zuqninensis rescriptus V. T.. 312. Édi- — 614 s.
tion de Cambridge, Nombres et Deuté-
Job. Ms. palimpseste, 481.
ronome, 454. Ms. palimpseste de Job,
Joël, 627.
4SI.
Jo'i'akin, 36.
G\gés, 31.
Jourdain. Exploration de la vallée. VI : De
Samakh à Beisân, 402. — Beisàn, 4(i9.
Hallàbàt. Édit de l'empereur Anastase I,
Judéo-chrétiens, 335. 587.
Cyrus le Grand, 41 s.
Juifs et
Hananiah dans les documents d'Éléphan- La secte juive de la Nouvelle Alliance
Juifs.
tine, 131.
au pays de Damas, 213 s. Trad. du —
Harambéthel, 134.
document, 213 s. — Caractère, destinée
Hatita (Kh. el-Hadi.li, 299. et origine de la secte, 321 s. — 1. Témoi-
Haui-an. Archéologie. 297.
gnage du document, 321 s. — Circons-
Hébreux (Épître aux). Destinataires, .50 s.
tances du schisme, 328. —
IL Témoi-
Hereibeh. In.scription minéenne, 80 s.
gnage des premiers Cara'ites, 332. —
Hrmbéthel, 585. 111. Origines. Judéo-chrétiens." 335. — ou
Hystaspés, 26.
Pharisiens, 337. —
ou Samaritains, 338.
— ou Dosithéens, 338. ou Esséniens, —
lahu ou lahù, 45, 129, 584. 344. —
ou Zélotes, 34-5. ou Sadducéens. —
Icho'dad de Merv. Comm. sur les quatre 345. —
ou réactionnaires messianistes.
Évangiles, 143. 3.j3.
TABLE ALPHABÉTIQLE DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Juifs à Élépliantine, 127, 576. Onction de Jésus par les femmes, 504.
Ophel. Les récentes fouilles. 3° Le pas- —
Kalarnou. Dans l'inscr. aram. de Sendjiiiy, sage souterrain entre la fontaine et la
•255.
crête d'Ophel, 80 s. — 4* le tunnel-aque-
Kephar-Ahouin (Tell Houm), ïilO.
duc de Siloé, 105 s., 424
5°. a. Ca- s. —
Kùkab el-Ha\và, 405. vernes fu^iéraires et hypogées artificiels.
441. —
b. Séries céramiques, 450 s., 544 s.
Lorette. La sainte Maison, 316. — c. Trouvailles accessoires, 546 s. —
Luc (saint). —
Homélies de Cyrille d'Alexan-
II. Conclusions archéologiques et histo-
drie sur saint Luc, 309. Notes exégé- — riques, 551
tiques, XVI, 19 et xxii, 30, 541. — Déci-
Ouàdy
s.

el-Bireh, 406.
sion de la Commission biblique, 605. — 0. el- 'Es.se, 406, 409.
Luc. X, 22, 614.
Oumm el-'Amoud, identifié avec Amoudah
Lysanias. Inscr. d'Abila, 353 s.
ou Pa!;B-Tyr, 319.

Mages (Épisode des), 304. Oumm el-Djemàl (Thantia romaine?), 298.


Jlains. Imposition des mains dans le cliris-
Oumm-Djounieh, 403.

tianisme primitif, 308. Oumm el-Qanàtir, au moyen âge Djisr-es-

Jlanuscrits. Copte contenant .Josué, les


Sinnabra, 402.
Juges, Rutli, Judith, Esthcr, 148. Cata- —
Palestine. Histoire de la civilisation, 629.
logue des mss. grecs du monastère de
Sainte-Catherine au Sinaï, 204. Ms. K — — La maison du paysan en Palestine et

de Josué, 31"2. — Codex Zuqninensis re-


ses rapports avec l'habitation biblique,

scriptus V. T., 312. Ms. palimpseste— 030.

de Job, 481. —
Mss. coptes de la Bible
Papyrus d'Éh'phantino, 68 s., 127 s., 575 s.
— Pàque. Dans les documents araméens,
en dialecte sahidique, 60i>. Ms. palim-
pseste syro-paiestinien, 610.
131 s., 137 s., 578. dans la Misna,—
028.
Marc (Évangile selon saint). Décision de la
Commission biblique, 605. A propos — Paul (saint). Théologie, 617. — La loi et

la foi dans saint Paul, 619.


du comm. de Saint Marc par le R. P.
Perses, 23 s.
Lagrange, 633.
Peschitto. Date, 141.
Mardouk et Cyrus,
'
43 s.
Pétra, 596.
Maspha, 319.
Pharisiens, 337.
Masseboth, 318.
Phounon, 124.
Matthieu (saint). Décision de la Commission
biblique, 605. — xix, 28, 541. — xi, 27, 61 1.
Plantes de Palestine, 317, 632.
Platanos Balàta), 319.
Mechatta, 21 8. 477.
Poids de la Palestine antique, 631.
Mèdes, 24 s.
Polythéisme, 303.
Melhamieh, 403.
Prophètes (Petits), 626 s.
Messianisme, 353.
Psaumes. Dans les mss. grecs du monas-
Jlessie dans le Targum des Propliètes, 1 19.
tère de Sainte-Catherine au Sinaï, 295.
Métrique liv'braïque, 149.
— Comm. de Diodore de Tarse, 310. —
Michée. 627.
Texte du psautier de Théodoret, 313.
Minéen. Inscr. de Hereibeh, 80 s.

Nabonide, 36 s. Qoheleth, 161 s., 690.

Nabuchodonosor, 35 s.
Quii'inius, 463.

Nahum, 627.
Néiîj- Samouîl, 267 s.
Rekoub-El. 256 s.

Religion. Religions séiniti(iues, 117 s.


Nériglissar, 36.
Nombres (Livre des). Éd. de Cambridge, Histoire des religions, 151 s. — Religion

45 L Israélite et la méthode scientifique des

Numismatique orientale, 318.


recherclies historiques, 259 s. — Histoire
des religions. Goblet dAlviella, 301. —
Obodas IV, 318. Bricout et Huby, 455 s.
Odes de Saiomon, 464 s. Revue biblique et Loi.sy.
TABLE DES INSCRIPTIONS.

Sadduci'-ens, 345, G3:3.


— Publications Lewis, 610. — Les formes
Salomon. Odes, 464. syriaques dans la transcription des

Samaritains, 338. noms propres du N. T., 611.


Samuel. Cf. Néby Samouil, 207 s. Syrie. Archéologie, 297.
Scythes en Palestine, 412 s.
Scythopolis, 413. Tamouz, 119 s.

Sédécias, 36. Téïspès, 26.


Sendjirly. Inscr. araméenne, 253. Tekkiyeh, 319.
Sépulcre (Saint;, 476. Tell ei-Hosn, 410.
Serpent d'airain. 121. Tèmà, 37.
Sinaï. Catalogue des mss. grecs du monas- Thantia (Oumm el-Djemàl?), 298.
tère de Sainte-Catherine au Sinaï, 294. Théologie dogmatique (Labauche), 138. —
— Le monastère de Sainte-Catherine, de saint Paul (Prat), 617.
475. Tobie. Ahiqar dans le livre de Tobie, 68.
Synoptiques. La solution du problème Transjordane. Carte, 300.
synoptique (Pasquierj, 280 s. — Décision
de la Commission biblique, tjOG. Lstinow (Collection). Épitaphes juives, 115 s.
Syriaque. Version philoxénionne de la
Bible, 141. —
Comm. d'Icho'dad de Merv Versions. — Philoxénionne de la Bible,
sur les Évangiles, 143. —
Date de la 141. — Cienèse des versions du N. T.,
Peschitto, 144. —
Les anciens évangiles 608. — Date de la version bohaïrique
syriaques dans leur rapport avec le Dia- GOtt.

tessaron de Tatien, 284 s. —


Codex Vulgate Clémentine, 607.
Zuqninensis, 312. —
Évangéliaire héra-
cléen et la tradition karkaphienne. 301. Zélotes. 345.

TABLE DES INSCRIPTIONS

I. INSCRIPTIONS GRECQUES

A. — Aoms propres.

536
'A5tïp;oj
Viïoi 'IojÀ;o; T:
TABLE DES INSCRIPTIONS.

II. — INSCRIPTIONS SEMITIQUES.

X-'IZN
ERRATA.

P. 478. 1. 17-18 : topotographie, lis. topographie.


— 1. 18 : Hiz-meh, lis. Hizmeh.
— 1. 19-20 : tnsruments, lis. instrionenls.
P. 480, 1. 13 : Eiummaiis, lis. Emmaiis.
P. 542, 1. 22 : tductions, lis. traductions.
P. 640, 1. 7 : Pays voisins, lis. Nouveau Testament.
J
REVUE Biblique,
1912.

V. 21
I

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